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28 mai 2024 2 28 /05 /mai /2024 16:30

La reconstruction du pays doit aussi donner la priorité à l'indépendance énergétique et en particulier sa composante électricité dont  on sait que la part de marché devrait s'accroître considérablement au cours des prochaines années. La question est difficile et la confusion est entretenue par des candidats aux élections européennes qui visiblement maitrisent très mal le sujet. Nous avons beaucoup publié de notes concernant cette question et il nous parait utile de republier un texte de synthèse que l'on trouvera ci-dessous.

10 mai 2024

A un moment où les prix de l’énergie à l’échelle planétaire laissent hors course une Europe qui prend conscience de son handicap au regard des grands ensembles géopolitiques, il est intéressant d’examiner la position du Rassemblement National.

Il nous faut tout d’abord, au regard de l’extrême complexité de l’économie de l’énergie,  tenter de simplifier et donner au grand public accès à la réalité du problème.

Les spécificités de l’énergie en général et de l’électricité en particulier.

1 - D’une manière générale ce qu’on appelle économie n’est rien d’autre que de l’énergie transformée : Quelle que soit l’activité ou la spécialisation, rien ne peut se faire sans appel à l’énergie, ce qui potentiellement lui donne un statut d’universel comme l’est un bien public.

2 - L’électricité est la forme d’énergie qui devient quasi hégémonique : il s’agit d’une forme secondaire connaissant une très forte croissance issue de la transformation d’une énergie dite primaire.

3 - L’électricité devient ainsi potentiellement un bien public sous forme de réseau comme il existe un réseau routier, monétaire, ou ferroviaire.

4 - Simultanément,  cette énergie présente des caractéristiques très spécifiques : homogénéité (un KWH est partout un KWH), et non stockabilité (il faut produire et répondre de façon instantanée qualitativement et quantitativement à l’appel). Ces caractéristiques ne se retrouvent pas dans les biens marchands classiques.

Les modèles d’organisation de l’infrastructure électricité.

En simplifiant on peut retenir plusieurs types d’organisation de l’infrastructure électrique :

1 - autoproduction et autoconsommation (exemple : maison ou usine avec éolienne) ;

2 - réseau local ou régional de production et consommation (exemple : France d’avant la nationalisation de 1945) ;

3 - réseau organisé en marché (exemple : France d’aujourd’hui avec de nombreux offreurs et une infrastructure interconnectée nationalement et internationalement) ;

4 - réseau interconnecté et monopole de la production (exemple : France de 1945 jusqu’à la naissance d’un marché de l’électricité au début des années 2000).

La réalité est plus complexe encore et correspond parfois à une combinaison ou articulation de plusieurs types d’organisation.

Du point de vue politique, mais aussi du point de vue technologique, la question est de savoir quel modèle organisationnel il convient de retenir. C’est sans doute la question que semble aborder le Rassemblement National et ce, en rupture avec la présente organisation d’inspiration européenne. Curieusement, très peu de candidats aux élections européennes s’intéressent à la question essentielle de l’électricité.

Les déterminants d’un choix de modèle organisationnel

1 - Auto production et auto consommation ne semblent pas devoir poser de problème sauf à imaginer un raccordement à un réseau plus large pour gérer les excédents et déficits inhérents au dispositif. On peut d’ailleurs raisonnablement penser qu’il s’agit d’un modèle d’avenir en raison des techniques nouvelles qui posent de manière centrale la question de l’intermittence (solaire/éolien).

2 - Les réseaux locaux et régionaux sont économiquement dépassés puisqu’ils supposent des coûts anormalement élevés. Sans interconnexion large, chaque pôle doit être équipé pour les dates  de pic de consommation, ce qui suppose des capacités globales excédentaires et donc des coûts qui, à l’échelle macroéconomique, sont excessifs. L’infrastructure électrique du pays ne permet pas d’ approvisionner ce dernier de façon efficiente. Certes, on peut imaginer des contrats d’effacement pour libérer des capacités mais le jeu est trop limité. En clair, si les partis politiques travaillent pour un intérêt général, ils doivent s’éloigner de ce type organisationnel. On notera que c’est pourtant ce qui existait naguère dans nombre de pays dont la France d’avant EDF.

3 - Le réseau large, donc interconnecté à l’échelle nationale et internationale et surtout organisé en marché, correspond à la réalité européenne d’aujourd’hui. C’est ce type d’organisation que le Rassemblement National semble vouloir mettre en cause. S’il existe un vrai marché pour cette marchandise non stockable qu’est l’électricité, cela suppose que des entreprises contractent des accords afin de permettre le bon approvisionnement sans gaspillage de ressources. Ces accords doivent bien sûr se négocier autour d’un indicateur qui ne peut-être qu’un prix. Telle entreprise ne produit pas assez pour satisfaire ses clients et doit par conséquent trouver une entreprise sœur/concurrente qui accepte de lui fournir de l’électricité. Symétriquement, telle autre entreprise se trouve en excédent et essuie des pertes si elle ne trouve pas une entreprise sœur/concurrente qui lui achète ledit excédent. A quel prix doit se fixer la transaction ? L’entreprise excédentaire risque une perte marginale correspondant au coût de l’électricité potentiellement gaspillée si aucun acheteur ne se présente. L’entreprise déficitaire risque une perte marginale correspondant aux recettes sur clients qui, au final, ne paieront pas s’ils ne sont pas approvisionnés en électricité. Ce petit raisonnement nous permet de comprendre deux choses : La première est que ce qu’on appelle prix de l’électricité doit tourner autour du coût marginal. La seconde est que la puissance publique doit intervenir pour surveiller la réalité des transactions et garantir que le réseau ne dysfonctionne pas. Si l’électricité est un bien public, il faut surveiller un marché qui risque de ne pas fonctionner en cas de désaccords entre les entreprises offreuses d’électricité, toutes handicapées par la grave question de non stockabilité de la marchandise. La réalité est d’autant plus complexe s’il existe une volonté politique d’imposer la décarbonation par le biais d’un usage massif des techniques porteuses d’intermittence (éolien et solaire). Dans ce cas, il faut imposer une priorité à l’énergie intermittente ce qui suppose des pertes marginales des autres producteurs et imposent un surdimensionnement de l’ensemble de l’infrastructure. Ce type d’organisation est extrêmement complexe puisque les entreprises fournisseuses d’électricité sont à la fois isolées et en concurrence… et en même temps ont besoin de coopérer. D’où deux séries de prix qui matérialisent, l’un le mode de coopération totalement décentralisé pour accéder à la matière première, l’autre qui matérialise la concurrence au niveau de l’accès au consommateur final. On comprend que ce modèle d’organisation repose aussi sur la financiarisation : face à un modèle aussi risqué le recours à des bourses et produits de couvertures s’impose.   Au total, rien ne permet de dire que l’infrastructure qui ravitaille l’ensemble est optimale. D’où une bureaucratie de marché inhérente au modèle d’organisation retenu. Pour mieux percevoir l’étrangeté d’un tel modèle, il suffit de le comparer à un modèle classique par exemple celui de l’automobile. Pourrait on imaginer qu’une production de voitures en quantité insuffisante par rapport à la demande s’adressant à un producteur puisse être compensée par l’achat d’un excédent de voitures produites par un autre en vue de les céder aux clients finaux ?  Peut-on penser que Citroën - incapable de livrer les voitures achetées - demande à Renault de lui fournir des voitures excédentaires qu’il pourra livrer à ses propres clients ? Dans les marchés classiques, la régulation se fait par les prix et les stocks et surtout les marchandises ne sont pas homogènes, ce qui n’est pas le cas de l’électricité. N’entrons pas dans le détail de ce labyrinthe mais signalons que l’Etat français sera dans le cadre européen amené à ajouter une couche de complexité en détruisant le monopole public EDF et ce dans le cadre d’une belle unanimité des marchés politiques : fin du monopole (Chirac/Jospin) ; création d’une ponction permanente par le biais de l’ARENH laquelle permettra  de financer des concurrents qui ne produisent pas et se contentent de spéculer (Sarkozy) ; fermeture programmée de centrales (Hollande/Macron). De quoi détruire un outil de production avec savoirs et savoirs faire pour le faire entrer dans le marché. De quoi aussi ajouter à la bureaucratie de marché.

Dans ce type d’organisation très complexe si une crise d’offre se produit, le coût marginal peut se développer sans limite et ne plus correspondre à la réalité des coûts. C’est ce qui s’est passé avec la crise ukrainienne et la fin du gaz russe : globalement les entreprises se trouvent très nombreuses à être en déficit de production et donc les prix peuvent exploser. En même temps, les Etats qui ne peuvent que s’inquiéter de la nature bien public de l’électricité, ne peuvent en aucune façon maitriser les prix. Ils ajouteront à la complexité en inventant des boucliers tarifaires.                                                                                                                                                                                                                                                                     

4 - Le réseau interconnecté assorti d’un monopole de l’offre est le dernier dispositif organisationnel que nous avons mentionné. Il correspond à la situation de la France avant le passage au marché que nous venons très brièvement de déchiffrer. Ici il n’y a qu’un producteur (EDF) qui garantit une production adaptée aux fluctuations de la demande d’électricité. Disposant de plusieurs centaines d’unités de production dont les coûts d’exploitation sont divers, le monopoleur s’engage auprès de ses clients en activant les unités les moins coûteuses pour ne mettre en activité les plus coûteuses qu’aux pics de la demande. Avec l’interconnexion croissante au niveau européen, EDF peut encore compter sur des producteurs étrangers et ainsi comparer le coût marginal français et le coût européen. Si EDF se comportait en monopoleur privé, il pourrait fixer un prix égal au coût marginal croissant. Sans davantage préciser sa politique tarifaire, EDF n’a jamais récupéré de rente de monopole et pouvait essuyer des pertes marginales (coûts sur les dernières unités supérieurs au prix de vente) en les finançant sur les gains infra marginaux. Le plus important est ici de comprendre qu’EDF est totalement maître du jeu et ne fait pas négocier ses unités de production pour faire naître un prix comme dans le cas antérieur. La coopération entre les unités de production ne passe pas par le marché avec construction d’un prix, mais par une autorité chargée d’optimiser les coûts à tout instant. Clairement, il n’y a pas de marché de l’électricité et il n’y a pas à craindre d’accident de marché à surveiller par le biais d’une bureaucratie. Tout aussi clairement EDF peut pratiquer des prix proches des coûts de production, ce qui n’est pas le cas dans le modèle de marché qui doit suivre les coûts marginaux. Ce modèle fait de la centralité une souplesse alors que le modèle de marché développe incertitude et bureaucratie. Globalement, le Rassemblement National a raison de dire que sans le marché il eut été possible de ravitailler la France à des prix plus réduits lors de la crise russe.

Ce que devrait dire le Rassemblement National.

Pour autant, en hésitant sur l’idée de contrôle des prix, de mise à l’index d’un marché de l’électricité voire de retour au monopole public, le Rassemblement National révèle sa relative méconnaissance de la réalité. De ce point de vue on ne saurait trop le critiquer tant il est vrai que cette méconnaissance est répandue. D’un point de vue pratique éclairer les électeurs suppose plusieurs points à aborder :

1 - Reconnaître une responsabilité collective de destruction partagée d’un modèle qui assurait une partie de l’excellence française.

2 - Bien expliquer les énormes dysfonctionnements et difficultés de la réalité présente. Insister sur les bureaucraties inutiles, l'invraisemblable dossier de la fiscalité des rentes infra marginales, etc.

3 - Reconnaître que la reconstruction du monopole ne sera pas simple en raison d’une destruction programmée depuis près de 25 années.

4 - Ne pas attaquer le marché européen mais s’en séparer progressivement en maintenant voire en enrichissant les interconnexions qui permettent l’optimisation d’une infrastructure globale.

5 - Acheter et vendre à l’international au prix de marché par la seule EDF, les avantages et inconvénients très fortement liés à la décarbonation porteuse d’un accroissement de l’intermittence vont se poursuivre.

6 - Proposer la disparition des fausses entreprises fournisseuses d’électricité gavées à l’ARENH. Reconnaitre que cela posera des problèmes spécifiques pour Total Energie et ENGIE et que des négociations devront être conduites pour trouver une solution pour ces entreprises.

7 - Reconnaître qu’il faudra du temps pour faire rejoindre le prix de l’électricité sur le coût de production : reconstruire l’outil de production sur une base élargie ne sera pas simple et il faudra encore faire  gérer par EDF les difficultés liées à la situation géopolitique du monde sur de nombreuses années.

              

                                                                                                       Jean Claude Werrebrouck

 

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24 mai 2024 5 24 /05 /mai /2024 17:14

Les fondements monétaires et financiers étant redessinés (parties 1 et 2) il s'agit d'envisager maintenant les diverses composantes d'une reconstruction. Toutes s'inscrivent dans le rétablissement d'éléments de souveraineté permettant le retour d'une certaine sécurité. A cet égard, nous invitons le Rassemblement National parvenu au pouvoir, à réfléchir sur une réalité dont peu de personnes ont conscience et que nous  avons présenté à propos de la crise agricole. Ce qu'on appelle mondialisation était un processus rabotant la capacité des vieux Etats à gérer le commun d'une part, et à fournir de la puissance à des Etats nouveaux   ou à de vieux empires en réémergence d'autre part. Dans le grand rabotage des vieux Etats nous irons jusqu'à insécuriser des éléments fondamentaux de la vie : la nourriture et l'énergie. D'où les crises correspondantes que nous allons tenter d'exposer dans la suite de notre texte. Nous ne prétendons pas ici apporter de solutions techniques à ce qui sera peut-être le nouveau pouvoir. A lui de les imaginer comme nouveaux produits politiques. Par contre nous invitons ses dirigeants à mûrir leur réflexion à partir des analyses que nous proposons. Examinons d'abord les fondements de ce qu'on appelait l'hiver dernier la crise agricole pour laquelle nous avions publié le texte suivant :

25 février 2024

 

La présente note tente de proposer une grille de lecture intelligible de la multitude des faits qui accablent le monde agricole.

Depuis la nuit des temps, l’agriculture est une activité nécessaire à la conservation/reconstitution de la vie. Dans le monde moderne, point n’est besoin d’être économiste pour se rendre compte que cette conservation de la vie se déroule en dépensant tout ou partie de ce qu’on appelle un salaire dans ce qui est devenu la grande distribution, elle-même ravitaillée pour partie par le monde agricole. Plus les prix des produits de l’agriculture sont élevés et plus le coût de la vie est élevé et inversement plus les prix des produits agricoles sont bas et plus le coût de la vie est faible.

Logiquement,  si l’agriculture développe des gains de productivité, ce coût de la vie doit baisser. C’est ce que la France a bien connu au cours du siècle précédent avec une modernisation spectaculaire de son agriculture. Le prix des produits agricoles baissant ou augmentant plus faiblement que les salaires, il devait en résulter ce que simplement on appelle une hausse des niveaux de vie et l’avènement de l’immense classe moyenne qui devait caractériser la seconde partie du vingtième siècle.

Marx et les « biens salaires»… produits par les agriculteurs

Marx, très grand interprète des règles du jeu du capitalisme parlait de partage de la « plus-value relative » impulsée par la productivité. Dans son langage, si les biens de consommation – ce qu’il appelle les « biens salaires » - achetés avec les revenus distribués par les capitalistes voient leur valeur diminuer en raison de gains de productivité dans l’activité agricole, il doit en résulter logiquement une diminution des salaires, baisse résultant elle-même de la baisse du coût de la vie. Concrètement et simplement, si une vie de salarié est reproduite journellement par un kilogramme de pain et que le prix du pain diminue de moitié en conséquence d’un doublement des rendements agricoles, le coût de la vie est également divisé par 2 et donc le salaire peut lui-même être divisé par 2. Dans cette circonstance, les capitalistes récupèrent la totalité des gains de productivité, ce que Marx appelait la « plus-value relative », celle dépendant des gains de productivité donc de la « dévalorisation » des « biens salaires ». Si, maintenant, les salariés réussissent à maintenir le niveau de salaire, ces mêmes salariés empochent les gains de productivité. Dans un tel contexte, la lutte des classes au sens de Marx est aussi un combat autour du partage des gains de productivité. Bien sûr Marx emploie un langage beaucoup plus sophistiqué pour les besoins de ses démonstrations, mais il nous faut reconnaitre qu’il fût le grand théoricien de ce que lui-même appelait « l’embourgeoisement de la classe ouvrière », phénomène imaginé avec près d’un siècle d’avance sur la réalité. Un phénomène qui va progressivement se transformer et dont la configuration actuelle est elle-même appelée à se transformer.

Les transformations historiques de la  « plus-value relative ».

1 – Historiquement, il y a eu effectivement partage des gains de productivité et il en est résulté une première approche dans l’édification d’une immense classe moyenne. Globalement, les budgets consacrés à l’alimentation - ceux consacrés à l’achat de marchandises agricoles- vont régulièrement diminuer (13% aujourd’hui contre plus de 50% en 1950). En contrepartie ils vont laisser la place à de nouveaux biens, lesquels vont socialement devenir de nouveaux « biens salaires » au sens de Marx : logement, équipement ménager, téléphone, etc. Ces mêmes biens vont logiquement eux-mêmes bénéficier de gains de productivité à partager entre capitalistes et salariés.

2 - Les salariés pouvant désormais arbitrer entre divers « biens salaires » vont devenir de plus en plus exigeants et vont s’intéresser aux prix de ces premiers « biens salaires » que sont les produits de l’agriculture. Ils seront en cela aidés par la grande distribution qui fera pression pour une accélération des gains de productivité. Les agriculteurs doivent être compétitifs comme tous les acteurs de la vie économique. Déjà, des relations asymétriques entre entreprises agricoles nombreuses et grande distribution ou firmes agroalimentaires oligopolistiques vont se nouer. La pression sur les prix imposera une accélération de la modernisation de l’agriculture.

3 - La mondialisation permettra une accélération massive de la construction d’une « plus-value relative » d’un nouveau type. D’abord les entreprises pourront travailler dans des zones où la « valeur de la force de travail » est plus faible (le coût de la vie est plus faible en Asie, en Afrique, etc.). Si les biens fabriqués dans ces zones sont aussi des « biens salaires », il pourra en résulter une baisse de la valeur de la force de travail en Occident : les biens en question permettront de diminuer davantage le coût de la vie et la grande distribution et les firmes agroalimentaires s’y emploieront. De quoi comprendre les armadas d’acheteurs en route vers l’Asie…De quoi comprendre ce que naguère on appelait le grand accord entre WalMart et le parti communiste chinois…. Ce n’est plus WalMart et ses fournisseurs américains qui reproduiront la force de travail américaine mais des entreprises chinoises sur le sol chinois.

4 - Cette baisse de la valeur de la force de travail ne pourra plus nourrir aussi facilement que par le passé le partage des gains de productivité. C’est que la désindustrialisation fragilise la condition salariale et engendre un chômage qui pourra être plus ou moins masqué par le maintien d’un Etat-Providence qui lui aussi se trouve être le support d’une partie du coût de la vie. Ce qu’on appelle économie sociale se développe sans gains de productivité et le coût de la vie ne peut diminuer que par des importations massives en provenance du sud. Ce qui se met en place est la possible naissance de vastes zones de l’ex -Tiers monde chargées de la reproduction de la force de travail de l’Occident et, en particulier de la France qui se désindustrialise plus rapidement qu’ailleurs. En contrepartie de vastes zones de l’Occident et en particulier de la France deviennent des espaces où un revenu se dépense sans y avoir été produit. C’est par exemple le cas des espaces privilégiés occupés par des retraités ou inactifs dans le sud de la France… Des incohérences de territoires qui vont se multiplier…

5 - Les usines fabriquant les « biens salaires » disparaissent et se reconstruisent à la périphérie de l’Occident. Dans ce dernier monde et tout particulièrement en France, nous n’aurons plus que des entreprises de logistiques (les bien salaires produits à la périphérie doivent être distribués et nourrir le centre). Ainsi les entrepôts « Amazon » peuvent se développer sur les friches industrielles. A ces entreprises il faudra encore ajouter les entreprises agricoles jusqu’ici non délocalisées qui tenteront - fouettées par la grande distribution et les firmes agroalimentaires- d’apporter leur contribution à la baisse du coût de la vie. Le dernier ajout qui permettra de photographier le nouveau paysage est bien évidemment le maintien d’un Etat social très endetté. Bien évidemment tout ce qui n’est pas « biens salaires » peut encore subsister, notamment les industries de biens d’équipement, les industries de l’armement et toutes celles très nombreuses encore qui, techniquement, s’articulent à ces dernières.

6 - Mais la mondialisation est exigeante en termes de libéralisation des échanges et les traités de libre échange ne peuvent que se multiplier (plus de 40 par la seule UE) pour offrir des débouchés aux entreprises, soit celles restées dans le centre, soit celles déjà délocalisées et qui souhaitent voir croître leur part de marché dans le monde. L’UE est l’archétype de ce modèle et invente la concurrence libre et non faussée. Jusqu’ici l’agriculture n’était pas encore délocalisable comme l’était le capital industriel. Le facteur de production terre/environnement devait rester attaché à son antique espace national. Parce que les traités de libre échange se doivent être globaux et concernent toutes les marchandises, l’agriculture ne peut en être exclue. Cette dernière devra donc se soumettre et accepter que le coût de la vie au centre soit de plus en plus assuré par des firmes agricoles lointaines. La poursuite de l’éventuelle  baisse du coût de la vie doit se payer par une masse toujours croissante de biens salaires importée. Et le renard est entré dans le poulailler car les agricultures du centre se font concurrence et utilisent les outils de l’UE pour s’entredévorer : l’agriculture française est mangée par l’Espagnole ou celle de la Pologne, etc. Ce qui entretient le processus de dévalorisation de la force de travail. Il y a beaucoup plus que des chaussures, vêtements, jouets, appareils électroménagers, etc. qui doivent être importés. Il y a désormais à importer tous les produits agricoles qui étaient historiquement les premiers « biens salaires » : fruits, légumes, viandes, poisson, produits laitiers, etc.

7 - Aujourd’hui, nous sommes avec les questions liées au climat et à l’environnement arrivés au bout de la grande aventure consistant à faire produire à l’étranger la quasi-totalité des « biens salaires » consommés par les vieux Etats-Nations au premier desquels on trouve la France dont on vantait naguère l’excellence agricole. Non seulement l’agriculture européenne se doit d’être asservie par les règles du jeu du capitalisme mondialisé, mais elle est menacée de disparition par les règles concernant la protection du climat et de l’environnement. La course aux gains de productivité est certes désormais bloquée par la foule des règlements et normes concernant les intrants de la production, mais surtout par l’imposition d’un recul des surfaces autorisées à la culture ou l’élevage. Jadis le capital industriel délocalisé laissait à l’état d’abandon des friches industrielles. Aujourd’hui l’agriculture en délocalisation va laisser des jachères. Il ne restera plus que les traces des lieux où naguère la conservation/ reconstitution de la vie se déroulait.

8 - Ce grand mouvement est aussi la fin des classes moyennes protégées par le  capitalisme autocentré et efficient de la fin du vingtième siècle. Les « biens salaires » agricoles ou industriels majoritairement issus de la périphérie continuent de se dévaloriser au rythme des innovations et de la productivité. La concurrence en fait gonfler la quantité et la perte de valeur est surcompensée par des besoins artificiellement crées. La société de consommation devient hégémonique au sein de territoires où des revenus jamais produits et chargés de dettes sont « magiquement » dépensés. Il en résulte une disparition de la plus-value relative tandis que l’Etat social resté exigeant n’est plus finançable que par de la dette publique.

9 - Bien évidemment, ce grand mouvement aux conséquences géopolitiques majeures doit être arrêté et cela confirme bien les conclusions de nos précédents articles. Il sera toutefois très difficile de protéger l’agriculture. S’agissant de l’UE telle qu’elle est, on ne voit pas comment il serait possible de ne plus inclure l’agriculture dans les grands traités de libre-échange. Les avantages compétitifs de la périphérie de l’Occident sont bien évidemment concentrés dans  une agriculture où les taux de salaire et les normes sont très avantageux. Et c’est ainsi qu’au nom de la rationalité économique, l’Occident continuera probablement de confier la gestion du coût de la reproduction de sa force de travail dans les espaces que naguère il avait colonisé : Un libre échange où la baisse de la valeur de la force de travail continuera  d’être l’objectif probablement inconscient de ses promoteurs. Pourquoi, continuera-t-on de proclamer, renoncerait on à faire bénéficier le consommateur de prix à l’importation avantageux ? Pour la France le prix de cette rationalité stupidement économiciste sera plus élevé qu’ailleurs en raison de l’abandon complet de ce qui faisait une partie de son excellence.

Jean Claude Werrebrouck

 

 

La réflexion à partir du présent texte doit inviter le Rassemblement National parvenu au pouvoir à  découvrir les outils permettant la sécurisation d'un pays devenu très fragile dans une mondialisation qui n'avait rien d'heureuse. On sait maintenant que cette dernière n'était qu'un affaissement des vieux Etats au profit de nouveaux et plus encore au profit d'empires renaissants. 

L'agriculture est une pièce importante de la reconstruction. Le texte que l'on vient de lire permet de comprendre qu'elle fut élément important de la mondialisation avec un coctail d'effets sur des paramètres essentiels: cout de la vie, niveau de la rentabilité, regard sur l'environnement, niveau de cohérence territoriale, choix  géopolitiques. Clairement un pouvoir nouveau doit construire un modèle nouveau prenant en considération l'ensemble des paramètres. Plus clairement encore prendre en charge le dossier agricole c'est aller beaucoup plus loin que la PAC ou régler les  menus détails d'une réflementation. Si la France devait prendre en charge le dossier dans toute son ampleur elle pourrait contribuer au recul de qu'Emmanuel Todd appelle la 'défaite de l'Occident".

 

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21 mai 2024 2 21 /05 /mai /2024 10:27

La premiere partie de cette liste de conseils que nous tentons humblement de proposer au Rassemblement National a bien mis en évidence le coeur d'un projet de reconstruction : rien de sérieux ne peut être proposé sans  reconfiguration précise du système monétaire et financier. En même temps, la dite reconfiguration ne pouvait  apparaître comme défaite de l'Europe au regard de ses adversaires géopolitiques qui relèvent de ce qu'on appelait au dix huitième siècle le "despotisme oriental". D'où la proposition du maintien de l'euro dans un espace pourtant reconfiguré. Le Rassemblement National au pouvoir doit être très conscient de l'équilibre entre reconfiguration et affermissement de l'ordre européen. Tout autre chose que le slogan :  "plus d'Europe", tant vanté par les organisations politiques classiques.

Nous proposons ci dessous d'autres recommandations : 

20 octobre 2023

La circulation de l’argent entre les divers acteurs du jeu économique reste compliquée et donc coûteuse pour la collectivité. Elle était naturellement compliquée et coûteuse à l’époque de la monnaie métallique. Elle le restera avec l’apparition des billets de banques. Elle le restera encore à l’époque des chèques et cartes de paiement. Elle le reste aujourd’hui avec le téléphone devenu porte-monnaie. Encore aujourd’hui la mobilité de l’argent suppose des intermédiaires chargés de sa circulation sécurisée. Il faut en général au moins 2 banques, l’une faisant déplacer l’argent d’un compte à débiter vers l’autre qui va le recevoir et ainsi créditer un autre compte. Et comme la circulation de l’argent est le fait d’une multitude d’acteurs différents, rien ne dit qu’elle sera, à chaque instant équilibrée pour chacune des banques mobilisées. Ainsi, la banque A peut devoir créditer des comptes pour un montant supérieur à ce qu’elle devra débiter sur d’autres comptes. Si elle-même ne dispose pas de suffisamment de liquidités apparaissant sur un autre compte dont elle est titulaire, elle devra emprunter auprès d’autres banques qui, elles, ont la chance de connaître un solde excédentaire sur les opérations décidées par les acteurs économiques. Plus simplement exprimé, la circulation de la monnaie dans une infrastructure faite d’entités indépendantes - les banques - connaissent des fuites ou inondations monétaires permanentes qu’il faut en permanence contrôler. Face à la circulation nécessairement désordonnée des ordres des acteurs économiques, il faut donc créer un marché où vont s’échanger les créances et dettes de l’instant. Concrètement, cela s’appelle encore aujourd’hui le marché monétaire. Les coûts correspondants à cette circulation faisant intervenir ces intermédiaires que sont les banques, sont au fond des coûts de logistique, des coûts de transport. D’autres coûts interviennent car l’argent se métamorphose et peut prendre la forme d’espèces, voire de devises étrangères. D’où la présence d’un autre intermédiaire qui sera la banque centrale elle-même productrice des dites espèces. Cela suppose donc que les banques soient titulaires d’un compte à la banque centrale, compte qui pourra aussi être utilisé dans la gestion de la circulation de la monnaie entre banques. Ainsi quand la banque A devient momentanément déficitaire vis-à-vis de la banque B en raison des décisions d’échanges entre les acteurs économiques, la banque centrale pourra débiter le compte de A et créditer celui de B. Encore des coûts de simple logistique et de transport. Et bien sûr on peut imaginer que les distributeurs d’espèces qu’il faut alimenter, sécuriser et entretenir sont un élément important dans la chaîne des coûts.

Les nouvelles technologies peuvent bien sûr assurer des gains de productivité et par exemple les banques en ligne sont censées alléger la chaîne des coûts. Elles restent toutefois bloquées par l’architecture générale supposant l’existence de comptes dans des établissements en concurrence. Elles le sont davantage encore avec la difficile gestion des espèces.

Mais le problème se complique car les banques qui assurent la circulation de l’argent se servent aussi de cet argent comme matière première d’accroissement de la valeur et donc de profit. Nous y reviendrons.

En attendant, un examen lucide du circuit compliqué de la circulation de la valeur mais aussi des règles correspondantes,  nous invite à suggérer l’éviction des banques au profit de la seule banque centrale. En effet, on peut imaginer que cette dernière fasse disparaître les très coûteuses espèces au profit d’un porte-monnaie électronique, mais aussi fasse transférer tous les comptes de tous les acteurs économiques dans sa propre comptabilité. Que l’on soit entreprise, ménage, institution financière ou même Trésor public, tous disposeraient d’un compte à la banque centrale devenue infrastructure unique de circulation de la valeur. Une telle révolution ferait évidemment largement disparaître le marché monétaire. Simultanément, la chaîne logistique plus légère serait aussi complètement sécurisée. En particulier il n’y aurait plus de « bank-run » , c’est -à- dire des moments de panique au cours desquels chacun se précipite au guichet pour retrouver son capital. En effet, la banque centrale ne peut connaître, par construction, de risque d’insolvabilité.

Comment, du point de vue des acteurs économiques, un tel dispositif fonctionnerait ?

1 - Une banque centrale assurant le fonctionnement du réseau monétaire.

Toutes les relations des entreprises avec leurs correspondants relèveraient d’un jeu d’écritures entre leurs comptes à la banque centrale et les comptes de tous les correspondants situés eux-mêmes à la dite banque centrale. Chaque écriture se matérialisant par un débit et un crédit d’un même montant au passif de la banque. Cela signifie que la circulation monétaire n’en transforme pas son montant. La nouvelle banque centrale devient ainsi le logisticien unique dans la circulation monétaire. On passe ainsi d’un réseau fragmenté par l’existence d’une pluralité bancaire - une fragmentation risquée en raison de possibles maillons faibles - à un réseau unique et complètement sécurisé. Les titulaires d’un compte à la Banque centrale -en principe tous les acteurs du jeu économique- ne sont plus de simples créanciers pouvant perdre leurs avoirs liquides mais de réels propriétaires. Les droits de propriété sur la monnaie sont enfin garantis.

Au niveau international, la banque centrale gère les entrées et sorties de devises. Elle crédite et débite un compte en devises pour chaque entité et bien évidemment se trouve actrice sur le marché des changes. Le marché monétaire largement disparu au niveau interne reste au niveau externe et donc un marché monétaire entre banques centrales persiste.

2 - Statut des nouvelles banques.

Les banques,, désormais dépourvues de toute responsabilité en matière de logistique monétaire et des coûts correspondants peuvent continuer à développer leurs autres activités donc en particulier les opérations de crédit. Un crédit à un particulier ou entreprise se matérialiserait par un crédit au bénéficiaire sous la forme, d’un abondement sur le compte du particulier ou de l’entreprise figurant au passif de la banque centrale, et d’un débit sur le compte de la banque à la banque centrale. Nous constatons ici que le crédit n’est en aucune façon porteur de création monétaire, ce qui n’est pas le cas des opérations de crédit dans la configuration présente de l’architecture monétaire et financière. Rappelons en effet qu’aujourd’hui, un crédit est un abondement de compte qui se matérialise par une création monétaire. Et cette création monétaire en vue d’un profit (le taux de l’intérêt associé) peut s’opérer tant que la banque responsable du crédit ne se trouve pas gênée par une entrée en déficit permanent vis-à-vis des autres banques sur le marché monétaire. En effet une création monétaire massive de la part d’une banque crée mécaniquement une fuite de monnaie vers d’autres banques (le bénéficiaire du crédit effectue des paiements envers des acteurs disposant de comptes sur d’autres banques). Dans le nouveau dispositif proposé, les banques peuvent consentir  des crédits, mais seulement à partir de leur compte à la banque centrale, un compte qui sera débité pour créditer le compte du client. Bien évidemment, une banque pourrait solliciter un prêt à la banque centrale aux fins d’élargir son activité de distribution de crédits, mais une telle opération est une création monétaire de la banque centrale et non de la banque elle-même. On constate donc que la nouvelle logistique monétaire coupe la fonction bancaire traditionnelle : les banques ne peuvent plus créer de monnaie. La conclusion est donc qu’elles deviennent des établissements financiers comparables aux établissements non bancaires.

3 -  Le Trésor.

Toutes ses opérations figurent sur le bilan de la banque centrale, laquelle crédite les bénéficiaires de la dépense publique et débite les sommes correspondantes sur le compte du Trésor. Si le Trésor s’endette, le montant emprunté sera crédité sur son compte et va correspondre à des débits sur les comptes à la banque centrale de ceux des acteurs qui auront acheté de la dette publique. Sans création monétaire nouvelle par la banque centrale, l’endettement du Trésor correspond à une épargne de la part des autres acteurs. Précisément, comment désormais concevoir la création monétaire ?

4 - La nouvelle création monétaire.

Répétons que la création monétaire est jusqu’à présent le fait des banques et de la banque centrale. Logiquement, elle contribue à développer la croissance  sauf comme ce fut le cas avec les QE   où la monnaie supplémentaire reste stockée dans les systèmes financiers et ne font qu’alimenter une logique de casino.

Si, dans le nouveau système, la banque centrale ne devait pas créer de monnaie la croissance serait freinée par la rareté monétaire. L’expression monétaire de chaque marchandise serait amenée à décroître, d’où un risque de déflation et de thésaurisation : pourquoi acheter et investir dans un monde où les actifs correspondants vont perdre de la valeur ? La banque centrale nouvelle formule se trouverait ainsi chargée d’une croissance de la masse monétaire adaptée à la croissance économique elle-même. N’étant que le grand logisticien de la circulation de la valeur, elle ne pourrait créer de la monnaie pour elle-même et devenir agent investisseur. Il faudrait donc qu’elle abonde les comptes figurant à son passif pour créer de la monnaie et autoriser la croissance. Bien évidemment, le volume créé tient aussi compte des relations économiques internationales, relations  pouvant introduire des fuites de capitaux en cas d’émission excessive.

Bien sûr, la banque centrale pourrait créditer le compte du Trésor, un abondement sans dette correspondante et donc sans charge de la dette pour lui et les contribuables. Bien évidemment un contrôle démocratique doit être mis en place pour éviter tous les opportunismes politiques concernant des dérives vers les facilités monétaires. La règle de base étant que la contribution au Trésor privilégie les seuls investissements collectivement discutés. Une autre règle de base serait que les contributions au trésor soient muselées par la croissance économique réelle.

Dans un cadre semblable, la banque centrale serait autorisée à abonder les comptes des banques classiques. La création de monnaie correspondante au profit du système bancaire se trouverait quantitativement limitée au taux de croissance de l’économie réelle. Et une limitation à l’intérieur d’une fourchette afin d’autoriser des actions de régulation de la conjoncture. Les banques bénéficieraient d’un traitement égal, ce qui veut dire un abondement monétaire proportionnel à la part de marché de chaque banque. Les banques seraient évidemment libres de négocier les prêts avec les demandeurs de crédits. Rationaliser l’infrastructure monétaire n’est pas mettre fin à la concurrence et au libéralisme. Comme RTE (gestionnaire du réseau de transport de l’électricité) dispose du monopole de transport de l’électricité sans mettre fin à la concurrence entre producteurs, la banque centrale disposerait du monopole de transport de la monnaie sans toucher aux règles de la concurrence.

Ajoutons que les banques seraient aussi autorisées à négocier des emprunts auprès de la banque centrale comme auprès de tous les acteurs économiques. La fonction d’intermédiation traditionnelle serait donc garantie.

  1. - Le bilan coût /avantage du modèle proposé.

Il est un coût considérable pour la finance qui verrait une réduction draconienne de son terrain de jeu : impossibilité de transformer le bien commun qu’est la monnaie en matière première privée providentielle et porteuse de profit ; forte limitation du poids de  la gestion de la dette publique, le Trésor pouvant emprunter à la banque centrale, mais pouvant aussi recevoir de la monnaie sans dette. Au-delà, il est évident qu’une partie de la machinerie bancaire deviendrait complètement inutile.  Nous n’entrons pas ici dans le débat sur la banque universelle, mais il est clair qu’une telle transformation y mettrait fin..

Il est un avantage pour les piliers de l’économie réelle : répercussions sur la fiscalité de la baisse du coût des activités du Trésor ; possibilité de financer sans dette la « réparation » de l’environnement : aspect fondamental car il est aujourd’hui impensable de rembourser un capital (coûts de la protection du climat, de l’environnement, etc.) avec les intérêts correspondants alors qu’il n’y a pas de production supplémentaire ; probable diminution globale du coût de l’endettement avec marges de compétitivité plus importantes à l’international, et donc perspectives alléchantes en termes d’IDE.

Il est aussi un avantage pour les ménages : la monnaie figurant sur les comptes bancaires cesse de n’être qu’un créance, toujours porteuse de risque et redevient la pleine propriété de ses détenteurs.

Plus globalement le projet est adaptable aux grands choix sociétaux : il est libéral au sens classique, et il peut devenir l’outil d’un réel interventionnisme…avec le risque qu’un déficit de contrôle démocratique puisse le transformer en un outil du totalitarisme. De ce point de vue, nous recommandons de suivre de près les travaux présents des banques centrales dans le projet MDBC (monnaie digitale de banque centrale).  

Jean Claude Werrebrouck (29 septembre 2023).

Conclusions pour un Rassemblement National au pouvoir:

La reconfiguration proposée dans ce texte déjà ancien, évince le pouvoir de la finance et donc sécurise toutes les politiques publiques imaginables pour redresser le pays. Ce texte est complémentaire de celui déjà rediffusé dans la première partie de notre article. Clairement, les dirigeants du Rassemblement National doivent comprendre que leurs propositions économiques souvent vilipendées par les partis encore au pouvoir aujourd'hui, ne peuvent se déployer dans le cadre du logiciel actuel. Clairement, ils doivent avoir le courage d'expliquer à peine d'être rapidement évincés et de connaître un échec historique. Clairement ils doivent expliquer l'indigence des propositions des divers politiques ou spécialistes que l'on trouve dans la grande presse voire des revues dites sérieuses: verdissement voire démocratisation de la BCE, évincement des investissements climatiques dans le calcul des déficits, mobilisation de l'épargne, création d'un marché financier européen, grand emprunt européen, etc. Mieux, ils peuvent prendre de l'avance sur les projets de monnaie digitale de banques centrales stupidement vantés par les dirigeants des banques centrales qui aujourd'hui semblent vouloir se démarquer du monde financier qu'ils sont censés protéger.

:Note au lecteur: les 2 premières parties que vous venez de lire constituent le socle indispensable à toute volonté sérieuse de reconstruire le pays. Il est, dans les conditions de la France,  un préalable indispensable. Nous publierons ultérieurement (troisième partie, quatrième partie, etc.) des réflexions et conseils plus sectoriels touchant aux politiques publiques. Il s'agira encore de textes récemment publiés et que la grande presse refuse de diffuser. 

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17 mai 2024 5 17 /05 /mai /2024 13:02

Nous publions à partir de ce jour quelques textes de recommandations à l'adresse des dirigeants du Rassemblement National. La prise du pouvoir est aujourd'hui envisageable et nous sommes convaincus que la rencontre avec le réel  sera très difficile.. Les dirigeants actuels risquent de travailler sur une matière première que fondamentalement ils ne connaissent que fort mal. .Les textes susvisés sont déjà accessibles sur le blog et nous les republierons à intervalles réguliers.  Aujourd'hui nous republions un texte diffusé le 1/1/2024.

1 janvier 2024

Nous avons montré dans les articles précédents[1] à quel point les gigantesques défis qui se posent aujourd’hui se heurtent à l’architecture monétaire et financière qui organise le monde. Nous avons également montré à quel point les partis politiques surplombés par ladite architecture étaient tous très éloignés de la simple possibilité d’imaginer des  propositions sérieuses. Nous tentons dans le texte suivant de proposer la colonne vertébrale d’une réponse adaptée à la hauteur des enjeux. De ce point de vue le texte qui suit n’est pas consacré à telle ou telle recommandation de politique publique. Il s’intéresse bien davantage aux fondations qui permettront d’édifier un avenir pour le pays. C’est la raison pour laquelle nous parlons de colonne vertébrale, c’est-à-dire ce sur quoi peut être imaginé un avenir démocratiquement défini. Bien évidemment, le texte n’évoque pas les réformes dites structurelles qui toutes sont des mesures en harmonie avec l’architecture monétaire actuelle et ne font que colmater les effets de l’inévitable entropie vécue par chacun. Le temps présent ne peut plus consister à nettoyer/lisser/perfectionner le terrain de jeu et  doit être désormais consacré au renversement des règles du jeu.

Petit rappel banal :

 Le devoir du politique est de permettre aux générations futures de s’épanouir dans un monde meilleur que celui hérité par ses actuels habitants. Ce n’est évidemment pas reconstruire ce qui existait. Et parce que la vie est porteuse d’une créance de sens, le devoir du politique est aussi celui de proposer un horizon désirable. Redessiner la France aujourd’hui ce n’est donc pas reproduire son passé supposé grand, c’est simplement, compte tenu du passé, la rendre habitable, confortable, et lui donner une signification. Le logiciel politique unique qui consiste depuis plusieurs décennies à  reproduire le présent  sans en saisir son inéluctable entropie doit donc être dépassé[2]. Et même le Nobel Angus Deaton semble aujourd’hui questionner l’entropie dans laquelle nous sommes[3].

Proposition de renversement des règles du jeu monétaire et financier.

1 - On peut certes respecter le cadre budgétaire européen, par exemple voter la loi budgétaire selon les règles du pacte de stabilité et de croissance, mais en même temps reprendre le contrôle de la Banque de France en lui donnant l’ordre (interdit dans le présent cadre) d’effectuer les dépenses décidées par le parlement et l’exécutif. Ce n’est plus la banque centrale qui domine le Trésor et c’est le Trésor qui domine la banque centrale. Dans un tel contexte il n’y a plus à lancer une souscription de bons du Trésor pour alimenter le compte du Trésor à la banque centrale. Le compte est toujours alimenté. Il n’y a plus à se poser la question du taux et des difficultés à placer un emprunt qui n’existe plus. L’Agence France Trésor et sa cohorte de banques spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) peut disparaître.

2 - Le nouveau cadre est un cycle qui, du point de vue du Trésor, commence par une dépense immédiate  suivie d’une recette à venir (impôt et épargne éventuelle transformée en bons du Trésor). Ce nouveau cadre est inversement - du point de vue des bénéficiaires de la dépense ( secteur privé interne et externe) - une recette suivie d’une dépense à venir[4]Le cycle provoque donc mécaniquement une pression déficitaire côté Trésor et une pression excédentaire d’un même montant côté secteur privé interne et externe. Et le moteur du cycle est bien le Trésor. La liquidité du secteur privé est en permanence assurée par le Trésor dans sa dépense. C’est le Trésor qui donne l’ordre d’ouverture du robinet à monnaie, et c’est le même Trésor qui éponge le trop de monnaie en captant l’impôt et le surplus d’épargne. Le Trésor n’attend plus - dans l’angoisse - que le marché veuille bien éponger son déficit. Bienveillant, Il tend désormais la main à ceux qui connaissent un surplus de liquidité et souhaitent acheter des bons du Trésor.  Maintenant passer de l’angoisse à la bienveillance doit aussi correspondre à une modification des prix (le taux de l’intérêt) : le Trésor est moins soumis aux prix de marché et plus décideur de la rémunération qu’il va consentir. Nous ne sommes plus dans le même monde.

Les conséquences du renversement

Dans le cadre de la zone euro un tel système qui se mettrait en place en France développerait, en principe, les situations et effets suivants :

1 - Il y a tout d’abord un risque inflationniste si le moteur du cycle s’emballe et finit par produire plus de monnaie (dépense) qu’il n’en retire (impôts et bons du Trésor). La différence devenant déficit public trop important eu égard à une faiblesse des capacités matérielles propres à redessiner le pays. Ce risque doit être politiquement contrôlé sur la base d’une autorisation de création monétaire par les instances démocratiques.

2 - Il y a ensuite un risque extérieur se matérialisant par une relance…à l’étranger : la compétitivité française est trop faible et les intrants de la reconstruction sont importés massivement (pensons à la relance Mitterrand de 1981/1982).

3 - Ce second risque serait en principe très amorti en régime de taux de change flottants : le cours de la devise nationale fléchirait ce qui rendrait l’économie nationale plus compétitive, et donc l’excédent du secteur privé externe serait limité.

4 - Cette fuite très limitée au profit dudit secteur ne l’est plus avec le taux de change fixe existant à l’intérieur de la zone euro. La France ne peut pas dévaluer vis-à-vis de l’Allemagne. Dans ces conditions cela signifie la possibilité d’un « déficit sans pleurs » pour la France. La hausse de la dépense publique, imposée à une banque de France devenue obéissante, transforme le pays en passager clandestin de la zone euro.  On peut même penser que le destin de la France serait celui d’un rentier de la zone euro. Les dépenses publiques croissantes effectuées par la banque de France nourrissent un flux croissant d’importations, marchandises produites dans le reste de la zone et consommées en France. On serait très loin d’une restructuration du pays, de la reconstruction du lien social, de son autonomie, etc. Une telle situation de passager clandestin, pourrait faire des émules et pourrait aboutir à un effondrement généralisé.

5 - Cette situation nous permet de mieux comprendre la logique institutionnelle européenne qui interdit toute tentative de clandestinité : Bruxelles ne peut accepter la production de monnaie par un Etat et   va par conséquent devoir mobiliser des centaines de fonctionnaires, d’abord pour vérifier que la banque centrale est réellement indépendante, ensuite  pour élaborer, mettre en œuvre et surveiller un pacte de responsabilité budgétaire….dont la complexité aux dires des dits fonctionnaires  s’ajoute à l’imprécision du langage adopté : que signifie réellement un déséquilibre « structurel » ? De la même façon le « Next generation EU », ou plan européen de relance de 2021 (807 milliards d’euros) ne correspond qu’à de nouvelles dettes et n’apporte aucune solution au regard des enjeux. Il s’agit toujours en effet de procéder par la seule logique de l’endettement.

6 - Une façon de retrouver la souveraineté pour redessiner le pays serait donc de passer de l’équilibre budgétaire à l’équilibre des comptes extérieurs. Simplement, il s’agit d’éviter la fuite et faire en sorte que la dépense publique, nourrie par création monétaire, soit effectivement mobilisée pour redessiner le pays. Cela suppose évidemment des mesures techniques empêchant le déséquilibre sur les diverses balances du compte extérieur : taxation des importations, quotas, restrictions à la circulation du capital, etc. Toutes mesures interdites dans le cadre bruxellois.

7 – Cette dernière solution est pourtant probablement la meilleure en ce que bien menée elle pourrait ne pas briser l’édifice européen. Tout d’abord si elle était décidée par la France, il est très probable qu’elle développerait un processus d’imitation. Elle présente en effet un certain nombre de qualités : elle s’annonce responsable en ce sens qu’on refuse clairement le statut de passager clandestin[5] ; elle ne met pas en cause l’euro comme monnaie unique et donc ne met pas fondamentalement en cause le projet européen ; elle autorise des dynamiques nationales qui s’ajoutent et donc globalement la fin des restrictions budgétaires qui elles aussi se sont imposées à tous et ont provoqué un décrochage de la zone par rapport aux autres régions du monde (croissance de 19,2% depuis 2017 aux USA contre seulement 7,6% dans la zone euro). Reste à convaincre en expliquant le plus honnêtement possible.

Les résultats attendus

Les points susvisés méritent quelques explications et précisions :

1 - Il faut tout d’abord bien comprendre que le taux de change de 1 contre 1 à l’intérieur de la zone euro (l’euro n’est convertible qu’en lui-même) est le moteur de l’attrition européenne au regard du reste du monde. Si l’on se borne au cas franco-allemand, le déséquilibre extérieur France/Allemagne est porteur d’une attrition et pour la France et pour l’Allemagne. Parce que la France dispose d’un euro largement surévalué, le taux de change lui garantit un déséquilibre commercial abyssal (191 milliards d’euros pour 2022). Celui signifie une production nationale perdue pour un même montant (les français « mangent » un revenu qui n’est pas produit). De façon très approximative cette production perdue ou sous production correspond à 7,5% du PIB, et un peu plus de 2 millions d’emplois.

Parallèlement, parce que l’Allemagne disposait jusqu’ici d’un euro largement sous-évalué, elle disposait d’un excédent commercial considérable la conduisant à une stratégie mercantiliste qui commence à être dénoncée. Elle maintient une épargne considérable qui aurait pu être transformée en dépenses nécessaires (infrastructures délabrées, retraites insuffisantes, etc.). Globalement l’Allemagne pouvait mieux dépenser et la France pouvait davantage produire. Le déséquilibre franco/allemand est donc porteur d’un déficit de croissance globale. Si les taux de change pouvaient être modifiés et si donc un euro français pouvait moins valoir qu’un euro allemand, la croissance allemande serait moins mercantile et la croissance française serait plus élevée. Le raisonnement peut être généralisé à l’ensemble de la zone euro et donc si cette dernière reste à la traîne du reste du monde c’est en raison de la fixité du taux de change infra-zone.

Il est donc urgent d’inventer un dispositif permettant de retrouver les capacités productives de tous les pays à déficit commercial. Le gain de croissance collective de la zone permettra en retour un taux de change plus faible de l’euro au regard des autres devises. Taux de change allant donc dans le sens de la fin des excédents considérables de la zone avec le reste du monde. Observons toutefois que ce raisonnement est quelque peu biaisé par le fait que les contraintes qui s’exerceraient pour la construction d’un équilibre extérieur sont des gains à l’échange contrariés et donc le gain de croissance global reste sans doute difficile à évaluer.

2 - Globalement le passage de la « surveillance » des budgets publics (la monnaie est contrôlée par la finance) à celle de la « surveillance » des comptes extérieurs (la monnaie est émise par l’Etat) passe par une collaboration d’abord bilatérale mais probablement rapidement multilatérale entre pays déficitaires et pays excédentaires. Par exemple, l’Allemagne désormais bloquée dans sa trajectoire mercantile (problème des sanctions pour la Russie, keynésianisme stratégique américain, réduction du débouché chinois) pourra éviter le chômage français en relançant la consommation voire l’investissement interne…tout en évitant son propre chômage. La France en bénéficiera mécaniquement (moins d’exportations allemandes vers le reste du monde contre plus d’importations en provenance de la France), mais bien évidemment il lui faudra travailler sa compétitivité extérieure, d’abord sans doute par des mesures restrictives mais aussi en mobilisant les opportunités offertes par une monnaie émise par l’Etat. Ces opportunités ne sont pas négligeables et correspondent aux sommes mobilisées improductivement aujourd’hui au titre de la charge de la dette publique (55 milliards d’euros pour la France en 2023). Ces sommes deviennent des outils de compensation des inconvénients créés par une monnaie unique inadaptée et par définition inutilisable pour la maitrise des taux de change. Le maintien de la monnaie unique a un prix qu’il faut hélas payer. A terme, l’ensemble de la zone verra ses forces d’attrition se relâcher par une dépréciation globale de l’euro vis- à- vis du reste du monde.

3 - Mécaniquement le primat de la monnaie, simple marchandise émise par les banques, devait progressivement imposer la fin du bilatéralisme et l’imposition d’un ordre multilatéral contrôlé par la finance et assurant la fin des souverainetés. Cette fin des souverainetés devait être garantie par l’indépendance des banques centrales qui elles-mêmes devenaient le support d’un ordre multilatéral. Sans cette garantie la finance ne pouvait s’étendre. L’ordre interne, c’est -à-dire le budget, est surveillé, tandis que les frontières doivent disparaître : il n’y a pas à s’occuper de l’équilibre des comptes extérieurs. Notons que ce raisonnement se vérifie dans la pratique de l’agenda des fonctionnaires bruxellois : les budgets sont dans le champ des radars et les comptes extérieurs y échappent.

Tout aussi mécaniquement le primat d’une monnaie émise par l’Etat renverse les choses : l’ordre interne, c’est -à-dire le budget cesse d’être surveillé, et les frontières font l’objet d’une grande attention. Le retour de la souveraineté ne peut accepter celle des banques centrales qui doivent impérativement se contenter d’obéir et de faire respecter le politique retrouvé dans le système financier. Les banques centrales qui, partout dans le monde furent historiquement les enfants des Etats, doivent après leur grande fugue mondialiste revenir à la maison.

4 - Globalement l’objectif d’un équilibre des échanges extérieurs est favorable à l’élaboration de stratégies coopératives entre Etats. La lutte pour l’équilibre est affaire de discussions entre le déficitaire et l’excédentaire, ce dernier se devant de prendre sa part de responsabilité. A l’inverse dans le cadre actuel, l’Allemagne n’a aucun intérêt à ne pas maximiser sa « rente de taux de change » en adoptant une stratégie ouvertement mercantiliste et peu coopérative.  Alors que les présentes règles sur le budget sont l’affaire de chacun pour plus de compétitivité, la règle de l’équilibre extérieur est ouvertement coopérative. Notons que cette coopération est aussi ce qui faciliterait l’émergence d’une union des marchés de capitaux (UMC).

5 - L’ordre multilatéral n’est pas incompatible avec le retour des souverainetés. L’équilibre des comptes ext[JW1] érieurs est  un objectif de négociation qui peut commencer avec une offre politique nouvelle, celle du pays qui aura, le premier décidé, de retrouver sa capacité à produire de la monnaie. Le début du processus peut être d’ordre bilatéral, mais il devrait par imitation reproduire un ordre multilatéral : La mondialisation devient une « association d’Etats souverains » si possible démocratiques. Elle cesse d’être un liquide noyant les Etats qui ne savent pas nager pour cause d’amputation monétaire.

6 - Le processus de transformation de la monnaie marchandise en monnaie politique participe à l’engendrement d’un ordre sociétal nouveau. Dans le paradigme de la monnaie marchandise il y a en devenir la fin des souverainetés, la mondialisation et l’affaissement des nations : les droits de l’homme enflent et deviennent un fleuve en crue noyant les droits et devoirs du citoyen. Dans le paradigme de la monnaie politique, les droits de l’homme retrouvent leur lit et les droits et devoirs du citoyen ne sont plus dévalorisés.

7 – Il est donc clair que la prise en charge sérieuse de l’avenir ne laisse qu’une place limitée aux partis de la droite traditionnelle qui se sont contentés de se lover dans ce qu’on appelle le néolibéralisme ou l’ordo-libéralisme. Il ne laisse guère non plus de place aux partis dits de gauche qui, ayant abandonné le champ des luttes économiques, se sont reconvertis dans celles qui affaissaient la citoyenneté. A leur décharge, reconnaissons qu’ils furent tous endoctrinés par les discours normatifs des économistes en difficulté avec la lecture du réel. Des économistes qui ne semblent pas connaître de révolution copernicienne et qui n’ont pas l’humilité des astrophysiciens, testant/contestant en permanence les modèles au regard des réalités qu’ils découvrent.  Redevenir sérieux ne consiste pas à construire des programmes détaillés à vendre sur des marchés politiques. Redevenir sérieux c’est d’abord observer et lire les faits en tentant de les rendre intelligibles aux fins de proposer un avenir désirable. Il est grand temps de voir les partis s’atteler à cet exercice plus difficile que celui de la communication.

Conclusion :

1 - Le scénario proposé avait aussi pour objet de répondre à la très  grande complexité de notre monde : climat, environnement, démondialisation ou « grande fragmentation », déchirures sociales, guerres de grande intensité. Nous avons tenté de montrer que cette complexité se traduit par une gigantesque montée des coûts de la production/protection d’un monde habitable. Et une montée des coûts qui ne peuvent plus être couverts par de la dette[6].

2 - Parce que le danger de réécriture d’un nouvel ordre est considérable dans le présent contexte, le scenario proposé reste modeste et tente d’apporter des solutions sans déchirures trop graves de l’ordre ancien. Ainsi Le contexte géopolitique ne peut nous autoriser la contestation trop radicale de l’ordre européen. D’où l’acceptation d’une monnaie unique certes très couteuse mais en même temps  symbole d’un rassemblement. On peut certes réduire le poids de la finance et faire disparaître la dette publique mais il nous semble très difficile d’aller plus loin. D’où aussi le maintien d’un authentique libéralisme qui autorise néanmoins le passage vers moins de compétition et davantage de coopération.

Nous n’avons évidemment pas abordé toutes les questions et certaines d’entre-elles ont déjà été partiellement évoquées dans l’article du 18 décembre : « la reconstruction passe par une bonne dose de dé financiarisation »[7]. Nous n’avons pas non plus traité de façon détaillée  la question de la création monétaire par l’Etat : faut-il passer à la monnaie numérique de banques centrales ? faut-il interdire la création monétaire par les banques ? etc. Ce qui nous renvoie à d’autres textes déjà publiés, notamment celui du 20 octobre dernier : « Reconstruire le système bancaire »[8] ou celui du 1er octobre : « Politique publique : entre la dette et le climat, il faut choisir »[9]. Notons enfin que les nouvelles technologies monétaires peuvent aider à l’émergence du scénario proposé.[10]

3 - Il existe présentement une conjoncture favorable à ce que la France se lance dans un tel scénario. D’abord une prise de conscience d’effets cumulés devenus insupportablement lourds :  prise de conscience que le pays est désormais le plus désindustrialisé de toute l’Europe, prise de conscience de déficits jumeaux (budget/ balance commerciale) parmi les plus lourds de toute l’Europe, prise de conscience d’un stock de dettes publiques le plus élevé de toute l’Europe. Le moment est donc venu d’un nécessaire changement de paradigme.

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                          

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10 mai 2024 5 10 /05 /mai /2024 07:10

A un moment où les prix de l’énergie à l’échelle planétaire laissent hors course une Europe qui prend conscience de son handicap au regard des grands ensembles géopolitiques, il est intéressant d’examiner la position du Rassemblement National.

Il nous faut tout d’abord, au regard de l’extrême complexité de l’économie de l’énergie tenter de simplifier et donner au grand public accès à la réalité du problème.

Les spécificités de l’énergie en général et de l’électricité en particulier.

1 - D’une manière générale ce qu’on appelle économie n’est rien d’autre que de l’énergie transformée : Quelle que soit l’activité ou la spécialisation, rien ne peut se faire sans appel à l’énergie, ce qui potentiellement lui donne un statut d’universel comme l’est un bien public.

2 - L’électricité est la forme d’énergie qui devient quasi hégémonique : il s’agit d’une forme secondaire connaissant une très forte croissance issue de la transformation d’une énergie dite primaire.

3 - L’électricité devient ainsi potentiellement un bien public sous forme de réseau comme il existe un réseau routier, monétaire, ou ferroviaire.

4 - Simultanément cette énergie présente des caractéristiques très spécifiques : homogénéité (un KWH est partout un KWH), et non stockabilité (il faut produire et répondre de façon instantanée qualitativement et quantitativement à l’appel). Ces caractéristiques ne se retrouvent pas dans les biens marchands classiques.

Les modèles d’organisation de l’infrastructure électricité.

En simplifiant on peut retenir plusieurs types d’organisation de l’infrastructure électrique :

1 - auto production et autoconsommation (exemple : maison ou usine avec éolienne) ;

2 - réseau local ou régional de production et consommation (exemple : France d’avant la nationalisation de 1945) ;

3 - réseau organisé en marché (exemple : France d’aujourd’hui avec de nombreux offreurs et une infrastructure interconnectée nationalement et internationalement) ;

4 - réseau interconnecté et monopole de la production (exemple : France de 1945 jusqu’à la naissance d’un marché de l’électricité au début des années 2000).

La réalité est plus complexe encore et correspond parfois à une combinaison ou articulation de plusieurs types d’organisation.

Du point de vue politique, mais aussi du point de vue technologique, la question est de savoir quel modèle organisationnel il convient de retenir. C’est sans doute la question que semble aborder le Rassemblement National et ce, en rupture avec la présente organisation d’inspiration européenne. Curieusement, très peu de candidats aux élections européennes s’intéressent à la question essentielle de l’électricité.

Les déterminants d’un choix de modèle organisationnel

1 - Auto production et auto consommation ne semblent pas devoir poser de problème sauf à imaginer un raccordement à un réseau plus large pour gérer les excédents et déficits inhérents au dispositif. On peut d’ailleurs raisonnablement penser qu’il s’agit d’un modèle d’avenir en raison des techniques nouvelles qui posent de manière centrale la question de l’intermittence (solaire/éolien).

2 - Les réseaux locaux et régionaux sont économiquement dépassés puisqu’ils supposent des coûts anormalement élevés. Sans interconnexion large, chaque pôle doit être équipé pour les dates  de pic de consommation, ce qui suppose des capacités globales excédentaires et donc des coûts qui, à l’échelle macroéconomique, sont excessifs. L’infrastructure électrique du pays ne permet pas d’ approvisionner ce dernier de façon efficiente. Certes, on peut imaginer des contrats d’effacement pour libérer des capacités mais le jeu est trop limité. En clair, si les partis politiques travaillent pour un intérêt général, ils doivent s’éloigner de ce type organisationnel. On notera que c’est pourtant ce qui existait naguère dans nombre de pays dont la France d’avant EDF.

3 - Le réseau large, donc interconnecté à l’échelle nationale et internationale et surtout organisé en marché, correspond à la réalité européenne d’aujourd’hui. C’est ce type d’organisation que le Rassemblement National semble vouloir mettre en cause. S’il existe un vrai marché pour cette marchandise non stockable qu’est l’électricité, cela suppose que des entreprises contractent des accords afin de permettre le bon approvisionnement sans gaspillage de ressources. Ces accords doivent bien sûr se négocier autour d’un indicateur qui ne peut-être qu’un prix. Telle entreprise ne produit pas assez pour satisfaire ses clients et doit par conséquent trouver une entreprise sœur/concurrente qui accepte de lui fournir de l’électricité. Symétriquement, telle autre entreprise se trouve en excédent et essuie des pertes si elle ne trouve pas une entreprise sœur/concurrente qui lui achète ledit excédent. A quel prix doit se fixer la transaction ? L’entreprise excédentaire risque une perte marginale correspondant au coût de l’électricité potentiellement gaspillée si aucun acheteur ne se présente. L’entreprise déficitaire risque une perte marginale correspondant aux recettes sur clients qui, au final, ne paieront pas s’ils ne sont pas approvisionnés en électricité. Ce petit raisonnement nous permet de comprendre deux choses : La première est que ce qu’on appelle prix de l’électricité doit tourner autour du coût marginal. La seconde est que la puissance publique doit intervenir pour surveiller la réalité des transactions et garantir que le réseau ne dysfonctionne pas. Si l’électricité est un bien public, il faut surveiller un marché qui risque de ne pas fonctionner en cas de désaccords entre les entreprises offreuses d’électricité, toutes handicapées par la grave question de non stockabilité de la marchandise. La réalité est d’autant plus complexe s’il existe une volonté politique d’imposer la décarbonation par le biais d’un usage massif des techniques porteuses d’intermittence (éolien et solaire). Dans ce cas, il faut imposer une priorité à l’énergie intermittente ce qui suppose des pertes marginales des autres producteurs et imposent un surdimensionnement de l’ensemble de l’infrastructure. Ce type d’organisation est extrêmement complexe puisque les entreprises fournisseuses d’électricité sont à la fois isolées et en concurrence… et en même temps ont besoin de coopérer. D’où deux séries de prix qui matérialisent, l’un le mode de coopération totalement décentralisé pour accéder à la matière première, l’autre qui matérialise la concurrence au niveau de l’accès au consommateur final. On comprend que ce modèle d’organisation repose aussi sur la financiarisation : face à un modèle aussi risqué le recours à des bourses et produits de couvertures s’impose.   Au total, rien ne permet de dire que l’infrastructure qui ravitaille l’ensemble est optimale. D’où une bureaucratie de marché inhérente au modèle d’organisation retenu. Pour mieux percevoir l’étrangeté d’un tel modèle, il suffit de le comparer à un modèle classique par exemple celui de l’automobile. Pourrait on imaginer qu’une production de voitures en quantité insuffisante par rapport à la demande s’adressant à un producteur puisse être compensée par l’achat d’un excédent de voitures produites par un autre en vue de les céder aux clients finaux ?  Peut-on penser que Citroën - incapable de livrer les voitures achetées - demande à Renault de lui fournir des voitures excédentaires qu’il pourra livrer à ses propres clients ? Dans les marchés classiques, la régulation se fait par les prix et les stocks et surtout les marchandises ne sont pas homogènes, ce qui n’est pas le cas de l’électricité. N’entrons pas dans le détail de ce labyrinthe mais signalons que l’Etat français sera dans le cadre européen amené à ajouter une couche de complexité en détruisant le monopole public EDF et ce dans le cadre d’une belle unanimité des marchés politiques : fin du monopole (Chirac/Jospin) ; création d’une ponction permanente par le biais de l’ARENH laquelle permettra  de financer des concurrents qui ne produisent pas et se contentent de spéculer (Sarkozy) ; fermeture programmée de centrales (Hollande/Macron). De quoi détruire un outil de production avec savoirs et savoirs faire pour le faire entrer dans le marché. De quoi aussi ajouter à la bureaucratie de marché.

Dans ce type d’organisation très complexe si une crise d’offre se produit, le coût marginal peut se développer sans limite et ne plus correspondre à la réalité des coûts. C’est ce qui s’est passé avec la crise ukrainienne et la fin du gaz russe : globalement les entreprises se trouvent très nombreuses à être en déficit de production et donc les prix peuvent exploser. En même temps, les Etats qui ne peuvent que s’inquiéter de la nature bien public de l’électricité, ne peuvent en aucune façon maitriser les prix. Ils ajouteront à la complexité en inventant des boucliers tarifaires.                                                                                                                                                                                                                                                                     

4 - Le réseau interconnecté assorti d’un monopole de l’offre est le dernier dispositif organisationnel que nous avons mentionné. Il correspond à la situation de la France avant le passage au marché que nous venons très brièvement de déchiffrer. Ici il n’y a qu’un producteur (EDF) qui garantit une production adaptée aux fluctuations de la demande d’électricité. Disposant de plusieurs centaines d’unités de production dont les coûts d’exploitation sont divers, le monopoleur s’engage auprès de ses clients en activant les unités les moins coûteuses pour ne mettre en activité les plus coûteuses qu’aux pics de la demande. Avec l’interconnexion croissante au niveau européen, EDF peut encore compter sur des producteurs étrangers et ainsi comparer le coût marginal français et le coût européen. Si EDF se comportait en monopoleur privé, il pourrait fixer un prix égal au coût marginal croissant. Sans davantage préciser sa politique tarifaire, EDF n’a jamais récupéré de rente de monopole et pouvait essuyer des pertes marginales (coûts sur les dernières unités supérieurs au prix de vente) en les finançant sur les gains infra marginaux. Le plus important est ici de comprendre qu’EDF est totalement maître du jeu et ne fait pas négocier ses unités de production pour faire naître un prix comme dans le cas antérieur. La coopération entre les unités de production ne passe pas par le marché avec construction d’un prix, mais par une autorité chargée d’optimiser les coûts à tout instant. Clairement, il n’y a pas de marché de l’électricité et il n’y a pas à craindre d’accident de marché à surveiller par le biais d’une bureaucratie. Tout aussi clairement EDF peut pratiquer des prix proches des coûts de production, ce qui n’est pas le cas dans le modèle de marché qui doit suivre les coûts marginaux. Ce modèle fait de la centralité une souplesse alors que le modèle de marché développe incertitude et bureaucratie. Globalement, le Rassemblement National a raison de dire que sans le marché il eut été possible de ravitailler la France à des prix plus réduits lors de la crise russe.

Ce que devrait dire le Rassemblement National.

Pour autant, en hésitant sur l’idée de contrôle des prix, de mise à l’index d’un marché de l’électricité voire de retour au monopole public, le Rassemblement National révèle sa relative méconnaissance de la réalité. De ce point de vue on ne saurait trop le critiquer tant il est vrai que cette méconnaissance est répandue. D’un point de vue pratique éclairer les électeurs suppose plusieurs points à aborder :

1 - Reconnaître une responsabilité collective de destruction partagée d’un modèle qui assurait une partie de l’excellence française.

2 - Bien expliquer les énormes dysfonctionnements et difficultés de la réalité présente.

3 - Reconnaître que la reconstruction du monopole ne sera pas simple en raison d’une destruction programmée depuis près de 25 années.

4 - Ne pas attaquer le marché européen mais s’en séparer progressivement en maintenant voire en enrichissant les interconnexions qui permettent l’optimisation d’une infrastructure globale.

5 - Acheter et vendre à l’international au prix de marché par le seul EDF, les avantages et inconvénients très fortement liés à la décarbonation porteuse d’un accroissement de l’intermittence vont se poursuivre.

6 - Proposer la disparition des fausses entreprises fournisseuses d’électricité gavées à l’ARENH. Reconnaitre que cela posera des problèmes spécifiques pour Total Energie et ENGIE et que des négociations devront être conduites pour trouver une solution pour ces entreprises.

7 - Reconnaître qu’il faudra du temps pour faire rejoindre le prix de l’électricité sur le coût de production : reconstruire l’outil de production sur une base élargie ne sera pas simple et il faudra encore faire  gérer par EDF les difficultés liées à la situation géopolitique du monde sur de nombreuses années.

              

                                                                                                       Jean Claude Werrebrouck

 

 

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29 avril 2024 1 29 /04 /avril /2024 04:34

Le texte qui suit concerne l’avenir de la médecine non pas en termes médicaux mais en termes de dispositifs organisationnels de production de la santé. Quel type institutionnel et organisationnel verra le jour - toutes choses égales par ailleurs - dans les prochaines années ?

 Le lecteur pressé pourra ne  lire que la dernière rubrique : « ce qu’il faut retenir ».

Quelques notions singulières pour éclairer le paradigme médical.

La médecine est tout d’abord une production de soins intégrables dans ce qu’on appelle le coût de la vie. Dans un idéal capitaliste tel que Marx l’avait imaginé, c’est l’importance des dépenses des salariés qui correspond à ce coût de la vie. A l’époque moderne ces dépenses sont effectuées dans des entreprises où le salarié achète ses biens de subsistance et donc des biens qui selon le langage de Marx vont assurer la « reproduction de sa force de travail ». Toujours selon le langage de Marx, les biens correspondants sont appelés « biens salaires » et correspondent au « coût de la reproduction de la force de travail ». Très simplement si les prix des « biens salaires » augmentent, le coût de la vie augmente et en toute logique les salaires doivent augmenter. Tout aussi simplement si les « biens salaires » sont produits dans des conditions d’efficience croissante, ce qu’on appelle gains de productivité, les prix doivent logiquement diminuer, donc aussi le coût de la vie et donc tout aussi logiquement les salaires.

Ce qui a fait historiquement le succès du capitalisme est précisément cette capacité à l’efficience croissante qui a permis en longue période une baisse de valeur de tous les biens nécessaires à la reproduction de la vie qui, associée à des salaires qui ne vont pas baisser dans les mêmes proportions, vont permettre ce que Marx appelait « l’embourgeoisement de la classe ouvrière ». Parmi ces « biens salaires » il y a eu une place croissante pour les produits et services de santé. De façon un peu savante on dira que les dépenses de santé font partie du coût de la reproduction de la force de travail. Et si en capitalisme moderne ce coût est mutualisé au niveau de la puissance publique, on comprendra qu’il est surveillé voire contraint.

Historiquement, le capitalisme génère l’établissement et la généralisation du salariat : les travailleurs de naguère qui maitrisaient leur outil de production, terre, outils de l’agriculture  et de l’artisanat, deviennent des salariés c’est à dire des personnes obligées de se vendre à d’autres personnes qui elles maitrisent les outils nouveaux de production (machines de l’industrie). C’est ce que, en capitalisme, Marx appelait le processus de séparation des travailleurs de leurs outils de production.

Tout aussi historiquement le capitalisme occidental n’a fait que générer d’énormes gains de productivité dans les branches assurant la reproduction de la vie , y compris en utilisant un recours massif à des externalités (la mondialisation) permettant d’utiliser une force de travail dont le coût de la vie était beaucoup plus faible. D’où cette anomalie que nous vivons aujoud’hui, c’est à  dire un Occident qui utilise massivement des importations d’un « sud global» pour reproduire la vie de ses salariés. Nous avons déjà noté ce fait dans un article précédent[1] en précisant que mêmes les produits vivriers (agriculture) devaient être de plus en plus importés pour faire face à l’abandon programmé de cette même agriculture. On pourrait en dire autant des produits médicaux, ces « biens salaires » que l’occident ne produit plus car ils permettent de baisser le coût de la reproduction de la force de travail occidentale : principes actifs, antibiotiques, masques, etc. Même cette catégorie de « biens salaires » voit sa production déléguée au « sud global ».

Et la médecine dans tout cela ?

Dans ce vaste mouvement historique qu’en est-il de la médecine ? Pendant très longtemps, les médecins furent des artisans maitrisant leur outil de production au service de la vie des nouveaux salariés du capitalisme naissant. Leur service assurant la vie (et son coût) était très limité quantitativement. Ainsi même en capitalisme déjà affirmé et développé il n’y avait en France que 119 « médecins artisans » pour 100000 salariés en 1968, alors qu’il en existe aujourd’hui 318. L’outil de production correspondant était lui-même relativement limité ( peu d’analyses, peu de chirurgie, peu d’imagerie, etc.) et, en dehors de l’hôpital,  l’outil restait la propriété du « médecin artisan ». Comme jadis pour l’artisan tisseur ou fileur.

Logiquement si la santé est un « bien salaire » comme les autres, il devrait, comme les autres, devenir un bien produit dans l’ordre organisationnel capitaliste. Un ordre assurant par le biais de technologies sans cesse plus efficientes une reproduction de la vie de plus en plus rationnelle et efficiente. Tout aussi logiquement il faudrait donc s’attendre à ce que l’ordre artisanal médical disparaisse comme l’ordre artisanal classique devait disparaître au 19ème siècle. Cela signifie aussi, comme au 19ème siècle, la séparation des médecins de leur outil de production et le passage au salariat classique de la grande industrie moderne.

Les choses sont pourtant beaucoup plus complexes et si en longue période les effectifs des artisans classiques se sont effondrés alors que ceux des « artisans médecins » se sont accrus c’est en raison de la nature réelle et symbolique du travail de soins. Les médecins et leurs patients se sont toujours considérés en dehors du champ de l’économicité et sont restés des résistants. Une résistance qui, touchant l’ordre politique, s’est matérialisée par une association privé/public qui existe encore. Même dans l’ordre capitaliste établi, il existe un statut du médecin, lui-même engendré par une réglementation stricte. En France, l’exercice de la médecine est très encadrée et les médecins - mêmes ceux juridiquement salariés dans les hôpitaux - ne se considèrent pas comme des cadres de l’industrie. La rémunération est elle-même assurée par la puissance publique, ce qui nous éloigne de la logique du marché. Mieux, les médecins se sont battus pour construire une rente de monopole, ce qu’ils ont obtenus en 1972 avec l’introduction d’un numerus clausus au titre des études de médecine. Cette rente de monopole, si elle existe, mérite élucidation.

La construction politique d’une rente de rareté médicale.

Dans la théorie économique classique, on parle de rente de monopole lorsqu’une asymétrie de marché se construit autour d’une insuffisance de l’offre par rapport à la demande. Dans ce cas, un offreur (ou plusieurs qui se regroupent) obtiennent sur le marché un surprofit par rapport à celui qui se manifesterait sur un marché classique. Le surprofit devient ainsi une rente de rareté. Dans le cas de la santé, cela supposerait une offre insuffisante de services de médecins par rapport à une demande de patients. Or, de ce point de vue, il n’y aurait  pas eu, au moins jusqu’à une date récente, de rareté médicale en France. Ainsi les quelques doyens de faculté de médecine qui considèrent qu’il ne faut pas faire disparaître le numerus clausus ont raison de souligner que le nombre de médecins s’est considérablement accru[2]. Répétons les chiffres :119 médecins pour 100000 habitants en 1968 contre 318 en 2020. Par contre, ces adeptes du monopole que sont certains doyens oublient de signaler que la demande de soins s’est considérablement développée : les dépenses de santé sont ainsi passées de 2% du PIB dans les années cinquante à plus de 12% aujourd’hui, ce qui est un signe parmi d’autres de ce que Marx appelait « l ’embourgeoisement de la classe ouvrière ». Clairement la « reproduction de la force de travail » exige aujourd’hui un panier de « biens salaires » beaucoup plus lourd et complexe que dans les années 50. Si l’on compare ainsi les chiffres de la quantité de soins demandés par rapport à l’offre médicale en tant que force de travail déployée à l’entretien de la vie, il y a bien eu irruption d’une pénurie politiquement programmée dans le dispositif du numerus clausus. Alors que les dépenses de santé vont dans les années 70 se déployer à un rythme de 10% l’an, le numerus clausus va fondre : 8588 places  en 1972,  6423 en 1981,  4000 en 1990 ,3850 en 2000[3]. De quoi voir des présidents d’Universités et des doyens devenir acteurs/spectateurs de facultés de médecine fonctionnant à rendements décroissants : plus de moyens contre moins de production et ce depuis cinquante ans…Nous sommes très loin de la proposition d’un premier ministre qui fixe à 17000 le nombre de places en seconde année pour l’année 2025… Bien sûr on peut penser que les coûts du service de soins augmentent avec leur qualité, toutefois nous étions dans une période où la population s’accroissait et vieillissait. Il y a donc bien eu un effort politique de construction d’une rente de rareté : blocage à terme de l’offre contre augmentation de la demande. Effort politique qui, semble-t-il, n’est pas terminé si l’on entend certains doyens peu attirés par des flux considérables d’étudiants en seconde année.

La dissipation de la rente de rareté médicale.

Restés globalement artisans sous tutelle administrative, les médecins n’ont pourtant pu bénéficier de la rente de rareté. Probablement co-auteurs de la construction de la rente avec les entrepreneurs politiques, ils n’ont pu obtenir le surprofit de rareté en raison d’un blocage des revenus administrativement fixés. Ce n’est pas le marché qui fixe le tarif de la consultation mais une décision politique. En même temps une autre décision politique fixe un prix proche de zéro au titre de « l’achat » de la consommation de soins. Il en résulte logiquement un étranglement avec une demande qui tend vers l’illimité et une offre bloquée : le temps de consultation ne peut que diminuer (16 minutes aujourd’hui) et les dépenses en termes de produits médicaux augmenter. Par effet de diffusion, la rente de rareté se dissipe sur les marchés financiers, d’abord  par le vecteur des déficits publics  qui, eux-mêmes, deviendront objets de rémunération financière. Le jeu de la collaboration privé/public est difficile et dès qu’il y a construction d’une rente de rareté il est très difficile d’empêcher son voyage jusqu’aux marchés financiers.

Le passage au capitalisme de l’industrie du soin.

Il n’y avait aucune raison que le statut « d’artisan médecin » ne se transforme pas en statut de salarié de la grande entreprise médicale. C’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui avec toutefois le même paradigme de l’association privé/public.

Il y avait  déjà des médecins salariés dans cette grande entreprise qu’était l’hôpital. Mais ces médecins en question ne se sont jamais sentis salariés et ont parfois pu négocier la rente de rareté avec l’autorité administrative : refus d’une intégration au premier échelon du statut pour les jeunes médecins, refus net du salariat et négociations d’une intermittence avantageuse, etc. Culturellement, ils ne sont jamais devenus des cadres d’entreprise et ont toujours contesté un ordre organisationnel et la rareté de l’outil de travail dont le volume était politiquement fixé.

 La finance de marché soucieuse de valorisation vient ainsi depuis quelques années proposer un autre paradigme. Profitant du fait que la médecine nouvelle exige une énorme consommation de capital (l’outil de production est devenu très sophistiqué et très couteux) et capital que peu « d’artisans médecins » peuvent rassembler, il devient logique de passer au capitalisme financiarisé que l’on trouve dans nombre de branches industrielles classiques. Près de deux siècles après la première révolution industrielle, les « artisans médecins » vont se voir séparés de leur outil de production et devenir, pense-t-on, de véritables cadres d’entreprises médicales. Les soins médicaux sont devenus des « biens salaires » comme les autres et comme les autres ils doivent être produits selon une efficience croissante. Et il est vrai que les nouvelles technologies permettent des gains gigantesques d’efficience (pensons par exemple à la greffe de l’intelligence artificielle sur les gros outils de diagnostic).

C’est ainsi que 15 à 20% des cabinets d’imagerie sont maintenant sous contrôle de fonds d’investissements. C’est ainsi que 75% des établissements de biologie médicale sont sous ce même contrôle. Plus généralement les centres de soins sont de plus en plus sous contrôle de groupes eux-mêmes dépendants de structures financières. Plus généralement encore la finance, déjà bénéficiaire de l’énorme liquidité générée par le couple Etat déficitaire/banque centrale devenue imprimerie monétaire,  est à la recherche de produits sécurisés. La branche santé qui vit déjà dans l’autre couple privé/public devient ainsi un lieu d’investissements privilégiés. En particulier, le marché est protégé par la rareté de son produit et l’assurance d’une demande directement financée par des fonds publics. C’est ce qui explique que les structures anciennement artisanales se vendent à prix élevés : Le vendeur commercialise la rente qui se cache derrière l’assurance de chiffres d’affaires garantis, tandis que l’acheteur voit un premier gain de gestion assuré par le passage d’une organisation artisanale à une organisation industrielle plus efficiente, et un autre gain garanti par l’assurance d’un chiffre d’affaires sécurisé et se spécialisant vers les actes les plus rentables. En ce domaine, la finance ne fait que suivre un chemin déjà commencé il y a très longtemps par le rachat d’ehpads artisanaux qui se sont greffés  à de grands groupes. En la matière, une partie du médicosocial avait de l’avance sur la santé. Globalement, la recherche de rente qu’autorise les structures complexes où cohabitent nécessairement le privé et le public, est particulièrement active  et la santé est devenu le premier poste d’investissement des sociétés financières françaises : 20% du montant investi quand la santé ne pèse que 12% du du PIB[4].

 Il en résulte que pour les structures qui se vendent La conséquence est évidemment la perte de liberté comme l’était au dix-neuvième siècle la perte de l’autonomie de l’artisan du textile devenu simple force de travail dans la grande manufacture qui allait l’employer. Dans le domaine de la santé il s’agira de l’orientation de l’activité vers des pathologies les plus rentables et le recul du souci du service public. Cette tendance générale se heurtera toutefois à la rente de rareté : le nombre de médecins va encore diminuer pendant plusieurs années et il ne sera pas facile de les transformer en cadres de l’industrie. Ils seront probablement aidés en cela par le régulateur.

Ce qu’il faut retenir.

Artisans et paysans sont devenus avec la Révolution industrielle des forces de travail salariées ne contrôlant ni l’outil de production ni les marchandises produites. Cette perte de contrôle est la spécificité du capitalisme. Les « artisans médecins » en voie de salarisation perdront le contrôle de l’outil de production mais ne sont pas éthiquement prêts à perdre la responsabilité de ce qu’ils produisent. Ils résisteront au nom d'une éthique jalousement préservée aux conséquences classiques de la salarisation directe ou indirecte massivement proposée par les marchés financiers. Déjà Ils sécurisent ou tentent de sécuriser  cette éthique en organisant consciemment ou inconsciemment leur propre rareté. Ils seront probablement aidés par nombre de doyens de facultés de médecine peu soucieux de mettre réellement fin aux rendements décroissants initiés en 1972 par le décret portant sur le numérus clausus. Les anciens "artisans médecins" en voie de salarisation tenteront ainsi de partager la rente de rareté avec une finance qui ne paie pas la prime de risque dans un secteur où la puissance publique garantit chiffre d’affaires et rentabilité.  Le premier ministre risque de nombreuses  difficultés en tentant de mettre fin à cinquante années de  rendements décroissants dans les facultés de médecine.

                                                                                   Jean Claude Werrebrouck

 

 

[1] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/02/crise-agricole-moins-bavarder-dans-les-salons-et-davantage-reflechie.html

 

[2] Cf l’article des Echos du 24/4/2024 : « déserts médicaux : la fausse réponse du numérus clausus ». Texte signé par un doyen de médecine (Loic Josseran) et un sociologue (Serge Guérin).

[3] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/08/sante-les-6-ministres-qui-ne-voulaient-pas-voir.html

[4] Cf France invest ; « La financiarisation dans le secteur de la santé : tendances enjeux et perspectives » ;Yann Bourgueil et Daniel Benamouzig ; Sciences PO Chaire Santé ; 2023.

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17 avril 2024 3 17 /04 /avril /2024 09:33

              

Tout a été dit sur la dette publique et donc il est inutile d’apprécier telle ou telle recommandation ou d’imaginer tel ou tel chemin technique pour la réduire. Les choses sont hélas plus radicales et la réalité de la dette correspond à des considérations qui dépassent de très loin les sphères de la technicité économiciste.

Comprendre la dette publique passe en effet par des réflexions sur le type d’ordre humain dans lequel nous vivons… avec l’identité anthropologique qui lui correspond. On peut ainsi risquer l’hypothèse qu’il y aurait des ordres humains qui ne s’appuient pas sur la dette publique tandis que d’autres en exigent son existence voire son auto accroissement. Dans le cas de la France, si on raisonne sur la longue période qui va de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui, on constate d’abord un monde qui efface et éradique la dette (1945/1973) à un monde qui ne se conçoit que par le biais de son continuel élargissement.

Les logiciels des deux types de mondes

Curieusement, le premier monde est celui des dévaluations monétaires compétitives (12 entre 1944 et 1987) et dévaluations concernant des montants parfois considérables (jusqu’à 8O% pour la dévaluation de 1948). A ce premier monde correspond un plein emploi et une production maximale aussi encouragée par le fouet de la dévaluation compétitive. Simultanément, la fiscalité portant sur une production et des revenus qui ne cessent de se développer peut nourrir l’affermissement d’un gigantesque Etat-providence sans risque de déficit public. Un « gros Etat » sans dette se nourrit d’une richesse produite, richesse elle-même protégée par des dévaluations compétitives répétées : les effets prix des dévaluations dopent les exportations et contiennent la dérive des importations.  La France de l’époque, en tant qu’ordre humain, est sans doute fragile et son développement ne se déroule qu’au prix d’incessantes glissades monétaires. Sans elles, il aurait fallu des gains d’efficience productive beaucoup plus performants. Sans glissades monétaires, il eut été impossible de construire un Etat-providence non endetté. Le résultat est toutefois clair : dans ce type de monde les revenus et les dépenses correspondantes sont issus d’une production réelle.

Le second monde est celui de la parfaite stabilité monétaire : il n’y a plus de dévaluation possible depuis le projet de monnaie unique, projet  devenu la réalité de l’euro. Les dévaluations disparues ne nourrissent plus la compétitivité, et si l’on veut maintenir et agrandir l’Etat-providence, la solution devient une compétitivité croissante (gagner des parts de marché à l’international) … ou l’endettement public. Le choix entre les deux réalités relève de l’ordre politique et sociétal. La balance commerciale française devenue considérablement déficitaire n’est que l’effet miroir d’un déficit public devenu simple choix politique. Choix ou contrainte politique indépassable ?

La question de la situation particulière de la France devient préoccupante si ce choix depuis le milieu des années 70 correspond à ce qu’on pourrait appeler un horizon indépassable. Ainsi posée la question reviendrait à imaginer que sur les marchés politiques la dette publique deviendrait le fruit d’un échange mutuellement avantageux pour l’ensemble des partenaires/citoyens. Clairement,  il s’agirait d’un équilibre stable.  De quoi laisser sans espoir les thuriféraires de l’équilibre budgétaire.

Un monde enraciné autour de son centre de gravité

Les marchés politiques français ne sont plus ce qu’ils étaient lors de l’affermissement de l’Etat-Nation. Sans revenir sur une histoire fort ancienne, la France s’est construite sur un Etat fort, très centralisé, très concentré, très laïcisé, et s’arrogeant le monopole de l’intérêt général. Très producteur d’identité, cet Etat fort a construit une réalité anthropologique où les droits de l’homme étaient organisés autour de devoirs ne permettant pas l’irruption de « l’individu désirant » d’aujourd’hui. C’est dire qu’insérés dans un tel monde  les jeux de l’économie marchande sont encadrés et qu’il n’est guère pensable que des externalités négatives aux échanges puissent se développer sans limite. Concrètement entre l’offreur et le demandeur il n’y a pas de tiers sur lequel on pourrait aisément reporter les coûts de l’échange. Par exemple nous ne sommes pas encore dans l’actuel marché de la santé où les médecins ne supportent pas le coût de leur offre et les patients ne paient  pas le prix des soins. Dans un tel monde, les échanges sont d’abord des échanges de marchandises concrètes industrielles ou agricoles et le recours à la finance est limité. Les marchés restent un lieu d’exercice de la responsabilité des acteurs. Ce type organisationnel est propice à la stabilité monétaire : on ne triche que peu avec l’équilibre extérieur et le déficit budgétaire est quasi inexistant. Cela correspond bien à la France d’avant 1914, voire à celle d’avant la seconde guerre mondiale qui ne connaitra que 5 dévaluations (1928, 1936, 1937,1938,1940). Mais précisément ce monde du juste avant guerre prépare la suite….

Un monde qui reste enraciné… mais qui externalise ses contradictions.

Les choses changent après la seconde guerre mondiale avec l’apparition de nouveaux droits et l’émancipation de citoyens qui le seront de moins en moins et deviendront aussi des consommateurs de services publics. Désormais les marchés politiques deviennent ouvertement des marchés de services à produire pour des salariés/consommateurs. Certains préfèrent les produits politiques qui correspondent à des dépenses, celles de la construction de l’Etat-providence ( essentiellement  les électeurs dits de gauche). D’autres préfèrent des produits politiques qui correspondent à une diminution des recettes (moins de pression fiscale exigée par des électeurs dits de droite). La construction d’un Etat providence non réellement financé passe par des dévaluations massives qui irriguent l’outil de production sur lequel est puisé l’impôt devenu simple support des dépenses. La dévaluation devient ainsi l’externalité providentielle permettant la maximisation des gains à l’échange entre les acteurs : citoyen/salariés/consommateurs et entrepreneurs politiques à la recherche de gains politiques. Ce scénario n’est pas spécifiquement français et se trouve plus ou moins validé dans les autres démocraties occidentales. Il est toutefois beaucoup plus prononcé dans le cas de la France en raison de son histoire particulière qui a toujours mis en avant un Etat qui reste idéologiquement (et non réellement) porteur d’un intérêt général. Et même les partis politiques les plus contestataires d’un Etat supposé instrument des rapports entre classes sociales antagonistes acceptent l’idée d’intérêt général. Globalement, il en résulte une pression plus forte en France qu’à l’étranger sur le niveau des recettes et dépenses publiques.

Les alternances au pouvoir ne peuvent rien changer. Il faut pour conquérir le pouvoir multiplier les produits politiques, devenir des généralistes de l’Etat-providence comme il existe des généralistes de la grande distribution. Et lorsque l’accès au pouvoir suppose un partage (coalition de partis politiques) il y aura nécessairement multiplication de produits politiques dont les coûts ne pourront être supportés par une pression fiscale refusée. Les alternances ne peuvent être l’occasion de revenir sur les choix antérieurs. Ainsi la gauche ne peut revenir sur une éventuelle baisse de la pression fiscale et la droite ne peut revenir sur les hausses de dépenses. Certes le temps long des gains de productivité permettrait en théorie d’internaliser les externalités négatives des jeux politiques (les gains de productivité paient la facture). Hélas les temps politiques sont courts et le report sur l’extérieur est préféré : la dévaluation facile l’emporte régulièrement et correspond aux « déjections sociétales » de l’époque

Euro et wokisme : Un monde qui généralise sa déconstruction.

La monnaie unique génère de nouvelles contradictions. Elle va interdire ces « déjections sociétales » que sont les dévaluations désormais interdites. Par contre elle ouvre de nouveaux espaces de libertés et les marchés ne sont plus contraints par des taux de change qui sont autant de barrières et de frontières. Marché unique et promesse d’une union des marchés de capitaux (UMC) sonnent le glas des restrictions à l’économicité. Ces nouvelles libertés sont aussi en congruence avec la déconstruction sociétale et le wokisme devient lui-même un nouvel espace de marché aussi bien pour les entrepreneurs économiques (« Woke capitalism ») que pour les entrepreneurs politiques. Les droits de l’homme s’élargissent sans limite et toutes les contraintes doivent être définitivement levées. Wokisme et anomie risquent ainsi de cohabiter. . Avec les difficultés propres au logiciel wokiste : contenu concret des espaces de domination et risques de nouvelles fractures entre groupes, confusion du sociétal et du social, confusion de l’utopie et de la déconstruction

La dialectique interne au wokisme (capitalisme illimité contre droits de l’homme illimités) ne produit pas les mêmes effets selon que l’on se trouve dans un monde où l’Etat disposait déjà de peu de place (monde anglo-saxon) ou dans un monde où l’Etat disposait d’une place centrale (France). Dans le premier cas, il y a victoire de l’économicité et de ses fruits en termes de gains de productivité, d’où la présente échappée américaine en termes de croissance. Dans le second, il y a pérennisation de la tendance aux déjections sociétales sous forme de dette publique incontrôlable. En France les manifestations concrètes du wokisme s’expriment encore sous forme de demande de services publics nouveaux au moment même où les institutions de l’ancien monde s’effritent sous la poussée de l’illimitation capitaliste. Par exemple, la laÏcité n’existe plus que sous la forme de trace mais son ancien émetteur étatique reste très sollicité en termes de services sociaux et donc de dépenses publiques hors de contrôle. Aux dépenses publiques dites sociales s’ajoutent des dépenses sociétales à périmètre non limité. Macro économiquement et Macro socialement, La France devient le pays où l’on dépense un revenu qui n’est pas produit.

La finance avale tout

Le déficit public en termes de « déjections sociétales » d’un genre nouveau dispose d’un bel avenir car une nouvelle industrie se trouve consommatrice des dites déjections : la finance. La différence entre le revenu distribué, sa dépense, et sa maigre contrepartie en terme de production devient cet objet double qu’est le déficit extérieur abyssal d’un côté, et la dette publique elle-même colossale de l’autre côté. Cette différence est de la monnaie créée par la banque centrale. La masse monétaire correspondante se retrouve dans les comptes bancaires figurant au passif de toutes les banques et plus particulièrement dans les comptes bancaires des gagnants de la mondialisation. Au plus les déjections sociétales s’accroissent au plus les bilans bancaires voient leur taille augmenter. Au passif, nous aurons la contrepartie de la dépense publique et à l’actif les bons du Trésor vendus par l’Agence France Trésor pour couvrir les dépenses. Cette nouvelle forme de déjection sociétale qu’est la dette vient ainsi gonfler l’industrie financière qui va se gaver de dette publique. Alors que les bilans industriels et bancaires étaient de taille comparable jusque dans les années 70, les premiers sont devenus des nains et les seconds des géants. Les déjections sociétales sont ainsi devenues la matière fondamentale des jeux financiers, d’abord comme matière première, ensuite comme titres de garanties (ce qu’on appelle le collatéral). Cette finance faussement contrôlée dans un code monétaire et financier  fait partie de l’illimitation du capitalisme : les échanges sont de moins en moins des échanges de marchandises et de plus en plus des échanges de  produits financiers où l'on confond production de valeur et création de valeur ajoutée. Mieux, elle cherche à échapper aux vieilles traces institutionnelles et voit dans le wokisme un allié : on reparle de titrisation pour s’éloigner de la dette publique et on remplace les vieilles monnaies des Etats par des cryptomonnaies qui libèrent, pense- t-on définitivement les anciens citoyens  des contraintes étatiques. On voit ainsi des individus devenus désocialisés et très consommateurs de services publics,  se méfier de la vieille monnaie publique et se réfugier dans les mirages du bitcoin. Nous sommes très loin d’un affaissement de la dette publique….celle qui naguère par l’investissement réel disparaissait dans l’affermissement de l’avenir. Oui, la dette publique, au moins en France, est aujourd’hui l’horizon indépassable de notre temps.

 

 

 

 

 

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14 avril 2024 7 14 /04 /avril /2024 17:01

Nous proposons ici une vidéo correspondant à un débat avec  Pierre Dardot. Dans cet enregistrment, ce dernier, philosophe de profession,  est interrogé par Olivier Berruyer dans le cadre de sa chaine Elucid. Bonne écoute.

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27 mars 2024 3 27 /03 /mars /2024 09:08

Nous proposon ci-dessous une bande video qui présente une  caractérisitique de grande modération au regard de la réalité russe et de la guerre en Ukraine. Expliquer ce qui se passe dans les réalités humaines n'est pas chose simple et les intellectuels les plus méticuleux ne sont pas à l'abri de biais cognitifs reposant sur des a-priori idéologiques. Au dessus du savoir existe un méta savoir et la science la plus élaborrée repose toujours sur un cadre qui n'eat pas la science elle-même et qui fait de son histoire une suite d'erreurs rectifiées. C'est au demeurant ce que va nous apprendre- une fois de plus - le nouveau téléscope spatial (James Webb") qui est entrain de révèler  notre modèle du Big- bang comme erreur scientifiaue. Si l'on revient sur terre nous sommes onfrontés au conflit d'interprétation concernant la guerre en Ukraine. Globalement nous avons des intellectuels ( sociologues/historiens/économistes/politistes/etc.) dont le méta savoir est de type occidental, qui s'opposent à d'autres intellectuels dont le meta-savoir est de type pro-russe. Bien évidemment cela donne des visions totalement opposées de la réalité. L'analyse de cette opposition relève - comme dans les sciences dites exactes -  de choix dans la sélection des faits dont on veut produire la compréhension. Les intellectuels pro-russes, très nombreux mettront ainsi toujours en avant l'impérialisme américain , la CIA, etc. Les intellectuels pro- occidentraux mettront toujours en évidence le resprct de l'ordre juridique intenrnational, l'impérialisme russe, etc. Et cette sélection des fiats autorisera bien évidemment une interprétation générale de la réalité très diférrente.  Il est simplement dommage que lesdits intellectuels n'annoncent pas clairement le paradigme dans lequel ils se trouvent. 

Si nous proposons cette video aujourd'hui, c'est précisément parce que son auteur, très modeste et peu connu, se borne à la présentation des faits ...sans les faire reposer sur une théorie à priori.

Bonne écoute.

 

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27 mars 2024 3 27 /03 /mars /2024 05:52

La présente note s’intéresse moins à l’analyse de la faiblesse de l’impact des sanctions occidentales sur l’économie russe que sur la spécificité d’un modèle anthropologique jusqu’ici peu défriché. On peut en effet s’étonner de caractéristiques sociétales a priori assez éloignées de ce que l’on trouve dans l’occident classique : un Etat laissant très peu de place à la société civile, un demos davantage objet que sujet, un repli sur soi contrarié par une interaction sociale souvent brutale et violente, une très difficile émergence de droits de l’homme dont celui du respect de la vie. Ces caractéristiques sont elles-mêmes des qualificatifs divers d’une même réalité : la faculté d’un pouvoir très éloigné, à nier toute autonomie réelle à une population, simple moyen de sa propre fin, à savoir sa reconduction au pouvoir.

 1 Anatomie de l’Etat Russe.

En Russie comme ailleurs, l’aventure étatique fût probablement la cristallisation d’une évolution qui selon l’expression de Pierre Clastres devait aboutir à ce que ce dernier appelait « un coup d’Etat fondant l’Etat ». Partout dans le monde le « big bang » des Etats fut l’appropriation du « commun » d’une société, ce que l’on appellerait dans le langage moderne les biens publics. L’histoire assez classique des Etats fut le passage d’un âge patrimonial plus ou moins long (le groupe au pouvoir gère le commun comme son bien propre), à un âge institutionnel (le groupe au pouvoir reconduit sa domination par un partage et la reconnaissance de droits attribués à un demos). Dans certains cas, l’âge institutionnel peut se déliter avec passage à un âge relationnel où l’Etat lui-même semble s’affaisser devant le marché (démocratie puis mondialisation). L’âge relationnel qui semble être le moment présent des Etats de l’UE délègue au marché et aux économistes l’édification d’un intérêt général. Le marché devenant la nouvelle patrie à défendre. Signalons qu’il n’existe aucune théorie de l’histoire et rien ne dit qu’il existe un passage ordonné entre les âges : des retours ou des ordres inversés sont toujours possibles. Rien ne dit non plus que la réalité correspond à des âges complètement séparés et complètement distincts. Ainsi il n’est pas impossible de penser que l’UE pourrait évoluer, après son âge plus ou moins relationnel  vers un stade intermédiaire que certains appellent déjà la marche vers « l’étaticité ».

Ce qui semble caractériser l’histoire de l’Etat russe est l’importance de l’âge patrimonial, la difficulté du passage à l’âge institutionnel et, plus récemment, sa greffe sur un âge relationnel qui lui reste fondamentalement étranger.

2 Une construction impériale sans équivalent.

L’âge patrimonial s’est parfaitement adapté à la construction d’un empire où - à l’inverse de ce qui se passait en occident (Grande-Bretagne et France arrimées depuis longtemps à l’âge institutionnel) - la métropole n’est pas géographiquement séparée des colonies. Alors que la France se distingue de l’Algérie par une frontière naturelle, il n’existe pas de barrière physique entre la colonie et l’Etat patrimonial russe. Et comme l’âge patrimonial est celui où les sujets sont dépourvus de l’essentiel de ce qu’on appelle les droits de l’homme, voire le simple respect de la dignité humaine, le colonisateur peut utiliser ses sujets comme matière première de la colonisation. Parce que dépourvus de droits de propriété qui n’existent que pour les dominants, les sujets peuvent être instruments de la colonisation et être déportés en masse vers de nouveaux lieux. D’où la multitude de groupes russophones dans des espaces a priori très éloignés mais jamais séparés de la métropole par une barrière naturelle qui n’existe pas. Phénomène que nous n’avons pas constaté avec les autres colonisations où, même en Algérie, il n’y avait pas de réelles déportation et où ce qu’on appelait les pieds noirs étaient des volontaires très autonomes au regard de l’Etat central. Les cas contraires- sauf l’énorme exception que fût le commerce triangulaire-  étaient marginaux et concernaient surtout une déportation des colonisés récalcitrants vers d’autres colonies, donc des personnes dépourvues des droits de propriétés de l’âge institutionnel de la métropole.

Dans le cas de la Russie, les moyens de production de la colonisation et de l’expansion de l’âge patrimonial, doivent historiquement rester ce qu’ils sont à peine d’effondrement de l’empire en expansion : les déportés doivent conserver leur rang et ne doivent jamais accéder aux droits de l’homme classiques. Il en résulte une distance réduite entre le colon et le colonisé, ce qui n’était pas le cas des empires coloniaux occidentaux. Dans le cas inverse, une stratégie d’accès aux classiques droits de l’homme entrainerait un effondrement de l’empire, ce que « Catherine la Grande » tentait d’expliquer aux philosophes des lumières et en particulier Diderot. Constatons qu’aujourd’hui encore les déportations restent une pratique assumée : enfants et familles ukrainiennes, minorités des espaces de l’Asie centrale, etc.

3 Un point d’appui sur des structures anthropologiques à privilégier.

 Les deux paramètres classiques des droits de l’homme : vie, liberté, reposent sur un troisième qui devient le point d’appui des deux premiers : la propriété. C’est dire que l’âge patrimonial de l’Etat russe ne permet pas l’arrimage à la notion classique de propriété : vie et liberté seront toujours sous la dépendance du pouvoir. D’où la difficulté de faire naître un âge institutionnel allant jusqu’à la démocratie. Au mieux on aboutira à une citoyenneté qui restera bloquée sur le patriotisme ou le nationalisme alors qu’en Occident il sera possible d’aller plus loin. D’où l’asymétrie fondamentale dans une situation de guerre : un coût de la vie très élevé dans un cas ( l’Occident dépassant l’âge institutionnel et déjà plongé dans l’âge relationnel), et très faible dans l’autre (Russie dont l’âge institutionnel reste enkysté dans un âge patrimonial). Dans un cas nous avons la doctrine du zéro mort dans la guerre et dans l’autre il sera naturel d’extirper de l’univers carcéral des personnes que l’on enverra sur le front.

D’une certaine façon l’Etat russe se trouve très aidé par des structures familiales qui selon la classification d’Emmanuel Todd relèvent du type souche, voire communautaire, avec des caractéristiques culturelles qui restent éloignées de celles de l’occident classique où la valeur égalité l’emporte. Le poids de l’autorité indiscutable s’impose avec ses conséquences sur des droits de l’homme qui n’ont pas la même signification qu’en Occident. La dimension âge patrimonial de l’Etat Russe est ainsi en relative congruence avec des structures familiales qui ne vont pas contester frontalement la violence du pouvoir.  La perspective d’une révolution a ainsi beaucoup plus de chance de se réaliser par le haut que par le bas.

4 Un  point d’appui récent sur des Etats vivant l’âge relationnel.

Mais l’Etat russe qui passe déjà difficilement le cap de l’âge institutionnel est retenu, voire confirmé dans son âge patrimonial par sa greffe sur les Etats de l’âge relationnel (Occident). Les richesses de l’immense empire peuvent être valorisées auprès des Etats devenus vassaux d’un mercantilisme privé. C’est bien évidemment le cas -véritablement caricatural- de l’Allemagne dont son mercantilisme permettra d’alimenter une rente gazière gigantesque accaparée par les détenteurs/défenseurs de l’âge patrimonial russe. De quoi nourrir- non pas avec des droits mais avec des marchandises- les dépendants du pouvoir russe. De quoi, par conséquent, légitimer la forme patrimoniale du pouvoir par une population qui reste à l’écart des agitations du post-modernisme occidental. Mieux : de quoi distribuer des salaires considérables et du capital qui l’est davantage encore, à ceux qui s’engagent dans la machinerie militaire. C’est dire que malgré une démographie très difficile l’Etat patrimonial russe peut encore alimenter la machine de guerre par une offre suffisante de personnel : les chaines d’inscription à la guerre sont le point de départ d’un changement radical de niveau de vie pour nombre de familles de colons mais plus encore de colonisés dans l’immense empire. Au final de quoi connaître l’équivalent de la société de consommation occidentale dans un monde carcéral. Les immenses espaces de la Grande Distribution peuvent cohabiter avec ceux  des colonies pénitentiaires.

5 Un Etat sans limite territoriale

L’empire lui-même ne peut connaître de limite. Dans le cas de la colonisation occidentale, des barrières naturelles permettaient la distinction entre des colonies et des métropoles, elles-mêmes déjà marquées par les frontières des célèbres traités de Westphalie (1648). Simultanément, l’âge institutionnel et son débouché sur l’idée de citoyenneté et de droits de l’homme, délégitime rapidement le fait colonial occidental, lequel débouchera sur l’apparition de très nombreux Etats en formation au vingtième siècle. Historiquement, l’affaire ne fut pas facile et aurait pu l’être beaucoup moins encore en l’absence de barrières naturelles entre colonies et métropoles. Imaginons par exemple les difficultés supplémentaires- pourtant déjà  considérables- dans le cas de la France et de l’Algérie si cette dernière avait été directement accolée à la métropole.  Le cas de la Russie, au regard de l’idée de décolonisation est très différent. Parce que l’âge patrimonial peut se pérenniser et que la colonisation s’est accompagnée de déportations, il est très difficile de connaître une décolonisation. La violence naturelle de l’âge patrimonial s’y oppose, et surtout il est facile de compter sur ce qui est devenu les minorités russophones réparties sur l’immense territoire. C’est ce qui est présentement vécu avec un mouvement complexe de décolonisation/recolonisation. En occident parce que le colon était très différent du colonisé, la décolonisation s’en finit pas de se radicaliser y compris et surtout dans les anciennes métropoles. En Russie colons et colonisés sont peu différents et le colonisé ne rejette pas la culture du colon. A priori impensable en occident, la recolonisation se trouve envisageable dans l’ordre Russe. Avec toutefois une limite : une colonisation vers des espaces fondamentalement étrangers à  l’espace russe (l’Afrique actuelle) se heurtera à des déboires majeurs. Il sera moins difficile de se réinstaller dans les ex territoires de l’Union Soviétique que d’occuper le sahel après évincement de la présence française.

6 Un Etat menaçant menacé ?

Et pourtant l’empire est plus ou moins menacé car les droits de l’homme frappent à la porte et les espoirs - fondés ou non - de l’âge relationnel s’affirment. Non pas nécessairement par le canal démocratique car une grande partie des droits de l’homme peut se vivre en dehors de la liberté démocratique, mais bien plutôt par le canal économique. L’économie prédatrice et rentière monopolisée par les tenants du pouvoir peut faire l’objet d’une contestation grandissante, voire se transformer en luttes de clans débouchant sur de possibles fragmentations. Et déjà, au quotidien, une difficulté croissante à gérer les conflits d’intérêts entre groupes de décisions et la peur qui, finalement, empêche toute innovation au niveau des microdécisions. Davantage encore, la digitalisation de l’économie et les espoirs du monde numérique favorisent la fuite hors de l’empire des plus modernes. De quoi accélérer la crise démographique. Au-delà des apparences nous sommes vraisemblablement dans la crise des Etats figés dans l’âge patrimonial.

7 Conclusions.

-Les réalités d’aujourd’hui sur le théâtre russe paraissent confirmer ce qui précède : le « sultanat électoral » que vient de vivre le pays ne semble guère embarrasser ce que chacun peut considèrer comme une distraction dominicale où l’on est invité au jeu du plébiscite comme on peut l’être au jeu de monopoly. C’est dire que la liberté au sens occidental n’a encore que peu de sens.

-La guerre est couteuse, et même avec une croissance ,  il deviendra de plus en plus difficile de jouer le jeu de la société de consommation avec des moyens de production qui se sont reconvertis en usines de guerre. La croissance peut certes s’accélérer  avec la généralisation d’une économie de guerre, mais elle ne pourra masquer durablement une perte des niveaux de vie.

-La guerre, elle-même, est un moyen de conserver un âge patrimonial menacé par des périphéries dissidentes qui pourraient déboucher sur  des exemples de réussite légitimant un âge relationnel : un succès économique et politique de l’Ukraine n’était pas acceptable. Une guerre qui soude une communauté est donc utile pour le pouvoir mais son cout devra se reporter sur les dépendants, plutôt sur les colonisés que sur les colons.

-Cette même guerre ne pourra que se limiter aux anciens espaces et La Russie, cruellement contestée dans sa volonté de devenir chef d’orchestre d’un Sud global,  devra probablement se retirer de l’Afrique.

-Enfin cette guerre développe ce qu’elle combat : le passage de l’Etat ukrainien d’un âge patrimonial à un âge institutionnel flirtant avec l’âge relationnel européen. Plus simplement exprimé, l’Etat Russe engendre à sa périphérie ce qu’il n’est pas,  et que classiquement on appelle « l’Etat Nation souverain ». Si le marché généralisé de l’âge relationnel connait quelque peine à souder une société,  La guerre de l’Etat Russe resté  patrimonial ne permettra pas davantage de souder et développera  des risques de rupture.

 

 

 

 

 

 

 

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