Dans la première partie de notre billet concernant la politique macroéconomique du nouveau Président, nous avons montré que l’Allemagne se souciait davantage de l’équilibre des finances publiques françaises que d’une compétitivité qui viendrait contrecarrer l’énorme excédent extérieur allemand. Le Gouvernement allemand peut d’ailleurs se féliciter d’un président français qui ne conçoit aucun rapprochement avec un président américain qui est, lui, bien déterminé –s’il reste au pouvoir- à mettre fin au mercantilisme allemand.
Nous avons aussi montré que cet équilibre des finances publiques passait par une forte réduction des dépenses correspondant aux modalités très françaises du coût de la reproduction de la force de travail.
Nous avons enfin montrer que la dévaluation interne supposée porteuse d’une amélioration de la compétitivité passe par cette baisse des salaires, laquelle n’est pas à financer, et non par une baisse de la pression fiscale sur les entreprises qui elle devrait être financée. Un argument qui rejoint bien le discours traditionnels des dirigeants allemands sur la France.
Dans ce billet, nous irons plus loin en évoquant les conséquences de la nouvelle politique macronienne en prenant pour point de départ, la baisse organisée de ce coût qu’on appelle plus volontiers « dévaluation interne » et dans le langage bruxellois ou berlinois « réformes structurelles ».
Supposons un pays une demande interne composée de consommation (50) et d’investissements (10). Supposons une demande externe qui n’est autre que les exportations (10). Supposons enfin des importations (20). On en déduit une demande interne (50+ 10 ) qui, additionnée à la demande externe nette (-10), sera égale au PIB (50).
L’économie considérée n’est pas compétitive puisque sa balance extérieure est déficitaire. Le prix à payer est évidemment un fort chômage et dans le cas français -le pays des cigales selon l’idéologie dominante- des agents qui ne produisent pas et qui néanmoins consomment, le tout étant financé par de la dette. Une façon de la rendre compétitive serait de procéder à une dévaluation, proposition impossible en régime de monnaie unique.
Dans quelle mesure la dévaluation interne peut se substituer à une opération monétaire que l’euro rend impossible ?
La baisse des dépenses correspondant au coût de la reproduction de la force de travail (augmentation de la durée du travail, réduction des aides au chômage, réduction du coût de licenciement, baisse directe ou indirecte des retraites, etc.) entraîne mécaniquement une baisse du pouvoir d’achat et donc de la consommation. Cette baisse est néanmoins contrariée par une baisse probable des prix correspondant aux effets complexes de la baisse de la demande globale et de la diminution des coûts pour les entreprises dont les charges salariales sont allégées. Il est aussi à observer que cet allégement correspond aussi à une amélioration des marges des entreprises et donc un taux de profit en hausse.
Quels sont les effets de ces phénomènes sur les demandes interne et externe et finalement sur la compétitivité ?
La situation du pays connaissant ce processus de dévaluation interne sera améliorée si la diminution attendue de la demande interne est surcompensée par une hausse importante de la demande externe. Sans cette surcompensation, il y aurait recul ou simple maintien du PIB. Dans la première hypothèse, le niveau de chômage augmenterait. Dans la seconde, il ne pourrait se réduire que sur la base d’emplois dégradés. Le succès de la dévaluation interne serait d’autant plus grand que la surcompensation serait forte matérialisant ainsi une croissance élevée du PIB.
Examinons le jeu de la dévaluation interne.
Supposons une baisse de 20% de la rémunération totale qui nous ramène globalement à une consommation de 40 et toutes choses égales par ailleurs à une demande interne de 50. Ce n’est que si la demande externe nette devient positive qu’il y a croissance et équilibre extérieur. Supposons une baisse des importations à un rythme supérieur à celui de la consommation (leurs prix relatifs augmentent dans un contexte de pouvoir d’achat déclinant), par exemple une baisse de 30%, soit 6 unités. Comme les prix baissent moins rapidement que les rémunérations, le retour à l’équilibre extérieur suppose une augmentation des exportations de 4 unités (6+4=10), soit 40% de hausse. Cela correspond à une élasticité/prix des exportations anormalement élevée. Par exemple, si les prix ne diminuent que de 10% nous aboutissons à une élasticité supérieure à 4 pour rétablir l’équilibre, ce qui est concrètement très irréaliste puisque l’élasticité empiriquement constatée tourne autour de l’unité.
Plus brutalement, cela signifierait dans notre exemple, avec l’élasticité empiriquement vérifiée, des exportations en hausse de 10%, soit un montant de 11 unités, ce qui se traduit par une baisse du PIB lequel passe de 50 à 47 unités ( 40 de consommation+ 10 d’investissement supposé inchangé+ 11 d’exportations – 14 d’importations). Le bilan est donc désastreux : baisse du PIB et hausse très probable du chômage, chute très importante du revenu et du bien-être et maintien d’un relatif déséquilibre extérieur (-3). Certes, notre raisonnement pourrait être critiqué en ce qu’il suppose un simple maintien de l’investissement alors même que les marges augmentent. Simplement, l’investissement repose sur une anticipation de la demande qui est ici déclinante. Il n’y a donc pas lieu d’imaginer -en dévaluation interne - une relance des investissements, ce qui est concrètement vérifié à l’échelle de l’ensemble de la zone euro.
Bien évidemment, on pourrait se dire que les « réformes structurelles » adoptées ne sont pas suffisantes et qu’il faut aller plus loin. C’est évidemment ce que prévoit le prochain gouvernement au travers de toute une série de mesures :
Ainsi celle d’une baisse de pouvoir d’achat se matérialisant par un basculement de plus en plus important du financement de la protection sociale qui est, rappelons-le, partie du coût de la reproduction de la force de travail, par l’impôt. De quoi augmenter les marges des entreprises tout en réduisant la demande globale de ceux qui paieront une CSG plus lourde.
Ainsi celle d’une baisse de prix des services en attaquant plus brutalement les professions réglementées et en les soumettant à davantage de concurrence.
Ainsi celle d’une baisse de coût du logement dont on sait qu’il fait partie de ces dépenses incompressibles qui maintiennent à un niveau plus élevé le coût de la reproduction de la force de travail française par rapport à d’autres pays, dont l’Allemagne, qui bénéficient d’un coût du logement plus modéré.
On pourrait multiplier les exemples et le prochain gouvernement sera probablement très inventif. Pour autant, les baisses de prix qui s’en suivront, correspondront aussi à des diminutions de revenus et donc des diminutions de la demande globale. Clairement les professions de santé, du droit, de l’immobilier, des services en général, etc. attaquées dans leurs revenus se mettront aussi à moins dépenser très exactement comme les salariés traditionnels du monde manufacturier. On pourra même assister à de véritables contradictions avec un coût du logement que l’on veut réduire, mais un bâti que l’on voudra taxer davantage en raison de son impossible délocalisation…les briques sont un vecteur de médiocre qualité dans la tourbillonnante libre circulation du capital en quête de paradis fiscaux.
Il sera donc très difficile d’obtenir une baisse substantielle des prix permettant, malgré ses effets bénéfiques sur les importations, d’autoriser une chute de la demande interne réellement surcompensée par une hausse significative de la demande externe, c’est-à-dire les exportations.
Parce qu’il est très difficile de faire baisser les prix (n’oublions pas que derrière eux se profilent des stratégies de résistance bien compréhensibles) et parce que l’élasticité des exportations est très faible, la stratégie de dévaluation interne est et restera catastrophique.
Bien sûr on pourrait imaginer une politique industrielle toute entière tournée vers la conquête d’une grande élasticité des exportations. On pourrait, par exemple, mobiliser les marges nouvelles des entreprises pour investir, innover, se lancer dans une montée en gamme de la production, etc. Outre le fait que l’investissement suppose une demande préalable que la dévaluation interne fait disparaitre, il faut aussi savoir qu’une telle politique ne fait pas augmenter mais au contraire, fait baisser les élasticités et de fait, bloque une forte hausse de la demande externe. Partout dans le monde on constate que la montée en gamme correspond plutôt à une baisse des élasticités. C’est évidemment le cas de l’Allemagne dont les exportations sont insensibles aux prix.
La stratégie de dévaluation interne est hélas une voie sans issue, celle qui mène à une ruine collective. Et, ruine collective il y a pour tous les agents insusceptibles de surfer sur la mondialisation donc pour tous les agents intérieurs : disparition de la croissance avec une demande externe incapable de compenser la chute de la demande interne, augmentation du chômage, investissement bloqué et disparition des gains de productivité, baisse des revenus directs et/ou indirects, forte érosion des états-providences, très difficile limitation des déficits publics et extérieurs, contestation croissante du vivre ensemble et, au final, impuissance publique débouchant sur de possibles aventures…
Faut-il donc envisager le retour de l’arme du taux de change ? La réponse n’est pas évidente dans ce contexte général d’élasticités faibles. Pour autant nous verrons prochainement que cette faiblesse n’a pas toujours été le cas et qu’elle est le triste héritage que l’euro nous laissera après sa disparition.
L’euro, pièce majeure de l’ensemble des autoroutes du marché unique et de la mondialisation, continuera de faire mal longtemps après sa mort. L’euro vivant nous a entrainés dans une impasse grandissante dans laquelle le gouvernement Macron voudra nous enfermer davantage dès la fin de cet été. Mais si son inévitable échec aboutit à une explosion et à une réelle prise de conscience, l’efficacité du retour à l’arme politique du taux de change et donc la construction d’un nouvel ordre monétaire, sera un dossier très difficile à gérer.
A suivre….