Le quotidien Les Echos publie ce 10 février son palmarès 2023 des 500 entreprises françaises championnes de la croissance. Beau résultat il est vrai puisque cette dernière se déploie entre 380% en moyenne pour la première et 16% en moyenne pour la dernière entre 2018 et 2022. Hélas quand on observe dans le détail on constate que moins de 10% de ces entreprises concerne l'industrie. C'est dire que la désindustrialisation massive de la France continue. Nous continuons portant à consommer de grandes quantités de produits industriels...Y compris français....mais de plus en plus fabriqués ailleurs. Ainsi nous achetons encore beaucoup de voitures fabriquées par Renault, mais ces voitures sont fabriquées à l'étranger. Pour bien saisir l'ampleur du problème nous publions ci-dessous une texte paru chez ELUCID et rédigé par Alexandra Buste et Xavier Lalbin.
Bonne lecture.
Trente ans que le rideau est tombé sur l’île Seguin avec la fermeture de la mythique usine Renault de Billancourt, figure de proue de la lutte ouvrière. C’était en 1992 et ce big bang industriel et sociétal a coïncidé avec l’ouverture du Parc Disney de Marne La Vallée, le symbole de la désindustrialisation et du développement du secteur tertiaire dans l’hexagone selon Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP.
La marque au losange est devenue emblématique de la désindustrialisation et de son corollaire, la délocalisation : avec 85 % de réduction d’effectifs en France depuis 40 ans, elle fait la course en tête face au 50 % de perte d’emplois dans le secteur de l’industrie… le tout sous le regard bienveillant de son actionnaire l’État français.
Avec, en parallèle, une multiplication par 5 des effectifs dans des pays à bas coûts pour produire, entre autres, 6 de ses best-sellers en France. Et ce constat édifiant : avec deux constructeurs automobiles majeurs sur son sol, la France est, depuis 2007, importatrice nette de véhicules…
La comparaison avec l’Allemagne ajoute à la cruauté de la situation : effectifs multipliés par deux chez Volkswagen depuis 1980, coûts salariaux supérieurs ou égaux à ceux des constructeurs français et… la deuxième marche du podium en termes de vente de véhicules et chiffre d’affaires.
Seul bémol amer dû à la récente crise énergétique que traverse l’Europe, avec la fonte comme neige au soleil de son secteur manufacturier, gros consommateur d’énergie, la France a beaucoup moins à perdre sur ce plan que l’Allemagne…
Désindustrialisation : l’emploi en souffrance
Telle une litanie morbide, l’annonce des fermetures d’usines s’égrène au fil des années. Elles reviennent inlassablement en titre des journaux avant de disparaître à nouveau dans les ténèbres médiatiques.
On se souvient de celle de Bridgestone qui avait fait grand bruit en 2021, au point d’arracher un vaillant « Révoltant ! » au ministre Bruno Le Maire… légèrement insuffisant pour empêcher la suppression de 860 postes. Elle s’était accompagnée, cette année-là, de 23 fermetures supplémentaires selon l’Usine Nouvelle. Selon l’Insee, depuis le pic de 1974, ce sont plus de 2,5 millions d’emplois industriels qui ont disparu, soit plus de 3,5 millions d’équivalents temps plein.
Au total, plus de la moitié de l’emploi dans l’industrie a disparu en 45 ans, au rythme quasi ininterrompu d’environ 80 000 postes supprimés par an. La part des emplois industriels dans l’emploi total est ainsi passée de près d’un quart à tout juste 10 % de nos jours.
Et le constructeur au losange n’est pas en reste dans cette Bérézina : Renault a réduit ses effectifs de près de 85 % depuis 40 ans dans ses usines en France, bien plus que la moyenne du secteur industriel et indiquant ainsi une véritable volonté stratégique.
La fin des années 1970 marque le point d’inflexion de la hausse des emplois industriels débutée dans les années 1940. De 1940 à 1976, les effectifs des usines françaises de Renault sont multipliés par cinq.
La chute est ensuite vertigineuse ! Dans le même temps, les usines Renault à l’étranger embauchent à tour de bras, multipliant par cinq les effectifs pour atteindre un peu moins de 50 000 salariés en 2021, après un pic à près de 60 000 en 2017.
Malgré sa privatisation menée depuis les années 90, l’état détient encore une participation de 15 %. Difficile dans ce cas pour les politiques qui se sont succédé de plaider leur ignorance de la stratégie de délocalisation du groupe.
La délocalisation massive ou la ruée vers toujours plus de profit
Renault, Peugeot et Citroën disposent de nombreuses usines en France… et bien plus à l'étranger : Chine, Corée, Espagne, Turquie, Maroc, Russie, Roumanie, Slovénie, etc.
La désindustrialisation et son corollaire la délocalisation, prennent parfois racine dans l’effondrement de la demande locale ou un besoin de se rapprocher d’un nouveau marché… ce n’est pas le cas ici. C’est la recherche de main-d’œuvre à bas coût qui en est le principal moteur. Le bilan du top des ventes de voitures en France en 2019 est éloquent :
- Seuls huit modèles sont produits en France dont un seul pour Renault, la Clio IV.
- Les trois têtes de liste sont produites en majorité hors de l’hexagone, comme la Turquie et la Slovénie pour la Clio (pour moitié), la Slovaquie pour la Peugeot 208 (au deux tiers) et le Citroën C3.
Et Renault a parfaitement mis en œuvre sa stratégie de maximisation des profits en délocalisant la main-d’œuvre dans les pays à bas coûts. En 2019, pour ses modèles les plus vendus en France, au moins 80 % des ventes sont des véhicules produits hors de l’hexagone.
Au niveau mondial, la production des modèles stars de Renault représente 1,8 million de véhicules en 2019. Plus d’un quart de ces véhicules sont vendus en France.
Pour autant, la production française de Renault ne s’élève qu’à 10 % de sa production totale. Autrefois exportatrice nette de véhicules, la France est devenue importatrice nette avec en 2019, 420 000 véhicules Renault importés pour moins de 90 000 exemplaires exportés.
Un emploi délocalisé ce sont des emplois liés qui disparaissent et des dommages collatéraux
La perte d’emplois industriels directement liés à l’activité arrêtée n’est que la partie émergée de l’iceberg. Dans le sillage d’une fermeture d’usine, c’est la cohésion sociale qui vole en éclat et la destruction de quatre à cinq fois plus d’emplois liés (selon Bpifrance, un emploi industriel c’est 1,5 emploi indirect — intérim, sous-traitants, fournisseurs… – et 3 emplois induits – emplois nécessaires à la vie courante des salariés, logements, commerces, etc.).
La désindustrialisation c’est aussi l’accentuation du déficit du commerce extérieur de marchandises (- 100 milliards d’euros en 2021). À force de délocalisation, l’augmentation des importations de biens s’accompagne d’une baisse des parts de marché de la France dans les exportations.
Ainsi, dans l’automobile, depuis 2007, la France est importatrice nette de véhicules tout en ayant 2 constructeurs automobiles dans le top 6 mondial (Renault-Nissan et Stellantis). La conséquence évidente de la disparition de la production française de véhicules.
Et si les emplois industriels semblent avoir en partie muté en emplois tertiaires, ces derniers ne contribuent pas à la même hauteur au PIB. Cela se traduit dans le solde du commerce extérieur de biens et services qui, après une embellie de 1991 à 1997, est en baisse constante et reste déficitaire depuis 2006, piloté essentiellement par le déficit du commerce de biens (où les véhicules automobiles contribuent à hauteur de 21 milliards d’euros en 2021).
Pendant ce temps en Allemagne…
Se comparer à l’Allemagne est l’une des activités préférées de nos élites : la stratégie industrielle antagoniste de Volkswagen devrait leur donner matière à réfléchir.
Certes, les événements géopolitiques récents viennent mettre à mal une Europe industrielle addict à l’énergie bon marché. Et l’Allemagne, de ce point de vue, est en première ligne avec la chute brutale du solde de sa balance du commerce de marchandises. La conséquence d’une perte de compétitivité et d’un ralentissement du commerce mondial dont les répercussions en termes d’emplois industriels locaux se feront sentir dans les mois et années à venir.
Mais, jusqu’àlors, tandis que les délocalisations menaient bon train dans l’hexagone sous l’œil impuissant ou complaisant des politiques (l’État a maintenu, au plus bas, une participation lui assurant plus de 20 % des droits de vote), Volkswagen, aujourd’hui deuxième constructeur mondial en termes de vente de véhicules et chiffre d’affaires, négociait un autre virage. Comme l’écrivait Michel Freyssenet, chercheur au CNRS et cofondateur d’un réseau de recherche international sur l’automobile :
« Si les recommandations faites par le courant […] dominant de l’industrie automobile étaient pertinentes, VW devrait être aujourd’hui l’entreprise la plus externalisée, la plus délocalisée vers des pays à bas coûts et finalement le constructeur automobile avec les coûts de main-d’œuvre les plus bas. En réalité […] VW est le constructeur automobile européen qui est le moins externalisé, le moins délocalisé et qui a les coûts de main-d'œuvre les plus élevés, tant au niveau national que mondial. »
La signature d’un « compromis de gouvernement d’entreprise » avec le syndicat IG Metal et le Land de Basse-Saxe a obligé le constructeur à préserver emploi et salaires en Allemagne. Charge à Volkswagen d’inventer la stratégie qui allait avec, comme la diversification de la gamme à partir de plateformes communes pour réaliser des économies d’échelle.
Une charge salariale individuelle globalement égale ou supérieure à PSA et Renault depuis 1975 et moins d’externalisation en pays à bas coûts n’ont pas empêché l’allemand de se hisser sur la deuxième marche du podium en nombre de voitures vendues et chiffre d’affaires. Cette stratégie a permis de maintenir les emplois dans le pays puis de les démultiplier lors de la phase de forte croissance de l’entreprise.
Au final, en partant d’une situation comparable au début des années 1980, Volkswagen a multiplié par presque deux ses emplois en Allemagne, pendant que les Français Renault et PSA ont divisé respectivement par deux et trois le nombre d’emplois en France.
Le Made in France : une préoccupation grandissante chez les consommateurs
« Au moment d’acheter un produit ou un service, plus de la moitié des Français regardent le pays de fabrication et les trois quarts se déclarent prêts à payer plus cher pour acheter un produit fabriqué en France (IFOP, 2018) ».
Neuf Français sur dix l’ont bien compris, l’achat « Made in France » participe au maintien de l’emploi dans l’hexagone et préserve les savoir-faire. C’est même un gage de confiance pour plus de huit personnes interrogées sur dix.
Certains constructeurs automobiles (Toyota, Peugeot et Citroën) valorisent le sésame du made in France en brandissant le label « Origine France Garantie » - 50 % de la valeur des produits est générée sur notre sol. D’autres, comme Renault, où réduction des coûts et délocalisation sont centrales dans la stratégie industrielle, sont plus timorés et se placent sur le terrain historique pour argumenter : « française depuis plus de 115 ans, l'entreprise n'a pas le sentiment de devoir prouver sa nationalité ».
Certes, les labels ne sont pas une preuve de la nationalité d’une entreprise : née en France en 1898, jouissant d’un statut d’entreprise publique durant près de 40 ans… Renault dispose d'origines incontestables. En revanche, avec un seul de ses modèles fabriqué en France parmi les 8 les plus vendus et à peine 20 % de ses ventes fabriquées en France, c’est son ancrage local qui est questionné.
La crise Covid a révélé les carences de la start-up nation pour fournir masques, surblouses, respirateurs, médicaments, vaccins : notre parc industriel a fondu comme neige. De quoi inquiéter pour la gestion de la crise climatique et de la transition énergétique qui demandent de véritables compétences techniques et industrielles… En « traversant la rue pour trouver un job », les derniers de cordées risquent fort de trouver porte close… et même pas de porte du tout.