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4 avril 2023 2 04 /04 /avril /2023 07:47

 

 La remontée des taux par les banques centrales depuis la fin de la crise sanitaire mettait un terme à une longue période d’argent gratuit. Ladite période était marquée par un jeu entre  grands acteurs autour d’un agent central : les banques centrales.

Une stabilité acquise avec des bilans comptables géants

Classiquement la gestion de la pandémie correspondait à la distribution de revenus de substitution dans un contexte de blocage de l’économie. Au niveau des bilans comptables cela se matérialisait par des achats considérables de dette souveraine qui vont figurer à l’actif des banques. Cette dette devenait elle-même dépense publique irrigant au final les ressources bancaires nationales ou étrangères : l’argent dépensé par les Etats se trouvait dans les comptes au passif des banques nationales et étrangères. Il y avait donc accroissement de la taille des bilans bancaires pour un montant qui  est celui de la dépense publique additionnelle.

An niveau national, ce jeu était donc celui d’une livraison de monnaie par les banques, monnaie qui était ensuite récupérée par le canal de la dépense publique. Bien évidemment, si un Etat ayant mis sous camisole son économie était aussi le représentant d’une nation dont le déséquilibre des échanges extérieurs était important ( son économie muselée était déjà peu compétitive) les banques de cette nation devaient souffrir davantage. Dans la zone euro, cette souffrance était toutefois amortie par le biais des comptes TARGET des banques centrales. D’où ce slogan stupide si répandu : « l’euro nous protège ».

Sans banque centrale, ce jeu initié par les Etats n’aurait évidemment pas eu d’avenir. Très vite les largesses budgétaires se seraient heurtées aux banques et aux dernières promesses d’investissement dans une économie réelle muselée. C’est ce que les économistes appellent l’effet d’éviction : les crédits se dirigent massivement vers le Trésor assoiffé de liquidités et vont être assortis de taux croissants. Bien sûr un Etat complètement souverain pourrait signifier l’achat obligatoire de bons du Trésor par les banques. Ce fait constituait en France une tradition jusqu’au début des années 70 du siècle passé. Laissons toutefois cette hypothèse en dehors de notre scénario et admettons que logiquement dans le cas de rapports simplement marchands entre les divers acteurs les taux ne pourront que s’élever et que le coût du déficit et de l’endettement deviendra rapidement insupportable.

Précisément, les banques centrales vont se donner pour mission - et ce bien avant la crise sanitaire- de rendre indolore l’endettement public et ses effets sur le système bancaire. En achetant sur le marché secondaire les bons su Trésor que les banques venaient elles-mêmes de se procurer, elles vont assurer la parfaite liquidité d’un circuit dont elles vont devenir l’acteur principal.

D’abord pour les banques l’effet d’éviction disparait et le jeu de l’achat de bons peut  s’amplifier en toute sécurité. En tout premier lieu par le fait que sur le plan réglementaire les titres publics sont considérés comme dette sûre et donc ne consommant pas de capitaux propres. Mais surtout par le fait que l’actif des banques se trouve immédiatement regarni en argent frais : celui des banques centrales qui rachètent parfois dans les 24 heures les titres publics. Par ce jeu, l’actif des banques est donc en principe très solide.

Ensuite bien sûr pour les Etats qui vont voir la demande de bons du Trésor prendre de l’ampleur et vont donc pourvoir les vendre avec un taux faible. En effet les banques n’ont plus peur d’acheter de la dette publique et ne sont plus que des intermédiaires puisque ladite dette se trouvera financée par simple création monétaire.

Enfin pour les agents de l’économie réelle qui ne sont pas victimes d’éviction et vont pouvoir continuer à emprunter à taux réduits ( crédit immobilier, prêts aux entreprises).

Dans cette énumération on oublie pourtant un acteur essentiel : celui de la finance. Les banques qui sont sur le marché de la dette publique sont celles admises par le Trésor. En France, on les appelle les « Spécialistes en Valeurs du Trésor » (SVT) et sont de grands établissements bancaires à compétence universelle. A l’inverse des petites banques qui ne sont pas labellisées par le Trésor, ces banques sont aussi des agents financiers très importants. En achetant directement une  dette publique qui sera immédiatement rétrocédée à la banque centrale, ces grandes banques  sont nourries à l’actif par la générosité de la banque centrale et au passif par les dépenses publiques qui, au travers de l’économie, vont irriguer les comptes courants. Dans le cas de la BCE ou pourrait ajouter les « Long Term Refinancing Operation »(TLTRO) qui vont constituer de gigantesques prêts à taux négatifs au profit des banques.

De quoi voir le total du bilan de ces établissements prendre des tailles démesurées. Ainsi la BNP , bien sûr classée SVT, voit aujourd’hui le total de son bilan représenter près de 115% (oui, cent quinze pour cent) du PIB de la France…Après le crise de 2008, le bilan susvisé était déjà très élevé (près de 70% du PIB) mais la gestion de la crise suivie de celle du COVID vont permettre ce grand bond en avant. Donc un grand bond autorisé par le déficit public et la politique de la Banque centrale. Notons que cette explosion n’a pas affecté les petites banques qui elles sont très largement hors du circuit du Trésor. Comparons aussi ces bilans extravagants avec les bilans des plus grosses entreprises industrielles lesquelles  restent des nains….avec par exemple un bilan de moins de 2% du PIB de la France pour Total Energies  …

Les géants peu armés face à la maladie de l’inflation

Parce que la liquidité devient gigantesque et que les besoins de l’économie sont limités en raison de la crise sanitaire, la liquidité va se transformer en actifs financiers les plus divers : développement des produits de l’Assurance, prêts à la finance de l’ombre spécialisée dans les grandes spéculations, participations dans les fonds de pension, prises d’intérêts dans les hedge funds, développement illimité d’établissements de trading ayant pour cibles toutes les « utilities », développement illimité du « notionnel », etc. En sorte que les bilans consolidés des banques universelles vont non seulement devenir hors de proportion mais aussi devenir très hétérogènes. Alors qu’une banque classique est faite d’un bilan simple où près de  80% du passif est constitué de comptes courants de clients, avec un chiffre équivalent en actifs composé de crédits aux mêmes clients, une banque universelle présente

une profil très différent. Ainsi pour la BNP les comptes courants ne représentent que 38% du passif tandis que les produits financiers de l’actif comptent pour 37% du total du bilan. Cette déformation bilantaire fut très largement favorisée par les comportements corrélés du Trésor et de la banque centrale : la monnaie gratuite s’investit dans des actifs les plus divers et font gonfler des activités éloignées de celles de  la banque traditionnelle.

Ce gonflement devient nécessairement celui du prix des actifs déjà en circulation et de ceux qui viendront s’accumuler avec le maintien de la logique de l’endettement à la fois massif et continu. Mais  ce gonflement a pour contrepartie des pressions inflationnistes qui ne pourront rester cantonnées à la seule finance et se répercuteront sur l’économie réelle, à commencer par le secteur immobilier. La fin de la crise sanitaire, puis la guerre vont entrainer de nouvelles pressions inflationnistes qu’il faudra gérer, ce qui nous renvoie à la période de la hausse des taux initiées par les banques centrales. Toutes puissantes dans la période antérieure, elles vont perdre, au moins momentanément leur capacité à gérer l’existant. La raison est simple : il est plus satisfaisant pour nombre d’acteurs et surtout plus facile de faire gonfler les bilans bancaires avec de l’argent gratuit  que de les réduire avec des taux croissants.

On peut ainsi comprendre que les autorités monétaires vont attendre longtemps avant d’admettre l’idée de retour à l’inflation, et bien sûr la volonté de la combattre comme cela est prévu dans leur mission. Ce n’est donc que depuis peu de temps que la volonté de la combattre est apparue avec pour outil essentiel la hausse des taux.

Il faut bien comprendre ce que signifie l’inflation et son contrôle par les taux pour un grand établissement financier. En terme de bilan, l’actif s’évapore (les cours des obligations diminuent alors que le niveau général des prix augmente), tandis que les dettes (passif) restent ce qu’elles sont. Elles peuvent même augmenter en raison de la modification sructurelle des ressources : moins de dépots non rémunérés et augmentation des produits rémunérés à commencer par les livrets A et les OPCVM. Notons qu’il n’en va pas de même pour un bilan industriel. Pour reprendre - à titre d’exemple- le cas de Total Energies, les champs pétroliers dont l’entreprise est propriétaire ne sont pas affectés par la hausse des taux et encore beaucoup moins par l’inflation. En effet, dans ce dernier cas, l’entreprise qui, certes, peut connaître une hausse de ses coûts, dispose des moyens de les répercuter sur les prix de vente. La finance est donc infiniment fragile face à la volonté de la Banque centrale de relever les taux. En les relevant,  elle affaisse la partie de l’actif des banques ne correspondant pas aux crédits classiques. Pour la BNP c’est donc une partie des 37% de son bilan qui est rogné par l’action de la banque centrale. Mieux, pour la plupart des fonds en euros et en particulier pour l’Assurance-vie souvent composée de titres publics, c’est l’ensemble du stock de titres qui, achetés au cours de la période d’argent gratuit, se trouve rogné. Et comme les clients porteurs constatent que les obligations nouvelles sont autrement rentables que les placements en assurance-vie, la tentation de vendre- une vente faisant diminuer un peu plus les cours- est logique. Même chose pour les fonds de pension qui doivent continuer à verser les retraites alors que l’actif en obligations s’évapore. Les retraites par capitalisation sont ainsi menacées par 2 chemins tous deux issus de la politique de la banque centrale : celui des taux qui fragilise l’équilibre et celui de l’inflation initiée par la stratégie précédente. Le cas des fonds de pension est emblématique puisque cette stratégie des autorités monétaires va entrainer des choix catastrophiques, par exemple la création de swaps de taux censés nourrir les fonds pendant la période d’argent facile, swaps qui vont, se retourner avec la nouvelle stratégie. Quand on sait que ces swaps furent vendus par les banques avec le manteau sécuritaire de la banque centrale, et swaps que l’on va artificiellement gonfler avec un notionnel extravagant, il y a de quoi se sentir désappointé.   

Dans ce contexte on comprend mieux les craquements qui, ici ou là, se manifestent : Silicon Valley Bank, Silvergate, Signature, Crédit Suisse, Deutsch Bank, etc.

Tant pis pour l’inflation : on continue comme avant !

Si l’on considère que l’objectif des banques centrales est de maintenir l’ordre existant, il est très probable qu’elles préféreront la stabilité financière à celle des prix. La stabilité financière, donc le sauvetage du système financier, n’entraîne que des couts réduits pour le reste des acteurs du jeu de l’interaction sociale. Nous venons de voir en effet que l’économie réelle est relativement souple et peut accepter de jouer le jeu de l’inflation : son bilan reste sous contrôle. Il en est de même pour les Etats qui peuvent aussi réagir positivement à l’inflation : les ressources fiscales augmentent mécaniquement, les dépenses peuvent se museler et le capital à rembourser, plus lourd, décroit avec l’éloignement de la maturation.

Cette préférence est déjà très présente dans les choix qui se déroulent sous nos yeux et qui globalement passent  du « bail out » à celui du « bail in ». Clairement^, après la crise de 2008 toute la régulation financière s’est plutôt orientée vers le report du poids des futures crises sur les acteurs internes, donc les actionnaires et responsables du système financier. Tel n’est plus, étonnement, le cas aujourd’hui avec les premières décisions : les investisseurs en capital-risque ont récupéré leurs fonds déposés à la Silicon Valley Bank, le collatéral exigé pour les prêts sera désormais exprimé à sa valeur inscrite et non à sa valeur de marché (Bank Term Funding Program américain), accès sans garantie par la banque centrale Suisse de 100 milliards d’euros pour sauver ce qui peut l’être, etc. De ce point de vue, l’effacement d’une partie de la dette subordonnée ( Additionel Tiers 1) de Crédit Suisse est une exception déjà  vécue comme trop dangereuse par le système bancaire. Clairement, il s’agit tout simplement d’interdire toute crise financière, laquelle doit devenir impossible….et ainsi garantir le maintien de l’ordre existant.

Bien évidemment, le prix à payer de cette stabilité financière acquise aux forceps ne peut être que le renforcement des pressions inflationnistes. Tout aussi évidemment les banques centrales ne peuvent plus assurer la stabilité monétaire qui partout dans le monde était idéologiquement la mission qu’elles devaient assumer en contrepartie d’une prétendue indépendance obtenue à la fin du siècle dernier. De quoi continuer à alimenter des piles d’ouvrages et d’articles universitaires sur la « crédibilité » des banques centrales. On sait pourtant que les vrais débats sont ailleurs : devenus de véritables « proto-Etats » avec l’affaissement du politique, les banques centrales révèlent aujourd’hui leur réalité à savoir maintenir quelles que soient les circonstances un capitalisme complétement  financiarisé.

 

 

 

 

 

 

 

 

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