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13 juin 2011 1 13 /06 /juin /2011 12:16

 Le caractère disproportionné des activités financières mérite une explication.  le texte qui suit, tente d'exposer la logique d'une croissance sans limite, pour aboutir à l'idée selon laquelle elle n'est, en occident, que la manifestaion empirique , de la continuation d'un fordisme épuisé avec d'autres moyens. Et continuation faisant emerger la présente forme du politique, forme humble se cachant sous l'expression de simple "gouvernance" .l'argumentation donnera lieu à deux publications qui vont se succéder.

 

               

Ce qu’on appelle financiarisation est un processus de séparation, de mise à distance, ou d’éloignement vis à vis des contraintes de l’économie réelle. C’est que l’échange marchand, outil indispensable de la division du travail, reste dans une économie non financiarisée trop soumis aux contraintes du réel. L’investissement matériel,  assujetti  au processus de création de valeur ajoutée à partir de ces éléments très physiques que sont les équipements, les matières premières etc., est une répression temporaire de l’échange marchand : l’investisseur doit attendre, parfois très longtemps,  la création de valeur ajoutée avant  la mise sur le marché de ce qui est crée. Avec tous les risques associés à l’opération.

La titrisation généralisée du réel

De ce point de vue l’apparition, au 19ième siècle, des sociétés de capitaux  est une libération : il y a déconnexion  vis-à-vis de la réalité, et l’investissement, n’est plus l’anéantissement au moins temporaire de la liquidité. Déjà, à cette époque, la course à la liquidité comme jouissance potentielle, et ce sans réel engagement.

La division croissante  du travail va fonctionner de la même façon : la prise de conscience selon laquelle le coût du recours au marché peut - dans certaines conditions – devenir inférieur aux coûts de la hiérarchie, libère les processus d’externalisation et d’émiettement  de la production. Parfois jusqu’à l’infini : des entreprises responsables de marchandises, pourtant bien matérielles, ne produisent rien d’autre que de la coordination. Comme quoi il est possible de maitriser des actifs sans porter atteinte à la liquidité.

De ce point de vue, le « modèle  d’accumulation fordien », pour employer le langage de l’école dite de la régulation, n’est pas un progrès  en ce qu’il limite sérieusement l’échange marchand. C’est que le compromis institutionnel de l’époque, ou le mode d’appropriation de la contrainte publique, ne fait pas du salariat une marchandise complète : l’Etat-providence, approvisionné par des cotisations salariales, reste en surplomb, et assure une solidarité qui ne passe pas par l’échange marchand. C’est aussi que nombre d’entreprises sont possédées par des propriétaires prisonniers du capital investi, qui par conséquent sont éloignés de la liquidité. C’est enfin que nombre de processus industriels ne sont pas financiarisés, que par exemple, il faut mobiliser des fonds sur des stocks de matières premières qui ne sont pas encore ravalées au rang de simples « commodities » , le risque d’évolution des cours dans le futur pesant de tout son poids.

Mais ces échanges marchands du 19ième et du 20ième siècle, sont encore ancrés sur une marchandise bien physique. Certes ils s’affolent avec la division du travail, y compris bien sûr dans le Fordisme, mais ils se nouent à propos d’une marchandise souvent industrielle. L’échange marchand connait une hypertrophie par rapport à la production finale, mais il n’a pas encore pour support essentiel des titres financiers. L’objet de la présente note, n’est pas de revenir sur les causes de la financiarisation et le passage progressif de « l’accumulation fordienne » au modèle « Wall Street ». Il est simplement de repérer le gonflement de la sphère financière, gonflement jusqu’ici non remis en cause avec la crise, et les questions qui en résultent.

Le gonflement, allant jusqu’au gigantisme,  est dû à la titrisation généralisée de la réalité. Tritrisation pouvant mener à une multiplication à l’infinie de la sphère des échanges marchands .Et multiplication à l’infinie,  grandement facilitée par l’irruption des technologies informatiques : Il suffit de penser au Trading informatique à hautes fréquences. Cette titrisation ne se borne pas à celle des crédits hypothécaires américains et concerne l’ensemble du réel matériel. En ce sens, il s’agit d’une certaine façon de se débarrasser de la réalité qui n’aura plus à produire de la valeur ajoutée,  mais simplement de la valeur. Bien sûr, nombre d’entreprises furent titrisées en France par le processus de privatisation et l’irruption des fonds de pension. Mais la titrisation est aussi celle de la dette publique,  qui autorise cette autre irréalité qu’est la possibilité, pour un simple notateur privé, de déclencher une « attaque des marchés » contre les Etats. C’est aussi la titrisation de la protection sociale,  qui transforme les régimes de retraites en une infinité d’échanges de produits financiers, ou qui génère d’autres  produits financiers à partir des déficits de l’Assurance Maladie,  comme dans le cas de la CADES et de l’ACOSS. C’est aussi,  la titrisation plus connue de la plupart des crédits qu’il faut sans cesse évacuer des bilans : le crédit existe bel et bien, mais tout est fait pour qu’il soit réputé inexistant. C’est aussi,  la déréalisation des stocks les plus divers,  qui peuvent se transformer en une infinité de contrats sur des marchés à termes. Et dans ce dernier cas,  il ne s’agit même plus de déréaliser mais de faire disparaitre une activité économique. Il est même possible de déréaliser des revenus et par le jeu de la constitution d’une bulle, par exemple immobilière, de compenser  une stagnation des salaires résultant elle-même de la disparition du Fordisme. Les exemples pourraient être multipliés, et il y aurait sans doute à évoquer l’infinité des produits dérivés, eux-mêmes dérivés d’autres produits, voire indices, et indices d’indices etc. C’est que la titrisation peut elle-même être titrisée et ce, sans limite claire. Le processus d’explosion des échanges marchands dématérialisés s’est évidemment nourri d’ entreprises d’un genre nouveau, tels les Hedges Funds ou les fonds de Private-Equity, ou les fonds de fonds, etc.

Division du travail industriel et division du travail financier

L’explosion de la division du travail dans l’économie réelle,  avait déjà entrainé une explosion parallèle de la sphère des échanges. Il s’agissait toutefois de diviser  la production pour générer des gains de productivité : le « faire-faire » étant moins coûteux que le « faire ». Il est sans doute possible de se poser une question identique à propos du gigantisme financier : s’agit-il d’une division du travail générant le partage du risque,  comme il s’agissait de partager la production à l’époque du Fordisme ? Sur le théâtre pétrolier, la sphère des échanges strictement financiers, dont JM Chevalier affirme qu’elle est 35 fois plus importante que la sphère des échanges physiques, génère sans doute un partage des risques, chaque opérateur prenant simultanément une position et une couverture.  Sa profondeur  est censée sécuriser  l’accès au physique lui-même. Toutefois,  la question est de savoir s’il y a gain global de productivité, par exemple par réduction massive de coûts de stockage et des investissements correspondants. On ne trouve  pas de réponse, dans le rapport sur les causes de la volatilité des prix du pétrole remis par JM Chevalier au gouvernement en février 2010. Il est  toutefois  douteux qu’à l’échelle planétaire la titrisation des « commodities » ait entrainé une baisse générale des stocks, et le « Just In Time » industriel fût très probablement plus efficace. Il est moins douteux,  par contre, que le système soit aussi un terrain de jeu sur des paris concernant les prix, paris exceptionnellement protégés par des dispositions du code monétaire et financier (ordonnance 2009-15 du 8 janvier 2009 confirmant des textes plus anciens) en dérogation au code civil lui-même.

Le gigantisme financier, pouvait ainsi apparaître comme la suite logique de l’échange marchand généralisé - sans limite-  avec l’individualisme qui lui correspond : la fin du holisme est aussi le passage de la solidarité à la simple assurance  des risques, avec pour corollaire  les paiements sur paris, et le respect des dettes de jeu,  qui doivent devenir   juridiquement sur-protégés.

Logique, car résultant aussi de la montée des risques - et de leur couverture nécessaire – liés à la mondialisation exigée par certains acteurs, notamment ceux des entreprises économiques : liberté de circulation des capitaux, taux de change flexible, risques pays etc. Mais aussi montée des risques liés à d’autres facteurs, notamment la couverture assurantielle de ce qui n’est peut être pas assurable, par exemple  les catastrophes naturelles.

Logique aussi, car résultant des dogmes des théologiens universitaires consacrés à l’autorégulation des marchés, et à l’affectation efficiente des capitaux. Dogmes qui iront tous dans le sens d’une prise de risques accrus, notamment des leviers aux dimensions impressionnantes, puisque précisément la « science » enseigne qu’il n’y  a plus de risques... Et comme le risque se doit d’être divisé à l’infini pour devenir proche de Zéro, et que les coûts de transaction sont à peu près nuls, le gigantisme des échanges financiers peut se développer sans limite. Ce qui n’était pas le cas des échanges marchands industriels dont la division du travail ne peut sans cesse être accrue, les coûts de coordination finissant par l’emporter. Et le résultat est impressionnant,  puisque de façon très approximative une seule activité – la maitrise  du risque- a pu  engendrer jusqu’à 30 points de PIB dans les pays les plus financiarisés.

Ce gigantisme est dans les apparences un aboutissement rationnel, au fond  le destin logique de l’échange, dès lors que l’aventure humaine entrainât la transformation de l’institution du don holistique et solidariste,  en échange marchand qu’il faut assurer car toujours risqué. Et destin toujours confirmé par les réglementations et négociations de « l’après crise » tels le Dodd-Frank Act,  les nouvelles directives européennes, le Bâle 3, etc.

On peut toutefois se poser la question de savoir si cet aboutissement, n’est pas une pathologie, en ce que le système financier serait – selon l’expression d’Alain  Touraine - une « pièce qui se serait détachée du système social ».

Cohérence fordienne et incohérence financière.

L’idée de gonflement sans limite de la titrisation – donc de gigantisme-  est déjà une pathologie en ce sens qu’elle finit par être dépourvue de tout point de repère. Dans l’industrie fordienne, l’émiettement de la production n’entrainait pas le non repérage de la pièce élémentaire, laquelle faisait l’objet d’une consommation productive,  que l’on appelait consommation intermédiaire. Cette dernière était objective, mesurable, et devait donner lieu à traçabilité. Sa valeur marchande, sans doute soumise à davantage de subjectivité, ne connaissait qu’une faible variabilité. Il n’en est pas de même dans l’industrie financière, la pièce élémentaire disparaissant largement par des effets incessants de bouclage : la titrisation de titres déjà titrisés ne connaissant pas de limites, il est très difficile d’imaginer une quelconque traçabilité. Les 3 agences mondiales (Moody’s, Standard & Poor’s, et Fitch Ratings ) s’enracinant, immanquablement, dans la subjectivité pour noter les produits structurés. Il existe un grand écart entre la mesure de la qualité d’une pièce  industrielle et l’opinion d’une agence de notation concernant des  produits structurés. Grand écart lui-même conforté, entre  une valeur plus ou moins objective de la pièce industrielle, et celle soumise aux errances du mimétisme, et des foules noyées par des flots d’informations elles mêmes très subjectives, et qui  fonctionnent en boucles. Comme quoi la gigantesque construction se trouve dépourvue de fondations, d’où l’idée de « pièce détachée du système social ».

Mais il y a plus grave, car les échanges marchands dans le modèle fordien et dans celui qualifié de « Wall Street » ne sont pas de même nature. Dans le premier cas, il s’agit d’une division effective du travail aux fins d’élévation effective de la productivité. Dans le second, il s’agit d’une division, non pas pour partager le risque, mais bien plutôt pour le transférer. D’où la difficulté de mesurer le gain de productivité qui serait associé à l’échange. Il existe néanmoins un fait objectif : c’est bien le transfert du risque lui-même - résultant de la marchandisation de tous les actifs imaginables - qui a permis l’endettement croissant, et en retour une valorisation accrue des patrimoines, autorisant une croissance continue de la consommation. Plus brutalement exprimé, si dans le fordisme les gains de productivités pouvaient être redistribués, et donnaient naissance à ce qu’on a appelé les « trente glorieuses », c’est l’endettement croissant, qui tient lieu de gain de productivité dans le modèle « Wall  Street ». C’est le processus de titrisation généralisée, qui a permis la mondialisation, comme la société de capitaux au 19ième siècle a facilité la révolution industrielle. Mais si la révolution industrielle a pu déboucher sur le fordisme, évidemment avec le recours des marchés politiques, la mondialisation n’a pas encore débouché, ou ne pourra pas déboucher sur un fordisme mondial, le fonctionnement des marchés politiques, s’enracinant  encore sur des bases étatiques nationales.

Au niveau des Etats, l’utilisation de la contrainte publique à des fins privées, a donné lieu à un nouveau type de fonctionnement, largement favorable aux entrepreneurs de la finance, et interdisant la vieille redistribution des gains de productivité. L’entreprise mondiale titrisée, fragilisée dans son corps en raison de la titrisation possible de chacune de ses parties, obéissant à de nouvelles normes comptables,  elles-mêmes mises en place dans le cadre d’une adéquation avec la titrisation généralisée, n’a plus à redistribuer aux salariés les gains de productivité. La mondialisation (concurrence) comme les actionnaires  (nouvelle gouvernance) sont  d’ailleurs là pour lui interdire.  Si l’entreprise fordienne générait des débouchés par redistribution des gains de productivité, l’entreprise titrisée laisse la place à la finance pour assurer, par un endettement croissant, les débouchés dont elle a besoin. Pour être juste, la mondialisation qui s’est servie de la titrisation généralisée,  assure aussi un « revenu supplémentaire » résultant du prix bas des marchandises importées … mais qui tuent le fordisme ancien. Comme quoi la titrisation généralisée, avec tout ce qu’elle implique, notamment la liberté de circulation du capital, est cause essentielle de la désindustrialisation des anciens pays fordiens.

La croissance était ainsi - pour l’essentiel -  non plus tirée par les gains de productivité, mais par un  endettement croissant reposant sur le transfert généralisé du risque, et impulsant un effet d’enrichissement. Le lecteur retrouve ici la logique des « subprimes »- pour le meilleur et finalement le pire -  aux USA, avec ces « clones européens », et notamment l’Espagne ou l’Irlande.

Alors que le fordisme était un accord - utilisant certes  largement  la contrainte publique -  mais qui restait relativement cohérent, c'est-à-dire pouvant « faire société », le modèle « Wall Street » est fondamentalement un compromis boiteux,  ne pouvant déboucher sur aucune cohérence sociale.

Cohérence pour le fordisme,  en ce sens que les conflits d’intérêt sont largement arbitrés par les entreprises politiques,  qui elles même sont légitimées par le succès : intégration du plus grand nombre, « moyennisation » de la société et « containment » des conflits, croissance très élevée etc. Quelque chose comme l’idéologie d’un intérêt général pouvait se développer.

Incohérence pour  le modèle « Wall Street », qui ne pouvait réellement arbitrer les conflits d’intérêts,  et ne proposait que des  fuites en avant appelées  d’abord « effet d’enrichissement » et ensuite «  bulles »… de plus en plus nombreuses et de plus en plus gigantesques. Bulles suralimentées par de la dette, qui nourrissait elle-même, et continue de nourrir – plus massivement aujourd’hui - une rente dévoreuse, excluant tout compromis arbitré par les entreprises politiques, elles mêmes saignées par la dite rente. Les produits politiques (dépenses budgétaires) étant affectés de façon croissante au service de la dette publique, imprudemment titrisée depuis trente années, les entrepreneurs politiques deviennent  ainsi massivement délégitimés, car devenus  incapables de promulguer l’idéologie d’un intérêt général. Il suffit bien sûr de penser à la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, etc.

L’expression d’Alain Touraine - « Pièce détachée du système social » est sans doute maladroite - la finance fonctionnant davantage comme prédation - elle reste néanmoins juste, en ce qu’elle exprime cette idée d’incohérence. Et incohérence à priori non réductible puisque le gigantisme n’est nullement menacé malgré la crise. Partout dans le monde occidental la dette s’accroit et des trous plus petits se rebouchent avec d’autres plus grands que l’on creuse dans la hâte. La tragédie grecque et ses multiples rebondissements n’étant que l’ouverture d’un mouvement appelé à devenir mimétique.

L’essence du gigantisme reposait sur la volonté de se débarrasser de la réalité : l’épuisante « valeur ajoutée » pouvant se transformer en engendrement magique et sans limite de « valeur » ; les dures réalités de l’ordre matériel de l’ingénieur pouvant se sublimer dans la magie des algorithmes financiers ; et les limites des revenus du travail pouvant se réduire devant l’immensité automatique des gains à l’échange du « High Frequency Trading ». Il est  difficile d’imaginer la disparition de la réalité, un objet qui refaisant surface viendra dégonfler la finance. Nous verrons toutefois que la volonté de se débarrasser de la réalité est une affaire plus complexe qu’il n’y parait, probablement la résultante involontaire d’un jeu d’acteurs volontaires : les entrepreneurs économiques d’une part, et les entrepreneurs politiques d’autre part. Jeu d’acteurs qui sera plus précisément étudié dans une seconde partie.

 

 

 

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5 mai 2011 4 05 /05 /mai /2011 06:20

 

               

Dans « Sortie de l’euro : ordre ou panique » (Les Echos du 27/04/11) nous insistions déjà sur la difficulté de restructurer la zone sans risque élevé de perte de  contrôle du processus. Le présent texte prenant en compte cette donnée, tente d’éclairer un cheminement et ses conséquences sur l’ordre politico/économique qui pourrait advenir. Pour ce faire nous prendrons pour appui la réflexion menée par Jacques Sapir, dans un document de travail intitulé : « s’il faut sortir de la zone euro…. ». Texte de bonne facture, qui explique de façon détaillée, le pourquoi et le comment d’une sortie de la France.

Comment renoncer à une « liberté frappée » si parfaite ?

La question essentielle qui se pose de façon simple est celle  de la désintoxication. Nombreux sont les acteurs pouvant plus ou moins comprendre le pourquoi d’un réarmement monétaire, donc une reconfiguration plus ou moins grande de l’Euro- système, voire sa disparition.  Mais peu sont prêts à accepter l’évaporation partielle ou totale d’une monnaie  qui permet de si bien  fuir la réalité. Car jamais l’expression- souvent donnée à la monnaie- de « liberté frappée » n’a été aussi bien  adaptée. Même le Mark était plus contraignant, pour son porteur exportateur, qui en voyant  son prix monter sans cesse, dégradait parallèlement la compétitivité de ses produits en Europe. Et cette « liberté frappée » est en parfaite congruence avec la liberté de l’individu qui partout en Europe affaisse le citoyen, et développe l’hyper consommateur à la recherche de produits étrangers beaucoup moins coûteux …éventuellement équipés de crédits à la consommation beaucoup moins usuraires.  Mais aussi « liberté frappée » en congruence avec le rentier, qui n’a plus à craindre l’inflation, et renoue presque avec la sécurité de l’étalon-or de ses ancêtres. Mais aussi « liberté frappée » en congruence avec le touriste, qui dispose enfin d’une vrai équivalent général, et voit s’effacer la pesanteur de frontières prédatrices. Et si le salarié industriel dans un des PIGS est souvent perdant, il peut être aidé par les entrepreneurs politiques du lieu, qui voient, avec cette  « liberté frappée » d’un ordre supérieur, leur propre liberté augmenter, parallèlement à la   baisse des taux sur la dette souveraine du même lieu : l’Etat providence  développe sans entraves ses déficits….et ce même avec une banque centrale indépendante.  Les anciennes monnaies, holistiques par essence, bloquaient encore la montée de l’individualisme, au profit du maintien de  l’antique citoyen/salarié. L’euro libère comme le firent naguère les révolutions démocratiques. Il sera donc très difficile de présenter sa disparition comme un progrès, alors même qu’il risque d’apparaitre comme un grand repliement sur les vieilles nations, que depuis 25 ans au moins, l’on voulait quitter. Démonétiser l’euro n’est pas, sans grande gêne, politiquement monétisable. On comprend par conséquent, que c’est à la faveur de la prochaine crise, qu’une difficile et téméraire décision, pourrait être prise. Crise de dette souveraine chez les PIGS, voire même aux USA, avec des effets beaucoup plus redoutables, le point d’ancrage de la finance mondiale se rompant dans ce cas de figure.

Choix d’un nouvel ordre et risques de désordres

Cela étant, comme le rappelle justement Sapir, sortir de l’Euro n’est pas une fin mais un moyen : celui de retrouver des marges de manœuvres, notamment pour assurer la ré- industrialisation, ou maintenir un Etat providence, qui devenu obèse, doit connaitre- en conséquence des crises toujours plus graves de l’euro- une saignée illimitée. Il s’agit donc de limiter au juste nécessaire la volonté d’en finir, et de ce point de vue, la fin de l’indépendance des banques centrales, et le passage de la monnaie unique à la monnaie commune suffisent très largement. Sauf que l’annonce de telles décisions, implique  des réactions chez les partenaires, et simultanément le jugement des marchés.  les entrepreneurs politiques décideurs entrent dans l’inconnu, et font entrer dans l’inconnu tous les agents qui en dépendent. De la même façon que débuter une partie d’échecs, est une aventure où rien n’est écrit  à l’avance, ni la série des prises de position ni le résultat du jeu, décider du juste nécessaire monétaire pour retrouver des marges de manœuvres, c’est embrasser une très vaste aventure.

Et donc, passer éventuellement, de l’ordre à la panique. D’abord dans les bilans bancaires d’au moins l’ensemble de la zone, aussi bien dans les actifs que dans les passifs : vaste redéploiement des actifs souverains au profit des bons du Trésor allemands et effondrement de la valeur des autres actifs souverains, et pas seulement ceux des PIGS ; évaporation mécanique des fonds propres, et panique dans la course à la recapitalisation pour les passifs, avec fortes inégalités de taux, et insolvabilité immédiate pour les établissements les plus en difficulté . Mais panique aussi pour les compagnies d’assurance,  les fonds de pension, les assurances vie, le marché des CDS, avec bien sûr aussi disparition de la liquidité, comme au beau milieu de l’été 2007... Bien évidemment, le blocage des activités de crédit et de financement de l’économie est immédiat. L’effet « ailes de papillon » est bien là, sauf qu’ici, la décision des entrepreneurs politique est davantage qu’un simple battement d’ailes.

Ce nouvel état du monde doit être géré. Issu d’une décision, il développe des comportements imprévus, et largement imprévisibles, qui doivent entrainer de nouvelles décisions, lesquelles sont toujours en retard sur la réalité du monde. L’objectif ultime, étant de bloquer des réactions en chaîne susceptibles d’aboutir à un effondrement généralisé.

 Et parce que l’Euro pouvait être vécu comme une liberté nouvelle, sa négation ne peut que renforcer le mouvement de panique et de crédibilisation de l’ordre politique, la panique elle-même devenant la preuve de son illégitimité. Car ce qui sera lu dans la réalité vécue par les agents est la confirmation que l’Euro était bien la monnaie idéale : dès qu’on y touche, tout bascule.    Il revient alors aux entrepreneurs politiques ayant franchi le Rubicon, de restaurer un ordre qui ne peut plus passer par la quiétude des marchés, et passera par un autoritarisme  en mode croissant. En clair il faut rétablir l’ordre….un ordre qui ne peut plus être celui du marché.

Craindre une possible « route de la servitude »

Cela passe par des changements brutaux. Ainsi, Sapir n’hésite pas à considérer, que la fin de l’indépendance de la Banque centrale- pour bien évidemment passer à la monétisation de la dette- suppose la « réquisition ». La lutte contre la « fuite vers la qualité », supposera le contrôle strict des capitaux aux frontières, avec forte montée en puissance de TRACFIN et sanctions dissuasives. Mais c’est évidement l’ensemble du système financier, qui doit cesser d’alimenter la panique, et doit se mettre au service du nouvel ordre. Ainsi les banques se voient soumises à de nouveaux planchers de bons du Trésor, et puisqu’il faut bien vérifier le respect de la loi, il faut imaginer des changements à la direction des principales institutions, et des prises de contrôle. Avec, potentiellement, une effectivité problématique de ces mêmes prises de contrôle, le nombre et la complexité des opérations menées dans les institutions financières, se trouvant aujourd’hui, à des années lumières de ce qui pouvait exister dans les années 50 ou 60.

Mais il faudra aller plus loin. Puisque la finalité est une ré -industrialisation qui passe aussi par une forte dévaluation- 25% selon l’auteur- il faudra bien imaginer un risque de retour à l’inflation…à combattre avec un contrôle des prix et des salaires, un contrôle des marges dans la Grande distribution…et peut être même une prise de contrôle des centrales d’achats…De quoi développer massivement l’emploi public.

Mais toujours selon l’auteur, la ré- industrialisation passe aussi par des mesures protectionnistes, tandis que la dévaluation, doit donner lieu à des compensations et prélèvements pour les agents non financiers. Ainsi imagine-t-il, des aides pour les entreprises victimes de charges d’emprunts au bénéfice de non- résidents, charges devenues excessives en raison de la dévaluation. De la même façon, serait prévu pour les banques, un solde, certifié par des administrateurs publics, entre accroissements des dettes et des créances résultant de la dévaluation, et solde pouvant devenir aide de l’Etat, sous la forme d’une prise de participation dans le capital….

Tout cela se comprend fort bien, et il faut remercier l’auteur pour cette tentative méticuleuse et honnête d’analyse prospective. Seulement, on peut y voir, pour paraphraser  Hayek, un exemple très angoissant de « route de la servitude ». L’ordre politico/économique que fait émerger la décision d’en finir, avec la chaine continue des crises régressives de la zone euro, est bien celui des « ordres organisés » Hayékiens , avec des agents régis par des commandements et règles finalisées, agents nommés eux-mêmes par des entrepreneurs politiques, qui privilégient dans leur quête de reconduction au pouvoir, davantage l’outil hiérarchie, que l’outil libre négociation, entre les acteurs du jeu social. Et l’on saisit bien la dynamique de « l’ordre organisé » : règles finalisées et contrôles développent des effets secondaires- des comportements d’adaptation- qui vont classiquement dans un  sens inverse, d’où de nouvelles règles et de nouveau contrôles selon un mouvement continuellement ascendant. Avec un système juridique de plus en plus prescriptif réduisant l’éventail des possibles.

Vaincre la panique passe par une gigantesque montée des coûts des comportements qui lui sont associés. Il y a panique pour éviter de grandes pertes. Déjà ce qu’on appelle le classique et paisible « flight to quality » est une stratégie d’évitement moutonnier des coûts…en mode marché. Mais le marché se transforme en panique s’il existe une montée -réelle ou imaginée- très importante des coûts. Il faut donc ériger une montée encore plus vertigineuse des coûts, pour mettre fin à la panique, et rétablir un ordre nouveau, que devront supporter les acteurs paniqués. « L’ordre organisé » Hayékien , en brisant l’autonomie de décision des acteurs, et nombre de leurs droits de propriété, voire de droits plus fondamentaux encore,  est la possible réponse brutale à la fort possible fin de la zone Euro. Peut-on devenir liquidateurs de la zone euro tout en restant protégés de ses débris incandescents ?

Il est  de curieux moments, dans l’histoire des hommes, où il devient impossible de continuer sans de grands changements….lesquels sont perçus comme inacceptables. L’euro- système, devient contre toute attente, une fabuleuse machine régressive hors de contrôle….mais s’en séparer, peut nous diriger vers d’autres formes de régression que beaucoup redoutent. On ne peut plus faire avec l’euro, mais il est difficile de  faire sans lui. Trouvera-t-on l’Hégelienne synthèse ?

 

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27 avril 2011 3 27 /04 /avril /2011 08:41

                                        

Les publications intégrant l’hypothèse d’ une sortie de l’euro s’accumulent. Beaucoup , tel Christian Saint Etienne (« La fin de l’Euro », Bourrin Editeur, mars 2011), redoutent la probable ou l’inéluctable fin du système. D’autres plus nombreux encore, Alain Cotta, Jean Jacques Rosa, Charles Gave, Jacques Sapir…et tant d’autres  souhaitent ouvertement sa disparition, voire tentent d’en éclairer les modalités et procédures de sortie. Et il est vrai qu’il n’est plus possible de parier sérieusement sur le rétablissement des PIGS, voire – selon Lordon-  des « 2 gros cochons » (USA et Grande Bretagne). Les chocs budgétaires pour stopper la croissance de la dette sont devenus -avec le temps et la volonté de maintenir le système tel qu’il est-  irréalistes : plus de 20 points de PIB pour l’Irlande ; plus de 15 pour la Grèce ; plus de 12 pour le Portugal et l’Espagne… mais aussi plus de 7 pour la France. Et même si la purge laissait le malade en vie, il n’aurait plus les forces nécessaires au maintien durable d’un équilibre extérieur, lequel passe par un sursaut de compétitivité …qui ne peut se réaliser sans investissements massifs inenvisageables sans épargne…bien sûr dans le cadre du dogme de non monétisation de la dette…

Pourtant, la zone euro devait idéologiquement créer un ordre humain stable, un ordre de croissance continue avec convergence rapide des économies correspondantes. Certes, la monnaie nouvelle n’était pas une extériorité intimement soudée  au politique comme l’étaient les anciennes monnaies, mais elle était censée jouir du mérite supposé des propriétés du marché économique classique.

Ce dernier point mérite explication.

 Les individus font société et système solidaire  en raison d’objets communs qui font l’universel du groupe. Historiquement, cet objet commun  extérieur à chaque participant,  fût d’abord ensembles de normes, de valeurs, de « règles de  juste conduite » comme dirait Hayek ; puis fût sans doute les systèmes religieux,  lesquels finiront par générer l’Etat et sa puissance comme principe d’universalité : il impose son ordre et tous dépendent de lui. La monnaie appartient pleinement à l’aventure humaine, et fait parti de cet universel : elle est « l’équivalent général » comme dirait Marx et tous les économistes qui n’y ont vu que de l’économicité, là où il y avait surtout du politique. En revanche, les mêmes économistes considèrent que cet universel porteur d’ordre social - l’autre est mon semblable puisqu’il reconnait le même universel- peut correspondre à une autre institution qu’on appelle marché. Montesquieu, Hume, et Steuart, avaient déjà vu que le commerce et l’échange étaient porteurs d’un ordre social jugé harmonieux car paisible. Les individus peuvent paisiblement se rassembler autour de l’économie conçue comme possible universel. Sublimer les passions humaines génératrices de désordres et de violences vers l’intérêt égoïste, était selon Hirschman, le moyen d’aboutir à un ordre humain plus acceptable. Le repliement sur soi et la participation au jeu de l’échange, donc le marché, permet de produire un ordre humain stable où l’extériorité -  l’universel qui contient tous les participants-  devient un système de prix, de prix de marché, lesquels sont autant d’indicateurs de règles  de conduites. Et de justes conduites,  puisque les économistes approfondiront et  expliqueront, les mécanismes de la miraculeuse « main invisible » de Smith.

C’est dans le grand bain idéologique de l’économicité que fût historiquement conçu l’euro. Un système qui devait fonctionner comme un marché. Dans la grande confrontation entre universels européens, les Etats et leurs entrepreneurs politiques vont imaginer une nouvelle main invisible dont l’ancrage sera l’euro. De la même façon que les individus, égoïstes sur le marché, doivent respecter les règles du jeu ( essentiellement droits de propriété et liberté contractuelle) pour construire une totalité mutuellement avantageuse, les Etats égoïstes doivent respecter les règles du jeu de l’euro pour construire une totalité européenne avantageuse pour tous. Et l’ordre qui lui correspond : la quête d’un universel européen qui pourrait à terme devenir un grand Etat… si redouté par Jean Jacques Rosa. L’Euro était bien réellement le bateau des passagers clandestins, comme tout acteur sur les autres marchés est passager clandestin. Dans  ces derniers, les acteurs ne cherchent pas à faire société, et le repliement égoïste, voire narcissique, l’emporte sur la solidarité : les règles de la concurrence et les droits de propriétés toujours menacés sont de fait « protégés »- dans le bon mais aussi dans le mauvais sens du terme- par un grand prédateur au dessus du marché et qui est l’universel au second degré : l’Etat. Tous sont passagers clandestins sur le marché….mais le bateau tient en raison de la présence de l’universel au second degré.

Les choses sont à priori assez semblables pour l’euro. Tous  sont passagers clandestins, et tous mettent en avant un intérêt égoïste qu’il faut évidemment repérer.

D’abord ceux qui allaient devenir les « PIGS » ont avec leurs entrepreneurs politiques tout à gagner dans le jeu de l’euro qui allait s’ouvrir : effondrement des taux de l’intérêt, et passage brutal à la grande consommation gagée sur le crédit, le tout dans un environnement  « monnaie forte », qui allait permettre de « vivre à l’américaine ». De quoi réélire les entrepreneurs politiques du moment, ou d’en choisir de forts semblables, qui eux même peuvent acheter des voix à grands coups de déficits interne et externe devenus miraculeusement indolores.

Mais aussi ceux qui, dans la zone Mark, n’auront plus à en souffrir, puisque les clients devenus prisonniers d’un taux de change fixe, ne pourront plus  procéder à de fort désagréables dévaluations pour les exportateurs de la zone. Mieux, ceux là  pourront siphonner la demandes globale des PIGS , qui en raison d’un euro fort, verront leur faible industrie  se fragiliser davantage.

 L’ordre ainsi crée, par cet universel virtuel qu’est l’euro, est bien un ordre qui satisfait les ambitions égoïstes de chacun des échangistes, mais c’est un ordre qui n’a rien à voir avec le mythe de la main invisible. Et ordre qui se révèlera explosif.

D’abord parce qu’il n’y a pas, surplombant le système, d’universel au second degré « protégeant » les règles du jeu : seuils de déficit et d’endettement  non respectés ; absence de règles d’équilibre de la balance des paiements ; absence de liens imposés entre hausse des salaires et gains de productivité ; absence de pouvoir de surveillance sur le développement du crédit, d’où l’ennuyeux débat d’aujourd’hui sur l’aménagement du « central banking »  ; absence de surveillance et de contrôles statistiques, etc.…et il est vrai que les règles du jeu, notamment celles concernant l’équilibre de la balance des paiements, auraient eu pour effet de très largement tuer les gains à l’échange des partenaires : le bateau euro ne serait plus bateau des passagers clandestins si ces derniers n’obtenaient aucune contrepartie à l’adhésion au système. C’est qu’il faut pouvoir tricher officiellement : pourquoi l’Espagne et ses banques refuseraient ce don du ciel qu’est la baisse du taux de l’intérêt et la fête consumériste qui doit s’en suivre, fête à partager avec ses entrepreneurs politiques ? Pourquoi la France accepterait le système, s’il lui était interdit de profiter de ce qu’elle recherchait en lui, à savoir la pérennisation d’un déficit budgétaire si profitable à l’achat de voix sur les marchés politiques internes ? Pourquoi l’Allemagne si fière de sa monnaie, se verrait interdire le siphonage de la demande globale des partenaires, alors même qu’elle ne voit dans le système qu’une garantie de débouchés externes, prix à payer pour renoncer à sa propre monnaie ?  

Et précisément quand le système est usé, quand les passagers clandestins ont trop absorbé la drogue euro, il  faudra de nouvelles doses.  Les spreads de taux atteignent un niveau insupportable ? Alors il faut les faire disparaitre dans  un ultime maquillage- le FESF- qui sans doute assorti de contraintes, permettra de continuer la fête….surtout si les contraintes- à l’usage - peuvent être levées.

Mais il existe une seconde raison qui rend explosif le simple fonctionnement du système : le passager clandestin, ici l’Etat partenaire, est un acteur infiniment plus complexe que l’individu sur le marché naviguant de façon intéressée dans un système de prix. Il y a entre l’adhérent à la zone euro, et l’individu égoïste à la recherche de gains à l’échange, toute la distance qu’il y a entre un atome simple, et une molécule complexe faite de nombreux atomes. L’atome simple est plus stable que la molécule complexe, qui pour telle ou telle raison ,peut muter et devenir un corps développant de nouvelles propriétés. Clairement, parce que le fonctionnement du système euro modifie à l’intérieur de chaque Etat, les rapports entre agents- par exemple appauvrissement de certains, et enrichissement d’autres acteurs- le contrôle des marchés politiques peut s’en trouver bouleversé. Parce que le simple fonctionnement du système euro, redéfinit les places de chacun à l’intérieur des Etats, les marchés politiques qui l’ont fait naître, peuvent s’orienter vers sa redéfinition voire sa disparition. Le système dont on disait qu’il allait permettre une accélération de la croissance commune, et une homogénéisation des espaces – le thème devenu comique de la convergence-  n’a pas tenu ses promesses, et les entrepreneurs politiques au pouvoir, sont largement contestés et risquent d’être remplacés par d’autres, taxés de populistes, et faisant de la disparition du système le carburant de la conquête du pouvoir.

Parce que l’ordre engendré par l’euro n’est que fuite en avant, il est d’essence instable et le futur probable, ce qu’on appelle «  stratégie de sortie », risque de devenir le passage de l’ordre, en tant qu’ordre social stable,  à la panique, en tant que foule désorientée et désorganisée (René Girard, Jean -Pierre Dupuy, etc.).

Alors que l’échec sur le marché, peut renforcer l’autodiscipline et la confirmation de l’ordre social qui lui correspond : effort, épargne, investissement, performance, etc. l’échec sur l’euro, signifierait la mise en avant de toute sa négativité, si bien cachée dans la clandestinité des passagers du dispositif. L’attachement des Etats au dispositif reposait sur un égoïsme rentabilisé et arbitré  par les entrepreneurs politiques. Sa chute de rentabilité mesurée et redoutée par ces mêmes entrepreneurs politiques, crée nécessairement de la désagrégation. L’attachement collectif des Etats à l’universel virtuel laisse la place à l’abandon et au désordre. Le nouvel égoïsme n’est plus un repliement aux apparences de solidarité : il devient un repliement laissant la place à la violence mimétique, ce qui est le propre de la panique. L’égoïsme orientait les Etats vers une solidarité de façade appelée construction européenne. La même force les orientera dans le mimétisme de la destruction collective des outils préalablement et laborieusement construits. Qu’un seul s’oppose – selon la formule de Christian Saint Etienne-  à la « stratégie du sparadrap » ,  par exemple les nouveaux entrepreneurs politiques finlandais qui ne veulent pas entendre parler « d’euros obligations », et c’est par mimétisme que l’on risque d’assister à l’auto destruction du dispositif.

Conçu pour fabriquer de la convergence et un ordre stable, le dispositif n’a cessé de fabriquer une divergence explosive et divergence accélérée par la crise plus générale qui parcourt le monde. Il faudra une bonne connaissance des phénomènes humains pour envisager le plus correctement possible la photographie de l’Europe après l’euro… et prendre de bonnes décisions.

 

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12 avril 2011 2 12 /04 /avril /2011 07:21

 

              

 

Le programme du parti socialiste publié le 5 Avril dernier, prévoit la création d’une banque publique d’investissement. Son architecture juridique n’est pas précisée. Toutefois, on lit dans le programme qu’elle sera « financée efficacement, mobilisable rapidement, délimitée territorialement sous forme de fonds régionaux, adossée à la Caisse des Dépôts, à la Banque de France, au Fonds Stratégique d’investissements, ou encore à OSEO ». Ses moyens ne sont pas non plus précisés. Toutefois, au vu de l’ambition, on peut les supposer considérables. C’est qu’elle semble devoir être le socle d’une « Politique industrielle pour la nation » permettant à l’Etat, assisté d’un « Comité  Prospectif » - nouveau Conseil National de la Résistance ?- de redevenir « stratège » ou « pilote industriel ». Et missions qui se déclinent en de nombreux axes : « favoriser la constitution d’entreprises de taille intermédiaires » (de 250 à 5000 salariés avec apport possible de capital) ; « investir dans les secteurs d’avenir », lesquels figurent dans le projet sous la forme d’une liste impressionnante ; « prévenir et réparer les dégâts humains et territoriaux de la désindustrialisation » ; s’engager vers « agriculture biologique intensive » ; « investir dans la recherche et la sciences » ; assurer la « relance du programme national de lignes à grandes vitesses » (TGV).

 

Le lecteur averti peut se poser la question de l’origine des moyens financiers –non chiffrés mais sans doute considérables- et pensera sans doute qu’au vu de la présente situation, la volonté affichée par ailleurs, de réduire l’endettement, même avec quasi disparition des dépenses fiscales, devient mission très difficile. Toutefois, la question est de savoir si les rédacteurs du projet n’ont pas pour ambition de passer à la monétisation, précisément en s’offrant les services d’une banque publique, masquant l’émission monétaire de la banque centrale effectuée à son  avantage, et au profit du programme de « l’Etat stratège ». Dans le langage de ce blog, il s’agirait de gérer une partie des dettes nouvelles « en mode hiérarchique » et donc d’abandonner partiellement le « mode marché de gestion de la dette ». C’est ce que laisse penser une autre phrase que l’on trouve dans le programme : « Nous proposons que les dépenses d’avenir utiles à la croissance et à l’emploi bénéficient d’un traitement distinct des autres dépenses ».

 

Phrase peu claire, mais probablement en congruence avec les idées des  partisans de la monétisation, lesquels considèrent que les dépenses publiques courantes, doivent être financées par l’impôt, tandis que les dépenses d’investissement doivent être financées par création monétaire, ce qui est largement le cas des investissements privés sur crédits bancaires. Et ici, dans le cas des investissements de l’Etat « pilote industriel », monétisation directe par la Banque centrale.

 

 Sans nous attarder sur la fort délicate question, du classement des dépenses publiques en dépenses courantes et dépenses d’avenir, on remarquera que la Banque publique d’investissement du projet socialiste peut ressembler à « l’Agence publique d’investissement », telle que prévue dans le texte « financer l’avenir sans creuser la dette », publié et discuté lors d’un séminaire organisé le 30 mars dernier par la Fondation Nicolas Hulot ( www.fnh.org).

 

Ce dernier texte fait largement référence aux travaux d’André- Jacques Holbecq ,qui ont l’immense mérite, de révéler une possible monétisation , sans entrer directement en contradiction avec l’interdit de l’article 123-1 du traité de Lisbonne. Holbecq prend en effet  appui sur l’alinéa 2 du même article, lequel stipule que l’interdit : « ne s’applique pas aux établissements publics de crédit qui, dans le cadre de la mise à disposition de liquidités par les banques centrales, bénéficient , de la part des banques centrales nationales et de la Banque centrale européenne, du même traitement que les établissements privés de crédits ». En clair, la création d’une banque publique d’investissement permet de contourner, au moins l’esprit, du Traité et de bénéficier de la liquidité centrale à coût très faible.

 

Cet alinéa 2 permet en effet de ne plus discriminer les Etats, lesquels auraient accès à la liquidité centrale à des conditions aussi avantageuses  que celles offertes aux  banques privées : le prix de la liquidité (taux de la Banque centrale) n’étant augmenté que du coût de fonctionnement de la banque publique. Ce dispositif étudié par la Fondation Nicolas Hulot , a le mérite de répondre, du point de vue de cette institution,  à la très grande difficulté de rassembler de gigantesques moyens, pour assurer la transition économique (600 Milliards d’euros entre 2012 et 2020 selon la FNH), dans un contexte d’insolvabilité généralisé.

 

La présentation détaillée de l’économie générale du dispositif importe peu. Ce qui compte, est qu’effectivement, il est possible de rétablir un Etat « pilote industriel », un Etat « stratège », sans l’automaticité d’une brutale  sanction des marchés, et sans heurter frontalement le dogme de l’indépendance de la Banque centrale. C’est qu’en effet, l’introduction d’une banque publique permet l’accès à la liquidité centrale,  sans augmenter la dette du Trésor, et donc en principe sans heurter les agences de notation et le marché : l’Etat récupère les marges de manœuvres abandonnées jusqu’ici par des politiques budgétaires restrictives. Au surplus, la nouvelle dette devient complètement nationale et n’est plus soumise aux caprices de la spéculation.

 

Il existe sans doute des effets pervers, avec en premier lieu, la possible émergence d’anticipations inflationnistes justifiées par l’augmentation de la base monétaire. Si aucune donnée économétrique sérieuse ne fait le lien entre la croissance du PIB et la croissance de la base monétaire, il est vrai que la nouvelle liquidité viendrait s’ajouter à celle engendrée par les déficits publics, et que cette nouvelle liquidité abonderait les dépôts bancaires, avec de possibles  effets de second tour sur la création monétaire privée.

 

Dans un tel scénario, il s’ensuivrait assez logiquement une hausse des taux sur la dette publique nouvelle, une augmentation des charges de remboursement de la dette, une baisse des cours sur les marchés secondaires et une dégradation des bilans bancaires. Ce scénario verrait ses conséquences amplifiées si la stratégie de contournement, ainsi amenée par un parti socialiste au pouvoir, décidé à changer réellement le cours des choses, était contestée avec force par les partenaires de la zone, avec de possibles effets sur le cours de l’euro. Maintenant- sous la pression mimétique des rentiers les plus conscients de l’enjeu- la peur de voir se développer une contestation beaucoup plus radicale du traité de Lisbonne, pourrait aggraver les effets pervers déjà signalés. Avec la mise sur le devant de la scène de l'identité du payeur final : le contribuable utilisateur des services publics, ou le rentier qui se gave de dettes publiques?

 

Autant d’hypothèses risquées, voire audacieuses ou mal fondées , tant il est difficile  d’anticiper les réactions entrainées, par un dispositif banque public d’investissement, qui serait monté avec la volonté de s’affranchir de la rigueur du Traité.

 

En revanche, il est opportun d’interroger les rédacteurs du projet sur le non- dit de la Banque publique d’investissement. Le parti socialiste français, est –il prêt à s’engager dans les premières formes de contestation de l’ordre monétaire européen, un ordre dont il avait négocié et fixé les règles avec le partenaire allemand voici près de 25 ans ?   Réforme d’un traité constitutionnel pour risquer un avenir, ou réforme de la Constitution pour vitrifier le caractère restrictif des politiques budgétaires ? Aux marchés politiques d’en décider.

 

 

 

 

 

 

 

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5 avril 2011 2 05 /04 /avril /2011 13:34

                                              

Vivre en société, c’est reconnaitre qu’il existe indépendamment de chacun des participants, un objet intermédiaire qui leur est commun, et exprime l’universel du groupe. Les croyances, les valeurs, la morale, la langue, etc. constituent ces objets communs assurant la communication, et le rapprochement de chacun vis-à-vis des autres. Beaucoup de ces objets de communication sont d’une essence naturelle, et assurent la survie des participants. Dans cette vision des choses, les sociobiologistes,  considèrent que la vie en société, est seule susceptible d’assurer les trois grandes fonctions du vivant, à savoir , l’autoconservation, l’autoreproduction et l’autorégulation. Simplement ces trois fonctions,  à l’inverse du monde animal, sont diversement  interprétées chez les humains, ce qui donne l’infinie variété des universels, donc des cultures, voire des civilisations.

Hayek considère que cet universel s’est spontanément construit. Produit de l’interaction sociale, indépendant de la volonté de chacun, et donc extériorité surplombant les acteurs. Il reste que cet universel peut faire l’objet de convoitises et de conquêtes …. par  les hommes eux-mêmes, assurant ainsi ce que ce même Hayek appelle :le passage des ordres spontanés vers les ordres organisés.

Alors que l’universel est patrimoine commun, ce qu’on appelle « politique » est un processus de privatisation : des individus, vont se rendre maitre de tout ou parti de l’universel, et fonder ce qu’on appelle l’Etat. Les libertariens  - notamment Robert Nozick et son école jusqu’à Bertrand Lemennicier en France-  ont ainsi expliqué et décrit le "Big Bang de l’Etat", sans doute beaucoup mieux que Marx, mais à partir d’une vision proche : l’Etat est une aliénation dont les moyens – tout ou parties de l’universel-  permettent d’engendrer et de reproduire des inégalités durables entre les hommes. Vision proche, et non semblable, puisque l’Etat est outil de la reproduction d’antagonismes de classes, sans  lui-même être directement prédateur, chez Marx; alors qu’il est d’essence prédatrice chez les libertariens tout en autorisant des antagonismes entre les victimes de la prédation. Les inégalités ainsi produites, ne relèvent pas de la nature, elles sont socialement construites, et ont pour effet  de produire et reproduire des rentes : tributs, impôts, privilèges, lois démocratiques, etc.

La très grande supériorité du modèle libertarien , au-delà de la très stupéfiante confirmation de celui de Marx, consiste à pouvoir évoquer l’action de l’Etat, par exemple dans les rapports économiques, en sachant de quoi l’on parle. Ce qui n’est assurément pas le cas des autres paradigmes , notamment ceux de la théorie économique – Classique , néo classique, keynésienne-  qui évoquent l’objet Etat à partir d’une vision angélique de celui-ci . Une instance conçue pour produire de l’intérêt général, sous la forme d’un intérêt public, dépassant la logique de marchés en déséquilibres (Keynes), ou sous la forme d’une béquille aidant des marchés avantageux pour tous (néo classiques). Pas de théorie du « Big bang »,  donc pas de vision causale de cette réalité en devenir qu’est l’Etat, et donc paradigmes contestables en ce qu’ils ne respectent pas les contraintes d’une tentative de démarche scientifique. Avec bien sûr le danger d’aboutir à des théories normatives…. Ce que nous avons appris à désigner dans ce blog la « théologie économique ».

Pour autant, la vision libertarienne n’échappe pas davantage à la démarche théologique, et il est surprenant de constater la normativité de contenus qui aboutissent à conseiller ces ennemis radicaux que sont les "entrepreneurs politiques". Nous avions déjà abordé cette question dans un article publié le 3/3/2009 : « Crise : grand retour de l’Etat ou utopie post-politique ? ».

D’où une accumulation de critiques, souvent fondées, et tout aussi souvent, une accumulation de propositions irréalistes.

Pour ne prendre qu’un exemple, tel est le cas de la critique du présent système monétaire et financier, à partir de l’idéal d’un système monétaire vivant en ordre spontané. La vision libertarienne est assez simple. La monnaie s’y définit comme n’étant qu’un instrument, dont la forme s’adapte à son objectif permanent, à savoir diminuer en sécurité –donc en respectant les droits de propriété – les coûts de transaction résultants de l’échange. Vision qui explique que des marchés libres, et donc des banques libres, sont seuls à pouvoir assurer les transactions dans un ordre concurrentiel : chaque banque émet sa monnaie, et se sait surveillée par les agents qui exigent la parfaite convertibilité de chacune des monnaies émises. D’où une auto surveillance d’une émission monétaire que le marché se charge de contrôler, voire de sanctionner. Les libertariens expliquent aussi avec une grande précision que dans un ordre organisé, les choses se présentent différemment, avec un prédateur public – monopolisant la violence monétaire (dilution, seigneuriage, cours légal , etc.) directement, ou indirectement, par le biais d’une banque centrale chargée d’une politique monétaire. Et il s’agit d’une privatisation d’une partie de l’universel humain,  à savoir l’appropriation, par des entrepreneurs politiques, du marché de la monnaie, que chacun des acteurs générait en ordre spontané, et marché qui surplombait chacun d’eux, au point d’en faire un objet extérieur commun aux acteurs. A plusieurs reprises - cf notamment les articles consacrés aux rapports historiques entre banques centrales et Trésor - nous avons souligné la complexité du jeu des acteurs en ordre organisé, notamment en démocratie : acteurs financiers, citoyens, entrepreneurs politiques, etc.

Disposant d’un outil  très puissant pour l’analyse, on pourrait attendre des libertariens, tout autre chose que l’ensembles des propositions qu’ils font traditionnellement pour résoudre la  crise : retour à l’étalon –or, concurrence entre monnaies librement émises par les banques, responsabilisation maximale des acteurs financiers mis en face de la rigueur des droits de propriété, fermeture des banques centrales, mise en extinction de toutes les monnaies politiques dont bien entendu l’euro, etc. Autant d’exhortations adressées à des entrepreneurs politiques dont ils savent, plus et mieux que d’autres, qu’ils feront tout pour ne pas les transformer en actes concrets . Tout simplement parce que le fonctionnement logique des ordres organisés s'y oppose.

Sachant que le modèle du « Big bang de l’Etat », même imparfait - ce que nous avons souligné dans un texte lui-même très imparfait ( « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat »)- est le seul actuellement disponible pour saisir les phénomènes humains dans leur globalité, il est regrettable que ses défenseurs, ne l’utilisent pas davantage pour comprendre la genèse de la crise, son développement, et les scénarios qui en découlent, aux fins d’une prospective, qui puisse aussi devenir un avenir plus ou moins souhaitable pour l’humanité. Il est effectivement paradoxal que les  libéraux puissent être normatifs, alors même qu’ils n’ignorent pas le caractère irréaliste des propositions énoncées. En revanche, armés d’un outillage théorique plus satisfaisant pour décrypter la réalité, ils sont les seuls à nous faire comprendre la nature profonde des rapports de forces se manifestant dans un ordre organisé. Et à pouvoir effectuer des propositions sur les marchés politiques - ce que nous appelons, dans le jargon de ce blog, des "produits politiques" - et propositions les plus adaptées à l’évitement d’un désastre. L’humanité vit au sein d’ordres organisés, ce qui- sans doute-  terrorise les libertariens, mais peu d’humains contestent qu’il est des ordres organisés préférables à d’autres. Et ces mêmes humains, ont au moins la connaissance intuitive que l’ordre spontané n’est pas de ce monde. La disparition des banques centrales n’est pas à l’ordre du jour, la concurrence monétaire non plus. Par contre des évolutions importantes sont prévisibles, et peut-être souhaitables, et ce même s’il ne saurait exister d’intérêt général. De ce point de vue l’école française de la régulation, tout à la fois proche et ennemie des libertariens, reste étrangement silencieuse.

Davantage de réalisme dans les propositions, ne pourrait que confirmer la supériorité du modèle libertarien de compréhension du monde tel qu’il est. Les « Think Tanks » libertariens y ont tout à gagner.

 

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23 mars 2011 3 23 /03 /mars /2011 07:46

Dans « Rapatriement de la dette et dé mondialisation », nous avions critiqué le plan de compensation inter Etats et inter créanciers, censé aboutir à la renationalisation de la dette. Ce plan, présenté par Rodolphe Müller et Pierre- Alain Schied, réapparait aujourd’hui avec d’autres propositions, sous d’autres formes éminemment intéressantes.

Qu’il s’agisse de la récente proposition d’Edouard Balladur, ou de celle tout aussi récente  de Jean Michel Quatrepoint, il existe un point de convergence qui est souligné : la nécessité d’échapper, au moins partiellement, aux foudres des  agences de notation. Objectif qui passe par la renationalisation de la dette, plus curieusement par l’élargissement de la clientèle du Trésor, et finalement par ce que l’on n’ose dire : une dose de dé mondialisation financière.

Edouard Balladur propose la création d’une classique caisse d’amortissement chargée de rembourser la dette publique. Au fond il s’agit de l’équivalent de la CADES, ou mieux, de la caisse créée par Poincaré en 1926. Cette dernière devait participer au retour de la confiance, au regard d’un déficit abyssal, en s’appuyant à l’époque sur les bénéfices de la SEITA (Société d’Exploitation Industrielle des Tabacs et Allumettes). La SEITA ayant disparue, il s’agirait d’alimenter la nouvelle caisse à partir de l’abondante épargne des français, et d’introduite à côté du classique livret A, un plan d’épargne relativement équivalent en terme de rémunération.

La proposition de jean Michel Quatrepoint écarte, elle, tout recours à une quelconque caisse, et privilégie  la vente directe de bons du Trésor aux ménages. Là non plus, rien de bien nouveau, la vente directe, étant plus ou moins la règle, avant la bancarisation de la société à la fin des 30 glorieuses. Désormais, existeraient 2 circuits de distribution et de transformation de la dette : l’actuel, qui procure en quelque sorte une exclusivité à l’industrie financière, avec grossistes (les SVT de l’Agence France Trésor), et les transformateurs revendeurs détaillants (banques, assurances, intermédiaires financiers) ; et le circuit court, ou direct, qui permet aux ménages de ne pas utiliser  les usines financières. L’exclusivité de fait, sinon de droit, de l’industrie financière dans la commercialisation de la dette, serait ainsi supprimée. On peut anticiper une forte résistance du secteur financier si un tel projet devait se concrétiser, avec notamment, on peut l’imaginer, le refus de la mise à disposition des  guichets des banques pour la vente au détail de bons du Trésor.

Sans entrer dans le détail de la chaîne  logistique de distribution du circuit court, on peut penser qu’un réseau considérable de revendeurs au détail existe déjà : guichets de beaucoup de comptables du Trésor, bureaux de postes, voire débitants divers qui déjà vendaient l’antique vignette automobile, et vendent encore des timbres fiscaux. Mais on peut aussi imaginer  davantage de modernité, avec notamment,  la possibilité pour les ménages, d’acheter de la dette publique en ligne. De la même façon que le commerce électronique a pu redessiner l’architecture de l’industrie du commerce, il pourrait en être de même pour  celle de la dette publique.

L’importance relative des deux circuits, qui restent à priori encore des modes marchés de gestion de la dette, dépend des choix des entrepreneurs politiques en termes de taux , de fiscalité, voire de quotas. Et choix qui doivent tenir compte des grands agrégats financiers. Les besoins 2011 du Trésor sont de 180 milliards d’euros, besoins qu’il couvre par les opérations de l’AFT, elles même surveillées par les marchés et les agences. L’épargne brute des ménages se montait en 2009 à 209 milliards d’euros. Il est donc clair que le second circuit, circuit court à imaginer, ne peut devenir hégémonique, sauf à négliger les autres utilisations possibles de l’épargne. Toutefois, l’objectif de renationalisation de la dette publique, est envisageable en dérivant plusieurs dizaines de milliards d’euros, du premier circuit vers le second.

Une telle opération, revient effectivement à casser le rocher de Sisyphe, et à rendre le poids de la dette plus supportable. Il y a bien élargissement de la clientèle du Trésor, qui voit sa zone de chalandise se renationaliser partiellement. Il y a donc bien début de dé mondialisation financière.

Il est toutefois clair que des effets pervers peuvent se manifester. S’il n’existe pas à priori de difficultés juridiques, la réussite du lancement du circuit court, est un impératif de crédibilité à ne pas manquer, à peine de turbulences sur le premier circuit. Tout échec de lancement, pouvant être interprété comme déficit de confiance, à effets contagieux sur le premier circuit. Mais l’effet pervers le plus évident est l’éviction. Si le déficit public n’entraine pas l’éviction en raison d’une émission de titres, qui n’absorbe que l’excès de liquidité, et laisse intact le volume de l’épargne préalable, il n’en va pas de même dans la perspective d’une renationalisation de la dette. Car la renationalisation, correspond à l’abandon d’une épargne étrangère, au profit d’une épargne nationale, dont le volume est resté inchangé. A titre d’exemple, si le circuit court porte sur 50 milliards d’euros que l’on dérive du circuit long, soit 180 milliards pour 2011, lui-même en provenance de non résidents à proportion  de 70%, cela signifie une ponction nette sur l’épargne nationale de 35 milliards d’euros. Sachant que cette épargne nationale fait l’objet de convoitises extrêmes -  partage conflictuel de la collecte du livret A et du livret de développement durable, entre la Caisse des Dépôts et les banques ; chasse à l’épargne incluse dans les bilans, aux fins de respecter les nouveaux ratios de solvabilité, imposés par Bâle III ; etc.   – le risque est d’aviver la tension sur les taux de l’intérêt.

A ce stade, il est  difficile de tirer un bilan coûts/avantages de la brisure du rocher de Sisyphe : d’un côté il peut y avoir desserrement de l’étau des agences de notation, mais celui de l’éviction peut se resserrer. Il est donc  impossible de prévoir quelle force l’emportera sur l’autre. Et de ce point de vue, les deux variantes du projet de renationalisation – variante Edouard Balladur, ou variante Jean Michel Quatrepoint – sont clairement équivalentes. Et assez clairement équivalentes en termes sociaux : que la rente se déplace depuis des non résidents vers des résidents, n’en change pas son poids, lequel est  toujours financé par les contribuables, et/ou utilisateurs de biens et services publics. Avec il est vrai, un réel changement au détriment de la finance, qui ne dispose plus de quasi droits d’exclusivité sur la matière première, et se voit concurrencée par un circuit court.

Il est au total difficile de casser le rocher de Sisyphe, en restant dans le carcan de la pensée dominante. Nous verrons dans une publication ultérieure, que c’est toutefois cette fin de l’exclusivité qui est porteuse d’un  avenir plus crédible.

Une autre façon de  diminuer la charge du rocher de Sisyphe serait de le « rogner » plutôt que de le «  casser ».

Il s’agit manifestement, de toutes les tentatives, qui tout en restant dans le cadre de la pensée dominante, flirtent à la frontière des deux modes possibles de  gestion de la dette : il s’agit de l’espace  de la restructuration. Espace large, allant de la renégociation sur des points de détails, jusqu’au défaut souverain, non pas subi, mais choisi. Limite extrême, marquant la volonté de siffler la fin du jeu du mode marché de la dette. Nous sommes présentement, entrés dans les zones basses du champ de la restructuration, avec en particulier, les récentes négociations et décisions concernant la Grèce. Ainsi le taux moyen sur capital prêté passe t’il de 5,2% à 4,2%, et les remboursements s’étendront sur 7 ans au lieu de 4. Ces zones basses se révélant rapidement insuffisantes, il faudra probablement aller plus loin, et atteindre les premières zones de répression financière. Ainsi Kenneth Rogroff imagine déjà des mesures plus brutales, telles des taux imposés à des fonds de pension ou des compagnies d’assurances. De telles mesures sont pourtant irréalistes, dans un espace entièrement homogénéisé par la mondialisation : la répression financière sur des taux , même modérée,  ne peut s’envisager que dans un univers fermé et hiérarchisé. Le rocher de Sisyphe ne se laisse pas rogner facilement. Il faut donc bien le briser….mais avec d’autres idées qui vont dans le sens de celles  d’Edouard Balladur et Jean Michel Quatrepoint…. tout en les dépassant radicalement. Ces idées seront prochainement développées sur le Blog.

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16 mars 2011 3 16 /03 /mars /2011 09:29

 

Objet à enveloppe juridique hors du commun, les banques centrales n’apparaissent que fort tardivement dans le monde de la banque ( La banque d’Angleterre en fût la première en 1694) pour s’imposer de façon hégémonique de par le monde. Il existe ainsi aujourd’hui 172 banques centrales soit quasiment autant que les Etats dans lesquelles elles déploient leur activité.

L’école autrichienne y voit un monopole illégitime et préfère le système de liberté bancaire associé à des monnaies elles mêmes libres. Elle n’explique toutefois pas pourquoi une telle liberté n’a historiquement que fort peu existé, pour disparaitre totalement en 1930 ( Canada). Paradoxe, car l’axiomatique autrichienne  donne tous les moyens intellectuels pour comprendre que le système actuel, pyramidal avec monopole d’une banque centrale, devait logiquement s’imposer avec le progressif passage à la forme « Etat de droit » à partir d’une forme primitive d’Etat, plus ouvertement prédatrice.

Il est en effet évident, que l’Etat primitif monopolisateur de la prédation, ne pouvait qu’utiliser à son profit, les banques libres aux premiers âges de la circulation monétaire. D’où l’adage tant galvaudé : « battre monnaie est un attribut de la souveraineté ». Et une souveraineté utilisée pour contrôler les banquiers, exceller dans le « seigneuriage », la « dilution », la répression financière ,  etc. Le passage de l’Etat violent, et monopoleur de la prédation, à un système où « tout le monde peut voler tout le monde », c'est-à-dire ce qu’on appelle l’Etat de droit, doit logiquement engendrer  une architecture nouvelle du système bancaire : un dispositif hiérarchique, garantissant la libre création monétaire des banques dites de second rang, et garantissant aussi la convertibilité de leurs  diverses monnaies, en une seule , dite légale,  émise  par une banque de premier degré jouissant d’un monopole public….. Souvent dans la mâchoire du prédateur public. C’est qu’il est des « Etats de droits » qui le sont moins que d’autres, et si la banque centrale anglaise était hors de la mâchoire des entrepreneurs politiques, il n’en était pas de même en France ( cf « Banque centrale et Trésor : une très intéressante histoire » – partie 1).

Cette nouvelle architecture qui finit par s’imposer presque partout au 19ième siècle, est bien le reflet de l’Etat moderne : il monopolise et continue sa prédation (seigneuriage, inflation, répression financière,  etc.  )….qu’il  partage avec des groupes (les banquiers et financiers) pour lesquels  il assure débouchés (commerce de la dette publique), et protection (garantie de la libre création monétaire, assurance sur les dépôts, etc.).

 Les économistes néo classiques, notamment l’école dite des « choix publics », sans reprendre la thèse autrichienne de l’illégitimité de l’idée de banque centrale, devaient largement faciliter l’étape ultérieure, c'est-à-dire le passage à l’indépendance. On ne peut, disaient –ils, faire confiance aux entrepreneurs politiques qui cherchent la maximisation de leur fonction utilité, plutôt que la recherche de l’optimalité parétienne. D’où l’idée d’indépendance des banques centrales, par rapport aux entrepreneurs politiques. Et idée régulièrement mise en avant par les bénéficiaires  de la dite indépendance, et souvent rappelée, par exemple dans les rapports annuels de la BCE. On lira ainsi, dans le rapport BCE 2008, que « l’indépendance est une composante fondamentale, étayée par la théorie économique ». Phrase savoureuse, d’un auteur qui fait le choix de prendre appui, sur la  branche qui lui est le plus favorable de la théologie économique. La théorie des choix publics, est ainsi devenue le livre saint du banquier central, à l’exclusion de tout autre paradigme. Et un livre à succès : gagnants et perdants objectifs au jeu de l’indépendance, sont invités au rassemblement pour célébrer les mérites de cette dernière.

De fait, l’indépendance consacre une modification importante dans le fonctionnement des marchés politiques. La règle, ici la politique monétaire, qui gère le rapport de forces entre groupes aux intérêts divergents, n’est plus le fait direct des entrepreneurs politiques au pouvoir. Jusqu’ici, dans la forme classique de l’Etat de droit, la règle émise redistribuait  avantages et coûts associés, à l’intérieur d’un sentier, censé assurer la reconduction au pouvoir. Le tout dans la grande fiction de l’intérêt général. Désormais, il y a délégation du pouvoir créateur de droits, à des individus ou groupes qui vont acquérir le droit – en toute souveraineté -  de fixer, ici, en ce qui concerne le système financier, le taux de l’intérêt.

Il n’y a évidemment pas disparition du politique : l’extériorité, son organisation, sa gestion et son administration, est une donnée indépassable de la condition humaine. Et bien évidemment l’indépendance des banques centrales n’est qu’une étape historique, qui n’a rien de définitif, et sera un jour probablement remise en cause. Pour autant, la délégation du pouvoir créateur de droits, est une grande victoire pour ceux et leurs représentants qui vont pouvoir l’actionner, sans passer par le quotidien du fonctionnement des marchés politiques. En termes clairs, l’indépendance, juridiquement acquise, est une garantie sérieuse de respect du mode marché de gestion de la dette publique. Surtout si la nouvelle règle, est inscrite au niveau le plus élevé de l’ordre juridique, par exemple la constitution. Les marchés politiques et leurs entrepreneurs ne peuvent ainsi, plonger les mains dans la grande machine financière, pour éventuellement  la réprimer, aux fins d’une paisible reconduction au pouvoir. En fixant un ordre politique, imposant le monopole du marché comme règle du jeu, il n'y a plus de risque de répression financière, avec quasi impossibilité de gains politiques  au jeu de la dette (planchers de bons du trésor, avances ou prêts obligatoires au Trésor, etc.).

Victoire des bénéficiaires de la version école des « choix publics » de la théologie économique…. qui contredit l’école elle –même. Car les dirigeants des banques centrales, titulaires de droits nouveaux, ne sont évidemment pas plus vertueux que les entrepreneurs politiques. Au regard de l’école autrichienne, ils sont tout aussi irresponsables que les entrepreneurs politiques, et peuvent reporter comme ces derniers, le coût de leurs choix sur d’autres agents : Alan Greenspan paie t’il aujourd’hui, sur ses biens propres, le prix de l’orgie financière qu’il a organisé ? Parce que le monde des banques centrales, n’a rien à voir avec le libéralisme et ses exigences, il est tout aussi dangereux que les Etats à partir desquels il a arraché sa liberté.

La mondialisation, elle aussi nouvel ordre politique, imposant le monopole du marché comme règle du jeu, rend contagieuse l’indépendance des banques centrales. Car maintenir une répression financière, se paie d’une fuite de l’épargne et de l’industrie financière correspondante : entreprises d’assurances, fonds de pensions, investisseurs institutionnels, etc. La concurrence engendre ainsi très rapidement le monopole de cette nouvelle forme institutionnelle de banque centrale. Et tout pays y renonçant, se trouverait possiblement marginalisé, lui et sa monnaie. D’où, en ce printemps 2011, la mise en garde d’un Jean Claude Trichet, vis à vis des entrepreneurs politiques hongrois, soupçonnés de porter atteinte à l’indépendance de la banque nationale magyare.

Mais la force normalisatrice de la mondialisation, est telle qu’au-delà du principe d’indépendance, il faudra surveiller sa crédibilité. Cette dernière sera le mot d’ordre des années 90 : non seulement l’indépendance doit faire l’objet d’une inscription juridique, au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes , mais il faudra prouver qu’aux niveaux opératoires, les procédures retenues garantissent le respect des dites normes. D’où l’idée de classer les banques centrales en fonction de leur degré d’indépendance, avec tous les débats imaginables sur les critères retenus, leurs pondérations, leurs pertinences, etc. Avec aussi les travaux universitaires correspondants : la crédibilité devenant véritable objet scientifique…

Au terme du tsunami de l’indépendance, il est clair que le paysage social sera profondément modifié. Au rang des perdants, figurera contribuales et/ou utilisateurs des biens et services  publics. La dette faisant désormais l’objet d’un prix de marché, devra être payée par des excédants primaires, construits sur des hausses d’impôts, et/ou des baisses de dépenses publiques. Le choix étant orienté par les marchés politiques, des marchés  desquels pourront s’abstraire, les rentiers désormais protégés par le bouclier du monopole du marché. En cela, l’indépendance des banques centrales est une force prédatrice de tout premier plan. Bien sûr la banque centrale n’est pas en soi force prédatrice, mais elle est le rempart qui permet aux banques de second rang – les 20 spécialistes en valeurs du Trésor s’agissant de la France – de capter directement les ressources du Trésor pour , au moins partiellement, les revendre à l’industrie financière. Ainsi en 2011, s'agissant du Trésor français, 180 milliards d'euros sont au programme de la marchandisation.

Au rang des gagnants , figurera les banquiers et leurs actionnaires ; les assureurs , leurs actionnaires, et leurs clients ; les fonds de pension, leurs actionnaires et leurs clients, etc. Et les gagnants verront au-delà du rempart de la banque centrale, la possibilité de voir évoluer leurs gains, en fonction de la politique monétaire menée par ladite banque. Laquelle fixera sa politique des taux , en fonction de la stabilité monétaire à maintenir pour perenniser la rente. Les porteurs d’obligations étant généralement les victimes de l’inflation, il convient de protéger les bons du Trésor, en tant qu’obligations parmi d’autres.

Lorsque la dette se gonfle, se développe parallèlement l’opposition des intérêts entre les groupes perdants et les groupes gagnants. Si maintenant elle se développe à un rythme jugé inquiétant parce que les marchés politiques sont incapables d’engendrer des budgets comportant des excédents primaires, le risque d’une rupture se manifeste. Dit autrement, cela signifie la difficulté croissante des entrepreneurs politiques, à assurer leur reconduction au pouvoir, reconduction qu’ils achètent par de nouveaux crédits, payables par des citoyens... qui éventuellement ne sont pas encore nés.

La solution pourrait alors passer par un équilibre savant, et sans doute extrèmement fragile, assurant tout à la fois, le maintien relatif des avantages de la finance et des rentiers, celui des contribuables et des usagers des biens et services publics, et bien sûr l’intérêt supérieur des entrepreneurs politiques. Un équilibre passant par la division de la gestion de la dette publique en 2 compartiments : celui du mode marché pur et dur d’une part, et celui d’un mode plus hiérarchique d’autre part, le but étant de maintenir la matière première de la finance, tout en en limitant ses aspects toxiques pour les groupes qui en sont les victimes.

Casser le dette publique en plusieurs morceaux, afin de la rendre socialement moins explosive, peut constituer la prochaine Etape de la fuite en avant, face à l’insolvabilité généralisée. Et prochaine étape qui sera analysée dans un nouvel  article  s’intitulant : « Face à l'insolvabilite, ou comment casser le rocher de Sisyphe ».

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8 mars 2011 2 08 /03 /mars /2011 14:46


                                              

Nos articles antérieurs ont tous mis en évidence le caractère illusoire d’un possible remboursement des dettes publiques. Le texte qui suit décrit le circuit de la dette à partir d’un suivi des flux tels que représentés par la comptabilité nationale. sa lecture suppose une bonne connaissance de l'article "Banque centrale et Trésor: une très instructive histoire" et en particulier les développements consacrés aux modes marché et hièrarchique de gestion de la dette publique.

Soient les identités classiques suivantes :    Y= C + I + (G-T) +(X-M)

                                                                      et           Y= C + S

Dans lesquelles Y représente le PIB, C  la consommation, I  l’investissement, G les dépenses publiques, T  les prélèvements publics, X  les exportations, M  les importations, et S  l’épargne.

On en déduit que S = I + ( G-T) + ( X- M)

G – T représente le solde public, très déficitaire bien avant la crise  s’agissant de la France, il s’est considérablement aggravé depuis 2008. Ce solde a pour contrepartie, une augmentation des actifs financiers détenus par le secteur privé. En clair le solde représente des achats de bons du trésor par le secteur privé, d’abord des banques et compagnies d’assurances, puis des entreprises et des particuliers, résidents et non résidents.

Sans préjuger pour le moment du type de rapport qui peut s’établir entre le Trésor et la banque centrale, rapports étudiés dans les 3 articles consacrés à ce sujet, il est clair que la banque centrale est l’exécutrice  opérationnelle des consignes données, par les ordonnateurs et comptables du Trésor. C’est en effet elle qui va débiter et créditer les comptes des banques, qui elles mêmes enregistrent en débits et en crédits, les paiements de l’impôt et les dépenses publiques. Il est donc logique de considérer Trésor et banque centrale, comme un bloc que l’on pourrait appeler « blog gouvernemental », par opposition au reste, que l’on pourrait désigner « bloc non gouvernemental » et qui est constitué d’agents financiers et non financiers résidents ou non.

Les écritures comptables dans le cas d’un mode marché de gestion de la dette

Un déficit public ( G> T) correspond ainsi à des flux  nouveaux  repérables selon les écritures suivantes:                                                                             

                Banque centrale                                                        Banques

A  _____________I_________________P        A  _____________I_________________P                  

                               I Compte du Trésor +             Bons du Trésor +  I Comptes des agents

                                                              _                                             Non financiers  +

 

                                                         Agents non financiers

                                         A______________I___________P

                                 Comptes bancaires     +              

Dans ce schéma , nous retenons l’hypothèse du mode marché de gestion de la dette, celle-ci apparaissant sous la forme d’achats de bons du Trésor par le secteur privé, ici les banques. Nous pourrions du reste sans difficulté envisager l’achat de bons par les agents non financiers eux- mêmes.

Ce qui modifierait les bilans de la manière suivante :

                Banques                                                             Agents non financiers

A____________I______________P                   A______________I_______________P

                          Comptes des agents                    Bons du Trésor   +                   

                          Non financiers      +              Comptes bancaires     + 

                                                        _                                                 _

                                                                                                                                                                                      

Précisons que ces deux schémas, correspondent bien à la réalité institutionnelle telle que vécue tout particulièrement dans la zone Euro. La création monétaire est le fait du système bancaire par le jeu du multiplicateur de crédit, la banque centrale ayant le monopole d’émission de monnaie légale.

Dans le premier schéma, l’achat de bons du Trésor ne s’opère pas directement à partir des actifs monétaires, dont sont bénéficiaires les agents non financiers jouissant de la dépense publique. Tout se passe comme s’il y avait couverture du déficit, par activation de la planche à billets, activation contrariée par le retrait de liquidités provoqué par l’achat de bons du Trésor. D’une certaine façon il y a éviction, puisque le choix des banques est de faire crédit au Trésor, au détriment d’autres crédits possibles au secteur privé. Mais il ne s’agit que d’une apparence, puisque la liquidité a augmenté d’un même montant en raison du déficit. Ainsi, et contrairement à ce qui est généralement enseigné, la politique budgétaire expansionniste, ne donne pas lieu à effet d’éviction. C’est dire que  le secteur privé n’a rien à craindre de la dette publique, et il faut regretter que l’on continue à lire régulièrement, que les Etats siphonnent les autres actifs, en raison de l’ampleur des montants levés par les agences publiques . (cf le texte de Pierre Sabatier « la dette publique pénalisera le marché des actions » dans la dernière publication du Cercle Turgot : « Rigueur ou relance ?» Eyrolles 2011).

Dans le second schéma, l’achat de bons est le fait des agents non financiers, qui d’une certaine façon, trouvent une opportunité de placement d’actifs monétaires issus du déficit, dont ils sont les bénéficiaires. Au fond, le déficit abondant les comptes des agents non financiers, est lui-même une épargne en quête de placement, ici sous la forme de titres publics.

L’introduction des non résidents ne change guère les choses. Si X –M < 0, il y a bien engendrement d’actifs monétaires en quête de placement,  éventuellement sous la forme de titres publics. C’est d’ailleurs massivement la situation américaine, les non résidents chinois disposants des actifs, contrepartie du déficit de la balance commerciale, qu’ils transforment en titres publics américains.

En mode marché de gestion de la dette, il apparait que les actifs financiers publics sont le résultat de la production d’une usine financière, comme des automobiles  sont le résultat d’une chaine d’assemblage. Et si en principe le marché de l’automobile est un marché mutuellement avantageux – les échangistes gagnent à l’échange comme l’enseigne la micro économie- il en est logiquement de même sur les actifs financiers publics : il existe une demande de dette publique, laquelle satisfait au besoin d’épargner. Les usines productrices d’automobiles satisfont aux besoins du transport, et les Etats producteurs de dettes satisfont au besoin d’épargner. Ce producteur de dettes qu’est l’Etat, est de fait un producteur d’épargne.

Et la présentation comptable est éclairante , notamment le second schéma, où l’on peut reprendre le bilan des agents non financiers construit pour suivre le flux du déficit, et le traduire dans le cas du marché de l’automobile. A l’actif, l’achat de bons du Trésor est remplacé par l’achat d’automobiles. Au passif, les comptes bancaires sont  abondés des revenus contreparties de la production d’automobiles. Ils sont  ensuite  débités de la valeur des automobiles achetées.

                                              Agents non financiers

                          A________________I_________________P

               Automobiles     +                        Comptes bancaires  +

     Comptes bancaires     +                                        

                                           -                    

 

Pour en revenir au mode marché de la dette publique, il n’existe  une offre de dette, que dans la mesure où existe une demande, elle-même en concurrence, avec d’autres actifs financiers produits dans le secteur privé. Et si la demande d’actifs publics est importante, c’est sans doute en raison de ses qualités spécifiques. Quelles sont les spécificités des actifs financiers publics ?

La première est sans nul doute la grande sécurité qu’ils offrent. Il s’agit dans les conditions normales d’un Etat de droit, de la classe  d’actifs la moins risquée, et la plus liquide qui soit, et ce évidemment en raison de la nature fort spécifique de son émetteur. Emetteur qui encore une fois - dans un Etat de droit, une structure qui respecte les droits de propriété - est beaucoup plus solide que tout émetteur privé.

La seconde spécificité découle de la première : parce que sécurisants,  les actifs financiers publics sont à la base d’une pyramide financière de très grande taille. Ils constituent la matière première de base, de toute l’industrie de l’assurance, et d’une bonne partie de l’industrie financière de l’épargne. Ils constituent ainsi le socle d’une accumulation du capital.

Le Trésor est ainsi par son déficit, un producteur irremplaçable de la matière première financière, et certains considèrent même que les innovations financières, telles la titrisation, furent historiquement les erzats de cette matière première sans risques, qui aurait été produite en quantité insuffisante, par des Etats insuffisamment déficitaires ( cf François Meunier : « face à la crise française de la dette publique, il faut changer sa gouvernance » in « Rigueur ou Relance »).

Les écritures comptables dans le cas d’un mode hiérarchique de gestion de la dette.

On peut tout d’abord supposer une contrainte type « plancher de bons du Trésor », contrainte massivement utilisée en France jusqu’au début des années 70. Dans ce cas, il y a évidemment disparition d’un marché de la dette publique avec disparition d’un prix – le taux de l’intérêt -  fixé par le marché. Nous sommes renvoyés au premier schéma, simplement que les bons du Trésor  apparaissant au bilan des banques, ne sont plus de l’ordre de l’achat volontaire, mais le produit de la contrainte publique. Pour le reste rien ne change, et le crédit obligatoire envers l’Etat – les planchers de bons du trésor sont une obligation juridique qui fût historiquement sous haute surveillance – n’affecte pas la capacité des banques à créer de la monnaie.  Le multiplicateur du crédit restant intact, la seule perte des banques se mesure dans la rémunération qu’elles perçoivent au titre de l’achat des bons du Trésor.

L’autre mode hiérarchique classique est la monétisation obligatoire sous la forme d’avances au Trésor. Avec les écritures suivantes :

                          Banque centrale                                                         Banques

     A_______________I________________P              A_____________I______________P

Avances au Trésor  +    Compte du trésor  +         Comptes au Trésor  +    Comptes des     

                                                                    _                                                  agents NF +

                                 Compte des banques +

                                                                                                                                                                                                       Agents non financiers

                                         A_________________I________________P

                                            Comptes bancaires  +

 

Là encore le multiplicateur du crédit n’est en aucune façon affecté . A l’inverse, la base monétaire étant plus grande, les potentialités inflationnistes se manifestent.

 

L’introduction des échanges extérieurs dans la gestion de la dette

Lorsque (X – M) > 0 les actifs financiers des agents non financiers  résidents augmentent ,

 ce qui est une autre façon de dire que la base monétaire s’accroit. La gestion en mode marché de la dette publique en est facilitée. Ce qui nous renvoie, à titre d’exemple, à la situation japonaise où sur une longue période, et au-delà de quelques accidents conjoncturels, déficit public et excédents extérieurs vont cohabiter. Avec la particularité que l’épargne interne augmentant, le coût de la dette, plus faible, favorisera son autocentrage sur l’économie nationale. En clair la demande de titres publics est massivement le fait d’agents résidents. Concrètement la gigantesque dette publique japonaise se trouve très peu internationalisée.

 

Lorsque (X – M) < 0 les actifs financiers des agents non financiers  résidents diminuent , et ceux  des non résidents augmentent .  Dans le cas d’un règlement du déficit en monnaie nationale, il y a toutes choses égales par ailleurs baisse du taux de change. A l'inverse ,le taux n’est pas affecté si les actifs financiers correspondants au déficit, sont réintroduits  dans le circuit. C’est le cas américain, où le déficit commercial est transformé en actifs publics. C’est aussi une situation où déficit public et déficit extérieur vont cohabiter , ce qu’on appellera dans la littérature les « déficits jumeaux ». Dans le cas d’un règlement du déficit en monnaie étrangère, la base monétaire décroit – il y a destruction de monnaie nationale en contrepartie d’une sortie devises -  et la gestion de la dette en mode marché en est contrariée.

D’une façon générale, le mode marché de gestion de la dette peut se prolonger, sans  réelles difficultés, si les comptes extérieurs sont durablement excédentaires.

Le mode hiérarchique de gestion de la dette écarte évidemment les non résidents, lesquels ne peuvent se manifester qu’en mode marché. Et il est vrai, que le mode hiérarchique n’à guère besoin d’une épargne étrangère pour fermer le circuit du Trésor. En revanche les craintes qu’il inspire, notamment sa réputation inflationniste,  peuvent affecter le taux de change.

Le mode hiérarchique de gestion de la dette soulève la question de la stabilité monétaire dans le cas où la base monétaire s’accroit à un rythme durablement plus rapide que celui du PIB.

Comme on le sait le Traité de Lisbonne fixe, dans un texte situé très haut dans la hiérarchie des normes, le choix du mode marché de gestion de la dette. Pour autant, il n’est en aucune façon un texte libéral, et nous avons longuement souligné – cf « mais des banquiers centraux libérés » dans « Banque centrale et trésor : une très instructive histoire- partie 1 » - le démantèlement organisé du « bloc gouvernemental », la banque centrale devenant une institution « sui generis ». 

   

 

A la lumière de cette présentation très mécanique de la dette publique,  nous examinerons dans un article ultérieur, les choix possibles des entrepreneurs politiques.

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26 février 2011 6 26 /02 /février /2011 15:34

                                                                                                                                            

                                                                                             

Au moment où les Etats européens s’acharnent à prendre des décisions douloureuses aux fins d’en finir avec la crise des finances publiques, il est intéressant de construire le scénario d’un monde où par décret, loi, voire dispositif constitutionnel, un plafond de dette serait fixé, plafond à partir duquel les ordonnateurs des dépenses publiques devraient cesser leur activité. Ce scénario est évoqué dans le tableau ci-dessous. Les résultats ne sont que prévisionnels, et sont construits à partir des informations et estimations disponibles forcément discutables, et révisables quotidiennement. Ainsi le taux d’intérêt moyen est une notion variable, et les valeurs indiquées sont probablement sous estimées puisque les taux instantanés à 10 ans étaient au 23 février de 8,77% pour l’Irlande, de 7,23% pour le Portugal, ou encore de 5,33% pour l’Espagne. A comparer avec les valeurs retenues, respectivement : 5,7 – 5,4 – 4,2. De la même façon les taux de croissance retenus sont eux-mêmes probablement optimistes en raison des politiques budgétaires restrictives et surtout simultanées dans la plupart des pays européens. Or on sait que le choc budgétaire à envisager, dépend fortement du mouvement de ces deux variables ( cf « Rachat de dette souveraine : ultime étape avant monétisation ? »). Recettes et dépenses publiques aujourd’hui programmées pour 2011, incluent les dépenses et recettes au titre des « Etats providences ». La dernière colonne est établie sur la base de l’hypothèse suivante : la totalité du choc est imputée sur les seules dépenses. On peut évidemment envisager un autre scénario.

 

Estimation du choc budgétaire à envisager pour stopper l’hémorragie de la dette publique

 

 

 

 

 

PIB 2010

En USD*

Dette publique

Fin 2010

En USD*

Déficit

2011

%PIB

Déficit

2010

%PIB

Taux

D’intérêt

moyen

Taux de

Croissance

2011

Dépenses

Publiques

2011

%PIB

Recettes

Publiques

2011

%PIB

Allemagne

3100

2387

-2,7

-4,2

2,7

2,2

47,2

42,5

Belgique

400

408

-4,6

-4,9

3,4

1,8

53,8

48,8

France

2200

1870

-6,3

-7,6

3,1

1,6

55,9

48,6

Italie

1940

2290

-4,3

-5,1

4

1,1

46

45,5

Espagne

1450

957

-6,4

-9,3

4,2

0,7

44,7

35,9

Portugal

250

215

-4,5

-7,3

5,4

-1

50,9

43

Irlande

175

136

-10,3

-17,7

5,7

0,9

46

33,9

Grèce

310

 

384

-7,4

-7,9

9

-3

48,4

38,5

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Charge

De la

Dette

%PIB

Solde

Budgétaire

2010

En USD*

Solde de

Stabilité

USD*

choc

budgétaire

En USD*

 

choc

Budgétaire

En %PIB

Choc

(hypothèse

Dépenses)

%dépenses

 

Allemagne

2,7

-130

12

142

4

10

 

Belgique

3,8

-19

6

25

6

11

 

France

2,9

-167

28

195

6

16

 

Italie

4,8

-99

66

165

8

18

 

Espagne

2,6

-134

33

167

11

25

 

Portugal

3,5

-18

11

29

13

22

 

Irlande

3,5

-30

65

95

54

118

 

Grèce

5,8

-24

46

70

13

46

 

 

*En milliards de dollars. Tableau construit à partir des statistiques de l’OCDE (oecd.org) et de la commission européenne (ec.europa.eu)

Les résultats sont éloquents. Ils révèlent des difficultés d’adaptation y compris pour l’Allemagne, pays dont la croissance de l’endettement fût considérable en 2010 (+18% selon l’Office Fédéral des Statistiques, chiffre publié le 21 février) ce qui est historique. L’énormité de cet accroissement fait du reste douter de la possibilité de tenir la règle constitutionnelle d’équilibre budgétaire à compter de 2016. Comme on le sait, cette croissance est due aux structures de défaisance mises en place pour sauver le système bancaire et en particulier l’Hypo Real Estate et la banque de Rhénanie-du-Nord – Westphalie WestLB.

Pour le reste, en dehors de la Belgique, deux groupes semblent devoir se constituer : France et Italie d’une part ; Espagne, Portugal, Irlande et Grèce d’autre part. Compte tenu de la double fonction des Etats (fonction régalienne et fonction sociale) on voit tout de suite que les choix sont extrêmement difficiles. Ainsi pour la France, pays équipé d’un Etat global dont les charges sont approximativement à 40% régaliennes et à 60% sociales, faire supporter le choc sur les seules dépenses, suppose un recul - certes massif- plus ou moins équilibré de son emprise. Tout ne peut être supporté par « l’Etat régalien » par exemple par la défense nationale, fonction régalienne par excellence : l’actuel budget des armées serait très loin d’y suffire. Et tout ne peut être supporté par « l’Etat providence », par exemple les dépenses de santé, dont l’annulation presque complète, serait requise pour satisfaire aux contraintes du choc (Il faudrait économiser environ 160 milliards d’euros sur un total d’environ 165 !). Quels que soient les choix retenus, ils sont douloureux. Eu égard au fonctionnement des marchés politiques, les choix seraient logiquement assez massivement orientés vers la minimisation des dépenses au titre de l’avenir : investissement global en berne, dégradation des équipements collectifs, vétusté des bâtiments publics  etc.

Bien évidemment, les cas irlandais et grecs sont autrement douloureux. Aucune issue n’est -pour ces pays-  envisageable : le texte bornant le plafond de la dette (loi, constitution) devenant le dernier, avant retour à « l’Etat de nature » pour les sociétés correspondantes.

Tout aussi évidemment, ce scénario du pire que l’on vient d’envisager ne se produira pas, et d’autres solutions que le mode marché de gestion de la dette seront mises en place. Toutefois, il faudra encore attendre, car les grandes entreprises politiques européennes, restent encore aujourd’hui, engluées dans le mythe selon lequel la crise de la dette pourra être dépassée avec les moyens classiques, c'est-à-dire aussi sans revisiter l’euro-système.

En attendant les compteurs continuent de tourner….

 

 

 

 

 

 

 

 

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22 février 2011 2 22 /02 /février /2011 10:59

 

Jacques Sapir vient de nous fournir quelques indications intéressantes concernant les efforts que doivent envisager les pays de la zone euro, pour ne pas aggraver leur endettement public en 2011. Si on se penche sur les maillons les plus faibles de la zone, à savoir la Grèce et l’Irlande , on voit immédiatement l’extraordinaire gravité de la situation dans le cadre du maintien d’un mode marché de gestion de la dette.

Un énorme choc budgétaire pour bloquer la croissance de la dette

Ainsi la Grèce , avec une dette de 124 points de PIB, un déficit public 2010 de -7,9 points de PIB, devrait connaitre en 2011 un excédent budgétaire de 12 points pour stopper l’hémorragie. En termes simples cela supposerait un choc budgétaire de 7,9 + 12 = 19,9 points de PIB.

L’Irlande, avec une dette de 78 points de PIB, un déficit public de -17,7 points de PIB, devrait connaitre en 2011 un excédent de 2,2 points pour stopper l’hémorragie. Soit un choc budgétaire 2011 de 17,7+ 2,2 = 19,9 points de PIB.

Curieusement, avec des situations structurellement assez différentes, les 2 Pays se devraient de connaitre un choc 2011 identiques, et choc  jamais rencontré au cours de l’histoire. Un choc modifiant  le périmètre des Etats dans des proportions encore jamais vues . Ainsi compte tenu du poids des Etats dans ces deux pays, le choc budgétaire correspondrait, soit à une division par 2 des dépenses publiques, soit à une augmentation des ressources publiques de plus de 6O% pour la Grèce, et de prés de 80% pour l’Irlande, soit à une combinaison de ses deux moyens. Impensable.

Comme les budgets des deux pays -certes en forte régression- ne programment pas un tel retournement, l’hémorragie va donc continuer en 2011. Notons du reste, que l’Espagne et le Portugal sont également dans une situation fort préoccupante, avec un choc budgétaire potentiel d’équilibre  de plus de 10 points de PIB.

Les calculs de Jacques Sapir, s’appuient évidemment sur l’équation d’équilibre de la dette, laquelle fait intervenir le taux de croissance économique d’une part, et le taux de l’intérêt d’autre part. En cas d’évolution négative de ces paramètres, la catastrophe est plus grande encore. Ainsi une élévation de 100 points de base des taux, et une diminution de 1 point du taux de croissance, se paient  d’un choc budgétaire passant de 19,9 à 25% de PIB.

Ce pharaonique  choc budgétaire est évidemment amorti  sur plusieurs années, et ce  en comptant sur un redémarrage de la croissance. Il faut toutefois avoir en tête que le temps ainsi passé, ne permet pas de bloquer l’aggravation de la dette. C’est dire qu’en 2012, malgré les importantes contractions budgétaires, la dette ne pourra que s’accroître . En clair, le choc réellement imposé en 2011 dans ces deux pays, quoique rude, est très loin des 19,9 points de PIB requis .

Au-delà, 3 éléments nous permettent de penser que le mode marché de gestion de la dette devra être rapidement abandonné pour ces deux pays. Le retour de la croissance dépend en effet de 3 éléments indispensables : une baisse des taux, un potentiel de dévaluation, un potentiel de marchés en développement. La baisse des taux est hors de portée, en raison même de l’impossibilité de bloquer l’hémorragie. Celle-ci continuant, les marchés intégreront cette information dans des taux qui ne peuvent que croître, et ainsi accroître le poids de la dette. Ensuite, par définition, Il n’existe pas dans la zone euro de possibilité de dévaluation. Puisqu’il y a monnaie unique, seule la déflation interne est possible. Enfin tous les pays de la zone connaissent des contractions budgétaires tandis que les échanges se font essentiellement à l’intérieur de la zone, un espace par conséquent déprimé. Au total,  Il n’y a  aucune possibilité de croissance limitant le poids de la dette. Et la situation de dépression n’est pas à exclure.

C’est parce que la situation apparait bloquée que Grèce et Irlande, ont déjà plus ou moins abandonné le mode marché de gestion de la dette, en utilisant les services du FESF, qui sans les faire passer au mode hiérarchique, permet de les mettre à l’abri de la pression des marchés.

Qui a intérêt au rachat de dette souveraine ?

Les risques et coûts correspondants étant reportés sur les autres pays, beaucoup réfléchissent sur la problématique du rachat de la dette censée alléger les charges. C’est ainsi que Jacques Delpla dans les Echos du 9/2/11 : « le scoubidou de la dette grecque » explique ce qu’il appelle « l’opération ouzo² ».

En termes simples, il s’agit de retourner les forces d’un marché contraire, afin de mieux protéger le débiteur public. Classiquement, lorsque le Trésor grec utilise les capitaux du FESF pour  rembourser les titres venus à échéance, il ne fait qu’honorer ses engagements et n’améliore en rien  sa situation, puisqu’en théorie, il lui faudra rembourser les fonds mobilisés pour ce premier remboursement. Maintenant, si avec les mêmes capitaux mis à disposition par le FESF, il rachète de la dette sur le marché secondaire, il diminue son endettement total de la différence entre la valeur d’émission des titres et leur valeur de marché, nécessairement plus faible, en raison du risque grec que les marchés intègrent.

Prenons un exemple : si le Trésor Grec utilise 50 milliards d’euros (sur les 110 qui à terme seront mis à sa disposition par le FESF) pour acheter  des titres qui, à leur valeur d’émission totalisent 50 milliards, et qui ne valent que 40 en raison de la décote de cours, il y a effectivement un gain de 10 milliards. Et gain qui permettra de faire face à d’autres échéances. Lorsque les capitaux du FESF servent directement à payer les échéances, ou à financer le déficit, il n’y a pas amélioration du bilan du Trésor. A l’inverse, lorsque ces mêmes capitaux, servent à acheter de la dette décotée sur le marché secondaire, il y a amélioration du Bilan du Trésor.

On peut du reste envisager que le « gain » revienne plutôt au FESF qui pourrait lui-même intervenir sur le marché, au moins pour partie, et ainsi alléger le poids de ses interventions sur le Trésor grec.

On voit pourtant très vite les limites d’une telle opération, dont l’objectif est fort différent de celui d’un rachat de capital, par des entreprises soucieuses de faire monter les cours, où d’augmenter la masse distribuable de profit. Plusieurs cas de figure peuvent être envisagés :

La totalité des capitaux mis à disposition sert au rachat de la dette ancienne. Dans ce cas, le financement de l’augmentation de la dette ( le choc budgétaire d’équilibre n’étant  pas atteint) se produit par un retour au marché classique. Mais surtout la dette ancienne voit son cours se raffermir, par hausse de sa demande et intégration par le marché de la volonté absolue de ne point faire défaut. Le bilan du Trésor ne s’améliore pas, et la valeur de rachat rejoignant la valeur d’émission, le gain disparait. Le spread de taux diminue…mais sur la base d’une dette globale qui continue à augmenter. Une façon originale de gagner encore un peu de temps.

Une partie faible des capitaux mis à disposition par le FESF sert discrètement au rachat de dette ancienne, ce qui permet à la partie restante de faire face aux échéances et au déficit courant, et donc de maintenir le pays à l’abri des marchés . Dans ce cas, le bilan du Trésor ne s’améliore guère, en raison d’un simple échange de dette qui n’est pas compensé par un écart de prix, entre nouvelle dette et dettes anciennes, dont les flux  sont  marginaux. L’intervention du Trésor sur la dette ancienne est trop faible pour en modifier le cours… et aussi trop marginale pour changer durablement les choses. Là encore on ne fait que gagner du temps. La dette reste sous surveillance, et le risque de défaut se reporte sur le FESF, donc sur l’ensemble de l’Europe.

Les capitaux mis à disposition sont répartis équitablement. Il s’agit d’une situation intermédiaire qui n’est claire pour aucun des acteurs : les cours peuvent remonter et le gain se réduire ; la dette ne peut se dégonfler- si elle se dégonfle -  que  très lentement ; les risques de défaut ne sont pas complètement évacués.

Au total, quelles que soient les modalités d’un rachat de dettes publiques avec les fonds disponibles du FESF, l’intérêt n’est guère évident. Plus exactement, les acteurs du jeu ainsi créé par le mécanisme du rachat, connaissent des intérêts  divergents. Lorsque l’ensemble des capitaux alloués par le FESF sert au rachat, l’acteur gagnant est le rentier, qui voit la garantie d’un remboursement, alors même qu’il peut empocher le prix du risque, sous la forme d’un taux qui était éventuellement plus élevé au moment de l’achat. L’acteur potentiellement perdant est le FESF, et donc les Etats qui en sont les actionnaires, puisque l’opération n’améliore pas le bilan du Trésor aidé. L’Etat bénéficiaire de l’opération « ouzo² » (Grèce, voire Irlande et éventuellement d’autres pays) est en position d’indifférence. Dans les autres cas (caractère marginal du rachat ou partage des fonds FESF entre rachat et intervention directe sur la liquidité du Trésor), le bilan est plus défavorable au rentier et moins aux actionnaires du FESF. 

On comprend dès lors que le gouvernement allemand, qui envisage peut –être encore de faire payer une partie du prix de la crise par les rentiers à partir de 2013, soit aussi le premier à s’opposer au principe du rachat, à grande échelle, de dette souveraine à partir de fonds européens. On comprend à l’inverse que le système financier y soit favorable.

 

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