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29 septembre 2015 2 29 /09 /septembre /2015 08:25

 

 

Résumé.

L’organisation bruxelloise souvent désignée par le mot « Europe » est un outil efficace de reconfiguration des vieilles structures étatiques. Ces dernières ne sont ni détruites ni  homogénéisées. A l’inverse, elles se « spécialisent » et anéantissent le vivre ensemble qui était pourtant la finalité de l’organisation sus-visée.

 

La construction européenne, plus particulièrement dans sa dimension Euro zone, est une machine reconfiguratrice des modes de capture des Etats. Ces derniers, en particulier ceux concernés par la dite construction, furent, au cours de leur très longue période historique de gestation, d’abord accaparés par des entrepreneurs politiques classiques, princes ou  monarques, définissant et redéfinissant des frontières au terme d’alliances et de stratégies guerrières.

La décomposition des 4 piliers de ce qu’on appelle un « Etat ».

Dans ce contexte historique, la progressive montée des Etats nations, devait aboutir à ce que l’on définisse, au vingtième siècle, un Etat par 4 capacités  fondamentales : celle de créer une monnaie, celle d’établir la loi, celle de rendre la justice, et enfin la capacité de déclarer et faire la guerre.

On sait aussi que les formes brutales de capture se sont progressivement « civilisées » : les entrepreneurs politiques,  aux prises  avec leur finalité  d’accroissement de la puissance prédatrice, devant composer avec des groupes sociaux de plus en plus larges, les premiers étant les entrepreneurs de la finance et de l’économie. C’est ainsi que les modalités concrètes de la capture des Etats se sont progressivement enrichies, avec marche progressive vers ce qu’on appelle « l’Etat de droit », puis la démocratie, cette dernière  étant précisément le mode d’accaparement ou de capture démocratique des outils de la contrainte publique. D’où l’expression libertarienne selon laquelle la démocratie serait la possibilité pour une majorité « d’exploiter » une minorité.

L’édifice européen  s’est d’abord construit sur la volonté de mettre fin à la quatrième capacité fondamentale des structures étatiques : supprimer la guerre comme réalité inacceptable. Nombre d’entrepreneurs politiques ont pu ainsi asseoir leur capacité à se reproduire au pouvoir, et donc leur légitimité,  à partir de ce premier renoncement à la pleine souveraineté.

Mais la construction européenne se devait toutefois d’aller beaucoup plus loin en raison de la place de plus en plus importante que devaient prendre les entrepreneurs de la finance et de l’économie. Commencée avec un curieux mélange de considérations politiques (la question allemande) et économiques (l’établissement d’un grand marché) la CECA devait pouvoir élargir son champ de compétences pour aller, dans un premier temps, jusqu’au Traité de Rome.

Dans ce type de configuration, les entrepreneurs politiques sont bien sûr toujours présents, mais ils acceptent progressivement leur démonétisation comme prix de leur reconduction au pouvoir. A ce titre, la capture des Etats devient extrêmement partagée et la loi comme la Justice doivent se conforter à des métarègles bruxelloises dont le contenu est de plus en plus décidé par d’autres groupes sociaux.

La mise en place d’une monnaie unique est, probablement, le couronnement de la démonétisation du politique, lequel sera désormais asservi aux règles de la finance et de l’économie : les 4 piliers de ce qu’on appelle « l’Etat »  sont bel et bien en voie de disparition.

On aurait toutefois tort de considérer que la disparition soit complète. Les entrepreneurs politiques et les Etats en lambeaux qu’ils chevauchent encore,  pouvant  être utiles pour nombre d’acteurs. C’est ce que nous proposons d’appeler « processus de reconfiguration des Etats ».

S’il y a domination de la finance et de l’économie, le politique se trouve simplement asservi dans des espaces de « post-souveraineté », difficiles à définir, mais dont le contenu règlementaire se doit de protéger l’essentiel des libertés économiques : libre-circulation des marchandises, des capitaux et des hommes. Ces libertés ont une conséquence : faiblesse de la capture fiscale désormais concurrencée par les autres espaces de post-souveraineté, absence de solidarité entre espaces excédentaires et espaces déficitaires, asservissement par colonisation interne ou externe des restes des structures étatiques les plus vulnérables.

Ces quelques réflexions peuvent être illustrées par l’observation de quelques situations empiriques telles le Luxembourg,  la Grèce ou l’Espagne, structures étatiques qui ont pu faire  récemment l’actualité.

 

Le Luxembourg : coloniser l’Etat pour ne pas payer.

La situation géographique du Luxembourg a toujours fait de cet espace une zone tampon entre grands Etats prédateurs classiques : Duc de Bourgogne, Habsbourg, empire allemand,  monarchie française et empire napoléonien, etc.

 La construction européenne fut, pour le Luxembourg, une opportunité de nouvelles captures, gigantesques par la taille, et relativement réparties entre tous les acteurs présents et étrangers. L’entrepreneuriat politique fut consolidé et stabilisé par sa stratégie de braconnage fiscal des autres Etats en reconfiguration. Le « Tax ruling », le système bancaire, le « shadow banking » et la logistique financière sont  devenus une gigantesque industrie exigeant de très nombreux emplois de très haut niveau (juristes, financiers, statisticiens, etc. , dont les revenus anormalement élevés « ruissellent » sur des activités de services qui génèrent l’essentiel d’un PIB dont le niveau par habitant est 2 fois supérieur à celui validé en Allemagne. Un PIB artificiel fait de prédations et de paris sur différences de prix.

Il s’agit d’un processus de colonisation interne : Les innombrables étrangers ne sont pas des colonisateurs classiques (45% de la population totale). Ils utilisent un reste de souveraineté pour transférer des fonds issus du reste du monde et de la zone euro en particulier. Ils utilisent les services de l’Etat non pas pour l’asservir mais pour être protégé par ce qui lui reste d’autonomie : la possibilité de dessiner une frontière juridique dans les espaces règlementaires les plus avantageux et uniquement dans ceux-là. Une frontière juridique  elle -même conférée par l’absence de souveraineté des autres Etats : Le Luxembourg n’a pas à craindre une intervention militaire de la part des victimes du braconnage. En ce sens, la perte de la quatrième capabilité des Etats, celle   de mener la guerre, est un élément fondamental de la reconfiguration de l’Etat du Luxembourg. Historiquement pauvre, il était victime des grands prédateurs de l’entrepreneuriat politique du moment (Napoléon en fera un simple département). Aujourd’hui très riche, il ne craint plus les anciens prédateurs et se trouve protégé dans sa propre pratique prédatrice. Dans cette forme de reconfiguration, le non-respect de la contrainte publique la plus ordinaire, le paiement de l’impôt, devient droit positif.

La Grèce : coloniser l’Etat pour être payé.

Le cas de la Grèce est fort différent. Il n’y a pas d’étrangers qui conçoivent des accords de prédation fiscale avec des entrepreneurs politiques qui, contre rémunération, (tax ruling) accordent le braconnage de la fiscalité des Etats étrangers. Il y a à l’inverse des fonctionnaires étrangers qui depuis un hôtel édicte les règles du jeu du marché politique grec. Il s’agit ici d’une colonisation non plus pour moins payer mais pour être payé.

Parce que la construction européenne est l’asservissement de l’entrepreneuriat politique par les entrepreneurs de la finance et de l’économie, la grande question de la gestion des excédents et des déficits n’a pu être réglée comme cela se faisait à l’époque des Etats nations, c’est-à-dire par des transferts manifestant la solidarité entre des citoyens habitants des régions différentes et de niveaux de développement différents.

Les entrepreneurs politiques allemands ont bien eu le devoir de mettre en place chez eux les  métarègles européennes. Par contre, ils n’ont pas reçu l’ordre de mettre en place un système de transfert garantissant le bon règlement des marchandises que l’industrie allemande déverse sur la Grèce. Un tel système, allant contre les intérêts de nombre d’acteurs allemands (entrepreneurs économiques bien sûr qui n’ont pas envie de payer des impôts pour la Grèce, mais aussi tous les autres acteurs et ce, pour les mêmes raisons) il n’était pas question qu’il devienne métarègle européenne.

Bien évidemment le résultat est connu : sans transfert dans un espace où l’Etat est historiquement d’une très grande fragilité en raison de la mémoire laissée par 450 années de lutte contre le pouvoir Ottoman, la faillite est au bout du chemin. Le transfert ne peut devenir métarègle, mais la concurrence se devant de rester libre et non faussée, une concurrence aboutissant à un énorme surplus allemand,  la solution est donc la colonisation directe afin d’imposer la dévaluation interne comme seule possibilité d’assurer le fonctionnement du système. Le nouvel « Etat » grec est ainsi un protectorat avec des entrepreneurs politiques qui ne sont plus que des marionnettes actionnées par des fonctionnaires appliquant les métarègles.

La Catalogne : créer un Etat pour ne plus payer.

Il s’agit ici d’une reconfiguration par sécession. La relative disparition des 4 piliers fragilise, bien sûr considérablement, les structures étatiques les plus récentes ou les plus contestées historiquement. De ce point de vue, l’Espagne est une structure fragile avec des revendications identitaires dans nombre de provinces. A cette structure fragile se sont  ajoutées les métarègles bruxelloises.

Si maintenant, l’inondation de la société par  l’économie est plus aisée dans une province que dans une autre, il est clair que l’on retrouve la situation de l’Allemagne par rapport au reste de l’Europe. On peut ainsi dire que la Catalogne est à L’Espagne ce que l’Allemagne est au reste de l’Europe.

La Catalogne exporte beaucoup vers l’Espagne (50% du total de ses exportations) et importe assez peu du reste de l’Espagne. Un peu comme l’Allemagne par rapport au reste de l’Europe. Toutefois comme la Catalogne reste dans un espace de solidarité, il est évident que des transferts importants existent entre la Catalogne et l’Espagne. Ces transferts essentiellement fiscaux représenteraient 16 milliards d’Euros. Rien de très choquant pour un Etat nation classique. Mais, transferts devenus insupportables pour des acteurs qui cessent d’être citoyens dans un Etat dont la légitimité est contestée par l’existence des métarègles. Parce que l’européisme développe dans un même geste l’ouverture des marchés et la fin de la citoyenneté, donc le repli sur soi, le temps des fragmentations est arrivé et la Catalogne, comme l’Allemagne, ne peut accepter les transferts. D’où une exigence d’indépendance.

De fait, l’incertitude qui va probablement se prolonger, devra aussi intégrer le fait que la rupture comporte  des coûts en termes d’économies de transactions : déplacement de sièges sociaux, mise en place d’institutions spécifiques, telle une banque centrale, etc., et bien sûr des coûts de négociation avec l’organisation bruxelloise qui, elle, soucieuse de sa propre reproduction devra choisir.

On le voit, les reconfigurations sont multiples et d’autres exemples pourraient être exposés (Italie, Belgique et même Grande Bretagne). Ce qu’il faut toutefois retenir est, bien évidemment, que ce sont les structures étatiques les plus fragiles, fragiles par la taille, ou par l’histoire, qui sont davantage prisonnières de l’étau de la reconfiguration.

 

 

 

 

 

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20 avril 2015 1 20 /04 /avril /2015 05:19

 

Partant de définitions précises concernant les concepts d’Etat et de marché politique, la première partie du présent texte a permis d’étudier les mécanismes de déconstruction, en particulier celui de l’Etat-Nation. La seconde partie va maintenant s’interroger sur l’existence de forces permettant de  reconfigurer ce dernier : la sécession, mais aussi, la refondation et la fragmentation. Enfin nous verrons que les tentatives de dépassement sur un mode fédéral ou confédéral sont une complète et surtout très dangereuse illusion.

Reprenons successivement ces différents cas de figure.

Des couts d’homogénéisation trop élevés : la sécession.

Une première forme  concerne le démantèlement des Etat-Nations les moins homogènes. Il s’agit d’Etats-Nations composés de communautés distinctes historiquement rassemblées sous la houlette d’entrepreneurs politiques ayant édifié  un Etat unique (Espagne, Grande Bretagne, Belgique, etc.). Ces Etats-Nations parce que non homogènes se heurtent à la contestation croissante des transferts vers l’Etat-central. Contestation qui résulte d’un double mouvement : celui de la crise et celui de la fin de l’idéologie de l’intérêt général.

Parce que la crise aggrave les inégalités de performances entre les sous- ensembles de ces Etats-Nations, elle invite à l’augmentation des transferts exigés par les entrepreneurs politiques centraux, transferts de plus en plus contestés : La Catalogne n’accepte plus de financer l’Estrémadure, La Flandre n’accepte plus de financer la Wallonie, etc. Et ces résistances s’accroissent aussi en raison de l’affaissement de l’idéologie d’un intérêt général. Ce type de décomposition/ recomposition ne conteste pas la mondialisation laquelle devient au contraire un  appui pour une libération : il ne s’agit pas de se recroqueviller sur une culture provinciale, mais de s’en libérer d’une autre. Il ne s’agit pas de construire un nouvel universalisme mais de se libérer d’un particularisme. C’est dire qu’il ne s’agit pas vraiment de créer un nouveau monopole Etatique, un nouvel Etat-Nation - replié sur lui-même - en modèle réduit. Parce que la montée de l’économie et avec elle, celle de la mondialisation ne sont  pas contestées, parce que l’on est prêt à affronter toutes les conséquences de la foudre numérique en termes d’explosions de nouveaux échanges sans frontières, la seule variable qui importe est celle du coût d’un Etat que l’on doit néanmoins supporter parce que réalité encore indépassable. Ainsi, l’indépendance de la Catalogne, de l’Ecosse de la Flandre etc. se fait au nom d’un arbitrage de coûts : la communauté choisit l’Europe réputée plus avantageuse  que les prélèvements de l’Etat central historique. Elle se fait aussi probablement sur la base  d’un affaissement et non d’une disparition complète de l’idéologie d’un intérêt général : une version modernisée de l’Etat-Nation plus réduit et surtout ouvert  est encore pensable.  La sécession revendiquée est d’essence pacifique, la logique des intérêts a bien effacé celle des passions. Elle est aussi un instrument d’ascension pour des entrepreneurs politiques locaux qui vont trouver une nouvelle légitimité en offrant de nouveaux produits politiques. Concrêtement, elle n’interviendrait que sur la base de ces produits  relativement nouveaux que sont les  référendums d’autodétermination avec parfois initiative populaire.

La  problématique de la « fermeture » de l’Etat fédéral au niveau américain est sans doute assez différente. Pour autant elle témoigne avec la lutte contre le « Obamacare » et la mise en avant des Thèses d’un James Madison  (4ième président des USA) d’un réel recul du périmètre de l’intérêt général, recul mis en valeur là aussi par des entrepreneurs politiques en quête de nouvelles parts de marché. Là aussi, il s’agit moins de construire un nouvel universalisme, que de se libérer de contraintes, ici, en convoquant une histoire singulière 

Une place particulière doit bien sûr être réservée aux  structures conglomérales prémodernes ne correspondant pas à de véritables  Etat-Nations : URSS, Irak, Syrie, etc. Dans ce type d’espace les entrepreneurs politiques ayant édifié ces conglomérats sont parfois extérieurs et souvent très récents. Les conglomérats en question n’ont jamais réellement développé de façon crédible, l’idéologie de l’intérêt général au travers de racines communes, les coûts correspondants étant tout simplement prohibitifs. Le modèle westphalien qui inspire les créateurs de ces conglomérats est en effet difficile  à établir.[1] Il en résulte que la phase actuelle de décomposition est d’une logique fort éloignée de celle précédemment évoquée et logique  n’excluant pas la violence inter ethnique.

Coûts trop élevés de la crise et de la mondialisation : La refondation d’un Etat-Nation…patrimonial.

Une seconde forme correspond à la résistance face au dépassement de l’Etat-Nation classique, résistance prenant appui sur le principe de souveraineté, instance  fondatrice sans laquelle le « big-bang » des Etats, avec leurs frontières, eut été historiquement impossible. Parce que la souveraineté exclut dans sa définition l’idée d’un pouvoir qui serait au-dessus du pouvoir, elle se méfie d’une imbrication interétatique et de règles supranationales facilitant le processus de mondialisation. La résistance est ici le fait d’acteurs  se disant encore citoyens et  ne voient dans l’effritement de la souveraineté, qu’une manipulation des entrepreneurs politiques qui, parfois, associés à des entrepreneurs économiques, détruiraient la Nation de toujours. Nous avons là l’émergence des entreprises politiques dites populistes, notamment celles que l’on rencontre aujourd’hui dans nombre de vieux Etats européens (Autriche, Pays-Bas, Slovaquie, Finlande, Hongrie, Grèce, France,  etc.). Parce que résistante cette forme est évidemment moins pacifiste, et l’on y retrouve la logique violente de la recherche de boucs émissaires. Cette dernière se cache derrière un certain nombre de traits caractéristiques de ce qui est un national populisme : valorisation du « nous » comme « descendants d’un âge d’or », rejet de l’autre (« Altérophobie ») et en particulier des élites coupables, conception organiciste du monde, évidemment rejet de la mondialisation.

Dominique Reynié [2] désigne cette forme par l’expression de populisme patrimonial. Il est vrai que ce courant cherche aussi à préserver un patrimoine aussi bien culturel qu’économique, patrimoine qui serait menacé par l’immigration mais aussi la construction européenne et le mondialisme. Dans le même ordre d’idées, ce courant est logiquement anti-fiscaliste, individualiste et conservateur.

Pour autant, il y a lieu de distinguer le populisme en provenance des courants d’extrême droite à la recherche de boucs émissaires et les autres plus pacifiques, moins taxables d’Altérophobie, et plus simplement et seulement souverainistes. Il s’agit là d’une simple volonté restauratrice d’un passé idéalisé sans souci d’un repli identitaire. Il est aussi des cas particuliers où la souveraineté  serait moins  à reconstruite qu’à construire. Ce serait par exemple celui de la Grèce où le « big bang » de l’Etat a toujours été contrarié par la difficulté de dépasser les formes primaires du clientélisme, d’où le succès de Syriza qui n’a rien d’un populisme d’extrême droite.

Des coûts d’homogénéisation en forte croissance : La fragmentation

Il ne s’agit pas ici d’une situation où il y aurait à arbitrer entre coûts d’homogénéisation et coûts de l’autonomie (première forme déjà examinée) mais au contraire d’un cas dans lequel le coût d’homogénéisation n’est plus supportable. Cette forme correspond à une sécession larvée, celle du repli identitaire, ou ce qu’on appelle le communautarisme. Parce que l’Etat-Nation est contesté par la mondialisation, parce que le coût de production de l’idéologie de l’intérêt général devient prohibitif, il cesse de protéger des minorités qui, par ailleurs, sont davantage exposées que d’autres aux effets de la grande dissociation entre offre et demande globales mondiales[3]. L’excédentaire production des émergents (Chine notamment), et les choix des entrepreneurs politiques d’anciens Etats développés (Allemagne), sont venus détruire les emplois faiblement qualifiés et occupés par des minorités ethniques implantées dans nombre d’Etats. La perte relative d’identité était jusqu’ici compensée par l’accès aux complets bénéfices de l’Etat-Nation (les dépenses publiques d’homogénéisation), ce que les entrepreneurs politiques de l’époque désignaient par le terme « d’intégration ». Ces bénéfices disparaissant par le jeu de marchés politiques conduisant à la mondialisation, il ne reste plus que des coûts en forte croissance.[4], Des coûts assortis d' une accumulation des humiliations,  d'un repliement sur l’identité et la construction de frontières avec le reste de la nation. Il ne s’agit pas ici de faire sécession tout en restant dans la modernité, ce qui est le cas de la première forme de recomposition, il s’agit à l’inverse de retrouver les formes archaïques de l’Etat, lorsqu’il était juste après son « big- bang » enkysté dans la religion. Forme archaïque qui contestera, au nom de la liberté une laïcité française, laquelle est soupçonnée - selon Martha Nussbaum[5]-  de privilégier l’absence de religion. Il y a ici sécession d’un type très différent et contestation des frontières de l’Etat-Nation, avec le développement de zones de non droit, ni modernes (Etats-Nations)  ni post-modernes (mondialisation).

Cette troisième forme peut se retrouver chez les sécessionnistes de la première : il n’est pas impensable qu’une Belgique  ayant réduit le périmètre de l’idéologie de l’intérêt général jusqu’à faire naître 2 Etats, ne soit pas, au sein de ces nouveaux espaces, préoccupée par l’émergence de la troisième.

Maintenant cette dernière forme, bannie par la seconde, en accepte pourtant certains traits : racines plongées dans le passé, sacralisation de l’héritage culturel, conception organiciste du monde, altérophobie, etc. Elle se nourrit aussi de son rejet par les deux autres qui, voulant réduire le périmètre de l’intérêt général, acceptent de plus en plus le coût  en réduction  de l’universalisme de jadis ou du cosmopolitisme non assumé : acceptation des ghettos, renoncement à la solidarité, etc.

Les unions ou constructions fédérales en grandes difficultés.

Le passage à des grands ensembles fédéraux ou confédéraux n’est guère envisageable et nous avons déjà montré en ayant recours aux analyses de Rawls que le jeu interétatique, donc le jeu des marchés politiques nationaux, ne peut déboucher facilement sur ce type de construction[6]. Le problème de ces tentatives supra-nationales est qu’il est impossible d’aboutir à des institutions consensuelles, car à l’inverse de la « négociation sous voile d’ignorance » chère à Rawls, les sociétaires sont historiquement situés et négocient autour de la table des accords qui ne peuvent être que très difficilement mutuellement avantageux.

L’exemple de la construction européenne est de ce point de vue un cas d’école.

Parce que la problématique de la mondialisation ultra-libérale est devenue chez les entrepreneurs politiques européens un enjeu prioritaire, il est devenu impossible de gérer la contradiction entre  un libre échange illimité et étroitement surveillé, et le principe de souveraineté.

 La construction de l’euro est emblématique de cette contradiction. D’une part, la monnaie unique et ses conditions d’existence  (indépendance de la BCE, libre circulation du capital, etc.) étaient  les ingrédients  d’un libre échange plus réel que partout ailleurs dans le monde, mais d’autre part il était impensable que les déséquilibres extérieurs qui en étaient les conséquences, donnent lieu à des transferts entre Etats souverains. Les capitaux transférés n’étant que de la fiscalité fondement du pouvoir des entrepreneurs politiques, on voit mal une négociation au terme de laquelle les entrepreneurs politiques des Etats excédentaires se sacrifieraient au bénéfice des entrepreneurs politiques des Etats déficitaires. En termes très empiriques il n’y a pas de marge de négociation possible entre l’Allemagne et la Grèce : la problématique de la reconduction au pouvoir des entrepreneurs politiques allemands et grecs s’y oppose avec radicalité[7]. Il existe toutefois un très petit espace de négociation potentiel : celui provenant de la peur d’une rupture générant des externalités gigantesques. C’est possiblement le cas des entrepreneurs politiques allemands qui évalueraient leur responsabilité historique dans un effondrement complet  de l’union européenne. Lorsque les entrepreneurs politiques ne sont que les subordonnés d’entrepreneurs politiques nationaux, des transferts sont évidemment possibles, et c’est ce qui se passe dans la plupart des Etats-Nations. A l’inverse, au niveau des Etats, de tels transferts sont  peu imaginables sauf l’hypothèse ci-dessus émise et sauf, évidemment,  le recours à la violence et donc l’annexion d’un Etat par un autre, ce qui est l’inverse d’une construction fédérale.

Dans la réalité concrête, cette impossibilité  de transferts aboutit à l'imposition de politiques restrictives, les fameuses dévaluations internes pour les pays déficitaires, politiques qui éloignent les Etats les uns des autres avec les risques d'explosions sociales. Plus concrètement encore, la volonté fédéraliste peut-elle aboutir à la désertification de certains Etats et à l'enrichissement permanent d'autres?

La conclusion de tout ceci est que nous entrons probablement dans la phase de déconstruction progressive de l’organisation bruxelloise. 

Parcequ'en mondialisation il est probablement impossible de passer de l'Etat-Nation au fédéralisme, l'Europe génère elle-même les moyens de son déclin: ses taux de croissance sont durablement inférieurs à ceux du reste du monde.

 Bien évidemment le passage à un fédéralisme plus vaste encore – par exemple le passage à un Etat mondial- est encore beaucoup plus irréel, le produit politique « construction d’un gouvernement mondial » ne correspondant qu’à un marché de niche impossible à faire épanouir(8).

Cela ne signifie évidemment pas que les mensonges faciles sur l’actualité, ou sur l’inéluctabilité de la construction de grands ensembles continentaux vont disparaitre, tant il est vrai que les exhortations l’emportent souvent sur la réflexion. Clairement, les débats, rencontres, travaux  et colloques stériles sur la naissance d’une Europe politique vont proliférer  car selon le mot de Sylvestre Huet : « Entre un mensonge simple et une vérité compliquée à démontrer, c’est le menteur qui l’emporte ».

 

 

 

[1] Historiquement, le modèle westphalien, acquis au terme d’une très longue lutte entre prédateurs étatiques, supposait   beaucoup d’innovations très coûteuses à établir et pérenniser : incontestabilité du monopole et donc frontières à surveiller, principe de souveraineté, lutte contre toutes les formes d’hétérogénéité (culturelles, linguistiques, juridiques), etc. Il est clair que  la décolonisation relativement récente devait révéler la grande inapplicabilité du modèle westphalien. Ce qui ne veut pas dire que le modèle westphalien n'est pas exportable. Ainsi la Chine se reconstruit en Etat-nation souverain sur un modèle rejetant le magistère des valeurs occidentales.

[2]  « Populisme : la pente fatale », Plon, 2011

[4] Ce que certains appellent le gestion des nouveaux problèmes sociaux.

[5] « Les religions face à l’intolérance », Climats, 2013.

[6] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-eiffel-gliencke-etc-122700133.html

[7] Cf : http://www.lacrisedesannees2010.com/2015/02/euro-la-fin-du-protectorat-grec-et-ses-consequences.html

    (8) De ce point de vue Jean Louis Beffa a raison de penser que la mondialisation du présent siècle laissera intacte la présence de 2 grands Etats-Natiions, les USA et la Chine. Cf son essai : "Les Clés de la puissance"; Seuil;2015.

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14 avril 2015 2 14 /04 /avril /2015 14:49

Le présent texte reprend beaucoup de concepts et d'idées développés dans le blog. Il apparait utile de les activer pour mieux comprendre ce qui apparait aujourdhui comme une grande décomposition , en particulier celle de l'institution européenne .  

Notre article consacré à la spécificité des crises de l’entrepreneuriat politique débutait ainsi :

« Les entreprises politiques sont des organisations  en concurrence pour l’accès à ce monopole qu’est l’Etat. Animées par des intérêts privés : le goût du pouvoir, la recherche d'avantages matériels ou symboliques, elles utilisent la puissance idéologique d'un "intérêt général",  et transforment en métier, l’édiction de l’universel de la société, à savoir la production du cadre institutionnel et juridique général. [1]»

La littérature ( Revue Commentaire dans son numéro 143, Revue Esprit dans son N° de l’été 2013, dernier ouvrage d’Alain Touraine consacré à « la fin des sociétés », etc.), mais aussi des évènements déjà anciens ( disparition d’une réelle autonomie budgétaire en Europe, Shutdown aux USA,  référendum pour l’indépendance de l’écosse ou de la Catalogne, etc.) , enfin des processus en cours ( dynamiques identitaires, globalisation de l’ethnicité, revendication d’une démocratie directe par Internet, création de villes entièrement privées[2] etc.) questionnent la grande aventure Etatique.

 Sauf disparition, hypothèse que l’on ne peut à priori  exclure – phénomène qui serait sans doute fort étranger à la thèse de la « fin de l’Etat » des marxistes – les Etats restent pourtant en raison de leur nature même une structure monopoliste à l’intérieur d’un territoire délimité par des frontières. Si d’aventure cette structure monopoliste se brise, on obtient assez logiquement plusieurs monopoles (pensons à l’URSS).  Seules les modalités de la capture de l’Etat[3] évoluent et se transforment. Pendant très longtemps les modalités historiques de cette dernière purent développer la grande croyance en un bien commun appelé intérêt général.

Etat-Nation et grandeur d’un intérêt général

L’Etat-Nation résultait le plus souvent de la sublimation des ordres anciens, l’intérêt général étant le dernier substitut des dieux ou des conceptions organicistes de la société,  et, un substitut fondamental, les hommes, du stade historique correspondant, ayant besoin de croire en lui, et devant affirmer bruyamment son existence, dans le cadre d’entreprises politiques pouvant elles- mêmes s’appuyer, plus tard, sur une science : celle de l’économie. Jadis il fallait impérativement croire en Dieu. Après l’éloignement de ce dernier il fallait croire en l’intérêt général. Plus tard encore cet intérêt général sera théorisé et légitimé par ces grands prêtres appelés économistes.

Les formes de la capture de ce nouvel universel qu’est l’Etat-Nation par les différents acteurs – entrepreneurs économiques, citoyens validant  plusieurs rôles, parfois simultanément, (salariés, consommateurs, épargnants)[4], et bien sûr entrepreneurs politiques - s’inscrivent toutes dans la ferme croyance de cet intérêt général, à construire et à reconstruire en permanence sur les marchés politiques. Ce qu’on appellera par exemple le « compromis social-démocrate » en France ou « l’ordo libéralisme » en Allemagne.

Le succès de cette forme s’est le plus souvent affirmé dans le cadre du développement de l’économie de marché, système produisant  lui-même - selon Montesquieu et plus tard Albert Hirschman et tant d’autres - la « sublimation des passions vers les seuls intérêts ». Pourtant, et assez contradictoirement cette montée favorise celle de l’individualisme et l’effacement progressif de l’idéologie de l’intérêt général. Ainsi, en dehors de la science économique qui va maintenir son formidable ascendant sur une humanité consentante ou simplement résignée,  les ersatz de Dieu comme la nation ou la patrie seront progressivement contestés.

Intérêt général et multiplication des produits politiques

Pendant très longtemps la montée de l’abondance sur les marchés économiques (trente glorieuses de l’occident et trente glorieuses des émergents) était en correspondance avec celle des marchés politiques. Correspondance logique, l’Etat n’étant qu’une extériorité à capturer, les grandes entreprises politiques et leurs acteurs franchisés que sont les entrepreneurs politiques, se devaient d’offrir comme sur les marchés économiques l’abondance de produits, ici des produits politiques. Au fond, l’inondation de la société par l’économie , souhaitée par tous, était la forme concrète par laquelle devait passer l’intérêt général. Souvent ce qui ne pouvait être gagné sur les marchés économiques, passait par la manipulation politique de ces derniers : élévation du taux de salaire, règles de protection ou de concurrence, taux de change, mise en place d’infrastructures, etc. Entrepreneurs politiques, entrepreneurs  économiques et citoyens construisaient ainsi une interaction sociale adaptée à une montée de l’économie mesurable par un taux de croissance.

Longtemps, il fût - pour les entreprises politiques -  possible d’offrir comme au début du fordisme économique des produits politiques  standards : perfectionnement des droits de l’homme, démocratisation croissante des institutions, droits sociaux généraux etc. Mais avec l’inondation de l’économie et la montée de produits de plus en plus personnalisés, les entreprises politiques, comme celles de l’économie, furent saisies de revendications multiples et de plus en plus personnalisées : fin du « nous » au bénéfice du seul « moi », fin du carcan des devoirs au seul profit des « droits liberté » et des « droits créances », fin de la loi comme générale, abstraite et impersonnelle au profit d’une réglementation de niches qui vont proliférer, montée des agences de réglementation avec curieuse émergence d’une « soft Law », etc. Autant d’inflexions qui, bien évidemment, en arriveront au refus du destin partagé et jusqu’à la contestation radicale de l’impôt, d’où par exemple la multiplication de niches fiscales.

Le cout de production croissant de l’idéologie d’un intérêt général

 C’est dire qu’aujourd’hui, le manteau idéologique de l’intérêt général qui était le produit symbolique fondamental des grandes entreprises politiques tend à se retirer, laissant ainsi apparaitre une réalité cachée : les entrepreneurs politiques, qui ont depuis si longtemps et fort banalement, professionnalisé ce qui ne pouvait l’être, ne sont peut-être pas, (ou plus) altruistes et dévoués à la Nation. Plus brutalement encore, pour employer un langage libertarien,  ces « coûts de la production de l’idéologie de l’intérêt  général[5] »  que sont les dépenses publiques pour augmenter la productivité des citoyens (leur plus grande efficacité augmente la matière première taxable), pour homogénéïser les populations et produire un « nous », c’est-à-dire une identité commune que l’on va célébrer (école), pour produire le respect des règles (police, gendarmerie, justice) pour légitimer l’obéissance et contrôler les croyances (dépenses sociales), vont se faire croissants.

Lorsque le coût de production de l’idéologie de l’intérêt général est faible, la nation est forte car le coût de se rebeller est élevé : les « barrières à l’entrée du désordre » sont élevées. Si maintenant les entrepreneurs politiques se démonétisent les dépenses de production de l’idéologie de l’intérêt général deviennent hors de portée et les espaces de désordre ne feront que croître[6].

Bref, la nation serait contestée puisqu’elle ne serait plus et ne pourrait plus être le socle d’un destin partagé.

Marx expliquait, sans doute maladroitement, qu’en capitalisme, le marché  masquait la réalité de l’exploitation en transformant le coût du travail en un simple prix (le salaire), ce qui n’était pas le cas des modes de production antérieurs, où la réalité de l’exploitation se lisait brutalement à livre ouvert (esclavagisme, féodalisme, etc.). La fin de l’Etat-Nation serait ici un processus inverse : la réalité de l’Etat- un universel ou une extériorité accaparée et utilisée à des fins privées- n’apparait qu’avec la généralisation du marché, lorsque l’idéologie d’un intérêt général ne peut plus être facilement reproduite et s’efface. Le marché cachait la réalité du capitalisme, il découvre aujourd’hui la réalité de l’Etat. Avec toutefois un constat d’impuissance : capitalisme et Etat semblent être des réalités indépassables : par quoi remplacer le marché ? Par quoi remplacer l’Etat ?

Intérêt général démasqué et démonétisation de l’entrepreneuriat politique

De façon moins savante et à  la « surface des choses » cela signifie le grand déclin des grandes entreprises politiques et de leurs franchisés, c’est-à-dire les entrepreneurs politiques eux-mêmes. Ces citoyens devenus simples consommateurs de produits politiques connaissent désormais la partie cachée du réel. Ils veulent de la transparence. Ils veulent de la participation. Ils pensent confusément que, désormais, la démocratie telle qu’elle est, se révèle possiblement être un système qui permet à chacun de voler tous les autres. Ils pensent confusément que l’impôt est largement illégitime et approuvent- par exemple en France- à près de 50% l’exil fiscal (sondage IPSOS-CGI du 15 octobre 2013). Mieux, ils contournent -comme dans la distribution- la chaine logistique de l’approvisionnement et créent des groupes de pression négociant directement avec les administrations. L’ivresse individualiste fera des anciens citoyens des révolutionnaires d’un type nouveau[7] avec volonté d’abattre toutes les structures intermédiaires qui faisaient aussi le miel des entrepreneurs politiques : syndicats, ordres, corps, etc. De la même façon, les experts qui étaient souvent les boucliers des entrepreneurs politiques sont contestés dans leur savoir.

Le grand démantèlement de l’Etat.

Toujours à la « surface des choses » on semble assister au grand affaissement de l’Etat. Ainsi pour ne parler que de la France on a vu apparaitre des agences indépendantes (« Autorités administratives indépendantes »), chargées de la régulation d’un secteur, par exemple l’AMF pour la régulation financière[8]. Bien évidemment on a vu apparaitre l’indépendance des banques centrales, ce que nous avons appelé « l’écrasement de la verticalité »[9]. On a vu également des institutions, théoriquement au service de l’Etat, tels le Conseil Constitutionnel ou la Cour de Comptes dépasser un simple  contrôle de régularité (mission officielle) pour en arriver à émettre des injonctions. On a pu aussi voir des entreprises étrangères accaparer une procédure d’exception de Constitutionnalité, qui, elle-même, n’existait pas il y encore peu de temps. Etc.

 Bref, l’inter- action sociale qui – il y a très longtemps et probablement plusieurs milliers d’années -avait généré puis sacralisé l’Etat, est aujourd’hui force de sa désacralisation. Et cette dernière ne peut évidemment pas servir des constructions supra-étatiques telle l’Europe : les Etats ne se déconstruisent pas au profit d’une identité européenne laquelle souffre au même rythme que ses participants. L’euro est le produit phare de la contestation de l’Etat-Nation, mais simultanément, de par ses effets destructeurs, il détruit l’idée même d’un futur supra étatique[10]. Il apparait ainsi impossible de contruire le « supra » si « l’infra » est devenue matière première en décomposition. Dominique Reynié ( « L’opinion européenne » édition 2013 – lignes de repères) a ainsi tort   de s’étonner que le désaveu européen ne corresponde pas à un regain de confiance de l’Etat-Nation.

Les entrepreneurs économiques ne sont sans doute pas en reste et sont les premiers à échafauder de puissants lobbys. Ils rêvent, avec la mondialisation d’un monde sans Etat et considèrent parfois ceux-ci comme des contraintes inutiles voire nuisibles au bon épanouissement du marché, d’où les procédures de contournement facilitées par l’immatérialité de leurs activités liées à Internet, et l’apparition d’entreprises dites « sans Etat » (Google, Amazone, etc.).

Beaucoup veulent aller plus loin et -pensant que l’économie est un ciment social plus honnête que celui offert par les marchés politiques-  ils se précipitent dans l’utopie du Zéro impôt ou de la monnaie privée. Ainsi le « Bitcoin » , non pas en tant que monnaie locale, mais en tant qu’étalon monétaire classique devrait, pense-t-on, se substituer aux étalons classiques en perte de crédibilité. Utopie bien sûr, puisque la monnaie – désormais éloignée d’un Etat qui ne l’émet plus et que l’on dit pourtant « équivalent général »- suppose la règle de la loi et donc  la violence de l’Etat. Utopie donc, mais parfois rationalité prudente, et toujours sur le plan monétaire, face à l’insécurité grandissante sur les monnaies des Etats, utilisation de plus en plus massive des matières premières comme instrument de réserve des valeurs : blé, sucre, pétrole, or, etc.

A un niveau plus concret ces croyances et comportements plus ou moins libertaires déconstruisent le monde hiérarchisé de toujours pour plébisciter un monde plat : la société devient hall de gare ou d’aéroport pour reprendre l’expression de Finkielkraut. Le « vivre ensemble », question qui ne se posait pas, devient problème quotidien en ce qu’il désigne un mot signifiant la désintégration de la réalité qui lui correspond. Mais précisément, c’est cette désintégration qui propulse sur l’avant- scène d’autres forces  souvent parfaitement contraires à celles du jusqu’auboutisme de « l’individu désirant".

Ce que nous examinerons dans un prochain article.

 


[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-crise-de-l-ump-et-la-specificite-des-crises-de-l-entrepreneuriat-politique-123808610.html

[2] C’est le cas de « Zee Town » dans la Silicon Valley, de King Abdullah  Economic City (KAEC qui sera la première ville cotée en bourse) sur les bords de la mer Rouge, de Lavsa près de Bombay, etc….

[3] Cf: http://www.lacrisedesannees2010.com/article-que-signifie-l-idee-de-capture-de-l-etat-106249731.html

[4] Cf. http://www.lacrisedesannees2010.com/article-le-monde-tel-qu-il-est-78572081.html

[5] Et il faut bien comprendre ici que les entrepreneurs politiques ne font pas que tromper, ils se trompent eux-mêmes car la tromperie est le ciment social qui se passe de génération en génération.

[6] On parlera par exemple de zones de non droits , d’espaces où la République a disparu.

[7] Cf : l’essai de Gaspard Koening : « Le Révolutionnaire, l’Expert et le Geek ; combat pour l’autonomie » Plon 2015.

[8] Il existe aujourd’hui près de 1000 agences dites de régulation émettrices de ce qu’on appelle la « soft law ».

[9] Cf. « regard sur les banques centrales : essence, naissance, métamorphoses et avenir », Economie Appliquée, tome LXVI, octobre 2013).

[10] Les devaluations internes imposées par Bruxelles dans les Etats du sud, font que les niveaux de vie entre le nord el le sud connaissent des écarts tels qu’il n’est plus imaginable d’habiter une maison commune. Qui a t-il de commun entre le Bade Wurtemberg et le Péloponèse ?

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10 décembre 2014 3 10 /12 /décembre /2014 09:04

 

Résumé :

Les récentes décisions des ministres des finances de la zone euro accordant un délai de grâce de 2 mois à la Grèce et leurs conséquences sur le choix stratégique du parti au pouvoir à Athènes sont conformes à ce que proposent les conclusions de notre modèle de fonctionnement de la réalité sociale. Ce choix  entre «  poigne » et « clémence » et le pari qui s'en est suivi, sont des mesures de sauvegarde générale qui, au- delà des intérêts de la finance, sont un bon compromis entre entrepreneurs politiques européens soucieux de leur reconduction au pouvoir.

 

La Grèce est un Etat-Nation comme les autres et dispose   d’acteurs sociaux tels que précédemment définis[1] : entrepreneurs politiques et économiques, citoyens, salariés, consommateurs, épargnants.

Comme partout les entrepreneurs politiques, sous le parapluie idéologique d’un intérêt général, y assurent la captation des outils de la contrainte publique soit à leur profit soit en le partageant selon des modalités très diverses avec d’autres groupes sociaux.

L’édiction des règles du jeu social dans le pays - ce que nous appelions la « production de l’universel »[2]- connaissait toutefois, avant l’établissement de la monnaie unique,  quelques spécificités : non séparation de l’église et de l’Etat et donc captation partielle des règles par le clergé ; entrepreneuriat économique globalement peu puissant sauf dans des branches particulières ( Armateurs) ; citoyenneté enkystée dans la religion et aussi dans un puissant clientélisme politique ; salariés –en dehors de la fonction publique- peu nombreux, consommateurs peu organisés ; épargnants assis sur une  capital immobilier qui constituait l’essentiel de la sécurisation du patrimoine.

La privatisation du bien public monétaire (l’entrée dans l’euro zone) redessine le poids de la captation : les entrepreneurs politiques grecs deviennent des passagers clandestins[3] de l’eurozone d’autant plus importants qu’ils sont peu visibles à l’échelle de la zone : 2% du PIB de cette dernière.

Il en découle des déficits publics importants lesquels traduisent le poids de la redistribution vers les citoyens et salariés dont beaucoup sont dans une fonction publique clientéliste. Une redistribution payée par de la dette publique et privée.

Il en résulte aussi un laminage de l’entrepreneuriat industriel au profit de celui du négoce puisque désormais les grecs disposent d’une monnaie forte et parfaitement convertible : de quoi mettre en pleine lumière la sous-compétitivité grecque et la sanctionner brutalement. Un entrepreneuriat de négoce se met  en ordre de bataille et  laisse bien sûr une place essentielle à l’entrepreneuriat étranger (naissance et montée quasi hégémonique d’une Grande distribution à la française).

Il en résulte enfin des taux d’intérêt plus faibles qui permettent le développement du crédit.

Autant de caractéristiques qui autorisent un miracle de l’euro[4]….qui se manifeste par une envolée de la croissance économique, dont la contrepartie est constituée de déséquilibres publics et privés.

La crise grecque qui remonte aux crises des dettes souveraines vient contester le comportement de passager clandestin et donc les modalités de la captation : il faut, TroÏka oblige, réécrire les règles du jeu social, ce qui, dans un même geste, démonétise  l’entrepreneuriat politique grec. D’où l’idée de protectorat.

Plus récemment le jeu  complexe entre les différents marchés politiques et financiers se complexifie encore à l’occasion d’une éventuelle fin de tutelle sur l’entrepreneuriat politique grec.

Le « théâtre  grec » mais aussi européen à propos de la Grèce, fait intervenir les acteurs suivants :

- les entrepreneurs politiques au pouvoir en Grèce menacés par des élections rendues obligatoires en raison du mode de désignation du président de la République[5].

- les entrepreneurs politiques grecs dans l’opposition.

- des entrepreneurs politiques étrangers  menacés à court terme dans leur reconduction au pouvoir si un nouveau plan d’aide généreux devait être accordé (élections en Finlande, opposition des entrepreneurs politiques au pouvoir en Allemagne, Pays-Bas etc.)

- les entrepreneurs de la finance, notamment les banques, qui peuvent craindre une brutale remontée des taux et l’effondrement planétaire du système financier.

-tous les entrepreneurs politiques étrangers qui ont à craindre le déferlement d’un nouveau tsunami financier

- les régulateurs financiers avec, au premier rang, la BCE, mais aussi le FMI.

Bien évidemment ces acteurs sont eux-mêmes agités par les acteurs de base ou à l’inverse agitent des mandataires :

- Citoyens grecs qui refusent les dernières injonctions de la Troïka,

- Epargnants des pays du Nord de l’Europe, mais aussi du sud,

- Inspecteurs de la Troïka

- Ministres des Finances de l’Euro groupe.

La reconduction au pouvoir des actuels entrepreneurs politiques grecs passe de toute évidence par la fin du protectorat imposé par la Troïka. Son coût potentiel, à savoir une brutale remontée des taux et sa contagion planétaire, pouvant ne pas lui être imputable si elle met en avant le bouc-émissaire de la finance destructrice. Le pari n’est pourtant pas gagné.

Les autres entrepreneurs politiques au pouvoir de la zone euro ont à choisir entre une attitude dure qui mène à des élections législatives en Grèce avec un résultat débouchant sur un déclenchement possible du tsunami, et une attitude de clémence qui peut les fragiliser à l’intérieur de leur propre marché[6]. D'une certaine façon, ils sont eux aussi sous le régime du protectorat

La décision des Ministres des finances de la zone euro qui, dans la réunion du 8 décembre, accorde un délai de grâce de 2 mois est sage : elle permet de gagner du temps et ne déstabilise pas les principaux acteurs du jeu. Entre clémence et poigne il y avait encore un espace de compromis mutuellement avantageux.

Toutefois la décision du parti au pouvoir en Grèce de précipiter les élections pour la présidence de la, République n'offre aucune garantie de respect du contrat. Celle- ci dépend d'une foule de choix tactiques à venir: intérêt des entrepreneurs politiques de l'opposition au regard de l'élection présidentielle, choix du parti Syrisa au regard de la renégociationn sur le dette en cas d'accés au pouvoir, etc. Mais elle dépend aussi de variables non maitrisées dont celui de l'évolution des taux sur la dette souveraine n'est pas la moins importante,

Ces choix confirment notre modèle d’explication du fonctionnement du Monde avec comme paramètre fondamental la régulation des marchés politiques. La logique de l'intérêt de l'entrepreneuriat politique -même sous protectorat et donc même sous servitude volontaire- et la formidable contrainte de la reconduction au pouvoir qui en découle, est le paramètre déterminant des grands choix de société. Ce qu'on appelle l'âge économique de l'humanité  reste un âge politique indépassable.

 

 

 

 

[1] hthttp://www.lacrisedesannees2010.com/2014/10/pour-bien-comprendre-le-monde-d-aujourd-hui.

2htmltp://www.lacrisedesannees2010.com/2014/10/pour-bien-comprendre-le-monde-d-aujourd-hui.html

[3] http://www.lacrisedesannees2010.com/article-l-euro-implosion-ou-sursaut-43801089.html

[4] Il y a eu « miracle » et les grecs en sont bien conscients. C’est la raison pour laquelle l’immense majorité de la population souhaite encore rester dans la zone alors que la crise révèle que la monnaie unique n’était qu’une drogue.

[5] Il faut une majorité qualifiée pour désigner le président de la République, majorité qui n’existe pas aujourd’hui et qui sera impossible à atteindre pour l’actuel premier ministre. D’où des élections législatives probablement en février prochain.

[6] Par exemple contestation grandissante de la grande coalition allemande par L’AFD .

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14 juillet 2014 1 14 /07 /juillet /2014 09:08

Notre article du 17 juin dernier1 se trouve entièrement confirmé par la lecture de l’exposé des faits que l’on peut trouver sur le site du Département de la Justice des Etats Unis2 .

 

Les activités criminelles de la BNP sont officiellement confirmées

 

Ce texte traduit et publié en France3 confirme le caractère délictueux de l’activité de la BNP, caractère reconnu par le représentant de la BNP lui-même. Tout ce que nous affirmions le 17 Juin se trouve intégralement confirmé : volonté de cacher les opérations délictueuses en modifiant leur traçabilité, opérations sur le sol américain lui-même et donc non-opposabilité de l’extra-territorialité tant invoquée en France, dirigeants parisiens parfaitement informés des délits et de leur montant, etc

 Au vu de l’importance des montants (environ 9 milliards de dollar pour une seule année et probablement de l’ordre de 60 milliards au total si la justice américaine s’était montrée plus regardante) l’amende de 100% des sommes concernées sur une année peut apparaitre comme extrêmement modeste. Notons que sur des dossiers comparables (concernant des montants beaucoup plus réduits, et des faits qui concernent aussi le non-respect d’embargos), RBS et Standard Charterel se sont vus infligés, par « dollar illégal » une amende de 3,13 dollars pour le premier et 1 dollar pour le second.

La BNP devenue « Banque centrale du Soudan », selon le propos de Berruyer, ne pouvait toutefois être « justement sanctionnée » sans risque systémique… que la juridiction américaine a voulu éviter : il ne fallait pas ajouter, par le règlement du délit, une externalité cataclysmique imposée à la planète entière.

 

L’idéologie de la fin des nations produira encore des réactions éloignées de la réalité

 

Le second enseignement qu’il faut tirer de cette affaire est que le travestissement de la réalité risque de continuer au moins en France : les commentateurs vont continuer à vilipender l’impérialisme américain tout en s’insurgeant de trop faibles réactions gouvernementales. Certes, les entrepreneurs politiques français, les entrepreneurs de la finance y compris le gouverneur de la banque centrale, les journalistes, les juristes, etc. se feront plus prudents 4 , mais ils continueront de voir, dans cette affaire, une injustice. C’est que le lobby financier a réussi à imposer sa vision du monde jusqu’aux entrepreneurs politiques eux-mêmes.

La souveraineté est devenue en France une idéologie passéiste et il semble inacceptable que les USA restent une puissance impérialiste. Comme quoi la finance est devenue une incontestable réussite politique : la " pétition des marchands de chandelles" chère à Frédéric Bastiat est toujours de mode 5 ; une réussite politique qui se traduit aujourd’hui par une énorme dépendance du Trésor français et des Etats européens envers la finance : la dette souveraine, que l’on a bien voulu construire de toutes pièces, en abandonnant la souveraineté monétaire et bien sûr, l’indépendance des banques centrales qui en est le prolongement naturel.

 

Il reste au moins un Etat souverain dans le monde

 

Le troisième enseignement est que cette réussite politique est néanmoins contestée par un Etat qui reste debout : celui des Etats-Unis. Certes, on pouvait le croire aussi asservi que les autres avec sa gestion de la crise financière de 2008, bien sûr avec le choix du « Bail-Out » qui fera que la facture de la crise sera payée, comme ailleurs, par le contribuable, mais aussi avec les laborieuses constructions juridiques qui vont s’en suivre, notamment les 2300 pages de la loi Dodd-Frank du 16 juillet 2010.

Toutefois, l’année 2013 semble redonner du lustre au mot souveraineté 6 . On peut ainsi constater un premier mouvement de rupture de servitude volontaire de l’entrepreneuriat politique américain avec la promulgation de textes comme la loi FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) ou les amendes de plus en plus importantes infligées au monde de l’entreprise en général. Frédéric Lordon y voit à juste titre une puissance publique qui se donne les moyens de réaffirmer le primat de la souveraineté politique sur le monde de l’économie7 . Ce mouvement de souveraineté politique se confirme avec le poids considérable des amendes imposées en 2013 au monde de la Finance : 13 milliards de dollars pour JP Morgan, 10,1 pour Bank of America, 2,6 pour Crédit Suisse, 1,9 pour HSBC, 1,5 pour UBS, et aujourd’hui 9 pour BNP Paribas.

L’année 2014 sera aussi une très grande année de ressources nouvelles pour le Trésor américain qui bénéficiera de nouvelles amendes sur nombre d’autres banques européennes à partir de dossiers aujourd’hui en cours d’instruction : Société Générale, Crédit Agricole, Deutsche Bank, Commerzbank, etc. Cette réaffirmation de la souveraineté présente toutefois des limites : des hommes coupables peuvent encore échapper aux coups de bâton du souverain

Les banques sont coupables mais les dirigeants ne sont pas responsables....

 

Même là où l’Etat est resté souverain et repose sur une légitimité démocratique, le légal ne correspond pas nécessairement au légitime.

Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder cette question à propos de l’affaire Kerviel où nous avions analysé sous un regard bien spécifique la nature de certaines activités financières: exceptionnelles par rapport au droit commun et toujours en proximité avec le délit d’initié8. Les crimes bancaires qui viennent d’être sanctionnés sont ainsi des affaires de personnes morales qui n’impactent jamais leurs dirigeants. Déjà en novembre dernier il paraissait singulier que Jamie Dimon9 puisse ne pas être concerné par le règlement de l’affaire des subprimes : la Banque est coupable mais il n’y a pas de responsable. Il en fut de même pour les autres banques soumises à l’amende. Il en est bien évidemment de même pour Baudouin Prot10 qui, parfaitement informé des délits sur les transactions avec le Soudan, reste à son poste et ne se trouve même pas moralement sanctionné : son image reste celui d’un grand financier respectable

 On notera toutefois le caractère très asymétrique de cette grande désorganisation de la pensée : le petit arbitragiste Jérôme Kerviel fut condamné pour ses activités illicites, ce qui parallèlement permettait à sa hiérarchie d’être blanchie.

Aujourd’hui ce sont les banques qui sont condamnées ce qui permet aussi de blanchir la hiérarchie : quand on joue avec le délit, il vaut mieux être puissant.

 

1 cf:http://www.lacrisedesannees2010.com / article-affaire-bnp-de-la-delinquance-a-la-complicite-politique-applaudie_123915687.html

2 cf:http://www.justice.gov/opa/documents/paribas/consent-preliminary-forfeiture-money-judgement.pdft

3 cf le site d'O. Berruyer : http://www.les-crises.fr/-affaire-bnp-analyse

4 Le terme de racket ou celui d'impérialisme semble avoir disparu de la grande presse en juillet alors qu'en juin, nombre de journalistes et autre juristes ou politistes les utilisaient sans retenue ou démonstration. Cf par exemple Les Echos ou Le Monde.

5 cf : http://www.lacrisedesannees2010.com /article- la- finance-ou-la-reussite-de-la-petition-des-marchands-de-chandelles-frederic-bastiat-1845-121172557.html

6 Même Simon Johnson dans " Les Etats captifs de leurs banques" (Le Monde du 3 mai 2014) reconnait que les USA contrôlent mieux le système financier que l'Europe.

7 http://blog.mondediplo.net /2014-07-08-BNP-Paribas-une-affaire-de-geometries-variables.

8 http://www.lacrisedesannees2010.com /article-affaire-kerviel-approche-legale-et-approche-morale-123727272.html

9 Président de JM Morgan

10 A l'époque Président de la BNP

 

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17 juin 2014 2 17 /06 /juin /2014 04:00

 

La souveraineté  étant  l’affirmation qu’il n’existe aucun droit au-dessus du droit national a sans doute conduit le monde à des situations difficiles. Dans un système juridique national, les externalités issues des pratiques quotidiennes des acteurs sont gérables et le sont par le droit interne : les atteintes aux droits de propriété qu’elles génèrent sont internalisées. Tel est le sens de l’article 1384 du code civil en France. Mais tel n’est évidemment pas le cas dans l’ordre des souverainetés issues des constructions westphaliennes. Il n’existe pas d’article 1384 dédommageant un Etat des externalités subies et provoquées par un autre Etat. D’où des situations conflictuelles, des arrangements qu’on appelle « accords » ou « Traités », mais aussi des guerres.

Impérialisme ou exercice normal de la souveraineté ?

L’âge de l’Etat-Nation démocratique,  n’a pas mis fin- sauf, peut-être, en ce qui concerne les Etats de la Communauté Européenne- à la souveraineté westphalienne. Ainsi les USA aujourd’hui, considèrent que leur sécurité nationale, est menacée par des Etats Voyous, externalité qu’il faut gérer par tout un ensemble de mesures juridiques dont celles de l’embargo. Il en découle que toute action, en provenance de tout acteur privé ou public diminuant les effets de l’embargo transforme ses auteurs en ennemis des USA.

Si l’ennemi est un souverain, l’externalité est gérée par des mesures de rétorsion, mesures en théorie efficaces si le cout de ces dernières  est supérieur aux avantages du non-respect de l’embargo.

Si l’ennemi est un acteur privé, l’externalité n’est compensable que si les mesures de rétorsion sont envisageables concrètement, c’est-à-dire matériellement. En particulier si l’ennemi, en tant qu’acteur privé,  n’est pas présent sur le territoire américain, il est difficile de l’atteindre, surtout si cet ennemi se trouve physiquement logé dans le périmètre d’un Etat souverain réputé ami.

Impérialisme (politique) ou délit (juridique)?

Dans le cas de la BNP il est maintenant établi que la banque a allégé les effets de l’embargo sur le Soudan, l’Iran et Cuba. Il est donc logique que les USA réagissent. Les défenseurs de la BNP affirment que la rétorsion envisagée n’est guère acceptable car les USA auraient une vision extraterritoriale de leur souveraineté. D’où l’argument souvent invoqué dans la grande presse, de l’impérialisme américain dont le dollar serait l’un des bras armés.

On sait aujourd’hui que l’argument est faux puisqu’une chambre de compensation américaine située physiquement aux USA, a été mobilisée par la filiale newyorkaise de la BNP et que les traces des opérations correspondantes ont été maquillées, afin de ne pas attirer l’attention des autorités de surveillance et de régulation. Les Etats-Unis ne font qu’appliquer le principe de souveraineté. Avec toutefois des précautions juridiques relevant de la démocratie et du respect des droits de l’homme puisqu’aucun salarié, ou dirigeant, de la filiale américaine de la BNP n’a subi de violences. De la même façon, le patrimoine américain de la BNP n’a pas été menacé de saisie. On peut, certes, critiquer les USA sur un autre terrain : le politique, mais l’argument juridique est inattaquable car décision souveraine.

Du point de vue maintenant de la BNP, une activité légale, le financement du négoce de matières premières, effectuée en toute légalité au regard des droits européens, développe néanmoins des externalités au détriment des USA. Les USA ne peuvent invoquer l’article 1384 du code civil français pour obtenir réparation. Ils sont toutefois fondés à appliquer leurs lois puisque les transactions ont mobilisé des infrastructures financières sur leur territoire. Une législation concernant la sécurité de la nation américaine est ainsi contournée par un acteur privé : ce dernier doit être sanctionné.

Mieux, l’externalité invoquée n’est pas de nature civile ou simplement commerciale puisqu’il s’agit d’un problème de sécurité intérieure des USA. On comprend ainsi, que l’affaire est autrement plus grave que celle relevant généralement de l’article 1384. On comprend aussi pourquoi l’administration américaine veut dépasser la simple sanction d’une personne morale, pour en arriver à exiger des têtes. L’argument français selon lequel la même administration américaine serait plus conciliante avec les banques américaines de Wall Street ne tient pas, et les considérables sanctions financières de 2013 ne sont que financières et ne concernent que des personnes morales, pour des délits simplement économiques et délits ne portant pas atteinte à la souveraineté. Aucun dirigeant de banque n’oserait outrepasser la législation sur la sécurité intérieure des Etats-Unis. Nul ne saurait s’attaquer à la souveraineté américaine sans de redoutables sanctions personnelles. A ce titre les USA restent le modèle d’Etat-Nation au sens westphalien.

Sanctionner une personne morale ou sanctionner une personne physique ?

Les personnes morales sont pilotées par des personnes physiques, et ce sont des personnes physiques qui depuis maintenant près de 10 ans ont de fait, et sans doute indirectement,  menacé la sécurité intérieure des USA. La raison d’un tel choix n’est évidemment pas d’ordre politique et les dirigeants de la BNP ne souhaitent pas importuner les Etats-Unis. Elle est en revanche complètement financière : le règlement d’exportations soumises à embargo est une activité beaucoup plus rémunératrice que les autres. Il s’agit donc bien d’un délit et d’un délit portant sur la sécurité intérieure d’un Etat. On peut donc penser que les autorités américaines dans cette  affaire ont une position relativement modérée. Logiquement les responsables de la BNP devraient être extradés et pénalement sanctionnés.

Cette dernière solution serait au demeurant équitable, car une sanction financière lourde sur les comptes de la personne morale BNP développerait des externalités à l’échelle macroéconomique en particulier sur la France. On peut comprendre les mesures de rétorsion américaines sur la base du non-respect de l’embargo. On comprendrait moins  que ces mesures de rétorsion entrainent des externalités sur des acteurs complètement étrangers au problème posé. Des sanctions pénales sur des personnes physiques sont la seule réponse acceptable au problème posé.

De la grande confusion des esprits

Malheureusement l’ordre juridique ne permet pas cette solution juste tandis que l’ordre politique et idéologique français ajoute à la confusion.

Sur le plan strictement juridique, les délinquants se servent du manteau de la personne morale pour cacher leurs actions : le ou les délinquants ont agi au nom de la personne morale qui est ainsi seule coupable. Et il est impensable d’imaginer les mandataires agir contre les mandatés puisque dans l’ordre politico/idéologique du moment, la BNP apparait comme victime et non coupable : les entrepreneurs politiques français, à la quasi-unanimité,  cherchent à défendre la Banque et présentent l’affaire, comme une ingérence américaine. Simultanément,  des relais d’opinions considèrent que ces mêmes entrepreneurs politiques ne défendent pas suffisamment la souveraineté de la  France face à l’impérialisme américain. De quoi regretter le bon vieux temps où la France, Etat-Nation souverain, considérait comme inacceptable ingérence, les débats des Nations Unies portant sur le drame algérien de l’époque de la quatrième république. D’autres relais encore, croient pouvoir mobiliser des travaux académiques sur la nécessaire « élasticité du droit de la finance » pour implorer la clémence du procureur américain…

Pendant ce temps, à l’abri  d’une telle confusion des esprits, assis sur des rémunérations indécentes et maintenant mal acquises, les délinquants continuent et continueront de s’adonner à leur besogne…..  La sanction ne sera probablement que financière, ne concernera probablement que la personne morale… Quant à  ces possibles effets systémiques, ils seront payés par la collectivité. On ne change pas une équipe qui gagne !

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5 juin 2014 4 05 /06 /juin /2014 14:05

Jean-Pierre Dupuy[1] vient régulièrement frapper à la porte des économistes pour  rappeler les insuffisances de leurs  paradigmes, en particulier celui de l’individualisme méthodologique, ce dernier les amènant à considérer que le tout (la société) n’est que la somme des parties (les individus effectuant des choix rationnels).

Dans un récent article du Monde[2] il évoque l’idée d’autotranscendance du social en rappelant l’apologue de Jacques Lacan[3]. En termes simples il s’agit du partage d’une fortune composée de onze chameaux à répartir entre 3 enfants. Les règles du partage sont fixées dans le testament du père : la moitié pour l’un, le quart pour le second et le sixième pour le troisième…soit une succession impossible sans en dénaturer le sens, puisque les chameaux devraient d’abord être tués pour ensuite  partager de simples carcasses.

D’où l’idée d’une extériorité à introduire dans le jeu social : il suffit de découvrir une personne extérieure qui accepte de prêter un chameau, que l’on remboursera au terme de la succession. Introduire un douzième chameau dans le jeu permet à ce dernier d’être joué : Le premier enfant pourra obtenir 6 chameaux (la moitié), le second 3 (le Quart), et le troisième 2 (le sixième). On constate aussi que le chameau prêté pourra être rendu : Onze chameaux partagés, le douzième pouvant être rendu à l’extériorité.

A l’interne, la situation était intenable et la violence probable : il n’y avait pas de solution à l’intérieur de la microsociété composée des 3 héritiers. La seule issue possible était une intervention depuis l’extérieur au groupe.

S’il existe des individus qui font société, l’apologue de Jacques Lacan nous invite à penser que la société correspondante, est sans doute le fait des individus, mais nullement de leurs intentions et de la promulgation d’un contrat « hors sol », c’est-à-dire un contrat ne s’appuyant pas sur une extériorité que chacun sera amené à respecter. Une extériorité que personne n’a construite et que seule l’interaction sociale a engendrée.

Les lecteurs de ce blog [4]savent que cette « extériorité » espace du « politique » au sens générique du terme est passé par diverses formes qui se sont historiquement manifestées : le religieux, le politique au sens classique, celui qui a fait émerger les Etats, enfin l’économie. Cette dernière se découpant en 2 grandes tendances : celle de la « main invisible » (premiers classiques) ou de l’intérêt général ou de l’intérêt public (Keynes) qui rappelle clairement « l’extériorité », et celle de l’utopie (ultra-libéraux et libertariens) qui nie ou combat l’existence de toute forme d’extériorité tout en continuant parfois d’accepter l’idée d’un intérêt général.

Ces mêmes lecteurs savent aussi que cette extériorité est une réalité humaine indépassable : elle fait partie- au sens quasi biologique - de la condition humaine. C’est dire qu’il faut s’en accommoder, comme il faut s’accommoder de la mort.

Enfin ces mêmes lecteurs savent que -passé le stade des religions primitives où aucun des sociétaires ne se trouve en position privilégiée pour accéder à la connaissance voire la maitrise des forces de l’au-delà - l’extériorité fait l’objet d’un combat entre les hommes pour en maitriser son accès. L’autotranscendance n’est pas qu’une aliénation, elle est aussi un enjeu social : qui en aura la maitrise ?

L’histoire de cette dernière est ce qu’on appelle dans ce blog celle de « la grande aventure des Etats », la problématique de leur naissance et celle des forces de transformations qui font émerger des modalités très diverses de ce qu’on appelle le politique. Avec cette conclusion aussi paradoxale que celle du « pacte du chameau » : ce qu’on appelle l’Etat et ses institutions - donc ce qu’on désigne souvent maladroitement comme le secteur public qu’il faudrait opposer au secteur privé – n’est rien d’autre que l’extériorité privatisée par un clan, famille, individus. Autant de modalités désignées dans ce blog par l’expression générique « d’entrepreneurs politiques ».

Le mode de privatisation peut évidemment varier en fonction des modalités historiques de la lutte pour l’accès  au pouvoir. Si les entrepreneurs politiques se battent pour l’accès ou la reconduction au pourvoir, ils doivent aussi composer avec les revendications des autres membres de la société. Plus ce qu’on appelle la société civile se trouve active et plus l’utilisation des outils de la puissance dite « publique » se doivent être complexifiés et affinés. Une société civile plus active et plus complexe est corrélée avec ce qu’on appelle dans le blog « l’innondation de l’économique » (Marx parlerait de «l’immense accumulation de marchandises »). Parallèlement Il en résulte une demande croissante de ce qu’on appelle des « produits politiques » que les entrepreneurs se doivent de produire aux fins de reconduction ou conquête du pouvoir[5].

La période présente de l’aventure étatique est ainsi  faite  de très lourdes difficultés :

-  contestation croissante de l’idéologie d’un intérêt général avec en correspondance désacralisation radicale de « l’extériorité » et ruine des symboles associés ;

- exigence d’ouverture et de mondialisation avec en correspondance la fin de l’idée de souveraineté attachée à l’idée même « d’extériorité » ;

- ruine du « démos » attaché lui- même au principe d’extériorité et donc dépassement possible de l’idée de démocratie (le peuple est éloigné des règles de la démocratie au profit des seules règles économiques) ;

- perte de puissance de l’extériorité qui dans la mondialisation se trouve sans frontières (« l’extériorité perd sa peau ») et se trouve en difficulté pour réguler l’ensemble qui ne fait déjà plus société ;

- « saignement » de l’extériorité qui perd sa puissance de prédation fiscale au moment où de nouvelles exigences se manifestent chez les individus, d’où la difficulté de réguler une dette publique que la crise économique ne peut qu’aggraver ;

- Au final large démonétisation de l’entrepreneuriat politique dans nombre de pays.

 

Il existe ainsi globalement une crise des Etats, ce qui- bien évidemment - ne signifie pas leur disparition.



[1]Philosophe, professeur à l’Université Stanford.

[2]« Le pacte du chameau », Le Monde du 20 Mai 2014.

[3](1901-1981, psychiatre et psychanalyste

[4]Notamment tous les textes enregistrés sous la banière : « Etats et poltiques ».

[5] Parmi ces produits on notera dans la présente période une inondation de « droits libertés » et « droits créances ».

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3 juin 2014 2 03 /06 /juin /2014 14:48

 

La présente crise de l'entreprise politique UMP en France est une occasion de bien cerner le fonctionnement des marchés politiques. Le texte proposé ci-dessous n’est pas réellement nouveau et s’inscrit dans la liste de ceux publiés sur ce blog sous la rubrique : « Etats et politiques ».

Les entreprises politiques sont des organisations  en concurrence pour l’accès à ce monopole qu’est l’Etat. Animées par des intérêts privés : le goût du pouvoir, la recherche d'avantages matériels ou symboliques, elles utilisent la puissance idéologique d'un "intérêt général",  et transforment en métier, l’édiction de l’universel de la société, à savoir la production du cadre juridique général. [1]

Le mode d’organisation privilégié des entreprises politiques

 Ces organisations sont peuplées d'acteurs validant une certaine division du travail dans l'exercice de leurs fonctions: militants, élus ou éligibles, dirigeants. Si les militants peuvent être assimilés à des actionnaires  soucieux de bénéficier idéologiquement ou matériellement de l'activité des entreprises politiques, les élus ou éligibles peuvent difficilement être comparés aux salariés ou aux entrepreneurs du monde économique. A titre d'exemple un député de démocratie parlementaire n'est pas salarié de l'entreprise politique à laquelle il est rattaché. De fait, il est bien plutôt un entrepreneur politique individuel qui a signé un contrat de franchise avec son parti de rattachement. Situation qui peut, à la limite et selon certaines configurations, être assimilée à de la servitude volontaire.

Pour un entrepreneur politique individuel, il semble en effet évident que les coûts et "barrières à l'entrée" des marchés politiques sont hors de portée. Comme le sont par exemple les barrières à l'entrée du marché mondial de l'aviation civile pour un ingénieur aéronautique décidé à concurrencer directement BOEING ou EADS. Le passage par l'adoubement d'un parti, pouvant devenir passage en situation de servitude volontaire, est ainsi une démarche quasi obligatoire pour gagner un mandat sur les marchés politiques.  

   Le contrat de franchise est  réellement asymétrique puisqu'il oppose une offre oligopolistique (les entreprises politiques sont souvent peu nombreuses ou cartellisées) à une demande atomistique (les candidats à l'entrepreneuriat politique sont nombreux). C'est du reste le dirigeant - lui -même plus ou moins élu- ou son entourage immédiat, qui distribue les contrats. Les entreprises politiques sont ainsi des organisations qui abritent des entrepreneurs politiques, lesquels sont aussi en concurrence pour l'accès à la distribution ou renouvellement des contrats. On comprend ainsi que les fonctions dirigeantes sont à la fois globales et singulières: elles font de son bénéficiaire un entrepreneur politique individuel, mais aussi un sélectionneur des autres entrepreneurs politiques qu'il franchise, contre redevance, prélevée sur la rémunération publique de l'entrepreneur politique individuel, ayant gagné sur les marchés son accès aux outils de la puissance publique.

   Dans le cadre général de la franchise, franchiseurs et franchisés s'adonnent à un travail   classique d’utilisation de la puissance publique à des fins privées. L’objectif privé est la conquête ou la reconduction au pouvoir, utilité pour laquelle il faut supporter et reporter un ensemble de coûts : programmes politiques se transformant en textes porteurs de réglementations, se transformant eux-mêmes en impôts/dépenses publiques, ou se transformant en redistribution des niveaux de satisfaction des divers agents relevant du monopole étatique. Dans le cadre de cette dernière activité,  ils se heurtent à d'autres organisations du monde économique ou de la société civile, lesquelles se rassemblent souvent en lobbys. De ceci se dégage- notamment en démocratie- un compromis assurant la conquête ou la reconduction au pouvoir.  

L’entreprise politique au moment démocratique de l’aventure étatique 

 La démocratie ne change pas fondamentalement les données du problème et - de fait -  la puissance publique ne peut-être que ce qu’elle a toujours été : un monopole. Il y a simplement concurrence à partir d’un "appel d’offres" appelé "élection" : quels entrepreneurs auront la charge de la promulgation des textes qui - sous couvert du corpus idéologique "intérêt général"- s’imposent à tous, et sont donc bien œuvre d’une entité monopolistique à savoir l’Etat ? 

A ce stade, les idéalistes, en quête de perfection, se poseront la question de savoir si cet univers de fonctionnement des marchés politiques - notamment en démocratie-peut être amendé.

Un probable moyen de limiter l’utilisation de la puissance publique à des fins privées serait l’interdiction de la professionnalisation de la fonction politique. Un interdit passant par un texte, on voit mal pourquoi les entrepreneurs politiques et les entreprises qui les franchisent adopteraient une stratégie allant contre leur intérêt de reconduction, sans limite, au pouvoir. En démocratie représentative, la professionnalisation de la fonction politique est ainsi devenue un fait quasi hégémonique, et ce,  dans l'immense majorité des pays.  

Avec une nouveauté, qu’il convient de souligner par rapport à la forme antérieure de l’aventure étatique : les entrepreneurs politiques de l’âge démocratique, cessent de masquer l’accaparement de la puissance publique à des fins privées par la figure du divin, ou celle du héros souvent tyrannique, et ne sont plus que de simples et paisibles gestionnaires d’une entité profane appelée Etat. D’où le glissement du « politique » en « bonne gouvernance » et l’idée associée, selon laquelle il n’y aurait plus besoin d’un Etat pesant surplombant tous les acteurs. D’où le développement dans la plupart des pays du phénomène des « Autorités administratives indépendantes ».[2]

La résilience des entreprises politiques

 La crise de l'entrepreneuriat politique est un phénomène spécifique. Il peut exister des crises politiques en ce sens que, telle ou telle entreprise politique, est évincée du marché. Il peut aussi exister des crises de régime, avec passage d'une forme à l'autre de l'Etat. En revanche le produit politique, en tant que marchandise aux formes infiniment variées, ne peut disparaitre. Comme si le marché de l'acier ou celui de l'automobile était éternel. la raison en est simple: le politique est une réalité humaine indépassable.

 Une crise de l'entrepreneuriat politique correspond donc plutôt à ce que l'on constate au niveau de l'UMP en France.  

Il peut en effet exister, des situations de conflit, pour le contrôle de la machine à distribuer les contrats de franchise, certains contrats pouvant être plus convoités que d'autres: l'adoubement pour un poste de Président de la République est plus important, que celui correspondant au rôle de député. Si l'entreprise politique concernée, ne dispose pas de dispositif de sélection clair pour l'accès au contrôle  de la machine à distribuer les contrats, il peut en résulter des conflits avec apparition de forces centrifuges. Notons  que ces conflits sont puissamment nourris par la transformation en métier des activités politiques. Sans recherche continue d'un adoubement nouveau se succédant à l'ancien, la force dévastatrice des conflits pour l'accès au contrôle de la machine serait plus limitée.

 La force dévastatrice est toutefois contenue par la très grande hauteur des barrières à l'entrée- plutôt ici une barrière à la sortie- qui fait que les scissions sont très difficiles, et ne peuvent être envisagées, que par les entrepreneurs politiques qui peuvent se passer du contrat classique de franchise.[3] Ces entrepreneurs politiques -ainsi protégés davantage par leur enracinement territorial que par l'adoubement d'une grande entreprise politique - sont probablement assez peu nombreux. Ils s'exposent néanmoins aux mesures de rétorsion - adoubement d'un autre entrepreneur politique sur le même territoire- de l'entreprise politique qu'ils viennent de quitter. C'est dire que seule la déligitimation profonde de l'entreprise politique en crise peut autoriser la réussite d'une scission. 

Au final l’actuelle crise de l’UMP peut entrainer des départs volontaires et individuels sans toutefois déboucher sur une partition. Les forces centripètes, même en oppositions frontales- l’emporteront normalement sur les forces centrifuges : il est de l’intérêt des franchisés de reconstruire sans cesse le franchiseur. [4]

Dans le monde des entreprises économiques, les choses se déroulent différemment et une crise du franchiseur fait rapidement disparaitre les franchisés et l’ensemble de l’organisation. La puissance de la résilience des entreprises politiques n’est évidemment pas favorable à l’émergence de grandes innovations. Au-delà des agitations fournisseuses des matières premières médiatiques, il n’y a guère de choses à attendre de la crise du franchiseur UMP. Par contre l’entreprise UMP, même en ruines, dispose encore d’une grande capacité à résister aux mauvais vents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Cette définition se trouve plus précisément explicitée dans : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-le-monde-tel-qu-il-est-78572081.html. 

[2] Quasiment inexistante aux débuts de La cinquième république, elles ne sont pas loin d’un millier aujourd’hui et participent à cette impression de « managérialisation » des opérateurs de l’Etat. Les énarques laissent ainsi la place à des diplômés d’écoles de commerce  ou se reconvertissent par le biais de formations assurées par celles-ci. Une reconversion jugée toujours insuffisante par les « vrais entrepreneurs » : ceux de l’économie.

[3] Il faut distinguer ici la scission, très rare en raison des principes organisationnels des entreprises politiques, et le changement de franchiseur : un entrepreneur politique peut - non sans difficultés, certes-  dénoncer son contrat de franchise pour en nouer un autre.

[4] Tous les franchisés ne sont pas dans la même situation au regard de leur marché. Un franchisé élu avec 51% des voix n’est pas celui élu avec 75% des suffrages. C’est la raison pour laquelle un parti en crise peut maigrir sans toutefois disparaitre : les franchisés confortablement élus risquent ainsi d’être  les meilleurs défenseurs de l’entreprise politique en crise. Cela n’est pas toujours vrai , les plus fragiles tentant d’imposer dans la crise l’agent distributeur d’adoubements. Phénomène bien constaté dans la présente crise de l’UMP.

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25 mai 2014 7 25 /05 /mai /2014 22:00

 

 

    Les résultats des élections européennes de mai  2014 peuvent être interprêtés à la hâte. Ils peuvent aussi s'étudier en profondeur. La rubrique "Etats et politiques" de notre blog est l'objet d'une telle analyse. Nous reprenons ci-dessous un texte publié le 28 octobre dernier : "Mondialisation : l'aventure étatique est loin de s'achever". Nous pensons sincèrement que c'est là le premier enseignement des élections de ce 25 mai 2014.

Voici le texte publié le 28 octobre 2013:

Notre article consacré à la spécificité des crises de l’entrepreneuriat politique débutait ainsi :

« Les entreprises politiques sont des organisations  en concurrence pour l’accès à ce monopole qu’est l’Etat. Animées par des intérêts privés : le goût du pouvoir, la recherche d'avantages matériels ou symboliques, elles utilisent la puissance idéologique d'un "intérêt général",  et transforment en métier, l’édiction de l’universel de la société, à savoir la production du cadre juridique général. »

La récente littérature ( Revue Commentaire dans son numéro 143, Revue Esprit dans son N° de l’été 2013, dernier ouvrage d’Alain Touraine consacré à « la fin des sociétés », etc.), mais aussi les évènements récents ( disparition d’une réelle autonomie budgétaire en Europe, Shutdown aux USA, projet de référendum pour l’indépendance de l’Ecosse ou de la Catalogne, etc.) , enfin des processus en cours ( dynamiques identitaires, globalisation de l’ethnicité, revendication d’une démocratie directe par Internet, etc.) questionnent la grande aventure Etatique.

 Sauf disparition, hypothèse que l’on ne peut à priori  exclure – phénomène qui serait sans doute fort étranger à la thèse de la « fin de l’Etat » des marxistes – les Etats restent pourtant en raison de leur nature même une structure monopoliste à l’intérieur d’un territoire délimité par des frontières. Si, d’aventure cette structure monopoliste se brise, on obtient assez logiquement plusieurs monopoles (pensons à l’URSS).  Seules les modalités de la capture de l’Etat évoluent et se transforment. Précisément cette dernière devient problématique en raison des forces gigantesques et parfois opposées qui s’exercent sur la vieille forme Etat- Nation.

La première force est sans doute celle qui fit d’abord  naître, puis assurer le succès de l’Etat-Nation.

 

Un Etat-Nation qui meurt de son succès

 

L’Etat-Nation résultait le plus souvent de la sublimation des ordres anciens, l’intérêt général étant le dernier substitut des dieux ou des conceptions organicistes de la société. Et un substitut fondamental, les hommes du stade historique correspondant ayant besoin de croire en lui, et devant affirmer bruyamment son existence, dans le cadre d’entreprises politiques pouvant elles- mêmes s’appuyer sur une science : celle de l’économie. Jadis, il fallait impérativement croire en Dieu. Après l’éloignement de ce dernier il fallait croire en l’intérêt général.

Les formes de la capture de ce nouvel universel qu’est l’Etat-Nation par les différents acteurs – entrepreneurs économiques, citoyens validant  plusieurs rôles, parfois simultanément, (salariés, consommateurs, épargnants), et bien sûrs entrepreneurs politiques - s’inscrivent toutes dans la ferme croyance de cet intérêt général, à construire et à reconstruire en permanence sur les marchés politiques. Ce qu’on appellera par exemple le « compromis social-démocrate » en France ou « l’ordo libéralisme » en Allemagne.

Le succès de cette forme s’est le plus souvent affirmé dans le cadre du développement de l’économie de marché, système produisant  lui-même - selon Montesquieu et plus tard Albert Hirschman et tant d’autres - la « sublimation des passions vers les seuls intérêts ». Précisément cette montée favorise celle de l’individualisme et l’effacement progressif de l’idéologie de l’intérêt général. Ainsi même les ersatz de Dieu furent progressivement contestés.

Pendant très longtemps la montée de l’abondance sur les marchés économiques (trente glorieuses de l’occident et trente glorieuses des émergents) était en correspondance avec celle des marchés politiques. Correspondance logique, l’Etat n’étant qu’une extériorité à capturer, les grandes entreprises politiques et leurs acteurs franchisés que sont les entrepreneurs politiques, se devaient d’offrir comme sur les marchés politiques l’abondance de produits, ici des produits politiques. Au fond, l’inondation de la société par l’économie était souhaitée par tous, était la forme concrète par laquelle devait passer l’intérêt général. Souvent ce qui ne pouvait être gagné sur les marchés économiques, passait par la manipulation politique de ces derniers : élévation du taux de salaire, règles de protection ou de concurrence, taux de change, mise en place d’infrastructures, etc. Entrepreneurs politiques, entrepreneurs  économiques et citoyens construisaient ainsi une interaction sociale adaptée à une montée de l’économie mesurable par un taux de croissance.

Longtemps, il fût - pour les entreprises politiques -  possible d’offrir comme au début du fordisme économique des produits standards : perfectionnement des droits de l’homme, démocratisation croissante des institutions, droits sociaux généraux etc. Mais avec l’inondation de l’économie et la montée de produits de plus en plus personnalisés, les entreprises politiques, comme celles de l’économie, furent saisies de revendications multiples et de plus en plus personnalisées : fin du « nous » au bénéfice du seul « moi », fin du carcan des devoirs au seul profit des « droits liberté » et des « droits créances », fin de la loi  générale abstraite et impersonnelle au profit d’une réglementation de niches qui vont proliférer, fin qui bien évidemment en arrivera au refus du destin partagé et jusqu’à la contestation radicale de l’impôt, d’où par exemple la multiplication de niches fiscales. Paralèllement  d'autres revendications viendront contester ce qu'Hervé Juvin appelle le "règne du même " ( "La grande séparation, pour une écologie des civilisations", Gallimard, Octobre 2013). Il s'agit de revendiquer la diversité humaine, de respecter les infinies façons de vivre en humains et entre humains et de protéger ces derniers  en réinventant les frontières dont Régis Debray faisait l'éloge ("Eloge des frontières", Gallimard, 2010). 

 C’est dire qu’aujourd’hui, le manteau idéologique de l’intérêt général qui était le produit symbolique fondamental des grandes entreprises politiques tend à se retirer, laissant ainsi apparaitre une réalité cachée : les entrepreneurs politiques, qui ont depuis si longtemps et fort banalement professionnalisé ce qui ne pouvait l’être, ne sont peut -être pas, (ou plus) altruistes et dévoués à la Nation. Une nation qui est contestée puisqu’elle n’est plus le socle d’un destin partagé.

Marx expliquait, sans doute maladroitement, qu’en capitalisme le marché  masquait la réalité de l’exploitation en transformant le coût du travail en un simple prix (le salaire), ce qui n’était pas le cas des modes de production antérieurs, où la réalité de l’exploitation se lisait brutalement à livre ouvert (esclavagisme, féodalisme, etc.). La fin de l’Etat-Nation serait ici un processus inverse : la réalité de l’Etat -un universel ou une extériorité accaparée et utilisée à des fins privées- n’apparait qu’avec la généralisation du marché, lorsque l’idéologie d’un intérêt général s’efface. Le marché cachait la réalité du capitalisme, il découvre aujourd’hui la réalité de l’Etat. Avec toutefois un constat d’impuissance : capitalisme et Etat semblent être des réalités indépassables : par quoi remplacer le marché ? Par quoi remplacer l’Etat ?

De façon moins savante et à  la « surface des choses » cela signifie le grand déclin des grandes entreprises politiques et de leurs franchisés, c’est-à-dire les entrepreneurs politiques eux-mêmes. Ces citoyens devenus simples consommateurs de produits politiques connaissent désormais la partie cachée du réel. Ils veulent de la transparence. Ils veulent de la participation. Ils pensent confusément que désormais, la démocratie telle qu’elle est, se révèle possiblement être un système qui permet à chacun de voler tous les autres. Ils pensent confusément que l’impôt est largement illégitime et approuvent- par exemple en France- à près de 50% l’exil fiscal (sondage IPSOS-CGI du 15 octobre 2013). Mieux, ils contournent -comme dans la distribution- la chaîne logistique de l’approvisionnement et créent des groupes de pression négociant directement avec les administrations. Et curieusement, tout cela se déroule dans un climat d'affaissement d'une raison collective - celle d'une société organisée- au profit d' émotions susceptibles de connaitre les embrasements  désordonnés de la foule.

Toujours à la « surface des choses » on semble assister au grand affaissement de l’Etat. Ainsi pour ne parler que de la France on a vu apparaitre des agences indépendantes (« Autorités administratives indépendantes »), chargées de la régulation d’un secteur, par exemple l’AMF pour la régulation financière. Bien évidemment on a vu apparaitre l’indépendance des banques centrales, ce que nous avons appelé « l’écrasement de la verticalité » ( Cf. « regard sur les banques centrales : essence, naissance, métamorphoses et avenir », Economie Appliquée, tome LXVI, octobre 2013) On a vu également des institutions, théoriquement au service de l’Etat, telles le Conseil Constitutionnel ou la Cour de Comptes dépasser un simple  contrôle de régularité (mission officielle) pour en arriver à émettre des injonctions. On a pu aussi voir des entreprises étrangères accaparer une procédure d’exception de Constitutionnalité, qui elle-même n’existait pas il y encore peu de temps. Etc.

 Bref, l’inter-action sociale qui – il y a très longtemps et probablement plusieurs milliers d’années -avait engendré puis sacralisé l’Etat, est aujourd’hui force de sa désacralisation. Et cette dernière ne peut évidemment pas servir des constructions supr-étatiques telle l’Europe : les Etats ne se déconstruisent pas au profit d’une identité européenne laquelle souffre au même rythme que ses participants. Dominique Reynié ( « l’opinion européenne » édition 2013 – lignes de repères) a ainsi tort   de s’étonner que le désaveu européen ne corresponde pas à un regain de confiance de l’Etat-Nation.

Les entrepreneurs économiques ne sont sans doute pas en reste et sont les premiers à échafauder de puissants lobbys. Ils rêvent, avec la mondialisation d’un monde sans Etat et considèrent parfois ceux-ci comme des contraintes inutiles voire nuisibles au bon épanouissement du marché, d’où les procédures de contournement, facilitées par l’immatérialité de leurs activités liées à Internet, et l’apparition d’entreprises dites « sans Etat » (Irlande).

Beaucoup voulant aller plus loin,  pensant que l’économie est un ciment social plus honnête que celui offert par les marchés politiques- ce que Juvin appelle la "mise hors sol de l'humanité"-  se précipiteront dans l’utopie du Zéro impôt ou de la monnaie privée. Ainsi le « Bitcoin » , non pas en tant que monnaie locale, mais en tant qu’étalon monétaire classique devrait, pense-t-on, se substituer aux étalons classiques en perte de crédibilité. Utopie bien sûr, puisque la monnaie – désormais éloignée d’un Etat qui ne l’émet plus et que l’on dit pourtant « équivalent général »- suppose la règle de la loi et donc  la violence de l’Etat. Utopie donc, mais parfois rationalité prudente, et toujours sur le plan monétaire, face à l’insécurité grandissante sur les monnaies des Etats, utilisation de plus en plus massive des matières premières comme instrument de réserve des valeurs : blé, sucre, pétrole, or, etc.

A un niveau plus concret, ces croyances et comportements plus ou moins libertaires déconstruisent le monde hiérarchisé de toujours pour plébisciter un monde plat : la société devient hall de gare ou d’aéroport pour reprendre l’expression de Finkielkraut ("L'identité malheureuse", Stock, octobre 2013). Le « vivre ensemble », question qui ne se posait pas, devient problème quotidien en ce qu’il désigne un mot signifiant la désintégration de la réalité qui lui correspond. Mais précisément, c’est cette désintégration qui propulse sur l’avant-scène d’autres forces différentes et souvent parfaitement contraires à celles d'un jusqu’auboutisme démocratique qui est parvenu à la négation de ce qu'il était. 

 

Les Forces de recomposition

 

Diverses, elles s’inscrivent souvent dans l’échec de l’utopie économiciste faisant de l’interaction sociale fonctionnant au seul carburant du marché une impossibilité pour nombre d’acteurs. La sublimation des passions vers les intérêts hors du carcan de l’Etat-Nation ne fonctionne que de façon trop imparfaite, et la mondialisation, mal comprise, ne peut qu’aggraver la crise de surproduction à l’échelle mondiale. (cf http://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20131008trib000789408/la-competitivite-comme-suicidaire-panique-collective.html).

Voilà sans doute la force essentielle qui va commander les formes nouvelles de recomposition.

Une première forme  concerne le démantèlement des Etat-Nations les moins homogènes. Il s’agit d’Etats-Nations composés de communautés distinctes historiquement rassemblées sous la houlette d’entrepreneurs politiques ayant édifié  un Etat unique (Espagne, Grande Bretagne, Belgique, etc.). Ces Etats-Nations parce que non homogènes se heurtent à la contestation croissante des transferts vers l’Etat-central. Contestation qui résulte d’un double mouvement : celui de la crise, et celui de la fin de l’idéologie de l’intérêt général.

Parce que la crise aggrave les inégalités de performances entre les sous-ensembles de ces Etats-Nations, elle invite à l’augmentation des transferts exigés par les entrepreneurs politiques centraux, transferts de plus en plus contestés : La Catalogne n’accepte plus de financer l’Estremadure, La Flandres n’accepte plus de financer la Wallonie, etc. Et ces résistances s’accroissent aussi en raison de l’affaissement de l’idéologie d’un intérêt général. Ce type de décomposition/ recomposition ne conteste pas la mondialisation laquelle devient au contraire un  appui pour une libération : il ne s’agit pas de se recroqueviller sur une culture provinciale, mais de s’en libérer d’une autre. Il ne s’agit pas de construire un nouvel univeralisme mais de se libérer d’un particularisme.

 C’est dire qu’il ne s’agit pas vraiment de créer un nouveau monopole Etatique, un nouvel Etat-Nation en modèle réduit. Parce que la montée de l’économie et avec elle celle de la mondialisation ne sont  pas contestées, parce que l’on est prêt à affronter toutes les conséquences de la foudre numérique en termes d’explosions de nouveaux échanges sans frontières, la seule variable qui importe est celle du coût d’un Etat que l’on doit néanmoins supporter parce que réalité encore indépassable.

 Ainsi l’indépendance de la Catalogne, de l’Ecosse, de la Flandre etc. se tente au nom d’un arbitrage de coûts : la communauté choisit l’Europe réputée plus avantageuse  que les prélèvements de l’Etat central historique. Dans d'autres cas l'arbitrage de coûts poura se faire sur la base de droits historiques que l'on veut maintenir (Bretagne?).  

La sécession revendiquée, se fait aussi probablement sur la base  d’un affaissement et non d’une disparition complète de l’idéologie d’un intérêt général : une version modernisée de l’Etat-Nation plus réduit et surtout ouvert  est encore pensable.  La sécession revendiquée est d’essence pacifique, la logique des intérêts a bien effacé celle des passions. Elle n’interviendrait que sur la base de ces produits politiques relativement nouveaux que sont les  référendums d’autodétermination avec parfois initiative populaire.

La  problématique de la « fermeture » de l’Etat fédéral au niveau américain est sans doute assez différente. Pour autant elle témoigne avec la lutte contre le « Obamacare » et la mise en avant des Thèses d’un James Madison  (4ièmeprésident des USA) d’un réel recul du périmètre de l’intérêt général. Là aussi, il s’agit moins de construire un nouvel universalisme que de se libérer de contraintes, ici en convoquant une histoire singulière.

Une place particulière doit bien sûr être réservée aux  structures conglomérales prémodernes ne correspondant pas à de véritables  Etat-Nations : URSS, Irak, Syrie, nombre d'Etats africains, etc. Dans ce type d’espace les entrepreneurs politiques ayant édifié ces conglomérats sont parfois extérieurs et souvent très récents. Les conglomérats en question n’ont jamais réellement développé de façon crédible l’idéologie de l’intérêt général au travers de racines communes. Il en résulte que la phase actuelle de décomposition est d’une logique fort éloignée de celle précédemment évoquée, et logique  n’excluant pas la violence inter ethnique.

 

Une seconde forme correspond à la résistance face au dépassement de l’Etat-Nation classique, résistance prenant appui sur le principe de souveraineté, instance  fondatrice sans laquelle le « big-bang » des Etats, avec leurs frontières, eût été historiquement impossible. Parce que la souveraineté exclut dans sa définition l’idée d’un pouvoir qui serait au-dessus du pouvoir, elle se méfie d’une imbrication interétatique et de règles supranationales facilitant le processus de mondialisation. La résistance est ici le fait d’acteurs  se disant encore citoyens et  ne voient dans l’effritement de la souveraineté qu’une manipulation des entrepreneurs politiques qui, parfois associés à des entrepreneurs économiques, détruiraient la Nation de toujours. Nous avons là l’émergence des entreprises politiques dites populistes, notamment celles que l’on rencontre aujourd’hui dans nombre de vieux Etats européens (Autriche, Pays-Bas, Slovaquie, Finlande, Hongrie, Grèce, France,  etc.).

 Parce que résistante cette forme est évidemment moins pacifiste, et l’on y retrouve la logique violente de la désignation de boucs émissaires. Cette forme se cache derrière un certain nombre de traits caractéristiques de ce qui est un national populisme : valorisation du « nous » comme « descendants d’un âge d’or », rejet de l’autre (« Altérophobie ») et en particulier des élites coupables, conception organiciste du monde, évidemment rejet de la mondialisation.

Dominique Reynié ( « Populisme : la pente fatale », Plon, 2011) désigne cette forme par l’expression de populisme patrimonial. Il est vrai que ce courant cherche aussi à préserver un patrimoine aussi bien culturel qu’économique, patrimoine qui serait menacé par l’immigration mais aussi la construction européenne et le mondialisme. Dans le même ordre d’idées ce courant est logiquement anti fiscaliste, individualiste et conservateur.

Pour autant, il y a lieu de distinguer le populisme en provenance des courants d’extrême droite à la recherche de boucs émissaires et les autres plus pacifiques, moins taxables d’Altérophobie, et plus simplement et seulement souverainistes. Il s’agit là d’une simple volonté restauratrice d’un passé idéalisé sans souci d’un repli identitaire.

 

Une troisième forme correspond précisément à celle du repli identitaire, ou ce qu’on appelle le communautarisme. Parce que l’Etat-Nation est contesté par la mondialisation, il cesse de protéger des minorités qui par ailleurs sont davantage exposées que d’autres aux effets de la grande dissociation entre offre et demande globales mondiales. L’excédentaire production des émergents (Chine notamment) est venue détruire les emplois faiblement qualifiés et occupés par des minorités ethniques implantées en Occident. La perte relative d’identité était jusqu’ici compensée par l’accès aux complets bénéfices de l’Etat-Nation, ce que les entrepreneurs politiques de l’époque désignaient par le terme « d’intégration ». Ces bénéfices disparaissant par le jeu de marchés politiques conduisant à la mondialisation, il ne reste plus, avec ce qui est vécu comme une accumulation des humiliations, que le repliement sur l’identité et la construction de frontières avec le reste de la nation.

 Il ne s’agit pas ici de faire sécession tout en restant dans la modernité, ce qui est le cas de la première forme de recomposition. Il s’agit à l’inverse de retrouver les formes archaïques de l’Etat, lorsqu’il était juste après son « big- bang » enkysté dans la religion. Forme archaïque qui contestera au nom de la liberté une laïcité française laquelle est soupçonnée- selon Martha Nussbaum (« Les religions face à l’intolérance », Climats, 2013) de privilégier l’absence de religion. Il y a ici sécession et contestation des frontières de l’Etat-Nation avec le développement de zones de non droit, ni modernes (Etats-Nations),  ni post-modernes (mondialisation).

Cette troisième forme peut se retrouver chez les sécessionnistes de la première : il n’est pas impensable qu’une Belgique  ayant réduit le périmètre de l’idéologie de l’intérêt général jusqu’à faire naitre 2 Etats, ne soit pas au sein de ces nouveaux espaces, préoccupée par l’émergence de la troisième.

Maintenant cette dernière forme, bannie par la seconde, en accepte pourtant certains traits : racines plongées dans le passé, sacralisation de l’héritage culturel, conception organiciste du monde, altérophobie, etc. Elle se nourrit aussi de son rejet par les deux autres qui, voulant réduire le périmètre de l’intérêt général, acceptent de plus en plus le coût  de la  réduction  de l’universalisme de jadis, ou du cosmopolitisme non assumé : acceptation des ghettos, renoncement à la solidarité, à l'immigration, etc.

 

On le voit, le futur de l’aventure étatique n’est nullement écrit.

La montée des intérêts est une force déterminante de contestation de l’idéologie du bien commun. Cette montée ne peut toutefois faire disparaitre des Etats qui se redessinent et se multiplient : il y aura toujours une instance au- delà de chacun des acteurs du jeu social. Simplement, il semble bien que  la mode est plutôt au rétrécissement qu’à l’élargissement. Parce que l’intérêt général est de moins en moins visible, le périmètre des Etats ne peut au mieux que se maintenir (forme 2). Il doit à l’inverse plutôt se réduire (forme 1) voire peut-être même se fragmenter à l’intérieur d’espaces prémodernes en cours de formation ( forme 3), espaces qui peuvent aussi grossir avec les migrations, elles- mêmes impulsées par la mondialisation.

A contrario, le passage à des grands ensembles fédéraux ou confédéraux n’est guère envisageable et nous avons déjà montré en ayant recours aux analyses de Rawls que le jeu interétatique, donc le jeu des marchés politiques nationaux, ne peut déboucher facilement sur ce type de construction. Le présent blocage de la construction européenne est là pour nous le rappeler. Bien évidemment le passage à un Etat mondial est encore beaucoup plus irréel, le produit politique « construction d’un gouvernement mondial » ne correspondant qu’à un marché de niche, incapable de parvenir à maturité.

Cela ne signifie évidemment pas que les mensonges faciles sur l’actualité, ou sur l’inéluctabilité de la construction de grands ensembles continentaux vont disparaitre, tant il est vrai que les exhortations l’emportent souvent sur la réflexion. Clairement, les débats, rencontres, travaux  et colloques stériles sur la naissance d’une Europe politique vont proliférer,  car selon le mot de Sylvestre Huet : « Entre un mensonge simple et une vérité compliquée à démontrer, c’est le menteur qui l’emporte ».

 

Ces quelques réflexions et conclusions peuvent constituer pour le lecteur une matière première susceptible d'enrichir l'appréciation des élections européennes qui viennent de se dérouler.

 

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6 novembre 2013 3 06 /11 /novembre /2013 23:00

                          

Dans « Mondialisation : l’aventure étatique est loin de s’achever » nous avons évoqué les trois grandes  formes de décomposition/recomposition des Etats. Dans ce cadre, nous avons traité de façon simplement allusive, ce que nous appelions les « structures conglomérales pré modernes ».

Le présent texte propose de donner davantage de contenu à ce type de structures.

Le fait fondamental est qu’elles n’ont pas connu l’étape de l’Etat-Nation, étape directement issue de la spécificité de l’histoire européenne. Clairement elles n’ont pas connu l’accouchement du système « westphalien » et ne l’ont rencontré que sous l’angle d’une copie (reproduction) ou d’une imposition : empire des Tsars devenant URSS, empire Ottoman découpé par les puissances occidentales, Etats africains multi- ethniques et/ou multi -confessionnels, etc.

Décodé ou extirpé de son enveloppe idéologique, le système westphalien correspondait à un équilibre des forces entre  entrepreneurs politiques prédateurs en concurrence au sein d’un espace. Il s’agissait de créer des monopoles incontestables garantis par l’idée d’un équilibre des puissances, l’inviolabilité de la souveraineté (c’est-à-dire un principe qui consacre un monopole de prédation au profit d’entrepreneurs politiques d’un espace délimité par des frontières elles- mêmes inviolables),  et bien-sûr ce droit complémentaire qui est celui de la non- ingérence.

Ce modèle officiellement né avec les traités de Westphalie (1648) allait renforcer et légitimer  une dynamique déjà en cours : naissance d’un droit international, renforcement de l’idéologie d’un intérêt général par imposition de mesures d’homogénéisation des populations, désormais solidement campées et identifiées à l’intérieur de frontières par les entrepreneurs politiques locaux. A partir du système westphalien pourra se renforcer,  ce que les juristes appellent,  la construction de l’Etat moderne : religion d’Etat, imposition d’une langue, invention d’un mythe national, imposition d’un système de mesures, d’une monnaie, d’une armée de métier, etc. Bref tout ce que les économistes fonctionnalistes appellent improprement la « construction des biens publics ».  ( Alesina A, E. Spolaore (« The size of Nations »,Cambridge,The MIT Press, 2003), JM Siröen (“Globalisation et Gouvernance; une approche par les biens publics », dans  « Crise de de l’Etat, Revanche des Sociétés ». Montréal, Athéna Editions, 2006), etc.).

 Mieux, parce que désormais sédentarisés et protégés par des frontières, les entrepreneurs politiques pourront progressivement devenir de bons gestionnaires de leur monopole, ce qu’on appelle par exemple « le mercantilisme des monarchies européennes ». Mercantilisme devenant une confirmation empirique de ce qui est pourtant l’erreur du fonctionnalisme économiciste : les entrepreneurs politiques, animés par des intérêts privés : recherche de pouvoirs réels ou symboliques, de rentes, etc. ne sont pas les guides intelligents et altruistes, voire des « héros » conduisant à un intérêt général.

Bien évidemment la stabilité est toute relative. La souveraineté est une garantie qui connait hélas une contrepartie, à savoir l’impossibilité de gérer par le droit les externalités qu’elle peut engendrer. Alors que dans un Etat, un Code Civil peut sanctionner les externalités produites par les citoyens, dans l’ordre de la souveraineté rien ne peut gérer ce type de circonstances : l’ordre westphalien ne peut mettre fin à des guerres qui seront de plus en plus des guerres entre Etats- Nations. C’est dire que l’aventure étatique n’est pas gelée dans ce système et qu’à l’inverse, les Etats pourront se déplacer, se réduire, s’agrandir, se multiplier, se diviser, etc. (300 Etats européens en 1789 et seulement 25 en 1914 ; A l’échelle planétaire 53 Etats en 1914, mais 197 en 2012).

La première mondialisation sera aussi un vecteur d’exportation du modèle wespthalien. Une exportation qui sera  une adaptation plus ou moins violente : des entrepreneurs politiques extérieurs au système vont se l’approprier. Surtout, la colonisation, puis la décolonisation vont l’imposer partout dans le monde au 19ième siècle et plus encore au vingtième.

Toutefois, cette exportation souvent tardive, ne correspondra pas à une  greffe de qualité. La raison en est que l’homogénéisation est un processus de très longue durée et qu’à ce titre, il est difficile voire impossible de connaitre des raccourcis, ou très difficile voire impossible de s’aventurer dans des schémas qui correspondent aussi à des milieux culturels différents. Il sera par exemple très difficile de faire cohabiter  - parce que fusion  historiquement impossible – nationalité et citoyenneté (Empire autrichien), très difficile d’englober des peuples visiblement différents (Russie), très difficile de faire naitre des frontières westphaliennes là où elles n’ont aucune légitimité (Empire Ottoman, Afrique), etc.

 Parce que ces structures n’avaient pas la qualité d’Etats-Nations, elles se révèlent beaucoup plus fragiles que les vieux Etats-Nations westphaliens au moment où  l’inondation économique va s’annoncer. Les entrepreneurs politiques locaux, n’ont pas eu le temps de passer par la phase mercantiliste, qui devait générer les biens publics assurant la cohésion de l’ensemble. Et il est vrai que ces derniers étaient sans doute plus difficiles à construire, car réducteurs d’hétérogénéité donc de résistance voire de violence sociale, ce qu’ Alesina et Spolaore appellent les « coûts d’hétérogénéité » ( « Economic Intégration and Political Disintégration », 2000, American Economic Review, vol,90,p.1276-96).  Si maintenant les entrepreneurs politiques de ces structures sont invités par effet de mimétisme à reproduire formellement les schémas démocratiques, la tendance à la dislocation s’accroit. Une tendance qui par effet de boucle aggrave les coûts d’hétérogénéité et renforce la fragmentation. JM Siroën (« L’Etat-Nation survivra-t-il à la mondialisation » dans « La Question Politique en Economie Internationale », Paris, La Découverte, 2006) souligne ainsi que les coûts d’hétérogénéité sont plus lourds pour la Bosnie qu’ils ne l’étaient pour la Yougoslavie et probablement pour l’Autriche. De la même façon les Lettons n’étaient qu’un élément d’hétérogénéité marginale pour l’URSS, alors que la minorité russe de Lettonie devient un élément important pour cette dernière entité. Que serait aussi le coût de cette « sous- nationalité » (territoire de Bruxelles) dans une Belgique démantelée ? On pourrait étendre le raisonnement au Moyen Orient et à une partie de l’Afrique.

Il est ainsi probable que le souffle de la mondialisation sur des structures en voie de fragmentation développe d’énormes difficultés.

Ces structures sont nombreuses. « Foreign Policy » en dénombre 20, identifiées sur la base de 12 critères, constituant des indices de décomposition. Cela signifierait aujourd’hui, que 10% des acteurs étatiques sont des « failed States » dont la majorité se trouve sur le continent africain. Parce que structures en décomposition, ne pouvant pas atteindre ou reconstruire la phase mercantiliste de l’aventure étatique, celle des biens publics, les entrepreneurs politiques locaux sont dans l’incapacité d’accéder à une quelconque légitimité, d’où des guerres internes. La fin du modèle Etat-nation correspond ainsi à un déplacement des théâtres guerriers : relative disparition des guerres entre démocraties du système westphalien, donc guerres entre nations, et énorme développement des guerres intra-étatiques. Ainsi, selon la revue de l’Ifri (« Politique étrangère »), sur 164 guerres intervenues depuis 1945, 126 relèvent de cette dernière catégorie.

La mondialisation, avec la fin des Etats-nations classiques et la multiplication d’acteurs politiques indépendants, renforce la décomposition : il est difficile de faire émerger une politique de « State-building » c’est-à-dire une force collective de recomposition des « failed States », et dans le même temps, l’entrepreneuriat politique de ces derniers Etats, peut trouver avantage dans la prédation directe sur la mondialisation elle-même. Il s’agit là du retour aux structures archaïques des Etats avec la réapparition du « roving bandit » (le bandit vagabond que l’on oppose au bandit stationnaire à l’origine de structures étatiques plus stables) bien analysé par Olson ( Power end Prosperity, Basic Books, 2000) que l’on voit renaitre en Somalie, dans le ventre de l’Afrique, voire plus récemment à Madagascar (Hervé Juvin).

Dans la vision économique traditionnelle, Internet, finance dérégulée et container normalisé, peuvent plus ou moins apparaitre  comme biens publics désormais mondiaux. Dans le langage de ce blog ils sont désignés par l’expression « Autoroutes de la mondialisation » autoroutes issues d’une interaction sociale complexe ayant débouché sur leur construction. Ces infrastructures lourdes sont bien sûr « vampirisables » par des acteurs privés (manipulation du LIBOR, de l’EURIBOR, du FOREX, etc. ). Elles le sont bien sûr aussi par de vieux Etats-Nations ou leurs représentants (privilège du dollar comme monnaie mondiale, privilège de la City de Londres, paradis fiscaux, etc.).  De plus en plus, elles le sont aussi par les entrepreneurs politiques issus de vieux Etats non parvenus jusqu’ici, au stade de l’Etat de droit, ou plus récemment par ceux des « Failed States ». A chaque fois il s’agit d’une prédation de plus en plus directement lisible dans la réalité sociale.

Les prélèvements fiscaux de l’Etat de droit sont bien un non- respect de la propriété, mais celui-ci est compensé par une redistribution entre les acteurs, d’où l’idée que l’idéologie de l’intérêt général peut encore être plus ou moins crédible dans un système où la démocratie peut finalement permettre une inter-action sociale plus ou moins équitable : tout le monde peut voler tout le monde par un jeu complexe de prélèvements, de subventions, de services publics, de textes clientélistes, etc. Le passage insensible au " vote privatif" cher à Luc Rouban ("Du vote de classe au vote privatif", Cevipof, octobre 2013) viendrait plutôt confirmer ce point de vue.

Si La mondialisation fait davantage apparaitre la réalité par la gigantesque manipulation prédatrice des autoroutes de la finance ( scandale du LIBOR par exemple), elle peut encore trouver un minimum de crédibilité, et les régulateurs peuvent théoriquement sanctionner les manquements à ce qui peut encore apparaitre comme des règles du jeu social.

Les choses s’aggravent pourtant si la mondialisation génère des espaces de plus en plus larges peuplés de « Failed States » eux- mêmes à cheval sur les autoroutes de la mondialisation. Ici la prédation apparait directement visible, sous la forme d’entrepreneurs politiques qui nous ramènent à des époques pré mercantilistes, celles que Marx taxaient de périodes « d’accumulation primitive du capital ».

 L’expérience de la grande crise depuis 2007 nous révèle, que ce qui reste encore la communauté des Etats- Nations, se trouve dans une grande incapacité à instituer de l’ordre dans la partie financière des autoroutes de la mondialisation. Dès lors, comment imaginer une politique internationale sérieuse de construction ou reconstruction des « Failed States » ? La décomposition est ainsi appelée à s’étendre. Cruel retour au moment Hobbésien.

 

 

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