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7 novembre 2011 1 07 /11 /novembre /2011 15:37

 

Le présent texte vient commenter les deux schémas construits pour bien comprendre les enjeux notamment européens dans les semaines et mois à venir.

 schema8

 

 

Le premier représente le système monétaire et financier actuel, avec comme fait fondamental , l’indépendance de la banque centrale et le système de banque universelle qui, entre autres, dispose de la maitrise complète du réseau monétaire en tant que bien public fondamental. La capture du bien public – la monnaie et son réseau -par des intérêts privés signifie aussi la captation d’une rente monétaire que les Etats doivent payer. Les budgets publics, surtout en mondialisation, font eux aussi l’objet de vigoureuses empoignades entre les divers groupes sociaux, parmi lesquels  les entrepreneurs politiques, ce qui signifie des équilibres difficiles voire impossibles. La mondialisation, avec les gigantesques déséquilibres extérieurs qu'elle a engendrés, et son corollaire qu'est  la rente monétaire, explique l’essentiel des endettements publics. De ce point de vue, mondialisation et indépendance des banques centrales sont les deux machoires de l'étau dont l'une produit le déficit et l'autre le fait payer pour générer le gigantesque flux de rente.

La réforme proposée- et c’est l’enjeu du second schéma-  fait disparaitre la rente, voire la renverse au détriment du système financier en faisant disparaitre la fiction de la pénurie monétaire.

  schema7

 

 

 

Elle s’articule autour de plusieurs points :

 

1 Il est mis fin à l’indépendance des banques centrales- d’où la flèche entre la banque centrale et le Trésor sur le schéma-  lesquelles ont pour mission de fabriquer des signes monétaires selon les exigences de l’Etat, instance qui reprend le contrôle de l’accumulation et de son orientation globale.

 

2 La capture de la réglementation, et donc la privatisation de la chose publique, est parallèlement freinée par la déprofessionnalisation massive des fonctions politiques, mesure faisant l’objet d’une inscription constitutionnelle. L’équilibre des budgets de fonctionnement, peut aussi bénéficier d’un ancrage constitutionnel au motif que la fin de la rareté monétaire, ne se prolonge d’une surabondance inflationniste : les budgets de fonctionnement  ne peuvent être alimentés par une quelconque « planche à billets ». Il n'est nullement question d'en revenir aux Assignats.

 

3 Les banques se voient privées des facilités de la création monétaire, ce qui signifie pour l’essentiel le nécessaire achat de liquidités à une agence publique de vente de monnaie, laquelle commercialise une partie de la monnaie produite par la banque centrale. Ce que l’on repère dans le schéma par les rubriques « vente de monnaie » et « achat de monnaie par le système bancaire » .

 

4) La rente est "renversée", et ce n’est plus le Trésor qui paie la rente monétaire, mais le système financier qui alimente les budgets publics. Ce que l’on repère dans le schéma par la rubrique « appropriation de la rente monétaire par l’Etat » et la flèche correspondante.

 

5) La banque universelle disparait au profit de 3 structures, dont la première sert à couvrir le réseau, et à le faire fonctionner selon une logique de service public ( les BEM) et les autres à financer le crédit et l’investissement à partir de la création monétaire de la banque centrale , et création monétaire  commercialisée par l’Etat et l’ agence précitée.

 

Cette réforme n’a rien de technique, et se trouve fondamentalement politique : des groupes sociaux vont perdre, et d’autres vont gagner. Et cette nouvelle donne sociale repose toute entière sur la captation/production de monnaie. Les producteurs et les décideurs ne sont plus les mêmes : ce n’est plus le système  bancaire qui vend la monnaie, mais l’Etat. Renversement qui correspond à un bouleversement global de l’ensemble de la société. Sans toutefois la remettre dans son état antérieur à la loi du 3  janvier 1973 en France, et aux lois correspondantes dans nombre d’autres pays (34 banques centrales vont adopter une législation semblable entre 1990 et 2001). C’est que la situation antérieure, correspondait aussi à des marchés politiques, où partout la professionnalisation du politique était la règle avec les biais correspondants. Cela pouvait signifier parfois «  la planche à billets » que le dispositif proposé récuse. Il n’y a donc pas de retour en arrière, mais un monde autorisant les investissements publics massifs de naguère, tout en améliorant aujourd’hui une gestion budgétaire plus responsable et plus équilibrée.

 

Parmi les groupes sociaux gagnants, il faut compter :

 

1 Les salariés qui ne peuvent que bénéficier d’un retour du développement , lui -même autorisé par le caractère massif de l’investissement public et de la mobilisation des facteurs de la production  qui va lui correspondre ( en cette fin d'année l'INSEE nous indique que l'utilisation des  capacités de production ne cessent de baisser en France). Le renversement du contrôle de la monnaie rétablit le long terme, les projets, et la fin de la dictature d’un futur qui s’écrase sur le présent, en raison de la disparition des investissements publics, voire de l’investissement privé lui-même.

 

2 les entrepreneurs de l’économie réelle qui vont bénéficier des externalités nouvelles produites par le nouvel Etat investisseur et « réducteur d’incertitudes » .

 

3 les citoyens qui tout en continuant – fait invariant de toute société- à utiliser la contrainte publique à des fins privées, seront moins handicapés par le lourd tribut payé à l’entrepreneuriat politique, désormais beaucoup moins résistant en raison des nouvelles dispositions constitutionnelles. Ajoutons , fait essentiel, qu’il sont censés ne plus payer la rente au système financier, et au contraire à récupérer la rente inverse que le système financier devra à l’Etat. Ce qui signifie de nouvelles marges de négociations entre citoyens et les nouveaux gestionnaires - les nouveaux politiques - des outils  de la contrainte publique .

 

Parmi les groupes sociaux perdants, il faut compter :

 

1 les entrepreneurs politiques amenés à ne plus pouvoir investir dans une carrière de long terme et à ne plus pouvoir orienter la nature des produits politiques qu’ils vendent vers cette éternelle finalité : reconduction au pouvoir ou conquête du pouvoir.

 

2 Les entrepreneurs de l’économie financière et de l’économie casino , la dette publique n’étant plus la mère nourricière et le point d’appui de la créativité financière . Cela signifie une cure drastique d’amaigrissement des bilans, et la fin des miracles financiers et des rémunérations sans causes.

 

3 Les épargnants et usagers de l’économie casino. Les premiers, sans redevenir victimes de la répression financière du 20ième siècle devront se contenter de produits d’épargne beaucoup plus rustiques et d’une rentabilité plafonnée par la croissance de l’économie réelle. Les seconds, en raison de l’étroitesse nouvelle des terrains de jeux financiers, et de leur extrême surveillance, par des autorités et régulateurs nouveaux et démocratiquement contrôlés , constateront qu’il n’est plus possible de vivre en état d’apesanteur, et feront le douloureux apprentissage de la pratique de l’économie réelle, où valeur ajoutée n’est plus confondue avec « accroissement de la valeur » .

Le passage du schéma 1 au schéma 2 n’a rien de mécanique et les sociétés humaines ne sont pas des machines, ce qui signifie que des réactions suivront la brutale redistribution des positions sur l’échiquier social. En particulier il faut imaginer la fuite, vers d’autres terrains de jeu, des nouveaux perdants, à la recherche d’espaces moins contraignants. D’où la question de l’international.

 

  Car précisément  Le renversement de la rente ne se conçoit idéalement que dans le cadre d'Etats- Nations dont l'ouverture est plus ou moins contrôlée. De ce point de vue le schéma 2 est insuffisant en ce qu'il ne permet pas l'intégration de l'international.

A suivre...

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3 novembre 2011 4 03 /11 /novembre /2011 13:22

 

                          

L’architecture de base de la réforme financière analysée dans notre précédent texte apporte beaucoup, mais laisse sans solutions de très importantes questions.

Les apports solides de l’architecture de base

1 Ce qui semble réglé est le potentiel de croissance et les nouveaux horizons qui peuvent s’ouvrir : la banque centrale sous les ordres du Trésor, et l’Agence France Trésor mutée en « Agence Publique de Vente de Monnaie au Système Bancaire » autorise les investissements massifs dont le pays a besoin  (4OO milliards d’investissements publics et privé auraient été évité en France depuis 1980 selon Delpla et wyploz). En particulier il faut imaginer des investissements publics suffisamment massifs pour remettre en activité nombre de chômeurs et remplir nombre de carnets de commandes trop désertés : Embauches massives, pour remise en état des infrastructures (rail, route, canaux, etc ), pour remise en état du parc de logement, pour la mutation écologique, etc. Massifs investissements publics justifiant la relance de l’investissement privé, avec rapidement le desserrement actif  des contraintes budgétaires : baisse immédiate des dépenses liées au chômage de masse.

2 Ce qui semble également positif est l’émergence progressive d’un monde beaucoup moins soumis aux boursouflures spéculatives. Dans « Sortie de l’euro : en bon ordre ou en mode panique ? » et « Avertissement aux liquidateurs de la zone euro » noua avions insisté sur les grands risques associés à un changement de paradigme monétaire : grand chambardement dans les bilans bancaires avec toutes les conséquences largement imprévisibles d’un effet « aile de papillon » à l’échelle de la planète. L’architecture de base ne promet certes rien, mais elle est prudente en ce qu’elle ne propose pas de changement de paradigme et peut très bien assurer à un euro désormais produit et géré en dehors des aléas de marché un avenir véritable. Sans doute la zone euro restera t’elle « bateau de passagers clandestins », mais désormais les dits passagers, seront infiniment plus responsables en ce qu’ils ne pourront plus se lover dans les délices dangereux du marché. La réforme de la finance  telle que nous l’avons envisagée ne fait plus de la monnaie unique une drogue mais un outil de développement. De quoi sortir de l’euro sans le quitter.

Reste à imaginer les scénarios de l’internationalisation de la réforme de la finance, en nous limitant pour l’essentiel à la zone euro.

Plaçons-nous tout d’abord dans le scénario d’un seul Pays : la France. Avec deux hypothèses possibles : la zone euro ne réagit pas malgré le non respect des règles de la zone, ou à l’inverse les réactions sont possibles et à imaginer.

L’adoption de l’architecture de base par un seul, et l’immobilisme de tous les autres

Dans le premier cas nous sommes en présence d’un scénario idéal, ou presque…

Avec les possibles caractéristiques suivantes : la panique sur les stocks de dettes détenues par les non résidents (un peu plus de 1000 milliards d’euros) est brève puisque la capacité à rembourser devient illimitée, dans le cadre d’un taux de change inchangé en raison du maintien de l’euro. Les dettes des entreprises détenues par des non résidents ne sont pas affectées. Les échanges de biens et services à l’intérieur de la zone non plus. Les bilans bancaires sont peu affectés et seule la rente avec la rémunération de l’épargne se trouve affectée. Faits qui sont aussi la contrepartie d’un taux d’intérêt désormais maitrisé en raison du renversement des règles du jeu. Avec aussi des conséquences positives pour le financement des entreprises désormais libérées d’une contrainte forte.

A ces caractéristiques il convient d’en associer d’autres : compétitivité internationale inchangée, voire dégradée en raison des facilités procurées par de nouveaux débouchés intérieurs largement facilités et impulsés par l’Etat. Les débouchés domestiques devenant larges, l’effort à l’international se trouve moins encouragé. Mais aussi, autre conséquence, début de fuite de l’épargne et de capitaux financiers vers des cieux plus cléments envers la rente. Avec probable délocalisation d’activités que la réforme de la finance voulait en toute hypothèse étrangler : l’ensemble des entreprises casinos. Et même délocalisation de banques, qui à l’étranger peuvent retrouver les délices d’une création monétaire désormais interdite.

Pour autant,  en raison de son aspect libératoire au regard de la loi d’airain de la monnaie, ce scénario ne peut que développer un mouvement mimétique, dont les auteurs sont déjà connus : l’Europe du sud. Ce qui tend à élargir la zone de croissance mais aussi les inconvénients déjà cités. Tant que la croissance procède par réanimation de facteurs de la production non utilisés, les risques de dérapages inflationnistes sont limités. Il faut toutefois signaler- si le courant mimétique est suffisamment puissant et entraine de grands pays : Italie, Espagne etc.- une belle opportunité de dépréciation du taux de change de l’euro en raison des spécificités de sa production, laquelle devient – dans le cadre des présentes croyances monétaires et malgré les précautions prévues dans l’architecture de base – réputée inflationniste. Avec toutes les conséquences en matière de compétitivité nouvelle de la zone, et de possibles réactions chinoise, américaine, etc.

Si la réaction mimétique devait atteindre l’Europe du nord, ce qui est une hypothèse peu réaliste en raison des croyances monétaires dominantes en Allemagne, la zone euro serait métamorphosée, sans doute positivement, et serait internationalement plus compétitive au grand bénéfice de ceux qui l’étaient déjà. Par contre les inégales compétitivités à l’intérieur de la zone demeurent. Elles sont néanmoins relativement plus supportables – mais dans des limites très étroites -  pour les moins compétitifs, qui vont bénéficier d’un taux de change plus favorable dans leurs échanges avec l’extérieur de la zone.

Ce scénario global, qui postule un renversement progressif mais radical des croyances monétaires, est au fond assez optimiste, et le risque réel est plutôt l’hostilité globale, envers ceux des pays qui renoncent à la loi d’airain de la monnaie. D’où un second scénario.

L’adoption de l’architecture de base par un seul…. et l’hostilité des autres…ne change rien...

L’hostilité peut se manifester par des réactions juridiques, voire plus matérielles, difficiles à imaginer, en raison de textes inadaptés à l’hypothèse de la réforme financière envisagée. On peut néanmoins penser, que les pays de la zone déclarent illégal, le renversement des règles du jeu ; en particulier l’abondement du compte du Trésor par la banque centrale pourrait être considéré, à tout le moins,  comme une utilisation abusive des institutions européenne. Dans le cas où le pays – la France dans notre exemple -s’affranchissant de la loi d’airain de la monnaie, se trouverait condamné, il ne resterait plus que l’hypothèse d’une sortie de la zone euro. Les coûts de sortie sont extrêmement élevés, surtout en raison du poids de la dette publique et privée, détenue par les non résidents (1000 milliards d’euros pour la France). Cela signifie à contrario un coût potentiel énorme pour les créanciers…avec la certitude d’un effet domino planétaire, si un défaut intégral était décidé.

Mais Il convient  de se faire plus précis. Si le coût des sanctions infligées par les autres pays est inférieur au coût de sortie de la zone, il est clair que les entrepreneurs politiques du pays, refusant la loi d’airain de la monnaie, décideront de confirmer leurs choix. Ce qui peut entrainer de nouvelles sanctions, dont l’inventaire est évidemment difficile à établir, et sanctions dont le coût finirait par dépasser celui d’une sortie de l’euro. Il faut pourtant bien comprendre, que le choix de la montée des sanctions, et de la sortie est peu vraisemblable, car il devient ruineux pour les entrepreneurs politiques de toute la zone. Nous sommes en effet ici dans une situation qui rappelle l’équilibre de la terreur et de la dissuasion nucléaire. Pousser l’un des membres de la zone vers la sortie, c’est l’obliger à utiliser l’arme suprême se retournant contre l’ensemble de la zone. C’est bien jusqu’ici ce que nous constatons pour un très petit pays : la Grèce. Ainsi les accords de Bruxelles du 26 octobre 2011, sont à la limite du supportable pour les entrepreneurs politiques grecs qui risquent de perdre pied, et une attitude irrespectueuse, voire légère, envers les dits accords reste finalement « comprise », tant les risques sont grands. On se doute que pour un pays comme la France -environ 9 fois le PIB grec- il n’y a plus de risque, mais une certitude d’explosion généralisée, aux conséquences planétaires. On peut donc penser que la logique de l’équilibre de la terreur, rendra fort modérée, l’hostilité de ceux qui souhaitent combattre le renversement du paradigme monétaire.

Equilibre mimétique de la terreur, et prolongation de vie du bateau des passagers clandestins

Le second scénario nous renvoie ainsi au premier : un équilibre mimétique de la terreur se met progressivement en place, avec maintien d’un euro assorti d’un taux de change fortement affaibli. De quoi prolonger un peu plus longtemps le bateau des passagers clandestins. Une prolongation plus durable si le mimétisme se bloque sur l’Allemagne, pays dont les entrepreneurs politiques  ne peuvent être que les derniers à refuser l’architecture de base, voire même la simple monétisation de la dette. La probabilité de voir ainsi l’Allemagne quitter la zone n’est pas négligeable, même si l’addition des avantages du retour au mark – respect des croyances collectives sur la monnaie – est inférieure à celle des coûts associés : gigantesque perte de débouchés pour les entreprises exportatrice, faiblement compensée par des importations moins couteuses. Notons aussi, que l’Allemagne est le pays de la zone dont le passage, de la monnaie unique à l’ancienne monnaie nationale, est le plus aisé : les actifs détenus par les non résidents, ne sont pas menacés comme ils le sont pour un pays périphérique. Le changement de base monétaire n’entrainerait ainsi aucune incontrôlable panique, et son coût technique et politique serait faible. Il pourrait même bénéficier à nombre de résidents  qui empocheraient le potentiel de réévaluation. De quoi faire basculer plus facilement le marché politique allemand vers l’abandon de l’euro.

Il y aurait ainsi effectivement prolongation de la durée de vie du bateau des passagers clandestins en ce que ces derniers cesseraient d’être les victimes, de la sur- compétitivité allemande, ou du mercantilisme monétaire des pays émergents.

Resterait évidement à discuter de scénarios à plus long terme. L’adoption à vaste échelle de l’architecture de base, laisse de côté les inégales productivités, et les déficits massifs des balances de base des plus fragiles. Même entièrement revisitée par la réforme de la finance, la monnaie unique conserve ses défauts de monnaie unique : loin de permettre la résorption des déséquilibres extérieurs, elle ne fait que les aggraver.

A suivre….

 

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28 octobre 2011 5 28 /10 /octobre /2011 09:48

                    

En bloquant toute transformation du FESF en banque appuyée sur la BCE, les entrepreneurs politiques européens limitent encore le risque de monétisation des dettes souveraines et continuent de préférer les ressources publiques, avec il est vrai la contribution des banques au remboursement de la dette. Tel est le sens qu’il faut donner aux décisions du 27 octobre dernier.

Le rôle de la BCE se limitera donc  à l’achat de bonds sur le seul marché secondaire des pays en difficulté. Ces achats sont  devenus non négligeables  (près d’un milliard d’euro par jour au cours de la dernière période) et s’accumulent sur le bilan (170 milliards de dettes souveraine en difficulté).

Au-delà de la technicité apparente , le  compromis obtenu est le fruit de la rencontre entre 2 philosophies monétaires : la loi d’airain de la monnaie a valeur quasi constitutionnelle en Allemagne . Elle ne bénéficie que d’une valeur relative dans la hiérarchie des normes pour la France.

Pour la partie allemande, la volonté de faire payer les banques était en congruence avec celle d’un simple élargissement sans transformation qualitative du FESF : il faut simplement en accroitre sa puissance d’intervention en privilégiant la créativité financière : le rehaussement de crédit, et l’ajout d’investisseurs nouveaux : les véhicules spéciaux.

Pour la partie française, on était prêt, consciemment ou non,  à accroître sans véritable limite le bilan de la banque centrale : il s’agissait donc de protéger les banques : donner de meilleures couleurs à leur bilan et les protéger du défaut, en transformant quantitativement et qualitativement le FESF.

Au regard du compromis obtenu, le point de vue allemand l’emporte magistralement. Mais l’accord ne peut être que fort précaire, en raison de l’énormité des problèmes résultants de l’énormité des endettements publics et privés sur l’ensemble de la zone euro. C’est dire que la partie française n’a pas dit son dernier mot, non par force, mais bien au contraire par faiblesse : les marchés politiques français – mais aussi d’autres pays - finiront par se renverser et bouleverseront les croyances monétaires, probablement dans le sens de ce que nous anticipons dans la « réforme de la finance ».

De ce point de vue, L’Allemagne et ses entrepreneurs politiques, trouvent dans les entrepreneurs politiques chinois, des alliés susceptibles de prolonger l’agonie de la zone euro, et de retarder le probable grand saut vers l’inconnu. Ces mêmes entrepreneurs se feront un cadeau en « portant aide » à l’élargissement du FESF, qui d’une certaine façon, devient partiellement une agence de la dette type «Agence France Trésor ». Il est d’ailleurs amusant de constater que ce FESF en construction,  se trouve en situation d’apprentissage auprès du « Finanzagentur », lequel est l’équivalent allemand de l’AFT. C’est dire que l’on compte bien continuer, grâce à la générosité chinoise, à gérer la dette publique selon son « mode marché » avec  les outils les plus modernes  de la finance traditionnelle..

Le cadeau que les entrepreneurs politiques chinois se font à eux-mêmes est simple à comprendre : outre qu’il est difficile de contester le mercantilisme monétaire d’un généreux investisseur, le dit homme généreux vient surtout prendre des garanties contre un éventuel dérapage de la zone, aboutissant à la monétisation généralisée, et donc à tout le moins, à une dépréciation massive de l’euro. Dépréciation massive sonnant le glas de beaucoup d’exportations chinoises.

Les entrepreneurs politiques chinois n’ont que faire de la loi d’airain de la monnaie. Ils l’ont clairement démontré en 2008 avec un plan de relance pharaonique ( 586 milliards de dollars), plan  largement construit sur création monétaire bancaire et moins par déficit budgétaire. Les chinois savent produire autoritairement de la monnaie pour investir,  quand les européens sollicitent avec peur et timidité le marché. Les croyances monétaires en Chine ne sont pas les mêmes qu’en Europe où un pays- l’Allemagne- veille à l’orthodoxie, et se croit habilitée à punir les incroyants. En bons commerçants, les entrepreneurs politiques chinois savent  se plier aux idéologies locales, comme naguère, où un bon roi avait déclaré que « Paris valait bien une messe ».

 

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24 octobre 2011 1 24 /10 /octobre /2011 07:15

                                               

Le premier acte d’une refonte réelle doit être la fin du marché de la dette publique en rétablissant l’autorité monétaire. Cela suppose le rétablissement des droits de propriété de l’Etat sur la banque centrale, une institution à laquelle il va confier un strict monopole de l’émission monétaire au seul profit du Trésor. Le volume de l’émission est politiquement décidé et ce dans le cadre d’un objectif de stabilité monétaire lui-même évalué et contrôlé par des institutions elles mêmes démocratiquement suivies.

La grande transformation des pouvoirs politiques et monétaires : la fin du marché de la dette publique

Un tel acte refondateur ne peut évidemment fonctionner sans une refondation complète du fonctionnement des marchés politiques. Il ne faudrait pas que le bien public monétaire ne fasse l’objet que d’un simple transfert de son appropriation privée, et on ne voit pas en quoi les fins privées des entrepreneurs politiques (reconduction au pouvoir ou conquête du pouvoir) seraient d’une nature supérieure aux fins privées des banquiers et de leurs actionnaires (profit) qui jusqu’ici ont accaparé le bien public en en contrôlant l’émission. Le changement de propriétaire n’est pas une garantie de meilleur exercice de la propriété,  une propriété fort particulière puisqu’elle reste un droit sur un bien public.

La refonte réelle de la finance suppose – au préalable - une  véritable mutation de l’ordre politique. Puisque l’essence du politique est l’appropriation de ce qui surplombe toute communauté humaine –ce que l’on désignait aussi par le terme « d’externalité »dans d’autres publications - il convient de mettre en place des institutions freinant la tendance universelle, à ce que le politique ne soit que l’utilisation à des fins privées, de ce qui est commun à tous. Sans doute  la puissance publique ne peut elle être détenue que par des hommes dont la tendance indépassable est la recherche de la satisfaction privée (le pouvoir comme moyen et comme fin), mais il est probablement possible de diminuer les effets négatifs de cette permanente  et universelle spécificité humaine. Dans l’Etat parvenu à son stade démocratique, la solution  consiste à interdire constitutionnellement  la professionnalisation de l’entrepreneuriat politique  par interdiction du renouvellement des mandats,  mandats eux-mêmes pouvant  au moins partiellement être générés par des procédures non électives, par exemple le tirage au sort. Cette réforme constitutionnelle est la première pierre de la réforme de la finance si l’on veut minorer les errements d’un Etat laxiste avec des entrepreneurs politiques gérant davantage une carrière privée,  bénéficiant par ailleurs des largesses de la planche à billets.

Pour être complet, ce changement de titulaire de la fonction « production de monnaie » doit être strict : il suppose l’interdit radical de la création monétaire par les banques, lesquelles ne pourront prêter que sur la base de fonds qu’elles auront empruntés ou mis à leur disposition par des agents privés et l’Etat lui-même. Tout décalage constaté entre capitaux reçus et capitaux distribués après transformation devenant activité de faux monnayeur, et  à ce titre  pénalement  sanctionnée. Il en est de même pour la banque centrale qui dans le cadre de ses interventions auprès  des banques, ne peut se livrer à des opérations de « quantitative easing », ce qui signifie que les liquidités mises à disposition sont intégralement remboursables.

La production  monétaire se fait ainsi au seul bénéfice du compte du Trésor à la banque centrale. Son cout est nul puisque le prix de revient de la dite production est nul. Cet abondement de ressources- sur ordre donné au gouverneur par l’exécutif-  est fléché, et ne peut entrer dans la masse des recettes publiques. Les ressources ainsi mise à la disposition du Trésor par la banque centrale, permettent d’une part,  d’assurer un investissement public démocratiquement contrôlé , elles permettent d’autre part, d’abonder le compte des banques qui y verront la matière première des investissements privés qu’elles souhaitent financer. Une part de production de monnaie, est affectée à la nécessaire croissance monétaire, résultant de la croissance du volume des échanges impulsés par la croissance économique elle-même. Ce volume de monnaie supplémentaire est démocratiquement décidé et contrôlé.

L’investissement public n’est pas nécessairement  financé en totalité par la production monétaire : il peut aussi l’être par une épargne construite sur un excédent primaire. Si le financement de l’investissement public se fait à taux nul, il n’en va pas de même pour l’investissement privé financé par les banques, à partir de la production de monnaie mise à leur disposition par l’Etat. Outre que l’Etat met à leur disposition une ressource payante - l’Etat est payé, sous la forme d’un taux d’intérêt,  pour la monnaie mise à disposition  - les banques doivent aussi couvrir leurs charges de gestion et disposer d’une prime de risques.

Dans le cas où le budget primaire est déficitaire, il est constitutionnellement interdit à l’Etat d’utiliser les ressources qu’il s’est octroyées sur la banque centrale. La nomenclature et le classement des dépenses est revue et corrigée, certaines d’entres elle dites de fonctionnement étant de fait des dépenses d’investissement.  Travail peu aisé, il est pourtant économiquement essentiel, et doit être démocratiquement contrôlé.  L’interdit d’une couverture d’un déséquilibre du budget de fonctionnement, tel que précédemment redéfini, par la production de monnaie suppose par conséquent le recours à un endettement. Ce dernier doit disposer d’un statut d’exceptionnalité et se doit n’être consenti que sur la seule base d’une majorité parlementaire  qualifiée. Disposition marquant la volonté de mettre fin aux facilités de l’endettement.

Une telle mutation financière réintroduit déjà une disparition progressive de la notion de « service de la dette », et se trouve à terme profitable pour l’Etat, qui n’a plus à payer la rareté monétaire mais au contraire à la vendre. Avec toutes les conséquences en termes de baisse possible de la pression fiscale qu’on peut en déduire, mais aussi la fin relative de la situation rentière des banques, dont l’appropriation de la production monétaire était doublement illégitime : non seulement elles n’avaient pas le droit  de privatiser un bien public, mais elles n’avaient pas non plus de  « titre politique » pour le faire, tel celui  des entrepreneurs politiques d’avant la grande transformation monétaire des années 70.

Le Montant de production de monnaie, est un acte politique gravant dans la réalité, une part du potentiel de croissance du pays. L’investissement macroéconomique, est ainsi partagé entre investissements publics et investissements privés. L’investissement privé est la somme de la production de monnaie distribuée aux banques et des possibilités offertes par l’épargne privée. Le total de l’investissement global est régulé – notamment par le poids de la production de monnaie et l’investissement public- de telle sorte que la croissance réelle puisse être peu éloignée de la croissance potentielle.

Les parts de production de monnaie affectées à l’investissement public et à l’investissement privé relèvent de choix politiques démocratiques. S’agissant de la production de monnaie affectée aux banques, la répartition entre les divers établissements demandeurs s’opère selon un processus classique d’enchères. Il s’établit par conséquent, un prix de marché des ressources monétaires nouvelles captées par les banques. Ce prix de marché entre en concurrence avec les prix qui se forment sur l’épargne privée des agents. L’Etat étant un fournisseur important de ressources monétaires, il est clair que son rôle dans la fixation générale de l’ensemble des taux de l’intérêt est fondamental.

La grande transformation des réseaux bancaires

Selon la vision de Maurice Allais, le réseau bancaire est redécoupé en « banques des échanges monétaires » (BEM), « banques de crédits » et « banques d’affaires ». Un même établissement peut assurer les trois fonctions correspondantes. Il doit cependant apporter la preuve périodique d’une stricte séparation des fonctions.

1 Les BEM constituent le réseau monétaire que nous qualifions de bien public majeur dans l’introduction au présent texte. A l’intérieur de ce réseau, les banques sont en concurrence pour assurer un service public de base : celui de la bonne exécution des échanges de biens et de services initiés par tous les agents économiques. Le marché monétaire classique assure les échanges interbancaires, et la banque centrale y intervient en qualité de régulatrice générale du réseau. Véritables délégataires d’une mission de service public dépourvue de tout risque financier, le cout de fonctionnement du réseau des BEM est assuré sur la base d’un contrat, démocratiquement contrôlé, entre l’Etat ou la banque centrale et les BEM. Le nomadisme des dirigeants entre sphère publique et sphère des BEM est juridiquement interdit. Les BEM ne rémunèrent pas les dépôts et ne se livrent à aucune opération de crédit. Les BEM ne participent pas aux procédures d’enchères portant sur l’acquisition de monnaie vendue par le couple Banque centrale/ Trésor. Elles reçoivent par contre gratuitement, la quantité de monnaie supplémentaire prévue par les nécessités de la croissance économique ( motif de circulation du PIB).

2 Les banques de crédits reçoivent l’épargne des agents privés, et assurent la transformation de cette dernière en prêts classiques : simple découvert, crédit à la consommation, à l’équipement, crédit hypothécaire, etc. La titrisation des créances est juridiquement interdite. Le roulement de l’épargne de court terme en prêts à plus long terme, s’effectue selon des règles de prudence et de transparence, établies par les régulateurs situés sous l’autorité de l’Etat ou de la banque centrale.

 Il est mis fin à « l’indépendance » des régulateurs par rapport à l’Etat ou la banque centrale. Le nomadisme des dirigeants entre banques de crédit et régulateurs est juridiquement interdit.

Les banques de crédit ont accès à la production de monnaie , et la banque centrale abonde le compte de chacune d’entre elle en fonction du résultat de la procédure d’enchères menée par le Trésor. L’agence de commercialisation de la dette –  « Agence France Trésor » pour ce qui concerne la France - est démantelée, puis reconvertie en « agence publique de vente de monnaie au système bancaire ».

 Les banques de crédit doivent apporter à tout moment la preuve qu’aucune création monétaire ne s’établit dans le cadre de leurs activités. La rémunération des banques s’effectue au travers de la différence entre intérêts payés et intérêts reçus. Le total du bilan d’une banque de crédit ne peut dépasser le dixième du PIB du pays d’accueil.

3  Les banques d’affaires sont spécialisées dans tous les services non assurés par les deux premières catégories de banques : opérations de haut de bilan, corporate finance, émission de titres, introduction en bourse, augmentation de capital, financement syndiqué. Mais aussi tous les services de spéculation et de couvertures sur taux de change et taux d’intérêt, marché des commodities, produits dérivés etc. Mais également produits d’épargne et assurantiels au profit des ménages : fonds d’épargne, épargne retraite, assurance vie, etc.

Les banques d’affaires entrent en compétition avec les banques de crédits dans l’accès à la ressource monétaire vendue par le couple banque centrale / Trésor. Les ressources ainsi achetées sont investies dans l’économie réelle, et toute utilisation dans le cadre d’une activité spéculative est pénalement sanctionnée.

Les régulateurs, sous l’autorité des pouvoirs publics, veillent à la limitation drastique de la financiarisation des grandes activités. En particulier les activités de trading sont réservées aux acteurs de l’économie réelle. L’introduction sur un marché, de spéculateurs extérieurs à l’économie réelle, est une exception autorisée par le régulateur, après constatation d’un disfonctionnement de sous- liquidité. Le nomadisme des dirigeants entre  banques d’affaires et régulateurs est juridiquement interdit.

L’un des principes fondamentaux est que les « échanges papiers » ne deviennent plus importants que les échanges réels. A ce titre les, directives sur marchés d’instruments financiers dont considérablement durcies : limitation considérable des opérations de gré à gré par autorisation au cas par cas du régulateur, quasi interdiction de la vente à découvert , ratios contraignants sur les ordres non exécutés en trading informatisé, etc.

De façon plus générale, l’introduction d’une taxe sur les activités de Trading renforce le rétrécissement de la « boursouflure », avec probable mise en liquidation de nombre d’entreprises devenues Casinos au cours des 20 ou 30 dernières années.  

L’activité sur CDS est strictement encadrée, et les positions dites « nues » strictement interdites, cela signifie que les clauses type « opt out » imaginées par les autorités européennes sur les dettes souveraines ne sont plus tolérées. Les CDS sur dettes souveraines, deviennent eux-mêmes  sans objet avec la fin du marché de la dette publique : ils disparaissent.

Les activités hors marché , à l’instar des « dark pool » voient leur encadrement renforcé. A l’inverse, la présence de chambres de compensations devient la règle universelle. Les banques d’affaires ne peuvent se livrer à des activités spéculatives sur comptes propres.  Elles  cessent tout lien et liquident leurs établissements situés dans les espaces d’optimisation fiscale. Le total du bilan d’une banque d’affaires ne peut dépasser le dixième du PIB du pays d’accueil .

 

Un tel renversement des règles du jeu, déplace considérablement les niveaux de satisfaction des différents groupes sociaux. La disparition et le renversement de la rente sur la dette publique devient un coût pour ses bénéficiaires traditionnels. Bénéficiaires qui par ailleurs vont voir leurs revenus sur capitaux spéculatifs s’effondrer. Les classes moyennes elle mêmes, peuvent subir une perte de rendement sur la petite épargne. A l’inverse, le contribuable et d’une manière générale les utilisateurs d’un Etat-providence - par ailleurs à fondamentalement revisiter -  sont avantagés. Il en est probablement de même des salariés bénéficiaires d’une politique macro économique plus favorables à la croissance : baisse relative d’une épargne - souvent mal utilisée dans des "entreprises casinos" - sur compensée par un investissement global beaucoup plus important.

Il est clair que ce renversement des règles du jeu, ne peut s’imaginer dans un seul pays, et se doit être négocié, si possible – et au-delà de la zone euro à reconstruire-  avec tous les acteurs d’une mondialisation qui- elle-même -  doit être radicalement revue et corrigée.

 

…… à suivre…

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17 octobre 2011 1 17 /10 /octobre /2011 13:33

 

le texte çi dessous est une réflexion sur la nature du fait monétaire, et sert d'introduction générale à un autre texte en cours d'élaboration, lequel portera sur la refonte générale du système monétaire et financier

 

                               Regard sur la nature de la monnaie

                Introduction générale à un projet de refonte de la finance

 

La monnaie est l’équivalent d’une infrastructure, telle un réseau ferroviaire assurant la circulation des personnes et des biens, ou un réseau électrique assurant la circulation des kilowattheures. L’industrie bancaire assure  la circulation des marchandises en assurant la circulation de la monnaie entre ces ports que sont des comptes abrités dans des banques. Les banques, sont comme la SNCF ou EDF d’avant la libéralisation, et il est impossible de séparer le réseau de ses véhicules : le paiement, largement électronique, est à la fois réseau et véhicule. Comme la SNCF où il apparaissait impensable, avant la libéralisation,  de séparer le réseau ferré du matériel roulant.

Mais il est des différences : le réseau bancaire n’est pas monolithique et se trouve peuplé de banques en concurrence. Qui plus est, cette concurrence peut entrainer des modifications de parts de marché entre les ports. Ce qui n’était pas le cas du chemin de fer ou des compagnies d’électricité d’avant les nationalisations de 1945 : les acteurs restaient des monopoles sur les parts de réseau qu’ils contrôlaient. Le caractère non monolithique du réseau bancaire est peu gênant pour la circulation de la monnaie. Outre qu’il existe une norme monétaire commune au dessus de chaque monnaie de banque (une unité de compte), il existe un marché monétaire assurant la cohérence continue du réseau : la monnaie Société Générale se transforme en tous points de l’espace couvert par le réseau, en monnaie BNP , en monnaie Crédit Agricole, etc.

Une autre différence est le fait que la monnaie comme infrastructure de type réseau, est propriété d’agents nombreux et divers, qui peuvent agir sur lui, en le rendant plus ou moins actif. Derrière cette idée, il y a la plus ou moins grande vitesse de circulation de la monnaie, voire son blocage éventuel. Et cette dernière circonstance, résulte du fait que la monnaie n’est pas seulement infrastructure de la circulation : elle est aussi instrument de l’accumulation. Les économistes diront qu’elle n’est pas qu’instrument de paiement, mais aussi réserve de valeur (tout au moins pour les monnaies « Yang » par rapport aux monnaies dites « locales », selon l’intéressante distinction  de Bernard Lietar). Les conséquences en sont considérables. Cela revient à dire – en poursuivant la comparaison avec la SNCF ou EDF- que par exemple  des trains s’accumulent dans des gares. Et la comparaison est intéressante, car dans l’un et l’autre cas les marchandises cessent de circuler. Et c’est précisément parce que la monnaie est elle-même marchandise  (instrument de stockage de richesse) plus ou moins convoitée qu’elle peut gêner/ faciliter la circulation de toutes les autres marchandises : l’infrastructure réseau est plus ou moins stable.

Et parce que marchandise, elle peut être fabriquée comme toutes les autres marchandises. En se  désaliénant de la « contrainte métallique » les hommes ont, en la matière, généré des gains de productivité infinis : le coût de fabrication de la monnaie est proche de zéro, et pour les banques centrales, et pour les blanques privées, qui depuis un grand nombre d’années se partagent le monopole de la création monétaire. De fait,  il s’agit d’un coût marginal, puisque bien des coûts fixes demeurent, spécificité qui rappelle là aussi – selon les économistes - ces « monopoles naturels » que sont les réseaux classiques.

Historiquement, parce qu’aussi infrastructure de réseau, la monnaie a toujours intéressé le politique : routes, monnaie , postes, sont des services qu’il convient de contrôler pour asseoir le pouvoir. Bien,  d’abord privé, avec tentative de constitution de réseau (les premières banques), le politique est intervenu et a traditionnellement marqué son pouvoir par les activités de frappe : les Hôtels des monnaies. Symboliquement, parce que le réseau fait circuler les marchandises, la monnaie est un "équivalent général". Ce que confirmera la frappe des monnaies à l'effigie du prince: ce dernier est celui qui garantit l'équivalence, et tous se reconnaissent en lui. Pouvoir politique et pouvoir économique se fusionnent dans le symbole de la monnaie frappée.

Les actuels réseaux monétaires – ce qu’on appelle le système monétaire et financier - sont le résultat de la construction historique de ce qui est devenu un bien public majeur, et bien public sans lequel les sociétés modernes connaitraient un retour  à l’état de nature…  avec la vitesse de l’éclair. Beaucoup de services publics pourraient disparaître sans radicalement disloquer une société. Ainsi la disparition du réseau ferré, voire même la disparition du réseau électrique, entraineraient certes des difficultés majeures avec nombre de régressions. Toutefois, ces dernières développeraient davantage d’espaces de solidarité, que du face à face brutal entre individus, lequel serait engendré par la nécessité de survivre. En revanche, un effondrement monétaire serait autrement redoutable et développerait en quelques instants – probablement moins d’une journée- la guerre de tous contre tous. Tout ceci pour dire que la monnaie dispose d’une structure de réseau , qui en fait le premier des biens publics, et probablement la clé de voûte de la société. Elle est ce qui fonde « l’ordre » et  empêche « la panique » et son désordre.

Curieusement, ce bien public majeur, est aussi le bien public le plus fragile en raison du caractère réserve de valeur de la monnaie. Le double caractère de la monnaie se remarque dans le double caractère des banques : « commercial » et « affaires ». Parce que la monnaie est à la fois, moyen de paiement et réserve de valeur, le réseau peut être parcouru de disfonctionnement et de ruptures .

Les risques inhérents à la volonté accumulatrice autorisée par la fonction réserve de valeur, peuvent entrainer des phénomènes spéculatifs, avec alternance de confiance et de méfiance, débouchant sur de possibles ruptures du réseau, par exemple la disparition de la liquidité sur les marchés monétaires. La même volonté accumulatrice peut aussi développer des bulles sur n’importe quel bien évaluable en monnaie. Et cette même volonté, cherchera le plus naturellement du monde, à élargir l’espace du jeu en interconnectant les monnaies (elles deviennent toutes librement convertibles) ; en développant des marchés à terme sur tous les biens de l’économie réelle, et ce si possible à l’échelle de la planète ; en autorisant la liberté de circulation des capitaux ; etc. Autant d’élargissements de l’espace du jeu engendrant un « gigantisme de réseau » exposé à toutes les contagions possibles.

De ce point de vue, la mondialisation correspond à un processus d’interconnexion et d’unification des réseaux monétaires. Jusqu’ici l’interconnexion existait sous le contrôle de « douaniers » situés à la périphérie de chaque réseau national, et « douaniers » corrigeant ou veillant aux externalités engendrées par la dite interconnexion. Tels des fusibles sur des réseaux électriques, chargés de bloquer  la contamination de surtensions  apparues en tel ou tel point du système. De ce point de vue ,  l’unification mondialiste, est utopique en ce qu’elle correspond à la volonté de construire un réseau gigantesque dépourvu de fusibles. Tel un immeuble dont le ravitaillement électrique ne serait pas composé de sous- réseaux (des "lignes") reliés, mais en même temps séparés par des fusibles de protection. Et point n’est besoin d’être physicien, pour savoir que le potentiel d’entropie se développe à vitesse multipliée, avec l’augmentation de la taille du réseau . A titre de simple remarque, l’image du réseau est intéressante pour comprendre l’inéluctabilité d’une crise de l’euro : l’interconnexion entre systèmes nationaux, suppose au moins la maitrise du fusible "taux de change", ce que la monnaie unique ne peut- par définition -  apporter.

Mais parce que l’interconnexion jusqu’à l’unification, sans défenses immunitaires (sans fusibles), porte au plus haut niveau d’intérêt la deuxième fonction de la monnaie (réserve de valeur), les bulles spéculatives et leurs outils ( leviers démesurés, produits synthétiques, outils électroniques de trading, etc.) développent sans limites le fonctionnement entropique du système en voie d’unification. Très simplement, le réseau conçu pour faire circuler des marchandises réelles, fait surtout circuler des paris financiers. Incapable de lutter contre sa propre entropie – à l’inverse des êtres vivants – le réseau monétaire et financier mondial fonce vers son inéluctable auto destruction.

Parce que premier des biens publics de toute communauté moderne, et en même tant bien public devenu historiquement dépourvu de  défense immunitaire en raison de la dualité monétaire (moyen de paiement/ réserve de valeur), il convient de procéder à un toilettage complet de l’architecture du système monétaire et financier.

De fait, il s'agit de procéder à une refondation, dont la nature de la monnaie, nous fait déjà imaginer qu'elle porterait aussi une dimension politique majeure.

Ce que nous verrons ultérieurement.

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11 octobre 2011 2 11 /10 /octobre /2011 14:11

                               

Avec la mise sur le devant de la scène d’une nouvelle aide aux banques, la grande crise des années 2010 semble avoir bouclé un premier tour de piste : sa présence jusqu’alors peu visible, s’est révélée fracassante avec la première crise bancaire (2007-2008), pour réapparaitre comme crise des Etats (2009 jusqu’à aujourd’hui), et revenir depuis cet automne sous sa forme de crise bancaire.

La question est alors de savoir si le cycle de ses métamorphoses peut se reproduire. La réponse est clairement négative.

La grande crise n’est pas une ronde

Plutôt crise américaine de dettes privées en 2008, ses métamorphoses en font en cette fin d’année 2011, une crise plutôt européenne et plutôt crise de dettes publiques. Transformation essentielle qui inaugure de l’impossibilité d’un nouveau tour de piste : la crise bancaire de 2008 pouvait connaitre l’apaisement dans la générosité des Etats ; celle de 2011 est indissolublement bancaire et publique. Et désormais le couple banques/ Etats ne pourra plus trouver de collaboration avantageuse : des solutions radicales finiront probablement par s’imposer.

En 2008 la collaboration fût avantageuse, et la survie du système financier, assurée par la générosité publique, fût payée d’un maintien de l’ordre social, ordre dont la charge revient traditionnellement aux Etats. On n’insistera jamais suffisamment sur les coûts liés à l’effondrement d’un système social  engendré par un « bank run » : la disparition de la monnaie, faisant apparaitre la brutalité du face- à- face, entre agents luttant pour leur simple survie. De ce point de vue, les banques ont d’une certaine façon assurée – sans aucun effort, certes -  la contre -partie de la gigantesque aide publique : l’ordre  a été maintenu.

En cette fin 2011, la collaboration est devenue impossible, et  la guerre à l’intérieur du couple devient – à très court terme – le  possible  avenir qu’il conviendrait d’éviter. En 2007/2008, il n’y avait apparemment qu’une crise, en 2011 il y en a 2 : bancaire et publique. Et il s’agit des 2 faces d’une même réalité : Parce que – souvent du fait de banques devenues à tout le moins fragiles  - des Etats sont devenus insolvables, les banques sont devenues des entités éminemment suspectes et dangereuses….qui en toute hypothèse ne peuvent qu’aggraver l’insolvabilité publique. Comme les Etats ne sont pas des abstractions mais des réalités travaillées par des marchés politiques reposant eux-mêmes sur des réalités socio-économiques  , ils réagiront sans doute avec plus ou moins de force.

En attendant  cette logique finissante - d’échanges mutuellement avantageux  à l’intérieur du couple- se manifeste clairement dans la question de la recapitalisation des banques. Sans –si l’on ose ainsi s’exprimer- un tiers acteur au delà du couple, il n’est plus  possible de recapitaliser les banques sans risques de marché pour les Etats fragilisés. Affirmation qu’il convient d’explorer.

Le couple Trésors/banques : il n’y a plus rien à échanger

Tout d’abord, on sait maintenant que la recapitalisation, longtemps évacuée, s’avère nécessaire. Parce que la valeur de nombre de dettes souveraines s’érode dans les actifs bancaires, les capitaux propres s’évaporent et la tentative de remédier à l’insolvabilité par amaigrissement des bilans se heurte à la pérennisation des activités de crédit… donc la croissance des PIB... et donc des ressources fiscales…et donc un maintien du « service de la dette », seul susceptible de maintenir à flots les banques.  Dans le même temps, s’agissant des banques européennes et notamment françaises, le refinancement en dollars pour les activités de financement et d’investissement est devenu problématique, tandis que les marchés interbancaires s’affaissent , avec la perte de confiance qui se manifeste, par des dépôts journaliers de plus en plus importants auprès de la BCE. Face à cette fragilisation, il ne peut y avoir de réel sauvetage , car le retour à la solidarité à l’intérieur du couple, suppose des prises de participations publiques , ou au moins des garanties ,qui ne peuvent qu’entrainer un climat de défiance sur les dettes souveraines : augmentation des taux  et prix des CDS sur dettes souveraines, avec augmentation du coût du service de la dette (5 milliards d’euros pour 100 points  de base s’agissant de la France). Défiance se soldant évidemment par une baisse de notation aux effets dévastateurs. Les actuelles péripéties concernant le second sauvetage de DEXIA sont à cet égard fort révélatrices : l’Etat français se cache derrière la Caisse des Dépôts et Consignations pour ne pas apparaitre en première ligne dans le sauvetage, toutefois la Caisse ne veut pas prendre le risque d’une baisse de notation l’affectant, d’où sa demande de garantie publique …que précisément le Trésor ne veut pas donner en raison des risques sur  sa propre notation. Le même Trésor pouvant considérer qu’il s’est déjà mis en danger, dans l’accord de garanties au titre des emprunts de DEXIA, pour financer des crédits toxiques auprès de collectivités publiques françaises. Tout aussi révélatrice est la décision provisoire de ne pas abonder le FESF, qui pourrait engager encore plus la France, au double risque d’une dégradation de note de ce dernier pays, et la montée sur le front de la seule Allemagne comme dernier rempart. On pourrait aussi prendre l’exemple de l’Espagne, dont l’Etat, pour se protéger, souhaite s’éloigner des banques, tout en sachant que ce n’est pas possible. Les agences de notation elles mêmes, savent implicitement qu’il n’y a plus de possibilités de gains à l’échange à l’intérieur du seul couple  Banques /Trésors, comme cela pouvait exister en 2008. Ainsi  Moody’s vient de baisser la note de nombre de banques britanniques au motif que l’Etat correspondant n’est plus en mesure de leur venir en aide. On pourrait multiplier les exemples montrant l’épuisement des solutions dans le cadre du couple traditionnel.  Même les partages des « tâches » entre les deux partenaires, s’avèrent impraticables : tel est le cas du plan volontaire d’échange de la dette grecque, qui se trouve victime d’un problème classique de passager clandestin, chaque banque ayant intérêt à laisser sa voisine annoncer un effort financier. Au total le volontariat des banques censé soulager les Etats devient refus non avoué. Stratégie qui sera finalement perdante, à l’instar de celle du célèbre « dilemme du prisonnier », puisque finalement les banques seront amenées, à perdre davantage dans le cadre du reprofilage de l’accord du 21 juillet sur la dette grecque.

A ce stade, le couple n’est pas en guerre, notamment dans les zones où -à tort ou à raison-  il est estimé que l’on peut encore gagner du temps et éviter une réelle recapitalisation. On reconnait ici le cas des banques françaises qui, très impliquées dans le sud de l’Europe, s’appuient encore totalement – avec beaucoup de rationalité et de pugnacité  -  sur l’aléa moral pour refuser toute recapitalisation aux effets internes jugés désagréables : dilution du capital, perte d’autonomie, surveillance des rémunérations, mise en cause du concept de banque universelle,  etc. Refus qui peut même devenir accusateur au niveau de la Fédération Bancaire Française (FBF), la recapitalisation y apparaissant comme bouc émissaire d’un Etat , cherchant à cacher ses propres difficultés en matière de dette  souveraine.

Vers un ménage à 3.

Le ménage à deux n’est plus en mesure de tenir le front de la crise très longtemps. Par contre, l’adjonction d’un tiers- la banque centrale-  peut s’avérer avantageux. Jusqu’ici cette dernière restait assez largement en dehors du couple,  et n’intervenait que pour garantir la grande inégalité entre les partenaires : la lutte contre l’inflation et l’application stricte de l’article 123 du traité de Lisbonne garantissaient institutionnellement « l’exploitation », au sens marxiste du terme, des Etats  par les banques.

De fait, il y a eu ménage à 3 dès les premiers développements de la grande crise : ce fût dès 2007 la mise en place de mesures dites non conventionnelles : achats massifs de titres toxiques, accès illimités à la liquidité, interventions sur les marchés secondaires de dettes souveraines, etc. En ce mois d’octobre, ce tiers sauveur qu’est la BCE réaffirme sa solidarité auprès des banques et renonce à son plan de lutte contre l’addiction à la liquidité. Elle accepte de fait un statut de « bad bank » pour des montants grandissants qu’elle ne peut contenir qu’en étoffant le système des assistances urgentes auprès des banques centrales domestiques ( « Emergency liquidity Assistance » - ELA).

Mais surtout, le tiers sauveur intervient de plus en plus massivement sur le cours des dettes souveraines malmenées (Grèce, Italie, Espagne, etc.), ce qui, d’un même geste , maintient plus ou moins artificiellement la solvabilité relative des banques , et les possibilités d’accès au crédit au profit des Etats. Les choses peuvent aller plus loin, et certains Etats affectionnent l’idée s’un subventionnement du FESF par la  BCE, subventionnement rendu possible par la transformation institutionnelle  du FESF en banque publique. Travail juridique de plus en plus sophistiqué, permettant,  progressivement, de  contourner l’article 123 du traité de Lisbonne.

Tout ceci pour encore gagner un peu de temps, et retarder de grandes décisions que les marchés politiques ne peuvent engendrer sans grands risques.

La prochaine étape est pourtant évidente, y compris pour les acteurs- à l’instar d’ Edouard Carmignac-  qui ont tant bénéficié, de la grande inégalité à l’intérieur du couple. Cette étape sera l’intervention massive de la BCE, non plus sur les banques et les marchés secondaires de la dette souveraine, mais directement sur les marchés primaires. Les entrepreneurs politiques, notamment français, auront beaucoup de difficultés à convaincre leurs collègues allemands, mais la violence de la crise laisse penser que cette étape sera franchie.  Ce qui ne veut évidement pas dire que tout sera alors réglé, puisque le défaut de construction de la zone euro restera un gros chantier. Et contrairement à ce que disent les nouveaux titulaires du prix Nobel de sciences économiques  (Sargent et Sims) la résolution de la crise , pour sa partie européenne,  n’est pas un jeu d’enfants :  nous ne sommes pas en 1787, et nous ne sommes pas aux Etats-Unis.

 

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3 octobre 2011 1 03 /10 /octobre /2011 07:15

                                               

La question du statut des banques centrales n’est jamais évoquée dans le grand débat concernant la crise financière. Il faut pourtant rappeler, pour ne prendre que l’exemple français, que la banque de France, après avoir été nationalisée au lendemain de la guerre, fût entièrement soumise au Trésor jusqu’à la loi du 3  janvier 1973, loi qui devait  instaurer une stricte séparation et surtout une indépendance complète par rapport à l’exécutif. Texte qui devait être confirmé et durci dans le cadre du traité de Lisbonne (article 123).

S’affranchir de la dure loi d’airain de la monnaie

Conçue comme instrument de la reconstruction du pays, la banque centrale de l’après guerre,  allait affranchir la communauté nationale de contraintes jusqu’alors fixées par les croyances monétaires : oui, la monnaie n’est qu’une convention sociale puisque réellement créée  à partir de rien ; oui, la planche à billets, si elle est correctement manœuvrée permet de mettre fin à la loi d’airain de la monnaie. Pourtant dure loi – il est vrai- jusqu’alors ressentie à toutes les époques,  où l’affranchissement vis-à-vis du métal précieux, se soldait invariablement dans le drame ( Système de Law , Assignats, etc.). La gestion monétaire, habilement menée après la seconde guerre mondiale, que l’on soit en France ou ailleurs, a autorisé des investissements publics gigantesques- investissements dont on aurait tant besoin aujourd’hui- en mettant fin à la pénurie monétaire et aux taux d’intérêts associés.

De ce point de vue, l’indépendance aujourd’hui partout constatée des banques centrales, fût un cruel retour en arrière vers l’aliénation monétaire : l’inflation, pourtant disparue depuis longtemps – les années 60 qui précèdent l’indépendance furent beaucoup plus sages que celles qui suivirent -  faisant figure de diable pour les tenants de cette régression.

Bien  que la question de la dette publique ait disparu alors même que l’endettement était gigantesque au lendemain de la guerre, elle  va réapparaitre dès la proclamation de l’indépendance de la banque centrale

La régression indépendantiste

Désormais, il devient interdit aux banques centrales de créer de la monnaie au profit des Trésors, et donc, le recours à l’endettement ne passe plus par l’autorité des exécutifs qui fixaient les prix et les taux (généralement ces derniers  étaient  nuls). A l’inverse, désormais tout passera par un curieux marché aux caractéristiques suivantes : un groupe de banques va détenir le monopole d’achat de bons du Trésor (les fameux « Spécialistes en Valeurs du Trésor » -SVT-  de l’agence France Trésor pour ce qui concerne la France), et il deviendra interdit aux particuliers d’acheter directement, comme ils pouvaient le faire dans  le passé, des bons du Trésor. Situation qui correspondrait- pour donner un exemple simple - à celle d’un propriétaire de verger à qui il serait interdit de consommer sa propre récolte, laquelle pourrirait sur place,  et qui devrait acheter les fruits qu’il convoite,  à un groupe d’entreprises bien ciblé,  à l’exclusion de toutes les autres.

Situation, à tout le moins extraordinaire, qui fait émerger deux   marchés.  L’un sera celui de  la dette publique lequel consacrera le retour  au 19ième siècle, époque où il n’était pas devenu évident que la monnaie n’est qu’une convention sociale. Le  second, sera celui de l’épargne de nombreux ménages qui jusque là se contentaient d’acheter des bons du Trésor, directement auprès des organismes publics chargés de leur diffusion. Ils  achetaient de la matière brute (bons en directs) ; ils achètent désormais des produits plus complexes aux banques, qui se sont réservés l’achat de la matière première, qu’elles transforment en produits d’épargne.

La fin de l’autorité monétaire rétablit ainsi artificiellement la pénurie monétaire de jadis – comme à

l’époque des bases métalliques- et le coût qui lui est associé : désormais, il y aura un service de la dette publique qui représentera la charge d’intérêts d’une ressource, dont la rareté est une construction toute politique.

Le choix du gaspillage de fonds publics

Vu sous un autre angle, l’indépendance des banques centrales annoncée comme la seule mesure efficace de lutte contre l’inflation, correspond à un intense gaspillage de fonds publics : en interdisant le lien traditionnel entre le Trésor et la banque centrale, et en créant un marché monopolistique par ailleurs, le prix de la dette passe d’une valeur nulle à un prix positif. Cela correspond à 2, 5 points de PIB s’agissant de la France, et aujourd’hui – pour donner un exemple extrême - à 15 points de PIB s’agissant de la Grèce. Le gaspillage des ressources publiques est ainsi une obligation relevant de la loi, et plus encore, s’agissant de l’Euro-zone, de traités internationaux. Quant à la sempiternelle peur des marchés, elle n’est que la conséquence d’une construction politique, puisque ces mêmes marchés ont été politiquement construits.

A y regarder de plus prés, on peut se demander, si l’indépendance des banques centrales relève de ce qu’on appelle la  montée du libéralisme, ou à l’inverse, procéderait  plutôt d’un hold-up hélas planétaire. Les libertariens ont raison : la loi – en France celle du 3 janvier 1973- n’est que le résultat de la violence de quelques uns, bien décidés à prendre en otage l’ensemble de la population. A un moment où les dettes souveraines deviennent insupportables par l’effet d’un second – voire d’un troisième - hold-up à l’intérieur du premier (il fallait, parait-il, «  payer » pour sauver les banques en 2008, et il faudrait repayer aujourd’hui pour ces mêmes entités présentées comme victimes de la situation grecque)  qui viendra nous libérer ?

 

                                                                                             

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27 septembre 2011 2 27 /09 /septembre /2011 07:36

 

               

Les articles consacrés à l’histoire des rapports entre Banques centrales et Trésor (partie 1; partie 2; conclusions) nous ont permis de comprendre l’enjeu de la question de l’autonomie des instituts d’émission au regard des Etats. Curieusement la littérature consacrée à la crise n’évoque que fort rarement la question, tant l’indépendance semble être devenue une réalité aussi naturelle que le mouvement des planètes.

Le présent texte se propose de rappeler les modes d’articulation possible entre banque centrale et Trésor et d’en tirer toutes les conséquences en termes d’états du monde. Projet ambitieux en ce qu’il insinue que l’articulation susvisée serait une variable clé pour comprendre le mode de fonctionnement d’une société. Variable clé ne signifie toutefois pas une vision mécaniciste des choses, laquelle faut-il le rappeler  est erronée dans le domaine des sciences humaines. Pour nous, variable clé signifie plus modestement orientation de l’éventail des possibles. Ni mécanicisme  ni déterminisme, mais congruences fortes avec des caractéristiques elles mêmes essentielles pour identifier un état du monde.

Caractéristiques du scénario de la banque centrale soumise au Trésor.

François Rachline, dans un ouvrage insuffisamment remarqué (« D’où vient l’argent ?- panama ;2006) précise que les banques centrales sont l’outil qui permet l’alimentation monétaire des communautés humaines, lesquelles vont s’affranchir- grâce à ces mêmes banques- de la rareté des métaux précieux, et ainsi ouvrir l’éventail des possibles. Avec les banques centrales les hommes vont comprendre que la monnaie est , selon l’expression  de Bernard Lietar, « réellement crée à partir de rien » (« Au cœur de la monnaie  » ; Louise Michel ;2011). Création institutionnelle qui n’est que convention sociale et création institutionnelle au fond assez parallèle à l’émergence historique de la modernité, qui devait faire prendre conscience à ces mêmes communautés qu’elles ne sont plus gouvernées par les dieux mais bien par elles mêmes : tout devient possible.  Mais aussi création qui libère l’échange marchand de la pénurie monétaire : l’investissement et la production ne sont plus muselés par un crédit lui-même muselé par un stock monétaire largement hors des prises humaines : encore une fois tout devient possible. Les premières banques centrales – Anglaise, Française, etc.-  ne sont pas encore l’outil parfait de l’alimentation monétaire, puisque le détachement vis-à-vis du métal fût fort progressif et ne devient à priori définitif qu’avec la fin de la convertibilité du dollar en or le 15 Août 1971.

Ces banques centrales sont aussi historiquement en congruence avec les premiers épanouissements des formes « Etats de droit » de la grande aventure étatique. Ce qu’il faut comprendre de la manière suivante : le pouvoir monétaire se déplaçant de plus en plus vers les banques, les entrepreneurs politiques réagiront, en coiffant le système bancaire d’une camisole, obéissant elles mêmes à des règles fixées par ces mêmes entrepreneurs. Le système bancaire pyramidal et sous tutelle caractérisait bien un mode de partage très inégal des pouvoirs monétaires entre les banquiers et l’Etat.

Les banques centrales soumises au Trésor- telles que le monde les connaissaient jusqu’au dernier quart du 20ième siècle – engendraient ainsi des caractéristiques précises : finance enkystée dans les Etats, mode hiérarchique de la gestion de la dette publique, répression financière.

Parce que les banques centrales ne sont que le bras armé des Etats, les banques dites de second rang développent une activité qui est entièrement sous contrôle, activité qui à l’extrême se déploie à l’intérieur de ce qu’on appelait – s’agissant de la France- le  « circuit du Trésor ». Ce qui signifie une création monétaire privée très limitée sous le double étau de réserves obligatoires élevées et d’un taux de conversion en billets de banque centrale lui-même élevé.

Parce que libérée de beaucoup de contraintes, la dette publique devient indolore, voire bénéfique : il suffit que le Trésor se fasse exigeant sur l’abondement de son compte à la Banque centrale. Exigence devant toutefois s’inscrire dans un sentier contrôlé de dépréciation monétaire. Cela signifie que la banque centrale se trouve être la principale source – sous contrôle public -  de la création monétaire. Nous sommes bien en mode hiérarchique de gestion de la dette publique, mode qui permet -entre autres - des investissements publics massifs pour un coût en capital, politiquement déterminé c'est-à-dire proche de zéro.

Ce type d’articulation banque centrale/Trésor correspond bien évidemment à de la répression financière, répression jugée insupportable pour les acteurs du système bancaire. Parce que le jeu macro politique du moment laisse davantage de place à l’investissement et à la croissance qu’à celle de la lutte contre l’inflation, il est clair que l’éventail des possibilités se trouve réduit pour le monde financier. Ce qui allait devenir l’immense marché de la dette publique ne peut exister, et avec lui tous les produits financiers qu’il aurait pu engendrer. Les actifs financiers sont eux-mêmes rognés par l’effet ciseau de l’inflation d’une part et des taux de l’intérêt politiquement déterminés, ce qui signifie que leur conservation et leur accumulation dans les bilans bancaires est problématique. Ce qui signifie en conséquence que les activités de financiarisation resteront très limitées avec à l’échelle macroéconomique des  choix privilégiant plutôt des systèmes de protection par répartition que des systèmes par capitalisation.

Mais la répression financière développe d’autres conséquences. Parce que l’inflation affaisse considérablement les taux de l’intérêt réels, l’épargne est elle-même réprimée. D’où une fuite potentielle qu’il faut elle-même contenir par des barrières : contrôle des changes,  restrictions aux mouvements de capitaux, etc. Le scénario de la banque centrale soumise au Trésor est ainsi en congruence avec le stade de l’Etat- nation classique, et l’auto - centrage de son système productif. Mais la répression de l’épargne et de la création monétaire privée développe elle-même d’autres conséquences : les patrimoines financiers des ménages ne comportent pour l’essentiel que des titres privés classiques. Les titres publics –bons du Trésor achetés directement- ne concernent qu’un volume réduit en ce que le Trésor n’a guère besoin de recourir aux marchés pour faire face à la dette publique (avances de l’Institut d’émission et achats imposés d’obligations publiques par le système bancaire). Quant aux patrimoines non financiers, essentiellement l’immobilier des ménages, ils suivent l’évolution des prix en général et ne peuvent se transformer en bulles en raison de la faible capacité du système bancaire à créer de la monnaie privée. Autant de conséquences qui freinent le développement d’inégalités de patrimoines et favorisent à l’inverse la moyennisation de la société. Ainsi, pour ne donner qu’un exemple le patrimoine global ne représentait que 3 fois le PIB dans la France des années 50 ( 6 fois le PIB aujourd’hui).

Bien comprendre la signification de l’indépendance des banques centrales

 Entre soumission et détachement il peut exister beaucoup de postures intermédiaires, et il est exact que la FED ou la BOE sont moins indépendantes que la BCE. S’agissant de cette dernière, il faut reconnaitre que la séparation est radicale, et l’objectif assigné de stabilité monétaire n’est pas une véritable mission de service public. En effet, si cet objectif n’avait pas été fixé par les autorités européennes, il se serait -pour autant - le plus naturellement du monde matérialisé. Il était en effet évident que la stabilité monétaire correspondait et à l’intérêt des dirigeants de la BCE, dans leur quête de notoriété voire de reconduction au pouvoir, et à celui du système bancaire. Un gouverneur sera davantage jugé sur l’inflation qu’il ne le sera sur le chômage ; quant au système bancaire l’intérêt de la stabilité monétaire n’est pas à démontrer.  Une réelle mission de service public n’existe que dans la mesure où les obligations qui en découlent s’opposent ou orientent le fonctionnement des marchés et leurs résultats. L’objectif assigné de stabilité monétaire n’avait pas besoin d’être imposé « de l’extérieur », c’est-à-dire les autorités européennes : il se serait spontanément manifesté, car maximisant les gains à l’échange entre les dirigeants de la BCE et les banques de second degré.

Au-delà, la radicalité de l’indépendance mérite d’être examinée de plus près.

Le passage au mode marché de gestion de la dette publique qui va en résulter peut être mieux compris en prenant l’image d’un propriétaire de verger à qui il serait juridiquement interdit de consommer la récolte  disponible, et qui dans le même geste se verrait obligé de se ravitailler en fruits auprès d’un groupe d’entreprises  bien ciblées , à l’exclusion – juridiquement établie -de toutes les autres.

Cette situation assez invraisemblable est pourtant celle constatée : La BCE ne peut évidemment abonder gratuitement le compte du Trésor, mais ne peut pas non plus entrer dans un rapport marchand direct avec ce dernier. Qui plus est, le même Trésor ne peut non plus entrer dans un relation marchande libre avec n’importe quel type d’acheteurs de dette publique. Ainsi, citoyens et Trésor ne peuvent envisager une relation marchande : seules les banques ont le monopole d’achat de la dette publique.

Sur un plan strictement juridique, cela signifie que l’Etat se voit interdire l’auto production pour ses propres besoins. Comme s’il était juridiquement interdit à l’entreprise Renault de fabriquer des moteurs pour ses besoins de fabrication de voitures. Economiquement cela signifie que s’agissant de l’Etat, celui-ci se doit d’être dans une logique de « buy », celle du « make » lui étant juridiquement interdite. Il est donc juridiquement interdit à l’Etat d’optimiser ses coûts et de procéder aux arbitrages couramment utilisés dans le mode des entreprises. Le gaspillage de ressources publiques devient ainsi une obligation juridique.

Toujours sur le même plan juridique, alors que le mode marché de gestion de la dette publique est devenu obligatoire, il est néanmoins fort particulier et fort sélectif puisque tous ne peuvent pas y participer. En particulier les ménages n’ont pas accès en direct aux bons du Trésor, ne peuvent plus y affecter leur épargne, tandis que les banques se voient offrir le monopole d’achat de la dette…et dans un même geste le grand gâteau d’une bonne partie de l’épargne des ménages qui ne peuvent acheter en direct de la dette publique. Le monopole des banques est ainsi opposable, et au Trésor, et aux épargnants, lesquels ne peuvent nouer entre eux de véritables échanges mutuellement avantageux. L’indépendance des banques centrales est ainsi privative de libertés fondamentales.

Ainsi, bien précisé, cet extraordinaire dispositif du marché de la dette publique, il est possible d’en tirer 2 remarques.

La première est celle d’un spectaculaire retour en arrière : alors que l’invention des banques centrales était devenue à terme un outil de  libération de l’humanité, une humanité jusqu’alors prisonnière de la pénurie métallique, mal compensée par  les douloureuses expériences du crédit et de l’endettement, les lois dites d’indépendances, promulguées dans le dernier quart du 20ième siècle, vont rétablir la loi d’airain de la monnaie. Les Etats dans leur stade démocratique vont retrouver les problèmes de dettes publiques qu’ils avaient si souvent rencontrés dans les stades antérieurs. Rareté et taux d’intérêts élevés vont brutalement s’imposer à des Etats qui se trouveront en compétition pour accéder à la ressource. Curieuse situation qui fera l’interrogation des futurs historiens : pourquoi les hommes se sont-ils brutalement coupés d’un outil essentiel d’accompagnement de ce qu’ils croyaient être le progrès ?

La seconde est celle de la confirmation de la nature profonde des Etats, laquelle est une réponse à la première question. Si effectivement – ainsi que l’affirme légèrement l’idéologie dominante- les Etats représentent l’intérêt général, on voit mal comment cette invention historique et libératoire de la banque centrale aurait pu connaitre un  retour en arrière aussi brutal. De fait, selon notre paradigme, la création des banques centrales est l’introduction d’un rapport de forces entre finance et entrepreneurs politiques ; et leur évolution, c’est – à –dire le passage au mode marché de gestion de la dette publique, correspond au renversement de ce rapport de forces, où la finance peut s’appuyer sur la cohorte des épargnants, pour imposer un système de règles du jeu devant bouleverser l’ensemble de la société.

Emergence d’un nouveau monde

Désormais, ce n’est plus la finance qui est enkystée dans les Etats, mais les Etats qui sont enkystés dans la finance : le problème de la dette qui avait disparu réapparait en pleine lumière. L’inflation disparaissant, les déséquilibres budgétaires engendrés par le fonctionnement courant des marchés politiques, se transforment en dette publique massive….pour le plus grand bonheur de la finance et des épargnants.

L’inflation maitrisée, et la création monétaire devenant un quasi monopole bancaire, permet un vaste mouvement de financiarisation de l’économie : bilans bancaires hypertrophiés – parfois plus lourds que les PIB des pays d’accueils- sont la contrepartie de la montée d’actifs désormais profitables. Les patrimoines financiers vont exploser car aussi alimentés par cette matière première toute nouvelle qu’est la dette publique. Les patrimoines immobiliers suivront en raison de la création monétaire massive et des innovations financières (titrisation notamment) toujours renouvelées. Explosion des patrimoines qui bien évidemment se manifeste chez ceux qui disposaient déjà d’une capacité d’épargne. D’où la montée bien connue des inégalités sociales.

Mais l’inflation maitrisée, c’est aussi la contestation des systèmes de protection par répartition au profit des systèmes de protection par capitalisation : les taux d’intérêt réels sont désormais positifs et sont aussi garantis par cette manne nouvelle qu’est le service de la dette (2,5 points de PIB pour la France aujourd’hui). Bien évidemment le mode marché de gestion de la dette est d’autant plus facile que celui –ci est profond, et plutôt que de voir les épargnants nationaux se constituer un porte feuille de titres publics acquis en direct auprès du trésor, il est préférable de mobiliser l’épargne mondiale que l’on revendra sous forme de produits sophistiqués, et parfois fiscalement aidés, aux épargnants nationaux. Cela signifie que l’indépendance des banques centrales se conçoit mieux, si elle s’accompagne d’une libre convertibilité monétaire et d’une totale liberté de circulation des capitaux, le tout accompagné d’une forte volonté dérégulatrice, elle-même libératrice de l’ingéniosité financière. Ainsi la dette publique aura souvent tendance à être détenue par des agents non résidents (environ 70% s’agissant de la France).

C’est dire que l’indépendance des banques centrales est en congruence avec l’idée de mondialisation. D’où des Etats exposés et fragilisés, qu’il faudra évaluer par des agences de notation, qui trouvent dans ce nouveau mode de gestion de la dette, l’émergence de nouveaux débouchés. Et le processus de fragilisation peut se faire croissant : parce qu’il faut surveiller le marché qui sanctionne à tout instant le prix de la dette publique, les Trésors seront progressivement amenés à d’apparentes postures de servitude volontaire. Tel est le cas des interminables négociations européennes sur les positions nues sur CDS, et les ventes à découvert, où l’on voit des Etats très fragilisés- Espagne, Italie etc. - n’osant tenter le durcissement de la réglementation, de peur d’affecter la liquidité du marché de leur dette souveraine. D’où aussi le débat devenu éternel sur l’agence de notation publique, que l’on aimerait créer, mais qu’on ne peut mettre en place, sans le risque de voir le marché considérer que son caractère public, est bien le signe de turpitudes dont les Etats seraient coupables. D’où également les débats sur la « règle d’or » , l’automaticité des sanctions bruxelloises ,etc.

Les exemples de postures de servitude volontaire pourraient être multipliés à l’infini tant ce nouveau mode de gestion de la dette publique, affaisse progressivement l’Etat de droit démocratique tel que vécu dans le stade antérieur : nous sommes passés dans le monde des apparences, de la finance réprimée par les Etats, aux Etats réprimés par la finance. Ce qui ne change encore une fois rien quant la nature des Etats : ils sont toujours bien présents, et  seul le basculement des rapports de forces entre les principaux acteurs sociaux explique cette apparence « d’hypo- Etat » naissant. Naguère- en mode hiérarchique de gestion de la dette, et donc en banque centrale soumise- la redistribution de la prédation publique se déroulait assez largement sous la forme de l’Etat providence ; aujourd’hui- en mode marché et donc en banque centrale indépendante- elle se déroule bien davantage sous la forme d’une redistribution vers les rentiers petits et grands, nationaux ou étrangers : ce qu’on appelle le service de la dette.

Forme évidemment instable, puisque ces Etats se sont placés au cœur de la spéculation et à ces risques systémiques complètement planétaires. Forme instable également pour leurs assujettis : la sécurité des couvertures par capitalisation n’est pas celle des couvertures par répartition, et l’ouverture sans limite sur l’extérieur, entraine des contradictions de statuts et de rôles chez les salariés, les consommateurs, les épargnants et les citoyens. Ainsi le salarié est –il parfois amené comme consommateur à détruire son emploi, ainsi le citoyen est –il comme épargnant parfois amené à préférer le marché à la démocratie, etc. Avec plus globalement, selon la formule de Maurizio Lazzarato (La fabrique de l’homme endetté ; Amsterdam ;2011) la  transformation de tous en sujets endettés  : le crédit immobilier se substituant au droit au logement, le crédit d’études se substituant à l’université gratuite, etc.

L’indépendance des banques centrales est aussi largement le point de départ de l’accumulation de la gigantesque dette privée et publique, au cœur de la grande crise actuelle. C’est que leur éloignement vis-à-vis des trésors libère d’une part, la création  de monnaie privée avec  les crédits qui lui sont attachés (« les crédits font les dépôts »,ou plus simplement la « planche à billets » privée), et d’autre part, développe massivement un endettement public que l’on croyait disparu jusqu’au début des années 70. La masse monétaire va ainsi augmenter à un rythme croissant, lui-même sans aucun rapport avec celui de la dépréciation monétaire et la croissance économique : rythme de Plus de 8% dans les années 90 en Europe et aux USA, et surtout rythme de 12% en Europe et 17% aux USA à la veille du déclenchement de la grande crise.

C’est dire que la maitrise de la grande crise des années 2010 passera sans doute par le repositionnement des banques centrales : face à l’imbroglio actuel, les marchés politiques feront émerger le retour des banques centrales sous la hiérarchie des Etats. Selon quelles modalités ? les prochains mois seront en la matière probablement décisifs.

 

 

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11 septembre 2011 7 11 /09 /septembre /2011 08:50

 le texte suivant constitue le résumé de mon intervention au colloque organisé à l'Assemblée Nationale par l'Association Pour un Débat sur le Libre Echange:

       "Protéger les intérêts économiques de la France : quelles propositions?"        

 

                

La mondialisation s’accompagne, pour presque tous les pays, de soldes extérieurs de plus en plus éloignés de l’équilibre. Parmi toutes les causes qui expliquent ces déséquilibres extérieurs, il y a aussi, au delà des taux de change- fixés soit administrativement soit  par le marché- le mode de gestion de la monnaie. Et, de ce point de vue, la monnaie peut, soit devenir la base d’une gigantesque pyramide d’endettement, soit être un objet, victime heureuse de ce qu’on appelait il y a bien longtemps, la répression financière. Tout dépendra ici du taux de l’intérêt réel, et de l’attitude des Etats vis-à-vis de l’organisation des systèmes financiers.

Lorsque les Etats font valoir la répression financière – ce qui était le cas de nombre de pays dont la France jusqu’au début des années 80 – la dette publique, lorsqu’elle existe, est sous contrôle. Les banques centrales, alimentant à coût nul les Trésors , ils ne sont gênés par aucun service de la dette étouffant l’investissement public, généralement modernisateur d’une économie, donc de son efficacité productive. Ainsi dans les décennies 50 et 60, la France pouvait à la fois financer la guerre d’Algérie, les plans de développement correspondants (par exemple le Plan de Constantine), une ambition spatiale et nucléaire, une gigantesque modernisation de son système éducatif, etc.

La même répression financière, développant des taux d’intérêts réels négatifs, permettait un investissement industriel plus aisé et une politique du logement fort ambitieuse. Avec  même la possibilité d’accéder à la propriété -pour les « baby boomers »-  dans des conditions qui feraient rêver les classes moyennes d’aujourd’hui. Avec aussi – il est vrai - en contrepartie, un contrôle des changes interdisant la fuite de capitaux cherchant à échapper à la répression financière.

Mais la répression financière, supposait aussi des gouverneurs de banques centrales dont le statut se ramenait à celui de simple préfet obéissant. Et cette obéissance était associée à celle du système bancaire lui-même en situation de subordination. Parce que la financiarisation était de fait interdite, les bilans bancaires ne se gonflaient pas artificiellement d’actifs, contrepartie de patrimoines plus ou moins fictifs. A l’époque, le bilan d’une grosse banque n’était pas beaucoup plus lourd que celui d’une grosse entreprise industrielle, et les capitaux propres étaient d’importance comparable. Pas comme aujourd’hui, avec une BNP dont l’actif est plus gros que le PIB de la France, alors que celui de Total se monte à moins de  7% du PIB français.

Lorsque les Etats sifflent la fin de la répression financière ( Loi du 3 janvier 1973 s’agissant de la France), ils risquent de s’endetter sérieusement puisque la gestion de la dette passe par le mode marché et non plus par celui de  l’autorité. Les banques centrales (176 aujourd’hui) deviennent toutes indépendantes et les gouverneurs devenus puissants dans leurs objectifs de garantir la stabilité monétaire, invitent les Etats à s’adresser exclusivement aux banques pour obtenir des prêts. Le système bancaire n’est plus en situation subordonnée et voit dans les Etats un simple partenaire de marché. Fini le temps où il devait respecter des planchers de bons du Trésor, avec contrôle journalier du respect des dits planchers par le ministère des finances. Fini également le temps où les Etats maitrisaient des taux de change aujourd’hui abandonnés au seul marché.

La fin de la répression financière est lourde de conséquences.

L’investissement public devient extrêmement coûteux puisqu’il faut payer un taux désormais positif. La fin de la répression financière est aussi la fin de l’âge d’or des investissements publics, dont on aurait tant besoin aujourd’hui : ils se sont sublimés en rentes improductives.

Mais surtout, la fin de la répression financière correspond curieusement à une augmentation vertigineuse de la création monétaire : la légendaire « planche à billets » devient interdite pour les Etats réputés mauvais gestionnaires, mais pas pour les banques qui -elles -seraient infiniment plus responsables.  Et il est vrai que désormais protégées par des gouverneurs de banques centrales garants de la stabilité monétaire, il devient intéressant de développer- en aval de la « planche à billets » académiquement désignée par l’expression de « multiplicateur du crédit »  - une immense machine à fabriquer de la dette, c'est-à-dire des actifs désormais stockables, en ce qu’ils ne sont plus rognés par de l’inflation. Parce que réputés sûrs, il faut gorger les bilans bancaires d’actifs de toutes sortes et se munir de capitaux propres modestes pour augmenter l’effet de levier et le profit actionnarial. D’où le gonflement vertigineux d’actifs, avec des patrimoines qui augmentent beaucoup plus vite que la richesse réellement produite. Pour ne donner qu’un exemple dans la décennie 2000, le PIB français augmente en moyenne de 28 Milliards d’euros par an, tandis que les seuls actifs financiers augmentent à un rythme 10 fois plus élevé (649 milliards d’euros).

Le temps de la banque monumentale -  véritable danger public car plus grosse que les Etats -  est ainsi arrivé.

La fin de la répression financière est ainsi le début de celle des Etats,  lesquels, pour certains d’entre-eux, vont s’embourber dans une monnaie unique ajoutant à leur propre répression. Et à celle de l’économie réelle, car à la banque monumentale se trouvera associée une industrie devenue le plus souvent famélique. Pour ne donner qu’un chiffre, la base industrielle de la France qui nourrissait 30% de son PIB au début des années 80, n’en nourrit plus que 13% aujourd’hui.

Désormais, des Etats, en particulier ceux de l’euro-zone, vont aussi perdre leur politique de change, ce qui signifiera qu’il devient impératif pour tous de s’aligner sur le « meilleur », pour tenter d’équilibrer les comptes extérieurs, et empêcher que certains –les « meilleurs » -  ne viennent siphonner la demande interne des « moins bons » . Opération héroïque, car baisse des taux, et taux de change unique ,  autorisés par la monnaie unique invitent- rationnellement lorsque l’on est déjà pas très bon - à ne pas s’améliorer, et à seulement s’enivrer   d’une « monnaie de réserve à l’américaine » : Grèce, Portugal, Espagne, mais aussi la France sont amenés – par le marché- à faire des choix délaissant plutôt l’industrie (il devient impossible comme naguère de se protéger par une dévaluation) et privilégiant plutôt l’immobilier (faiblesse des taux avec forte incitation bancaire attisée par les vertus de la planche à billets), et les services , notamment la Grande Distribution, grande bénéficiaire de la monnaie unique et de la mondialisation, et faiseuse du miracle/mirage d’une consommation populaire rapidement croissante. Un grec muni d’euros devient ainsi, l’équivalent d’un américain muni de dollars. De quoi implanter cet importateur pur qu’est Wall-Mart à Athènes.

Sans l’outil du taux de change, les comptes extérieurs deviennent  de plus en plus déséquilibrés : les « meilleurs »- les allemands- le seront de plus en plus, et les « moins bons »- les grecs-  seront de moins en moins bons. Même la France connait un déséquilibre de plus en plus incontrôlable : sa balance commerciale encore excédentaire au début des années 2000, risque cette année de frôler les 70 milliards d’euros de déficit.

Le temps de la grande crise siffle la fin de la récréation – les patrimoines, par effet boursier d’une prise de conscience,  cessent de s’éloigner sans limites de la richesse réelle-  et l’impérieuse nécessité pour les Etats de reprendre le pouvoir qu’ils ont imprudemment laissés à ce qui est devenu une fort dangereuse industrie financière.

La gestion de l’inéluctable effondrement du gigantesque château de cartes financier passe par le rétablissement de l’autorité monétaire : la fin de l’indépendance des banques centrales, le financement direct des Trésors par ces dernières, la renationalisation de la dette publique désormais nourrie par la forte épargne des ménages, l’amaigrissement considérable des bilans bancaires, le rétablissement des planchers de bons du Trésor,  et  la maitrise des taux de change. Cela ne signifie pas nécessairement la fin de l’euro-zone, mais au moins le passage de la monnaie unique à la monnaie commune.

Mais cela signifie surtout un accord international visant ce que Keynes recherchait avec son bancor en 1944 : un monde où les équilibres des échanges extérieurs de chaque participant est recherché, notamment- mais pas uniquement- par des procédures de modification des taux où – à intervalles réguliers - le « meilleur » se trouve juridiquement obligé de réévaluer et le « moins bon », juridiquement obligé de dévaluer. Le commerce international n’est pas une guerre et les échanges se doivent de viser- autant que possible-  l’équilibre.

La dé mondialisation n’est pas la fin du libre commerce international, elle n’est que l’outil empêchant l’humanité de connaître de forts grosses déconvenues.

                                                                                               Jean Claude Werrebrouck

 

 

 

 

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4 septembre 2011 7 04 /09 /septembre /2011 08:02

 

Souvent nous nous sommes penchés sur les spécificités du système financier : gigantisme, profits et rémunérations hors normes, danger systémique permanent, enkystement des Etats dans les bilans bancaires,  proximité inquiétante entre régulateurs et régulés, etc.

Pour autant,  un regard naïf pourrait justifier au moins certaines spécificités, en affirmant haut et fort que le système répond aux besoins du 21 siècle comme l’automobile pouvait être le symbole des besoins du siècle précédent. C’est que la finance doit répondre de façon de plus en plus importante aux besoins des épargnants, comme l’automobile répondait et répond toujours aux besoins des consommateurs. La dette n’étant-  en toute première approximation - que l’autre face de l’épargne, il fallait construire une immense machine à fabriquer de la dette, comme on avait construit d’immenses usines chargées de fabriquer des automobiles.

Emprunter une telle  voie de raisonnement n’est pas neutre, et revient à considérer que  le système financier, souvent vilipendé,  produit et vend – au-delà de ses activités de prêts traditionnels - des supports d’épargne, comme l’industrie produisait et produit encore des biens industriels. Si tel est bien le cas, alors nécessairement l’idée de prédation ou  de rente qui lui est si souvent associée, devrait laisser la place à l’idée de valeur ajoutée. Et si dans l’industrie la valeur ajoutée se définit comme la différence entre la production et les consommations intermédiaires, il devrait en être de même pour le système financier. En sorte que contrairement à l’idée parfois émise, profits et bonus extravagants ne seraient pas prélevés sur l’économie réelle, mais sur la richesse produite par le secteur.

 C’est bien ce qu’admet la comptabilité nationale qui utilise aussi la notion de valeur ajoutée pour le système financier.

Dans une telle perspective, si la finance s’annonce gigantesque cela relève simplement de sa spécificité toute industrielle : sa production (supports d’épargne) est d’une nature « stockable » ( les patrimoines financiers augmentent avec le temps) et  la contrepartie se trouve dans le ventre de bilans qui ne peuvent que grossir. Le PIB des divers pays augmente, toutefois il n’est  qu’un flux  et démarre de Zéro en début de chaque année. Si donc l’épargne se maintient en valeur il est assez logique que – par effet d’accumulation- son montant finisse par dépasser le PIB. Le gigantisme et autres caractéristiques associées, seraient ainsi assez compréhensibles. L’industrie financière ne serait  qu’une forme de l’industrie en général, et de la même façon que l’industrie automobile transforme des bobines de tôle en carrosseries, l’industrie financière transforme une épargne en produits finis, par exemple des contrats d’assurance vie.

Les choses sont pourtant beaucoup plus complexes.

Un premier élément consiste à considérer que la distinction entre fournisseurs et clients est beaucoup plus difficile que dans l’industrie classique. Les sidérurgistes sont fournisseurs et les ménages sont clients dans l’industrie automobile . Dans l’industrie financière – même en simplifiant- les fournisseurs sont la Banque centrale, le Trésor, les ménages …et les banques elles-mêmes. Quant aux clients- toujours en simplifiant-  ils sont à la fois offreurs d’épargne (ménages, entreprises) et demandeurs ( Trésor, entreprises,  ménages).

Un second élément est que si l’industrie classique est un « commerce des réalités », l’industrie financière est un "commerce des promesses" avec le danger, outre celle du non respect des contrats, celle de l’évolution des valeurs des promesses échangées. Parce que gestion de flux, l’industrie classique sera moins préoccupée que l’industrie financière des risques d’inflation. Cette dernière, grosse d’actifs stockés, demande en premier lieu le respect de la loi de la stabilité monétaire. Fait majeur qui permet de mieux comprendre des institutions  concrètes acquises de haute lutte: Indépendance de la banque centrale, interdiction lui étant faite d’intervenir sur le marché primaire de la dette publique ; objectif statutaire de stabilité monétaire, etc. D’où l’idée souvent émise selon laquelle tout développement d’une industrie financière – autonome, c'est-à-dire non réprimée par l’Etat - peut aussi se lire comme la fin de l’inflation et le début de la dette. C’est dire que l’émergence d’une industrie financière exige un véritable basculement du monde, et ce au plus haut niveau. Et de la même façon qu’il pouvait exister un complexe militaro-industriel, il existe aujourd’hui un complexe politico-financier. Avec – pour poursuivre la comparaison - véritable course aux armements informationnels susceptibles de faire la différence …et donc la forte proximité avec la sphère des délits d’initiés et des conflits d’intérêts. Historiquement, la fin de l’inflation et le début de la dette,  correspond aux années 80 dans la plupart des pays occidentaux. Elle correspond aussi à ce qu’appelions dans un article précédent au passage de la « finance enkystée dans les Etats » aux « Etats enkystés dans la finance ».

Un troisième élément,  conséquence du second, est que l’industrie financière oriente son organisation – pour l’essentiel-sur l’investissement dans le marché (trading informatisé par exemple), alors que l’industrie automobile orientera son organisation – pour l’essentiel -  sur la production (lutte contre les temps morts sur les outils  par exemple): perfectionner les « paris » sur fluctuations de prix d’un côté,  et perfectionner l’efficacité de la chaîne de production de l’autre. Caractéristique qui nous fait penser que l’industrie financière ne trouve pas ses résultats dans la simple valeur ajoutée mais bien davantage sur des plus values construites sur des échanges ultra rapides.

 

Un quatrième élément relève de la valeur des matières premières utilisées dans les deux industries. Dans le cas de l’industrie classique, elle n’est jamais nulle. Dans celui de l’industrie financière, elle est souvent proche de zéro, notamment dans les pays occidentaux.

Le système de réserves fractionnaires qui s’est historiquement imposé, appuyé par la bancarisation qui laisse marginal le stock de  monnaie fiduciaire, et également appuyé par la déréglementation qui a fait chuter les taux de réserves obligatoires, a permis une hausse considérable du multiplicateur du crédit ( autour de 10 à 15 dans la zone euro selon Natixis). Les crédits multiplient de plus en plus les dépôts, et donc la puissance créatrice de monnaie gratuite  par les banques,  s’est considérablement accrue. Multiplication qui s’est aussi accrue en raison du fait que la mondialisation permet de transférer la base monétaire vers les pays déficitaires, notamment les USA  qui bénéficient des achats de bons du Trésor par les excédentaires. Par comparaison avec l’industrie automobile cela signifie – à partir d’un achat initial -le pouvoir de multiplier gratuitement les bobines de tôles susceptible d’être transformées.

Mais la matière première gratuite ou quasi gratuite est aussi obtenue auprès des banques centrales qui fournissent toute la liquidité nécessaire à des taux proches de zéro (1% en moyenne en Occident)…. Ce qui permet une énorme plus value au cours la vente de dette publique primaire par les   agences des divers Trésors. Enorme plus value payée par les contribuables de chaque pays. Comme si dans l’industrie, les sidérurgistes acceptaient de livrer gratuitement des bobines d’acier à l’industrie automobile, en ayant obtenu la promesse que l’Etat ,et donc ses contribuables, accepteraient de payer les dites bobines d’acier. Les choses peuvent même s’aggraver, et l’énorme plus value autorisée par le double comportement des banques centrales et des Trésors, pourrait aussi déboucher en théorie sur une recapitalisation des banques centrales également financée par les contribuables.

Un cinquième élément résulte de l’effet des deux précédents : les besoins en capitaux sont élevés dans l’industrie classique et faibles dans l’industrie financière, et ce même si la course à l’armement informationnel passe par la lourdeur du surarmement informatique. Il faut beaucoup de capital pour fabriquer une usine d’assemblage générant au terme de multiples opérations des automobiles. Il en faut très peu pour fabriquer de la dette. Ainsi  une quinzaine de banques européennes enregistrent un total d’actifs supérieur au PIB du pays d’origine avec des capitaux propres de 18 à 64 fois inférieurs. Et cette faiblesse extrême des capitaux propres peut être renforcée par la possibilité d’effectuer de multiples opérations hors bilan. Par comparaison, notons que le groupe Renault dispose de capitaux propres seulement 3 fois inférieurs au total de son bilan, lequel ne représente qu’un peu plus de 3% du PIB français. Toujours par comparaison,  notons que le groupe Total- grande entreprise industrielle classique- dispose de capitaux propres seulement 2,5 fois inférieurs au total de son bilan , lequel ne représente qu’un peu plus de 7% du PIB français. La faiblesse des capitaux propres, à l'origine de multiples dangers,  est une caractéristique essentielle de l’industrie financière.

De cette trop rapide comparaison il est possible de tirer quelques conclusions.

L’industrie classique, dans sa production de valeur ajoutée, est assez peu concernée par le basculement des choix : la fin de l’inflation et le commencement de la dette. Parce que les échanges tant au niveau fournisseurs qu’au niveau clients ne provoquent que forts peu d’effets dans le temps, le mode opératoire est peu affecté par un changement de régime.

Tel n’est pas le cas de l’industrie financière.

Lorsque l’on vit en régime d’inflation, ce qui correspond à ce qu’on appelait dans un article antérieur au moment politique où la finance est enkystée dans l’Etat, les bilans bancaires sont légers,  probablement davantage que les bilans industriels, et ce pour au moins deux raisons. Tout d’abord l’épargne n’est pas stockable en régime de monnaie fondante, ensuite faible bancarisation et taux de réserves obligatoires élevés interdisent une création monétaire importante : les crédits font peu de dépôts.

Le régime d’inflation correspond aussi à la répression financière,  et la valeur ajoutée bancaire se construit négativement : les crédits aux entreprises et aux particuliers et surtout à l’Etat (planchers des bons du Trésor) sont assortis d’un prix négatif ( la recette actualisée est inférieure à la dépense apparente), et la rentabilité ne proviendra que d’un faible multiplicateur et surtout d’une épargne à taux réel négatif. La répression financière est donc  un temps où la valeur des actifs financiers ne cesse de fondre, c'est-à-dire un temps où les droits de propriété- pour employer le langage des libéraux – ne sont pas respectés. C’est la raison pour laquelle les libéraux parlaient à l’époque de « répression financière »

 

Le passage au mode dette correspond à une inversion radicale : parce que désormais le nouveau commerce des promesses garantit la pérennisation de la valeur des actifs, les droits de propriété vont devenir – dans le monde des apparences respectés. L’épargne devient stockable, et va donc faire grossir le patrimoine des ménages et les bilans bancaires. Les prêts et crédits deviennent des actifs rentables, d’où leur multiplication par tous les moyens de l’innovation financière. Et multiplication qui va favoriser des bulles aux niveaux d’actifs non financiers, immobilier par exemple, justifiant en retour un endettement privé de plus en plus lourd. Mais surtout les actifs publics ne sont plus une forme d’impôt, mais une valeur sûre à même de devenir un collatéral universel. Dans le même temps, bancarisation et affaissement des taux de réserves obligatoires, vont permettre l’augmentation rapide de la création monétaire. Tout va dans le sens d’une explosion de la taille des bilans, et d’une explosion parallèle des profits. Et explosion parallèle du hors bilan : ainsi le BNP avec 15% de son énorme bilan (environ égal au PIB de la France) en produits dérivés,  peut envisager des paris sur fluctuations de prix pour un montant supérieur à 40000 milliards d’euros, soit 20 fois le PIB français. Nous sommes très loin de la famélique industrie automobile.

Ce basculement du monde est celui que nous désignions dans un article précédent par l’expression d’ « Etat enkysté dans la finance ». Et il est vrai que la répression financière s’est complètement renversée : nous sommes passés de la répression de la finance par l’Etat à la répression de l’Etat par la finance. En mode inflationniste, l’Etat ne payait aucun taux sur la banque centrale qui le ravitaillait, et surtout il spoliait les banques par le biais des planchers des bons du trésor, bons rapetissés à échéance par l’inflation. En mode dette, L’Etat est juridiquement tenu de passer par les seules banques pour s’endetter, lesquelles à l’inverse de l’industrie disposent d’une matière première quasi gratuite. En mode inflationniste les banques étaient spoliées par les entrepreneurs politiques et leurs électeurs attachés à la construction d’un Etat providence, spoliation reportée sur les épargnants ne disposant que d’un taux de l’intérêt négatif. En mode dette, les banques devenues industrie financière spolient les entrepreneurs politiques et leurs électeurs, ce qui lui permet de mieux respecter les épargnants. Avec pour effet une montée des inégalités sociales : tous sont fiscalement concernés par la dette publique, mais seuls les plus aisés, parce qu’épargnants vont bénéficier de la rente. Le régime dette devenant aussi un dispositif caché de redistribution à l’envers de la richesse.

Le mode inflationniste était l’alliance -par le biais des marchés politiques régulateurs- des citoyens, des salariés et des consommateurs au détriment des banquiers et des épargnants. La fameuse euthanasie des rentiers chère à Keynes. Le mode dette est l’alliance des financiers et des épargnants au détriment des citoyens et des salariés. Au détriment des citoyens en ce sens que les marchés financiers sont devenus le nouveau nom du pouvoir exécutif. Au détriment des salariés, en ce sens que les paris sur fluctuations de prix sont le nouveau nom – et la nouvelle réalité - de l’investissement productif.

Et derrière ce nouveau nom se cache une réalité économique sociale et culturelle fort différente. Les paris sur fluctuations de prix n’engendrent  plus de la valeur ajoutée comme pouvait l’engendrer les anciens investissements industriels : il s’agit d’une rente d’autant plus importante que l’on se trouve en situation de proximité vis-à-vis d’une possible manipulation de cours, c'est-à-dire aussi en situation de proximité au regard de la sphère des conflits d’intérêts, de la sphère des délits d’initiés voire de la fraude souvent techniquement indétectable. Avec ses conséquences sociales et culturelles. Alors que l’investissement industriel classique supposait techniquement la collaboration confiante des acteurs, et finalement œuvre commune justifiant des rémunérations peu individualisées, le pari sur fluctuation de prix suppose un travail radicalement individuel et méfiant- presque dans le secret-  et l’impossibilité managériale de ne pas individualiser les récompenses associées. L’envolée des rémunérations correspond à l’envolée de la rente, mais une rente entièrement construite sur des décisions strictement individualisées. Le profit cesse d’être œuvre commune et les cadres missionnaires de l’industrie classique deviennent des mercenaires de la rente.

Le grand basculement qui interdira juridiquement aux Etats la possibilité d’emprunter aux banques centrales, dont ils sont pourtant souvent les seuls propriétaires, laissera une énorme possibilité de construire à très bon compte des produits d’épargne aussi solides que les Etats eux-mêmes. D’où le succès – pour ne donner qu’un exemple - des assurances-vie, qui reposant pour l’essentiel sur de la dette souveraine,  représente pour les seuls épargnants français 75% du PIB du pays. Alliance du financier et de l’épargnant au détriment d’Etats qui – privés des possibilités de la répression financière- n’investissent plus et  en viennent à payer de la rente pour maintenir tout ou partie de ses services publics ( probablement plus de 45 milliards d’euros pour la seule France, soit approximativement 2% de son PIB en 2011…. et bientôt la même somme pour ce qui est de la Grèce, ce qui représentera 25% de son PIB). Pour en revenir à la France, les juteux contrats d’assurance vie des épargnants sont ainsi largement financés par les contribuables, la finance prélevant au passage sa dîme.

Le grand basculement est  un véritable renversement des alliances sous la houlette  des entrepreneurs politiques, et renversement impulsé par l’émergence de nouveaux besoins : l’inflation qui n’interdisait pas la consommation de masse du fordisme industriel classique, ni même la confection d’un patrimoine immobilier pour les classes moyennes, interdisait de fait la constitution d’une épargne financière. Si donc la protection d’une épargne jusqu’alors mangée par l’inflation devient un produit politique- parce que désormais on veut consommer des produits d’épargne comme on veut consommer des automobiles-  on comprend qu’une alliance pourra naître entre le banquier et l’épargnant. Alliance qui pourra se renforcer si d’aventure les dispositifs de protection qui fonctionnaient sur la base de la répartition- retraites par exemples- basculent progressivement sous la houlette de l’industrie financière vers des dispositifs reposant sur la capitalisation. A noter que la dépression démographique et le vieillissement encouragent généralement ce type de basculement.

 

Le passage du mode inflationniste au mode dette n’est nullement la victoire du libéralisme, mais celui de la rente. Le monde de l’inflation n’avait rien de libéral,  celui de la dette  ne l’est pas davantage. La position qui consiste à voir dans le basculement, la victoire d’un néolibéralisme est incorrecte. Un vrai libéralisme consisterait- en tout premier lieu - à libérer les Etats de la répression dont ils sont les victimes en leur interdisant d’user de leurs droits de propriété sur les banques centrales.

 

 

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