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27 juillet 2022 3 27 /07 /juillet /2022 13:55

 

La BCE annonçait depuis plusieurs semaines son chantier de réflexion sur un dispositif de lutte contre la fragmentation des dettes publiques  européennes. L’idée était que, face au retour d’une inflation que l’on croyait disparue- et donc face à une remontée des taux déjà entamée par la FED- comment ne pas prendre de risque en Europe et éviter des écarts de taux entre le nord et le sud ? Plus clairement encore comment, dans le nouveau contexte, éviter la situation de l’année 2012 avec la décision de Monsieur Draghi de créer massivement de la monnaie à un moment où il faudrait stabiliser les prix?

La décision nouvelle de la BCE, 10 ans jour pour jour après celle de monsieur Draghi, n’est pas claire. Bien sûr il est mis fin au Quantitative Easing généralisé au profit de toutes les dettes publiques de toute la zone euro, et l’on prend conscience que l’on ne peut lutter contre la hausse des prix en laissant fonctionner la planche à billets. Toutefois la BCE s’engage, au profit des Etats qui, tout en étant respectueux des règles de bonne gestion, seraient pourtant victimes de taux plus élevés que la moyenne. Cet engagement serait l’achat sans limite de la dette publique de ces Etats afin d’éliminer le spread de taux.

Sur un plan théorique, sauf à contester la rationalité des acteurs de la finance, l’argument ne tient pas.

Si effectivement un Etat est victime d’un spread, ce dernier est justifié  par ce qui serait le prix d’un risque, lequel repose traditionnellement sur trois piliers : la liquidité, la solvabilité et la convertibilité. Si l’Etat connaissant un spread est bien géré, ces  trois risques  sont inexistants et donc le spread ne saurait, au-delà de quelques mouvements spéculatifs se pérenniser. Si l’on détaille un peu on voit tout de suite qu’un spread ne saurait se justifier sur la liquidité : le taux étant attractif la demande se fait en principe conséquente et donc l’illiquidité est exclue. Par contre la solvabilité ou la convertibilité pose un véritable problème. Et donc un spread de taux même pour un Etat de bonne réputation correspond à une dette publique réputée difficilement  contrôlable par les marchés financiers. La générosité de la BCE pour un Etat qui tout en étant de bonne réputation est victime d’un spread n’a guère de sens, et il est donc malhonnête d’imaginer un « instrument de protection de la Transmission » qui n’aurait aucune justification.

La réalité est donc autre : si La BCE met en place un « IPT » c’est que des risques réels existent au sein de la zone et bien évidemment des risques que l'on veut cacher. De fait, sans le dire, on ne fait que modifier les paramètres du modèle QE sans véritablement le faire disparaitre...

L’ancien modèle était ouvertement très inflationniste puisque les règles adoptées obligeaient la BCE à acheter de la dette publique en respectant un principe de traitement égal entre pays : la quantité globale de dette achetée est répartie entre les pays en respectant la règle de proportionnalité, règle reposant sur le poids des PIB de la zone. Concrètement si l’Allemagne dispose d’un PIB 2 fois supérieur au PIB italien, la BCE ne peut acheter un montant X de dette italienne que si elle achète dans le même temps 2X de dette allemande. Si donc les marchés financiers se méfiaient de la dette italienne et qu’il fallait en acheter beaucoup  pour contenir le spread de l’Italie, il fallait acheter 2 fois plus de dette allemande dont l’Allemagne n’avait pas besoin en raison de son équilibre des finances publiques. Le résultat du quantitative easing européen (à l’inverse du QE américain qui ne fonctionne que pour un Etat) est double : beaucoup trop de création monétaire à potentiel certes spéculatif mais aussi inflationniste d’une part, et taux d’intérêts nuls voire négatifs pour l’Allemagne d’autre part. Fort logiquement le taux était faible pour l’Allemagne en raison d’une totale absence des trois risques susvisés, mais si au-delà la BCE achète beaucoup, les cours montent et les taux deviennent négatif. Prenons un exemple pour mieux comprendre. Soit une obligation publique allemande de valeur 100, de rendement 2%  dont l'échéance est de 5 ans. A terme le retour sur investissement est de 100+ 5ansX 2%= 110. Si maintenant le QE fait augmenter la demande de titres et que le cours vienne à dépasser les 110, alors le rendement devient négatif: l'épargnant allemand donne davantage qu'il n'est censé recevoir...

Cette situation certes difficile pour les épargnants allemands était plus ou moins supportable dans un contexte de parfaite stabilité des prix. Elle ne l’est plus si cette « planche à billets multiple » ( il faut acheter pour tout le monde) fonctionne dans le contexte de l’arrêt de la planche à billets américaine, arrêt suivi d’une hausse des taux américains. Dans ce nouveau contexte le cours de l’euro ne peut que faiblir. En cet été 2022, au-delà de la question énergétique, l’Allemagne devient très exposée à l’inflation : l’explosion des prix alimentée par la « planche à billets multiple » s’accompagne d’une hausse des couts de production industriels alimentée par une baisse de l’euro. On sait en effet que le modèle industriel allemand reposant sur l’assemblage d’intrants issus du reste du monde, le pays est très exposé à une hausse des  couts de ses importations.

Au final l’Allemagne ne peut plus accepter des taux négatifs dans un contexte de forte inflation. Et une inflation qui atteint ainsi que vient de nous le rappeler Philippe Murer le secteur du logement traditionnellement calme en Allemagne. Il fallait donc mettre fin de façon rigoureuse au QE de la BCE et augmenter les taux avec ses conséquences très difficiles pour les pays du sud, pays dont l’endettement s’est considérablement accru avec la crise sanitaire. On perçoit mieux ainsi l’adoption de « l’IPT » : il fallait faire remonter le taux allemand en excluant totalement la dette publique allemande dans les achats de la BCE, et en même temps prendre des dispositions guerrière pour empêcher l’apparition de spread dans le sud et en particulier l’Italie. Bien sûr le message de la BCE est à tout le moins malhonnête et on sauvera l’Italie quoi qu’il en coûte pour aussi sauver l’euro. « L’IPT » n’est donc qu’une aggravation du non respect des règles européennes. Certes Monsieur Draghi n’avait pas le droit d’acheter quasi-directement de la dette publique, mais il le faisait pour tous au nom de ce qu’il considérait comme protection d’un bien commun. Madame Lagarde va plus loin : parce qu’il faut réduire l’importance et la taille de la planche à billets, elle n’achètera de la dette publique qu’au profit des vilains canards.

Evidemment il ne s’agira que d’une nouvelle péripétie dans la gestion de la monnaie unique. Péripétie qui fait suite à tant d’autres : désindustrialisation du sud avec abandon de la production au profit des seuls échanges ( Les usines laissent la place à la grande distribution), crise de la dette publique (hausse des dépenses sociales pour suppléer aux revenus disparus de la production), crise des taux N°1 (ils doivent s’évaporer pour soutenir une dette publique devenue insoutenable), crise des taux N°2 ( ils doivent monter pour lutter contre l’inflation). Le dispositif « IPT » va introduire de nouveaux problèmes dont celui de la gestion de l’aléa moral:  comment empêcher la multiplication des passagers clandestins dans un contexte géopolitique aussi dangereux ? Mais il faut hélas comprendre cette nouvelle péripétie: Peut-on ajouter le piment d’une crise majeure de la zone euro au fracas des armes ?

 

 

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18 juillet 2022 1 18 /07 /juillet /2022 16:22

Les choix opérés dès l’irruption de la  pandémie et dès le déclenchement de la guerre par la Russie vont dans le même sens. Avec la première, il y aura maintien des revenus en contrepartie de la disparition de la production. Avec la seconde, il y aura prélèvement de revenus sur une production qui, nationalement, n’existe pas (rente gazière et pétrolière sur production en dehors du territoire national). Maintien d’un côté et prélèvement de l’autre  donneront lieu à perte de richesse. Perte directe d’un côté : il est interdit de produire ; perte indirecte de l’autre : seule l’expression monétaire de l’énergie augmente, ce qui par effet de substitution ( ce que les économistes appellent « élasticité revenu et élasticité croisée »)  viendra diminuer la demande d’autres produits.

Le fonctionnement hors sol des marchés politiques

Le fonctionnement des marchés politiques a invité à l’effacement au moins partiel de cette perte de substance par diverses mesures et aujourd’hui par une loi  dite « loi sur le maintien du pouvoir d’achat ». Sans entrer dans l’épaisseur des détails, cet effacement s’opère par augmentation considérable de la dette publique avec la complicité de la BCE. Cette augmentation est directement une augmentation de la masse monétaire en circulation. Avec la pandémie, le Trésor compense l’affaissement des revenus de la production avec de la monnaie mise à sa disposition par une BCE qui lui achète des bons du Trésor. Avec la guerre, le Trésor finance le prélèvement russe avec le même dispositif. La loi sur le maintien du pouvoir d’achat va amplifier ce processus : subventions diverses sur le prix de l’énergie, revalorisation du point d’indice de la fonction publique, revalorisation des retraites, etc. sont une masse budgétaire qui n’est qu’une masse monétaire crée avec la complicité de la BCE. Et une BCE qui, en principe, doit se battre pour  endiguer une inflation qu’elle suscite tout en la cachant par une hausse des taux de l’intérêt…

Il n’est pas besoin d’être économiste pour savoir que cette monnaie qui ne représente aucune richesse viendra s’ajouter à celle qui en représente réellement. La gestion de la pandémie était déjà porteuse d’inflation : une masse monétaire plus grande que la richesse produite. La gestion de la guerre ne peut qu’accélérer le processus inflationniste : la « loi sur le pouvoir d’achat » veut compenser l’inflation en l’accélérant. Ce que les économistes appellent la spirale des prix et des salaires. Avant même la promulgation de la nouvelle loi, la masse monétaire en France se montait à 1650 milliards d’euros contre seulement 800 milliards en 2015, soit plus qu’un doublement, alors qu’entre temps le PIB en valeur ne  s’est accru que de l’ordre de 25%. Cet écart, probablement une bombe inflationniste, se repère dans un autre écart celui, au niveau de la zone euro,  de la croissance vertigineuse du bilan de la BCE dans le même temps.

La brutalité des chiffres quand on ne veut rien changer

Plongeon- nous dans un petit exercice de prospective pour voir dans quels horizons le fonctionnement des marchés politiques français risquent de plonger le pays.

Retenons quelques hypothèses de raisonnement : Un horizon de 8 années qui représente la moyenne des échéances d’une dette Publique proche de 3000 milliards d’euros ; une croissance en valeur de 7% composée d’un accroissement réel de 2% et d’une inflation de 5% ; aucun changement dans la  stratégie fiscale de maintien de tous les taux ; aucun changement dans la forme et le contenu d’un Etat social ; un taux de l’intérêt nominal de la dette publique de 4%, ce qui représente – eu égard à l’hypothèse d’inflation-  un taux réel de – 1%, taux  proche de celui du début de la présente année.

Sur la base de 8 années, les ressources fiscales augmentent au même rythme que la croissance en valeur (7%). Ces ressources de 217 milliards en 2020 deviennent 397 milliards en 2028. La charge des intérêts de la dette publique ( 34 milliards en 2020) devient :  3000 milliards X 4% = 120 milliards.

Le bilan est catastrophique : En 2020 la charge des intérêts représentait 34 milliards sur 217 de ressources fiscales soit déjà 15,6% ( 34/217). En 2028 elle représenterait 120/ 397= 30%. Cela signifierait une réduction obligatoire colossale de la dépense publique, soit l’inverse de ce qui est proposé dans la loi sur le pouvoir d’achat. Bien sûr, on pourrait imaginer une BCE se bornant à limiter le taux à 2%. Dans ce cas nous aurions une masse d’intérêts de 60 milliards d’euros, ce qui représenterait 60/397= 15,1% et donc un quasi maintien du poids de la dette. Cette hypothèse est toutefois assez irréaliste car elle signifierait un taux d’intérêt réel beaucoup plus négatif encore : - 2%.

L’irréalisme de cette hypothèse tient au fait que la FED américaine se trouve elle dans une politique beaucoup plus restrictive et donc une hausse des taux faisant fuir l’épargne européenne vers le dollar ce qui se manifeste par une chute de l’euro par rapport au dollar. Plus précisément encore elle tient au fait qu’un taux négatif de -2% affaisserait la valeur des patrimoines financiers européens et leur départ vers de meilleurs cieux. Cela renforcerait les tendances inflationnistes avec la hausse du coût des importations dont celui de l’énergie ce qui est très difficile pour une Allemagne qui a déjà vu la hausse de ses coûts industriels atteindre les 20% depuis un an. Cela renforcerait  aussi le risque de crise financière.

Le monopole des passagers clandestins autour de la table des négociations

Du point de vue des grands acteurs de la zone, il est clair que le dispositif institutionnel européen fait que les marchés politiques européens, marchés déjà largement cartellisés, ont besoin de la complicité de la BCE, et une complicité adaptée -sous la houlette de la finance- à chaque marché politique national. En retour, cette même BCE est complètement prête à se transformer en proto-Etat fédéral afin de sauver la finance  et   sauver sa propre bureaucratie : elle est prête à sauver les marchés politiques européens et la finance pour se sauver elle-même. Toutefois ce proto-Etat européen que serait la BCE se trouve dans un piège : comment se sauver, sauver la finance, et sauver les marchés politiques européens sans augmenter les taux, dont on voit l’impasse pour un pays comme la France, et sans les réduire ce qui correspondrait au renforcement de  l’inflation pour certains pays fragilisés. Nous avons là le casse-tête du dispositif anti-fragmentation que la BCE tente de construire cet été : beaucoup d’acteurs autour de la table. Et tous sont devenus passagers clandestins d’une construction qui dépasse chacun et qu’aucun ne veut voir disparaitre, surtout dans un contexte géopolitique devenu guerrier. Bref: une cartellisation solide de passagers clandestins sur un navire ingouvernable.

Concrètement, il s’agit d’obtenir un accord confirmant le statut de proto-Etat de la BCE favorisant la finance et tous les marchés politiques nationaux. On ne peut plus en raison de l’inflation, même en violant les règles européennes, augmenter sans limite la masse monétaire au profit de certains et on ne peut pas augmenter les taux pour d’autres. Nous ne sommes pas autour de la table des négociations mais on peut parier que le dispositif anti-fragmentation qui naitra passera aussi par une réduction des achats de dettes publiques et une hausse significative d’obligations privées. Nous n’avons que peu de chiffres concernant la proportion d’obligations de dettes privées dans le total des achats de la BCE. Toutefois on peut estimer que cette proportion tourne autour de 10%. En se portant davantage acheteuse en dernier ressort de dettes privées, voire d’actions, la BCE offrirait une garantie face au risque de crise financière : il n’y aurait pas, au titre d’une lutte contre l’inflation, de répression financière. Au-delà on peut même imaginer qu’en allant plus loin dans son statut de proto-Etat, elle imposerait des clauses d’investissement obligatoire dans ses achats. En augmentant considérablement la part de dette privée achetée, et corrélativement en diminuant la part de dette publique dont l’essentiel partirait dans une logique de maintien du pouvoir d’achat présent, le proto-Etat BCE pourrait construire le compromis : moins d’épargne spéculative, davantage d’investissements productif de richesse et producteur d’avenir, moins de masse monétaire pour alimenter une demande globale face à une offre encore insuffisante.

Le regard tourné vers la cheminée du proto-Etat en formation à Francfort, nous attendons la fumée blanche, signal d' un nouveau délai d'attente devant le  précipice.

 

 

 

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11 juillet 2022 1 11 /07 /juillet /2022 13:59

La décision programmatique de renationaliser EDF le 6 juillet dernier correspond -à quelques heures près- à la publication d’un rapport de 300 pages de la Cour des Comptes, document intitulé : « l’Organisation des marchés de l’électricité ». Ce rapport d’une qualité technique remarquable se construit bien évidemment selon les règles de la Cour : il ne s’agit pas de contester les institutions nationales voire européennes existantes mais simplement de déceler les difficultés voire dérives de leur fonctionnement. La question est alors de savoir si la nationalisation d’EDF mettra en cause la forme juridico/institutionnelle de l’approvisionnement de la France en électrons : marché ou règlement autoritaire ?  La Cour évoque longuement la nature institutionnelle de cet approvisionnement pour la France et met en pleine lumière un arrangement original : une combinaison entre une logique de pur marché décidée par Bruxelles au début des années 2000, et une logique française traditionnelle de pur service public décidée en 1946. Bien comprendre ce qui peut être envisagé pour EDF aujourd’hui passe par la compréhension de ce qui était à l’origine et ce qui est devenu sous l’angle européen.

 

Sans reprendre ici les travaux complexes des économistes qui ont longuement réfléchi sur les prix de l’électricité qu’il fallait pratiquer en 1946 à la naissance d’EDF, on peut résumer en quelques points les grandes lignes doctrinales qui vont organiser l’entreprise jusqu’au début des années 2000.

Les principes fondateurs de ce qui sera l’entreprise la plus performante du monde dans son secteur

1 - L’électricité est un bien commun accessible à tous. A ce titre, il n’est pas une marchandise et se trouve hors commerce.

2 - L’électricité doit obéir à un principe de « MiniMax » garantissant, au-delà de l’accessibilité à tous, un intérêt général. Il s’agit, pour un assemblage de facteurs de production donné, d’assurer un maximum de satisfaction pour les utilisateurs. La préoccupation fondamentale d’EDF est donc celle du rendement maximal de son activité.

3 - La traduction concrète de ce principe fait que les prix doivent indiquer aux utilisateurs, de façon aussi précise que possible, la rareté de la ressource. Dit autrement l’utilisateur doit savoir, par le montant payé, ce qu’est le coût exact de la ressource. Sans entrer dans le détail, ces réflexions inviteront à une tarification au coût marginal, c’est-à-dire au coût de production du KWh supplémentaire. Ce principe n’a été qu’approximativement respecté par le monopoleur public car si le coût marginal augmente considérablement, le prix devient très élevé et défavorise  les consommateurs. Délégataire d’une mission de service public EDF était ainsi amenée à effectuer des arbitrages.

La libéralisation du marché de l’électricité -exigée par Bruxelles- devait faire disparaître ces principes organisationnels qui avaient fait d’EDF l’entreprise la plus efficiente du monde dans son secteur.

La transformation  vers un  marché bureaucratique

La commission bruxelloise va confier au marché le soin de fixer des prix de gros et de détail de l’électricité pour donner des signaux révélateurs des situations de tensions entre offre et demande et inciter ainsi à optimiser les décisions d’investissement et de production d’acteurs désormais en situation de pleine concurrence au niveau d’un ensemble territorial beaucoup plus vaste que le France, ce qu’on appelle la plaque européenne dont le réseau électrique serait entièrement interconnecté.

Pour la France, le principe du bien commun, notamment dans sa dimension hors commerce est maintenu. Le consommateur peut rester client de l’ex-monopoleur lequel appliquera en principe une tarification proche du coût marginal, ce qu’on appelle encore le tarif règlementé.

Par contre, la réorganisation institutionnelle va développer des changements majeurs avec, au final, irruption de prix qui vont davantage se rapprocher de préoccupations mercantiles éloignées d’un intérêt général.

Les changements majeurs peuvent se résumer en quelques points :

1  - La fin du monopole public

La réorganisation institutionnelle porte sur la fin du monopole public et  son démantèlement avec séparation entre les divers stades de la vieille intégration verticale : production, transport, distribution, mais aussi l’irruption des marchands d’électricité (une quarantaine aujourd’hui). On passe du monopole au marché concurrentiel.

 2 - Le partage  de la rente nucléaire.

EDF peut  se charger d’un intérêt public avec maintien de politiques tarifaires spécifiques, mais il doit laisser une place majeure à des fournisseurs alternatifs d’électricité qui, bien évidemment, souvent incapables de concurrencer les coûts du nucléaire vont devenir agents parasites à l’intérieur du dispositif appelé ARENH (Accès Réglementé à L’Energie Nucléaire Historique).  Ce dispositif lui-même très règlementé donnera aux fournisseurs alternatifs un accès à 25% de la production nucléaire, et ce à des prix inférieurs aux coûts complets EDF. Ce dispositif est ce qu’on appelle « l’accès à la rente nucléaire » : on redistribue la compétitivité du nucléaire à des concurrents et on va même au-delà puisque La Cour des Comptes au travers de modèles de calculs complexes reconnait que le prix de l’ARENH n’intègre pas le coût en développement du parc nucléaire.  EDF ne peut donc plus - statutairement- obéir à ses   règles lui permettant de construire - au-delà de celles constitutives du bien commun-  l’intérêt général.

 3 - La naissance d’une gigantesque bureaucratie.

La multiplicité des acteurs aux intérêts divergents et le mélange privé/public complexifient les choses à l’extrême et l’on comprend que si EDF,  sans  bureaucratie excessive dans sa gestion rationnelle, devait simplement être surveillée par la puissance publique, il faudra maintenant passer au stade de la régulation bureaucratique d’un ensemble beaucoup plus vaste. Ce sera la mission d’une Autorité Administrative Indépendante - véritable fragment de  "Gosplan"- la « Commission de Régulation de l’Energie », (CRE) peuplée de 250 fonctionnaires travaillant quotidiennement avec des centaines d’autres fonctionnaires notamment bruxellois et des acteurs de marché très éloignés de la réalité industrielle. Nous invitons ici à lire attentivement le rapport de la Cour des Comptes qui durant plusieurs dizaines de pages décrit l’immense bureaucratie résultant de cette construction.  

4  - Une interconnexion génératrice d’un « coût marginal européen ».

L’interconnexion entre les réseaux nationaux devait logiquement permettre, grâce à des bourses européennes d’échanges d’électricité, la formation d’un prix de gros européen. En particulier, le prix qui devait s’y former était  assez naturellement celui du coût marginal européen. La raison en est simple : les acteurs qui se présentent sur les bourses sont peu efficients et n’échangent que des quantités d’électricité produites à partir d’unités coûteuses (énergies fossiles). Logiquement, il n’y a pas d’électricité nucléaire échangeable sur les bourses de gros, les possesseurs voulant la conserver pour la revente sur le marché du détail, et les candidats acheteurs étant en principe surtout attirés par les seuls contrats ARENH. Le marché de gros est donc bien ancré sur les coûts marginaux, eux-mêmes constitués pour l’essentiel par les prix de marché des énergies fossiles…qu’il faut décarboner…. en utilisant aussi  les bourses d’échange de carbone…. la spéculation sur la transition écologique faisant possiblement grimper les cours des uns et des autres.

Pour les consommateurs français, la belle histoire de la tarification au coût marginal perd tout le sens qu’elle avait encore au temps du monopole public. Le prix approximativement égal au coût marginal révélait bien la rareté de la ressource électricité. Ce n’est plus le cas aujourd’hui où il ne fait que révéler une rareté qui se trouve ….dans les autres pays européens, et rareté aggravée par le capitalisme spéculatif constructeur de rentes.  

Un marché bureaucratique au fonctionnement catastrophique

A l’issue de quelques quinze années de fonctionnement le bilan est devenu une double catastrophe, nationale d’une part, géopolitique d’autre part.

Du point de vue national, il était sottement espéré que la fin du monopole d’EDF était une opportunité : possibilité de redistribuer au grand public une partie de la rente nucléaire par le biais d’une introduction en Bourse, accès aux marchés financiers classiques pour les investissements avec ouverture sur l’international, élargissement d’une interconnexion européenne permettant d’optimiser le parc de capacités et d’en réduire le coût, etc.

La réalité fut très différente : casser le monopole était aussi réduire sa composante nucléaire, une réduction rendue très efficace par la programmation de la fin de l’ARENH , vécue à Bruxelles comme dispositif intermédiaire à éteindre (décembre 2025) avec la fin du nucléaire français. Plus grave il en résultait l’arrêt complet du programme nucléaire français avec des conséquences ultimes d’ordre macroéconomique : une diminution générale des capacités industrielles du pays. Le « faire » s’externalise y compris pour l’énorme parc en activité, le « savoir- faire » qui en découle disparait progressivement, et le « savoir » finit lui-même par s’évaporer. Il n’y a plus à développer les capacités de recherche et de développement. Nous avons là la disparition tragique d’une compétence qu’on ne peut que difficilement reconstruire et qui explique que - même le parc existant-  ne peut plus être correctement entretenu.

Sur le plan international, aucune préoccupation géopolitique ne fut imaginée et le coût marginal fixant les prix est devenu affaire de  rente géopolitique construite par  le pouvoir russe. L’idéologie économiciste de la commission bruxelloise n’a pu intégrer que le très rationnel prix fixé sur les coûts marginaux n’a de sens que dans la seule théorie économique, elle-même construite sur une axiomatique excluant les Etats. Curieusement, les experts bruxellois ne semblaient pas voir que sur nombre de marchés internationaux et en particulier ceux de l’énergie, les notions de rente sont centrales. En particulier ne pas avoir vu que sur le marché mondial du pétrole les prix étaient historiquement très éloignés des coûts marginaux est affligeant.

L’Etat russe en guerre, se moque du coût marginal et peut comme il l’entend prélever une rente de monopole, comme l’OPEP pouvait le faire lors des crises pétrolières du début des années 70. Certes lorsque  le coût marginal de l’électricité se dessinait dans l’espace français, il fallait bien incorporer des rentes de monopole en particulier celle sur le pétrole utilisé pour produire de l’électricité. Toutefois cette rente ne dessinait pas obligatoirement le prix de l’électricité et le monopole public pouvait accepter des pertes sur les unités marginales de production (centrales au fuel) pertes couvertes par les gains sur les unités nucléaires.

Tel n’est plus le cas avec un marché libre qui se dessine au niveau de la plaque européenne : le prix européen de l’électricité se dessine sur le coût marginal des énergies qui, en provenance de l’Etat russe en guerre, sont soumises à une rente de monopole fixée politiquement. En théorie, chaque Etat de la plaque européenne pourrait intervenir pour renationaliser les prix de l’électricité, mais précisément cela entrainerait la disparition de la plaque entièrement interconnectée.

Il sera évidemment longuement débattu de l’avenir d’EDF au cours des prochaines semaines. Le débat risque toutefois d’oublier la question fondamentale : faut-il accompagner la nationalisation complète de l’entreprise par une nationalisation de la commercialisation de l’électricité, ou bien faut-il accepter le maintien d’un marché européen de l’électricité ? Cette question n’est évidemment pas abordée dans le rapport de la Cour des Comptes, ce qui est dans la  logique de l’institution.

 

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1 juillet 2022 5 01 /07 /juillet /2022 08:13

Il y a juste 10 ans, le Gouverneur de la BCE décidait de tout faire pour sauver l’euro. En cet anniversaire, on reparle pourtant d’écarts de taux entre pays du sud et l’Allemagne avec selon le vocabulaire du jour, le risque d’une fragmentation censée se corriger par de nouveaux dispositifs.

Petit rappel historique.

Jusqu’à l’avènement de l’euro, les grandes asymétries entre pays du sud et l'Allemagne pouvaient cohabiter et se maintenir dans un marché de plus en plus ouvert. Les productivités globales plus faibles dans le sud résultaient globalement des spécificités sociales, institutionnelles, culturelles, etc… au sens le plus large. Logiquement, il devait y avoir une transformation et un alignement progressif sur les productivités du Nord, mais il était beaucoup plus aisé de procéder à un alignement par le biais monétaire : des dévaluations compétitives répétées. Ainsi,  l’Italie et même la France pourront maintenir leur potentiel industriel malgré la puissance allemande -tout au long des années 80 et 90-  par un taux de change devenant variable d’ajustement. Le cas italien est emblématique : ce n’est qu’à partir de l’euro que la production industrielle italienne décroche de celle de l’Allemagne. Alors que cette production suit une croissance identique   tout au long des 20 dernières années du siècle précédent, la production allemande augmente de 19,6% entre 2000 et 2020 alors que la production italienne baisse de 14,3% entre les mêmes dates. L’Italie pouvait naguère suivre l’Allemagne en dévaluant régulièrement la lire par rapport au mark. Elle ne pourra plus avec un taux qui deviendra fixe en 2000 : le taux de change n’est plus variable d’ajustement,

On connait la suite : rentabilité plus faible des entreprises italiennes, baisse de l’investissement, accroissement du différentiel de productivité, endettement public croissant, etc. On entre dans un cercle vicieux dont on ne pouvait sortir que par des dévaluations internes beaucoup plus difficiles que celles offertes par la baisse du taux de change. Les obligations allemandes devenant plus sûres que celles de l’Italie et des autres pays du sud, les taux d’intérêts jusqu’alors semblables vont s’écarter. Nous avons là la crise des dettes souveraines et donc celle de l’euro en 2012.

C’est dans ce cadre que la BCE décide en juillet 2012 de tout faire pour sauver l’euro. De fait, le gouverneur de l’époque, Monsieur Draghi, va lancer des QE autrement plus importants que ceux envisagés par la FED américaine lors de la crise des subprimes. Cette importance résultait directement des institutions européennes : Si on peut difficilement accepter que la BCE achète de la dette publique et finance ainsi des Etats, on ne pouvait accepter que cet achat se fasse au profit de certains pays et pas d’autres. D’où la règle de l’équité ou de la proportionnalité : la BCE achète un montant de dette publique en respectant fidèlement le poids de chaque Etat dans le capital de la BCE. Et donc si le poids de l’Allemagne est le double de celui de l’Italie, la BCE sera tenue d’acheter 2 fois plus de dette publique allemande que de dette publique italienne. Clairement, les QE font baisser les taux et soulagent les finances publiques du sud, mais ils débouchent sur des taux négatifs en Allemagne. Cette règle d’équité et de proportionnalité sera flexibilisée avec l’irruption de la crise sanitaire ( Plan d’urgence pandémique), mais globalement la BCE détient toujours beaucoup de dette publique allemande (43,6%) dont les allemands n’ont pas vraiment besoin, et peu de dette italienne (27,3%) dont les italiens ont beaucoup  besoin.

Situation présente

La nouvelle situation planétaire est aussi celle d’une inflation dont l’explication ne sera pas abordée dans le présent billet. Pour autant, cette inflation est gérée aux USA par un resserrement sensible de la politique monétaire ( 50 points en mai, puis 75 en juin, puis 75 fin juillet, puis…. ?) resserrement jugé insuffisant par certains et trop brutal pour la solidité de la muraille de liquidité élevée autour des marchés financiers. Ce resserrement américain est un très lourd handicap pour la BCE qui, elle aussi, est aux prises avec l’inflation. Elle se trouve en effet devant des injonctions contradictoires : maintenir un écart le plus faible possible entre les taux du nord et ceux du sud, et pour autant mettre fin aux QE pour éviter une fuite de l’épargne vers les USA et donc un euro devenant trop faible à un moment où le coût des importations devient prohibitif.

En clair, il faut une politique monétaire restrictive pour éviter une élévation considérable du prix de l’énergie en particulier pour une Allemagne devenant brutalement un pays fragile. Mais il faut également que cette politique restrictive n’entraine pas une élévation des taux dans les pays traditionnellement les plus fragiles de la zone , c’est-à-dire le sud et en particulier l’Italie.

L’Allemagne devient fragile puisqu’elle devra se séparer rapidement et durablement de la Russie pour son approvisionnement énergétique, et dépendra bien davantage des énergies fossiles américaines devenant plus coûteuses en raison d’une double cause : crise de l’offre et paiement en dollars en forte hausse en raison des taux américains.

Clairement, il ne faut pas aggraver la crise énergétique allemande, pays dont le contenu énergétique du PIB est le plus élevé en raison  de ses choix inappropriés et de sa position de quasi-monopole industriel. Cela passe donc par une politique monétaire au moins aussi restrictive que celle qui se met an place avec la FED, politique qui est impossible si l’on ne veut pas voir le sud et en particulier l’Italie se trouver en risque d’insolvabilité. La première crise de l’euro concernait essentiellement le sud : il fallait sauver le sud… aussi pour permettre à l’Allemagne de continuer à bénéficier d’un taux de change favorable. La seconde crise est plus complexe : il faut sauver le sud et le nord.

Notons par ailleurs que ce Co-sauvetage du sud et du nord se déroule dans un contexte difficile : déstabilisation des pays émergents en raison de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, endettement et crise de change pour ces pays, augmentation des primes de risques, effondrement de la valeur des actifs jusqu’ici surévalués et ne pouvant plus servir de collatéral, restructuration potentiellement difficile des dettes dans un contexte de multilatéralisme moribond, chaînes de la valeur brisées, cyber-attaques sur le système financier, effondrement du capital des « crypto », etc.

Un dispositif  " anti- fragmentation" ?

Ce Co-sauvetage, dans le langage technocratique, semble prendre un nom : « dispositif anti fragmentation » et fait l’objet de débats difficiles au sein de la BCE. Difficile car la question de l’équité et de la proportionnalité reste en vigueur : Comment faire disparaître les écarts de taux avec leurs risques de spéculation dangereuse pour l’euro, sans acheter beaucoup de dette publique du sud ? Et plus encore, puisque le resserrement monétaire suppose une diminution  - comme aux USA- de la taille du bilan de la BCE, comment créer de la monnaie par achat de dettes du sud sans détruire de la monnaie en vendant des dettes du nord ? Plus clairement encore, si pour lutter contre l’inflation et surtout la dépréciation de l’euro vis-à-vis du dollar qui renforce le coût des énergies fossiles, il faut diminuer la taille du bilan de la BCE en renonçant aux QE tout en achetant massivement de la dette publique du sud, il faut bien vendre plus massivement encore de la dette du nord. Une telle stratégie suppose d’accepter un effondrement de la valeur des obligations publiques de l’Allemagne. On comprend les hésitations des dirigeants dans un contexte de crise financière potentielle que l’on vient de rappeler.

Conscient de cette impossibilité, une autre piste est actuellement ouverte. Il s’agirait de ne plus toucher aux dettes du nord et de ne travailler que sur l’espace du sud tout en maintenant l’objectif de réduction de la liquidité. Concrètement, il s’agirait d’acheter massivement de la dette en particulier italienne et de geler la liquidité correspondante en proposant ou en obligeant les banques à déposer le montant correspondant à la BCE. Ici la taille du bilan ne se réduit pas mais la monnaie de base ne gonfle plus. De fait un tel dispositif pourrait mener à la réduction des écarts de taux et protéger un euro menacé. On note toutefois qu’il y a là quelque chose comme une renationalisation de la politique monétaire avec très probablement des effets pervers à explorer. En particulier, il faudrait vérifier dans quelle mesure une telle tactique est en concordance avec la règlementation bancaire, voire les règles du marché unique. On peut du reste retrouver ici l’image d’une autre époque, celle où la banque centrale était le banquier de l’Etat. En effet, jusqu’au début des années 70, les banques centrales nationales étaient invitées à financer les trésors par des achats et la liquidité correspondante était contenue par des obligations de rachat par les banques. C’était particulièrement le cas de la France avec sa règlementation concernant les « planchers de bons du Trésor ». Les experts de la BCE ont-ils une connaissance suffisante de l’histoire française avec son célèbre « circuit du Trésor »?

Quoiqu’il en soit le « dispositif anti-fragmentation » quelle qu’en soit sa forme, doit naître rapidement car l’été 2022 risque d’être chaud. C’est qu’à l’inverse des crises de dettes souveraines de la précédente décennie nous avons ici à faire avec une double crise : celle de la monnaie et celle qui lui est liée c’est-à-dire la crise énergétique. Et, d’une certaine façon, c’est bien l’euro qui a invité à des choix inappropriés concernant l’énergie : abandon de l’indépendance énergétique de la France avec l’évaporation du nucléaire et l’inter-connection menant à un marché dont le prix se fixe sur le coût marginal (gaz russe) ; mais aussi abandon de toute indépendance d’une Allemagne qui s'est sentie sûre d’elle-même par une compétitivité artificielle et s'est mise à négocier des contrats dangereux avec la Russie. 

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18 juin 2022 6 18 /06 /juin /2022 10:04

C’est dans l’urgence que les dirigeants de la Banque centrale européenne se sont réunis le mercredi 15 juin afin d’apporter une réponse aux spreads de taux sur les dettes publiques des pays de la zone euro. On se rappelle qu’il y a un peu plus d’une dizaine d’années ce sont ces spreads qui avaient mis en réel danger la monnaie unique.

La décision adoptée le 15 juin est à priori intéressante : les dettes publiques arrivant au quotidien à échéance- dettes qui figurent  à l’actif du bilan  de la BCE- seront réinvestis vers des achats d’obligations dont le taux à l’émission est jugé trop élevé. Il s’agit donc de maintenir la fiction d’un taux unique pour l’ensemble de la zone et ainsi d’empêcher les dérives spéculatives risquant d’aboutir à un défaut pour les pays les plus en difficulté ( Italie, Grèce, Espagne, France).

Ce travail d’homogénéisation fut essentiel durant toutes les années 2010 et s’est poursuivi avec des outils aux libellés divers mais aboutissant en toute circonstances à l’achat massif de dette publique et donc à une augmentation colossale de la taille du bilan de la banque centrale. On se rappelle aussi que ces QE se devaient d’obéir à une certaine proportionnalité afin de ne point être coupable d’inéquité : La Grèce ne peut  davantage bénéficier des largesses de la banque centrale que l’Allemagne. C’est dire que le QE doit être proportionné à la taille du pays, taille estimée par le PIB. Si donc un pays de taille 10 reçoit 1 au bénéfice du QE, un pays de taille 100 doit recevoir 10. Si maintenant le pays de taille 10 dispose d’un Etat très endetté et très déficitaire alors que le pays de taille 100 dispose d’un budget relativement équilibré, cela signifie que la règle de l’équité, donc celle de la proportionnalité, fera que le second pays recevra beaucoup de largesses monétaires alors même qu’il n’en pas vraiment besoin. Globalement le pays de taille 10 et très endetté recevra relativement peu alors que le pays de taille 100 et budgétairement équilibré recevra beaucoup.

Cette particularité explique l’anomalie des statistiques de la BCE concernant les proportions de dettes publiques détenues par la BCE. On apprend ainsi que l’Allemagne voit  43,6 points de sa dette publique détenue par la BCE, alors que l’Italie ne voit que 27,3 points de sa dette publique détenue par cette même BCE. L’Italie est très endettée (150 points de PIB) alors que l’Allemagne l’est moins (66 points de PIB). Et donc- sachant que le PIB italien est la moitié du PIB allemand- le résultat est que pour faire baisser les taux italiens, la BCE doit acheter de la dette italienne en quantité suffisante pour le marché et acheter beaucoup trop de dettes allemande…qui fait baisser anormalement les taux d’outre Rhin. Plus précisément le rapport des PIB étant de 1 à 2, la BCE achètera 2 fois plus de dette allemande que de dette italienne. La conclusion est qu’il n’est pas facile de limiter les spreads de taux , donc bloquer la fragmentation.

Les circonstances actuelles rappellent le risque de fragmentation à un moment où pour raison d’inflation les QE doivent cesser. La BCE propose ainsi « d’utiliser les restes » : les ressources issues de  l’échéance des vieux QE seront mobilisées et transformées en nouveaux achats en direction des dettes dont les taux s’envolent. Comme la matière première est pour l’essentiel des euros du nord, il faudra transformer les vieilles dettes du nord en nouvelles dettes du sud. Sauf à ne plus respecter les règles d’équité et de proportionnalité, on ne voit pas là une arme nouvelle de lutte contre la fragmentation, et ceux d’autant plus que cette matière première est issue d’une mine peu productive : seulement 17 milliards d’euro mensuels  sont disponibles au titre des échéances.  Certes il est précisé dans le communiquer de la BCE que le conseil des gouverneurs va s’activer à l’édification d’un « nouvel instrument anti-fragmentation ». Il s’agit là d’un exercice de simple communication car on ne voit pas comment il est – sans modification complète de l’architecture européenne- possible de gommer de telles asymétries au sein de la zone euro.

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13 juin 2022 1 13 /06 /juin /2022 15:16

                                                 

On peut bavarder à l’infini sur la situation du monde d’aujourd’hui. On peut s’inquiéter de ce qu’il est en train de devenir avec la montée des totalitarismes. Pour autant on ne fait le plus souvent que décrire des situations sans généralement apporter un principe explicatif. Depuis longtemps nous cherchons sur ce blog à s’éloigner des subjectivités et tentons des analyses qui se veulent plus rigoureuses. Dépassant le strict cadre de l’économicité traditionnelle nous tentons de présenter les réalités humaines à partir d’une axiomatique simple : la réalité macrosociale est faite d’un ensemble d’acteurs qui inter réagissent selon la règle de l’intérêt. A ce titre elle produit et  reproduit inconsciemment un ordre en perpétuel mouvement. Historiquement cette interaction répétée sur des dizaines de milliers d’années devait aboutir au monde de Fukuyama. Dans ce monde, La règle de l’intérêt s’y déploie dans un marché généralisé devenu la grande piscine des acteurs et des interactions qui s’y nouent. Dans un texte intitulé « Le monde tel qu’il est » texte publié sur le blog le 4 juillet 2011, nous avons tenté d’exposer la réalité intime de son fonctionnement et de ces possibles évolutions. Nous reproduisons çi dessous ce texte et laissons au lecteur le soin de regarder l’actualité planétaire d’aujourd’hui à partir du cadre proposé. Il pourra en conclure que la grande piscine du marché généralisé peut voir son niveau baisser dangereusement. Bonne lecture.

Le monde du marché généralisé et de la démocratie représentative tel qu’imaginé par Fukuyama comprend 3 catégories d’acteurs : le groupe des entrepreneurs politiques, celui des entrepreneurs économiques, et celui des citoyens/ salariés/ consommateurs/ épargnants (le « CSCE »).

Les producteurs d’un universel

Le premier groupe est constitué d’acteurs en concurrence  pour l’accès à ce monopole qu’est l’Etat. Animés par un intérêt privé : le goût du pouvoir, ils professionnalisent une fonction et transforment en métier, l’édiction de l’universel de la société, à savoir la production du cadre institutionnel et juridique général. A ce titre, il y a travail classique d’utilisation de la puissance publique à des fins privées. L’objectif privé est la conquête ou la reconduction au pouvoir, utilité pour laquelle il faut supporter et reporter un ensemble de coûts : programmes se transformant en textes, se transformant eux-mêmes en impôts/dépenses publiques ou se transformant en redistribution des niveaux de satisfaction des divers agents relevant du monopole étatique. La démocratie ne change pas fondamentalement les données du problème puisque la puissance publique ne peut-être que ce qu’elle a toujours été : un monopole. Il y a simplement concurrence à partir d’un appel d’offres : quels entrepreneurs auront la charge de la promulgation des textes qui s’imposent à tous et sont donc bien œuvre d’une entreprise monopolistique à savoir l’Etat ? Un probable  moyen de limiter l’utilisation de la puissance publique à des fins privés serait l’interdiction de la professionnalisation de la fonction politique. Un interdit passant par un texte, on voit mal pourquoi les entrepreneurs politiques adopteraient une stratégie allant contre leur intérêt de reconduction, sans limite,  au pouvoir. En démocratie représentative la  professionnalisation  de la fonction politique est ainsi devenue un fait largement répandu. Avec une nouveauté, qu’il convient de souligner par rapport à la forme antérieure de l’aventure étatique : les entrepreneurs politiques de l’âge démocratique cessent de masquer l’accaparement de la puissance publique à des fins privées par la figure du divin, ou celle du héros souvent tyrannique, et ne sont plus que de simples et paisibles  gestionnaires d’une entreprise profane appelée Etat. D’où le glissement du « politique » en « bonne gouvernance » et l’idée associée selon laquelle il n’y aurait plus besoin d’un Etat pesant  surplombant tous les acteurs.

Les biens ainsi produits par l’entreprise Etat, les « règles du jeu social », parce qu’universelles par nature, peuvent ainsi apparaitre comme porteuses d’un intérêt général. Et la confusion est vite établie : les entrepreneurs politiques auraient ainsi la lourde mission de produire de l’intérêt général, alors qu’ils doivent surtout veiller à un programme de conquête du pouvoir, ou de reconduction au pouvoir. De fait,  les textes sont toujours des compromis entre acteurs ou groupes d’acteurs aux intérêts divergents, le pouvoir étant donné à ceux pour qui ces compromis concernent positivement, réellement ou imaginairement,  une majorité d’électeurs. Nul intérêt général, impossible à définir, ne peut être lu dans un texte, qui par nature, fixant le champ des possibles, est nécessairement fait de contraintes que beaucoup voudraient enjamber et dépasser.

Les producteurs de biens économiques

Le second groupe est constitué d’acteurs en compétition entre eux sur le marché des biens économiques. Les entrepreneurs économiques ont plus de difficulté que les entrepreneurs politiques à s’exprimer avec conviction sur l’idée d’un intérêt général dont ils seraient les producteurs. C’est que les biens économiques ne surplombent pas la société comme le fait son « système juridique ». La baguette de pain du boulanger ne surplombe pas les acteurs comme le fait le code civil. Pour autant ils disposent d’un outil théologique exprimant la fiction d’un intérêt général : la théorie économique. Cette dernière, prétend enseigner que mus par des intérêts particuliers, les entrepreneurs économiques fabriqueraient un intérêt général : la fameuse main invisible de Smith. Certains en déduisent d’ailleurs que le paradigme de l’économie, s’il était suffisamment répandu, permettrait  de se passer de cet universel qu’est l’Etat. Le monde pouvant ainsi passer de son âge politique à son âge économique. Et avec lui le passage de l’Etat- nation à la mondialisation… L’Universel ultime - celui de la fin de l’histoire, une histoire qui fût si difficile pour le genre humain - étant l’économie comme instance bienfaitrice, et réconciliatrice de toute l’humanité.

La compétition sur le marché des biens économiques passe aussi par des interventions sur le monopoleur qui fixe les règles du jeu : il faut « capturer »  la règlementation et se faire aider par les entrepreneurs politiques et leurs collaborateurs d’une «  haute fonction publique » pour gagner des parts de marché, être protégés contre des agresseurs économiques, voire pour créer de nouveaux marchés.  Le politique  devenant l’art de continuer le jeu de l’économie par d’autres moyens. A charge du politique de bien vendre la règlementation sur le marché politique où il rencontre, en démocratie,  régulièrement les électeurs. Ce qu’il faut simplement constater à ce niveau c’est que d’autres intérêts privés, ceux des entrepreneurs économiques utilisent à l’instar des entrepreneurs politiques les outils de la puissance publique aux fins de satisfaire leurs intérêts.

Les citoyens/salariés/consommateurs/épargnants

Le troisième groupe est peut être davantage hétérogène. Il s’agit de tous les acheteurs de biens politiques d’une part, et de biens économiques d’autre part. Porteurs de statuts multiples et pour l’essentiel : citoyens, salariés, consommateurs, épargnants, (on les appellera dorénavant les « CSCE »), ils peuvent être en compétition entre eux (groupes d’intérêts), voire connaitre des conflits de statuts, lesquels ne sont pas toujours réductibles à un ensemble de cercles concentriques. La même personne étant souvent appelée à valider/supporter des rôles différents, Il peut exister  des temps historiques où les CSCE connaissent une grande dissociation : l’intérêt du salarié est dissocié de celui du consommateur ;  l’intérêt du citoyen est dissocié de celui de l’épargnant ; etc. Mais il peut être des temps historiques où plusieurs de ces intérêts, voire tous vont dans le même sens.

La conjonction présente du marché et de la démocratie représentative fait des CSCE un groupe apparemment aussi important que les deux premiers. Parce que clients sur le double marché politique et économique, les entrepreneurs qui leur font face  doivent en principe les satisfaire. La réalité est toutefois infiniment plus complexe : les CSCE peuvent comme les entrepreneurs politiques « capter » la réglementation en achetant avec leurs voix des dispositifs avantageux comme salariés ou consommateurs, ce qu’on appelle le « social- clientélisme ». En ce sens ils sont comme les autres acteurs (entrepreneurs politiques et économiques) attirés par l’utilisation de l’universel afin de satisfaire leurs intérêts privés. L’universel, donc le monopoleur ou l’Etat, est ainsi un champ de bataille important entre les 3 groupes d’acteurs. Dans un monde dit postmoderne, faisant valoir ou masquant des intérêts privés, ils cessent d’entrer en conflit sur la base d’idéologies pour ne s’engager que sur des arguments issus de la raison. D’où la très forte  odeur de  théorie économique dans les discours et débats qui animent le monde. Chacun réduisant l’analyse de l’interaction sociale à une physique sociale, les simples corrélations entre faits - inflation, croissance, chômage, échanges extérieurs, salaires , productivité, etc. - devenant d’indiscutables causalités sur les tables de négociations. Avec de possibles moments « TINA » (« There Is No Alternative »). En sorte que si, jadis, le marxisme pouvait selon Jean Paul Sartre  être « l’horizon indépassable de notre temps » la théorie économique semble pouvoir aujourd’hui lui être substituée.

Mais le jeu social se complexifie aussi en raison des processus de dissociation entre les 4 statuts évoqués. Et dissociation qui fera le miel des entrepreneurs politiques et économiques. Avec la possibilité de passer d’une relation marchande toujours  éphémère, à celle d’une collaboration plus poussée, ce qui se traduira par une forme dégradée de démocratie : l’oligarchie. Toutes choses qui méritent davantage d’explications.

Mouvement des intérêts et bouleversement des compromis

L’articulation des trois groupes précédemment définis est nécessairement instable en raison du caractère toujours éphémère des compromis passés. Et instabilité aussi déterminée par le manque d’homogénéité des intérêts à l’intérieur de chacun d’eux. Le groupe des entrepreneurs économiques est probablement le plus éclaté en raison de cette guerre de tous contre tous qu’est la concurrence économique. Par nature, il est plus ouvert, car  les marchés se sentent parfois à l’étroit à l’intérieur d’une structure qui s’est souvent constitué comme Etat- nation hérissée de frontières. Les entrepreneurs économiques sont ainsi amenés à discuter de ces barrières à l’entrée/ sortie que sont  les frontières. Certains voulant être protégés, d’autres souhaitant le grand large. Les négociations qui s’ensuivent avec les entrepreneurs politiques ne peuvent laisser de côté la question monétaire que ces derniers ont historiquement toujours disputée aux entrepreneurs économiques. Si le sous groupe des entrepreneurs économiques souhaitant l’ouverture et la fin de l’Etat- nation l’emporte, il affronte durement les entrepreneurs politiques et leurs collaborateurs de la « haute fonction publique », et exige une modification globale des règles du jeu : diminution des droits de douane, adoption des standards internationaux en tous domaines, libre convertibilité monétaire et libre circulation du capital, abandon des pouvoirs monétaires détenus par l’Etat, etc. Autant d’exigences qui ne peuvent être satisfaites si les entrepreneurs politiques en paient le prix sur les marchés politiques : la non reconduction au pouvoir… Sauf s’il y a bien dissociation des intérêts chez les CSCE d’une part, et passage aisé du statut d’entrepreneur politique à celui d’entrepreneur économique d’autre part.

La forme démocratique de l’Etat, charrie encore les vestiges de la forme antérieure où la figure du divin ou du héros, est devenue  « patrie » encore suffisamment sacralisée, pour engluer le citoyen dans une infinité de devoirs, dont parfois celle du sacrifice suprême. Le passage du politique à la simple « bonne gouvernance » fera transmuter  le citoyen supportant des devoirs au profit de l’individu cherchant à « capturer » la règlementation à son avantage. Il copie ainsi les entrepreneurs économiques même si le « capital social » dont il dispose en fait un lobbyiste moins performant.

Parce que moins citoyen, la réalité lui apparait plus émiettée. Et parce que moins citoyen d’un « bloc Etat- nation » dont il  conteste la légitimité, il ne se représente plus le système économique comme le ferait un keynésien, c'est-à-dire un circuit. Même dépourvu de culture économique, pour lui l’économie est moins un circuit qu’un ensemble de marchés. Changer de statut et passer du citoyen à l’individu c’est aussi changer la vision que l’on a sur le monde. Le citoyen devenu individu, peut lui aussi vouloir l’ouverture sur le monde, il apprécie les marchandises étrangères moins couteuses, une épargne assortie d’un taux de l’intérêt positif, etc. Et s’il existe une contradiction entre l’intérêt du salarié et celle du consommateur, il peut capter une réglementation compensatrice de celle qui sera accordée aux entrepreneurs économiques mondialistes. Dans un monde qui génère des gains de productivité tout en restant fermé dans l’Etat- nation, la dissociation entre le statut de salarié et celle de consommateur n’est guère envisageable durablement. Historiquement la crise de 1929 est celle d’une dissociation que les entrepreneurs politiques ont dû réparer en édifiant la sociale démocratie. Il est probable que le citoyen devenu individu ait une grande conscience de la dissociation majeure qui existe entre le statut de salarié et celle de consommateur. Peut-être fait-il aussi un lien entre l’emploi qu’il trouve trop rare et une finance gigantesque qui élargit l’éventail des rémunérations et développe l’approfondissement des situations rentières. Mais ces prises de conscience ne l’inviteront pas à acheter aux entrepreneurs politiques un dispositif réglementaire rétablissant davantage de cohérence. Et ce d’autant qu’il est lui-même bénéficiaire d’une rente – le social- clientélisme – qui se nourrit encore de la rente : déficit public, CADES, ACCOSS, etc. Les entrepreneurs politiques et leurs collaborateurs de la haute fonction publique  restent des personnages fondamentaux malgré la contestation des autres groupes qui eux-mêmes sont en conflit entre eux. « L’universel » se trouve sans doute de plus en plus décentré et souffre de déficit de cohérence, ce que certains appelleront la crise de l’Etat, il reste pour autant le lieu d’affrontement qu’il a toujours été et le demeurera. L’ Etat est ses entrepreneurs sont toujours présents et ce même si dans le monde des apparences leur retrait semble constaté. Ainsi parce que le citoyen est progressivement devenu individu dissocié, les entrepreneurs politiques ne paient pas nécessairement le prix électoral des nouvelles réglementations achetées par les entrepreneurs économiques.

Bouleversement des compromis et émergence d’une forme oligarchique d’Etat

Mais un autre argument peut intervenir : la grande porosité qui va se créer entre les 2 groupes d’entrepreneurs, et grande porosité qui va dégrader la démocratie au profit de l’oligarchie. Si la capture de la réglementation, par exemple celle qui autorisera la mondialisation, se fait souvent par le harcèlement du régulé sur le régulateur, par exemple celui des 15000 lobbyistes de Bruxelles sur les instances de décision correspondantes, elle peut aussi s’opérer de façon plus radicale : la fusion du régulateur et du régulé. Ici le producteur/détenteur de l’universel, c'est-à-dire l’entrepreneur politique, « part avec la caisse » et devient entrepreneur économique. La France constitue un modèle de cette fusion. Mais le même résultat peut être obtenu en parcourant le chemin inverse : le régulé devient le régulateur et  ainsi « ouvre la caisse » au profit de toute une profession. Les USA constituent un modèle de ce second type de fusion. C’est bien évidemment dans ce qui à toujours constitué le point d’intersection entre intérêts politiques et intérêts économiques que ces fusions sont les plus emblématiques et les plus fondamentales : le système monétaire et financier. Ainsi  grandes banques et banque centrale sont en France dirigées par de hauts fonctionnaires. Ainsi aux USA, le Trésor lui-même et la banque centrale sont généralement dirigés par un banquier.

Porosité par harcèlement, ou mieux par fusion, permet aux deux groupes d’entrepreneurs de se dégager partiellement et progressivement des contraintes de l’âge démocratique de l’aventure étatique. C’est que le coût politique de la capture de la réglementation, déjà diminué en raison de la dissociation du groupe des CSCE, diminue encore si les entrepreneurs politiques peuvent connaitre un prolongement de carrière dans l’aventure économique. D’où la naissance d’un groupe social en apesanteur, groupe aidé dans ce nouveau statut par le développement du mondialisme. Avec en conséquence le passage du stade démocratique vers un stade plus proche de l’oligarchie. Ce que certains appellent émergence d’une  « surclasse ».

Bien évidemment le fonctionnement des marchés politiques s’en trouve transformé. Souvent duopoles avec barrières à l’entrée très élevées, la quête de l’électeur médian avait déjà rétréci la distance entre les programmes des deux grandes entreprises que l’on trouvait souvent dans l’âge démocratique des Etats. La porosité puis la fusion ne peuvent que renforcer l’étroitesse de l’éventail de l’offre politique, avec une difficulté de plus en plus grande à distinguer une droite d’une gauche, et au final le sentiment de grande confusion… avec toutefois alignement général sur les impératifs de l’économie. Alignement qui n’est que la conséquence logique du processus de fusion en cours : entrepreneurs politique et entrepreneurs économiques qui étaient en même temps citoyens ne sont plus que des « individus désirants » pataugeant dans mille conflits d’intérêts ou délits d’initiés . Et alignement qui développe aussi des effets pervers : les CSCE les plus éloignés d’une possible intégration dans le groupe des oligarques s’organisent en dehors du duopole classique- les partis ayant vocation à gouverner- et deviennent clients d’entreprises politiques nouvelles, étiquetées sous le label de partis contestataires, ou « populistes ».

En mondialisation les Etats et leurs entrepreneurs ne disparaissent pas. Il y a simple transformation de leur rôle. Et cette altération passe par une certaine fin de l’âge démocratique au profit de l’émergence d’un stade oligarchique avec une utilisation de la contrainte publique à des fins privées davantage réservée à un petit groupe d’individus. Pour l’immense majorité, les droits de l’homme semblent se rétrécir à leur définition libérale : vie, liberté, propriété , en abandonnant doucement des droits que l’âge démocratique avait permis d’engendrer.

Le présent texte se voulait simplement analytique et ne propose aucune voie ni aucune solution. Il se veut simple grille de lecture du réel. Ou simple contribution à la connaissance d’un monde qui ne cesse de se transformer : non, monsieur Fukuyama, l’histoire n’est pas terminée.

Jean Claude Werrebrouck - Villeneuve d'Ascq - le 4 juillet 2011.

 

 

 

 

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8 juin 2022 3 08 /06 /juin /2022 19:09

Le pouvoir en cours d’installation évoque l’idée de planification écologique et plus encore d’un Conseil National de la Refondation. Faut-il y voir le retour d’un Conseil National de la Résistance ou de celui de la planification de la quatrième république et des débuts de la cinquième ?

Nous tenterons ici de montrer qu’une telle  orientation suppose de renoncer aux institutions mises en place pour la mondialisation et, qu’au-delà, elle impliquerait une véritable contradiction avec le modèle anthropologique qui s’est progressivement constitué au cours de ces trente dernières années.

Historiquement, la planification à la française s’est échafaudée   sur la nécessité de reconstruire dans un environnement de rareté. D’où un enracinement dans la production essentiellement industrielle et agricole et non dans le simple échange. Plus particulièrement il s’agira, sans épargne préalable, de produire des moyens de production permettant une production dont on envisagera ultérieurement le partage entre partenaires sociaux. Dans cette configuration, le monde que l’on construit est largement vertical, avec un principe organisationnel et des outils tel que celui produit par l’INSEE, qui va imaginer une « matrice des échanges interindustriels » (TEI) et des « coefficients techniques de production »  dont la valeur devient un indice de résilience du pays tout entier. Le plan concerne ainsi bien plus que ce qu’on appelle l’économie : il est l’instrument de production et de protection d’une société qui cherche comme par le passé à sécuriser sa vie dans la cohérence et les meilleures conditions possibles. Et parce que la cohérence est produite dans un univers de ressources rares, elle se déploie davantage dans la verticalité, dans la hiérarchie, ou dans un ordre obéissant à un principe directeur, que par le recours au marché libre. Cela signifie la domination du principe de coordination autour d’un projet partagé sur celui d’une confrontation entre compétiteurs. Dans ce monde, la puissance des lobbys est relativement limitée.

 On est loin de l’idéologie d’une création de valeur par l’échange libre au sein d’un système ouvert. Ce n’est que plus tard (années 60)  que l’on veillera à l’efficience dans un cadre d’ouverture des frontières et de libéralisation financière. Et c’est la mondialisation ultérieure qui affaissera la figure du producteur au profit de celle du consommateur et de l’épargnant.

La réflexion sur la planification avec le retour d’un commissariat du plan, un ministre de la transition écologique, un plan de relance « France 2030 » etc. devrait imaginer un univers complètement étranger à celui qui s’est progressivement édifié au cours des trente dernières années.

Cet univers qu’il faudrait quitter rapidement en raison de contraintes climatiques et de nouvelles raretés comme l’énergie, l’eau, certains métaux voire des granulats ou des terres cultivables, etc. fonctionne, lui, selon des principes organisationnels forts différents. Les acteurs ou pièces du système ne sont plus des ensembles agrégés à coordonner, les fameux corps intermédiaires, mais des individus en compétition sur des marchés infiniment vastes (le monde) et infiniment nombreux. Le système était naguère compliqué et sans doute bureaucratique mais il était relativement contrôlable. Il est aujourd’hui complexe c’est-à-dire constitué d’une infinité d’acteurs nouant une infinité d’interactions sur la base d’un principe simple : la concurrence sur le marché. Selon les économistes, le système complexe d’aujourd’hui produit, par la multiplication infinie des échanges, de la valeur. Et une valeur qui n’est pas planifiable car le système dépasse tous les participants lesquels doivent lui obéir.

Dans la mondialisation, le système complexe permet de dépolitiser toutes les interactions et il n’est plus question pour ce qui reste de l’ordre politique de contester la supériorité du système complexe sur le système compliqué de naguère. Le consommateur et l’actionnaire devenus rois sont les seuls à pouvoir définir l’ordre de la production. D’où la naissance de machines bureaucratiques propres à générer le marché là ou sa naissance était difficile, c’est-à-dire les autorités dites de régulation sous la forme d’une multitude d’Autorités Administratives Indépendantes. Pensons par exemple à la Commission de Régulation de l’Energie dont l’objet était d’assurer au final la protection du consommateur…. en faisant naitre une multitude d’échangistes sur des bases très artificielles….les fameux « marchands d’électricité » dont la survie dépend d’un large financement public. Ces autorités de régulation sont aussi des proies chassées par de puissants lobbys. Nous sommes loin de la coordination entre branches d’activités pour lesquelles un objectif de « noircissement » de la matrice des échanges interindustriels serait collectivement planifié…Cette pression pour engendrer le système complexe sur la seule base d’une règle simple, celle de la force concurrentielle, fut généralisée à toutes les activités et va aboutir à la l’évaporation de l’ancien système trop simplement compliqué. On peut citer, à titre d’exemple, le cas du CNES (Centre National de Etudes Spatiales) fondé en 1961 dans ce qui était à l’époque la planification et l’ordre compliqué. Cet organisme est aujourd’hui détaché du ministère de la recherche pour un rattachement direct à Bercy en vue de faciliter le passage au « new space » et accélérer la naissance des start-up de l’espace, lui-même perçu comme marché à promouvoir dans le cadre de « France 2030 ». La conquête spatiale n'est plus un projet dans l’imaginaire collectif mais une simple affaire d’approfondissement et de perfectionnement des marchés obtenue par subventions distribuées par des personnalités qualifiées proches des marchés. On passe de la verticalité idéologiquement chargée à l’horizontalité marchande.

Bien sûr, la sublimation du système compliqué en système complexe n’est pas parfaite. D’où les déboires et dérives d’un Etat devenu actionnaire alors que sa fonction stratégique reste en mémoire : injonctions contradictoires en direction  des patrons  du secteur public (Air- France, EDF, SNCF, etc.) , contradictions entre une agence de participations de l’Etat en recherche de rente dans le soucis de protéger la dette publique et une Banque Publique d’Investissements soucieuse d’entrepreneuriat et d’innovation , emballement du manège des « portes tournantes » chez les hauts fonctionnaires  etc.

Le retour d’une planification qui se mettrait en place, est une grande transformation qui dépasse de loin les dispositifs technocratiques qui pourraient s’établir à la hâte. Une première grande résistance est d’ordre anthropologique et les acteurs ne sont plus des groupes intégrés dans des corps en négociation autour d’un projet. Fondamentalement, l’attachement aux nouvelles formes de liberté engendre  une préférence pour un système complexe au détriment d’un système compliqué. On veut bien se rapprocher des fontaines à subventions mais on se méfie d’un ordre possiblement resté vertical. Une seconde résistance provient du problème lui-même : une rareté nouvelle - devenant  véritable mur -  que la logique du fonctionnement du marché ne peut que très difficilement réduire. Il s’agit de ce qu’on appelle « l’effet rebond » provoqué par une efficience accrue : une technologie plus efficiente concernant la production d’une ressource rare permet d’en utiliser davantage ou/et  introduit un report sur d’autres ressources rares. Nous avons typiquement ici le cas de la voiture électrique qui introduit plus de difficultés que de solutions au problème posé dans l’utilisation des ressources rares. On pourrait multiplier les exemples et on sait qu'historiquement les énergies ne furent pas substituables: la production croissante de charbon s'est accompagnée d'une multiplication des moulins à vent, celle du pétrole s'est accompagnée d'une consommation croissante de charbon pour produire l'acier des voitures, etc.

La première résistance est sans doute partiellement atténuable   par des comportements d’adaptation qui, petit à petit, réduisent la compétition et la concurrence au profit de la coopération. C’est le cas des entreprises qui collaborent pour sécuriser la gestion des stocks, ou pour reproduire localement de façon partagée. L’effet rebond dans toute sa complexité est sans doute  plus difficile à gérer. Comment lutter contre l’effet pluriel des pénuries qui elles - mêmes sont aggravées par de nouveaux risques de type sociaux (migrations) ou géopolitiques (guerres) ?

Avant de mettre en place un Conseil National de la Refondation, il serait intéressant d’interroger   les questions fondamentales : Un retour à la verticalité même décentralisée est-il possible ? Est-il possible de réintroduire une vision collective du futur avec la charge symbolique qui lui correspond? Comment limiter er répartir les contraintes de la nouvelle coopération  à engager ? Comment réduire la pression concurrentielle et introduire les logiques coopératives ? Peut-on mesurer les effets écosystémiques des décisions aussi facilement qu’au temps des trente glorieuses ? Comment encadrer le principe d’efficience dans ses effets pervers ? Quelle reconversion pour les milliers de salariés affectés jusqu’ici à la seule promotion du système complexe dans des autorités de régulation ? Etc…

Autant de questions qu’on ne voit pas émerger sur lede s marchés politiques.

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31 mai 2022 2 31 /05 /mai /2022 08:32

Olivier Passet ( XERFY) affiche dans le texte ci-dessous une interprétation très innovante du ralentissement des gains de productivité. Loin d’être technique comme nombre d’explications économicistes, ce ralentissement serait fondamentalement d’essence politique et correspondrait aux effets sans doute inattendus d’une prise de pouvoir par une nouvelle catégorie d’élites. Le caractére simplement descriptif de la thèse développée ne permet toutefois pas de conclure que la corrélation vérifiée entre nouvelle élite et productivité correspond à un lien causal réellement démontrée.  

C’est le paradoxe de notre époque. Nos économies concurrentielles déploient une armada de stratèges, de spécialistes en optimisation des organisations ou des flux, de plus en plus de cerveaux chargés de connaissances managériales ou marketing, placent les entreprises sous la tutelle d’actionnaires guettant le moindre faux pas en matière de profitabilité, font planer la menace ultime de l’intrusion de fonds activistes pour les groupes tentés par la mollesse, et cette mise sous pression débouche sur une érosion lente et sûre de la productivité horaire du travail. Ce constat peut être fait en France, mais aussi en Allemagne. Il est moins vrai pour les États-Unis qui sont engagés depuis plus longtemps sur un sentier de faible croissance de la productivité, partant d’un niveau plus haut que l’Europe. Mais au fond, lorsque l’on prend du recul, plus nos productivités européennes se rapprochent du niveau américain, plus elles s’essoufflent. Comme si en « américanisant » nos modes de  régulation, nous avions américanisé notre productivité.


Cette érosion donne lieu à de multiples interprétations. La plupart se focalisent sur les carences des moins qualifiés. Trop faible mobilité de ces populations laborieuses qui se doivent d’être malléables. Défauts de formation, de compétences, évaporation des emplois de fabrication, et explosion concomitante des petits jobs de services à faibles productivité, émiettement et inefficience du tissu productif, en manque d’ETI, déficit de R&D etc… Si l’on débarrasse ces analyses de leur vernis technique, force est de constater qu’elles contiennent en creux une forme de procès du bas par le haut de la pyramide sociale. C’est le peuple et le petit patron réfractaire qui pèche par résistance à l’adaptation et qui ralentit l’ascension de nos économies. Les intelligents ne font jamais le procès de l’intelligence. Les universitaires et experts en appellent à toujours plus de moyens pour l’enseignement, la fabrication de diplômés et la R&D autrement dit pour eux-mêmes.


En 2013, l’anthropologue David Graeber a jeté un pavé dans la mare et bousculé la bien-pensance en créant le concept de « bullshit jobs », qui prolonge une réflexion de plus longue haleine sur la bureaucratie d’entreprise. A travers ce terme, Graeber pointait la prolifération dans nos sociétés de jobs qualifiés bien payés à l’utilité contestable et peu objectivable. Ces jobs dont la mise à l’arrêt n’aurait de conséquence ni immédiate ni catastrophique sur le cours de l’économie, contrairement aux infirmières, éboueurs, dockers etc. Comme l’ont bien révélé les premiers confinements de 2020. Son intention n’était pas de fournir une explication au paradoxe de la productivité. Mais elle en offre bien en creux une interprétation.


Je passe sur la taxinomie amusante de Graeber, en 5 types de « bullshit jobs », des « sbires » (qu'une entreprise recrute pour faire comme la concurrence), « aux sparadraps » (chargés de résoudre un problème qui n'existe pas), en passant par les « petits chefs » (supervisant des gens qui se débrouillent très bien tout seuls) etc., bref, ces boulots de cols blanc qui se légitiment sur la productivité des autres et ajoutent in fine des process aux process déjà existants. Ce que pointe Graeber, c’est la propension des organisations à produire des rituels de travail, souvent superflus voire néfastes, comme si tout le système s’ingéniait à faire échec à la prophétie de Keynes, selon laquelle les progrès technologiques permettraient d’ici la fin du XXe siècle de réduire le temps de travail hebdomadaire à 15 heures par semaine. Par crainte de cette vacuité, les cercles d’élites les plus formées, prospéreraient, privilégiant les complaisances de réseau, l’esprit de corps. Ils capteraient une part croissante de la valeur, trusteraient les plus hauts salaires, reportant la pression sur les rangs inférieurs, démultipliant les tâches pour absorber leur propre coût. Vraie ou fausse, cette thèse a au moins le mérite de questionner autrement la productivité.
Sans trancher la question de savoir si ces métiers sont la réponse incontournable à une complexité croissante, sans lesquels nos organisations ne seraient plus pilotables, ou une couche superflue, force est de constater qu’ils montent en puissance dans nos économies. Il suffit de regarder l’évolution de la part des cadres ou professions intellectuelles dans l’emploi en France pour s’en convaincre. Ou celle des services scientifiques et techniques les plus chargés en ce type de compétences, de gestion, de conseil, de contrôle, d’ingénierie, de R&D, de marketing. Il suffit aussi de regarder la productivité intrinsèque de ces services en comparaison des secteurs de fabrication. Ces mesures sont certes très imparfaites. Et à vrai dire contestables. Mais elles posent bien la question de l’efficacité de ces métiers. Si leur principale fonction est d’accroître l’efficacité des autres, alors pourquoi la productivité d’ensemble de l’économie tend à se tasser ? Approche trop stéréotypée du management, trop livresque, trop top down, teintée de la méconnaissance intime des tâches et des organisations à gérer. La question doit être soulevée. Et elle a au moins le mérite d’expliquer pourquoi le sentiment de mise en pression permanente des individus ou de la sous-traitance, les pathologies au travail montent, sans que la productivité horaire en porte la trace.

 

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23 mai 2022 1 23 /05 /mai /2022 10:00

Ce bref billet que Charles Gave vient de publier est, au-delà d’un vocabulaire sans doute un peu rude, en parfaite harmonie avec les thèses défendues sur notre blog. Bonne lecture et bonne réflexion.

Il y a trois mois, la Russie envahit l’Ukraine et tout a été dit sur les origines du conflit et les responsabilités de chacun dans son déclenchement.

Mais ce qui a été assez peu analysé fût la réponse au conflit des autorités européennes proprement dite (Bruxelles), mais aussi de certains pays comme la France et l’Allemagne.

Ce sont ces réponses que je vais analyser, pour en tirer la conclusion que les effets de cette guerre seront graves, mais beaucoup moins sérieux que les conséquences des décisions imbéciles qui furent prises par nos autorités à l’occasion de ce conflit.

Par exemple .

  1. Le ministre de l’économie française (si, si, il y en a un),  annonce avec un très joli coup de menton que « Nous allons provoquer l’effondrement économique rapide de la Russie. », le « nous » signifiant sans doute les services de Bercy, qui ayant déjà foutu en l’air l’économie française dans les dernières décennies avaient reçu l’ordre de s’attaquer maintenant à l’économie de la Russie et de la mettre au tapis le plus rapidement possible. A moins que ce « nous « ne signifie l’armée européenne partant en guerre contre la Russie, unie comme un seul homme sous le commandement de …(je cherche, mais le commandement de l’armée européenne n’est pas encore précisé, puisqu‘il n’y a pas d’armée européenne, à ma connaissance tout au moins ). Ou alors, il s’agissait d’un « nous » de majesté, Bruno Lemaire se prenant pour Louis XIV et parlant de lui à la première personne du pluriel ?
  2. Le président Français pour confirmer les dires de son ministre de l’économie, nous informe que l’économie Russe est « en état de cessation de paiement » et qu’elle va s’effondrer très rapidement puisque l’Europe allait cesser tout achat de matières premières (gaz pétrole, charbon, métaux, etc..) à la Russie et que la Russie n’aurait plus accès au système de paiement international Swift. Et le même président de nous annoncer que des mesures fortes allaient être prises contre la Russie et qu’elles avaient déjà commencé, puisque les réserves de change Russes en Euro ou en dollar étaient confisquées aussi bien à la BCE qu’à la banque centrale américaine. D’après le ministre des Finances Américain, madame Yellen,  qui était auparavant la Présidente de la Fed, ces confiscations étaient parfaitement illégales puisqu’elles ne pouvaient avoir lieu qu’après une autorisation donnée par les Nations -unies. On attend toujours…
  3. Et les mesures d’interdiction de tout commerce avec la Russie furent prises dans la foulée et entérinées dans des accords solennels passés à Bruxelles, ce centre de la démocratie mondiale, où seule règne la Loi et la recherche du bien commun.

Résultats.

Le rouble, au moment où le Président Français et son ministre disait que l’économie Russe allait s’effondrer était en forte baisse contre l’Euro étant passé de 75r/$ a 150r/$ et les journalistes français de nous décrire un Poutine, errant dans un palais solitaire et glacé comme le disait le poète, en parlant de quelqu’un d’autre sans doute…

Hélas, la réalité vint rapidement doucher toutes ces belles attentes.

D’abord, de nombreux pays, en Europe même, ne peuvent tout simplement pas se passer d’acheter du gaz, du pétrole ou du charbon à la Russie sans que leurs économies ne s’effondrent immédiatement.  Sans énergie, pas d’économie, puisque l’économie n’est que de l’énergie transformée. Et je ne parle pas de la Grèce,  ou du Portugal, mais de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, de la Hongrie… Et ces pays ne peuvent pas en acheter ailleurs puisqu’il n’y en a pas de disponible , personne n’ayant investi depuis quinze ans dans la recherche de combustible fossile, sauf en Russie. Et donc, des dérogations « temporaires » à l’achat de produits russes furent instaurées, ces pays jurant, qu’avant l’aout, foi d’animal, ils cesseraient tout achat de gaz , de pétrole ou de charbon en Russie, promis, juré.

Mais là, coup de théâtre : le Président Russe exige que les acheteurs paient en roubles, puisqu’il est interdit de dollar et d’euro. On voit mal en effet pourquoi il vendrait ses matières premières en recevant des monnaies qu’il n’aurait pas le droit d’utiliser.

Fureur générale en Europe, qui refuse « cette rupture de contrat unilatérale », complètement attentatoire au droit international ,ce qui n’empêche pas toutes les compagnies importatrices de gaz ou de pétrole de payer en roubles leurs achats, comme le demandaient les russes, faute de quoi les économies allemandes, hongroises, autrichiennes etc… et seraient déjà à l’arrêt.  De fait, toutes les grandes sociétés en Europe semblent se contrefoutre complètement des recommandations, des ordres ou des interdictions de madame Von der Leyen. Mais selon certaines informations que je n’ai pas pu vérifier, ceux qui achèteraient le plus en roubles, et de très loin, seraient les Italiens et personne ne comprend tres bien pourquoi. Mais la rumeur qui court est que ces achats seraient pour le compte des clients allemands des sociétés de trading Italiennes. En quelque sorte, les Allemands qui ne veulent pas acheter aux Russes pour ne pas fâcher les écolos qui font partie de la coalition au pouvoir outre Rhin ne voient aucun inconvénients à acheter à des Italiens ou à des Suisses, ce qui montre un sens aigu de la solidarité que chaque européen ressent envers les Ukrainiens.

Résumons-nous : l’idée de cesser d’acheter des matières premières énergétiques en Russie pour la mettre à genoux en quinze jours a échoué de façon grotesque et humiliante et pour l’Europe et pour chacune des Nations qui en fait partie. En fait, l’Europe institutionnelle a géré cette crise aussi mal que celle du Covid , mais le pire est que ce n’est pas fini : non seulement, il va nous falloir acheter nos hydrocarbures en rouble, mais en plus il va falloir acheter, toujours avec des roubles, les matières premières alimentaires et les engrais pour que nous puissions nourrir nos populations. et ce d’ici à la fin de l’année

Depuis la fin 2019, le cours du pétrole est monté de 81 %, mais le prix du blé a été multiplié par 2.6. Et les récoltes s’annoncent mauvaises en Inde, aux USA,  au Canada, peut-être en France (sécheresse, inondations, manques d’engrais)…

Et c’est ici qu’il faut se souvenir que la Russie et l’Ukraine assurent environ 40 % des exportations mondiales de grain (3/4 Russie, ¼ Ukraine) et que seule la Russie pourra assurer ces contrats à l’exportation, tous les ports Ukrainiens étant fermés.

Et comme je sais que 100 % des importations de blé égyptiennes ou tunisiennes venaient d’Ukraine ou de Russie, je me dis que la machine migratoire d’Afrique du Nord va se remettre en route et que la Méditerranée va être encombrée cet automne.

Il me semble donc tout à fait évident que les Russes seront prêts à exporter vers les pays en Europe ou ailleurs, à condition bien sûr que le paiement ait lieu …en rouble encore une fois.

Les Russes ne verront aucun inconvénient à prêter des roubles aux Egyptiens ou aux Tunisiens,  contre quelques menus services rendus en Libye, mais certainement pas aux Européens.

Et ce qui est en train d’émerger grâce à l’inénarrable incompétence de l’Europe institutionnelle est un monde où nous aurons besoin de roubles pour pouvoir acheter les matières premières dont nous aurons besoin dans le futur, et nous nous sommes interdits toutes les issues pour pouvoir acquérir ces roubles.

Par exemple, nous ne pouvons plus vendre de voitures et d’avions ou de machines-outils aux Russes, pas plus que je ne peux leur vendre ma maison à Avignon et les Russes cette année vont passer leurs vacances en Turquie et non pas à Saint Tropez.

La question essentielle qui se pose est donc : d’où vont venir les roubles pour acheter et notre énergie, et notre nourriture, et nos engrais et nos grains ?

La seule réponse est qu’il nous faudra livrer tout ou partie de nos réserves d’or et que le rouble n’a pas fini de monter tandis que l’euro, lui, n’a pas fini de baisser et avec lui notre niveau de vie.

Ce qui m’amène à ma conclusion.

Medvedev, dans une de ses dernières communications officielles, a dit que les autorités européennes avaient fait preuve « d’un crétinisme institutionnel » remarquable pendant toute la période, ce qui est surprenant dans une communication officielle, mais ne m’étonne pas, tant je suis d’accord.

Je dis que cette crise était parfaitement évitable, mais que le personnel européen dans la gestion des problèmes, a été d’une nullité comparable à celle du personnel politique français en 1939 , et que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Un tel désastre diplomatique, économique, politique  devrait amener à des sanctions, madame Von der Leyen et ses deux acolytes devraient être virés toutes affaires cessantes, la commission ramenée à ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, un simple secrétariat, tandis que la BCE devrait cesser d’exister avec l’Euro, la cour de justice et la cour des droits de l’homme, ce qui permettrait à une nouvelle génération d’élus nationaux d’arriver au pouvoir partout en Europe.

Voilà qui permettrait de sauver ce qui peut encore être sauvé de la construction européenne, la tour de Babel ayant une fois de plus été détruite en temps utile.

Faute de quoi l’Allemagne et d’autres peuples européens, en particulier les Italiens (qui vont voter bientôt), les Hongrois et les Grecs, et qui sait les français tous habillés en jaune, vont vouloir sortir de la construction européenne comme l’ont fait les Britanniques pour pouvoir redevenir des nations «souveraines » dont les élus auront comme mission de défendre les peuples qui les ont élus et non pas les intérêts de l’OTAN.

Quant au Président nouvellement élu par les Français, on peut espérer qu’il cessera de nous parler de Souveraineté Européenne, qui n’a jamais existé et qu’ayant échoué dans tous les domaines, il fera ce que tout homme d’honneur ferait dans ce cas, démissionner et disparaître.

Mais en ce qui concerne ce dernier point, j’ai comme un doute.

Charles Gave

 

 

 

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18 mai 2022 3 18 /05 /mai /2022 15:29

On ne peut qu'appuyer le point de vue d'Olivier Passet XERFY) qui se trouve exprimé dans ce très court billet.

 

Voici comme à chaque grand soubresaut du monde depuis 20 ans, que ressurgit la thématique de la bascule dans une nouvelle ère du capitalisme. Ce fut le cas après la dégringolade des bourses entre 2000 et 2003 qui semblait sonner le glas d’une économie de bulle surestimant les promesses d’un monde plat, hyper-fluide ayant aboli les distances et dont les technologies de l’information et communication ouvraient un horizon de croissance dématérialisée infinie ; le monde d’après devait se recentrer sur l’industrie, rebâtir de vrais moteurs de productivité et cesser de mythifier l’entreprise sans usine et sans frontière. Ce fut encore le cas après 2007, qui devait mettre un terme à une financiarisation débridée ayant conduit le monde au bord d’une faillite systémique. Le monde d’après serait celui de la régulation et d’un retour des États. C’est à nouveau le cas avec la pandémie, où l’on nous promet une ère de revalorisation de la proximité, de la traçabilité, des circuits courts et l’avènement d’un capitalisme responsable au plan social et environnemental. Et c’est à nouveau le cas avec la guerre en Ukraine, qui annoncerait une nouvelle régionalisation et sécurisation des échanges, une accélération des agendas climatiques au nom de l’indépendance. A chaque crise, le mot relocalisation revient comme un leitmotiv.


Et à chaque fois cette idée, nourrit l’espoir d’un retour au réel après plusieurs décennies d’exubérance, qui ressemblerait à un grand Kondratieff, mais exclusivement financier, patrimonial, déconnecté de l’économie réelle et qui se serait même développé à son détriment, sur la base d’une dégradation des conditions de travail (précarisation, polarisation entre non qualifiés et qualifiés, panne de l’ascenseur social, affaiblissement syndicats etc.) ; qui aurait concentré les gains patrimoniaux sur une infime minorité ; qui aurait relégué au second plan les enjeux de bien-être, chargeant le panier de consommation de dépenses contraintes qui n’auraient qu’une faible portée libératrice (contrairement à l’automobile ou à l’équipement ménager des années d’après-guerre) : prolifération des astreintes et notamment des dépenses afférentes au logement, à la communication addictive, à l’assurance, à la sécurité etc. ; coup d’arrêt au mouvement de baisse séculaire de la durée du travail, qui était vécu avant l’ère de la financiarisation comme constitutive du progrès. Sans parler du plafonnement, voire de la baisse de l’espérance de vie dans les pays avancés, de populations gavées au-delà de la satiété et exposées aux risques sanitaires.


Et il est vrai que si l’on reste sur le registre du logico déductif, plus que jamais la transmutation du capitalisme parait inéluctable.


Nous croyions que l’inflation était définitivement vaincue… Que la boucle prix salaire était reléguée aux oubliettes compte tenu du déséquilibre de rapport de force entre capital et travail…et voici que l’inflation et les conflits de partage reviennent au premier plan. La phase de désinflation, puis de grande modération à taux zéro, créant des opportunités de levier considérable pour la finance serait donc arrivée à son terme. La finance va devoir réapprendre à vivre avec des taux d’intérêts positifs. Voici aussi qu’au même moment, sur fond de déclin démographique, le travail redevient une ressource rare. Le rapport de force inégal entre travail et capital se rééquilibre, créant aussi un nouveau potentiel de conflictualité au sein des entreprises et recréant un besoin d’instances médiatrices pour en pacifier la résolution. Nous pensions que la globalisation des échanges de marchandises et de capitaux était un phénomène peu réversible, et voici que pour des raisons de sécurité des approvisionnements concernant des matériaux critiques, et non plus seulement par vertu sociale ou écologique, les entreprises doivent prendre au sérieux les enjeux de déglobalisation, de relocalisation, de circuits courts, d’économie circulaire. Les grands fonds d’investissement nous promettaient jusqu’ici la prise en charge de la réorientation des investissements pour opérer la transformation climatique, et voici que partout, les États reprennent la main face à l’urgence. Déglobalisation, planification, revalorisation du travail, sobriété semblent la seule issue pour sortir de l’impasse.


Oui mais, comme je l’ai dit d’entrée, ce n’est pas la première fois depuis 20 ans que nous caressons l’idée d’une nouvelle ère. Et chaque fois ce pronostic vire au fiasco. A tel point que la véritable question à ce jour est la suivante : par quelle nouvelle ruse de l’histoire une crise qui devrait porter un coup fatal aux folles dérives du capitalisme peut virer en nouveau tremplin d’une hyper mondialisation financière et digitale étanche aux enjeux climatiques ? Il suffit alors de scruter les énormes profits réalisés par les grands énergéticiens, la démultiplication des chantiers dans ce domaine, la formidable cash machine que peut constituer l’épisode d’inflation pour les géants du numérique à coût fixe, d’envisager demain l’effet du reflux du prix des matières premières et des taux d’intérêt sur des  bourses qui redémarreraient en fanfare. Pour comprendre  que ni les géants de la gestion de fond,  ni ceux du numérique ne sont proches de lâcher la main sur le façonnage d’un monde qui doit se conformer à leurs phantasmes avant de répondre à l’intérêt commun. 

 

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