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18 février 2024 7 18 /02 /février /2024 06:21

Il y a maintenant plus d’un demi-siècle que le législatif promulgue chaque année un budget déficitaire  avec une régularité ne souffrant aucune exception. Et ce, avec une main de plus en plus lourde puisque le trend du déficit est lui-même fortement croissant… le seuil des 3% étant oublié depuis longtemps…. Au-delà nous vivons une période dans laquelle nombre de politiques considèrent que ce n’est pas suffisant et que la croissance est restée souffreteuse en raison de déficits trop légers , donc des déficits qu’il aurait fallu creuser.

1 - Ces déficits sont bien une croissance achetée et il suffit de réfléchir à notre présente situation si le législateur devait renoncer à ce qu’il vient de voter (144 Milliards d’euros de déficit pour l’année 2024). En effet, point n’est besoin d’être économiste pour voir qu’un tel changement de cap serait aussi 144 milliards de réduction de la dépense publique, donc une diminution pour un montant équivalent de la demande globale avec ses conséquences : moins d’enseignants, moins de personnel médical, moins de militaires, moins de dépenses d’infrastructures, mois d’investissements publics, moins de dépenses d’armement, moins de subventions et dépenses au profit des entreprises ou au profit de l’environnement, etc. Le tout avec des effets multiplicateurs considérables. De quoi effectivement ne pas préparer l’avenir, en particulier celui des générations futures pourtant si souvent évoquées pour vilipender le déficit. Pour 2024, il faut donc un déficit prévisionnel de 144 milliards d’euros… pour espérer une « petite croissance » de seulement 1,4%... ce que prévoit la loi de finance. Et prévision qu’il faudra revoir à la baisse jusqu’à probablement moins de O,7%. Sans cette gigantesque dépense publique (490 milliards d’euros) contre moins de 350 milliards de recettes, la décroissance voire l’effondrement serait au rendez-vous. De quoi faire réfléchir les prétendus économistes qui ne parlent que de la dette publique comme la mère de tous nos maux.

2 - Si l’on veut être encore plus précis dans le raisonnement, diminuer drastiquement le déficit public sans « casse » supposerait que le secteur privé prenne le relai de la dépense publique en diminuant au moins d’un même montant son excédent. La comptabilité nationale nous apprend que  la somme algébrique des soldes publics et privés (ménages, entreprises, extérieur) est nulle. Cela signifie que la diminution du solde négatif de l’Etat devrait correspondre à la diminution du solde positif du secteur privé, par exemple que les entreprises investissent davantage et surtout exportent davantage, mais aussi que les ménages consomment davantage de produits nationaux en réduisant ceux issus de l’importation, mais enfin que ces mêmes ménages épargnent moins. Une opération extraordinairement difficile à mener…surtout avec un taux de change inadapté à la situation française.

Au total, aujourd’hui réduire le déficit constitue effectivement une diminution de la demande globale et donc le cheminement  vers une situation sécessionniste. Le déficit ne permet pas d’acheter de la croissance, mais sa réduction est -dans la présente situation- y renoncer gravement. Toujours en restant dans la rigueur de la comptabilité nationale, le lecteur avisé voit que la baisse du déficit serait davantage praticable avec l’aide d’une puissante dévaluation permettant cette fois d’augmenter la demande privée : moins de solde excédentaire de ce côté contre moins de solde déficitaire côté public.

3 -  Ces déficits sont aussi de la rente achetée par des spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) lesquels sont 15 banques ou institutions équivalentes ayant le souci de construire des marges à partir de la monnaie qu’elles créent gratuitement. Une partie des bons du Trésor se trouve absorbée par l’industrie financière grande consommatrice de bons  en qualité de matière première de produits financiers, ou au titre de la collatéralisation. Le surplus de bons achetés par les SVT est, lui, revendu à la BCE et rétablit ainsi leur bonne liquidité. Plus la dette est importante et plus l’industrie financière voit sa part de marché augmenter dans le PIB. Il n’y a aucune raison de penser que les SVT sont des porteurs d’un quelconque intérêt public : ils sont présents à chaque émission de dette tout simplement parce qu’il en va de leur intérêt. La dette publique est ainsi un énorme subventionnement de la finance. De quoi possiblement secourir une économie qui s’évanouit par une finance en voie d’épanouissement.

4 -  Ce demi-siècle de déficit est ainsi bizarrement corrélé avec une faible croissance et un fort développement de la finance. Plus curieusement encore, il est précédé d’une longue période de marginalisation de la finance et d’une très forte croissance sans déficit. Entre 1950 et 1970 la croissance moyenne est de 5% l’an alors que les soldes budgétaires sont toujours positifs (entre O,1 et 1,6%). Nous étions dans une situation strictement inverse de ce que l’on connait aujourd’hui, la croissance ne fonctionnait pas à l’abri d’une dette qui n’existait pas. Mieux la demande globale était freinée par des excédents budgétaires, certes modestes, mais réels. De quoi en principe freiner la croissance.

 5 - Si l’on examine plus en détails les choses, on se rend compte que la relative absence d’endettement signifiait aussi un décollage difficile pour la finance : pas de matière première et pas de collatéral, donc difficile mise ne route des activités spéculatives. Et difficultés accrues par un marché lui-même étroit : le taux de change n’était pas un prix de marché et la spéculation était limitée par une maîtrise/contrôle des prix sur les matières premières. Cette difficulté des activités rentières était aussi entretenue par les rapports entre Trésor et banque de France. Nous ne disposons pas de suffisamment d’informations pour détailler les volumes d’achats de bons du Trésor par la banque centrale et surtout sur la comptabilisation précise de ce que l’on appelait « les avances permanentes à l’Etat sans intérêts ». Issues d’une initiative très ancienne ( convention du 10 juin 1857 entre le Trésor et la banque de France) et initiative justifiée selon le texte lui-même « en réciprocité des avantages qui résultent pour la banque de ce qu’elle reçoit en compte courant les encaisses disponibles du Trésor » elles vont fonctionner jusqu’à leur interdiction par la loi du 3 janvier 1973. Sans que l’on puisse donner de chiffres précis, il est clair que ce type de financement correspond sans le dire à celui de la MMT (Modern Monetary Theory) qui fait que la création monétaire, dans ce type de paradigme, relève au moins partiellement de l’Etat lui-même. Et il est vrai que l’on ne sait pas si, dans le solde primaire que nous présente l’INSEE pour les comptes des années 1950 et 1960, il n’y a pas en recettes et en dépenses les mouvements entre Trésor et banque de France. De quoi comprendre des chiffres qui nous paraissent aujourd’hui ridicules et chiffres qui ne correspondaient probablement qu’aux « planchers de bons du Trésor » (les banques étaient tenues d’acheter des bons à hauteur d’un pourcentage de leur liquidité) et aux maigres achats par les particuliers dans les bureaux de postes. A l’époque la dette trop faible est incapable de « manger » le solde primaire et il reste un excédent. Ainsi dans les années 60, le solde primaire est en moyenne de 6,5% du total des recettes, tandis que les intérêts de la dette ne représentent que 2,9% de ces mêmes recettes, ce qui laisse un excèdent final de 3,4%. Ainsi dans les années 70 le solde primaire est en moyenne de 2,2% du total des recettes, tandis que les intérêts de la dette se montent à 2% de ces mêmes recettes, ce qui laisse encore un solde final de 0,2%.

6 - Les années suivantes seront celles de la rupture et vont nous mener jusqu’à le présente situation. La première rupture est bien sûr la fin relative de la croissance économique. La fin du fordisme et l’évaporation du tissu productif vers l’ex tiers-monde entraine des chutes vertigineuses de croissance : 2,5% dans les années 80, puis 2% dans les années 90, puis 1,5% dans les années 2000 et 2010, probablement moins encore aujourd’hui, le tout s’expliquant aussi par un effondrement de la productivité. Contrairement à ce qui est en général invoqué, il n’y a pas de véritable laxisme budgétaire et la situation reste sous contrôle.  Ainsi le plus longtemps possible le solde primaire va, comme dans les années 50 et 60, rester excédentaire et ce n’est qu’avec les grandes crises qu’il deviendra déficitaire : -10,5% du total des recettes en 2009, -9% en 2010, etc. En contrepartie les intérêts de la dette explosent malgré les premiers quantitative easing, ce qui va laisser des soldes finaux de plus en plus douloureux (- 15% du total des recettes en 2009 , - 14,3 en 2010, etc.). 

Bien sûr, l’effondrement des soldes s’accompagnent de masses budgétaires croissantes, d’où l’accusation d’un poids de l’Etat et de ses administrations trop élevé. Accusation qui mériterait une démonstration rigoureuse : Est-ce l’Etat qui fait disparaître le fordisme classique et l’expulsion des usines, où est-ce la mondialisation qui fait de l’Etat un réparateur d’un modèle social incompatible avec la mondialisation ? (Poids devenu gigantesque des dépenses sociales). Quoi qu’il en soit l’effet boule de neige s’enclenche ce qui est très visible au niveau du seul Etat et de son Agence France Trésor chargée de l’oxygéner. Ainsi la crise financière 2008/2009 fait décoller le déficit exprimé en pourcentage des recettes : 58% pour 2009 et encore 54% en 2010. Après une lente diminution les taux vont remonter avec la crise sanitaire : 44% en 2021  36% en 2022 et encore 49% en 2023. Pour l’année 2024 le solde prévu serait encore de 41%. Bien évidemment, le poids du roulement de la dette ne peut qu’augmenter : 50% des adjudications de France Trésor cette année serviront au seul roulement. A lui seul, le roulement de la dette pour 2024 (la vente de nouveaux bons pour rembourser les anciens arrivés à échéance) va représenter 42% du total des recettes de l’Etat.  l’appel de fonds 2024 de France Trésor aux SVT représentera quant à lui 82% du total des ressources de l’Etat. Tout aussi évident est le poids de la hausse des taux et 1% de hausse se matérialise aujourd’hui par 17 milliards d’euros supplémentaires au titre de la charge de la dette.

7 -  Que conclure ?

Jadis la croissance très forte bloquait tout risque de déficit budgétaire. Cette croissance très forte était engendrée par des gains de productivité très importants se partageant en hausse des profits, en hausse des salaires et en hausse de la masse fiscale captée par l’Etat. Le tout se déroulant sur un territoire relativement homogène. Cette croissance engendrait des institutions, celles du fordisme classique, qui, elles-mêmes, assuraient un encadrement relativement sécurisant à des acteurs/citoyens. D’une certaine façon, l’Etat providence s’édifiait dans les interstices de ce cadre très structurant. Il en découlait très logiquement que les dépenses sociales appelées à devenir gigantesques à partir des années 70/80 pouvaient être très largement contenues, ce qui confortait l’équilibre budgétaire stable de l’époque.

L’expulsion au moins partielle des activités productives vers le reste du monde (une grande partie de l’industrie, mais aussi l’agriculture et maintenant les services) déstructure et désencadre le territoire.

Bien évidemment, la croissance s’effondre puisque l’économie réelle s’évapore et se trouve remplacée par de plus en plus d’activités improductives (les entrepôts  Amazon remplacent les usines) et de plus en plus d’activités de contrôle ou de régulation mais surtout sociales tentent de réparer ce qui est progressivement détruit. En retour, le développement d’une économie de l’assistance favorise l’immigration. Moins de croissance mais aussi beaucoup plus de dépenses publiques cessant d’être nourries par la fiscalité. Le développement d’une économie de la normalisation ( contrôle/régulation) cache mal une perte progressive de toute forme d’encadrement des individus sous l’impulsion de droits de l’homme devenus illimités. Les liens sociaux classiques se  transforment en violence, une réalité dont la gestion augmente les coûts de fonctionnement de la société, et alimente la dette publique. Exporter l’économie réelle c’est faire disparaître l’encadrement général de la population   et en retour importer de la violence.

Cette même expulsion de l’économie réelle laisse la place à une finance, elle,  très irréelle. L’industrie de la finance devient elle aussi une économie de l’assistance budgétairement coûteuse. Les déficits deviennent la contrepartie d’une création monétaire par le seul filtre bancaire. La dette correspondante reste dette et il faut  assurer le remboursement du capital et l’intérêt….dans un contexte de croissance disparue. Il n’y aura pas de rétablissement du pays sans mise en extinction de la finance irréelle.

8 - Que faire ?

- Il faut évidemment mettre un terme au financement de la dette publique par les banques et restaurer la création monétaire par l’Etat lui-même. Avant de devenir « théorie » la MMT était simple pratique et ce depuis la naissance des Etats. Il faut y revenir de façon urgente et travailler les conditions et modes de réalisation de cette pratique. Elle est la condition nécessaire de la mise à l’écart d’un subventionnement permanent de l’industrie financière.

- Il faut en finir avec l’expulsion de l’économie réelle et la réimporter dans les territoires, ce qui suppose un énorme travail au niveau international.  L’OMC doit être radicalement transformée. Il ne s’agit plus de promouvoir le libre échange mais de construire les outils permettant à chaque Etat  d’édifier de façon collaborative et de respecter le principe universel de l’équilibre des balances extérieures. Nouvel universalisme se substituant à celui du seul marché. Retour à Keynes mais bien plus encore à Emmanuel Kant avec son internationalisme universliste. 

Deux thèmes qui n’en font qu’un et devraient mobiliser le personnel politique. Il n’y a pourtant aucune chance que ce très vaste et nécessaire chantier soit à l’ordre du jour dans les prochaines joutes électorales.

 

 

 

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7 février 2024 3 07 /02 /février /2024 11:17

 

La note précédente [1], en introduisant la notion du coût de la vie comme élément fondamental dans la compréhension des phénomènes affectant l’agriculture nous a permis de comprendre que le vrai problème de l’Occident et plus particulièrement la France était de voir beaucoup des industries chargées de produire les « biens- salaires » se déplacer dans ce qui était jadis le Tiers-monde. Avec une contre-partie essentielle : l’Occident devient progressivement une immense zone où un revenu non produit se trouve acheteur d’un immense stock de marchandises « biens-salaires » issues du dit ex-Tiers -monde. La France est plus particulièrement exposée au phénomène en raison de son appartenance à une zone monétaire lui assurant un taux de change artificiellement élevé se payant d’un déficit commercial anormalement élevé.

La présente note tentera d’aller plus loin sur les causes de ce que nous avons déjà appelé la construction de territoires incohérents. Non incohérents dans le paradigme libre échangiste des économistes d’aujourd’hui, mais totalement incohérents dans celui des économistes d’hier qui affirmaient haut et fort que le développement est le « noircissement de la matrice des échanges interindustriels » (TEI) de la Nation : on compose la chaîne de valeur qui, elle-même productrice de revenus, permettra d’acheter ce que l’on aura produit. Le tout menant sur le chemin de l’équilibre des échanges extérieurs.

1- le mécontentement du « dernier carré » des agriculteurs français relève de leur impossibilité de rester acteurs d’une  «plus- value relative »[2] dont ils furent historiquement les moteurs centraux. Jadis les gains de productivité de l’agriculture diminuaient le coût de la vie, et permettaient aussi d’offrir de nouveaux débouchés à une classe de « biens-salaires » en continuel enrichissement. En effet les revenus salariaux seront de moins en moins affectés à une nourriture de plus en plus accessible et bon marché (18% aujourd’hui contre plus de 50% en 1950) et de plus en plus affectée à des produits manufacturés devenant de nouveaux « bien-salaires ». Les économistes désignent par « élasticité de substitution », ce phénomène qui, partant de la baisse relative des prix des aliments, vient augmenter la demande des autres « biens- salaires ». Simplement exprimé, c’est aussi parce que la productivité agricole augmente que les débouchés des autres industries chargées de délivrer des « biens salaires » (biens d’équipements ménagers, automobile, santé, éducation, etc.) augmentent. Jadis l’agriculture ne se contentait pas de nourrir les citoyens/salariés, elle nourrissait aussi l’ensemble de l’industrie des « biens-salaires ». La disparition des gains de productivité, voire perte de productivité,  au sein du « dernier carré » des agriculteurs français bloque le système….et autorise l’expulsion de la plupart des activités de confection des « biens salaires » vers le Tiers Monde ou la périphérie de l’Occident[3]. Penser au consommateur français devenu impécunieux exige de rassembler tous les efforts de productivité dans l’ex Tiers-Monde où la valeur de la force de travail reste encore faible. Souvenons-nous, avant même le blocage des gains de productivité agricole, des pénuries de masques, médicaments, etc.

2- Cet affaissement de productivité relève de plusieurs facteurs.

Tout d’abord, la concentration permettant une hausse des rendements est limitée par un facteur relativement fixe, celui des surfaces. Il est très difficile dans l’agriculture de proposer, comme dans l’industrie 4/0 ou l’industrie du numérique, de fonctionner à rendements continuellement croissants   (le coût marginal est rarement nul dans l’agriculture alors qu’il devient quasi courant dans nombre  de branches de l’industrie). Parce que la terre fait l’objet d’une appropriation restée familiale et qu’elle est aussi un mode de vie aux racines anciennes, la concentration est difficile et la surface disponible par exploitation ne peut  s’accroître que modérément (25% entre 2010 et 2020). Dans le même temps, faible concentration d’un côté (élevage par exemple), et monopolisation de l’autre (achat par quelques grandes laiteries par exemple), entraînent des situations contractuelles où  le coût marginal dépasse la recette marginale  (exemple des contrats fixant les quantités et non les prix). La réalité est ainsi souvent celle d’un monopsone.

Un second facteur de la disparition est bien évidemment l’interdit croissant des intrants (engrais, pesticides, molécules diverses) qui généraient les gains de productivité et nourrissaient la «plus- value relative ». D’une certaine façon, ces interdits deviennent, par ricochet, des facteurs d’augmentation du coût de la vie, donc augmentent théoriquement la « valeur de la force de travail » au sens de Marx.

 Un troisième facteur -sans doute très lié au second- est la volonté écologiste de ne plus obtenir de gains de productivité par ponctionnement de la nature et de  la vie en général. On peut ici multiplier les exemples. Le premier est sans doute de constater que le passage à l’agroécologie (haies pour freiner l’érosion et les bioagresseurs, cultures mélangées pour ces mêmes bioagresseurs, cultures sans labour pour l’enrichissement de la matière organique et le stockage du carbone, etc.) maintient les rendements mais supposent de lourds investissements de transition. Le second est la réorientation de la PAC qui, jadis, instance accélératrice de la modernisation et donc productrice de « plus-value relative », est devenue instance partiellement répressive (25% de son montant total est désormais affecté à des conditions de pratiques environnementales sanctionnables). La troisième est sans doute la volonté de limiter drastiquement la production de viande responsable de 13% des émissions de gaz à effet de serre et consommatrice de 65% de la surface des terres agricoles. A ces volontés s’accrochent de nouvelles menaces décourageantes pour les acteurs, voire pour les modes de vie, par exemple la volonté d’entrer en rupture totale avec le remplacement de la viande par des viandes végétales et cultivées…ce qui met en cause les foncements anthropologiques et culturels de nos sociétés.

3- Au total les spécificités productives et la volonté écologique sont responsables de l’émergence de rendements brutalement décroissants, venant en principe augmenter le coût de la vie et, comme dirait Marx, la « valeur de la force de travail ». Grande Distribution et agroalimentaire sont dans la même famille et la bataille autour d’EGAlim 1 et 2, 3 ? ne peut, sauf révolution des règles du jeu, que se terminer par la fin du « dernier carré » et la mondialisation définitive de ceux qui assuraient la circulation des biens alimentaires et leur transformation. La délocalisation des centrales d’achat constitue un bon exemple de cette mondialisation : l’agriculture victime du Titanic espère encore une chaloupe quand ses partenaires échappent totalement au naufrage.  La non-augmentation de la « valeur de la force de travail » occidentale passe par la disparition de plus en plus complète de la plupart des activités liées à la production occidentale des « biens-salaires ». Et la France avec son taux de change négativement inadapté (taux trop élevé) est plus exposée que d’autres, telle l’Allemagne bénéficiant elle d’un taux de change trop faible[4].  Dans cette perspective, ne subsisteraient que les activités de services non délocalisables, en particulier les services à la personne qui eux-mêmes sont rattachés à la catégorie des « biens- salaires » : social, éducation, santé, etc. On pourrait même aller plus loin en délocalisant les bénéficiaires nationaux desdits soins : Aux extrêmes pourquoi ne pas implanter des EHPADS dans l’ex Tiers-monde et bénéficier des services d’un travail moins coûteux ?

4- La solution serait évidemment la prise en charge par la collectivité de l’ensemble de l’agriculture : soit des aides et subventions (prise en charge des coûts de destruction de la nature, des coûts de rétablissement de la qualité des productions et du rétablissement du cadre de vie rural), soit des prix administrés des « biens salaires » agricoles permettant la couverture de tous les coûts et une vie digne pour les agriculteurs. Cette dernière solution supposerait évidemment des droits de douane à hauteur des coûts de rétablissement de la compétitivité. Quelle que soit la solution retenue, nous sommes bien dans un mécanisme d’inversion de « plus-value relative » impulsé par la protection de l’environnement/cadre de vie et le respect de la dignité des agriculteurs. Un coût net supplémentaire doit être réparti entre baisse des « niveaux de vie », baisse de la demande des autres « biens- salaires », et dette publique. On pourrait imaginer des investissements de rupture qui, par magie, permettrait le retour d’une « plus-value relative » avec non plus une diminution des surfaces mais une reconversion et une augmentation consacrée à la récupération de la photosynthèse. Cette dernière qui est le cœur même d’une agriculture captant l’énergie solaire pouvant donner lieu à des produits liés : nourriture, décarbonation de pans entiers de l’économie, énergie, biochimie, biomatériaux, etc…  Hélas, ces innovations exigent des investissements colossaux lesquels imposent un temps trop long.

5- les montants en jeu sont très importants et dépassent de très loin le montant de la PAC : Probablement plusieurs dizaines de milliards d’euros. Ils viennent aussi en concurrence avec des coûts géopolitiques massifs d’un nouveau genre : le passage nécessaire à une économie de guerre.  Deux grandes pistes sont possibles en termes de politique publique : soit le choix du respect des règles du jeu de l’UE, soit le dépassement de ces mêmes règles.

- Le premier choix suppose la prise en charge par la collectivité et donc l’impôt. Au-delà de la PAC actuelle, il faut prévoir un mécanisme de subventions et/ou aide à l’investissement privé, voire investissements publics. Une opération plus facile est  la dérèglementation.  Privilégier l’investissement est évidemment préférable à toute forme de révision règlementaire. Il suffit de comparer les premiers résultats spectaculaires de l’économie américaine qui privilégie l’investissement (cf « l’Inflation Reduction Act ») à ceux très discutables de l’UE qui privilégie le règlement dans son approche globale du respect de l’environnement[5].  Le coût global est d’ordre fiscal et l’impôt finance une production d’aliments nationaux qui vont progressivement se substituer aux aliments importés devenant eux moins compétitifs. Prenons conscience que cette substitution ne sera guère facile car la volonté écologiste de la fiscalité va s’opposer aux gains de productivité : la nature sera davantage protégée au sein d’un ensemble productif d’autant plus difficilement croissant que les importations moins coûteuses resteront présentes.  En attendant la fiscalité supplémentaire déprime l’activité globale (les niveaux de vie baissent du montant de la fiscalité nouvelle) avec effets pervers sur la demande des autres « biens- salaires ». Le choix du respect des règles du jeu de l’UE – en particulier le marché unique- invite, en termes de politique publique à arbitrer entre fiscalité nouvelle et accroissement de la dette publique. Réparer l’agriculture sans casser le marché unique et sans déprimer la demande globale suppose une forte incitation à l’accroissement de la dette publique. L’accroissement continue du périmètre du libre échange par Bruxelles accroit la pression sur les facilités de la dette publique : il vaut mieux, au moins partiellement, s’endetter que de continuer à renforcer la fiscalité à des fins de rétablissement d’une agriculture de plus en plus attaquée par l’ex Tiers-Monde. Arbitrage délicat.

-Le second choix correspond à un vrai dépassement des règles du jeu. Droits de douane, restrictions diverses, et surtout prix administrés en deviennent les outils. Des outils en principe interdits et qui seront dénoncés par tous les acteurs extérieurs au monde agricole. Ils seront aussi dénoncés par l’ensemble de la bureaucratie qui se complait dans les délices de l’abandon de la souveraineté. Pensons par exemple aux autorités administratives indépendantes tel l’office français de la biodiversité (OFB) ou plus encore l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) qui peut prendre en otage un gouvernement (plan Ecophyto) au nom du respect d’un Etat de droit[6]. L’agroalimentaire réagira et cessera de s’alimenter en intrants agricoles à partir du terroir français. On pourrait à l’infini multiplier les exemples. Et effectivement, on pourrait voir se profiler la « route de la servitude » chère à Hayek. Le problème est pourtant ailleurs. Dans un tel contexte des prix beaucoup plus élevés des produits alimentaires entraînent une ponction de la demande sur toutes les autres branches produisant des « biens-salaires ». Nous sommes plongés dans la question de l’insuffisance de la demande globale de « biens-salaires » en raison d’une baisse des niveaux de vie (« s’alimenter devient trop cher »). La politique publique ici retenue doit prendre en réflexion la « valeur de la force de travail » qui globalement augmente (son coût de reproduction augmente en raison de l’inefficience impulsée par la volonté de protéger la nature et le « dernier carré » d’agriculteurs). Logiquement cela passe par une augmentation des salaires … qui va poser la question de la diminution des marges de toutes les entreprises, en particulier françaises…et va en conséquence poser la question de leur compétitivité tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale[7]. Il faudrait que les entreprises produisant les « biens salaires » non agricoles puissent générer des gains de productivité profitant au final aux  salariés selon la logique classique de la « plus-value relative » de Marx, mais elles sont étouffées dans leur volonté de modernisation par la baisse potentielle des marges en particulier en France. La course à la délocalisation ne peut faiblir dans un tel contexte.

Le lecteur averti comprend qu’il faudrait, surtout s’agissant d’une France connaissant un déficit extérieur catastrophique, retrouver des marges à l’international par baisse du taux de change. Hausse des marges à l’exportation et restauration de marges nationales à l’importation. Ce qui pose évidemment la question de la monnaie qui ne peut plus être une simple marchandise assortie d’un prix de marché mais qui doit retrouver un statut de variable politique. La monnaie devient, comme jadis, affaire de politique publique.

6- Au terme de notre réflexion il apparait évident que la crise agricole dépasse de très loin sa seule dimension rurale. Son affrontement pose celle du choix de politique publique à retenir : politique publique à l’intérieur des règles du jeu du globalisme et en particulier de l’UE, ou bien politique publique de rupture consacrant le retour à l’Etat organisateur ? En terme d’efficience Il apparait évident que la stratégie  de rupture domine celui de la continuité. Pour autant cette stratégie est aussi celle qui développerait la probable fin de la monnaie unique, une stratégie ne devenant réellement dominante que dans un contexte beaucoup plus global et très difficile à décrire.

7- Face à un tel risque qu’aucun acteur politique n’est aujourd’hui prêt à prendre, la stratégie de prise en charge par l’impôt sera, le plus longtemps possible, conservée. A l’inverse de celle de la rupture, elle ne saurait entrainer le rétablissement massif de la production et la fin de l’incohérence des territoires avec les effets catastrophiques de l’entretien d’un monde où l’on prend l’habitude de dépenser un revenu qui n’est pas produit. Une habitude aux risques géopolitiques majeurs. Notons aussi que cette stratégie est aussi plutôt le choix de la dette que celui de la production. Penser pouvoir trouver une solution à la question de l’agriculture sans toucher aux règles du jeu accroit la pression sur une dette abyssale qu’il faut pourtant encore augmenter. C’est dire aussi que ce choix augmente mécaniquement la part de marché de la finance dans le total du PIB. Clairement, la dette publique augmentant avec les risques associés, suppose l’apparition de nouveaux produits de couverture porteurs d’opportunités pour la finance…donc de nouveaux débouchés…Plus clairement encore la dette est très difficilement remboursable dans la mesure où le capital qu’elle génère n’est pas productif [8]: on ne peut attendre de la valeur nouvelle à partir d’une simple réparation.

S’agissant de la France les économistes continueront, de façon abracadabrantesque, à évoquer les dangers de la dette alors que le véritable problème du pays est d’abord son incapacité à produire, incapacité tristement lisible dans sa balance commerciale.  

Ce qu’il faut retenir 

1-La crise de l’agriculture ne peut être étudiée en dehors d’un contexte global notamment celui évacuant le double ordre macroéconomique et macropolitique dans lequel les acteurs  déploient leur activité. Le problème est ainsi moins l’agriculture que le contexte lui-même.

2-L’agriculture est productrice du premier « bien-salaire » générateur de la valeur de la force de travail. Elle en fixe les modalités de déploiement de tous les autres « biens salaires » et participe à la construction du rendement de toutes les activités.

3-La crise agricole correspond aux exigences d’acteurs jusqu’ici négligés et qu’il convient de compenser et rémunérer : la nature et les modes de vie. Ce double rattachement est un contexte difficile pour le déploiement rapide d’investissements/innovations de rupture permettant un retour massif de gains de productivité. La crise agricole est donc un affaissement durable de la productivité.

4-Une première stratégie de réponse est celle s’inscrivant dans le respect des règles du jeu de l’UE et de la mondialisation. Elle est fiscalement coûteuse et développe des effets pervers tel un accroissement de la dette publique dont la partie non remboursable augmente en raison de la nature de la crise.

5-Une seconde stratégie de réponse s’affranchit des règles du jeu de l’UE et de la mondialisation et consacre le retour vers un Etat stratège et organisateur. Cette seconde stratégie domine la première en termes d’efficience. Elle suppose une rupture sur les marchés politiques laquelle reste peu probable en raison des risques associés. Cela nous renvoie au choix très probable de la première stratégie.

6-La voie de l’augmentation des parts de marché de la finance dans le total du PIB reste l’horizon dangereux  et indépassable de notre temps. Comme si s’extirper des questions environnetales avait pour prix l’inéluctabilité de l’aliénation financière.


[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/02/crise-agricole-moins-bavarder-er-davantage-reflechir-partie-1.html.

[3] Cette « expulsion » est directement lisible pour la seule production d’aliments à partir d’une carte du ciel. Sans donner de date, Luc Vernet de « Farm Europe » précise dans les Echos du 5 février 2024 que L’UE a perdu 10 millions d’hectares de terre agricole, tandis que la déforestation dans le monde pour produire nos aliments concernait une surface équivalente. D’où notre conclusion : l’Occident délocalise toujours davantage la reproduction de sa force de travail dans l’ex Tiers-monde.

[4] D’où une crise agricole en Allemagne n’ayant pas la même profondeur que la crise agricole française. Bien évidemment il n’y a pas que le taux de change qui permet à l’agriculture allemande de rattraper la France. Il y a aussi la taille des exploitations laissées par la RDA ou les rémunérations plus faibles accordées aux immigrés.

[5] De ce point de vue on constate un véritable décrochage de l’Europe. Sur une vingtaine d’années la productivité par tête aux USA augmente de 43% tandis que celle de l’UE n’augmente que de 10%.  Précisons que le "Net Zero Industry Act" que l'Europe vient d'adopter ne permettra pas le déploiement de fonds massifs. Il est clair qu’à ces questions se mêlent des questions de politiques monétaires permettant aux USA une gigantesque dette publique que la construction boiteuse de la monnaie unique européenne ne peut autoriser.

[6] Cf la polémique engagée dans la Tribune « du Monde » des 4 et 5 février 2024.

[7][7] Les marges des entreprises françaises sont beaucoup plus faibles que les marges des entreprises allemandes et cela reste vrai avec la crise énergétique qui frappe plus clairement l’Allemagne. Ainsi pour 2022 le taux de marge en Allemagne ( excédent brut d’exploitation / valeur ajoutée) restait supérieur à 39%, tandis que les françaises ne dépassaient pas les 32%. Là encore le caractère inadapté des taux de change est la cause principale du problème.

[8] http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/01/construire-la-colonne-vertebrale-d-une-france-renaissante.html

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1 février 2024 4 01 /02 /février /2024 10:57

La présente note tente de proposer une grille de lecture intelligible de la multitude des faits qui accablent le monde agricole.

Depuis la nuit des temps, l’agriculture est une activité nécessaire à la conservation/reconstitution de la vie. Dans le monde moderne, point n’est besoin d’être économiste pour se rendre compte que cette conservation de la vie se déroule en dépensant tout ou partie de ce qu’on appelle un salaire dans ce qui est devenu la grande distribution, elle-même ravitaillée pour partie par le monde agricole. Plus les prix des produits de l’agriculture sont élevés et plus le coût de la vie est élevé et inversement plus les prix des produits agricoles sont bas et plus le coût de la vie est faible.

Logiquement,  si l’agriculture développe des gains de productivité, ce coût de la vie doit baisser. C’est ce que la France a bien connu au cours du siècle précédent avec une modernisation spectaculaire de son agriculture. Le prix des produits agricoles baissant ou augmentant plus faiblement que les salaires, il devait en résulter ce que simplement on appelle une hausse des niveaux de vie et l’avènement de l’immense classe moyenne qui devait caractériser la seconde partie du vingtième siècle.

Marx et les « biens salaires»… produits par les agriculteurs

Marx, très grand interprète des règles du jeu du capitalisme, parlait de partage de la « plus-value relative » impulsée par la productivité. Dans son langage, si les biens de consommation – ce qu’il appelle les « biens salaires » - achetés avec les revenus distribués par les capitalistes voient leur valeur diminuer en raison de gains de productivité dans l’activité agricole, il doit en résulter logiquement une diminution des salaires, baisse résultant elle-même de la baisse du coût de la vie. Concrètement et simplement, si une vie de salarié est reproduite journellement par un kilogramme de pain et que le prix du pain diminue de moitié en conséquence d’un doublement des rendements agricoles, le coût de la vie est également divisé par 2 et donc le salaire peut lui-même être divisé par 2. Dans cette circonstance, les capitalistes récupèrent la totalité des gains de productivité, ce que Marx appelait la « plus-value relative », celle dépendant des gains de productivité donc de la « dévalorisation » des « biens salaires ». Si maintenant les salariés réussissent à maintenir le niveau de salaire, ces mêmes salariés empochent les gains de productivité. Dans un tel contexte, la lutte des classes au sens de Marx est aussi un combat autour du partage des gains de productivité. Bien sûr Marx emploie un langage beaucoup plus sophistiqué pour les besoins de ses démonstrations, mais il nous faut reconnaitre qu’il fût le grand théoricien de ce que lui-même appelait « l’embourgeoisement de la classe ouvrière », phénomène imaginé avec près d’un siècle d’avance sur la réalité. Un phénomène qui va progressivement se transformer et dont la configuration actuelle est elle-même appelée à se transformer.

Les transformations historiques de la  « plus-value relative ».

1 – Historiquement, il y a eu effectivement partage des gains de productivité et il en est résulté une première approche dans l’édification d’une immense classe moyenne. Globalement, les budgets consacrés à l’alimentation - ceux consacrés à l’achat de marchandises agricoles- vont régulièrement diminuer (18% aujourd’hui contre 31% en 1962 et plus de 50% en 1950). En contre partie ils vont laisser la place à de nouveaux biens, lesquels vont socialement devenir de nouveaux « biens salaires » au sens de Marx : logement, équipement ménager, téléphone, etc. Ces mêmes biens vont logiquement eux-mêmes bénéficier de gains de productivité à partager entre capitalistes et salariés.

2 - Les salariés pouvant désormais arbitrer entre divers « biens salaires » vont devenir de plus en plus exigeants et vont s’intéresser aux prix de ces premiers « biens salaires » que sont les produits de l’agriculture. Ils seront en cela aidés par la grande distribution qui fera pression pour une accélération des gains de productivité. Les agriculteurs doivent être compétitifs comme tous les acteurs de la vie économique. Déjà, des relations asymétriques entre entreprises agricoles nombreuses et grande distribution ou firmes agroalimentaires oligopolistiques vont se nouer. La pression sur les prix imposera une accélération de la modernisation de l’agriculture.

3 - La mondialisation permettra une accélération massive de la construction d’une « plus-value relative » d’un nouveau type. D’abord les entreprises pourront travailler dans des zones où la « valeur de la force de travail » est plus faible (le coût de la vie est plus faible en Asie, en Afrique, etc.). Si les biens fabriqués dans ces zones sont aussi des « biens salaires », il pourra en résulter une baisse de la valeur de la force de travail en Occident : les biens en question permettront de diminuer davantage le coût de la vie et la grande distribution et les firmes agroalimentaires s’y emploieront. De quoi comprendre les armadas d’acheteurs en route vers l’Asie…De quoi comprendre ce que naguère on appelait le grand accord entre WalMart et le parti communiste chinois…. Ce n’est plus WalMart et ses fournisseurs américains qui reproduiront la force de travail américaine mais des entreprises chinoises sur le sol chinois.

4 - Cette baisse de la valeur de la force de travail ne pourra plus nourrir, aussi facilement que par le passé, le partage des gains de productivité. C’est que la désindustrialisation fragilise la condition salariale et engendre un chômage qui pourra être plus ou moins masqué par le maintien d’un Etat-Providence qui lui aussi se trouve être le support d’une partie du coût de la vie. Ce qu’on appelle économie sociale se développe sans gains de productivité et le coût de la vie ne peut diminuer que par des importations massives en provenance du sud. Ce qui se met en place est la possible naissance de vastes zones de l’ex -Tiers monde chargées de la reproduction de la force de travail de l’Occident et, en particulier de la France qui se désindustrialise plus rapidement qu’ailleurs. En contrepartie de vastes zones de l’Occident et en particulier de la France deviennent des espaces où un revenu se dépense sans y avoir été produit. C’est par exemple le cas des espaces privilégiés occupés par des retraités ou inactifs dans le sud de la France… Des incohérences de territoires qui vont se multiplier…

5 - Les usines fabriquant les « biens salaires » disparaissent et se reconstruisent à la périphérie de l’Occident. Dans ce dernier monde et tout particulièrement en France, nous n’aurons plus que des entreprises de logistiques (les bien salaires produits à la périphérie doivent être distribués et nourrir le centre). Ainsi les entrepôts « Amazon » peuvent se développer sur les friches industrielles. A ces entreprises il faudra encore ajouter les entreprises agricoles jusqu’ici non délocalisées qui tenteront - fouettées par la grande distribution et les firmes agroalimentaires- d’apporter leur contribution à la baisse du coût de la vie. Le dernier ajout qui permettra de photographier le nouveau paysage est bien évidemment le maintien d’un Etat social très endetté. Bien évidemment tout ce qui n’est pas « biens salaires » peut encore subsister, notamment les industries de biens d’équipement, les industries de l’armement et toutes celles très nombreuses encore qui, techniquement, s’articulent à ces dernières.

6 - Mais la mondialisation est exigeante en termes de libéralisation des échanges et les traités de libre échange ne peuvent que se multiplier (plus de 40 par la seule UE) pour offrir des débouchés aux entreprises, soit celles restées dans le centre, soit celles déjà délocalisées et qui souhaitent voir croître leur part de marché dans le monde. L’UE est l’archétype de ce modèle et invente la concurrence libre et non faussée. Jusqu’ici l’agriculture n’était pas encore délocalisable comme l’était le capital industriel. Le facteur de production terre/environnement devait rester attaché à son antique espace national. Parce que les traités de libre échange se doivent être globaux et concernent toutes les marchandises, l’agriculture ne peut en être exclue. Cette dernière devra donc se soumettre et accepter que le coût de la vie au centre soit de plus en plus assuré par des firmes agricoles lointaines. La poursuite de l’éventuelle  baisse du coût de la vie doit se payer par une masse toujours croissante de biens salaires importée. Et le renard est entré dans le poulailler car les agricultures du centre se font concurrence et utilisent les outils de l’UE pour s’entredévorer : l’agriculture française est mangée par l’Espagnole ou celle de la Pologne, etc. Ce qui entretient le processus de dévalorisation de la force de travail. Il y a beaucoup plus que des chaussures, vêtements, jouets, appareils électroménagers, etc. qui doivent être importés. Il y a désormais à importer tous les produits agricoles qui étaient historiquement les premiers « biens salaires » : fruits, légumes, viandes, poisson, produits laitiers, etc.

7 - Aujourd’hui, nous sommes avec les questions liées au climat et à l’environnement arrivés au bout de la grande aventure consistant à faire produire à l’étranger la quasi-totalité des « biens salaires » consommés par les vieux Etats-Nations au premier desquels on trouve la France dont on vantait naguère l’excellence agricole. Non seulement l’agriculture européenne se doit d’être asservie par les règles du jeu du capitalisme mondialisé, mais elle est menacée de disparition par les règles concernant la protection du climat et de l’environnement. La course aux gains de productivité est certes désormais bloquée par la foule des règlements et normes concernant les intrants de la production, mais surtout par l’imposition d’un recul des surfaces autorisées à la culture ou l’élevage. Jadis le capital industriel délocalisé laissait à l’état d’abandon des friches industrielles. Aujourd’hui l’agriculture en délocalisation va laisser des jachères. Il ne restera plus que les traces des lieux où naguère la conservation/ reconstitution de la vie se déroulait.

8 - Ce grand mouvement est aussi la fin des classes moyennes protégées par le  capitalisme autocentré et efficient de la fin du vingtième siècle. Les « biens salaires » agricoles ou industriels majoritairement issus de la périphérie continuent de se dévaloriser au rythme des innovations et de la productivité. La concurrence en fait gonfler la quantité et la perte de valeur est surcompensée par des besoins artificiellement créés. La société de consommation devient hégémonique au sein de territoires où des revenus jamais produits et chargés de dettes sont « magiquement » dépensés. Il en résulte une disparition de la plus-value relative tandis que l’Etat social resté exigeant n’est plus finançable que par de la dette publique.

9 - Bien évidemment, ce grand mouvement aux conséquences géopolitiques majeures doit être arrêté et cela confirme bien les conclusions de nos précédents articles. Il sera toutefois très difficile de protéger l’agriculture. S’agissant de l’UE telle qu’elle est, on ne voit pas comment il serait possible de ne plus inclure l’agriculture dans les grands traités de libre-échange. Les avantages compétitifs de la périphérie de l’Occident sont bien évidemment concentrés dans  une agriculture où les taux de salaire et les normes sont très avantageux. Et c’est ainsi qu’au nom de la rationalité économique, l’Occident continuera probablement de confier la gestion du coût de la reproduction de sa force de travail dans les espaces que naguère il avait colonisé : Un libre échange où la baisse de la valeur de la force de travail continuera  d’être l’objectif probablement inconscient de ses promoteurs. Pourquoi, continuera t-on de proclamer, renoncerait-on à faire bénéficier le consommateur de prix à l’importation avantageux ? Pour la France le prix de cette rationalité stupidement économiciste sera plus élevé qu’ailleurs en raison de l’abandon complet de ce qui faisait une partie de son excellence.

10 - N’allons pas plus loin et laissons le lecteur se reporter à nos articles[1] des 1/1/2024 et 12/1/2024.  Toute politique économique sérieuse doit se pencher sur la construction d’un équilibre des comptes extérieurs. Et cela passe par ce qu’on appelait la « colonne vertébrale » de la reconstruction. Bonne relecture de ces deux articles.

 

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27 janvier 2024 6 27 /01 /janvier /2024 10:30

Des informations et faits nouveaux justifient la republication de notre texte en date du 1/10/2023).. Entre la dette et le climat il faudra effectivement choisir et être sérieux. On pourrait ajouter qu'il faudra aussi choisir sériusement entre la dette et l'UE...

En 2022 l'Institut de l'Economie pour le climat (14 CE) nous précise que les investissements climat ont franchi le cap des 100 milliards d'euros et que 2023 serait encore une année de hausse...toutefois fortement entravée par la hausse du cout du crédit et le renchérissement du cout des projets. Le même institut précise qu'il faudrait dans ce contexte, pourtant plus difficile, investir beaucoup plus au cours des prochaines années: au moins 58 milliards d'euros supplémentaires. Or ces investissements sont appuyés sur une partie publique de moyens financiers à hauteur d'un tiers. Le déficit budgétaire pour l'année 2023 dépasse les prévisions de 2 milliards d'euros et les réductions de dépenses pour 2025 (12 milliards de prévus) devront être renforcées. La conclusion est que le financement de la transition est rigoureusement impossible...sauf à changer complètement de modèle.

Le modèle de la dette interdit la protection du climat mais il interdit aussi tout passage à une économie de guerre pour soutenir l'Ukraine. L'Allemagne s'oppose au renouvellement de la "facilité européenne de paix" qui permettait un financement européen d'une partie des dépenses militaires ( achat de matériel neuf pour compenser les stocks partis vers l'Ukraine). La même Allemagne s'oppose à tout mécanisme de soutien collectif au profit de ce même pays. C'est dire qu'il n'y aura pas de commandes européennes groupées pourtant nécessaires pour justifier le financement des investissements dans l'industrie de l'armement. Les banques refusent tout crédit nouveau aux entreprises productrices de matériel militaire sans appui public, ce qui empêche le passage concret à une économie de guerre. Parce que l'Allemagne bloque, nous allons tenter d'utiliser les fonds de livret A, sans percevoir les effets d'éviction évidents sur le marché de l'immobilier....

Entre la dette, l'Europe et l'aide à l'Ukraine il faudra choisir. Hélas la configuration des marchés politiques ne permettra pas de choix rationnel et l'industrie financière restera encore, au moins à court terme, la gagnante des décisions prises: nous continuerons à parler de la dette.

Notre texte publié le 1/10/2023 reste d'actualité. Bonne lecture. 

 

Les débats budgétaires révèlent les énormes difficultés du pays : coûteux réarmement, coûteuses mises à niveau des infrastructures sanitaires, coûteuses mises à niveau des infrastructures énergétiques, etc.. et déjà la perspective d’un appel  à l’endettement public de plus de 285 milliards d’euros pour la prochaine année budgétaire. Une somme qu’il faut comparer avec des recettes attendues de l’ordre de 375 milliards d’euros. Observons que dans un tel contexte les dépenses au titre de l’environnement et du climat seraient de l’ordre de 7 milliards tandis que les besoins au titre d’un respect des contraintes de l’environnement se montent selon le rapport Pisani Ferry à 66 milliards…

Cet écart entre besoins et moyens ne concerne pas que la France. Sa levée repose sur un dogme, celui de disponibilités financières qui ne se conçoivent que dans le cadre de l’émission d’un actif devenant créance de celui qui en est propriétaire. Clairement, on accroit un stock de nouveaux ou anciens endettés et de nouveaux ou anciens créanciers.

La dette, outil inapproprié pour protéger un bien commun.

Cette pratique, reliant par contrat endettés et créanciers, est légitime dans le cadre de relations entre personnes privées. On ne peut en effet imaginer – en dehors de relations strictement personnelles et extra-économiques - qu’un acteur puisse financer un autre sans une reconnaissance de dette. De ce point de vue, même une action est une dette de l’entreprise vis-à-vis de son propriétaire. Simplement, elle peut être de nulle valeur en cas de mauvaises affaires et dans cette circonstance, selon le langage des professionnels, on dira que les « capitaux propres sont mangés ». 

Mais cette pratique n’est pas légitime pour la gestion de ce qu’on appelle les biens communs à reconstruire. En effet, si la température de la planète est un bien collectif à préserver, on voit mal des dépenses de simple préservation être assurées par des créanciers qui, au-delà du remboursement du titre acquis, exigent également une rémunération du capital investi. Clairement, les investissements au titre de l’environnement ne sont pas du capital créant de la valeur. Ils sont simplement du capital qui n’en détruit pas. Ils ne peuvent donc pas être financés par de la dette classique, celle qui relie investisseurs et créanciers dans le cadre de contrats classiques entre personnes privées –entreprises émettant des titres- ou entre personnes publiques et personnes privées (Etat émettant des titres publics). De ce point de vue, les 7 milliards de dépenses prévues au titre de l’environnement ne peuvent être légitimement dépensés à partir de la nouvelle dette anticipée au titre de l’année 2024

Comment mobiliser du capital sans dette ?

Il faut donc imaginer des émissions de capital sans dette, c’est-à-dire l’équivalent d’un don. La pratique de l’évergétisme relevant d’une autre époque, il faut donc imaginer non pas des dons de capital par des personnes privées mais des dons  de la part de la collectivité. Clairement, mobiliser des moyens concrets au profit de l’environnement suppose aussi une mobilisation concrète de moyens financiers qui ne soient pas de la dette. Même une obligation perpétuelle reste une dette à honorer et le temps n’est plus où cette dernière pouvait - comme naguère aux Pays-Bas - financer la protection des sols par des digues anti-inondations. Face à la question posée : la réponse qui vient à l’esprit est donc simple : la voie de l’impôt serait l’unique solution. Cette voie est pour autant largement impensable en raison de la concurrence fiscale entre Etats soumis aux contraintes de la mondialisation….même finissante.  De ce point de vue, les sociétés occidentales simplement peuplées d’individus déliés sont plus mal loties que la Grèce antique ou Rome qui -elles aussi démunies sur le plan fiscal-  bénéficiaient d’un évergétisme impensable chez nous aujourd’hui. Par exemple la générosité de Total Energie, avec son prix maximal de 1,99 euros pour le sans plomb, n’a rien à voir avec le Ptolémée III du troisième siècle av. JC. Elle se trouve même en être le contraire.

Une création monétaire non inflationniste et protégeant un bien commun

 Au-delà d’une fiscalité impraticable, la meilleure solution aujourd’hui est tout simplement la création monétaire, non pas celle des banques qui n’est qu’une dette mais celle de la banque centrale mobilisée par son Etat.

Concrètement, la Banque de France est invitée à créditer le compte du Trésor par une inscription à son passif. Afin d’éviter une centralisation dangereuse, on peut même imaginer un compte spécial de la banque de France au profit de chaque banque, compte figurant à l’actif de ces dernières et compte fléché au profit du seul environnement. Seuls les dossiers solides en matière d’environnement seraient susceptibles de financement sans dette, soit par l’Etat (compte du Trésor à la banque centrale), soit par les banques (leur compte spécial à la banque centrale). Il s’agirait par conséquent d’une subvention spéciale « climat » ou « environnement ». Bien évidemment, au terme du processus la richesse réelle n’augmente guère et se trouve en théorie simplement préservée : le bien commun climat ou environnement est protégé.  Toutefois en termes de PIB, tel qu’il est calculé aujourd’hui (somme de valeurs ajoutées), il y aurait croissance comptable : protéger le climat ou l’environnement est, bêtement, une valeur ajoutée au sens simplement comptable. Cela signifie qu’au final  l’émission monétaire sans dette ne déboucherait sur aucune inflation spécifique.

Reste le grand problème de l’acceptation d’un tel dispositif par les autorités européennes. Posons simplement la question du choix entre survie de l’humanité et dette.

 

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15 janvier 2024 1 15 /01 /janvier /2024 07:48

Notre texte[1] publié le 31 décembre dernier comportait un point essentiel : abandonner la voie sans issue de l’éternelle surveillance permanente des budgets publics au profit de la surveillance constructive de l’équilibre des comptes extérieurs. Cela passait par des renversements ambitieux : la fin de la domination des banques centrales et le retour des Trésors comme entités autonomes et motrices d’une reconstruction. Cela passait aussi par la fin du paradigme de la compétition interétatique à celle de la coopération.

Ce texte était aussi le point d’aboutissement d’une série d’autres articles insistant sur les points suivants : la montagne vertigineuse des nouveaux enjeux qui se portent à l’échelle du monde, donc aussi à la civilisation occidentale et à la France en particulier[2] ; l’impossibilité radicale d’y faire face en perennisant une  logique « d’overdose » d’endettement classique[3]; l’urgente nécessité de dé financiariser nombre d’activités ; avec au final la nécessité de passer, au moins à l’intérieur de l’UE, d’une architecture institutionnelle porteuse d’un affaissement des nations à celle d’une association d’Etats souverains démocratiques[4].

Le présent papier apporte un complément sur l’importance d’une révision radicale de la gestion budgétaire dont nous disions qu’elle devait quitter le champ de l’idéologie de la dette.

1 La gestion budgétaire dans l’ancien fordisme.

 A l’époque du fordisme classique la gestion du budget ne portait que fort peu sur l’aide à la  compétitivité des entreprises. Au-delà des grandes infrastructures construites par l’Etat, ce dernier s’intéressait moins à la qualité de l’offre globale qu’à la quantité de la demande globale. Parce que nourrie par des gains de productivité très élevés (de l’ordre de 5% l’an) l’offre globale était en quelque sorte naturellement compétitive. Le cas échéant la souveraineté sur le taux de change pouvait l’y aider. Par contre il fallait assurer le déversement des grains de productivité en garantissant la demande globale. La construction d’un immense Etat Providence fut ainsi une assurance de débouchés avec pour effet ultime l’édification d’une immense classe moyenne[5]. Nous sommes dans ce qu’on appelait, il y a bien longtemps, les trente glorieuses…

2 La gestion budgétaire dans le nouveau monde.

 Sans revenir sur le pourquoi et les détails de l’édification du mondialisme dont l’UE devait en être le modèle réduit le plus parfait, il est clair que la gestion budgétaire allait changer de manière radicale. Désormais les Etats ne sont plus des aménageurs d’une demande globale qu’il faut développer, mais des contributeurs d’une offre globale compétitive. Et l’UE avec la monnaie unique va devoir devenir très sourcilleuse sur la bonne  gestion budgétaire. Le déficit public, qui naguère s’évanouissait par une fiscalité elle-même nourrie par la très forte croissance engendrée par les gains de productivité, devient l’objet d’une surveillance accrue. Il est apprécié en ce qu’il nourrit la finance (les bons du Trésor sont la matière première indispensable de la multitude des contrats financiers[6]) mais il n’est réellement et durablement toléré que s’il s’inscrit dans des limites raisonnables[7] et repose sur une baisse des prélèvements obligatoires. Par contre il n’est guère apprécié s’il repose sur la hausse de la dépense publique, laquelle vient concurrencer des activités privatisables et financiarisables. Propos qui méritent quelques explications.

Parce que dans la mondialisation, et plus encore dans l’UE, il n’y a plus de frontières il faut se révéler compétitif. Il n’y a plus à nourrir une demande globale qui risquerait de se manifester par un supplément d’importations et de chômage. Il y a à contribuer à la musculation des entreprises et donc concourir à une politique dite d’offre compétitive.

        - Compétitivité par baisse de la pression fiscale

Une façon de procéder est bien évidemment la baisse de la pression fiscale, laquelle augmente directement les marges et au final la rentabilité globale. De ce point de vue les Etats qui ont perdu leurs frontières maintiennent encore la distinction entre  un « dedans » et un « dehors », ce qui entraine leur mise en concurrence dans la course à la baisse de la pression fiscale. La concurrence entre les entreprises est aussi une course aux fins d’amaigrissement des Etats. Et de ce point de vue la bataille est rude pour empêcher une cartellisation des Etats lesquels verraient possiblement un intérêt à ce que, par exemple, les bénéfices soient imposés proportionnellement à l’endroit où les ventes sont réalisées. De ce point de vue le Cartel du pétrole (OPEP) est plus facile à réaliser que celui de la fiscalité. Et mêmes les tentatives européennes nouvelle (emprunt européen) ne sont pas des « moments hamiltoniens ». La cartellisation des Etats est d’autant plus difficile qu’il y a désormais libre circulation du capital, ce qui met en concurrence près de 200 Etats travaillés par une industrie de la finance employant plusieurs milliers d’avocats, comptables, consultants, tournés vers l’aide des plus fortunés et des moins scrupuleux.

Dans ce contexte l’Etat français n’a pas cherché à cartelliser et s’est plié à la nouvelle logique : baisse des impôts sur les bénéfices, baisse des impôts de production, affaissement de la fiscalité sur le capital, CICE, acceptation des « délocalisations fiscales » y compris à l’intérieur de l’UE (Irlande, Luxembourg), etc. L’Etat français ira même au-delà et pratiquera ouvertement une politique de baisse des charges sociales le tout agrémenté d’une politique de subventions sous formes diverses et totalisant selon REXCODE entre 6 et 9,6% du PIB, ce qui est considérable[8].

Et la pression s’accroit dans un contexte européen qui procédé par élargissement et non par approfondissement. Ainsi le passage à 27 Etats en 2004 devait accroitre la pression sur la compétitivité par l’adjonction d’Etats (pays de l’Est) aux normes salariales très inférieures à celles de l’Europe occidentale. Que dire de l’accueil de l’Ukraine dont on voit déjà les problèmes posés par une compétitivité agricole très supérieure à celle de la Pologne, de la Hongrie, etc. ? Au total, la recherche de compétitivité par baisse des prélèvements fiscaux est et sera toujours insuffisante…La seule voie possible étant la cartellisation et la perspective d’un grand Etat mondial. Hypothèse très irréaliste…

            -Compétitivité par baisse de la dépense publique

Elle est à priori encore plus difficile à réaliser car électoralement plus dangereuse. Il s’agit ici de diminuer le périmètre de l’Etat Providence : réduction/ financiarisation des prestations sociales, réduction/privatisation/financiarisation des services publics, privatisation/financiarisation du système de santé. Dans ce cas l’Etat gère une politique de l’offre en se retirant et en offrant des parts de marché à l’offre privée. De quoi retrouver le député/ économiste Frédéric Bastiat dans son combat contre les Etats au 19ième siècle.

 C’est bien évidemment le cas du marché de l’électricité venu largement détruire EDF[9]. C’est le cas du système de soins avec retrait des structures publiques qui se cantonnent aux cas difficiles- d’où ce qu’on appelle la « dégradation du service public »- et élargissement continu des structures financières, type capital- investissements, qui sélectionnent leurs activités (Zöi est un bel exemple des start-up de l’e santé). Par lobbying très actif, notamment auprès des autorités européennes, les apporteurs de capitaux ont réussi à prendre le contrôle de structures dont la réglementation imposait jusqu’ici la direction par des professionnels de santé[10]. De quoi transformer demain des médecins ou dentistes en « cadres moyens taylorisés» de structures entièrement financiarisées[11]. Dans la pratique, nombre d’établissements sont ainsi privatisés et participent à l’émergence de grands groupes complètement financiarisés (Ramsay). C’est le cas des cliniques, de nombreux EHPAD et d’une partie de la sphère médicosociale. Plus globalement encore c’est le cas des Partenariats publics privés (PPP)[12] Notons toutefois qu’il s’agit le plus souvent de fausses privatisations, les structures correspondantes jouissant d’une enveloppe  juridique privée alors que le financement reste largement public. Comme quoi le retrait du périmètre des Etats est une opération très difficile : à la ponction financière sur les déficits, vient s’ajouter la ponction  sur les fausses privatisations (pensons par exemple à Orpéa).

Pour des raisons aussi culturelles[13] déjà entrevues sur le blog la France se trouve en particulière difficulté dans une course à la baisse de la dépense publique qu’elle n’arrive pas à concrétiser : augmentation des emplois publics locaux qui pour beaucoup correspondent à une forme du traitement social des effets du chômage industriel, et surtout augmentation considérable des dépenses de santé et de retraites provoquées par le vieillissement de la population. A cela il faut ajouter que les efforts de rationalisation/privatisation se sont déroulées par développement d'une considérable bureaucratie  que l'on retrouve dans nombre de branches et surtout dans les dépenses dites sociales, en sorte que le front office visible est devenu handicapé par la lourdeur croissante du  back office invisible ( "marché de l'énergie", Hôpital, social, médicosocial, etc.). Comme quoi des gains de productivité microéconomiques espérés sont engloutis par les pertes de productivité non comptabilisées à l’échelle micro économique[14]. Ajoutons qu’il existe des cas d’organisations qui relèvent de la dépense publique et qui vont fonctionner à rendements décroissants sur de très longues durées (facultés de médecines qui en France, par le biais du numérus clausus, vont produire de moins en moins de médecins pour des couts de plus en plus élevé). Nos pourrions multiplier les exemples à l’infini.

 Au total les dépenses de l’Etat régalien sont durablement stabilisées voire en diminution (pensons à l’armée), ce qui pour une population en croissance correspond à une dégradation du service public (pensons aussi à la justice). Par contre celles de l’Etat social augmentent malgré les tentatives de rationalisation/ privatisation. Ainsi on passe de 266,9 à 317,7 milliards d’euros entre 2019 et 2022 pour les dépenses de santé, et de 346 à 375,6 milliards d’euros entre les mêmes dates pour les dépenses de retraites. Plus globalement les dépenses de protection sociales passent de 761 à 849 milliards d’euros entre ces mêmes dates et représentent aujourd’hui près de 33% du PIB.

 3 Une gestion budgétaire dépassée à dépasser

La grande transformation de la gestion budgétaire se solde pour la France par une baisse de la pression fiscale nette de subventions et une impossibilité de voir baisser la dépense publique malgré les tentatives de rationalisation/privatisation et les difficiles réformes des retraites. Il en résulte un déficit budgétaire constant, considérable, et donc difficilement gérable. Globalement l’Etat français cherche à jouer le jeu de la compétitivité mais la démarche est quasi-impossible dans le contexte mondialiste et européiste d’un interdit de solidarité entre Etats, et d’un mur électoral qui interdit une dévaluation massive des retraites dont les titulaires représentent 40% des électeurs, dévaluation couplée à une autre tout aussi massive correspondant aux dépenses de soins. Le modèle culturel français vient ici bloquer le politique dans son aventure mondialiste et européiste.

Globalement l’Etat français ne peut faire face à l’impératif de compétitivité tout en prenant des risques au regard d’un déficit public beaucoup plus élevé que dans le reste de l’UE. Sa dette publique est encore appréciée dans sa fonction de collatéralisation « sûre » dans les contrats financiers[15], mais tend à devenir trop élevée. La France est donc bien dans une nasse, une situation où elle se trouve désarmée face aux immenses contraintes géopolitiques et environnementales[16] dans laquelle elle se situe parmi d’autres pays qui ne sont pas dans une situation significativement meilleure. C’est la raison pour laquelle nous retrouvons le projet/programme de changement radical de paradigme exposé dans « Construire la colonne vertébrale d’une France renaissante »[17]

Cela passe comme exposé dans l’article susvisé par la disparition autoritaire de la dépendance financière, le retour d’un Etat créateur de monnaie[18]…qui ménage l’euro en raison des contraintes géopolitiques majeures du moment. Un tel dispositif, qu’il faut évidemment négocier, déplace les contraintes sur un nécessaire équilibre des comptes extérieurs à coconstruire dans une coopération entre nations souveraines. Simultanément il rendrait plus réaliste un processus de coopération avec une Ukraine qui ne peut sérieusement, même à long terme, intégrer une UE dans son architecture institutionnelle présente.

 

                                                                             Jean Claude Werrebrouck

 

[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/01/construire-la-colonne-vertebrale-d-une-france-renaissante.html

[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/la-reconstruction-passe-par-une-bonne-dose-de-de-financiarisation.html. D’une certaine façon nous entrons dans le schémas du « catastrophisme éclairé » cher à Jean- Pierre Dupuy. Il s’agit obligatoirement de se munir d’investissements de protection contre des évènements inéluctables dont l’émergence doit- être bloquée. Cf son ouvrage : « Pour un catastrophisme éclairé, quand l’impossible est certain » ; seuil ;2002.

[3] Soulignons que la hausse du taux d’épargne (16% contre 14 avant la pandémie) et celle des marges (32,5% de la valeur ajoutée) sont très loin des pharaoniques besoins d’investissements.

[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/le-socle-de-tout-programme-electoral-serieux.html

[5] http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/12/le-redressement-de-la-france.html

[6] Il est selon la règlement 648/2012 – directive dite « EMIR »- la matière première de base exigée dans les chambres de compensation sur tous les dérivés.

[7] Cf les règles budgétaires de l’UE.

[8] Le Vade-Mecum des aides d’Etats est aujourd’hui un livre comportant 338 pages.

[9] On pourra ici se reporter sur tous les articles du blog consacré à l’électricité. Voir notamment : http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/10/edf-la-dialectique-du-demantelement-et-de-la-nationalisation.html. L’ARENH est effectivement un transfert de valeur du secteur publics vers des structures privées dont l’activité est essentiellement spéculatives sur un marché administrativement imaginé.

[10][10] Loi du 13 juillet 1975, article L753-760 et décision de la cour de justice européenne du 16 décembre 2010

[11] Les start-up e-santé se disent encore bloquées par la difficulté de remboursement des actes. Pour autant elles mobilisent un effectif croissant de médecins rares retirés à la médecine classique.

[12] On trouvera une analyse précise des difficultés des PPP dans le N°163 (2017) de la Revue Française  d’Administration publique: « Une arme à double tranchant ? Le recours aux partenariats publics privés et la maitrise des risques budgétaires ».

[13]http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/04/pour-sortir-de-la-crise-mettre-fin-a-la-schizophrenie-de-la-france.html.  http://www.lacrisedesannees2010.com/article-independance-des-banques-centrales-et-paradigmes-culturels-117604632.html

[14] Ce faisant nous retrouvons ici les travaux d’Ivan Illich avec ses grands concepts de « contre productivité » et de « vitesse généralisée » et  avec la distinction entre production autonome et production hétéronome, cette dernière finissant par devenir obstacle à la réalisation des objectifs qu’elle est censée servir. (Cf ses « œuvres complètes » publiées chez Fayard en 2004 et 2005)

[15] CF la directive EMIR déjà citée.

[16] Des risques qui se multiplient avec de graves conséquences sur l’économie internationale mesurées par le FMI lequel recense aujourd’hui 3000 obstacles contre seulement 700 en 2017. Des conséquences jusqu’ici peu anticipées par les marchés financiers dont les indices de perception des risques sont jusqu’ici relativement stables et modérés. En particulier l’indice de volatilité (VIX) reste très bas en ce début d’année.

 

[18] Un peu comme le propose la très américaine « Théorie Monétaire Moderne » avec Stephanie Kelton dans son ouvrage: « Le Mythe du déficit » (Les Liens qui libèrent, 2021) ou d’une  façon plus classique avec Jezabel Couppey Soubeyrand dans son futur ouvrage chez le même éditeur : « Le pouvoir de la monnaie », ouvrage co écrit avec Pierre De Landre et Augustin Sersiron. Publication ce 17 janvier 2024.

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12 janvier 2024 5 12 /01 /janvier /2024 13:48

Notre texte[1] publié le 31 décembre dernier comportait un point essentiel : abandonner la voie sans issue de l’éternelle surveillance permanente des budgets publics au profit de la surveillance constructive de l’équilibre des comptes extérieurs. Cela passait par des renversements ambitieux : la fin de la domination des banques centrales et le retour du Trésor comme entité autonome et motrice d’une reconstruction. Cela passait aussi par la fin du paradigme de la compétition interétatique à celle de la coopération.

Ce texte était aussi le point d’aboutissement d’une série d’autres articles insistant sur les points suivants :

- la montagne vertigineuse des nouveaux enjeux qui se portent à l’échelle du monde, donc aussi à la civilisation occidentale et à la France en particulier[2] 

-  l’impossibilité radicale d’y faire face en pérennisant une  logique « d’overdose » d’endettement classique[3 

- l’urgente nécessité de dé financiariser nombre d’activités, avec au final la nécessité de passer, au moins à l’intérieur de l’UE, d’une architecture institutionnelle porteuse d’un affaissement des nations à celle d’une association d’Etats souverains démocratiques[4].

Le présent papier apporte un complément sur l’importance d’une révision radicale de la gestion budgétaire dont nous disions qu’elle devait quitter le champ de l’idéologie de la dette.

1 -  La gestion budgétaire dans l’ancien fordisme.

 A l’époque du fordisme classique, la gestion du budget ne portait que fort peu sur l’aide à la  compétitivité des entreprises. Au-delà des grandes infrastructures construites par l’Etat, ce dernier s’intéressait moins à la qualité de l’offre globale qu’à la quantité de la demande globale. Parce que nourrie par des gains de productivité très élevés (de l’ordre de 5% l’an) l’offre globale était en quelque sorte naturellement compétitive. Le cas échéant, la souveraineté sur le taux de change pouvait l’y aider. Par contre, il fallait assurer le déversement des gains de productivité en garantissant la demande globale. La construction d’un immense Etat Providence fut ainsi une assurance de débouchés avec pour effet ultime l’édification d’une immense classe moyenne[5]. Nous sommes dans ce qu’on appelait, il y a bien longtemps, les trente glorieuses…

2 - La gestion budgétaire dans le nouveau monde.

 Sans revenir sur le pourquoi et les détails de l’édification du mondialisme dont l’UE devait en être le modèle réduit le plus parfait, il est clair que la gestion budgétaire allait changer de manière radicale. Désormais les Etats ne sont plus des aménageurs d’une demande globale qu’il faut développer, mais des contributeurs d’une offre globale compétitive. Et l’UE avec la monnaie unique va devoir devenir très sourcilleuse sur la bonne  gestion budgétaire. Le déficit public, qui naguère s’évanouissait par une fiscalité elle-même nourrie par la très forte croissance engendrée par les gains de productivité, devient l’objet d’une surveillance accrue. Il est apprécié en ce qu’il nourrit la finance (les bons du Trésor sont la matière première indispensable de la multitude des contrats financiers[6]) mais il n’est réellement et durablement toléré que s’il s’inscrit dans des limites raisonnables[7] et repose sur une baisse des prélèvements obligatoires. Par contre, il n’est guère apprécié s’il repose sur la hausse de la dépense publique, laquelle vient concurrencer des activités privatisables et financiarisables. Propos qui méritent quelques explications.

Parce que dans la mondialisation, et plus encore dans l’UE, il n’y a plus de frontières il faut se révéler compétitif. Il n’y a plus à nourrir une demande globale qui risquerait de se manifester par un supplément d’importations et de chômage. Il y a à contribuer à la musculation des entreprises et donc concourir à une politique dite d’offre compétitive.

        * Compétitivité par baisse de la pression fiscale

Une façon de procéder est bien évidemment la baisse de la pression fiscale, laquelle augmente directement les marges et au final la rentabilité globale. De ce point de vue, les Etats qui ont perdu leurs frontières maintiennent encore la distinction entre  un « dedans » et un « dehors », ce qui entraîne leur mise en concurrence dans la course à la baisse de la pression fiscale. La concurrence entre les entreprises est aussi une course aux fins d’amaigrissement des Etats. Et de ce point de vue la bataille est rude pour empêcher une cartellisation des Etats lesquels verraient possiblement un intérêt à ce que, par exemple, les bénéfices soient imposés proportionnellement à l’endroit où les ventes sont réalisées. De ce point de vue le cartel du pétrole (OPEP) est plus facile à réaliser que celui de la fiscalité. La cartellisation des Etats est d’autant plus difficile qu’il y a désormais libre circulation du capital, ce qui met en concurrence près de 200 Etats travaillés par une industrie de la finance employant plusieurs milliers d’avocats, comptables, consultants, tournés vers l’aide des plus fortunés et des moins scrupuleux.

Dans ce contexte l’Etat français n’a pas cherché à cartelliser et s’est plié à la nouvelle logique : baisse des impôts sur les bénéfices, baisse des impôts de production, affaissement de la fiscalité sur le capital, CICE, acceptation des « délocalisations fiscales » y compris à l’intérieur de l’UE (Irlande, Luxembourg), etc. L’Etat français ira même au-delà et pratiquera ouvertement une politique de baisse des charges sociales le tout agrémenté d’une politique de subventions sous formes diverses et totalisant selon REXCODE entre 6 et 9,6% du PIB, ce qui est considérable.

Et la pression s’accroit dans un contexte européen qui procède par élargissement et non par approfondissement. Ainsi le passage à 27 Etats en 2004 devait accroître la pression sur la compétitivité par l’adjonction d’Etats (pays de l’Est) aux normes salariales très inférieures à celles de l’Europe occidentale. Que dire de l’accueil de l’Ukraine dont on voit déjà les problèmes posés par une compétitivité agricole très supérieure à celle de la Pologne, de la Hongrie, etc. ? Au total, la recherche de compétitivité par baisse des prélèvements fiscaux est et sera toujours insuffisante…La seule voie possible étant la cartellisation et la perspective d’un grand Etat mondial. Hypothèse très irréaliste…

            * Compétitivité par baisse de la dépense publique

Elle est à priori encore plus difficile à réaliser car électoralement plus dangereuse. Il s’agit ici de diminuer le périmètre de l’Etat Providence : réduction/ financiarisation des prestations sociales, réduction/privatisation/financiarisation des services publics, privatisation/financiarisation du système de santé. Dans ce cas, l’Etat gère une politique de l’offre en se retirant et en offrant des parts de marché à l’offre privée. De quoi retrouver le député/ économiste Frédéric Bastiat dans son combat contre les Etats au 19ième siècle.

 C’est bien évidemment le cas du marché de l’électricité venu largement détruire EDF[8]. C’est le cas du système de soins avec retrait des structures publiques qui se cantonnent aux cas difficiles - d’où ce qu’on appelle la « dégradation du service public» et élargissement continu des structures financières, type capital- investissements, qui sélectionnent leurs activités. Par lobbying très actif, notamment auprès des autorités européennes, les apporteurs de capitaux ont réussi à prendre le contrôle de structures dont la réglementation imposait jusqu’ici la direction par des professionnels de santé[9]. De quoi transformer demain des médecins ou dentistes en « cadres moyens taylorisés» de structures entièrement financiarisées. Dans la pratique, nombre d’établissements sont ainsi privatisés et participent à l’émergence de grands groupes complètement financiarisés (Ramsay). C’est le cas des cliniques, de nombreux EHPAD et d’une partie de la sphère médico-sociale. Notons toutefois qu’il s’agit le plus souvent de fausses privatisations, les structures correspondantes jouissant d’une enveloppe  juridique privée alors que le financement reste largement public. Comme quoi le retrait du périmètre des Etats est une opération très difficile : à la ponction financière sur les déficits, vient s’ajouter la ponction  sur les fausses privatisations (pensons par exemple à Orpéa).

Pour des raisons aussi culturelles[10] déjà entrevues sur le blog , la France se trouve en particulière difficulté dans une course à la baisse de la dépense publique qu’elle n’arrive pas à concrétiser : augmentation des emplois publics locaux qui pour beaucoup correspondent à une forme du traitement social des effets du chômage industriel, et surtout augmentation considérable des dépenses de santé et de retraites provoquées par le vieillissement de la population. A cela, il faut ajouter que les efforts de rationalisation/privatisation se sont déroulées par développement d'une considérable bureaucratie  que l'on retrouve dans nombre de branches et surtout dans les dépenses dites sociales, en sorte que le "front office" visible est devenu handicapé par la lourdeur croissante du " back office" invisible ("marché de l'énergie", Hôpital, social, médicosocial, etc.). Comme quoi des gains de productivité microéconomiques espérés sont engloutis par les pertes de productivité non comptabilisées à l’échelle micro économique. Ajoutons comme exemple emblématique le cas des facultés de médecine en France qui toutes vont fonctionner à rendements décroissants sur de très longues périodes de temps (division par 3 du numérus clausus entre 1972 et 2000 et qui simultanément vont bénéficier des largesses du "plan Université 2000").

 Au total les dépenses de l’Etat régalien sont durablement stabilisées voire en diminution (pensons à l’armée), ce qui pour une population en croissance correspond à une dégradation du service public (pensons aussi à la justice). Par contre celles de l’Etat social augmentent malgré les tentatives de rationalisation/ privatisation. Ainsi on passe de 266,9 à 317,7 milliards d’euros entre 2019 et 2022 pour les dépenses de santé, et de 346 à 375,6 milliards d’euros entre les mêmes dates pour les dépenses de retraites. Plus globalement les dépenses de protection sociales passent de 761 à 849 milliards d’euros entre ces mêmes dates et représentent aujourd’hui près de 33% du PIB.

 3 - Une gestion budgétaire dépassée à dépasser

La grande transformation de la gestion budgétaire se solde pour la France par une baisse de la pression fiscale nette de subventions et une impossibilité de voir baisser la dépense publique malgré les tentatives de rationalisation/privatisation et les difficiles réformes des retraites. Il en résulte un déficit budgétaire constant, considérable, et donc difficilement gérable. Globalement, l’Etat français cherche à jouer le jeu de la compétitivité mais la démarche est quasi impossible dans le contexte mondialiste et européiste d’un interdit de solidarité entre Etats et d’un mur électoral qui interdit une dévaluation massive des retraites dont les titulaires représentent 40% des électeurs, dévaluation couplée à une autre tout aussi massive correspondant aux dépenses de soins. Le modèle culturel français vient ici bloquer le politique dans son aventure mondialiste et européiste.

Globalement, l’Etat français ne peut faire face à l’impératif de compétitivité tout en prenant des risques au regard d’un déficit public beaucoup plus élevé que dans le reste de l’UE. Sa dette publique est encore appréciée dans sa fonction de collatéralisation « sûre » dans les contrats financiers[11], mais tend à devenir trop élevée. La France est donc bien dans une nasse, une situation où elle se trouve désarmée face aux immenses contraintes géopolitiques et environnementales dans laquelle elle se situe parmi d’autres pays qui ne sont pas dans une situation significativement meilleure. C’est la raison pour laquelle nous retrouvons le projet/programme de changement radical de paradigme exposé dans « Construire la colonne vertébrale d’une France renaissante »[12]

Cela passe, comme exposé dans l’article susvisé, par la disparition autoritaire de la dépendance financière, le retour d’un Etat créateur de monnaie[13]…qui ménage l’euro en raison des contraintes géopolitiques majeures du moment. Un tel dispositif, qu’il faut évidemment négocier, déplace les contraintes sur un nécessaire équilibre des comptes extérieurs à co-construire dans une coopération entre nations souveraines. 

                                                                    


[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/01/construire-la-colonne-vertebrale-d-une-france-renaissante.html

[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/la-reconstruction-passe-par-une-bonne-dose-de-de-financiarisation.html

[3] Soulignons que la hausse du taux d’épargne (16% contre 14 avant la pandémie) et celle des marges (32,5% de la valeur ajoutée) sont très loin des pharaoniques besoins d’investissements.

[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/le-socle-de-tout-programme-electoral-serieux.html

[5] http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/12/le-redressement-de-la-france.html

[6] Il est selon la règlement 648/2012 – directive dite « EMIR »- la matière première de base exigée dans les chambres de compensation sur tous les dérivés.

[7] Cf les règles budgétaires de l’UE.

[8] On pourra ici se reporter sur tous les articles du blog consacré à l’électricité. Voir notamment : http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/10/edf-la-dialectique-du-demantelement-et-de-la-nationalisation.html

[9][9] Loi du 13 juillet 1975, article L753-760 et décision de la cour de justice européenne du 16 décembre 2010

[10]http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/04/pour-sortir-de-la-crise-mettre-fin-a-la-schizophrenie-de-la-france.html.  http://www.lacrisedesannees2010.com/article-independance-des-banques-centrales-et-paradigmes-culturels-117604632.html

[11] CF la directive EMIR déjà citée.

[13] Un peu comme le propose la très américaine « Théorie Monétaire Moderne » avec Stephanie Kelton dans son ouvrage: « Le Mythe du déficit » (Les Liens qui libèrent, 2021) ou d’une  façon plus classique avec Jezabel Couppey Soubeyrand dans son futur ouvrage chez le même éditeur : « Le pouvoir de la monnaie », ouvrage co écrit avec Pierre De Landre et Augustin Sersiron. Publication ce 17 janvier 2024

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1 janvier 2024 1 01 /01 /janvier /2024 08:39

Nous avons montré dans les articles précédents[1] à quel point les gigantesques défis qui se posent aujourd’hui se heurtent à l’architecture monétaire et financière qui organise le monde. Nous avons également montré à quel point les partis politiques surplombés par ladite architecture étaient tous très éloignés de la simple possibilité d’imaginer des  propositions sérieuses. Nous tentons dans le texte suivant de proposer la colonne vertébrale d’une réponse adaptée à la hauteur des enjeux. De ce point de vue le texte qui suit n’est pas consacré à telle ou telle recommandation de politique publique. Il s’intéresse bien davantage aux fondations qui permettront d’édifier un avenir pour le pays. C’est la raison pour laquelle nous parlons de colonne vertébrale, c’est-à-dire ce sur quoi peut être imaginé un avenir démocratiquement défini. Bien évidemment, le texte n’évoque pas les réformes dites structurelles qui toutes sont des mesures en harmonie avec l’architecture monétaire actuelle et ne font que colmater les effets de l’inévitable entropie vécue par chacun. Le temps présent ne peut plus consister à nettoyer/lisser/perfectionner le terrain de jeu et  doit être désormais consacré au renversement des règles du jeu.

Petit rappel banal :

 Le devoir du politique est de permettre aux générations futures de s’épanouir dans un monde meilleur que celui hérité par ses actuels habitants. Ce n’est évidemment pas reconstruire ce qui existait. Et parce que la vie est porteuse d’une créance de sens, le devoir du politique est aussi celui de proposer un horizon désirable. Redessiner la France aujourd’hui ce n’est donc pas reproduire son passé supposé grand, c’est simplement, compte tenu du passé, la rendre habitable, confortable, et lui donner une signification. Le logiciel politique unique qui consiste depuis plusieurs décennies à  reproduire le présent  sans en saisir son inéluctable entropie doit donc être dépassé[2]. Et même le Nobel Angus Deaton semble aujourd’hui questionner l’entropie dans laquelle nous sommes[3].

Proposition de renversement des règles du jeu monétaire et financier.

1 - On peut certes respecter le cadre budgétaire européen, par exemple voter la loi budgétaire selon les règles du pacte de stabilité et de croissance, mais en même temps reprendre le contrôle de la Banque de France en lui donnant l’ordre (interdit dans le présent cadre) d’effectuer les dépenses décidées par le parlement et l’exécutif. Ce n’est plus la banque centrale qui domine le Trésor et c’est le Trésor qui domine la banque centrale. Dans un tel contexte il n’y a plus à lancer une souscription de bons du Trésor pour alimenter le compte du Trésor à la banque centrale. Le compte est toujours alimenté. Il n’y a plus à se poser la question du taux et des difficultés à placer un emprunt qui n’existe plus. L’Agence France Trésor et sa cohorte de banques spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) peut disparaître.

2 - Le nouveau cadre est un cycle qui, du point de vue du Trésor, commence par une dépense immédiate  suivie d’une recette à venir (impôt et épargne éventuelle transformée en bons du Trésor). Ce nouveau cadre est inversement - du point de vue des bénéficiaires de la dépense ( secteur privé interne et externe) - une recette suivie d’une dépense à venir[4]. Le cycle provoque donc mécaniquement une pression déficitaire côté Trésor et une pression excédentaire d’un même montant côté secteur privé interne et externe. Et le moteur du cycle est bien le Trésor. La liquidité du secteur privé est en permanence assurée par le Trésor dans sa dépense. C’est le Trésor qui donne l’ordre d’ouverture du robinet à monnaie, et c’est le même Trésor qui éponge le trop de monnaie en captant l’impôt et le surplus d’épargne. Le Trésor n’attend plus - dans l’angoisse - que le marché veuille bien éponger son déficit. Bienveillant, Il tend désormais la main à ceux qui connaissent un surplus de liquidité et souhaitent acheter des bons du Trésor.  Maintenant passer de l’angoisse à la bienveillance doit aussi correspondre à une modification des prix (le taux de l’intérêt) : le Trésor est moins soumis aux prix de marché et plus décideur de la rémunération qu’il va consentir. Nous ne sommes plus dans le même monde.

Les conséquences du renversement

Dans le cadre de la zone euro un tel système qui se mettrait en place en France développerait, en principe, les situations et effets suivants :

1 - Il y a tout d’abord un risque inflationniste si le moteur du cycle s’emballe et finit par produire plus de monnaie (dépense) qu’il n’en retire (impôts et bons du Trésor). La différence devenant déficit public trop important eu égard à une faiblesse des capacités matérielles propres à redessiner le pays. Ce risque doit être politiquement contrôlé sur la base d’une autorisation de création monétaire par les instances démocratiques.

2 - Il y a ensuite un risque extérieur se matérialisant par une relance…à l’étranger : la compétitivité française est trop faible et les intrants de la reconstruction sont importés massivement (pensons à la relance Mitterrand de 1981/1982).

3 - Ce second risque serait en principe très amorti en régime de taux de change flottants : le cours de la devise nationale fléchirait ce qui rendrait l’économie nationale plus compétitive, et donc l’excédent du secteur privé externe serait limité.

4 - Cette fuite très limitée au profit dudit secteur ne l’est plus avec le taux de change fixe existant à l’intérieur de la zone euro. La France ne peut pas dévaluer vis-à-vis de l’Allemagne. Dans ces conditions cela signifie la possibilité d’un « déficit sans pleurs » pour la France. La hausse de la dépense publique, imposée à une banque de France devenue obéissante, transforme le pays en passager clandestin de la zone euro.  On peut même penser que le destin de la France serait celui d’un rentier de la zone euro. Les dépenses publiques croissantes effectuées par la banque de France nourrissent un flux croissant d’importations, marchandises produites dans le reste de la zone et consommées en France. On serait très loin d’une restructuration du pays, de la reconstruction du lien social, de son autonomie, etc. Une telle situation de passager clandestin, pourrait faire des émules et pourrait aboutir à un effondrement généralisé.

5 - Cette situation nous permet de mieux comprendre la logique institutionnelle européenne qui interdit toute tentative de clandestinité : Bruxelles ne peut accepter la production de monnaie par un Etat et   va par conséquent devoir mobiliser des centaines de fonctionnaires, d’abord pour vérifier que la banque centrale est réellement indépendante, ensuite  pour élaborer, mettre en œuvre et surveiller un pacte de responsabilité budgétaire….dont la complexité aux dires des dits fonctionnaires  s’ajoute à l’imprécision du langage adopté : que signifie réellement un déséquilibre « structurel » ? De la même façon le « Next generation EU », ou plan européen de relance de 2021 (807 milliards d’euros) ne correspond qu’à de nouvelles dettes et n’apporte aucune solution au regard des enjeux. Il s’agit toujours en effet de procéder par la seule logique de l’endettement.

6 - Une façon de retrouver la souveraineté pour redessiner le pays serait donc de passer de l’équilibre budgétaire à l’équilibre des comptes extérieurs. Simplement, il s’agit d’éviter la fuite et faire en sorte que la dépense publique, nourrie par création monétaire, soit effectivement mobilisée pour redessiner le pays. Cela suppose évidemment des mesures techniques empêchant le déséquilibre sur les diverses balances du compte extérieur : taxation des importations, quotas, restrictions à la circulation du capital, etc. Toutes mesures interdites dans le cadre bruxellois.

7 – Cette dernière solution est pourtant probablement la meilleure en ce que bien menée elle pourrait ne pas briser l’édifice européen. Tout d’abord si elle était décidée par la France, il est très probable qu’elle développerait un processus d’imitation. Elle présente en effet un certain nombre de qualités : elle s’annonce responsable en ce sens qu’on refuse clairement le statut de passager clandestin[5] ; elle ne met pas en cause l’euro comme monnaie unique et donc ne met pas fondamentalement en cause le projet européen ; elle autorise des dynamiques nationales qui s’ajoutent et donc globalement la fin des restrictions budgétaires qui elles aussi se sont imposées à tous et ont provoqué un décrochage de la zone par rapport aux autres régions du monde (croissance de 19,2% depuis 2017 aux USA contre seulement 7,6% dans la zone euro). Reste à convaincre en expliquant le plus honnêtement possible.

Les résultats attendus

Les points susvisés méritent quelques explications et précisions :

1 - Il faut tout d’abord bien comprendre que le taux de change de 1 contre 1 à l’intérieur de la zone euro (l’euro n’est convertible qu’en lui-même) est le moteur de l’attrition européenne au regard du reste du monde. Si l’on se borne au cas franco-allemand, le déséquilibre extérieur France/Allemagne est porteur d’une attrition et pour la France et pour l’Allemagne. Parce que la France dispose d’un euro largement surévalué, le taux de change lui garantit un déséquilibre commercial abyssal (191 milliards d’euros pour 2022). Celui signifie une production nationale perdue pour un même montant (les français « mangent » un revenu qui n’est pas produit). De façon très approximative cette production perdue ou sous production correspond à 7,5% du PIB, et un peu plus de 2 millions d’emplois.

Parallèllement, parce que l’Allemagne disposait jusqu’ici d’un euro largement sous-évalué, elle disposait d’un excédent commercial considérable la conduisant à une stratégie mercantiliste qui commence à être dénoncée. Elle maintient une épargne considérable qui aurait pu être transformée en dépenses nécessaires (infrastructures délabrées, retraites insuffisantes, etc.). Globalement l’Allemagne pouvait mieux dépenser et la France pouvait davantage produire. Le déséquilibre franco/allemand est donc porteur d’un déficit de croissance globale. Si les taux de change pouvaient être modifiés et si donc un euro français pouvait moins valoir qu’un euro allemand, la croissance allemande serait moins mercantile et la croissance française serait plus élevée. Le raisonnement peut être généralisé à l’ensemble de la zone euro et donc si cette dernière reste à la traîne du reste du monde c’est en raison de la fixité du taux de change infra-zone.

Il est donc urgent d’inventer un dispositif permettant de retrouver les capacités productives de tous les pays à déficit commercial. Le gain de croissance collective de la zone permettra en retour un taux de change plus faible de l’euro au regard des autres devises. Taux de change allant donc dans le sens de la fin des excédents considérables de la zone avec le reste du monde. Observons toutefois que ce raisonnement est quelque peu biaisé par le fait que les contraintes qui s’exerceraient pour la construction d’un équilibre extérieur sont des gains à l’échange contrariés et donc le gain de croissance global reste sans doute difficile à évaluer.

2 - Globalement le passage de la « surveillance » des budgets publics (la monnaie est contrôlée par la finance) à celle de la « surveillance » des comptes extérieurs (la monnaie est émise par l’Etat) passe par une collaboration d’abord bilatérale mais probablement rapidement multilatérale entre pays déficitaires et pays excédentaires. Par exemple, l’Allemagne désormais bloquée dans sa trajectoire mercantile (problème des sanctions pour la Russie, keynésianisme stratégique américain, réduction du débouché chinois) pourra éviter le chômage français en relançant la consommation voire l’investissement interne…tout en évitant son propre chômage. La France en bénéficiera mécaniquement (moins d’exportations allemandes vers le reste du monde contre plus d’importations en provenance de la France), mais bien évidemment il lui faudra travailler sa compétitivité extérieure, d’abord sans doute par des mesures restrictives mais aussi en mobilisant les opportunités offertes par une monnaie émise par l’Etat. Ces opportunités ne sont pas négligeables et correspondent aux sommes mobilisées improductivement aujourd’hui au titre de la charge de la dette publique (55 milliards d’euros pour la France en 2023). Ces sommes deviennent des outils de compensation des inconvénients créés par une monnaie unique inadaptée et par définition inutilisable pour la maitrise des taux de change. Le maintien de la monnaie unique a un prix qu’il faut hélas payer. A terme, l’ensemble de la zone verra ses forces d’attrition se relâcher par une dépréciation globale de l’euro vis- à- vis du reste du monde.

3 - Mécaniquement le primat de la monnaie simple marchandise émise par les banques devait progressivement imposer la fin du bilatéralisme et l’imposition d’un ordre multilatéral contrôlé par la finance et assurant la fin des souverainetés. Cette fin des souverainetés devait être garantie par l’indépendance des banques centrales qui elles-mêmes devenaient le support d’un ordre multilatéral. Sans cette garantie la finance ne pouvait s’étendre. L’ordre interne, c’est -à-dire le budget, est surveillé, tandis que les frontières doivent disparaître : il n’y a pas à s’occuper de l’équilibre des comptes extérieurs. Notons que ce raisonnement se vérifie dans la pratique de l’agenda des fonctionnaires bruxellois : les budgets sont dans le champ des radars et les comptes extérieurs y échappent.

Tout aussi mécaniquement le primat d’une monnaie émise par l’Etat renverse les choses : l’ordre interne, c’est -à-dire le budget cesse d’être surveillé, et les frontières font l’objet d’une grande attention. Le retour de la souveraineté ne peut accepter celle des banques centrales qui doivent impérativement se contenter d’obéir et de faire respecter le politique retrouvé dans le système financier. Les banques centrales qui, partout dans le monde furent historiquement les enfants des Etats, doivent après leur grande fugue mondialiste revenir à la maison.

4 - Globalement l’objectif d’un équilibre des échanges extérieurs est favorable à l’élaboration de stratégies coopératives entre Etats. La lutte pour l’équilibre est affaire de discussions entre le déficitaire et l’excédentaire, ce dernier se devant de prendre sa part de responsabilité. A l’inverse dans le cadre actuel, l’Allemagne n’a aucun intérêt à ne pas maximiser sa « rente de taux de change » en adoptant une stratégie ouvertement mercantiliste et peu coopérative.  Alors que les présentes règles sur le budget sont l’affaire de chacun pour plus de compétitivité, la règle de l’équilibre extérieur est ouvertement coopérative. Notons que cette coopération est aussi ce qui faciliterait l’émergence d’une union des marchés de capitaux (UMC).

5 - L’ordre multilatéral n’est pas incompatible avec le retour des souverainetés. L’équilibre des comptes ext[JW1] érieurs est  un objectif de négociation qui peut commencer avec une offre politique nouvelle, celle du pays qui aura, le premier décidé, de retrouver sa capacité à produire de la monnaie. Le début du processus peut être d’ordre bilatéral, mais il devrait par imitation reproduire un ordre multilatéral : La mondialisation devient une « association d’Etats souverains » si possible démocratiques. Elle cesse d’être un liquide noyant les Etats qui ne savent pas nager pour cause d’amputation monétaire.

6 - Le processus de transformation de la monnaie marchandise en monnaie politique participe à l’engendrement d’un ordre sociétal nouveau. Dans le paradigme de la monnaie marchandise il y a en devenir la fin des souverainetés, la mondialisation et l’affaissement des nations : les droits de l’homme enflent et deviennent un fleuve en crue noyant les droits et devoirs du citoyen. Dans le paradigme de la monnaie politique, les droits de l’homme retrouvent leur lit et les droits et devoirs du citoyen ne sont plus dévalorisés.

7 – Il est donc clair que la prise en charge sérieuse de l’avenir ne laisse qu’une place limitée aux partis de la droite traditionnelle qui se sont contentés de se lover dans ce qu’on appelle le néolibéralisme ou l’ordo-libéralisme. Il ne laisse guère non plus de place aux partis dits de gauche qui ayant abandonné, le champ des luttes économiques se sont reconvertis dans celles qui affaissaient la citoyenneté. A leur décharge, reconnaissons qu’ils furent tous endoctrinés par les discours normatifs des économistes en difficulté avec la lecture du réel. Des économistes qui ne semblent pas connaître de révolution copernicienne et qui n’ont pas l’humilité des astrophysiciens, testant/contestant en permanence les modèles au regard des réalités qu’ils découvrent.  Redevenir sérieux ne consiste pas à construire des programmes détaillés à vendre sur des marchés politiques. Redevenir sérieux c’est d’abord observer et lire les faits en tentant de les rendre intelligibles aux fins de proposer un avenir désirable. Il est grand temps de voir les partis s’atteler à cet exercice plus difficile que celui de la communication.

Conclusion :

1 - Le scénario proposé avait aussi pour objet de répondre à la très  grande complexité de notre monde : climat, environnement, démondialisation ou « grande fragmentation », déchirures sociales, guerres de grande intensité. Nous avons tenté de montrer que cette complexité se traduit par une gigantesque montée des coûts de la production/protection d’un monde habitable. Et une montée des coûts qui ne peuvent plus être couverts par de la dette[6].

2 - Parce que le danger de réécriture d’un nouvel ordre est considérable dans le présent contexte, le scenario proposé reste modeste et tente d’apporter des solutions sans déchirures trop graves de l’ordre ancien. Ainsi Le contexte géopolitique ne peut nous autoriser la contestation trop radicale de l’ordre européen. D’où l’acceptation d’une monnaie unique certes très couteuse mais en même temps  symbole d’un rassemblement. On peut certes réduire le poids de la finance et faire disparaître la dette publique mais il nous semble très difficile d’aller plus loin. D’où aussi le maintien d’un authentique libéralisme qui autorise néanmoins le passage vers moins de compétition et davantage de coopération.

Nous n’avons évidemment pas abordé toutes les questions et certaines d’entre-elles ont déjà été partiellement évoquées dans l’article du 18 décembre : « la reconstruction passe par une bonne dose de dé financiarisation »[7]. Nous n’avons pas non plus traité de façon détaillée  la question de la création monétaire par l’Etat : faut-il passer à la monnaie numérique de banques centrales ? faut-il interdire la création monétaire par les banques ? etc. Ce qui nous renvoie à d’autres textes déjà publiés, notamment celui du 20 octobre dernier : « Reconstruire le système bancaire »[8] ou celui du 1er octobre : « Politique publique : entre la dette et le climat, il faut choisir »[9]. Notons enfin que les nouvelles technologies monétaires peuvent aider à l’émergence du scénario proposé.[10]

3 - Il existe présentement une conjoncture favorable à ce que la France se lance dans un tel scénario. D’abord une prise de conscience d’effets cumulés devenus insupportablement lourds :  prise de conscience que le pays est désormais le plus désindustrialisé de toute l’Europe, prise de conscience de déficits jumeaux (budget/ balance commerciale) parmi les plus lourds de toute l’Europe, prise de conscience d’un stock de dettes publiques le plus élevé de toute l’Europe. Le moment est donc venu d’un nécessaire changement de paradigme.

Ensuite des circonstances extérieures ouvrent une nouvelle fenêtre au pays. L’Allemagne ne peut plus elle-même se lover dans le paradigme des discours normatifs des économistes. Elle constate amèrement qu’elle ne peut plus vivre dans le confort d’une « rente de taux de change » aujourd’hui mangée par les nouveaux contextes géopolitiques. Un changement qui s’est révélé dans les  nouvelles négociations concernant le retour prochain du pacte de stabilité. 

Au total il existe donc une opportunité pour que la France reprenant l’initiative au niveau européen propose une association d’Etats souverains démocratiques.

 

                                                                                                                                                                                                                                                           Jean-Claude Werrebrouck  le 31 décembre 2023

 

[2] Reconnaissons d’emblée que ce sera pourtant difficile tant l’architecture monétaire et financière nous surplombe. Comment ne pas être étonné, par exemple, par ces propos d’un patron de la finance qui espère toujours une réforme progressiste autorisant le Bitcoin dans les futurs ETF : « Le bitcoin pourrait être la clé de la prolongation de la civilisation occidentale ». (Brian Armstrong directeur général de Coinbase). De quoi être pleinement rassurés surtout si on apprend que Coinbase s'octroie les services de george Osborne ancien chancelier de l'Echiquier du gouvernement britannique. Soulignons que la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) applicable dès janvier 2024 exclue (à la demande de la France) la finance de son périmètre d’intervention, ce qui confirme bien le sentiment d’une finance en surplomb sur le monde.

[3] Cf son article : « Le progrès est en danger » dans Le Monde du 31 décembre 2023.

[4] Nous conseillons de relire ici notre article du 21 décembre : « l’Etat, une entreprise si particulière ».

[5] Ce que les autorités européennes n’ont pas complètement réussi à faire avec le « boulet » des soldes TARGET 2.

[6] Le texte du président de la République publié dans Le Monde du 31 décembre : « Il faut accélérer en même temps sur la transition écologique et sur la lutte contre la pauvreté » est à cet égard toujours aussi éloigné de la réalité. Les projets à l’échelle mondiale sont gigantesques mais tout doit être financé par des charges nouvelles y compris pour les banques par de la dette. Comment va-t-on faire pour rembourser un ensemble qui va jusqu’à rémunérer les services rendus par la nature ? Comment faire si les DTS nouveaux ne deviennent pas une monnaie produite par un FMI nouveau ? La réforme des institutions de Bretton woods est évoquée, mais il, s’agit simplement d’un changement de taille et non d’une sortie du paradigme de la dette.

[7] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/la-reconstruction-passe-par-une-bonne-dose-de-de-financiarisation.html

[8] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/reconstruire-le-systeme-bancaire.html

[9] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/politique-publique-entre-la-dette-et-le-climat-il-faut-choisir.html

[10] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/09/technologie-monetaire-et-ordre-politique-vers-un-nouveau-monde.html


 [JW1]

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22 décembre 2023 5 22 /12 /décembre /2023 17:33

Cette phrase figure dans le livre dont l’auteur est président d’une grande entreprise et par ailleurs ingénieur général des mines. Nous tairons le nom bien que  les Echos des 22 et 23 décembre font l’éloge du livre. En poursuivant la phrase nous trouvons ceci :

 « Certes, c’est un organe vital parce qu’il permet aux entreprises de financer l’investissement et ainsi d’améliorer la productivité du travail et parce qu’il permet aux individus de lisser leur consommation tantôt en empruntant (étudiants) tantôt en épargnant (pour leur retraite) . Mais c’est un organe qui n’ayant pas d’autre utilité que d’alimenter les autres organes doit garder un poids léger (4% du PIB en France), sauf à capter des marges indues par faille régulatoire, défaut de concurrence ou naïveté des clients ».

Il faut savoir de quoi on parle et il est probable que l’auteur confonde les 4% de PIB avec un bilan bancaire agrégé représentant un peu plus de 4 fois le PIB de la France. Le seul bilan de la BNP – en ne comptant pas les actifs hors bilan - est aujourd’hui supérieur au PIB de la France. Effectivement, si la finance est à l’économie ce que le cœur est au corps, il y a manifestement un hypertrophie cardiaque hallucinante. Signalons par exemple que le bilan de Total Energie, une entreprise qui est effectivement dans le monde de l’économie réelle et qui est l’une des plus importantes du pays, est 10 fois inférieur au bilan de la BNP ? Signalons aussi que le corps - très petit- est plus solide que le cœur -trop gros- car l’actif de Total, même à une époque de contestation des énergies fossiles, est autrement plus fiable que celui de la BNP qui est trop constitué de titres à valeur très aléatoire. Au-delà, Total pourrait probablement s’émanciper des banques alors que la BNP se repose sur cette mère des banques qu’est la BCE.   Ne multiplions pas inutilement les exemples mais signalons quand même que le seul marché des changes brasse quotidiennement la valeur annuelle du PIB agrégé de l’Allemagne et de la France !

N’allons pas plus loin. Nous voulions simplement mentionner cette « fake-news » et beaucoup regretter qu’un quotidien réputé sérieux se livre à sa diffusion en l’état.

 

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21 décembre 2023 4 21 /12 /décembre /2023 14:48

L’Etat est une entreprise qui achète et vend comme toute entreprise. Il achète des matières premières, de la force de travail (fonctionnaires) et vend ce qu’il produit (des services publics à prix nuls). Heureusement pour lui il peut couvrir tout ou partie de ses coûts par des subventions appelées impôts.

Il peut aussi être ambitieux, se livrer à de forts investissements et s’endetter, ce qui ne le distingue guère des entreprises qui elles aussi s’endettent. Cette opération est tout simplement un achat de monnaie sur le marché de la monnaie. Si les entreprises pouvaient fabriquer de la monnaie elles n’auraient pas à s’endetter et, probablement, elles  seraient grandement insouciantes vis-à-vis de la gestion. Très vite on produirait plus de monnaie que de marchandises et l’affaire se terminerait par une gigantesque inflation. Les entreprises elles- mêmes disparaitraient vite du paysage.

Des Etats qui vont perdre leur code génétique...

Les Etats à l’inverse des entreprises furent historiquement des créateurs de monnaies, privilège longtemps conservé et partiellement abandonné. De ce privilège il ne reste plus que le pouvoir de définir une base monétaire et assurer un cours légal : la monnaie légale en France est l’euro et tout le monde est obligé de l’accepter. Le pouvoir de création lui étant retiré, l’Etat ressemble de plus en plus à une entreprise, et s’il veut comme les entreprises dépenser plus qu’il ne gagne, il lui faudra s’endetter…en ayant recours au marché de la monnaie. Finalement l’Etat d’aujourd’hui ressemble bien à une entreprise : il est au moins pour ce qu’on appelle la dette, enkysté dans le marché. A ce titre il se trouve surveillé comme toutes les entreprises par la finance, ce que chacun peut constater avec les peurs gouvernementales concernant les décisions des sourcilleuses agences de notation.

Jadis, lorsqu’il a émergé dans l’histoire de l’humanité, l’Etat n’était pas enkysté dans une économie qui n’existait pas, et la monnaie qu’il allait inventer n’avait rien d’une marchandise. A l’époque, l’Etat était une stricte entreprise politique et s’il s’est mis à fabriquer de la monnaie c’est essentiellement pour couvrir les charges de la guerre au regard d’autres Etats. Cette monnaie fut très rapidement du métal accepté par tous, y compris ses ennemis et les mercenaires qu’il engageait dans la guerre. Simultanément, cette monnaie métallique étant issue de mines toujours trop rares, il lui fallait un moyen de récupérer tout ou partie de la masse métallique par le bais d’une fiscalité qu’il fallait là aussi inventer. Nous avons déjà là le circuit du Trésor qui sera remis au gout du jour au vingtième siècle. Au final l’Etat n’avait pas comme aujourd’hui besoin d’acheter une monnaie qu’il produisait. Avec toutefois une réelle contrainte : sa capacité à dépenser était limitée à sa capacité à produire du métal... ou à augmenter la pression fiscale. Au-delà, on entrait dans la dette ce qui fut historiquement le cas. D’où les fameux mercantilismes à partir du 16ième siècle en Europe et déjà une dépendance vis -à -vis d’une finance en voie d’épanouissement.

Avec la fin de l’or et l’avènement d’une monnaie fiduciaire inconvertible en métal il aurait été possible pour l’Etat de retrouver sa vie de jadis avec au surplus l’absence de limite à sa capacité créatrice de monnaie. Curieusement, c’est au moment où l’Etat se libère du métal qu’il va s’enkyster dans un marché de la monnaie. Sans s’attarder sur l’histoire concrète il est vrai que si tous les Etats avaient conservé leur puissance créatrice de monnaie, la course à la production de monnaie aurait été rapidement ruineuse. Chaque Etat aurait pu produire une très grande quantité de monnaie pour acheter les marchandises des autres Etats, ce qui aurait entrainé des chutes de change généralisées et une hyper inflation mondiale. Il fallait donc instaurer une discipline et, pour se faire, interdire aux Etats de créer de la monnaie. D’où la chasse à ce qu’on appelle encore la planche à billets et beaucoup plus tard l’indépendance des banques centrales. Le chemin historique aurait pu être autre et par exemple un pouvoir démocratique aurait pu imaginer un contrôle de l’émission monétaire par l’Etat, avec une liberté totale d’émission à l’intérieur d’un objectif de stabilité monétaire gravé dans le marbre d’une Constitution. Naguère, les mines de métal, toujours insuffisantes, pouvaient imposer la rigueur, aujourd’hui la Constitution pourrait faire office d’une mine de métal à la fois aussi sérieuse et moins rigide. La réalité historique et plus spécifiquement en Europe fut toute autre et l’on va enkyster les Etats dans le marché de la dette publique et donc le paiement d’un intérêt à la finance, qui elle va récupérer la totalité du pouvoir monétaire.

Le monde devenant progressivement englouti dans une économie à très forte croissance, ce que l’humanité n’avait jamais connu jusqu’au 19ième siècle, il faudra de plus en plus de monnaie pour faire circuler un PIB de plus en plus lourd. Et une monnaie qui sera créée par les seules banques et qui pourra nourrir les dépenses d’un Etat appelé lui aussi à un très fort grossissement. Désormais l’Etat se doit de passer par le marché de la dette publique alors qu’au vu de son passé historique rien ne l’y obligeait. Désormais les Etats doivent se comporter comme des entreprises qu’ils ne sont pourtant pas. Et  comme les entreprises ils doivent veiller à la soutenabilité de leur dette.

.... Mais Des Etats qui doivent le retrouver impérativement.

Les problèmes d’environnement et géopolitiques majeurs imposent aujourd’hui la reconstruction d’Etats puissants disposant de très gros moyens. Cela signifie que des Etats enkystés dans un marché de la dette publique ne pourront jamais faire face aux problèmes du moment. Il faut en effet disposer d’énormes moyens financiers que le marché est incapable de fournir dans la configuration qui est la sienne. Il doit se réarmer comme au bon vieux temps de sa naissance pour mener plusieurs guerres dont bien sûr celle de l’environnement.

Si les choses sont politiquement difficiles, elles sont pourtant techniquement simples. Il n’a même plus besoin de mines de métal et l’Etat peut se contenter de créer de la monnaie en donnant des ordres à sa banque centrale. L’équivalent du circuit du métal de jadis est le suivant :

               1 -  Ordonner à la banque centrale d’effectuer les dépenses publiques nouvelles, celles devant faire face aux nouveaux dangers. La banque centrale abonde donc le compte du Trésor du montant exigé et effectue les virements correspondants à la dépense publique ;

                                                    2 - Constater l’abondement des dépenses sur les comptes des banques et l’abondement de leur compte à la banque centrale ;

                                                           3 - la liquidité excessive qui se forme sur les comptes devient une épargne : des agents bénéficiaires de la nouvelle dépense publique vont consommer et épargner ;

                                                          4 - La fiscalité plus importante retourne sur le compte du Trésor à la banque centrale : on consomme, on épargne mais on paie aussi des impôts.

                                                           5 -  l’épargne nouvelle est aussi un stock de monnaie que le Trésor peut éponger en offrant des bons du Trésor.

 Les dépenses gouvernementales créent un déficit public dont la contrepartie est un excédent faisant à priori le bonheur du secteur privé. Il existe toutefois 2 limites. La première est le risque d’inflation si les dépenses ne rencontrent pas les moyens matériels de la réponse aux nouveaux défis (la main d’œuvre et les divers intrants). La seconde est que le secteur privé est aussi fait de l’étranger et les dépenses nouvelles peuvent entrainer un déficit extérieur.

Un nouveau monde ?

En supposant  que  ces questions soient techniquement et politiquement résolues, nous constatons l’émergence d’un autre monde. Le marché de la dette n’existe plus et les taux croissants justifiés par  le volume croissant de la dette publique n’existent plus. Il n’existe plus de risque de taux ou de spreads de taux qui attirent les attaques de la finance spéculative. Les crises des finances publiques de la décennie 2010 ne peuvent plus menacer. Les problèmes de la Grèce de l’Italie, voire de la France disparaissent.

La finance n’en veut pas

Mais ce nouveau monde est difficilement acceptable par la finance qui y verrait une réduction considérable de son périmètre d’activité. La dette publique dans sa configuration actuelle fait partie du marché et à priori un marché de qualité puisque les bons du Trésor sont des actifs réputés sûrs servant de matière première aux constructions financières. Au-delà si l’Etat redevenait politique il pourrait ne plus respecter les règles du jeu de l’économie de marché : il pourrait devenir éléphant dans un magasin de porcelaine et trop largement substituer son Etat-providence au marché. Reconnaissons toutefois qu’il pourrait aussi diminuer les impôts ce qui serait favorable au développement des marchés. Reconnaissons aussi qu’il faudrait aussi veiller au non développement de l’inflation donc se fixer une limite en matière de création monétaire.

La conclusion de ce raisonnement est simple : La finance doit veiller à ce que la dette publique existe et qu’elle doit se vivre à l’intérieur des règles du marché. Mais la finance doit aussi veiller à ce que ce marché soit sécurisé : la dette publique doit-être contenue dans les limites de la soutenabilité, à peine de crise et de possible effondrement financier. Pour se faire elle agite les outils de la surveillance des Etats en proposant le recul des activités publiques permettant aussi le recul de la pression fiscale.

L’Etat pourra-t-il reprendre le pouvoir?

L’intérêt de l’Etat est clairement de se retirer de sa position d’agent capturé par la finance et de se reconstituer comme être politique. Il doit se repositionner comme créateur au moins principal de monnaie. A ce titre il perdrait son statut idéologique d’endetté fragile et peu sérieux.

D’abord il lui faut constater -  et surtout faire constater par ses électeurs - que le statut de créateur de monnaie est clairement meilleur. Bien sûr il y aura toujours des achats de bons du Trésor dans le nouveau modèle. Mais ces achats sont d’une toute autre nature. l’Etat ne doit plus - comme aujourd’hui-  acheter de la monnaie pour dépenser. Il décide de dépenser, et les bons du Trésor achetés ne font que suivre la dépense : l’Etat offre simplement d’éponger la surliquidité qu’il a lui-même engendré et offre ainsi un débouché à une épargne qu’il a lui-même crée. De quoi renverser complètement le tintamarre de la logique d’un endettement qui se ferait aux dépends des générations futures. Et effectivement il y   a bien un renversement du monde puisque l’Etat n’est plus quémandeur sur un marché dans lequel il est surveillé, mais un offreur d’opportunités nouvelles. Logiquement le taux d’intérêt offert pour cette nouvelle épargne doit contrer le risque extérieur. En effet, il faut empêcher une éventuelle fuite des capitaux et capter la nouvelle épargne par une rémunération suffisante.

Le seul et vrai problème est donc ailleurs. Comment mettre fin à une tutelle financière adossée à un système institutionnel qui lui confère une légitimité ? Plus particulièrement eu Europe le système financier dispose de ce bouclier très puissant qu’est la monnaie unique.

Conclusion :

La conclusion du raisonnement que l’on vient de tenir est simple : on ne pourra pas faire face aux immenses défis d’aujourd’hui, sans d’abord s’attaquer aux questions monétaires et financières. De cette constatation, il en découle que tout programme politique ne mettant pas au premier rang cette question n’est tout simplement pas sérieux.

Nous tenterons dans un prochain article d’aborder la question de l’appariment de l’impérieuse réforme monétaire avec les institutions de la monnaie unique.

 

 

 

 

 

 

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18 décembre 2023 1 18 /12 /décembre /2023 07:26

 Le point fondamental de la reconstruction est un combat contre toutes les causes,  les formes de déliaison sociale et de leurs effets collatéraux. Il s’agit d’une recherche de compétitivité globale, ennemi radical des « réformes structurelles » qui n’ont jusqu’ici fait qu’engendrer un mal être croissant entre les humains (creusement des inégalités, voire émergence de communautés antagonistes) d’une part, et entre ces derniers et le reste du vivant d’autre part.

Une compétitivité qui cesse d’être unidimensionnelle.

 La compétitivité n’est plus un état fonction d’une seule variable, mais de la totalité des paramètres qui caractérisent un ensemble humain vivant dans un territoire lui-même en liaison avec d’autres territoires. Elle est faite du sens des autres, du souci du bleu contre le gris, de celui du chaleureux contre le froid, de l’humain contre le mécanique et l’automatique. Elle est certes faite de libertés fondamentales dont bien sûr la démocratie et la liberté d’entreprendre, mais elle est également faite de cohésion sociale, de respect des cultures, de respect de l’environnement[1], de respect des territoires extérieurs à ladite société et de leurs habitants, donc de respect des nations. La compétitivité totale n’est donc pas qu’une affaire de productivité du travail ou de taux de salaire[2].

Sortir du cadre…

Cette recherche de compétitivité globale passe par le point 2 de notre précédent texte[3] définissant les 5 blocs ou piliers de la reconstruction. Sans détailler, ces 5 piliers supposent de mobiliser des moyens à priori hors de portée dans le cadre des habituelles règles du jeu, règles plus ou moins reconduites dans le nouveau pacte de stabilité en cours de rédaction (Accord du 8 décembre entre Berlin et Paris). Quelque soit le bloc considéré, il n’est plus question de fixer les salaires selon la logique de la productivité marginale, mais d’abord sur leur contribution à la reconstruction du lien social. Ainsi le bloc instruction/éducation suppose une revalorisation massive des rémunérations d’une profession au cœur de la reconstruction[4]. Il en est probablement de même pour la plupart des acteurs des autres blocs : le travail manuel avec par exemple, dans le bloc environnement, l’isolement thermique des habitations ; le travail, dans le bloc santé avec par exemple celui des infirmiers et aides-soignants, etc. deviennent des priorités de la reconstruction et donc supposent des revalorisations massives des rémunérations correspondantes. Et donc des revalorisations permettant d’évacuer les faux débats sur les métiers en tension sauvés par une immigration illégale : la mauvaise image de certains métiers est d’abord provoquée par la faiblesse des rémunérations associées. Une mauvaise image peut s’effacer par le bais d’une rémunération plus attractive. Ce qui suppose un changement de paradigme économique.

Cette réorientation suppose donc une redéfinition des politiques publiques et redéfinition extrêmement gourmande en travail et en capital. Il est très difficile d’évaluer l’énormité des besoins, mais on peut toutefois avancer quelques chiffres impactant directement la dépense publique : probablement près de 10 milliards d’euros pour la formation, 33 milliards pour l’environnement selon le rapport Pisani Ferry, plusieurs milliards pour la santé, sans doute bien davantage pour l’énergie[5], et probablement plus de 10 milliards pour la défense nationale. Le total dépasse probablement la soixantaine de milliards chaque année dans un contexte à priori de baisse des recettes fiscales. Une baisse en raison de la chute de la productivité d’un capital plus coûteux (la protection de l’environnement est une dépense qui, pour l’essentiel, ne produit pas), et aussi de la chute des prélèvements fiscaux sur des énergies fossiles produites en moindres quantités. Ajoutons que beaucoup de ces dépenses ne seront jamais un capital avancé et restitué par une production. C’est le cas de l’environnement qu’on ne peut traiter dans le cadre d’une logique d’investissement impliquant un retour sur capital investi : non seulement un intérêt est impensable mais le remboursement du capital est tout aussi impensable. C’est également le cas des dépenses militaires qui ne font pas l’objet d’un échange marchand.

Il est donc évident que dans un tel contexte il n’est guère question d’en rester avec le présent modèle financier. Les dépenses publiques supplémentaires ne peuvent pas faire l’objet d’une dette mais d’un simple financement monétaire par la voie d’une banque centrale au service de la puissance publique, ce qui est interdit dans le TFUE. Construire un tissu social de qualité et sécurisé dans ses rapports avec d’autres mondes humains et le reste du vivant, suppose d’en finir radicalement avec le présent modèle financier.

Tout en respectant le travail comme mode de socialisation.

Dès lors comment sortir du carcan financier sans une rupture plus ou moins frontale avec l’UE et au-delà le reste du monde ? Au-delà des seules mobilisations de moyens financiers qui ne peuvent plus être dans une logique de marché, comment mobiliser les autres ressources et en particulier le travail ? Dans un tel contexte comment augmenter le taux d’activité seul susceptible de répondre aux immenses défis ? Plusieurs voies sont possibles. D’abord arrêter le subventionnement de la non activité et assurer, comme déjà indiqué, une rémunération beaucoup plus élevée pour tous les secteurs prioritaires (plusieurs millions d’emplois). Il faut ensuite mobiliser ceux qui seront progressivement invités à abandonner les secteurs ne contribuant pas à la productivité globale et qui souvent la freine, voire contribuent à sa destruction. A titre d’exemple les professions productrices d’une publicité abrutissante porteuse de la confection de l’individu isolé et simplement désirant, les branches d’activité ouvertement nuisibles telles celles concernant le faux marché de l’électricité avec sa bureaucratie et ses fournisseurs non producteurs et simplement capteurs de rentes, nombre des professions de la finance elles aussi simplement captatrice de rentes à partir de la matière première commune qu’est la monnaie, les gigantesques bureaucraties de marché, telles les autorités administratives indépendantes, les agences de contrôle et de notation, les activités en redondance et au service de l’industrie financière, etc. Il est difficile d’évaluer le nombre d’emplois inutiles ou destructeurs mais il s’agit probablement de plus d’un million. Ce grand chambardement sera aussi aidé par les nouvelles technologies productrices d’une taylorisation des activités dites intellectuelles (blockchain, IA, etc.) jusqu’ici, bien, voire trop rémunérées. Il aboutira en perspective à un resserrement de l’éventail des rémunérations, avec des professions qui, progressivement, cessent d’être méprisées et d’autres qui cessent d’être survalorisées.

L’augmentation du taux d’activité et le déplacement du travail depuis les espaces socialement improductifs vers ceux qui le sont davantage, supposent le réengagement d’une planification évoquée au point 5[6]. Toutefois, cette dernière n’est envisageable qu’après avoir résolu la question de la dé financiarisation. Il nous faut y revenir.

Le comment de la dé financiarisation

Le premier geste de la dé financiarisation concerne le marché primaire de la dette publique¸ Il n’appartient plus aux banques de créer de la monnaie pour acheter des bons du Trésor vendus par l’Agence France Trésor. Ce trop présent marché n’est plus éthiquement acceptable puisqu’il revient à concéder la puissance créatrice de la monnaie à des personnes privées qui vont - sans coût-  utiliser cette puissance à leur profit et au détriment de la collectivité (le taux de l’intérêt). On ne peut utiliser la puissance de l’Etat pour le dépouiller[7].  Il faut donc décider qu’il n’y a plus à acheter de bons du Trésor sur un marché primaire et ordonner à la banque centrale elle-même de financer le Trésor, un geste supprimant l’Agence France Trésor devenue inutile. En termes concrets cela signifie l’abandon pour 2024 des charges publiques au titre du roulement de la dette actuelle (paiement des charges d’intérêt + paiement des bons parvenus à maturité + dette nouvelle au titre du déficit budgétaire). La somme correspondante se monte à 285 milliards d’euros et ira en decrescendo jusqu’à la disparition complète de la dette, soit compte tenue de la maturité actuelle (un peu moins de 7 ans) en 2030. Un tel geste n’affecte en aucune façon la liquidité bancaire puisque le Trésor continue de respecter ses engagements. Elle n’affecte pas non plus la rentabilité bancaire puisque les activités de collecte d’épargne et de crédits continuent de fonctionner. Mieux le coût de l’éviction par la gestion de la dette publique se trouve éliminé.

Ces ressources supplémentaires considérables, donc à la hauteur des enjeux, seront affectées à la reconstruction de la compétitivité globale, le mot d’ordre étant moins de finance et plus d’économie réelle.

D’abord une hausse sérieuse des rémunérations pour tous les emplois de première ligne et aussi les emplois affectés à l’environnement et au climat. Cette hausse s’opère sous financement direct s’agissant des emplois publics et assimilés. Elle s’opère ailleurs par financement indirect sous la forme de hausse des marges permettant à tous les métiers - en tension et à créer- de rémunérer correctement les collaborateurs. Il nous faudra détailler la démarche retenue afin d’en éviter les effets pervers. Cette hausse sérieuse prend pour appui les 285 milliards d’euros libérés par la disparition du marché de la  dette publique.

Ensuite, il faut mettre en place une aide à la reconversion des emplois inutiles ou nuisibles. Une aide qui pourra partiellement s’autofinancer, par exemple par augmentation des taxes ou suppression des rentes sur les activités inutiles voire nuisibles, comme c’est la cas de nombre de prétendus fournisseurs d’électricité ou encore celui de nombre de métiers spécialisés dans la production du consentement à la sur consommation et au gaspillage ostentatoire (publicité). On ne peut  plaider pour la sobriété et en même temps travailler à l’anormale et asociale  suractivation de la dépense privée.

Rétrécissement du terrain de jeu de la finance et élargissement de celui de l’économie

 Plus globalement, cette aide devra compenser les pertes de marché dues au processus de dé financiarisation. Il s’agit ici d’un axe majeur de la politique publique à retenir. Parce que l’industrie financière est de nature métastatique[8] elle est aussi devenue totalement disproportionnée ( Plus de dix fois le PIB du pays[9]) et engendreuse de chute de productivité globale, sous la forme de rentes, de spéculations ruineuses, d’optimisation de gestion de fonds propres sur base spéculative, de transferts de risques très risqués, de création d’actifs dépourvus de sous-jacents, de bulles, le tout entrainant une confusion totale entre l’acte d’investir ( préparer l’avenir) et l’acte spéculatif (consommer le présent), avec les comportements opportunistes qui s’y rattachent et donc un creusement sans aucune limite des inégalités sociales. Parce que l’édifice financier est devenu gigantesque, opaque et très dangereux il est clair qu’il faut proposer une politique prudente de réduction progressive de son périmètre, ce qui facilitera le transfert progressif de très nombreux, très compétents, et probablement très honnêtes professionnels vers des activités utiles. Pensons par exemple à cette multitude d’ingénieurs qui maitrisant déjà la digitalisation financière serait bienvenue dans la construction des usines 4.0 issues de « l’Evolutive Facility »(EVF) qui se déploient dans toutes les industries et génèrent des sauts très importants de productivité. Des dizaines de milliers d’emplois gaspillés dans la finance font aujourd’hui cruellement défaut aux entreprises industrielles engagées dans la digitalisation des process et les indispensables « jumeaux numériques ». La finance automatisée mobilise largement le même type de compétences que les futures « dark plants »[10]. Bien évidemment il ne s’agit pas de supprimer totalement les métiers de la finance, il s’agit simplement de les contenir et de les réserver à ce qui est directement branché sur l’avenir, donc l’investissement réel. On peut ainsi comprendre, dans certaines limites, le capital-risque, le private equity, les fonds de pension, etc. Par contre il faudra être sélectif et sévère avec les fonds alternatifs et autres hedge funds.

 

Déjà la fin de la dette publique est une réduction considérable du périmètre de la finance puisque cette dette est la matière première de base des jeux financiers.  L’actif sécurisé « bon du Trésor » étant, dans le modèle proposé, en voie de disparition, il va considérablement manquer dans la couverture des transferts de risques, ce qui va en augmenter le coût qui lui-même va automatiquement limiter le périmètre  des activités correspondantes. Spéculer, transférer des risques, doivent devenir trop coûteux et le deviendront réellement avec la disparition du marché primaire de la dette publique. Signalons qu'ils le sont déjà avec la guerre en Ukraine qui a entrainé un supplément de volatilité et une surconsommation de dette publique (jusqu'à 80% d'une position selon la banque de France) au titre de l'appel de marge dans les systèmes de compensation. (

Au-delà il faut compenser les restrictions de jeux financiers  et couvrir tout ce qui doit correspondre à la sécurisation des activités : contrôle des changes et encadrement de la circulation du capital, fin de l’explosive innovation financière, fin des cryptomonnaies et possible monnaie digitale de banque centrale, limites à la spéculation sur toutes les matières premières, limites à la grande mode du « reporting ESG », limites à la financiarisation de l’extra financier, interdiction des rachats d’actions, etc.

 Une façon commode de compenser les restrictions de jeux est par exemple de limiter progressivement les activités de couverture et de financer les déboires correspondants des entreprises à partir des ressources autorisées par la fin de la dette publique. Par exemple si une compagnie aérienne ne peut plus se couvrir à terme sur le coût du kérozène et qu’elle enregistre un manque à gagner, il y aura compensation - encore une fois à partit des ressources engendrées par la fin de la dette publique -  selon des règles à définir. Ces régimes de compensation au titre d’une réduction du périmètre de la finance doivent être mis en place progressivement. La conséquence est aussi la réduction des bulles sur tous les intrants et donc une sécurisation plus grande de l’activité économique réelle. L’idéal serait d’assécher le gigantesque marché des changes, gaspilleur de ressources et d’en revenir à des taux de change fixes avec comme conséquences l’effondrement de la volatilité[11] sur tous les intrants. Là encore la disparition de la dette publique sera un puissant outil d’étranglement des marchés financiers.

Le rétrécissement du périmètre de la finance est bien sûr un redéploiement de l’activité économique vers d’avantage d’auto centrage. De la même façon l’affaissement de la finance devrait également permettre la fin du démantèlement sans limite des entreprises classiques. Ces dernières ne faisant plus que répondre aux exigences d’une finance voulant mesurer la compétitivité de chaque composante voire de chaque service[12]. D’où l’accélération des opérations de découpage pour améliorer la valorisation, la somme des parties valant financièrement plus que le tout. Le rétrécissement du périmètre de la finance sera donc aussi la réduction de la pression sur les entreprises et la réduction consécutive des métiers parasitaires qui ont participé aux catastrophiques révolutions managériales. Pensons par exemple à la gestion des grands groupes d’EHPAD.

Le grand redéploiement doit aussi être accéléré par la réduction de toute la normalisation au service de la finance actuelle et la promotion de nouvelles beaucoup moins nombreuses. Par exemple celles consacrées à la limitation de la mondialisation. Ainsi il faut imaginer un ratio limite pour les contenus en importations des produits et services mis sur le marché. Son non-respect pouvant entrainer des sanctions par exemple sous la forme de limitation des mesures financières de compensation.

Le contrôle des effets pervers de la grande transformation.

Si la grande transformation ne correspond pas à une véritable inflation monétaire - ce que l’orthodoxie appelle la « planche à billets » - il reste quand même une difficulté. En effet la disparition du marché de la dette publique et la mise à disposition des moyens correspondants par la banque centrale est possiblement déséquilibrée en raison du fait que dans le marché actuel il est difficile d’identifier, dans la matière première, c’est-à-dire la monnaie servant aux  achats des banques, ce qui correspond à une épargne, et ce qui, à l’inverse, correspond à une création monétaire pure. C’est la raison pour laquelle la banque centrale devra veiller à ce que sa création monétaire soit significativement inférieure – à priori le volume d’épargne utilisée aujourd’hui par les banques-  au montant des sommes prévues dans les adjudications de l’actuelle Agence France Trésor. Si la banque centrale cesse d’une façon ou d’une autre d’être indépendante il lui faudra quand même assurer le contrôle de l’inflation et donc veiller au contrôle du flux de monnaie vers l’Etat.

 Au-delà, l’un des tous premiers effets du chambardement proposé est évidemment une élévation de la consommation impulsée par la hausse des rémunérations. Certes les rémunérations stratosphériques, plus particulièrement présentes aujourd’hui dans la sphère financière, deviennent mécaniquement plus limitées avec la limitation du terrain de jeu de la finance. De la même façon ces rémunérations en voie d’étranglement progressif ne nourriront plus une épargne alimentant elle-même la spéculation sur les titres et l’immobilier, et donc une inflation sur les actifs financiers et immobiliers. Le grand chambardement proposé est donc moins d’épargne des riches nourrissant, par déversement, des bulles spéculatives. Il est donc aussi un combat contre la déformation des revenus globaux de plus en plus issus d’activités spéculatives et rentières et apparaissant de moins en moins comme la rétribution d’un travail ou d’un investissement.

 Toutefois les hausses de rémunérations sur la foule des emplois de première ligne risquent de peser sur les importations et sur les prix. C’est la raison pour laquelle toutes les mesures de compensations doivent devenir autant d’incitations visant un large processus de relocalisation progressive des activités. D’où l’idée d’une surveillance très étroite du contenu importé de toutes les activités. Avec, si possible, au-delà du processus de compensation, un système d’aides à toutes les substitutions d’importations. On le voit, des réformes structurelles d’une toute autre nature que celles encore envisagées aujourd’hui. L’objectif n’est plus la maximisation d’un PIB comme effet d’une maximisation de la productivité et d’une compétitivité mal assise, mais un auto centrage maximal des activités comme condition nécessaire d’une compétitivité globale.

Peut-on rassembler et mobiliser les outils du projet de grande transformation ?

 Le premier outil est bien évidemment la banque centrale. Peut-on contourner les textes en vigueur sans une dénonciation globale impliquant elle-même la fin de la présente architecture européenne ? Peut-on simplement invoquer une situation exceptionnelle correspondant aux gigantesques contraintes actuelles en matière climatique et environnementale ? Une façon de procéder serait d’appuyer fortement et sans doute de déformer le projet de Monnaie Digitale de Banque Centrale imaginé par la BCE[13]. Négocier sur le périmètre des porte monnaies électroniques et imaginer l’un d’entre- eux porté par les Etats serait une porte d’entrée pour, si possible, aller beaucoup plus loin.

Le second outil correspond au non-respect des règles du grand marché gravement attaqué par les modalités retenues de la dé financiarisation. Cet outil est sans doute plus facilement contournable et l’expérience du marché unique et ses nombreuses dérogations peut laisser un espoir.

Le troisième outil - et de loin le plus important - est celui de la  formation du personnel politico administratif qui  serait le porteur du projet. Si les campagnes électorales n’abordent jamais – strictement jamais, aussi bien en France qu’à l’étranger - les questions financières, c’est sans doute en raison de la difficulté technique et du caractère sensible du problème. La finance est enfouie dans l’Etat profond et aucun parti politique n’a jusqu’ici abordé ces questions très mal maitrisées. Aucun n’est prêt aujourd’hui à l’aborder. Seule la connaissance approfondie de l’industrie financière - une connaissance pas toujours maitrisée par les professionnels eux-mêmes – permettra de comprendre la nécessité de revoir l’architecture financière et la réglementation européenne correspondante. Elle permettra également de concevoir les politiques publiques les plus adaptées à la reconstruction du pays. Dans le cadre d’une campagne électorale il est donc urgent de maitriser les questions techniques liées aux arguments faciles et démagogiques de l’Etat profond et de la population culturellement éloignée qui s’y trouve embrigadée. Il faut donc être intellectuellement équipé pour répondre  aux arguments de l’apocalypse  type :  « planche à billets », « inflation », « Assignats » « ruine des épargnants », « fuite des capitaux », etc.  

Nous tenterons de publier prochainement un papier de réflexion sur la réaction des marchés et sur les stratégies retenues par la finance mondiale dans ce qui sera son combat pour empêcher, voire ruiner, toute tentative de grand chambardement.

 


[1] Un environnement déjà perçu par Günther Anders - bien avant le mouvement écologiste d’aujourd’hui - comme dominé par l’homme et qu’il qualifiait par une expression forte : « le prolétariat cosmique ». Cf son ouvrage : L’humain étranger au monde ; Editions  Fario ;  2023.

[2] De ce point de vue la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) applicable dès janvier 2024 n’apporte que peu de choses en termes de productivité globale. Outre sa mise en œuvre très complexe, elle évoque plus les questions environnementales que la qualité du lien social. La mise en place administrativement coûteuse développera la suspicion à bien des étages de l’entreprise et de son environnement, entreprise  encore davantage exposée à la surveillance financière. Soulignons enfin que la CSRD est aussi un gigantesque marché pour nombre de cabinets de consultants : une véritable aubaine. Il est vrai que la directive liste 1178 indicateurs potentiels.... 

[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/le-socle-de-tout-programme-electoral-serieux.html

[4] L’investissement dans la formation est fondamental. Voir à ce propos, l’ouvrage de Xavier Jaravel : « Marie Curie habite dans le Morbihan » ; Seuil ; 2023. En 2022, sur 1.000 euros de prélèvements obligatoires, environ 560 ont financé la protection sociale, avec en premiers postes les retraites et la santé, tirés par le vieillissement de la population. Seulement 90 euros vont à l'enseignement, un montant en baisse de 14% en trente ans.

 

 

[5] Ne mentionnons qu’un seul chiffre : on parle de la création de réseaux pour les énergies renouvelables, ce qui d’après le Think tank « Confrontations Europe » suppose un investissement de près de 600 milliards d’euros d’ici 2030 pour le continent européen, et donc probablement quelque 10 milliards annuellement pour la France.

 

[6] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/le-socle-de-tout-programme-electoral-serieux.html

[7] Cela ne signifie pas nécessairement le passage au « 100% monnaie », c’est-à-dire une capacité à prêter reposant sur des dépôts à hauteur de 100%. Ce point de vue était celui de Maurice Allais de Milton Friedman et avant eux d’irving Fisher. Mais cela ne signifie pas non plus qu’un projet politique de dé financiarisation exclue cette possibilité.

[8] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/reconstruire-le-systeme-bancaire.html

[9] Sur la construction du tsunami financier on pourra lire : « l’esprit malin du capitalisme » ; Yves Gomez ; Desclée De Brouwer ; 2010. Ouvrage plus récent, on pourra lire : « Quelle Economie Politique pour la France » ; Yves Perrier et François Eswald ; l’Observatoire ; 2023.

[10] Usines automatisées fonctionnant largement sans opérateurs.

[11] La rentabilité de ce qu’on appelle les « desk matières premières » est d’autant plus élevée pour la finance que la volatilité est forte. Cette volatilité élevée est à l’inverse une gène pour l’économie réelle. Réduire le marché de la finance est donc un avantage pour l’économie.

[12] D’où une surveillance rigoureuse de la finance sur les choix des entreprises dans l’arbitrage   entre le « make » et  le « buy ». Avec toutes ses conséquences en termes de management, c’est -à dire la fin de « l’ére des organisateurs » chère à Burnham au profit des  cadres dévalorisés arrimés à la culture du reporting.

[13]http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/10/reconstruire-le-systeme-bancaire.html

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