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11 octobre 2011 2 11 /10 /octobre /2011 14:11

                               

Avec la mise sur le devant de la scène d’une nouvelle aide aux banques, la grande crise des années 2010 semble avoir bouclé un premier tour de piste : sa présence jusqu’alors peu visible, s’est révélée fracassante avec la première crise bancaire (2007-2008), pour réapparaitre comme crise des Etats (2009 jusqu’à aujourd’hui), et revenir depuis cet automne sous sa forme de crise bancaire.

La question est alors de savoir si le cycle de ses métamorphoses peut se reproduire. La réponse est clairement négative.

La grande crise n’est pas une ronde

Plutôt crise américaine de dettes privées en 2008, ses métamorphoses en font en cette fin d’année 2011, une crise plutôt européenne et plutôt crise de dettes publiques. Transformation essentielle qui inaugure de l’impossibilité d’un nouveau tour de piste : la crise bancaire de 2008 pouvait connaitre l’apaisement dans la générosité des Etats ; celle de 2011 est indissolublement bancaire et publique. Et désormais le couple banques/ Etats ne pourra plus trouver de collaboration avantageuse : des solutions radicales finiront probablement par s’imposer.

En 2008 la collaboration fût avantageuse, et la survie du système financier, assurée par la générosité publique, fût payée d’un maintien de l’ordre social, ordre dont la charge revient traditionnellement aux Etats. On n’insistera jamais suffisamment sur les coûts liés à l’effondrement d’un système social  engendré par un « bank run » : la disparition de la monnaie, faisant apparaitre la brutalité du face- à- face, entre agents luttant pour leur simple survie. De ce point de vue, les banques ont d’une certaine façon assurée – sans aucun effort, certes -  la contre -partie de la gigantesque aide publique : l’ordre  a été maintenu.

En cette fin 2011, la collaboration est devenue impossible, et  la guerre à l’intérieur du couple devient – à très court terme – le  possible  avenir qu’il conviendrait d’éviter. En 2007/2008, il n’y avait apparemment qu’une crise, en 2011 il y en a 2 : bancaire et publique. Et il s’agit des 2 faces d’une même réalité : Parce que – souvent du fait de banques devenues à tout le moins fragiles  - des Etats sont devenus insolvables, les banques sont devenues des entités éminemment suspectes et dangereuses….qui en toute hypothèse ne peuvent qu’aggraver l’insolvabilité publique. Comme les Etats ne sont pas des abstractions mais des réalités travaillées par des marchés politiques reposant eux-mêmes sur des réalités socio-économiques  , ils réagiront sans doute avec plus ou moins de force.

En attendant  cette logique finissante - d’échanges mutuellement avantageux  à l’intérieur du couple- se manifeste clairement dans la question de la recapitalisation des banques. Sans –si l’on ose ainsi s’exprimer- un tiers acteur au delà du couple, il n’est plus  possible de recapitaliser les banques sans risques de marché pour les Etats fragilisés. Affirmation qu’il convient d’explorer.

Le couple Trésors/banques : il n’y a plus rien à échanger

Tout d’abord, on sait maintenant que la recapitalisation, longtemps évacuée, s’avère nécessaire. Parce que la valeur de nombre de dettes souveraines s’érode dans les actifs bancaires, les capitaux propres s’évaporent et la tentative de remédier à l’insolvabilité par amaigrissement des bilans se heurte à la pérennisation des activités de crédit… donc la croissance des PIB... et donc des ressources fiscales…et donc un maintien du « service de la dette », seul susceptible de maintenir à flots les banques.  Dans le même temps, s’agissant des banques européennes et notamment françaises, le refinancement en dollars pour les activités de financement et d’investissement est devenu problématique, tandis que les marchés interbancaires s’affaissent , avec la perte de confiance qui se manifeste, par des dépôts journaliers de plus en plus importants auprès de la BCE. Face à cette fragilisation, il ne peut y avoir de réel sauvetage , car le retour à la solidarité à l’intérieur du couple, suppose des prises de participations publiques , ou au moins des garanties ,qui ne peuvent qu’entrainer un climat de défiance sur les dettes souveraines : augmentation des taux  et prix des CDS sur dettes souveraines, avec augmentation du coût du service de la dette (5 milliards d’euros pour 100 points  de base s’agissant de la France). Défiance se soldant évidemment par une baisse de notation aux effets dévastateurs. Les actuelles péripéties concernant le second sauvetage de DEXIA sont à cet égard fort révélatrices : l’Etat français se cache derrière la Caisse des Dépôts et Consignations pour ne pas apparaitre en première ligne dans le sauvetage, toutefois la Caisse ne veut pas prendre le risque d’une baisse de notation l’affectant, d’où sa demande de garantie publique …que précisément le Trésor ne veut pas donner en raison des risques sur  sa propre notation. Le même Trésor pouvant considérer qu’il s’est déjà mis en danger, dans l’accord de garanties au titre des emprunts de DEXIA, pour financer des crédits toxiques auprès de collectivités publiques françaises. Tout aussi révélatrice est la décision provisoire de ne pas abonder le FESF, qui pourrait engager encore plus la France, au double risque d’une dégradation de note de ce dernier pays, et la montée sur le front de la seule Allemagne comme dernier rempart. On pourrait aussi prendre l’exemple de l’Espagne, dont l’Etat, pour se protéger, souhaite s’éloigner des banques, tout en sachant que ce n’est pas possible. Les agences de notation elles mêmes, savent implicitement qu’il n’y a plus de possibilités de gains à l’échange à l’intérieur du seul couple  Banques /Trésors, comme cela pouvait exister en 2008. Ainsi  Moody’s vient de baisser la note de nombre de banques britanniques au motif que l’Etat correspondant n’est plus en mesure de leur venir en aide. On pourrait multiplier les exemples montrant l’épuisement des solutions dans le cadre du couple traditionnel.  Même les partages des « tâches » entre les deux partenaires, s’avèrent impraticables : tel est le cas du plan volontaire d’échange de la dette grecque, qui se trouve victime d’un problème classique de passager clandestin, chaque banque ayant intérêt à laisser sa voisine annoncer un effort financier. Au total le volontariat des banques censé soulager les Etats devient refus non avoué. Stratégie qui sera finalement perdante, à l’instar de celle du célèbre « dilemme du prisonnier », puisque finalement les banques seront amenées, à perdre davantage dans le cadre du reprofilage de l’accord du 21 juillet sur la dette grecque.

A ce stade, le couple n’est pas en guerre, notamment dans les zones où -à tort ou à raison-  il est estimé que l’on peut encore gagner du temps et éviter une réelle recapitalisation. On reconnait ici le cas des banques françaises qui, très impliquées dans le sud de l’Europe, s’appuient encore totalement – avec beaucoup de rationalité et de pugnacité  -  sur l’aléa moral pour refuser toute recapitalisation aux effets internes jugés désagréables : dilution du capital, perte d’autonomie, surveillance des rémunérations, mise en cause du concept de banque universelle,  etc. Refus qui peut même devenir accusateur au niveau de la Fédération Bancaire Française (FBF), la recapitalisation y apparaissant comme bouc émissaire d’un Etat , cherchant à cacher ses propres difficultés en matière de dette  souveraine.

Vers un ménage à 3.

Le ménage à deux n’est plus en mesure de tenir le front de la crise très longtemps. Par contre, l’adjonction d’un tiers- la banque centrale-  peut s’avérer avantageux. Jusqu’ici cette dernière restait assez largement en dehors du couple,  et n’intervenait que pour garantir la grande inégalité entre les partenaires : la lutte contre l’inflation et l’application stricte de l’article 123 du traité de Lisbonne garantissaient institutionnellement « l’exploitation », au sens marxiste du terme, des Etats  par les banques.

De fait, il y a eu ménage à 3 dès les premiers développements de la grande crise : ce fût dès 2007 la mise en place de mesures dites non conventionnelles : achats massifs de titres toxiques, accès illimités à la liquidité, interventions sur les marchés secondaires de dettes souveraines, etc. En ce mois d’octobre, ce tiers sauveur qu’est la BCE réaffirme sa solidarité auprès des banques et renonce à son plan de lutte contre l’addiction à la liquidité. Elle accepte de fait un statut de « bad bank » pour des montants grandissants qu’elle ne peut contenir qu’en étoffant le système des assistances urgentes auprès des banques centrales domestiques ( « Emergency liquidity Assistance » - ELA).

Mais surtout, le tiers sauveur intervient de plus en plus massivement sur le cours des dettes souveraines malmenées (Grèce, Italie, Espagne, etc.), ce qui, d’un même geste , maintient plus ou moins artificiellement la solvabilité relative des banques , et les possibilités d’accès au crédit au profit des Etats. Les choses peuvent aller plus loin, et certains Etats affectionnent l’idée s’un subventionnement du FESF par la  BCE, subventionnement rendu possible par la transformation institutionnelle  du FESF en banque publique. Travail juridique de plus en plus sophistiqué, permettant,  progressivement, de  contourner l’article 123 du traité de Lisbonne.

Tout ceci pour encore gagner un peu de temps, et retarder de grandes décisions que les marchés politiques ne peuvent engendrer sans grands risques.

La prochaine étape est pourtant évidente, y compris pour les acteurs- à l’instar d’ Edouard Carmignac-  qui ont tant bénéficié, de la grande inégalité à l’intérieur du couple. Cette étape sera l’intervention massive de la BCE, non plus sur les banques et les marchés secondaires de la dette souveraine, mais directement sur les marchés primaires. Les entrepreneurs politiques, notamment français, auront beaucoup de difficultés à convaincre leurs collègues allemands, mais la violence de la crise laisse penser que cette étape sera franchie.  Ce qui ne veut évidement pas dire que tout sera alors réglé, puisque le défaut de construction de la zone euro restera un gros chantier. Et contrairement à ce que disent les nouveaux titulaires du prix Nobel de sciences économiques  (Sargent et Sims) la résolution de la crise , pour sa partie européenne,  n’est pas un jeu d’enfants :  nous ne sommes pas en 1787, et nous ne sommes pas aux Etats-Unis.

 

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3 octobre 2011 1 03 /10 /octobre /2011 07:15

                                               

La question du statut des banques centrales n’est jamais évoquée dans le grand débat concernant la crise financière. Il faut pourtant rappeler, pour ne prendre que l’exemple français, que la banque de France, après avoir été nationalisée au lendemain de la guerre, fût entièrement soumise au Trésor jusqu’à la loi du 3  janvier 1973, loi qui devait  instaurer une stricte séparation et surtout une indépendance complète par rapport à l’exécutif. Texte qui devait être confirmé et durci dans le cadre du traité de Lisbonne (article 123).

S’affranchir de la dure loi d’airain de la monnaie

Conçue comme instrument de la reconstruction du pays, la banque centrale de l’après guerre,  allait affranchir la communauté nationale de contraintes jusqu’alors fixées par les croyances monétaires : oui, la monnaie n’est qu’une convention sociale puisque réellement créée  à partir de rien ; oui, la planche à billets, si elle est correctement manœuvrée permet de mettre fin à la loi d’airain de la monnaie. Pourtant dure loi – il est vrai- jusqu’alors ressentie à toutes les époques,  où l’affranchissement vis-à-vis du métal précieux, se soldait invariablement dans le drame ( Système de Law , Assignats, etc.). La gestion monétaire, habilement menée après la seconde guerre mondiale, que l’on soit en France ou ailleurs, a autorisé des investissements publics gigantesques- investissements dont on aurait tant besoin aujourd’hui- en mettant fin à la pénurie monétaire et aux taux d’intérêts associés.

De ce point de vue, l’indépendance aujourd’hui partout constatée des banques centrales, fût un cruel retour en arrière vers l’aliénation monétaire : l’inflation, pourtant disparue depuis longtemps – les années 60 qui précèdent l’indépendance furent beaucoup plus sages que celles qui suivirent -  faisant figure de diable pour les tenants de cette régression.

Bien  que la question de la dette publique ait disparu alors même que l’endettement était gigantesque au lendemain de la guerre, elle  va réapparaitre dès la proclamation de l’indépendance de la banque centrale

La régression indépendantiste

Désormais, il devient interdit aux banques centrales de créer de la monnaie au profit des Trésors, et donc, le recours à l’endettement ne passe plus par l’autorité des exécutifs qui fixaient les prix et les taux (généralement ces derniers  étaient  nuls). A l’inverse, désormais tout passera par un curieux marché aux caractéristiques suivantes : un groupe de banques va détenir le monopole d’achat de bons du Trésor (les fameux « Spécialistes en Valeurs du Trésor » -SVT-  de l’agence France Trésor pour ce qui concerne la France), et il deviendra interdit aux particuliers d’acheter directement, comme ils pouvaient le faire dans  le passé, des bons du Trésor. Situation qui correspondrait- pour donner un exemple simple - à celle d’un propriétaire de verger à qui il serait interdit de consommer sa propre récolte, laquelle pourrirait sur place,  et qui devrait acheter les fruits qu’il convoite,  à un groupe d’entreprises bien ciblé,  à l’exclusion de toutes les autres.

Situation, à tout le moins extraordinaire, qui fait émerger deux   marchés.  L’un sera celui de  la dette publique lequel consacrera le retour  au 19ième siècle, époque où il n’était pas devenu évident que la monnaie n’est qu’une convention sociale. Le  second, sera celui de l’épargne de nombreux ménages qui jusque là se contentaient d’acheter des bons du Trésor, directement auprès des organismes publics chargés de leur diffusion. Ils  achetaient de la matière brute (bons en directs) ; ils achètent désormais des produits plus complexes aux banques, qui se sont réservés l’achat de la matière première, qu’elles transforment en produits d’épargne.

La fin de l’autorité monétaire rétablit ainsi artificiellement la pénurie monétaire de jadis – comme à

l’époque des bases métalliques- et le coût qui lui est associé : désormais, il y aura un service de la dette publique qui représentera la charge d’intérêts d’une ressource, dont la rareté est une construction toute politique.

Le choix du gaspillage de fonds publics

Vu sous un autre angle, l’indépendance des banques centrales annoncée comme la seule mesure efficace de lutte contre l’inflation, correspond à un intense gaspillage de fonds publics : en interdisant le lien traditionnel entre le Trésor et la banque centrale, et en créant un marché monopolistique par ailleurs, le prix de la dette passe d’une valeur nulle à un prix positif. Cela correspond à 2, 5 points de PIB s’agissant de la France, et aujourd’hui – pour donner un exemple extrême - à 15 points de PIB s’agissant de la Grèce. Le gaspillage des ressources publiques est ainsi une obligation relevant de la loi, et plus encore, s’agissant de l’Euro-zone, de traités internationaux. Quant à la sempiternelle peur des marchés, elle n’est que la conséquence d’une construction politique, puisque ces mêmes marchés ont été politiquement construits.

A y regarder de plus prés, on peut se demander, si l’indépendance des banques centrales relève de ce qu’on appelle la  montée du libéralisme, ou à l’inverse, procéderait  plutôt d’un hold-up hélas planétaire. Les libertariens ont raison : la loi – en France celle du 3 janvier 1973- n’est que le résultat de la violence de quelques uns, bien décidés à prendre en otage l’ensemble de la population. A un moment où les dettes souveraines deviennent insupportables par l’effet d’un second – voire d’un troisième - hold-up à l’intérieur du premier (il fallait, parait-il, «  payer » pour sauver les banques en 2008, et il faudrait repayer aujourd’hui pour ces mêmes entités présentées comme victimes de la situation grecque)  qui viendra nous libérer ?

 

                                                                                             

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27 septembre 2011 2 27 /09 /septembre /2011 07:36

 

               

Les articles consacrés à l’histoire des rapports entre Banques centrales et Trésor (partie 1; partie 2; conclusions) nous ont permis de comprendre l’enjeu de la question de l’autonomie des instituts d’émission au regard des Etats. Curieusement la littérature consacrée à la crise n’évoque que fort rarement la question, tant l’indépendance semble être devenue une réalité aussi naturelle que le mouvement des planètes.

Le présent texte se propose de rappeler les modes d’articulation possible entre banque centrale et Trésor et d’en tirer toutes les conséquences en termes d’états du monde. Projet ambitieux en ce qu’il insinue que l’articulation susvisée serait une variable clé pour comprendre le mode de fonctionnement d’une société. Variable clé ne signifie toutefois pas une vision mécaniciste des choses, laquelle faut-il le rappeler  est erronée dans le domaine des sciences humaines. Pour nous, variable clé signifie plus modestement orientation de l’éventail des possibles. Ni mécanicisme  ni déterminisme, mais congruences fortes avec des caractéristiques elles mêmes essentielles pour identifier un état du monde.

Caractéristiques du scénario de la banque centrale soumise au Trésor.

François Rachline, dans un ouvrage insuffisamment remarqué (« D’où vient l’argent ?- panama ;2006) précise que les banques centrales sont l’outil qui permet l’alimentation monétaire des communautés humaines, lesquelles vont s’affranchir- grâce à ces mêmes banques- de la rareté des métaux précieux, et ainsi ouvrir l’éventail des possibles. Avec les banques centrales les hommes vont comprendre que la monnaie est , selon l’expression  de Bernard Lietar, « réellement crée à partir de rien » (« Au cœur de la monnaie  » ; Louise Michel ;2011). Création institutionnelle qui n’est que convention sociale et création institutionnelle au fond assez parallèle à l’émergence historique de la modernité, qui devait faire prendre conscience à ces mêmes communautés qu’elles ne sont plus gouvernées par les dieux mais bien par elles mêmes : tout devient possible.  Mais aussi création qui libère l’échange marchand de la pénurie monétaire : l’investissement et la production ne sont plus muselés par un crédit lui-même muselé par un stock monétaire largement hors des prises humaines : encore une fois tout devient possible. Les premières banques centrales – Anglaise, Française, etc.-  ne sont pas encore l’outil parfait de l’alimentation monétaire, puisque le détachement vis-à-vis du métal fût fort progressif et ne devient à priori définitif qu’avec la fin de la convertibilité du dollar en or le 15 Août 1971.

Ces banques centrales sont aussi historiquement en congruence avec les premiers épanouissements des formes « Etats de droit » de la grande aventure étatique. Ce qu’il faut comprendre de la manière suivante : le pouvoir monétaire se déplaçant de plus en plus vers les banques, les entrepreneurs politiques réagiront, en coiffant le système bancaire d’une camisole, obéissant elles mêmes à des règles fixées par ces mêmes entrepreneurs. Le système bancaire pyramidal et sous tutelle caractérisait bien un mode de partage très inégal des pouvoirs monétaires entre les banquiers et l’Etat.

Les banques centrales soumises au Trésor- telles que le monde les connaissaient jusqu’au dernier quart du 20ième siècle – engendraient ainsi des caractéristiques précises : finance enkystée dans les Etats, mode hiérarchique de la gestion de la dette publique, répression financière.

Parce que les banques centrales ne sont que le bras armé des Etats, les banques dites de second rang développent une activité qui est entièrement sous contrôle, activité qui à l’extrême se déploie à l’intérieur de ce qu’on appelait – s’agissant de la France- le  « circuit du Trésor ». Ce qui signifie une création monétaire privée très limitée sous le double étau de réserves obligatoires élevées et d’un taux de conversion en billets de banque centrale lui-même élevé.

Parce que libérée de beaucoup de contraintes, la dette publique devient indolore, voire bénéfique : il suffit que le Trésor se fasse exigeant sur l’abondement de son compte à la Banque centrale. Exigence devant toutefois s’inscrire dans un sentier contrôlé de dépréciation monétaire. Cela signifie que la banque centrale se trouve être la principale source – sous contrôle public -  de la création monétaire. Nous sommes bien en mode hiérarchique de gestion de la dette publique, mode qui permet -entre autres - des investissements publics massifs pour un coût en capital, politiquement déterminé c'est-à-dire proche de zéro.

Ce type d’articulation banque centrale/Trésor correspond bien évidemment à de la répression financière, répression jugée insupportable pour les acteurs du système bancaire. Parce que le jeu macro politique du moment laisse davantage de place à l’investissement et à la croissance qu’à celle de la lutte contre l’inflation, il est clair que l’éventail des possibilités se trouve réduit pour le monde financier. Ce qui allait devenir l’immense marché de la dette publique ne peut exister, et avec lui tous les produits financiers qu’il aurait pu engendrer. Les actifs financiers sont eux-mêmes rognés par l’effet ciseau de l’inflation d’une part et des taux de l’intérêt politiquement déterminés, ce qui signifie que leur conservation et leur accumulation dans les bilans bancaires est problématique. Ce qui signifie en conséquence que les activités de financiarisation resteront très limitées avec à l’échelle macroéconomique des  choix privilégiant plutôt des systèmes de protection par répartition que des systèmes par capitalisation.

Mais la répression financière développe d’autres conséquences. Parce que l’inflation affaisse considérablement les taux de l’intérêt réels, l’épargne est elle-même réprimée. D’où une fuite potentielle qu’il faut elle-même contenir par des barrières : contrôle des changes,  restrictions aux mouvements de capitaux, etc. Le scénario de la banque centrale soumise au Trésor est ainsi en congruence avec le stade de l’Etat- nation classique, et l’auto - centrage de son système productif. Mais la répression de l’épargne et de la création monétaire privée développe elle-même d’autres conséquences : les patrimoines financiers des ménages ne comportent pour l’essentiel que des titres privés classiques. Les titres publics –bons du Trésor achetés directement- ne concernent qu’un volume réduit en ce que le Trésor n’a guère besoin de recourir aux marchés pour faire face à la dette publique (avances de l’Institut d’émission et achats imposés d’obligations publiques par le système bancaire). Quant aux patrimoines non financiers, essentiellement l’immobilier des ménages, ils suivent l’évolution des prix en général et ne peuvent se transformer en bulles en raison de la faible capacité du système bancaire à créer de la monnaie privée. Autant de conséquences qui freinent le développement d’inégalités de patrimoines et favorisent à l’inverse la moyennisation de la société. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple le patrimoine global ne représentait que 3 fois le PIB dans la France des années 50 ( 6 fois le PIB aujourd’hui).

Bien comprendre la signification de l’indépendance des banques centrales

 Entre soumission et détachement il peut exister beaucoup de postures intermédiaires, et il est exact que la FED ou la BOE sont moins indépendantes que la BCE. S’agissant de cette dernière, il faut reconnaitre que la séparation est radicale, et l’objectif assigné de stabilité monétaire n’est pas une véritable mission de service public. En effet, si cet objectif n’avait pas été fixé par les autorités européennes, il se serait -pour autant - le plus naturellement du monde matérialisé. Il était en effet évident que la stabilité monétaire correspondait et à l’intérêt des dirigeants de la BCE, dans leur quête de notoriété voire de reconduction au pouvoir, et à celui du système bancaire. Un gouverneur sera davantage jugé sur l’inflation qu’il ne le sera sur le chômage ; quant au système bancaire l’intérêt de la stabilité monétaire n’est pas à démontrer.  Une réelle mission de service public n’existe que dans la mesure où les obligations qui en découlent s’opposent ou orientent le fonctionnement des marchés et leurs résultats. L’objectif assigné de stabilité monétaire n’avait pas besoin d’être imposé « de l’extérieur », c’est-à-dire les autorités européennes : il se serait spontanément manifesté, car maximisant les gains à l’échange entre les dirigeants de la BCE et les banques de second degré.

Au-delà, la radicalité de l’indépendance mérite d’être examinée de plus près.

Le passage au mode marché de gestion de la dette publique qui va en résulter peut être mieux compris en prenant l’image d’un propriétaire de verger à qui il serait juridiquement interdit de consommer la récolte  disponible, et qui dans le même geste se verrait obligé de se ravitailler en fruits auprès d’un groupe d’entreprises  bien ciblées , à l’exclusion – juridiquement établie -de toutes les autres.

Cette situation assez invraisemblable est pourtant celle constatée : La BCE ne peut évidemment abonder gratuitement le compte du Trésor, mais ne peut pas non plus entrer dans un rapport marchand direct avec ce dernier. Qui plus est, le même Trésor ne peut non plus entrer dans un relation marchande libre avec n’importe quel type d’acheteurs de dette publique. Ainsi, citoyens et Trésor ne peuvent envisager une relation marchande : seules les banques ont le monopole d’achat de la dette publique.

Sur un plan strictement juridique, cela signifie que l’Etat se voit interdire l’auto production pour ses propres besoins. Comme s’il était juridiquement interdit à l’entreprise Renault de fabriquer des moteurs pour ses besoins de fabrication de voitures. Economiquement cela signifie que s’agissant de l’Etat, celui-ci se doit d’être dans une logique de « buy », celle du « make » lui étant juridiquement interdite. Il est donc juridiquement interdit à l’Etat d’optimiser ses coûts et de procéder aux arbitrages couramment utilisés dans le mode des entreprises. Le gaspillage de ressources publiques devient ainsi une obligation juridique.

Toujours sur le même plan juridique, alors que le mode marché de gestion de la dette publique est devenu obligatoire, il est néanmoins fort particulier et fort sélectif puisque tous ne peuvent pas y participer. En particulier les ménages n’ont pas accès en direct aux bons du Trésor, ne peuvent plus y affecter leur épargne, tandis que les banques se voient offrir le monopole d’achat de la dette…et dans un même geste le grand gâteau d’une bonne partie de l’épargne des ménages qui ne peuvent acheter en direct de la dette publique. Le monopole des banques est ainsi opposable, et au Trésor, et aux épargnants, lesquels ne peuvent nouer entre eux de véritables échanges mutuellement avantageux. L’indépendance des banques centrales est ainsi privative de libertés fondamentales.

Ainsi, bien précisé, cet extraordinaire dispositif du marché de la dette publique, il est possible d’en tirer 2 remarques.

La première est celle d’un spectaculaire retour en arrière : alors que l’invention des banques centrales était devenue à terme un outil de  libération de l’humanité, une humanité jusqu’alors prisonnière de la pénurie métallique, mal compensée par  les douloureuses expériences du crédit et de l’endettement, les lois dites d’indépendances, promulguées dans le dernier quart du 20ième siècle, vont rétablir la loi d’airain de la monnaie. Les Etats dans leur stade démocratique vont retrouver les problèmes de dettes publiques qu’ils avaient si souvent rencontrés dans les stades antérieurs. Rareté et taux d’intérêts élevés vont brutalement s’imposer à des Etats qui se trouveront en compétition pour accéder à la ressource. Curieuse situation qui fera l’interrogation des futurs historiens : pourquoi les hommes se sont-ils brutalement coupés d’un outil essentiel d’accompagnement de ce qu’ils croyaient être le progrès ?

La seconde est celle de la confirmation de la nature profonde des Etats, laquelle est une réponse à la première question. Si effectivement – ainsi que l’affirme légèrement l’idéologie dominante- les Etats représentent l’intérêt général, on voit mal comment cette invention historique et libératoire de la banque centrale aurait pu connaitre un  retour en arrière aussi brutal. De fait, selon notre paradigme, la création des banques centrales est l’introduction d’un rapport de forces entre finance et entrepreneurs politiques ; et leur évolution, c’est – à –dire le passage au mode marché de gestion de la dette publique, correspond au renversement de ce rapport de forces, où la finance peut s’appuyer sur la cohorte des épargnants, pour imposer un système de règles du jeu devant bouleverser l’ensemble de la société.

Emergence d’un nouveau monde

Désormais, ce n’est plus la finance qui est enkystée dans les Etats, mais les Etats qui sont enkystés dans la finance : le problème de la dette qui avait disparu réapparait en pleine lumière. L’inflation disparaissant, les déséquilibres budgétaires engendrés par le fonctionnement courant des marchés politiques, se transforment en dette publique massive….pour le plus grand bonheur de la finance et des épargnants.

L’inflation maitrisée, et la création monétaire devenant un quasi monopole bancaire, permet un vaste mouvement de financiarisation de l’économie : bilans bancaires hypertrophiés – parfois plus lourds que les PIB des pays d’accueils- sont la contrepartie de la montée d’actifs désormais profitables. Les patrimoines financiers vont exploser car aussi alimentés par cette matière première toute nouvelle qu’est la dette publique. Les patrimoines immobiliers suivront en raison de la création monétaire massive et des innovations financières (titrisation notamment) toujours renouvelées. Explosion des patrimoines qui bien évidemment se manifeste chez ceux qui disposaient déjà d’une capacité d’épargne. D’où la montée bien connue des inégalités sociales.

Mais l’inflation maitrisée, c’est aussi la contestation des systèmes de protection par répartition au profit des systèmes de protection par capitalisation : les taux d’intérêt réels sont désormais positifs et sont aussi garantis par cette manne nouvelle qu’est le service de la dette (2,5 points de PIB pour la France aujourd’hui). Bien évidemment le mode marché de gestion de la dette est d’autant plus facile que celui –ci est profond, et plutôt que de voir les épargnants nationaux se constituer un porte feuille de titres publics acquis en direct auprès du trésor, il est préférable de mobiliser l’épargne mondiale que l’on revendra sous forme de produits sophistiqués, et parfois fiscalement aidés, aux épargnants nationaux. Cela signifie que l’indépendance des banques centrales se conçoit mieux, si elle s’accompagne d’une libre convertibilité monétaire et d’une totale liberté de circulation des capitaux, le tout accompagné d’une forte volonté dérégulatrice, elle-même libératrice de l’ingéniosité financière. Ainsi la dette publique aura souvent tendance à être détenue par des agents non résidents (environ 70% s’agissant de la France).

C’est dire que l’indépendance des banques centrales est en congruence avec l’idée de mondialisation. D’où des Etats exposés et fragilisés, qu’il faudra évaluer par des agences de notation, qui trouvent dans ce nouveau mode de gestion de la dette, l’émergence de nouveaux débouchés. Et le processus de fragilisation peut se faire croissant : parce qu’il faut surveiller le marché qui sanctionne à tout instant le prix de la dette publique, les Trésors seront progressivement amenés à d’apparentes postures de servitude volontaire. Tel est le cas des interminables négociations européennes sur les positions nues sur CDS, et les ventes à découvert, où l’on voit des Etats très fragilisés- Espagne, Italie etc. - n’osant tenter le durcissement de la réglementation, de peur d’affecter la liquidité du marché de leur dette souveraine. D’où aussi le débat devenu éternel sur l’agence de notation publique, que l’on aimerait créer, mais qu’on ne peut mettre en place, sans le risque de voir le marché considérer que son caractère public, est bien le signe de turpitudes dont les Etats seraient coupables. D’où également les débats sur la « règle d’or » , l’automaticité des sanctions bruxelloises ,etc.

Les exemples de postures de servitude volontaire pourraient être multipliés à l’infini tant ce nouveau mode de gestion de la dette publique, affaisse progressivement l’Etat de droit démocratique tel que vécu dans le stade antérieur : nous sommes passés dans le monde des apparences, de la finance réprimée par les Etats, aux Etats réprimés par la finance. Ce qui ne change encore une fois rien quant la nature des Etats : ils sont toujours bien présents, et  seul le basculement des rapports de forces entre les principaux acteurs sociaux explique cette apparence « d’hypo- Etat » naissant. Naguère- en mode hiérarchique de gestion de la dette, et donc en banque centrale soumise- la redistribution de la prédation publique se déroulait assez largement sous la forme de l’Etat providence ; aujourd’hui- en mode marché et donc en banque centrale indépendante- elle se déroule bien davantage sous la forme d’une redistribution vers les rentiers petits et grands, nationaux ou étrangers : ce qu’on appelle le service de la dette.

Forme évidemment instable, puisque ces Etats se sont placés au cœur de la spéculation et à ces risques systémiques complètement planétaires. Forme instable également pour leurs assujettis : la sécurité des couvertures par capitalisation n’est pas celle des couvertures par répartition, et l’ouverture sans limite sur l’extérieur, entraine des contradictions de statuts et de rôles chez les salariés, les consommateurs, les épargnants et les citoyens. Ainsi le salarié est –il parfois amené comme consommateur à détruire son emploi, ainsi le citoyen est –il comme épargnant parfois amené à préférer le marché à la démocratie, etc. Avec plus globalement, selon la formule de Maurizio Lazzarato (La fabrique de l’homme endetté ; Amsterdam ;2011) la  transformation de tous en sujets endettés  : le crédit immobilier se substituant au droit au logement, le crédit d’études se substituant à l’université gratuite, etc.

L’indépendance des banques centrales est aussi largement le point de départ de l’accumulation de la gigantesque dette privée et publique, au cœur de la grande crise actuelle. C’est que leur éloignement vis-à-vis des trésors libère d’une part, la création  de monnaie privée avec  les crédits qui lui sont attachés (« les crédits font les dépôts »,ou plus simplement la « planche à billets » privée), et d’autre part, développe massivement un endettement public que l’on croyait disparu jusqu’au début des années 70. La masse monétaire va ainsi augmenter à un rythme croissant, lui-même sans aucun rapport avec celui de la dépréciation monétaire et la croissance économique : rythme de Plus de 8% dans les années 90 en Europe et aux USA, et surtout rythme de 12% en Europe et 17% aux USA à la veille du déclenchement de la grande crise.

C’est dire que la maitrise de la grande crise des années 2010 passera sans doute par le repositionnement des banques centrales : face à l’imbroglio actuel, les marchés politiques feront émerger le retour des banques centrales sous la hiérarchie des Etats. Selon quelles modalités ? les prochains mois seront en la matière probablement décisifs.

 

 

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11 septembre 2011 7 11 /09 /septembre /2011 08:50

 le texte suivant constitue le résumé de mon intervention au colloque organisé à l'Assemblée Nationale par l'Association Pour un Débat sur le Libre Echange:

       "Protéger les intérêts économiques de la France : quelles propositions?"        

 

                

La mondialisation s’accompagne, pour presque tous les pays, de soldes extérieurs de plus en plus éloignés de l’équilibre. Parmi toutes les causes qui expliquent ces déséquilibres extérieurs, il y a aussi, au delà des taux de change- fixés soit administrativement soit  par le marché- le mode de gestion de la monnaie. Et, de ce point de vue, la monnaie peut, soit devenir la base d’une gigantesque pyramide d’endettement, soit être un objet, victime heureuse de ce qu’on appelait il y a bien longtemps, la répression financière. Tout dépendra ici du taux de l’intérêt réel, et de l’attitude des Etats vis-à-vis de l’organisation des systèmes financiers.

Lorsque les Etats font valoir la répression financière – ce qui était le cas de nombre de pays dont la France jusqu’au début des années 80 – la dette publique, lorsqu’elle existe, est sous contrôle. Les banques centrales, alimentant à coût nul les Trésors , ils ne sont gênés par aucun service de la dette étouffant l’investissement public, généralement modernisateur d’une économie, donc de son efficacité productive. Ainsi dans les décennies 50 et 60, la France pouvait à la fois financer la guerre d’Algérie, les plans de développement correspondants (par exemple le Plan de Constantine), une ambition spatiale et nucléaire, une gigantesque modernisation de son système éducatif, etc.

La même répression financière, développant des taux d’intérêts réels négatifs, permettait un investissement industriel plus aisé et une politique du logement fort ambitieuse. Avec  même la possibilité d’accéder à la propriété -pour les « baby boomers »-  dans des conditions qui feraient rêver les classes moyennes d’aujourd’hui. Avec aussi – il est vrai - en contrepartie, un contrôle des changes interdisant la fuite de capitaux cherchant à échapper à la répression financière.

Mais la répression financière, supposait aussi des gouverneurs de banques centrales dont le statut se ramenait à celui de simple préfet obéissant. Et cette obéissance était associée à celle du système bancaire lui-même en situation de subordination. Parce que la financiarisation était de fait interdite, les bilans bancaires ne se gonflaient pas artificiellement d’actifs, contrepartie de patrimoines plus ou moins fictifs. A l’époque, le bilan d’une grosse banque n’était pas beaucoup plus lourd que celui d’une grosse entreprise industrielle, et les capitaux propres étaient d’importance comparable. Pas comme aujourd’hui, avec une BNP dont l’actif est plus gros que le PIB de la France, alors que celui de Total se monte à moins de  7% du PIB français.

Lorsque les Etats sifflent la fin de la répression financière ( Loi du 3 janvier 1973 s’agissant de la France), ils risquent de s’endetter sérieusement puisque la gestion de la dette passe par le mode marché et non plus par celui de  l’autorité. Les banques centrales (176 aujourd’hui) deviennent toutes indépendantes et les gouverneurs devenus puissants dans leurs objectifs de garantir la stabilité monétaire, invitent les Etats à s’adresser exclusivement aux banques pour obtenir des prêts. Le système bancaire n’est plus en situation subordonnée et voit dans les Etats un simple partenaire de marché. Fini le temps où il devait respecter des planchers de bons du Trésor, avec contrôle journalier du respect des dits planchers par le ministère des finances. Fini également le temps où les Etats maitrisaient des taux de change aujourd’hui abandonnés au seul marché.

La fin de la répression financière est lourde de conséquences.

L’investissement public devient extrêmement coûteux puisqu’il faut payer un taux désormais positif. La fin de la répression financière est aussi la fin de l’âge d’or des investissements publics, dont on aurait tant besoin aujourd’hui : ils se sont sublimés en rentes improductives.

Mais surtout, la fin de la répression financière correspond curieusement à une augmentation vertigineuse de la création monétaire : la légendaire « planche à billets » devient interdite pour les Etats réputés mauvais gestionnaires, mais pas pour les banques qui -elles -seraient infiniment plus responsables.  Et il est vrai que désormais protégées par des gouverneurs de banques centrales garants de la stabilité monétaire, il devient intéressant de développer- en aval de la « planche à billets » académiquement désignée par l’expression de « multiplicateur du crédit »  - une immense machine à fabriquer de la dette, c'est-à-dire des actifs désormais stockables, en ce qu’ils ne sont plus rognés par de l’inflation. Parce que réputés sûrs, il faut gorger les bilans bancaires d’actifs de toutes sortes et se munir de capitaux propres modestes pour augmenter l’effet de levier et le profit actionnarial. D’où le gonflement vertigineux d’actifs, avec des patrimoines qui augmentent beaucoup plus vite que la richesse réellement produite. Pour ne donner qu’un exemple dans la décennie 2000, le PIB français augmente en moyenne de 28 Milliards d’euros par an, tandis que les seuls actifs financiers augmentent à un rythme 10 fois plus élevé (649 milliards d’euros).

Le temps de la banque monumentale -  véritable danger public car plus grosse que les Etats -  est ainsi arrivé.

La fin de la répression financière est ainsi le début de celle des Etats,  lesquels, pour certains d’entre-eux, vont s’embourber dans une monnaie unique ajoutant à leur propre répression. Et à celle de l’économie réelle, car à la banque monumentale se trouvera associée une industrie devenue le plus souvent famélique. Pour ne donner qu’un chiffre, la base industrielle de la France qui nourrissait 30% de son PIB au début des années 80, n’en nourrit plus que 13% aujourd’hui.

Désormais, des Etats, en particulier ceux de l’euro-zone, vont aussi perdre leur politique de change, ce qui signifiera qu’il devient impératif pour tous de s’aligner sur le « meilleur », pour tenter d’équilibrer les comptes extérieurs, et empêcher que certains –les « meilleurs » -  ne viennent siphonner la demande interne des « moins bons » . Opération héroïque, car baisse des taux, et taux de change unique ,  autorisés par la monnaie unique invitent- rationnellement lorsque l’on est déjà pas très bon - à ne pas s’améliorer, et à seulement s’enivrer   d’une « monnaie de réserve à l’américaine » : Grèce, Portugal, Espagne, mais aussi la France sont amenés – par le marché- à faire des choix délaissant plutôt l’industrie (il devient impossible comme naguère de se protéger par une dévaluation) et privilégiant plutôt l’immobilier (faiblesse des taux avec forte incitation bancaire attisée par les vertus de la planche à billets), et les services , notamment la Grande Distribution, grande bénéficiaire de la monnaie unique et de la mondialisation, et faiseuse du miracle/mirage d’une consommation populaire rapidement croissante. Un grec muni d’euros devient ainsi, l’équivalent d’un américain muni de dollars. De quoi implanter cet importateur pur qu’est Wall-Mart à Athènes.

Sans l’outil du taux de change, les comptes extérieurs deviennent  de plus en plus déséquilibrés : les « meilleurs »- les allemands- le seront de plus en plus, et les « moins bons »- les grecs-  seront de moins en moins bons. Même la France connait un déséquilibre de plus en plus incontrôlable : sa balance commerciale encore excédentaire au début des années 2000, risque cette année de frôler les 70 milliards d’euros de déficit.

Le temps de la grande crise siffle la fin de la récréation – les patrimoines, par effet boursier d’une prise de conscience,  cessent de s’éloigner sans limites de la richesse réelle-  et l’impérieuse nécessité pour les Etats de reprendre le pouvoir qu’ils ont imprudemment laissés à ce qui est devenu une fort dangereuse industrie financière.

La gestion de l’inéluctable effondrement du gigantesque château de cartes financier passe par le rétablissement de l’autorité monétaire : la fin de l’indépendance des banques centrales, le financement direct des Trésors par ces dernières, la renationalisation de la dette publique désormais nourrie par la forte épargne des ménages, l’amaigrissement considérable des bilans bancaires, le rétablissement des planchers de bons du Trésor,  et  la maitrise des taux de change. Cela ne signifie pas nécessairement la fin de l’euro-zone, mais au moins le passage de la monnaie unique à la monnaie commune.

Mais cela signifie surtout un accord international visant ce que Keynes recherchait avec son bancor en 1944 : un monde où les équilibres des échanges extérieurs de chaque participant est recherché, notamment- mais pas uniquement- par des procédures de modification des taux où – à intervalles réguliers - le « meilleur » se trouve juridiquement obligé de réévaluer et le « moins bon », juridiquement obligé de dévaluer. Le commerce international n’est pas une guerre et les échanges se doivent de viser- autant que possible-  l’équilibre.

La dé mondialisation n’est pas la fin du libre commerce international, elle n’est que l’outil empêchant l’humanité de connaître de forts grosses déconvenues.

                                                                                               Jean Claude Werrebrouck

 

 

 

 

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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 08:02

 

Souvent nous nous sommes penchés sur les spécificités du système financier : gigantisme, profits et rémunérations hors normes, danger systémique permanent, enkystement des Etats dans les bilans bancaires,  proximité inquiétante entre régulateurs et régulés, etc.

Pour autant,  un regard naïf pourrait justifier au moins certaines spécificités, en affirmant haut et fort que le système répond aux besoins du 21 siècle comme l’automobile pouvait être le symbole des besoins du siècle précédent. C’est que la finance doit répondre de façon de plus en plus importante aux besoins des épargnants, comme l’automobile répondait et répond toujours aux besoins des consommateurs. La dette n’étant-  en toute première approximation - que l’autre face de l’épargne, il fallait construire une immense machine à fabriquer de la dette, comme on avait construit d’immenses usines chargées de fabriquer des automobiles.

Emprunter une telle  voie de raisonnement n’est pas neutre, et revient à considérer que  le système financier, souvent vilipendé,  produit et vend – au-delà de ses activités de prêts traditionnels - des supports d’épargne, comme l’industrie produisait et produit encore des biens industriels. Si tel est bien le cas, alors nécessairement l’idée de prédation ou  de rente qui lui est si souvent associée, devrait laisser la place à l’idée de valeur ajoutée. Et si dans l’industrie la valeur ajoutée se définit comme la différence entre la production et les consommations intermédiaires, il devrait en être de même pour le système financier. En sorte que contrairement à l’idée parfois émise, profits et bonus extravagants ne seraient pas prélevés sur l’économie réelle, mais sur la richesse produite par le secteur.

 C’est bien ce qu’admet la comptabilité nationale qui utilise aussi la notion de valeur ajoutée pour le système financier.

Dans une telle perspective, si la finance s’annonce gigantesque cela relève simplement de sa spécificité toute industrielle : sa production (supports d’épargne) est d’une nature « stockable » ( les patrimoines financiers augmentent avec le temps) et  la contrepartie se trouve dans le ventre de bilans qui ne peuvent que grossir. Le PIB des divers pays augmente, toutefois il n’est  qu’un flux  et démarre de Zéro en début de chaque année. Si donc l’épargne se maintient en valeur il est assez logique que – par effet d’accumulation- son montant finisse par dépasser le PIB. Le gigantisme et autres caractéristiques associées, seraient ainsi assez compréhensibles. L’industrie financière ne serait  qu’une forme de l’industrie en général, et de la même façon que l’industrie automobile transforme des bobines de tôle en carrosseries, l’industrie financière transforme une épargne en produits finis, par exemple des contrats d’assurance vie.

Les choses sont pourtant beaucoup plus complexes.

Un premier élément consiste à considérer que la distinction entre fournisseurs et clients est beaucoup plus difficile que dans l’industrie classique. Les sidérurgistes sont fournisseurs et les ménages sont clients dans l’industrie automobile . Dans l’industrie financière – même en simplifiant- les fournisseurs sont la Banque centrale, le Trésor, les ménages …et les banques elles-mêmes. Quant aux clients- toujours en simplifiant-  ils sont à la fois offreurs d’épargne (ménages, entreprises) et demandeurs ( Trésor, entreprises,  ménages).

Un second élément est que si l’industrie classique est un « commerce des réalités », l’industrie financière est un "commerce des promesses" avec le danger, outre celle du non respect des contrats, celle de l’évolution des valeurs des promesses échangées. Parce que gestion de flux, l’industrie classique sera moins préoccupée que l’industrie financière des risques d’inflation. Cette dernière, grosse d’actifs stockés, demande en premier lieu le respect de la loi de la stabilité monétaire. Fait majeur qui permet de mieux comprendre des institutions  concrètes acquises de haute lutte: Indépendance de la banque centrale, interdiction lui étant faite d’intervenir sur le marché primaire de la dette publique ; objectif statutaire de stabilité monétaire, etc. D’où l’idée souvent émise selon laquelle tout développement d’une industrie financière – autonome, c'est-à-dire non réprimée par l’Etat - peut aussi se lire comme la fin de l’inflation et le début de la dette. C’est dire que l’émergence d’une industrie financière exige un véritable basculement du monde, et ce au plus haut niveau. Et de la même façon qu’il pouvait exister un complexe militaro-industriel, il existe aujourd’hui un complexe politico-financier. Avec – pour poursuivre la comparaison - véritable course aux armements informationnels susceptibles de faire la différence …et donc la forte proximité avec la sphère des délits d’initiés et des conflits d’intérêts. Historiquement, la fin de l’inflation et le début de la dette,  correspond aux années 80 dans la plupart des pays occidentaux. Elle correspond aussi à ce qu’appelions dans un article précédent au passage de la « finance enkystée dans les Etats » aux « Etats enkystés dans la finance ».

Un troisième élément,  conséquence du second, est que l’industrie financière oriente son organisation – pour l’essentiel-sur l’investissement dans le marché (trading informatisé par exemple), alors que l’industrie automobile orientera son organisation – pour l’essentiel -  sur la production (lutte contre les temps morts sur les outils  par exemple): perfectionner les « paris » sur fluctuations de prix d’un côté,  et perfectionner l’efficacité de la chaîne de production de l’autre. Caractéristique qui nous fait penser que l’industrie financière ne trouve pas ses résultats dans la simple valeur ajoutée mais bien davantage sur des plus values construites sur des échanges ultra rapides.

 

Un quatrième élément relève de la valeur des matières premières utilisées dans les deux industries. Dans le cas de l’industrie classique, elle n’est jamais nulle. Dans celui de l’industrie financière, elle est souvent proche de zéro, notamment dans les pays occidentaux.

Le système de réserves fractionnaires qui s’est historiquement imposé, appuyé par la bancarisation qui laisse marginal le stock de  monnaie fiduciaire, et également appuyé par la déréglementation qui a fait chuter les taux de réserves obligatoires, a permis une hausse considérable du multiplicateur du crédit ( autour de 10 à 15 dans la zone euro selon Natixis). Les crédits multiplient de plus en plus les dépôts, et donc la puissance créatrice de monnaie gratuite  par les banques,  s’est considérablement accrue. Multiplication qui s’est aussi accrue en raison du fait que la mondialisation permet de transférer la base monétaire vers les pays déficitaires, notamment les USA  qui bénéficient des achats de bons du Trésor par les excédentaires. Par comparaison avec l’industrie automobile cela signifie – à partir d’un achat initial -le pouvoir de multiplier gratuitement les bobines de tôles susceptible d’être transformées.

Mais la matière première gratuite ou quasi gratuite est aussi obtenue auprès des banques centrales qui fournissent toute la liquidité nécessaire à des taux proches de zéro (1% en moyenne en Occident)…. Ce qui permet une énorme plus value au cours la vente de dette publique primaire par les   agences des divers Trésors. Enorme plus value payée par les contribuables de chaque pays. Comme si dans l’industrie, les sidérurgistes acceptaient de livrer gratuitement des bobines d’acier à l’industrie automobile, en ayant obtenu la promesse que l’Etat ,et donc ses contribuables, accepteraient de payer les dites bobines d’acier. Les choses peuvent même s’aggraver, et l’énorme plus value autorisée par le double comportement des banques centrales et des Trésors, pourrait aussi déboucher en théorie sur une recapitalisation des banques centrales également financée par les contribuables.

Un cinquième élément résulte de l’effet des deux précédents : les besoins en capitaux sont élevés dans l’industrie classique et faibles dans l’industrie financière, et ce même si la course à l’armement informationnel passe par la lourdeur du surarmement informatique. Il faut beaucoup de capital pour fabriquer une usine d’assemblage générant au terme de multiples opérations des automobiles. Il en faut très peu pour fabriquer de la dette. Ainsi  une quinzaine de banques européennes enregistrent un total d’actifs supérieur au PIB du pays d’origine avec des capitaux propres de 18 à 64 fois inférieurs. Et cette faiblesse extrême des capitaux propres peut être renforcée par la possibilité d’effectuer de multiples opérations hors bilan. Par comparaison, notons que le groupe Renault dispose de capitaux propres seulement 3 fois inférieurs au total de son bilan, lequel ne représente qu’un peu plus de 3% du PIB français. Toujours par comparaison,  notons que le groupe Total- grande entreprise industrielle classique- dispose de capitaux propres seulement 2,5 fois inférieurs au total de son bilan , lequel ne représente qu’un peu plus de 7% du PIB français. La faiblesse des capitaux propres, à l'origine de multiples dangers,  est une caractéristique essentielle de l’industrie financière.

De cette trop rapide comparaison il est possible de tirer quelques conclusions.

L’industrie classique, dans sa production de valeur ajoutée, est assez peu concernée par le basculement des choix : la fin de l’inflation et le commencement de la dette. Parce que les échanges tant au niveau fournisseurs qu’au niveau clients ne provoquent que forts peu d’effets dans le temps, le mode opératoire est peu affecté par un changement de régime.

Tel n’est pas le cas de l’industrie financière.

Lorsque l’on vit en régime d’inflation, ce qui correspond à ce qu’on appelait dans un article antérieur au moment politique où la finance est enkystée dans l’Etat, les bilans bancaires sont légers,  probablement davantage que les bilans industriels, et ce pour au moins deux raisons. Tout d’abord l’épargne n’est pas stockable en régime de monnaie fondante, ensuite faible bancarisation et taux de réserves obligatoires élevés interdisent une création monétaire importante : les crédits font peu de dépôts.

Le régime d’inflation correspond aussi à la répression financière,  et la valeur ajoutée bancaire se construit négativement : les crédits aux entreprises et aux particuliers et surtout à l’Etat (planchers des bons du Trésor) sont assortis d’un prix négatif ( la recette actualisée est inférieure à la dépense apparente), et la rentabilité ne proviendra que d’un faible multiplicateur et surtout d’une épargne à taux réel négatif. La répression financière est donc  un temps où la valeur des actifs financiers ne cesse de fondre, c'est-à-dire un temps où les droits de propriété- pour employer le langage des libéraux – ne sont pas respectés. C’est la raison pour laquelle les libéraux parlaient à l’époque de « répression financière »

 

Le passage au mode dette correspond à une inversion radicale : parce que désormais le nouveau commerce des promesses garantit la pérennisation de la valeur des actifs, les droits de propriété vont devenir – dans le monde des apparences respectés. L’épargne devient stockable, et va donc faire grossir le patrimoine des ménages et les bilans bancaires. Les prêts et crédits deviennent des actifs rentables, d’où leur multiplication par tous les moyens de l’innovation financière. Et multiplication qui va favoriser des bulles aux niveaux d’actifs non financiers, immobilier par exemple, justifiant en retour un endettement privé de plus en plus lourd. Mais surtout les actifs publics ne sont plus une forme d’impôt, mais une valeur sûre à même de devenir un collatéral universel. Dans le même temps, bancarisation et affaissement des taux de réserves obligatoires, vont permettre l’augmentation rapide de la création monétaire. Tout va dans le sens d’une explosion de la taille des bilans, et d’une explosion parallèle des profits. Et explosion parallèle du hors bilan : ainsi le BNP avec 15% de son énorme bilan (environ égal au PIB de la France) en produits dérivés,  peut envisager des paris sur fluctuations de prix pour un montant supérieur à 40000 milliards d’euros, soit 20 fois le PIB français. Nous sommes très loin de la famélique industrie automobile.

Ce basculement du monde est celui que nous désignions dans un article précédent par l’expression d’ « Etat enkysté dans la finance ». Et il est vrai que la répression financière s’est complètement renversée : nous sommes passés de la répression de la finance par l’Etat à la répression de l’Etat par la finance. En mode inflationniste, l’Etat ne payait aucun taux sur la banque centrale qui le ravitaillait, et surtout il spoliait les banques par le biais des planchers des bons du trésor, bons rapetissés à échéance par l’inflation. En mode dette, L’Etat est juridiquement tenu de passer par les seules banques pour s’endetter, lesquelles à l’inverse de l’industrie disposent d’une matière première quasi gratuite. En mode inflationniste les banques étaient spoliées par les entrepreneurs politiques et leurs électeurs attachés à la construction d’un Etat providence, spoliation reportée sur les épargnants ne disposant que d’un taux de l’intérêt négatif. En mode dette, les banques devenues industrie financière spolient les entrepreneurs politiques et leurs électeurs, ce qui lui permet de mieux respecter les épargnants. Avec pour effet une montée des inégalités sociales : tous sont fiscalement concernés par la dette publique, mais seuls les plus aisés, parce qu’épargnants vont bénéficier de la rente. Le régime dette devenant aussi un dispositif caché de redistribution à l’envers de la richesse.

Le mode inflationniste était l’alliance -par le biais des marchés politiques régulateurs- des citoyens, des salariés et des consommateurs au détriment des banquiers et des épargnants. La fameuse euthanasie des rentiers chère à Keynes. Le mode dette est l’alliance des financiers et des épargnants au détriment des citoyens et des salariés. Au détriment des citoyens en ce sens que les marchés financiers sont devenus le nouveau nom du pouvoir exécutif. Au détriment des salariés, en ce sens que les paris sur fluctuations de prix sont le nouveau nom – et la nouvelle réalité - de l’investissement productif.

Et derrière ce nouveau nom se cache une réalité économique sociale et culturelle fort différente. Les paris sur fluctuations de prix n’engendrent  plus de la valeur ajoutée comme pouvait l’engendrer les anciens investissements industriels : il s’agit d’une rente d’autant plus importante que l’on se trouve en situation de proximité vis-à-vis d’une possible manipulation de cours, c'est-à-dire aussi en situation de proximité au regard de la sphère des conflits d’intérêts, de la sphère des délits d’initiés voire de la fraude souvent techniquement indétectable. Avec ses conséquences sociales et culturelles. Alors que l’investissement industriel classique supposait techniquement la collaboration confiante des acteurs, et finalement œuvre commune justifiant des rémunérations peu individualisées, le pari sur fluctuation de prix suppose un travail radicalement individuel et méfiant- presque dans le secret-  et l’impossibilité managériale de ne pas individualiser les récompenses associées. L’envolée des rémunérations correspond à l’envolée de la rente, mais une rente entièrement construite sur des décisions strictement individualisées. Le profit cesse d’être œuvre commune et les cadres missionnaires de l’industrie classique deviennent des mercenaires de la rente.

Le grand basculement qui interdira juridiquement aux Etats la possibilité d’emprunter aux banques centrales, dont ils sont pourtant souvent les seuls propriétaires, laissera une énorme possibilité de construire à très bon compte des produits d’épargne aussi solides que les Etats eux-mêmes. D’où le succès – pour ne donner qu’un exemple - des assurances-vie, qui reposant pour l’essentiel sur de la dette souveraine,  représente pour les seuls épargnants français 75% du PIB du pays. Alliance du financier et de l’épargnant au détriment d’Etats qui – privés des possibilités de la répression financière- n’investissent plus et  en viennent à payer de la rente pour maintenir tout ou partie de ses services publics ( probablement plus de 45 milliards d’euros pour la seule France, soit approximativement 2% de son PIB en 2011…. et bientôt la même somme pour ce qui est de la Grèce, ce qui représentera 25% de son PIB). Pour en revenir à la France, les juteux contrats d’assurance vie des épargnants sont ainsi largement financés par les contribuables, la finance prélevant au passage sa dîme.

Le grand basculement est  un véritable renversement des alliances sous la houlette  des entrepreneurs politiques, et renversement impulsé par l’émergence de nouveaux besoins : l’inflation qui n’interdisait pas la consommation de masse du fordisme industriel classique, ni même la confection d’un patrimoine immobilier pour les classes moyennes, interdisait de fait la constitution d’une épargne financière. Si donc la protection d’une épargne jusqu’alors mangée par l’inflation devient un produit politique- parce que désormais on veut consommer des produits d’épargne comme on veut consommer des automobiles-  on comprend qu’une alliance pourra naître entre le banquier et l’épargnant. Alliance qui pourra se renforcer si d’aventure les dispositifs de protection qui fonctionnaient sur la base de la répartition- retraites par exemples- basculent progressivement sous la houlette de l’industrie financière vers des dispositifs reposant sur la capitalisation. A noter que la dépression démographique et le vieillissement encouragent généralement ce type de basculement.

 

Le passage du mode inflationniste au mode dette n’est nullement la victoire du libéralisme, mais celui de la rente. Le monde de l’inflation n’avait rien de libéral,  celui de la dette  ne l’est pas davantage. La position qui consiste à voir dans le basculement, la victoire d’un néolibéralisme est incorrecte. Un vrai libéralisme consisterait- en tout premier lieu - à libérer les Etats de la répression dont ils sont les victimes en leur interdisant d’user de leurs droits de propriété sur les banques centrales.

 

 

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28 août 2011 7 28 /08 /août /2011 17:42

 

Très souvent les débats concernant la grande crise empruntent le chemin du solide bon sens populaire et se ramènent à des conclusions inexactes. Ainsi en est- il   de la sempiternelle question de la dette, avec l’idée selon laquelle la France – pour prendre un  exemple parmi tant d’autres- vivrait depuis 30 ans au dessus de ses moyens et aurait abusé de facilités d’emprunts à bon marché.

L’utilisation de l’anthropomorphisme est simple, mais inappropriée pour décrypter un processus complexe. C’est qu’au-delà de l’erreur factuelle selon laquelle l’emprunt serait moins coûteux – rappelons qu’il était gratuit en mode hiérarchique de gestion de la dette avant 1973 – l’Etat n’est pas la France, et surtout, cette dernière n’est pas une personne à qui l’on pourrait demander de cesser de dépenser plus qu’elle ne gagne. Dans « Le monde tel qu’il est », nous avons souligné et précisé –  à l’intérieur d’un cadre juridique appelé nation, cadre qu’il faut décoder pour bien le comprendre-   la nature de l’interaction sociale entre des groupes d’acteurs clairement identifiés : Entrepreneurs économiques, entrepreneurs politiques, citoyens, salariés, consommateurs, épargnants.

C’est le mode d’articulation entre ces groupes, lui-même résultant de contraintes diverses, par exemple la fin du Fordisme pour ce qui est de la présente crise, qui a développé le choix de la dette contre celui de l’inflation. A partir des années 80,  La France, comme beaucoup d’autres pays– pour en revenir à l’anthropomorphisme que nous dénonçons – « choisit » la fin de l’inflation et le commencement de la dette. Ce mode d’articulation où il deviendra de l’intérêt supérieur des entrepreneurs politiques de légiférer sur la mondialisation, sur le statut de la banque centrale, sur les mouvements de capitaux, etc. ne relève pas d’un déterminisme mécaniciste. C’est dire qu’il aurait pu être autre, accouchant ainsi d’un possible autre monde qu’on ne peut connaître. Et le mode d’articulation est rarement un projet humain : les hommes sont et seront toujours dépassés par une histoire qu’ils ne peuvent maitriser.

L’interaction sociale, et ce presqu’à l’échelle planétaire, fût telle qu’une immense machine à générer de la dette s’est mise en place , ce qu’on désigne de façon plus académique par l’expression « d’industrie financière ». Tel fût le compromis du moment. La présente grande crise qui met en spectacle l’effondrement – par étapes - de l’immense machine, révèle les limites du compromis qui s’est constitué (l’articulation entre groupes d’acteurs) dans les années 80. Simultanément, l’immanence, toujours présente chez les hommes, retarde le basculement vers un autre monde. D’où l’aspect « bricolage », de toute les mesures prises par les entrepreneurs politiques de tous  pays, depuis le déclenchement de la grande crise.

La dette n’est pas affaire de personne irréfléchie (anthropomorphisme) : elle est le résultat non attendu de choix de groupes sociaux antagonistes, à la recherche d’un possible vivre ensemble. Comprendre le monde tel qu’il est n’est pas facile , d’où l’impérieuse nécessité de ne pas  abuser de simplifications inexactes qui embrouillent et masquent une réalité déjà fort complexe.

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15 août 2011 1 15 /08 /août /2011 09:19

 

Août 2011 : la grande crise des années 2010 vient de fêter son quatrième anniversaire et menace à nouveau le système bancaire. Ce ne sont plus les crédits hypothécaires américains qui sont le déclencheur d’un nouveau stade dans l’implosion du système financier, mais bien plutôt les dettes publiques en particulier européennes, et celles -plus particulièrement encore- de sa région la plus fragile : l’euro-zone. Le diagnostic global sur les causes ultimes de la grande crise ne change pas : continuer le fordisme des 30 glorieuses par d’autres moyens, supposait la mise en place des autoroutes de la finance mondialisée, et la fin d’une émission monétaire par des banques centrales contrôlées par les Etats. Le résultat de trente années de travail mené à l’échelle mondiale fût  l’émergence d’une finance gigantesque. C’est  l’implosion – par étapes – du monstre financier qui nous est offert en spectacle. Les 4 premières années de la grande crise ont permis de sauver – sans le réformer-  le système financier en s’appuyant sur les Etats. Le quatrième anniversaire révèle - à nouveau - l’insolvabilité de ce même système, en raison de la saignée imposée aux Etats dans leur course au sauvetage financier.

Agir sur les Etats : fin ou moyen ?

 Fait qu’il faut bien comprendre malgré les explications brumeuses rencontrées dans les médias : le risque de défaut des Etats, se traduit par des bilans bancaires devenus explosifs, tant les actifs sont encombrés de titres publics. Et si une bonne partie du « banking book » se contracte, alors les actionnaires peuvent se faire des soucis, tandis que les clients dont les comptes se trouvent au passif, peuvent être tentés par un « bank run » beaucoup plus rude que celui observé en 2008. Il faut donc bien comprendre que sauver les Etats n’est que le moyen, dont la fin première est de sauver le système financier tel qu’il est. Les banques sont moins malades des Etats que les Etats ne le sont des banques, et cette correction, dans les explications vendues traditionnellement par les médias et leurs invités, est bien confirmée par les décisions de ce mois d’août : La BCE se met à acheter de la dette italienne, non pas pour sauver l’Italie, mais pour sauver le système bancaire, en particulier français.

La rente et l’Etat- providence

Il existe une traduction politique de la crise, traduction compréhensible à partir du paradigme de ce blog. La continuation du fordisme par d’autres moyens, était moins l’abandon du « social –clientélisme » (l’Etat- providence) que sa recomposition : le revenu est substitué par du crédit, qui devient lui-même support de produits d’épargne (titrisation généralisée), mais aussi substitué par des marchandises importées moins coûteuses (mondialisation). Recomposition lisible dans le compte des Etats. Le service de la dette, qui pouvait ne pas exister lorsque les banques centrales étaient aux ordres des ministres des finances, devient, avec l’indépendance des banques, et  en mondialisation, un poste de plus en plus important, et simultanément la matière première de base de l’industrie financière et de sa clientèle, composée aussi de classes moyennes traditionnellement clientes privilégiées du « social –clientélisme ». Curieusement, il n’est pas excessif de dire qu’une  partie de la rente financière payée par les Etats au titre de la dette, est d’une certaine façon redistributive comme le sont d’autres outils plus classiques de l’Etat providence. La mémoire de la répression financière sur la petite épargne – notamment les bons du Trésor achetés en direct  au « bureau du Trésor »- amputée d’un taux négatif au temps des 30 glorieuses, est encore présente dans les esprits. Et cette petite épargne n’est devenue profitable qu’avec le démantèlement du couple Trésor / banque centrale. Démantèlement qui correspond avec quelques années de retard à la fin de l’inflation et au début d’une histoire grandiose : celle de la dette.

La traduction politique de la crise, simple en théorie n’est pas simple en pratique, et complexifie considérablement le fonctionnement des marchés politiques.

 Simple en théorie puisqu’au fond l’enjeu serait le choix de la rente ou celui  du « social- clientélisme » : les entrepreneurs politiques réputés de droite doivent sauver les banques et la rente correspondante en rapetissant l’Etat- providence, ce qui se passe à peu prés partout en Europe aujourd’hui ; et les entrepreneurs politiques réputés de gauche doivent nationaliser le système financier – à bon compte puisqu’il ne vaut que des dettes- pour maintenir l’Etat providence et supprimer le coût de la dette.

Difficile en pratique, puisque selon notre paradigme il existe toute une gamme d’électeurs qui sont à la fois consommateurs de produits d’épargne dont la matière première est la dette publique, et de services de l’Etat providence traditionnel : parce que dans la classe moyenne bénéficiaire de l’Etat providence il y a aussi des épargnants, entrepreneurs politiques de gauches et entrepreneurs politiques de droite deviennent des marchands d’eau tiède. Ceux dits de droite, ne peuvent pas ouvertement saigner l’Etat- providence, et ceux dits de gauche ne peuvent pas ouvertement procéder à « l’euthanasie des rentiers ». Avec comme produit associé à ce dilemme, l’apparition de fractures à l’intérieur des grandes entreprises politiques face à la gestion de la grande crise, et un sous produit : l’émergence grandissante de partis dits populistes. Partis populistes patrimoniaux (identités, valeurs, etc.),  mais aussi –et sans doute aussi dangereux – partis populistes de séparation (contestation des unités nationales).

 Un nouvel Universel comme socle des euro bonds 

S’agissant de la gestion européenne de la grande crise, l’eau tiède consiste à répéter dans l’idée de fédéralisme, l’aventure des passagers clandestins du navire euro. La drogue nouvelle , les « euros-bonds » se substituant à l’ancienne, l’euro. De quoi permettre le rétablissement des débiteurs, les Etats, et ainsi remettre sur pieds les créanciers, le système financier. A cet égard, notons ici qu’entrepreneurs politiques de droite et entrepreneurs politiques de gauche ne sont  plus identifiables et utilisent la même eau supposée miraculeuse : les euro-bonds  apparaissent ainsi comme « La solution » au problème de l’euro-zone.

Le paradigme général de ce blog nous permet de comprendre que le nouveau bateau risque de ne jamais être lancé. Et ce même si la violence de la crise déchainera beaucoup d’énergie pour tenter sa construction au cours des mois à venir.

Les entrepreneurs politiques ont bien compris que la dette commune supposait le passage au fédéralisme. Et ce n’est pas parce que l’Europe, au sens institutionnel, ne connait aucun endettement, lequel lui est à ce jour juridiquement interdit,  que l’on pourra lancer de la dette européenne avec le classement triple A. Il faudra en effet que le futur débiteur soit crédible, et qu’à ce titre, il dispose de ressources futures, c'est-à-dire d’un budget,  qui soit d’une autre dimension que celle d’aujourd’hui. Il faut insister sur ce point car la tentation sera grande de créer de faux euro-bonds gagés sur les Etats tels qu’ils sont. Devant la difficulté à faire naître un réel impôt européen, les entrepreneurs politiques, dans l’urgence,  risquent- en effet - d’essayer de noyer les dettes nationales dans une dette européenne gagée sur les fiscalités nationales. Une telle attitude ne permettrait –tout au plus- que de gagner quelques mois, tant il est vrai que les marchés ne se tromperont pas, et verront dans la nouvelle dette, des points d’appui aussi inquiétants que les Trésors grec, Portugais, italien, etc.… Derrière la dette européenne se cacherait de la mauvaise dette, comme aujourd’hui certains doutent des contrats d’assurance- vie reposants sur des dettes publiques douteuses.

Inutile de détailler et d’aller plus loin : il faut, dans le langage de ce blog un nouvel « universel » au dessus des anciens Etats, lesquels sont tous parvenus au stade démocratique de leur grande aventure.

Curieuse situation : pour se reproduire au pouvoir, les grandes entreprises politiques européennes doivent créer un impôt européen, et donc partager ce qui de tout temps, fût la matière première de base du pouvoir. Lorsque les Etats ne sont pas parvenus au stade démocratique, une telle situation est envisageable et s’est historiquement vérifiée : les entrepreneurs politiques partagent la prédation, et créent un espace de solidarité entre eux vis-à-vis des peuples exploités. Ce fût souvent le cas des empires en expansion. Cela peut aussi être le cas fort particulier des USA ou les Etats connaissent -dès leur naissance - le stade démocratique avec des entrepreneurs politiques qui vont rapidement créer un Etat fédéral.

S’agissant de l’Europe la situation est fort différente : le pouvoir est partage - toujours renégociable- de la prédation entre entrepreneurs politiques et groupes d’électeurs. L’élection étant elle-même accord mutuellement avantageux, entre ceux qui vont accéder à la conduite de l’universel, et ceux qui vont bénéficier de ses bienfaits par des prestations ou lois opportunes, contreparties de la prédation fiscale. Cette situation où « chacun peut voler tous les autres » par le biais d’élections, à été acquise au terme d’une lutte historique très longue et très difficile. A ce titre, elle reste dans les consciences particulièrement légitime en ce qu’elle apparait idéologiquement, comme la quête rationnelle d’un intérêt général. Et c’est cette idéologie fondamentale qui permet à la société de simplement exister et de se reproduire : elle est ce que d’autres appellent le « capital social » de la nation.

La construction européenne, pourtant  jusqu’ici obtenue sans la création d’un nouvel Etat au dessus des autres, a déjà largement contribué à l’évolution du fonctionnement des Etats  adhérents. La conjonction du stade démocratique des Etats et du fordisme avait engendré leur grossissement, ce que certains appellent « l’Hyper-Etat ». Mais la crise du fordisme, et sa continuation par d’autres moyens, le transforme profondément, notamment en Europe : recul du secteur public avec « concurrence libre et non faussée » ; indépendance des banques centrales avec fin des souverainetés monétaires, et des privilèges qui lui étaient associés, en termes d’investissements publics indolores ; multiplication considérable des autorités administratives dites indépendantes, notamment dans le secteur financier ; affaissement des derniers fossiles du holisme ancien qui existait encore dans l’idéologie de la raison et du contrat social au profit de la montée des émotions, et  du chacun pour soi régional, et au détriment d’un Etat central trop lointain ; etc. Et Transformation qui a abouti à ce que certains appellent le stade de « l’Hypo-Etat ». Encore Hyper mais déjà Hypo,  sa logique de fonctionnement est largement questionnée, d’où la déstabilisation des grandes entreprises politiques traditionnelles qui se trouvent contestées. Parce que la gestion de la crise est encore, par les entrepreneurs politiques, le choix dangereux et redouté du système financier contre les Etats, l’ensemble de la zone euro apparait -selon le mot d’Hubert Védrine- devenue « un espace disciplinaire de surveillance et de sanctions ». Avec parfois des situations invraisemblables aux yeux d’un historien : une banque centrale, la BCE, organisme a-national, vient en plein mois d’Août,  donner des ordres à un Etat souverain (Italie) lequel devra rendre des comptes dans quelques semaines…

Le mirage des euro bonds

C’est dire que dans un tel contexte ; la négociation entre entrepreneurs politiques européens aux fins de construire le fédéralisme relève de l’utopie.

Avant même de naitre, le futur universel bricolé en toute hâte, n’a au-delà de sa non légitimité historique – faut-il rappeler qu’un Etat véritable est le produit d’ une histoire pluri séculaire ?- qu’une réputation sulfureuse : il faut sans cesse sacrifier la cohorte des électeurs médians – donc risquer de perdre les élections - par recul de la dépense publique, et par delà contracter une demande globale qui ne peut plus se sublimer en débouchés extérieurs en raison de l’impossible manipulation monétaire, avec ses conséquences en termes de chômage . Certes, encore une fois, la protection sans nuances du système financier protège aussi l’électeur médian petit épargnant. Mais qui sait aujourd’hui que la protection de la petite rente de la classe moyenne, par exemple l’assurance vie qui ne débouche sur aucun investissement réel,  à pour contrepartie le déficit public dont se gave la finance avant redistribution ? La classe moyenne n’est ainsi pas prête à entendre que la protection de son épargne passe par le laminage de l’Etat providence. Et elle restera d’autant plus réservée  que les médias entretiennent la plus grande confusion sur la crise.  Jadis, en fordisme triomphant, on se contentait du grossissement de l’Etat providence, et on acceptait qu’une épargne puisse être assortie de rendements négatifs. La prolongation du fordisme par d’autres moyens, à pu faire illusion pendant de nombreuses années : maintien relatif de L’Etat-providence, abandon de l’inflation et épargne positive, sans évidemment constater la rapide dégradation des finances publiques qui activées par un Trésor, désormais emprunteur au taux du marché, procure le rendement positif de l’épargne. L’actuelle grande crise met à nue la nouvelle réalité : entre rente improductive  et Etat providence il faut choisir. Et aux entrepreneurs politiques de faire le choix – extraordinairement difficile - qui leur permettra de se maintenir au pouvoir. En attendant, spectateurs d’une contraction de l’Etat providence , les membres de la cohorte des électeurs médians, aussi très mal informés,  voient dans un Bruxelles accoucheur du futur universel, le bouc émissaire de leurs problèmes. Ils n’attendent donc rien de bon du futur nouveau-né.

Et il est vrai qu’une fois né, la gestion du premier dossier, celui des  euro bonds , ne sera pas la promenade de santé de l’euro des années 2000. S’ils devaient naitre, les euro bonds ne seraient pas – hélas - l’équivalent de la drogue euro. Parce que reposant sur une fiscalité désormais européenne, il faudra gérer celle-ci : qui va payer ? Mais aussi selon quels critères la manne - levée par  l’agence bruxelloise de la dette qui serait créée  - sera répartie entre les Etats devenus partiellement des régions ? Car il est clair qu’on ne pourra laisser les Etats plonger leurs mains dans la nouvelle dette, comme on a laissé les banques de tous les pays multiplier les euros dans les années 2000. Le coût des comportements excessifs devenant rapidement insupportables, en termes de taux et de couverture fiscale payée par tous.

De tels problèmes n’existaient que  modérément  dans les vieux Etats parvenus au stade démocratique : souvent , une grande Histoire pluri séculaire confirmait, avec autorité, que les  « régions » faisaient bien partie de la « nation »,  et nul ne s’opposait à ce que la fiscalité puisse venir en aide aux régions en difficulté. Mais problèmes néanmoins – depuis quelques années - de plus en plus affirmés avec la disparition des dernières traces du holisme ancien: la nation s’effrite et les populismes patrimoniaux ou de séparation (Italie, Belgique, Espagne, Grande Bretagne, etc.) combattent déjà la redistribution entre régions, voire entre groupes ethniques. Comment dès lors envisager, que la Grèce devienne simple région d’un nouvel ensemble, alors que les parties qui le constituent contestent elles même leur propre solidarité interne ? Comment imaginer un fédéralisme européen alors même que les solidarités nationales commencent à s’effriter ?

En sorte qu’il est probable que la négociation portant sur le fédéralisme sera vite bloquée par la prise de conscience des entrepreneurs politiques, du risque de se trouver rapidement évincés par les populismes. Et comme il faudra – malgré tout -  encore gagner du temps, il n’est pas impossible qu’un accord puisse être trouvé non plus sur l’impossible fédéralisme, mais sur la monétisation de la dette, ce qui suppose bien sûr la fin de l’indépendance de la banque centrale….et le début d’une nouvelle histoire monétaire… parallèle à une large modification des parts de marchés, ou/et des positionnements stratégiques, entre entreprises politiques européennes.

 

 

 

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4 juillet 2011 1 04 /07 /juillet /2011 13:46

                                                   

Le monde du marché généralisé et de la démocratie représentative tel qu’imaginé par Fukuyama comprend 3 catégories d’acteurs : le groupe des entrepreneurs politiques, celui des entrepreneurs économiques, et celui des citoyens/ salariés/ consommateurs/ épargnants (le « CSCE »).

Les producteurs de l’universel

Le premier groupe est constitué d’acteurs en concurrence  pour l’accès à ce monopole qu’est l’Etat. Animés par un intérêt privé : le goût du pouvoir, ils professionnalisent une fonction et transforment en métier, l’édiction de l’universel de la société, à savoir la production du cadre juridique général. A ce titre, il y a  travail classique d’utilisation de la puissance publique à des fins privées. L’objectif privé est la conquête ou la reconduction au pouvoir, utilité pour laquelle il faut supporter et reporter un ensemble de coûts : programmes se transformant en textes, se transformant eux-mêmes en impôts/dépenses publiques , ou se  transformant en redistribution des niveaux de satisfaction des divers agents relevant du monopole étatique. La démocratie ne change pas fondamentalement les données du problème puisque la puissance publique ne peut-être que ce qu’elle a toujours été : un monopole. Il y a simplement concurrence à partir d’un appel d’offres : quels entrepreneurs auront la charge de la promulgation des textes qui s’imposent à tous et sont donc bien œuvre d’une entreprise monopolistique à savoir l’Etat ? Un probable  moyen de limiter l’utilisation de la puissance publique à des fins privés serait l’interdiction de la professionnalisation de la fonction politique. Un interdit passant par un texte, on voit mal pourquoi les entrepreneurs politiques adopteraient une stratégie allant contre leur intérêt de reconduction, sans limite,  au pouvoir. En démocratie représentative la  professionnalisation  de la fonction politique est ainsi devenue un fait quasi hégémonique. Avec une nouveauté, qu’il convient de souligner par rapport à la forme antérieure de l’aventure étatique : les entrepreneurs politiques de l’âge démocratique, cessent de masquer l’accaparement de la puissance publique à des fins privées par la figure du divin, ou celle du héros souvent tyrannique, et ne sont plus que de simples et paisibles  gestionnaires d’une entreprise profane appelée Etat. D’où le glissement du « politique » en « bonne gouvernance » et l’idée associée selon laquelle il n’y aurait plus besoin d’un Etat pesant  surplombant tous les acteurs.

Les biens ainsi produits par l’entreprise Etat, les « règles du jeu social », parce qu’universelles par nature, peuvent ainsi apparaitre comme porteuses d’un intérêt général. Et la confusion est vite établie : les entrepreneurs politiques auraient ainsi la lourde mission de produire de l’intérêt général, alors qu’ils doivent surtout veiller à un programme de conquête du pouvoir, ou de reconduction au pouvoir. De fait,  les textes sont toujours des compromis entre acteurs ou groupes d’acteurs aux intérêts divergents, le pouvoir étant donné à ceux pour qui ces compromis concernent positivement, réellement ou imaginairement,  une majorité d’électeurs. Nul intérêt général, impossible à définir, ne peut être lu dans un texte, qui par nature, fixant le champ des possibles, est nécessairement fait de contraintes que beaucoup voudraient enjamber et dépasser.

Les producteurs de biens économiques

Le second groupe est constitué d’acteurs en compétition entre eux sur le marché des biens économiques. Les entrepreneurs économiques ont plus de difficulté que les entrepreneurs politiques à s’exprimer avec conviction sur l’idée d’un intérêt général dont ils seraient les producteurs. C’est que les biens économiques ne surplombent pas la société comme le fait son « système juridique ». La baguette de pain du boulanger ne surplombe pas les acteurs comme le fait le code civil. Pour autant, ils disposent d’un outil théologique exprimant la fiction d’un intérêt général : la théorie économique. Cette dernière, prétend enseigner que mus par des intérêts particuliers, les entrepreneurs économiques fabriqueraient un intérêt général : la fameuse main invisible de Smith. Certains en déduisent d’ailleurs que le paradigme de l’économie, s’il était  suffisamment répandu, permettrait  de se passer de cet universel qu’est l’Etat. Le monde pouvant ainsi passer de son âge politique à son âge économique. Et avec lui le passage de l’Etat- nation à la mondialisation… L’Universel ultime - celui de la fin de l’histoire, une histoire qui fût si difficile pour le genre humain - étant l’économie, comme instance bienfaitrice, et réconciliatrice de toute l’humanité.

La compétition sur le marché des biens économiques passe aussi par des interventions sur le monopoleur qui fixe les règles du jeu : il faut « capturer »  la règlementation et se faire aider par les entrepreneurs politiques et leurs collaborateurs d’une «  haute fonction publique » pour gagner des parts de marché, être protégés contre des agresseurs économiques, voire pour créer de nouveaux marchés.  Le politique  devenant l’art de continuer le jeu de l’économie par d’autres moyens. A charge du politique de bien vendre la règlementation sur le marché politique où il rencontre, en démocratie,  régulièrement les électeurs. Ce qu’il faut simplement constater à ce niveau c’est que d’autres intérêts privés, ceux des entrepreneurs économiques utilisent à l’instar des entrepreneurs politiques les outils de la puissance publique aux fins de satisfaire leurs intérêts.

Les citoyens/salariés/consommateurs/épargnants

Le troisième groupe est peut être davantage hétérogène. Il s’agit de tous les acheteurs de biens politiques d’une part, et de biens économiques d’autre part. Porteurs de statuts multiples et pour l’essentiel : citoyens, salariés, consommateurs, épargnants, (on les appellera dorénavant les « CSCE »), ils peuvent être en compétition entre eux (groupes d’intérêts), voire connaitre des conflits de statuts, lesquels ne sont pas toujours réductibles à un ensemble de cercles concentriques. La même personne étant le plus souvent appelée à valider/supporter des rôles différents, Il peut exister  des temps historiques où les CSCE connaissent une grande dissociation : l’intérêt du salarié est dissocié de celui du consommateur ;  l’intérêt du citoyen est dissocié de celui de l’épargnant ; etc. Mais il peut être des temps historiques où plusieurs de ces intérêts, voire tous vont dans le même sens.

La conjonction présente du marché et de la démocratie représentative fait des CSCE un groupe apparemment aussi important que les deux premiers. Parce que clients sur le double marché politique et économique, les entrepreneurs qui leur font face,  doivent en principe les satisfaire. La réalité est toutefois infiniment plus complexe : les CSCE peuvent comme les entrepreneurs politiques « capter » la réglementation en achetant avec leurs voix, des dispositifs avantageux comme salariés ou consommateurs, ce que certains appellent le « social- clientélisme ». En ce sens ils sont comme les autres acteurs (entrepreneurs politiques et économiques) attirés par l’utilisation de l’universel afin de satisfaire leurs intérêts privés. L’universel, donc le monopoleur ou l’Etat, est ainsi un champ de bataille important entre les 3 groupes d’acteurs. Dans un monde dit postmoderne, faisant valoir ou masquant des intérêts privés, ils cessent d’entrer en conflit sur la base d’idéologies pour ne s’engager que sur des arguments issus de la raison. D’où la très forte  odeur de  théorie économique dans les discours et débats qui animent le monde. Chacun réduisant l’analyse de l’interaction sociale à une physique sociale, les simples corrélations entre faits - inflation, croissance, chômage, échanges extérieurs, salaires , productivité, etc. - devenant d’indiscutables causalités sur les tables de négociations. Avec de possibles moments « TINA » (« There Is No Alternative »). En sorte que si, jadis, le marxisme pouvait selon Jean Paul Sartre  être « l’horizon indépassable de notre temps » la théorie économique semble pouvoir aujourd’hui lui être substituée.

Mais le jeu social se complexifie aussi en raison des processus de dissociation entre les 4 statuts évoqués. Et dissociation qui fera le miel des entrepreneurs politiques et économiques. Avec la possibilité de passer d’une relation marchande toujours  éphémère, à celle d’une collaboration plus poussée, ce qui se traduira par une forme dégradée de démocratie : l’oligarchie. Toutes choses qui méritent davantage d’explications.

Mouvement des intérêts et bouleversement des compromis

L’articulation des trois groupes précédemment définis, est nécessairement instable en raison du caractère toujours éphémère des compromis passés. Et instabilité aussi déterminée par le manque d’homogénéité des intérêts à l’intérieur de chacun d’eux. Le groupe des entrepreneurs économiques, est probablement le plus éclaté en raison de cette guerre de tous contre tous qu’est la concurrence économique. Par nature, il est plus ouvert, car  les marchés se sentent parfois à l’étroit à l’intérieur d’une structure qui s’est souvent constitué comme Etat- nation hérissée de frontières. Les entrepreneurs économiques sont ainsi amenés à discuter de ces barrières à l’entrée/ sortie que sont  les frontières. Certains voulant être protégés, d’autres souhaitant le grand large. Les négociations qui s’ensuivent avec les entrepreneurs politiques ne peuvent laisser de côté la question monétaire que ces derniers ont historiquement toujours disputée aux entrepreneurs économiques. Si le sous groupe des entrepreneurs économiques souhaitant l’ouverture et la fin de l’Etat- nation l’emporte, il affronte durement les entrepreneurs politiques et leurs collaborateurs de la « haute fonction publique », et exige une modification globale des règles du jeu : diminution des droits de douane, adoption des standards internationaux en tous domaines, libre convertibilité monétaire et libre circulation du capital, abandon des pouvoirs monétaires détenus par l’Etat, etc. Autant d’exigences qui ne peuvent être satisfaites si les entrepreneurs politiques en paient le prix sur les marchés politiques : la non reconduction au pouvoir… Sauf s’il y a bien dissociation des intérêts chez les CSCE d’une part, et passage aisé du statut d’entrepreneur politique à celui d’entrepreneur économique d’autre part. Circonstance qu’il nous faut brièvement étudier.

La forme démocratique de l’Etat, charrie encore les vestiges de la forme antérieure où la figure du divin ou du héros, est devenue  « patrie » encore suffisamment sacralisée, pour engluer le citoyen dans une infinité de devoirs, dont parfois celle du sacrifice suprême. Le passage du politique à la simple « bonne gouvernance » fera transmuter  le citoyen supportant des devoirs au profit de l’individu cherchant à « capturer » la règlementation à son avantage. Il copie ainsi les entrepreneurs économiques même si le « capital social » dont il dispose en fait un lobbyiste moins performant.

Parce que moins citoyen, la réalité lui apparait plus émiettée. Et parce que moins citoyen d’un « bloc Etat- nation » dont il  conteste la légitimité, il ne se représente plus le système économique comme le ferait un keynésien, c'est-à-dire un circuit. Même dépourvu de culture économique, pour lui l’économie est moins un circuit qu’un ensemble de marchés. Changer de statut et passer du citoyen à l’individu c’est aussi changer la vision que l’on a sur le monde. Le citoyen devenu individu, peut lui aussi vouloir l’ouverture sur le monde, il apprécie les marchandises étrangères moins couteuses, une épargne assortie d’un taux de l’intérêt positif, etc. Et s’il existe une contradiction entre l’intérêt du salarié et celle du consommateur, il peut capter une réglementation compensatrice de celle qui sera accordée aux entrepreneurs économiques mondialistes. Dans un monde qui génère des gains de productivité tout en restant fermé dans l’Etat- nation, la dissociation entre le statut de salarié et celle de consommateur n’est guère envisageable durablement. Historiquement la crise de 1929 est celle d’une dissociation que les entrepreneurs politiques ont du réparer en édifiant la sociale démocratie. Il est probable que le citoyen devenu individu ait une grande conscience de la dissociation majeure qui existe entre le statut de salarié et celle de consommateur. Peut-être fait-il aussi un lien entre l’emploi qu’il trouve trop rare et une finance gigantesque qui élargit l’éventail des rémunérations et développe l’approfondissement des situations rentières. Mais ces prises de conscience ne l’inviteront pas à acheter aux entrepreneurs politiques un dispositif réglementaire rétablissant davantage de cohérence. Et ce d’autant qu’il est lui-même bénéficiaire d’une rente – le social- clientélisme – qui se nourrit encore de la rente : déficit public, CADES, ACOSS, etc. Les entrepreneurs politiques et leurs collaborateurs de la haute fonction publique  restent des personnages fondamentaux malgré la contestation des autres groupes qui eux-mêmes sont en conflit entre eux. « L’universel » se trouve sans doute de plus en plus décentré et souffre de déficit de cohérence, ce que certains appelleront la crise de l’Etat, il reste pour autant le lieu d’affrontement qu’il a toujours été et le demeurera. L’ Etat est ses entrepreneurs sont toujours présents et ce même si dans le monde des apparences leur retrait semble constaté. Ainsi parce que le citoyen est progressivement devenu individu dissocié, les entrepreneurs politiques ne paient pas nécessairement le prix électoral des nouvelles réglementations achetées par les entrepreneurs économiques.

Bouleversement des compromis et émergence d’une forme oligarchique d’Etat

Mais un autre argument peut intervenir : la grande porosité qui va se créer entre les 2 groupes d’entrepreneurs, et grande porosité qui va dégrader la démocratie au profit de l’oligarchie. Si la capture de la réglementation, par exemple celle qui autorisera la mondialisation, se fait souvent par le harcèlement du régulé sur le régulateur, par exemple celui des 15000 lobbyistes de Bruxelles sur les instances de décision correspondantes, elle peut aussi s’opérer de façon plus radicale : la fusion du régulateur et du régulé. Ici le producteur/détenteur de l’universel, c'est-à-dire l’entrepreneur politique, « part avec la caisse » et devient entrepreneur économique. La France constitue un modèle de cette fusion. Mais le même résultat peut être obtenu en parcourant le chemin inverse : le régulé devient le régulateur et  ainsi « ouvre la caisse » au profit de toute une profession. Les USA constituent un modèle de ce second type de fusion. C’est bien évidemment dans ce qui à toujours constitué le point d’intersection entre intérêts politiques et intérêts économiques que ces fusions sont les plus emblématiques et les plus fondamentales : le système monétaire et financier. Ainsi  grandes banques et banque centrale sont en France dirigées par de hauts fonctionnaires. Ainsi aux USA, le Trésor lui-même et la banque centrale sont généralement dirigés par un banquier.

Porosité par harcèlement, ou mieux par fusion, permet aux deux groupes d’entrepreneurs de se dégager partiellement et progressivement des contraintes de l’âge démocratique de l’aventure étatique. C’est que le coût politique de la capture de la réglementation, déjà diminué en raison de la dissociation du groupe des CSCE, diminue encore si les entrepreneurs politiques peuvent connaitre un prolongement de carrière dans l’aventure économique : la perte des commandes de l’universel peut être point de départ d’une activité autrement rémunératrice. D’où la naissance d’un groupe social en apesanteur, groupe aidé dans ce nouveau statut par le développement du mondialisme. Avec en conséquence le passage du stade démocratique vers un stade plus proche de l’oligarchie. Ce que certains évoquent en utilisant l’expression de   « surclasse ».

Bien évidemment le fonctionnement des marchés politiques s’en trouve transformé. Souvent duopoles avec barrières à l’entrée très élevées, la quête de l’électeur médian avait déjà rétréci la distance entre les programmes des deux grandes entreprises que l’on trouvait souvent dans l’âge démocratique des Etats. La porosité puis la fusion ne peuvent que renforcer l’étroitesse de l’éventail de l’offre politique, avec une difficulté de plus en plus grande à distinguer une droite d’une gauche, et au final le sentiment de grande confusion… avec toutefois alignement général sur les impératifs de l’économie. Alignement qui n’est que la conséquence logique du processus de fusion en cours : entrepreneurs politique et entrepreneurs économiques qui étaient en même temps citoyens ne sont plus que des « individus désirants » pataugeant dans mille conflits d’intérêts ou délits d’initiés . Et alignement qui développe aussi des effets pervers : les CSCE les plus éloignés d’une possible intégration dans le groupe des oligarques s’organisent en dehors du duopole classique- les partis ayant vocation à gouverner- et deviennent clients d’entreprises politiques nouvelles, étiquetées sous le label de partis contestataires, ou « populistes ».

En mondialisation les Etats et leurs entrepreneurs ne disparaissent pas. Il y a simple transformation de leur rôle. Et cette altération passe par une certaine fin de l’âge démocratique au profit de l’émergence d’un stade oligarchique avec une utilisation de la contrainte publique à des fins privées davantage réservée à un petit groupe d’individus. Pour l’immense majorité, les droits de l’homme semblent se rétrécir à leur définition libérale : vie, liberté, propriété , en abandonnant doucement des droits que l’âge démocratique avait permis d’engendrer.

Le présent texte se voulait simplement analytique et ne propose aucune voie ni aucune solution. Il se veut simple grille de lecture du réel. Ou simple contribution à la connaissance d’un monde qui ne cesse de se transformer : non, monsieur Fukuyama, l’histoire n’est pas terminée.

 

 

 

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1 juillet 2011 5 01 /07 /juillet /2011 07:09

 

Les réactions au sondage de l’IFOP consacré au protectionnisme et au libre échange (20 Mai 2011) sont nombreuses et souvent négatives. Ainsi un article du Monde en date du 30 juin dernier s’organise autour d’un titre fort significatif : « Absurde démondialisation- Refusons la préférence nationale économique ».

Nous voudrions souligner ici que la démondialisation ne signifie pas nécessairement la fermeture et la déconnexion vis-à-vis du reste du monde. Elle signifie simplement une économie mondiale plus respectueuse des hommes et de leur environnement.

Dans le cadre des anciens Etats-nations, la compétition et la « destruction créatrice » chère  à Schumpeter, les perdants n’étaient pas abandonnés par un Etat providence financé par les gains de productivité. Dans le nouveau cadre de la mondialisation, le travail -à grande échelle- de destruction créatrice perd de sa légitimité, puisque d’une part le filet de sécurité antérieur est attaquable par les marchés, et que d’autre part, le déficit de régulation mondiale donne libre cours au mercantilisme le plus brutal : arme monétaire, paradis fiscaux, conditions de travail inacceptables, etc. les perdants deviennent ainsi des inutiles au monde, et des inutiles qui ne peuvent plus vraiment s’exprimer et exiger des compensations, puisque vivant au sein d’un Etat lui-même en difficulté. Les perdants risquent en effet de le rester, et personne ne peut sérieusement croire que les habitants du Péloponnèse équipés de leurs contestés euros,  rivaliseront - même à moyen terme - avec ceux de Shanghai . Le combat est tout simplement inégal. A ce titre, il n’est pas  souhaitable, ni même moralement acceptable.

De fait, la mondialisation est une belle histoire racontée aux enfants. La réalité est que nous assistons à l’émergence de nouveaux Etats qui entendent bien profiter d’une dérégulation généralisée pour se développer. La mondialisation authentique supposerait l’affaissement de tous les  Etats et la naissance d’organisations de régulation planétaire, donc complètement a- nationales. Force est de constater qu’il s’agit d’une utopie, et les grandes instances de régulation (FMI, BIT , OCDE, etc.) sont internationales et le resteront longtemps puisque les seules transformations envisagées ne concernent que le poids de chaque Etat dans les conseils d’administration. Constatons aussi que la seule instance a nationale de quelque importance est La BCE…laquelle voit son action de plus en plus durement contestée.

Démondialiser consiste simplement à prendre conscience, que ce qui s’avère être  une fausse  mondialisation, est une impasse pour l’humanité toute entière. Les déséquilibres majeurs qu’elle entraine doivent être corrigés, non pas par une fermeture inacceptable et le climat d’agressivité mimétique qu’elle peut entrainer. Il s’agit à l’inverse, d’introduire l’idée que les échanges entre nations doivent être équilibrés. Et ce n’est pas parce que la destruction créatrice est plus efficace ici qu’elle doit développer du chômage et des exclusions là. En clair, les plus efficaces ne doivent pas siphonner la demande globale de ceux qui le sont moins, et qui de ce fait sont victimes. Et les victimes ne doivent plus être vilipendées : la productivité est aussi un trait culturel, et toutes les cultures sont respectables. Il est ainsi inacceptable de demander aux grecs de devenir l’équivalent des allemands.

Aussi,  l’équilibre des échanges dans une économie mondiale, suppose de pouvoir imposer à l’excédentaire-  qui au nom de la liberté des échanges siphonne les demandes globales des moins efficaces-  des mesures propres à la réduction de son excédent : hausse des salaires, réévaluation de sa monnaie,  taxes à l’exportation, etc. Ce qui n’empêche évidemment pas les moins efficaces de s’améliorer, pour éviter une dégradation des termes de l’échange . Dispositif  d’équilibre développant aussi d’autres conséquences. Par exemple, celle d’une baisse du volume du commerce international en raison de la diminution des échanges, entre filiales d’une même entreprise, ne bénéficiant désormais plus de  gains à l’échange fabriqués sur d’inacceptables différences. De quoi reconstruire le corps des ses institutions démembrées que sont devenues les entreprises en mondialisation. Et de quoi aussi diminuer la pression sur un environnement fatigué par des transports inutiles et moralement contestables.

Keynes avait pensé à cet équilibre nécessaire d’une économie mondiale. Conscient du chaos provoqué par la guerre des monnaies dans les années 30, et la montée du protectionnisme qui lui était associé, il militait pour une régulation mondiale qui ne soit pas la mondialisation d’aujourd’hui. Il est temps de revenir sur les projets qu’il défendait à Bretton-Woods.

Dernier point : l’équilibre des échanges n’est en aucune façon l’argument de la préférence nationale souvent évoquée pour d’autres motifs.

                                                                                Jean Claude Werrebrouck

                                                                            Membre fondateur de l’Association            

                                                                "Manifeste pour un débat sur le libre-échange"

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21 juin 2011 2 21 /06 /juin /2011 09:07

   

Si le système financier a pu atteindre des dimensions jugées disproportionnées, c’est disions- nous en raison d’un processus généralisé de titrisation du réel. Encore faut-il que ce dernier soit titrisable et donc accessible à la titrisation. De  ce point de vue, lorsque le monde réel vit au sein d’un marché muselé voire interdit, le carburant d’une financiarisation sans limite se fait trop rare. C’est le cas lorsqu’un système monétaire international, tel celui de Bretton Woods  surveille étroitement le strict respect du principe des taux de change fixes ; ou lorsque les déficits publics sont gérés hors marché par répression financière; voire enfin,  lorsque la bancarisation d’une société se trouve très limitée .

Autant de faits qui renvoient à l’organisation politique du réel. D’où l’hypothèse suivante : les caractéristiques qualitatives et quantitatives  du système financier renvoient au mode d’appropriation de la contrainte publique à des fins privées,  et donc aux modalités de fonctionnement des Etats.

Si l’on considère 3 états possibles du système financier : un système de banques libres, un système hiérarchisé avec banque centrale dépendante des Etats, et un système hiérarchisé organisant l’indépendance des banques centrales, il est possible d’établir une relation de correspondance entre forme du système financier et forme de l’Etat.

Un objet éphémère : la banque libre.

Une première relation de correspondance peut être lue empiriquement, dans ce qui faisait, à la fin du moyen-âge, l’articulation des familles de financiers pratiquant librement le change des monnaies, aux pouvoirs étatiques monopolisant le monnayage des espèces métalliques. Articulation bien examinée par Boyer- Xambeu ( « Monnaies privées et pouvoirs des princes »- Presses de sc-po- 1986). Plus théoriquement, il s’agit là d’entrepreneurs économiques- des  banquiers privés- en relations plus ou moins conflictuelles avec des entrepreneurs politiques – des princes- utilisant la contrainte publique à des fins privées . Jeu d’acteurs bien connus des théoriciens de l’aventure étatique.

Ce premier mode de congruence, entre système financier et forme étatique, n’avait qu’un avenir limité tant la suite de l’aventure étatique devait confirmer l’unité, entre cet équivalent général qu’est la loi,  et cet autre équivalent général qu’est la monnaie. Toutefois des réseaux de banques libres, travaillant en milieu concurrentiel, ont existé dans nombre de pays, et en particulier en Ecosse entre 1715 et 1845. Des banques libres, émettent ainsi de la monnaie privée sur la base de contrats de monnaie, jouissant des principes de la rigueur des contrats. Cela signifie que le papier émis ne peut être manipulé, sauf à encourir des sanctions juridiques portant jusqu’à la saisie des biens propres des banquiers émetteurs. Parce qu’échange privé, le contrat de monnaie prévoit le respect des droits de propriété des échangistes. Un libertarien comme Hayek, sera au 20ième  siècle, évidemment favorable à la privatisation de la monnaie, comme solution au strict respect des contrats.

En raison de sa nature contractuelle, la monnaie émise par ces banques libres, est un équivalent général contractuel et non légal. C’est dire que les diverses monnaies émises en concurrence, doivent pourvoir s’échanger librement, sur la base de la confiance envers les divers contrats de monnaie. Cela signifie une très grande responsabilité des banquiers, qui sont porteurs d’un intérêt complètement personnel à la valeur de la monnaie qu’ils émettent. Ce qui nous éloigne des libertés autorisées par le bouclier du « too big to fail », et de tout ce qui aura permis sa construction. Au plan étatique, cela signifie encore des entrepreneurs politiques qui se bornent à n’utiliser la violence de la loi, que pour faire respecter la propriété.

La finance enkystée dans l’Etat

 Objet historique aujourd’hui disparu, il est difficile d’estimer la taille du système financier qui aurait ainsi pu s’épanouir. Toutefois on peut penser, que le principe de responsabilité extrême sur lequel repose un tel dispositif, aurait bloqué le développement excessif de la liquidité, les bulles correspondantes, la titrisation scabreuse, etc. De quoi finalement penser, que le système financier se serait développé en homothétie avec le réel, ce qui interdit, en principe… des bilans plus lourds que le PIB du pays d’accueil…. Phénomène parfois rencontré aujourd’hui.

La seconde relation de correspondance entre système financier et système étatique, est plus historique, et correspond approximativement aux aventures du  19ième et surtout du  20ième  siècle. Ici, l’équivalent général n’est plus de nature contractuelle : il devient légal. La violence de la loi  (monopole d’émission, cours forcé, inconvertibilité etc.) permettant à des entrepreneurs politiques d’un espace, parfois en conflits avec d’autres entrepreneurs politiques d’un autre espace, de ne plus respecter les droits de propriété des porteurs de monnaie. Désormais, sur la base de l’idéologie d’un intérêt public, par exemple l’idée de nation, se met en place un système financier hiérarchisé, avec banques centrales et banques de second rang. Quelle que soit la forme prise – banque centrale privée ou publique, banques de second rang plus ou moins spécialisées, ou plus ou moins réglementées, voire nationalisées -  les entrepreneurs politiques octroient un monopole d’émission à la banque centrale, tandis que les banques de second rang conservent leur pouvoir de création monétaire, sur la seule base de la libre conversion de leur monnaie. Une monnaie qui n’est plus assortie d’un contrat de monnaie, puisque la base monétaire reste la monnaie centrale. La marche vers l’abandon de l’or et l’inconvertibilité généralisée, procure des marges de manœuvres croissantes au profit des entrepreneurs politiques, lesquels délimitent de plus en plus le terrain de jeu du système financier, un système parfois complètement articulé et cadenassé, à l’intérieur d’un vaste « circuit du Trésor » (France). Terrain de jeu effectivement limité : activités bancaires spécialisées et dûment compartimentées, règlementation stricte concernant les mouvements de capitaux, financement hors marché des déficits publics, large contrôle des prix sur les grands produits de base limitant leur financiarisation,  etc. le métier de banquier se transforme progressivement, le travail de  simple bancarisation croissante , se substituant aux responsabilités lourdes d’un « bank run », devenu impossible dans une situation qui assure la domination/protection  des entrepreneurs politiques, lesquels travaillent idéologiquement au nom d’un intérêt général. Parce qu’il existe désormais un prêteur en dernier ressort, parce qu’il existe une règlementation fine limitant- parfois au quotidien- l’éventail des possibles, le banquier souvent resté privé, n’est plus que l’ombre d’un chef d’entreprise : il est largement déresponsabilisé. Simple gestionnaire, souvent à l’abri d’une concurrence restée très timide, il gère des crédits, dont les modalités relèvent davantage de circulaires, que de contrats individualisés et librement négociés.

Le système financier qui résulte de ce type d’articulation avec l’ordre politique, s’accroit – dans son volume- par la simple bancarisation des activités, mais ne se développe pas par détachement vis-à-vis de la réalité. Parce que les entrepreneurs politiques se trouvent dans l’obligation historique de gérer en hiérarchie – conduite des guerres, reconstruction, édification d’un Etat-providence- peu de place est laissée à ce qui pourrait être le carburant d’une titrisation généralisée. Et Bretton Woods ajoutera sa pierre, afin que le système financier soit préservé du gigantisme qui allait devenir sa maladie de la fin du 20ième siècle. La répression financière correspondant à ce type de monde participe au développement de l’idée d’un intérêt général. Et le marché politique et la forme d’Etat qui lui correspond connait probablement un âge d’or : celui d’un fordisme triomphant.

L’ Etat enkysté dans la finance 

La troisième relation de correspondance entre système financier et système étatique, est le fait de la présente période. Période qui nous fait passer d’une finance enkystée dans l’Etat, à un Etat enkysté dans la finance. Ce qui ne voudra pas dire la disparition du politique mais simplement un fonctionnement, toujours ô combien nécessaire, sur la base des intérêts supérieurs de la finance. Ce qui ne voudra pas dire non plus libéralisme, et l’image du renard libre dans le poulailler libre, mais échange de services entre financiers et entrepreneurs politiques, avec pour résultat, l’irruption de l’utopie  mondialiste affaissant les frontières, territoires, et institutions, et déployant l’individu libre mais assujetti à ses désirs, consommateur a- national, souvent investisseur planétaire et parfois libéré – malgré lui -- de toute structure productive.

Le point de départ du nouveau paradigme est la fin de Bretton Woods, fin  proclamée par le président des Etats Unis le 15 août 1971. Désormais il n’y aura plus de limite au « déficit sans pleurs » (Rueff) et l’aventure de la mondialisation peut commencer, avec ce que nous appelons l’édification des « autoroutes de la finance ». La construction est un fait juridique, lourd et massif, donc produit par les entrepreneurs politiques. Ce sont les Etats qui vont fabriquer les marchés financiers et la mondialisation. Ce sont donc les entrepreneurs politiques qui vont choisir de « renverser le monde », et de ne plus avoir une finance enkystée dans les Etats, mais des Etats enkystés dans la finance.

Cela commence avec la fin des taux de change fixes et la convertibilité généralisée- décision politique, il est vrai grandement acquise sous la pression des professionnels de la City - avec en conséquence la naissance d’un gigantesque terrain de jeu pour tous les « investisseurs » sur le risque monétaire. Cela se poursuit avec le big-bang du London Stock exchange avec les  « 3 D » qui vont lui correspondre : Déréglementation, Décloisonnement, Désintermédiation. Travail juridique considérable, avec souvent cartellisation des entreprises politiques qui vont en être les promoteurs,  et en bout de piste la privatisation générale de toutes les institutions chargées de dire les prix, notamment les bourses partout dans le monde occidental, mais aussi la fin des professions réglementées comme celle des agents de change. C’est aussi la mise en continu du marché. C’est bien sûr, au nom de la profondeur et de l’efficience des marchés que les Etats cesseront la vente directe de bons du Trésor, pour désormais passer par les marchés offerts par les banques désormais internationalisées par le jeu de la libre convertibilité : les Etats veulent internationaliser leur dette et vont donc tout entreprendre pour assurer une parfaite libre circulation des capitaux. Mais c’est aussi la décision de libérer les banques centrales des contraintes publiques : elles deviennent toutes indépendantes et chargées pour l’essentiel de contenir l’inflation, donc favoriser l’épargne.

On aurait tort de croire que cet immense travail juridique mené sur plus de 15 années correspond à autant de « contrats » déséquilibrés; au détriment des Etats et de leurs entrepreneurs. Et ce n’est pas parce que l’on passe de la finance enkystée dans les Etats, à des Etats enkystés dans la finance, que les entrepreneurs politiques vont perdre à l’échange. De fait, il s’agit souvent d’accords mutuellement avantageux, puisque dans bien des cas, la financiarisation permettra de nouvelles politiques sociales, porteuses de bulletins de vote. Tel est est le cas des prêts « NINJA » (« no income, no job, no assets ») qui correspondent certes à une imposition de la puissance publique, mais sont aussi assortis de dispositifs de couverture, et d’évacuation des risques sur d’autres agents : titrisation généralisée, produits structurés, émergence des CDS, force gravitationnelle de Freddie Mac et Fannie Mae, etc. Bref des contrats qui développent les avantages du clientélisme pour les uns – entrepreneurs politiques- et la déresponsabilisation pour les autres – la finance.

Nouvelle articulation finance /Etat et production d’un monde nouveau

Sans cet énorme travail juridique, qui n’est que la construction politique de ce qu’on appelle la mondialisation, il n’y aurait pas aujourd’hui cet ensemble de faits qui questionnent, mais qui prennent sens et sont parfaitement explicables: montée des dette publiques gérées sur le marché international par des agences spécialisées, chargées d’en réduire le coût; internationalisation du capital des entreprises, et réduction des formes sociales aux fins de  généraliser le modèle par action ; montée des déséquilibres internationaux ( « global imbalences ») avec  forte croissance des inégalités entre groupes sociaux à l’intérieur des pays ; innovations financières permanentes construisant une épargne moderne, ardente consommatrice de dettes publiques désormais marchandisées ;  élargissement considérable des comportements à risques : minimisation des fonds propres, titrisation échevelée et généralisation des activités hors bilan, etc. ; développement sans limite de la spéculation sur les devises, matières premières, produits de base, avec leurs entreprises correspondantes : Hedge funds, souvent équipés de produits systémiques comme le « Exchange Trade Fund », avec effacement de la frontière  morale et juridique,  entre ce qui est réputé « investissement » et ce qui est réputé « spéculation » ; alourdissement qualitatif et quantitatif des paradis fiscaux davantage spécialisés dans la compétitivité règlementaire; montée de la banque universelle et des conflits d’intérêts qui lui sont possiblement associés ; privatisation des organismes d’édiction des normes comptables ; développement d’un complexe « politico-financier », avec élargissement d’une communauté de « fonctionnaires –financiers » (notamment en France ), ou de « financiers- fonctionnaires » (notamment aux USA) ; mutation  des nations en sociétés anonymes plongées dans un milieu concurrentiel avec citoyens actionnaires et Etats transformant, dans le monde des apparences, le politique en simple « gouvernance ».

Ce partenariat exemplaire, faussement libéral et tout aussi faussement keynésien, entre financiers et entrepreneurs politiques développe 2 conséquences.

La première est la plus évidente : les Etats se font dans le monde des apparences beaucoup plus petits, et la finance complètement tentaculaire….avec les revenus correspondants. La réalité est autre : le gigantisme financier est le moyen nouveau de l’aventure étatique. Ce sont toujours les Etats et leurs entrepreneurs qui tiennent les ficelles règlementaires, et donc fixent les règles du jeu. Et un jeu qui permet au moins de gagner du temps, c'est-à-dire de prolonger un fordisme – désormais malade car amputé dès la fin des années 70 de ses magiques gains de productivité- par d’autres moyens : maintenir l’emploi en stimulant les demandes globales par le fantastique développement du crédit, donc de la dette privée (USA, Irlande, Grande Bretagne, Espagne, etc.) ; maintenir l’Etat providence malgré les pertes de ressources fiscales du fordisme déclinant en développant une dette publique d’autant moins couteuse qu’elle se trouve davantage internationalisée ( France notamment) ; et en raison des mêmes causes et avec les mêmes moyens, maintenir la puissance (USA). Le fordisme triomphant n’avait guère besoin d’une finance développée. Son agonie, et l’affolement des entrepreneurs politiques qui s’en nourrissaient, justifient de la part de ses mêmes entrepreneurs, un fantastique investissement vers une finance qui deviendra tentaculaire. Le politique ne s’efface pas, derrière un faux libéralisme et la gigantesque construction financière, et ses entrepreneurs ont besoin de pérenniser un partenariat équilibré avec les banques : Il faut   sauver ces dernières durant la crise … pour que les entrepreneurs en question se sauvent eux-mêmes. Clientélisme et irresponsabilité, restent les objectifs du mariage entre désormais le « petit Etat » et  la « grosse Banque ». Et mariage qui jusqu’ici ne supporte pas l’infidélité.

La seconde ne concerne pas directement cet article centré sur le gigantisme financier. Pour autant elle est aussi la conséquence du partenariat entre banquiers et entrepreneurs politiques. Dans le fordisme devenu mutant, le citoyen va apparaitre à tout le moins dissocié. Jadis, en fordisme, au centre de 3 cercles concentriques ( citoyen/salarié/consommateur), il est désormais, en tant qu’enfant du « petit Etat » et de la « grosse Banque » un être dissocié : il tue involontairement son statut de salarié, en satisfaisant ses désirs consuméristes de marchandises mondialisées acquises à l’aide d’ un crédit facile ; Il aime ce sous produit du mariage des Etats et de la finance qu’est la « drogue –euro », laquelle  lui procure un pouvoir d’achat élevé, souvent invisiblement dissocié de sa productivité… dissociation dangereuse pour son emploi ;   Partiellement issu  d’obscures pyramides financières ( CADES, ACOSS  etc.) , il sait que le service public dont il est usager pourrait s’effondrer ; Par ailleurs Il ne voit plus  pourquoi il financerait par l’impôt, le service d’une dette qui gave la finance et aggrave son gigantisme. Jadis enchâssé dans le politique et les institutions de la nation, il se sent à la fois perdu et libéré et veut chaque jour se libérer davantage.

Ce temps de la finance gigantesque n’est évidemment qu’un étape dans l’histoire, et étape peut-être assez brève puisqu’elle n’est que la conséquence du refus de voir s’étioler le paradigme fordien . Un paradigme que l’on maintient artificiellement, avec des bulles qui ne peuvent qu’exploser. Et bulles successives, qui correspondent à un jeu d’acteurs prisonniers du  mythe de la « fin de l’histoire » : marché généralisé et démocratie représentative, sont vécus par tous comme des aboutissements indépassables. L’avenir est à imaginer, mais parce qu’il est interdit de penser, les hommes fabriquent des rustines, alors qu’il faudrait élaborer des stratégies de changement.

 

 

 

 

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