Avec la mise sur le devant de la scène d’une nouvelle aide aux banques, la grande crise des années 2010 semble avoir bouclé un premier tour de piste : sa présence jusqu’alors peu visible, s’est révélée fracassante avec la première crise bancaire (2007-2008), pour réapparaitre comme crise des Etats (2009 jusqu’à aujourd’hui), et revenir depuis cet automne sous sa forme de crise bancaire.
La question est alors de savoir si le cycle de ses métamorphoses peut se reproduire. La réponse est clairement négative.
La grande crise n’est pas une ronde
Plutôt crise américaine de dettes privées en 2008, ses métamorphoses en font en cette fin d’année 2011, une crise plutôt européenne et plutôt crise de dettes publiques. Transformation essentielle qui inaugure de l’impossibilité d’un nouveau tour de piste : la crise bancaire de 2008 pouvait connaitre l’apaisement dans la générosité des Etats ; celle de 2011 est indissolublement bancaire et publique. Et désormais le couple banques/ Etats ne pourra plus trouver de collaboration avantageuse : des solutions radicales finiront probablement par s’imposer.
En 2008 la collaboration fût avantageuse, et la survie du système financier, assurée par la générosité publique, fût payée d’un maintien de l’ordre social, ordre dont la charge revient traditionnellement aux Etats. On n’insistera jamais suffisamment sur les coûts liés à l’effondrement d’un système social engendré par un « bank run » : la disparition de la monnaie, faisant apparaitre la brutalité du face- à- face, entre agents luttant pour leur simple survie. De ce point de vue, les banques ont d’une certaine façon assurée – sans aucun effort, certes - la contre -partie de la gigantesque aide publique : l’ordre a été maintenu.
En cette fin 2011, la collaboration est devenue impossible, et la guerre à l’intérieur du couple devient – à très court terme – le possible avenir qu’il conviendrait d’éviter. En 2007/2008, il n’y avait apparemment qu’une crise, en 2011 il y en a 2 : bancaire et publique. Et il s’agit des 2 faces d’une même réalité : Parce que – souvent du fait de banques devenues à tout le moins fragiles - des Etats sont devenus insolvables, les banques sont devenues des entités éminemment suspectes et dangereuses….qui en toute hypothèse ne peuvent qu’aggraver l’insolvabilité publique. Comme les Etats ne sont pas des abstractions mais des réalités travaillées par des marchés politiques reposant eux-mêmes sur des réalités socio-économiques , ils réagiront sans doute avec plus ou moins de force.
En attendant cette logique finissante - d’échanges mutuellement avantageux à l’intérieur du couple- se manifeste clairement dans la question de la recapitalisation des banques. Sans –si l’on ose ainsi s’exprimer- un tiers acteur au delà du couple, il n’est plus possible de recapitaliser les banques sans risques de marché pour les Etats fragilisés. Affirmation qu’il convient d’explorer.
Le couple Trésors/banques : il n’y a plus rien à échanger
Tout d’abord, on sait maintenant que la recapitalisation, longtemps évacuée, s’avère nécessaire. Parce que la valeur de nombre de dettes souveraines s’érode dans les actifs bancaires, les capitaux propres s’évaporent et la tentative de remédier à l’insolvabilité par amaigrissement des bilans se heurte à la pérennisation des activités de crédit… donc la croissance des PIB... et donc des ressources fiscales…et donc un maintien du « service de la dette », seul susceptible de maintenir à flots les banques. Dans le même temps, s’agissant des banques européennes et notamment françaises, le refinancement en dollars pour les activités de financement et d’investissement est devenu problématique, tandis que les marchés interbancaires s’affaissent , avec la perte de confiance qui se manifeste, par des dépôts journaliers de plus en plus importants auprès de la BCE. Face à cette fragilisation, il ne peut y avoir de réel sauvetage , car le retour à la solidarité à l’intérieur du couple, suppose des prises de participations publiques , ou au moins des garanties ,qui ne peuvent qu’entrainer un climat de défiance sur les dettes souveraines : augmentation des taux et prix des CDS sur dettes souveraines, avec augmentation du coût du service de la dette (5 milliards d’euros pour 100 points de base s’agissant de la France). Défiance se soldant évidemment par une baisse de notation aux effets dévastateurs. Les actuelles péripéties concernant le second sauvetage de DEXIA sont à cet égard fort révélatrices : l’Etat français se cache derrière la Caisse des Dépôts et Consignations pour ne pas apparaitre en première ligne dans le sauvetage, toutefois la Caisse ne veut pas prendre le risque d’une baisse de notation l’affectant, d’où sa demande de garantie publique …que précisément le Trésor ne veut pas donner en raison des risques sur sa propre notation. Le même Trésor pouvant considérer qu’il s’est déjà mis en danger, dans l’accord de garanties au titre des emprunts de DEXIA, pour financer des crédits toxiques auprès de collectivités publiques françaises. Tout aussi révélatrice est la décision provisoire de ne pas abonder le FESF, qui pourrait engager encore plus la France, au double risque d’une dégradation de note de ce dernier pays, et la montée sur le front de la seule Allemagne comme dernier rempart. On pourrait aussi prendre l’exemple de l’Espagne, dont l’Etat, pour se protéger, souhaite s’éloigner des banques, tout en sachant que ce n’est pas possible. Les agences de notation elles mêmes, savent implicitement qu’il n’y a plus de possibilités de gains à l’échange à l’intérieur du seul couple Banques /Trésors, comme cela pouvait exister en 2008. Ainsi Moody’s vient de baisser la note de nombre de banques britanniques au motif que l’Etat correspondant n’est plus en mesure de leur venir en aide. On pourrait multiplier les exemples montrant l’épuisement des solutions dans le cadre du couple traditionnel. Même les partages des « tâches » entre les deux partenaires, s’avèrent impraticables : tel est le cas du plan volontaire d’échange de la dette grecque, qui se trouve victime d’un problème classique de passager clandestin, chaque banque ayant intérêt à laisser sa voisine annoncer un effort financier. Au total le volontariat des banques censé soulager les Etats devient refus non avoué. Stratégie qui sera finalement perdante, à l’instar de celle du célèbre « dilemme du prisonnier », puisque finalement les banques seront amenées, à perdre davantage dans le cadre du reprofilage de l’accord du 21 juillet sur la dette grecque.
A ce stade, le couple n’est pas en guerre, notamment dans les zones où -à tort ou à raison- il est estimé que l’on peut encore gagner du temps et éviter une réelle recapitalisation. On reconnait ici le cas des banques françaises qui, très impliquées dans le sud de l’Europe, s’appuient encore totalement – avec beaucoup de rationalité et de pugnacité - sur l’aléa moral pour refuser toute recapitalisation aux effets internes jugés désagréables : dilution du capital, perte d’autonomie, surveillance des rémunérations, mise en cause du concept de banque universelle, etc. Refus qui peut même devenir accusateur au niveau de la Fédération Bancaire Française (FBF), la recapitalisation y apparaissant comme bouc émissaire d’un Etat , cherchant à cacher ses propres difficultés en matière de dette souveraine.
Vers un ménage à 3.
Le ménage à deux n’est plus en mesure de tenir le front de la crise très longtemps. Par contre, l’adjonction d’un tiers- la banque centrale- peut s’avérer avantageux. Jusqu’ici cette dernière restait assez largement en dehors du couple, et n’intervenait que pour garantir la grande inégalité entre les partenaires : la lutte contre l’inflation et l’application stricte de l’article 123 du traité de Lisbonne garantissaient institutionnellement « l’exploitation », au sens marxiste du terme, des Etats par les banques.
De fait, il y a eu ménage à 3 dès les premiers développements de la grande crise : ce fût dès 2007 la mise en place de mesures dites non conventionnelles : achats massifs de titres toxiques, accès illimités à la liquidité, interventions sur les marchés secondaires de dettes souveraines, etc. En ce mois d’octobre, ce tiers sauveur qu’est la BCE réaffirme sa solidarité auprès des banques et renonce à son plan de lutte contre l’addiction à la liquidité. Elle accepte de fait un statut de « bad bank » pour des montants grandissants qu’elle ne peut contenir qu’en étoffant le système des assistances urgentes auprès des banques centrales domestiques ( « Emergency liquidity Assistance » - ELA).
Mais surtout, le tiers sauveur intervient de plus en plus massivement sur le cours des dettes souveraines malmenées (Grèce, Italie, Espagne, etc.), ce qui, d’un même geste , maintient plus ou moins artificiellement la solvabilité relative des banques , et les possibilités d’accès au crédit au profit des Etats. Les choses peuvent aller plus loin, et certains Etats affectionnent l’idée s’un subventionnement du FESF par la BCE, subventionnement rendu possible par la transformation institutionnelle du FESF en banque publique. Travail juridique de plus en plus sophistiqué, permettant, progressivement, de contourner l’article 123 du traité de Lisbonne.
Tout ceci pour encore gagner un peu de temps, et retarder de grandes décisions que les marchés politiques ne peuvent engendrer sans grands risques.
La prochaine étape est pourtant évidente, y compris pour les acteurs- à l’instar d’ Edouard Carmignac- qui ont tant bénéficié, de la grande inégalité à l’intérieur du couple. Cette étape sera l’intervention massive de la BCE, non plus sur les banques et les marchés secondaires de la dette souveraine, mais directement sur les marchés primaires. Les entrepreneurs politiques, notamment français, auront beaucoup de difficultés à convaincre leurs collègues allemands, mais la violence de la crise laisse penser que cette étape sera franchie. Ce qui ne veut évidement pas dire que tout sera alors réglé, puisque le défaut de construction de la zone euro restera un gros chantier. Et contrairement à ce que disent les nouveaux titulaires du prix Nobel de sciences économiques (Sargent et Sims) la résolution de la crise , pour sa partie européenne, n’est pas un jeu d’enfants : nous ne sommes pas en 1787, et nous ne sommes pas aux Etats-Unis.