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16 février 2015 1 16 /02 /février /2015 04:37

 

Le "special report" de Natixis en date du 10 février dernier [1] apporte de nouvelles confusions sur le statut réel d’une banque centrale. Reprenant la problématique du QE et son fonctionnement sur la base d’une non mutualisation, les auteurs posent la question d’une recapitalisation obligatoire des banques centrales nationales victimes d’un défaut sur les dettes publiques rachetées.

Présentons les choses de façon suffisamment détaillées pour mettre fin aux discours erronés sur la monnaie et les banques centrales.

Lorsqu’une entité classique subit un effondrement de la valeur de ses actifs, elle se trouve en situation d’insolvabilité pour faire face à ses créanciers dont les titres figurent au passif de la dite entité. Par exemple,  lorsqu’une banque est dans l’incapacité de recouvrer ses créances, elle devient rapidement insolvable : elle peut mobiliser quelques réserves et son capital social pour faire face à ses clients qui exigent des retraits sur comptes de dépôts, mais, la confiance n’existant plus, les files d’attente s’allongent et rapidement, la banque est en cessation de paiement. D’où l’idée de Bank run rapidement destructeur par ses effets systémiques.

Tel ne serait pas le cas si la banque en question avait la possibilité de fabriquer, sans limite, de la monnaie jouissant du cours légal, monnaie qui permettrait de répondre à toutes les demandes de retrait, y compris celles des actionnaires désormais protégés d’une extinction du capital qu’ils ont avancé à la banque.

Or précisément, une Banque centrale est à l’inverse de toutes les autres entités économiques, en situation de créer de façon illimitée de la monnaie. Alorsq que le passif d'une entié économique classique est normalement exigible, celui d'une banque centrale ne l'est pas. Si par conséquent l’activation du Quantitative Easing décidée par monsieur Draghi au niveau de chaque banque centrale nationale  devait s’accompagner d’un défaut de l’Etat bénéficiaire, si par exemple le Trésor français faisait défaut sur sa dette , La banque centrale-chez nous la Banque de France- ne serait en aucune façon piégée. Elle pourrait continuer à alimenter tous les comptes figurant à son bilan notamment les comptes de toutes les banques de son territoire d’exercice  et ce, sans limite. De même elle pourrait,  sans limite,  alimenter le compte du trésor figurant au passif de son bilan. Il s’agit bien d’un privilège statutaire : celui de prêteur en dernier recours. Ce qui dans le langage courant s’appelle la planche à billets.

Dès lors, il nous faut essayer de comprendre pourquoi nombres d’acteurs engagés mais aussi d’auteurs continuent de parler de capitaux propres des banques centrales, du risque encouru, et de la possibilité de voir un Etat être dans l’obligation de recapitaliser sa banque centrale.

 

Le discours tenu aujourd’hui semble se baser sur l’idée que l’émission monétaire doit reposer sur des fonds propres, un peu comme jadis, elle devait reposer sur de l’or. C’est le cas lorsque la BCE s’inquiète de fonds propres négatifs de la Banque centrale Tchèque, banque centrale victime d’un effondrement d’actifs en devises qui ont vu leur taux de change s’effondrer. Pour autant, les arguments de la BCE ne reposent sur rien de concret et on se contente d’écrire dans un rapport qu’il s’agit « de se conformer au principe d’indépendance financière ».[2]

Cette expression très vague ne fait que renvoyer à l’idée d’indépendance de la banque centrale. Elle cache mal une réalité idéologique fort étrange et ce, à de multiples points de vues : 

- Tout d’abord demander une recapitalisation à un Etat devenu insolvable revient à exiger d’un mort qu’il se réveille. Pourquoi afficher des situations invraisemblables?

- De fait les banques centrales en raison même de leur privilège : « battre monnaie »,   n’ont en aucune façon besoin de capitaux propres, les seuls postes du passif réellement utiles étant les billets en circulation, le compte du Trésor et de certains de ses correspondants, et les comptes des banques assujetties à son territoire d’exercice. Pourquoi parler de contrainte qui n'existe pas?

- Il reste curieux dans le cadre libéral d’une économie de marché, de voir un Etat qui, recapitalisant sa Banque centrale, n’en est pour autant pas maître : elle est indépendante. Que la banque centrale d’Italie soit indépendante est à la limite acceptable puisque restée entité privée. Que la banque centrale française qu’il faudrait recapitaliser soit indépendante est une atteinte aux droits de propriété les plus élémentaires en économie libérale : une entreprise, une banque, appartient à ses propriétaires, et la stratégie des entités correspondantes est définie par eux. Pourquoi ne pas respecter les droits de propriétés des Etats?

- Jamais au cours des 30 glorieuses, il n’a été question des capitaux propres des banques centrales. La littérature de l’époque n’a jamais évoqué l’idée de recapitalisation alors même que l’indépendance n’existait pas. Pourquoi agiter des chiffons rouges?

- Jamais au cours de la période antérieure, celle de l’étalon-or, il n’a été question de problèmes de capitaux propres. De fait à cette époque la seule question qui se posait était celle du plafond d’émission en relation avec le stock métallique. Nous étions encore dans « la loi d’airain »[3] de la monnaie. C’est dire qu’aujourd’hui en voulant relier la question d’un QE (nouvelle forme d’émission) à des capitaux propres consiste bien à revenir à la « loi d’airain » du 19ème siècle. Pourquoi une telle aliénation monétaire?

- De fait évoquer des recapitalisations consécutives à des défauts consiste bien à exercer une pression maximale sur les Etats lesquels doivent se soumettre au « mode marché de la dette publique[4]. Pourquoi les Etats se trouvent ainsi expropriés?

Il serait bon que la recherche économique chez Natixis puisse devenir indépendante.

A cet égard, rappelons notre définition de ce qu’est une banque centrale :

« Une banque centrale est une institution, logée dans l’interface entre pouvoir financier et pouvoir politique et chargée d’exprimer le rapport de forces entre les deux, par des actions concernant la circulation monétaire, la monnaie elle-même et la dette. La position relative des 2 pouvoirs : absorption plus ou moins complète de l’un par l’autre, séparation radicale/opposition radicale, coopération mutuellement avantageuse, servitude volontaire, etc., est la source ultime de la compréhension des faits monétaires »(5)

Définition à méditer en période de tempête….

 

 

[1] http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=81590

[2] BCE : Rapport sur la convergence 2010

[3] Cf Jean Claude Werrebrouck : « La loi d’airain de la monnaie » ; MEDIUM N° 34, 2013, Pages 101 à 118.

[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-banque-centrale-et-tresor-une-tres-instructive-histoire-conclusions-66786166.html

(5) Jean Claude Werrebrouck , page 48 de "Banques Centrales  Indépendance ou soumission Un formidable enjeu de société" Editions Yves Michel, 2012,

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commentaires

C
Bonjour,<br /> <br /> une enquête sur la troika émise par la chaîne de télévision ARTE. Absolument terrifiant<br /> <br /> http://www.tv-replay.fr/redirection/24-02-15/puissante-et-incontrolee-la-troika-arte-11008124.html
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B
Vendredi après-midi, sur le site du journal Der Spiegel, un article intitulé : &quot;La BCE se préparerait à une sortie de la Grèce de la zone euro.&quot;
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B
Jeudi 19 février 2015 :<br /> <br /> Aide à la Grèce : Berlin rejette la demande d'Athènes. « Ce n'est pas une solution substantielle. »<br /> <br /> Le ministère des Finances allemand a rejeté jeudi la demande déposée par la Grèce d'extension de l'aide de ses partenaires européens, estimant qu'elle ne représentait pas une solution substantielle et ne répondait pas aux critères fixés par la zone euro. <br /> <br /> « La lettre en provenance d'Athènes n'est pas une proposition substantielle de solution », a commenté Martin Jäger, porte-parole de Wolfgang Schäuble, ministre des Finances, dans un bref communiqué. <br /> <br /> « En vérité, elle vise à obtenir un financement-relais, sans remplir les exigences du programme. Le courrier ne remplit pas les critères définis lundi par l'eurogroupe », a-t-il poursuivi.<br /> <br /> Athènes s'est adressé aux ministres des Finances de la zone euro jeudi pour obtenir un prolongement de six mois du soutien financier de ses partenaires, et en prenant un certain nombre d'engagements. <br /> <br /> Le gouvernement grec refuse toutefois de se plier au memorandum qui est associé au programme d'aide, et prescrit au pays de rigoureuses mesures d'austérité.<br /> <br /> Dès mercredi, Berlin avait jugé qu'aides et réformes étaient indissociables, et insisté sur cinq conditions que devrait remplir la demande grecque pour satisfaire la zone euro.<br /> <br /> Parmi elles figurent l'engagement à ne pas détricoter les réformes déjà engagées, à ne pas mettre sur les rails de nouvelles qui pèseraient sur les finances publiques grecques, ou encore un engagement d'Athènes à rembourser tous ses créanciers. Les pays de l'union monétaire se sont entendus sur ces conditions lundi à Bruxelles. <br /> <br /> http://www.romandie.com/news/Aide-a-la-Grece-Berlin-rejette-la-demande-dAthenes-pas-une-solution-substantielle_RP/567535.rom
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B
Mardi 17 février 2015 :<br /> <br /> Grèce : Tsipras annonce le vote par le Parlement de mesures sociales dès vendredi.<br /> <br /> Le Premier ministre grec Alexis Tsipras a annoncé mardi le vote par le Parlement de mesures sociales en faveur des Grecs dès vendredi, date-butoir donnée par l'Eurogroupe à Athènes pour demander une extension de son programme d'aide.<br /> <br /> « Ces mesures vont conforter les salariés, les chômeurs, les petites et moyennes entreprise et vont relancer l'économie », a expliqué M. Tspiras. <br /> <br /> Figure parmi elles l'étalement en cent mensualités des remboursements de prêts bancaires pour les personnes les plus défavorisées.<br /> <br /> Les mesures sociales voulues par le gouvernement vont à l'encontre des préconisations du programme d'aide. <br /> <br /> « La Grèce n'accepte pas les conditions et les ultimatums, elle dit non », a lancé M. Tsipras, devant les parlementaires de son parti de gauche radicale Syriza. <br /> <br /> Il a également accusé le ministre allemand des Finances Wolfgang Schaüble d'avoir perdu son sang-froid et de s'être adressé de manière humiliante à la Grèce lors des discussions entourant l'Eurogroupe de lundi à Bruxelles. <br /> <br /> http://www.romandie.com/news/Grece--Tsipras-annonce-le-vote-par-le-Parlement-de-mesures-sociales-des-vendredi/566770.rom
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B
Lundi 16 février 2015 :<br /> <br /> L’Eurogroupe s’achève par un « clash » avec Athènes.<br /> <br /> On s'attendait à un nouvel Eurogroupe interminable après celui de mercredi 11 février, qui s'était terminé par un fiasco, après tout de même sept heures de négociations… Lundi 16 février, ce nouveau rendez-vous, prétendument « de la dernière chance », entre ministres des finances de la zone euro pour résoudre le problème de la renégociation de la dette grecque avec le gouvernement Tsipras, de la gauche radicale, n'a duré que quatre heures, et s'est achevé par un « clash ».<br /> <br /> http://www.lemonde.fr/crise-de-l-euro/article/2015/02/16/l-eurogroupe-s-acheve-par-un-clash-avec-athenes_4577661_1656955.html
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G
Je ne comprends pas votre article. La création monétaire est aujourd'hui l'œuvre des banques privées par la création de prêts essentiellement et de la BCE. Les Etats européens de la zone euro, leur banque centrale ne peuvent plus &quot;battre la monnaie&quot;.
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W
Reprenez la lecture et essayer de comprendre<br /> <br /> <br /> <br /> Je ne m'inscris pas dans l'ordre existant mais dans celui qu'il faudrait reconstruire: une bonne partie des problèmes rencontrés aujourd'hui relève de la fin de l'ordre monétaire de l'après seconde guerre mondiale. Je vous invite à parcourir les lectures proposées en note. Enfin j'invite à sortir des débats stériles que l'on trouve partout et qui n'invitent pas à la réflexion. A votre disposition

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