Parmi les nombreuses propositions à effet de juguler les dangers d’une dette publique jugée insupportable , on notera l’intéressant article signé de Rodolphe A Müller et Pierre- Alain Schied dans Le Monde du 8 juin. Constatant une corrélation positive entre la quiétude des marchés et le pourcentage de la dette domestique dans la dette publique totale, les deux auteurs en viennent à proposer un plan de compensation inter Etats et inter créanciers aboutissant à la renationalisation de la dette.
Aucun détail concernant la procédure suivie n’est indiqué. Simplement il s’agirait d’une gigantesque compensation. Et sans doute compensation elle-même fort complexe puisque les dettes publiques nombreuses , en théorie égales au nombre d’Etats, sont appropriées par des agents nationaux fort nombreux et fort divers : Banques centrales, banques nationales et étrangères, compagnies d’assurances, fonds de pension, ménages.
Plus complexe encore- à supposer qu’il existe un accord politique international regroupant un nombre significatif d’Etats concernés et volontaires- serait le taux de change entre les dettes compensées. Problème qui reste entier dans une compensation entre Etats n’appartenant pas à un même zone monétaire. Mais problème qui demeure même à l’intérieur d’une zone, les nouvelles créances ne jouissant plus des rendements antérieurs. A titre d’exemple les créanciers français de dette publique Grecque verraient s’affaisser, au terme de la compensation, la rentabilité de leur investissement.
Mais il y a beaucoup plus grave. La compensation généralisée aboutirait à la mise sur le devant de la scène, et donc sa mise à l’index, de l’Etat le plus internationalement endetté. Le processus envisagé de rapatriement favorise peu les Etats dont l’endettement est faible ou reposant sur une base domestique. Ainsi le Japon ,qui certes dispose d’un Etat très endetté, serait peu favorisé par la procédure de rapatriement. Il n’y a quasiment rien à rapatrier et seulement 5,8% de la dette publique est détenue par des étrangers. A l’inverse des pays comme le Royaume-Uni ou la France disposant d’Etats très endettés auprès de créanciers étrangers, respectivement 68% et 66% du montant total de la dette publique, se verraient au terme de la compensation encore très endettés internationalement. Tous, ou presque, seraient « renationalisés » à l’exception de ceux qui font le plus problème. Sans doute le raisonnement précédent doit- il être enrichi par l’introduction de la variable du solde des créances et des dettes du compte privé de chaque nation : les créanciers privés pouvant détenir plus d’actifs internationaux que leur Etat de rattachement n’encourt de passifs. Il existerait donc deux catégories de pays endettés au terme de la compensation des dettes publiques : ceux disposant d’un secteur privé créancier net, et ceux pour qui la mise à l’index de leur endettement public se double d’ un endettement privé. En clair un pays comme l’Espagne, qui cumule tous les handicaps, n’aurait aucune raison de se plier au jeu du rapatriement des dettes publiques.
Il existe donc fort peu de chances de voir, selon le vœu de Müller et Schieb, le rapatriement des dettes des Etats calmant le jeu des marchés, pour la simple raison que les Etats seraient forts peu enclins à participer à une telle compensation, mais aussi parce qu’elle désigne le lieu exact de l’embrasement de la future panique de ces mêmes marchés.
Mais l’intérêt du faux remède proposé est-il sans doute ailleurs : il révèle le malaise de la doctrine de la liberté du déplacement des capitaux. Car ce qui est proposé est bien de mettre fin à la libre circulation du capital et donc réintroduire de substanciels éléments de dé mondialisation dans les moteurs financiers et économiques.
Aucun point du texte proposé n’aborde la question. Pour autant comment rapatrier la dette des Etats par le jeu d’une compensation sans en premier lieu interdire toute nouvelle extraversion au niveau des agences nationales chargées de la commercialisation des dettes publiques . Très simplement si l’Etat français devait se lancer dans ce processus de rapatriement, il est clair que l’agence France Trésor recevrait immédiatement l’ordre de ne vendre de la dette ( marché primaire) qu’à des agents nationaux. Tant il vrai qu’on ne peut remplir un seau tant qu’au préalable les trous ne soient rebouchés.
« Rapatrier la dette » est donc bien un terme qu’il faut comprendre par une expression sans doute plus exacte : « nationaliser la dette ». Au travers d’une solution qui se présente comme simplement technique, Müller et Schieb ne soupçonnent ils que leur proposition est tout simplement révolutionnaire ? Ils proposent la renaissance des Etats, avec leur compétence monétaire et surtout leur pouvoir monétaire. La crise des années 2010 atteint maintenant sa phase de plein épanouissement avec la conjonction de sa dimension « crise financière » et de sa dimension « crise des Etats » . D’autres dimensions sont maintenant attendues : politique, sociale, etc. les idées finiront sans doute par suivre pour la mise en place d’un nouveau paradigme. Elles sont aujourd’hui à dénicher dans les interstices du discours dominant sur la crise. Celui de Müller et Schieb en est un bel exemple.