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4 juillet 2011 1 04 /07 /juillet /2011 13:46

                                                   

Le monde du marché généralisé et de la démocratie représentative tel qu’imaginé par Fukuyama comprend 3 catégories d’acteurs : le groupe des entrepreneurs politiques, celui des entrepreneurs économiques, et celui des citoyens/ salariés/ consommateurs/ épargnants (le « CSCE »).

Les producteurs de l’universel

Le premier groupe est constitué d’acteurs en concurrence  pour l’accès à ce monopole qu’est l’Etat. Animés par un intérêt privé : le goût du pouvoir, ils professionnalisent une fonction et transforment en métier, l’édiction de l’universel de la société, à savoir la production du cadre juridique général. A ce titre, il y a  travail classique d’utilisation de la puissance publique à des fins privées. L’objectif privé est la conquête ou la reconduction au pouvoir, utilité pour laquelle il faut supporter et reporter un ensemble de coûts : programmes se transformant en textes, se transformant eux-mêmes en impôts/dépenses publiques , ou se  transformant en redistribution des niveaux de satisfaction des divers agents relevant du monopole étatique. La démocratie ne change pas fondamentalement les données du problème puisque la puissance publique ne peut-être que ce qu’elle a toujours été : un monopole. Il y a simplement concurrence à partir d’un appel d’offres : quels entrepreneurs auront la charge de la promulgation des textes qui s’imposent à tous et sont donc bien œuvre d’une entreprise monopolistique à savoir l’Etat ? Un probable  moyen de limiter l’utilisation de la puissance publique à des fins privés serait l’interdiction de la professionnalisation de la fonction politique. Un interdit passant par un texte, on voit mal pourquoi les entrepreneurs politiques adopteraient une stratégie allant contre leur intérêt de reconduction, sans limite,  au pouvoir. En démocratie représentative la  professionnalisation  de la fonction politique est ainsi devenue un fait quasi hégémonique. Avec une nouveauté, qu’il convient de souligner par rapport à la forme antérieure de l’aventure étatique : les entrepreneurs politiques de l’âge démocratique, cessent de masquer l’accaparement de la puissance publique à des fins privées par la figure du divin, ou celle du héros souvent tyrannique, et ne sont plus que de simples et paisibles  gestionnaires d’une entreprise profane appelée Etat. D’où le glissement du « politique » en « bonne gouvernance » et l’idée associée selon laquelle il n’y aurait plus besoin d’un Etat pesant  surplombant tous les acteurs.

Les biens ainsi produits par l’entreprise Etat, les « règles du jeu social », parce qu’universelles par nature, peuvent ainsi apparaitre comme porteuses d’un intérêt général. Et la confusion est vite établie : les entrepreneurs politiques auraient ainsi la lourde mission de produire de l’intérêt général, alors qu’ils doivent surtout veiller à un programme de conquête du pouvoir, ou de reconduction au pouvoir. De fait,  les textes sont toujours des compromis entre acteurs ou groupes d’acteurs aux intérêts divergents, le pouvoir étant donné à ceux pour qui ces compromis concernent positivement, réellement ou imaginairement,  une majorité d’électeurs. Nul intérêt général, impossible à définir, ne peut être lu dans un texte, qui par nature, fixant le champ des possibles, est nécessairement fait de contraintes que beaucoup voudraient enjamber et dépasser.

Les producteurs de biens économiques

Le second groupe est constitué d’acteurs en compétition entre eux sur le marché des biens économiques. Les entrepreneurs économiques ont plus de difficulté que les entrepreneurs politiques à s’exprimer avec conviction sur l’idée d’un intérêt général dont ils seraient les producteurs. C’est que les biens économiques ne surplombent pas la société comme le fait son « système juridique ». La baguette de pain du boulanger ne surplombe pas les acteurs comme le fait le code civil. Pour autant, ils disposent d’un outil théologique exprimant la fiction d’un intérêt général : la théorie économique. Cette dernière, prétend enseigner que mus par des intérêts particuliers, les entrepreneurs économiques fabriqueraient un intérêt général : la fameuse main invisible de Smith. Certains en déduisent d’ailleurs que le paradigme de l’économie, s’il était  suffisamment répandu, permettrait  de se passer de cet universel qu’est l’Etat. Le monde pouvant ainsi passer de son âge politique à son âge économique. Et avec lui le passage de l’Etat- nation à la mondialisation… L’Universel ultime - celui de la fin de l’histoire, une histoire qui fût si difficile pour le genre humain - étant l’économie, comme instance bienfaitrice, et réconciliatrice de toute l’humanité.

La compétition sur le marché des biens économiques passe aussi par des interventions sur le monopoleur qui fixe les règles du jeu : il faut « capturer »  la règlementation et se faire aider par les entrepreneurs politiques et leurs collaborateurs d’une «  haute fonction publique » pour gagner des parts de marché, être protégés contre des agresseurs économiques, voire pour créer de nouveaux marchés.  Le politique  devenant l’art de continuer le jeu de l’économie par d’autres moyens. A charge du politique de bien vendre la règlementation sur le marché politique où il rencontre, en démocratie,  régulièrement les électeurs. Ce qu’il faut simplement constater à ce niveau c’est que d’autres intérêts privés, ceux des entrepreneurs économiques utilisent à l’instar des entrepreneurs politiques les outils de la puissance publique aux fins de satisfaire leurs intérêts.

Les citoyens/salariés/consommateurs/épargnants

Le troisième groupe est peut être davantage hétérogène. Il s’agit de tous les acheteurs de biens politiques d’une part, et de biens économiques d’autre part. Porteurs de statuts multiples et pour l’essentiel : citoyens, salariés, consommateurs, épargnants, (on les appellera dorénavant les « CSCE »), ils peuvent être en compétition entre eux (groupes d’intérêts), voire connaitre des conflits de statuts, lesquels ne sont pas toujours réductibles à un ensemble de cercles concentriques. La même personne étant le plus souvent appelée à valider/supporter des rôles différents, Il peut exister  des temps historiques où les CSCE connaissent une grande dissociation : l’intérêt du salarié est dissocié de celui du consommateur ;  l’intérêt du citoyen est dissocié de celui de l’épargnant ; etc. Mais il peut être des temps historiques où plusieurs de ces intérêts, voire tous vont dans le même sens.

La conjonction présente du marché et de la démocratie représentative fait des CSCE un groupe apparemment aussi important que les deux premiers. Parce que clients sur le double marché politique et économique, les entrepreneurs qui leur font face,  doivent en principe les satisfaire. La réalité est toutefois infiniment plus complexe : les CSCE peuvent comme les entrepreneurs politiques « capter » la réglementation en achetant avec leurs voix, des dispositifs avantageux comme salariés ou consommateurs, ce que certains appellent le « social- clientélisme ». En ce sens ils sont comme les autres acteurs (entrepreneurs politiques et économiques) attirés par l’utilisation de l’universel afin de satisfaire leurs intérêts privés. L’universel, donc le monopoleur ou l’Etat, est ainsi un champ de bataille important entre les 3 groupes d’acteurs. Dans un monde dit postmoderne, faisant valoir ou masquant des intérêts privés, ils cessent d’entrer en conflit sur la base d’idéologies pour ne s’engager que sur des arguments issus de la raison. D’où la très forte  odeur de  théorie économique dans les discours et débats qui animent le monde. Chacun réduisant l’analyse de l’interaction sociale à une physique sociale, les simples corrélations entre faits - inflation, croissance, chômage, échanges extérieurs, salaires , productivité, etc. - devenant d’indiscutables causalités sur les tables de négociations. Avec de possibles moments « TINA » (« There Is No Alternative »). En sorte que si, jadis, le marxisme pouvait selon Jean Paul Sartre  être « l’horizon indépassable de notre temps » la théorie économique semble pouvoir aujourd’hui lui être substituée.

Mais le jeu social se complexifie aussi en raison des processus de dissociation entre les 4 statuts évoqués. Et dissociation qui fera le miel des entrepreneurs politiques et économiques. Avec la possibilité de passer d’une relation marchande toujours  éphémère, à celle d’une collaboration plus poussée, ce qui se traduira par une forme dégradée de démocratie : l’oligarchie. Toutes choses qui méritent davantage d’explications.

Mouvement des intérêts et bouleversement des compromis

L’articulation des trois groupes précédemment définis, est nécessairement instable en raison du caractère toujours éphémère des compromis passés. Et instabilité aussi déterminée par le manque d’homogénéité des intérêts à l’intérieur de chacun d’eux. Le groupe des entrepreneurs économiques, est probablement le plus éclaté en raison de cette guerre de tous contre tous qu’est la concurrence économique. Par nature, il est plus ouvert, car  les marchés se sentent parfois à l’étroit à l’intérieur d’une structure qui s’est souvent constitué comme Etat- nation hérissée de frontières. Les entrepreneurs économiques sont ainsi amenés à discuter de ces barrières à l’entrée/ sortie que sont  les frontières. Certains voulant être protégés, d’autres souhaitant le grand large. Les négociations qui s’ensuivent avec les entrepreneurs politiques ne peuvent laisser de côté la question monétaire que ces derniers ont historiquement toujours disputée aux entrepreneurs économiques. Si le sous groupe des entrepreneurs économiques souhaitant l’ouverture et la fin de l’Etat- nation l’emporte, il affronte durement les entrepreneurs politiques et leurs collaborateurs de la « haute fonction publique », et exige une modification globale des règles du jeu : diminution des droits de douane, adoption des standards internationaux en tous domaines, libre convertibilité monétaire et libre circulation du capital, abandon des pouvoirs monétaires détenus par l’Etat, etc. Autant d’exigences qui ne peuvent être satisfaites si les entrepreneurs politiques en paient le prix sur les marchés politiques : la non reconduction au pouvoir… Sauf s’il y a bien dissociation des intérêts chez les CSCE d’une part, et passage aisé du statut d’entrepreneur politique à celui d’entrepreneur économique d’autre part. Circonstance qu’il nous faut brièvement étudier.

La forme démocratique de l’Etat, charrie encore les vestiges de la forme antérieure où la figure du divin ou du héros, est devenue  « patrie » encore suffisamment sacralisée, pour engluer le citoyen dans une infinité de devoirs, dont parfois celle du sacrifice suprême. Le passage du politique à la simple « bonne gouvernance » fera transmuter  le citoyen supportant des devoirs au profit de l’individu cherchant à « capturer » la règlementation à son avantage. Il copie ainsi les entrepreneurs économiques même si le « capital social » dont il dispose en fait un lobbyiste moins performant.

Parce que moins citoyen, la réalité lui apparait plus émiettée. Et parce que moins citoyen d’un « bloc Etat- nation » dont il  conteste la légitimité, il ne se représente plus le système économique comme le ferait un keynésien, c'est-à-dire un circuit. Même dépourvu de culture économique, pour lui l’économie est moins un circuit qu’un ensemble de marchés. Changer de statut et passer du citoyen à l’individu c’est aussi changer la vision que l’on a sur le monde. Le citoyen devenu individu, peut lui aussi vouloir l’ouverture sur le monde, il apprécie les marchandises étrangères moins couteuses, une épargne assortie d’un taux de l’intérêt positif, etc. Et s’il existe une contradiction entre l’intérêt du salarié et celle du consommateur, il peut capter une réglementation compensatrice de celle qui sera accordée aux entrepreneurs économiques mondialistes. Dans un monde qui génère des gains de productivité tout en restant fermé dans l’Etat- nation, la dissociation entre le statut de salarié et celle de consommateur n’est guère envisageable durablement. Historiquement la crise de 1929 est celle d’une dissociation que les entrepreneurs politiques ont du réparer en édifiant la sociale démocratie. Il est probable que le citoyen devenu individu ait une grande conscience de la dissociation majeure qui existe entre le statut de salarié et celle de consommateur. Peut-être fait-il aussi un lien entre l’emploi qu’il trouve trop rare et une finance gigantesque qui élargit l’éventail des rémunérations et développe l’approfondissement des situations rentières. Mais ces prises de conscience ne l’inviteront pas à acheter aux entrepreneurs politiques un dispositif réglementaire rétablissant davantage de cohérence. Et ce d’autant qu’il est lui-même bénéficiaire d’une rente – le social- clientélisme – qui se nourrit encore de la rente : déficit public, CADES, ACOSS, etc. Les entrepreneurs politiques et leurs collaborateurs de la haute fonction publique  restent des personnages fondamentaux malgré la contestation des autres groupes qui eux-mêmes sont en conflit entre eux. « L’universel » se trouve sans doute de plus en plus décentré et souffre de déficit de cohérence, ce que certains appelleront la crise de l’Etat, il reste pour autant le lieu d’affrontement qu’il a toujours été et le demeurera. L’ Etat est ses entrepreneurs sont toujours présents et ce même si dans le monde des apparences leur retrait semble constaté. Ainsi parce que le citoyen est progressivement devenu individu dissocié, les entrepreneurs politiques ne paient pas nécessairement le prix électoral des nouvelles réglementations achetées par les entrepreneurs économiques.

Bouleversement des compromis et émergence d’une forme oligarchique d’Etat

Mais un autre argument peut intervenir : la grande porosité qui va se créer entre les 2 groupes d’entrepreneurs, et grande porosité qui va dégrader la démocratie au profit de l’oligarchie. Si la capture de la réglementation, par exemple celle qui autorisera la mondialisation, se fait souvent par le harcèlement du régulé sur le régulateur, par exemple celui des 15000 lobbyistes de Bruxelles sur les instances de décision correspondantes, elle peut aussi s’opérer de façon plus radicale : la fusion du régulateur et du régulé. Ici le producteur/détenteur de l’universel, c'est-à-dire l’entrepreneur politique, « part avec la caisse » et devient entrepreneur économique. La France constitue un modèle de cette fusion. Mais le même résultat peut être obtenu en parcourant le chemin inverse : le régulé devient le régulateur et  ainsi « ouvre la caisse » au profit de toute une profession. Les USA constituent un modèle de ce second type de fusion. C’est bien évidemment dans ce qui à toujours constitué le point d’intersection entre intérêts politiques et intérêts économiques que ces fusions sont les plus emblématiques et les plus fondamentales : le système monétaire et financier. Ainsi  grandes banques et banque centrale sont en France dirigées par de hauts fonctionnaires. Ainsi aux USA, le Trésor lui-même et la banque centrale sont généralement dirigés par un banquier.

Porosité par harcèlement, ou mieux par fusion, permet aux deux groupes d’entrepreneurs de se dégager partiellement et progressivement des contraintes de l’âge démocratique de l’aventure étatique. C’est que le coût politique de la capture de la réglementation, déjà diminué en raison de la dissociation du groupe des CSCE, diminue encore si les entrepreneurs politiques peuvent connaitre un prolongement de carrière dans l’aventure économique : la perte des commandes de l’universel peut être point de départ d’une activité autrement rémunératrice. D’où la naissance d’un groupe social en apesanteur, groupe aidé dans ce nouveau statut par le développement du mondialisme. Avec en conséquence le passage du stade démocratique vers un stade plus proche de l’oligarchie. Ce que certains évoquent en utilisant l’expression de   « surclasse ».

Bien évidemment le fonctionnement des marchés politiques s’en trouve transformé. Souvent duopoles avec barrières à l’entrée très élevées, la quête de l’électeur médian avait déjà rétréci la distance entre les programmes des deux grandes entreprises que l’on trouvait souvent dans l’âge démocratique des Etats. La porosité puis la fusion ne peuvent que renforcer l’étroitesse de l’éventail de l’offre politique, avec une difficulté de plus en plus grande à distinguer une droite d’une gauche, et au final le sentiment de grande confusion… avec toutefois alignement général sur les impératifs de l’économie. Alignement qui n’est que la conséquence logique du processus de fusion en cours : entrepreneurs politique et entrepreneurs économiques qui étaient en même temps citoyens ne sont plus que des « individus désirants » pataugeant dans mille conflits d’intérêts ou délits d’initiés . Et alignement qui développe aussi des effets pervers : les CSCE les plus éloignés d’une possible intégration dans le groupe des oligarques s’organisent en dehors du duopole classique- les partis ayant vocation à gouverner- et deviennent clients d’entreprises politiques nouvelles, étiquetées sous le label de partis contestataires, ou « populistes ».

En mondialisation les Etats et leurs entrepreneurs ne disparaissent pas. Il y a simple transformation de leur rôle. Et cette altération passe par une certaine fin de l’âge démocratique au profit de l’émergence d’un stade oligarchique avec une utilisation de la contrainte publique à des fins privées davantage réservée à un petit groupe d’individus. Pour l’immense majorité, les droits de l’homme semblent se rétrécir à leur définition libérale : vie, liberté, propriété , en abandonnant doucement des droits que l’âge démocratique avait permis d’engendrer.

Le présent texte se voulait simplement analytique et ne propose aucune voie ni aucune solution. Il se veut simple grille de lecture du réel. Ou simple contribution à la connaissance d’un monde qui ne cesse de se transformer : non, monsieur Fukuyama, l’histoire n’est pas terminée.

 

 

 

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1 juillet 2011 5 01 /07 /juillet /2011 07:09

 

Les réactions au sondage de l’IFOP consacré au protectionnisme et au libre échange (20 Mai 2011) sont nombreuses et souvent négatives. Ainsi un article du Monde en date du 30 juin dernier s’organise autour d’un titre fort significatif : « Absurde démondialisation- Refusons la préférence nationale économique ».

Nous voudrions souligner ici que la démondialisation ne signifie pas nécessairement la fermeture et la déconnexion vis-à-vis du reste du monde. Elle signifie simplement une économie mondiale plus respectueuse des hommes et de leur environnement.

Dans le cadre des anciens Etats-nations, la compétition et la « destruction créatrice » chère  à Schumpeter, les perdants n’étaient pas abandonnés par un Etat providence financé par les gains de productivité. Dans le nouveau cadre de la mondialisation, le travail -à grande échelle- de destruction créatrice perd de sa légitimité, puisque d’une part le filet de sécurité antérieur est attaquable par les marchés, et que d’autre part, le déficit de régulation mondiale donne libre cours au mercantilisme le plus brutal : arme monétaire, paradis fiscaux, conditions de travail inacceptables, etc. les perdants deviennent ainsi des inutiles au monde, et des inutiles qui ne peuvent plus vraiment s’exprimer et exiger des compensations, puisque vivant au sein d’un Etat lui-même en difficulté. Les perdants risquent en effet de le rester, et personne ne peut sérieusement croire que les habitants du Péloponnèse équipés de leurs contestés euros,  rivaliseront - même à moyen terme - avec ceux de Shanghai . Le combat est tout simplement inégal. A ce titre, il n’est pas  souhaitable, ni même moralement acceptable.

De fait, la mondialisation est une belle histoire racontée aux enfants. La réalité est que nous assistons à l’émergence de nouveaux Etats qui entendent bien profiter d’une dérégulation généralisée pour se développer. La mondialisation authentique supposerait l’affaissement de tous les  Etats et la naissance d’organisations de régulation planétaire, donc complètement a- nationales. Force est de constater qu’il s’agit d’une utopie, et les grandes instances de régulation (FMI, BIT , OCDE, etc.) sont internationales et le resteront longtemps puisque les seules transformations envisagées ne concernent que le poids de chaque Etat dans les conseils d’administration. Constatons aussi que la seule instance a nationale de quelque importance est La BCE…laquelle voit son action de plus en plus durement contestée.

Démondialiser consiste simplement à prendre conscience, que ce qui s’avère être  une fausse  mondialisation, est une impasse pour l’humanité toute entière. Les déséquilibres majeurs qu’elle entraine doivent être corrigés, non pas par une fermeture inacceptable et le climat d’agressivité mimétique qu’elle peut entrainer. Il s’agit à l’inverse, d’introduire l’idée que les échanges entre nations doivent être équilibrés. Et ce n’est pas parce que la destruction créatrice est plus efficace ici qu’elle doit développer du chômage et des exclusions là. En clair, les plus efficaces ne doivent pas siphonner la demande globale de ceux qui le sont moins, et qui de ce fait sont victimes. Et les victimes ne doivent plus être vilipendées : la productivité est aussi un trait culturel, et toutes les cultures sont respectables. Il est ainsi inacceptable de demander aux grecs de devenir l’équivalent des allemands.

Aussi,  l’équilibre des échanges dans une économie mondiale, suppose de pouvoir imposer à l’excédentaire-  qui au nom de la liberté des échanges siphonne les demandes globales des moins efficaces-  des mesures propres à la réduction de son excédent : hausse des salaires, réévaluation de sa monnaie,  taxes à l’exportation, etc. Ce qui n’empêche évidemment pas les moins efficaces de s’améliorer, pour éviter une dégradation des termes de l’échange . Dispositif  d’équilibre développant aussi d’autres conséquences. Par exemple, celle d’une baisse du volume du commerce international en raison de la diminution des échanges, entre filiales d’une même entreprise, ne bénéficiant désormais plus de  gains à l’échange fabriqués sur d’inacceptables différences. De quoi reconstruire le corps des ses institutions démembrées que sont devenues les entreprises en mondialisation. Et de quoi aussi diminuer la pression sur un environnement fatigué par des transports inutiles et moralement contestables.

Keynes avait pensé à cet équilibre nécessaire d’une économie mondiale. Conscient du chaos provoqué par la guerre des monnaies dans les années 30, et la montée du protectionnisme qui lui était associé, il militait pour une régulation mondiale qui ne soit pas la mondialisation d’aujourd’hui. Il est temps de revenir sur les projets qu’il défendait à Bretton-Woods.

Dernier point : l’équilibre des échanges n’est en aucune façon l’argument de la préférence nationale souvent évoquée pour d’autres motifs.

                                                                                Jean Claude Werrebrouck

                                                                            Membre fondateur de l’Association            

                                                                "Manifeste pour un débat sur le libre-échange"

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23 novembre 2010 2 23 /11 /novembre /2010 18:21

 

L’Irlande qui représente 2% du PIB de la zone euro consommait cet automne 25% des nouvelles liquidités émises par la BCE. Interventions pourtant insuffisantes pour contenir  « bank run » larvé ou/et nécrose du marché monétaire qui se manifestent depuis le début de l’année. Et collaboration insuffisante des entrepreneurs politiques au pouvoir, qui allant jusqu’à 32 points de PIB de déficit budgétaire pour maintenir un système financier pesant 15 fois le PIB du pays, se devaient de réduire encore un peu plus la dépense publique : prés de 10% de PIB sur 3 années.

Le risque de défaut menaçant l’ensemble du système financier mondial, il fallait une consolidation rapidement élevée et construite à l’initiative  de ce qu’on appelait le triumvirat (FMI, Union européenne et BCE) L’aide consentie à la Grèce au printemps dernier, était généreuse et représentait 45% de son PIB. Avec l’Irlande la générosité sera plus grande encore, et l’aide prévue s’établira à 65% du PIB irlandais.

Le BIS Quaterly review de septembre 2010(http://www.bis.org/publ/qtrpdf/r_qt1009.pdf#page=19)

révèle clairement, que parmi les  « PIGS », l’Irlande est de loin le pays qui dispose en son sein, de la bombe la plus dangereuse pour la finance planétaire. Le total de la dette extérieure publique et privée, représentait en septembre dernier, la somme de 843 milliards de dollars, pour un PIB de seulement 180 milliards de dollars. La Grèce se contentant de seulement 297 milliards de dollars, pour un PIB de 320 milliards de dollars… auquel il faut ajouter une économie souterraine autrement plus importante que celle de l’Irlande…

L’Espagne, dont on dit qu’en raison de son poids, elle entrainerait dans l’abîme l’ensemble de la finance, est pourtant dans une situation moins dangereuse que l’Irlande. Elle dispose certes d’une dette extérieure totale de 1100 milliards de dollars… qu’il faut toutefois comparer à un PIB de 1400 milliards de dollars.

Dans l’insolvabilité généralisée, l’Irlande est donc bien en tête, et c’est la raison pour laquelle « tous veulent l’aider » y compris la Suède et la grande Bretagne, ce qui était loin d’être le cas pour la Grèce au printemps dernier.

Pour autant, l’insolvabilité de l’Etat Irlandais ne peut que s’aggraver, puisqu’il faudra désormais rembourser une nouvelle dette, venant s’ajouter à l’ancienne déjà rapidement croissante. Il sera ainsi difficile de rassurer les marchés. A titre de comparaison, pour bien saisir le pharaonisme des chiffres, imaginons que la France se voit octroyer une nouvelles dette- à moyen terme, c'est-à-dire moins de 4 années- d’environ 1500 milliards de dollars… pour l’aider à s’extirper de son insolvabilité… C’est pourtant ce qui se décide en cet automne 2010 pour l’Irlande.

A cet étranglement vient s’ajouter une autre difficulté : le « tigre celtique », n’était tel, qu’en raison de son caractère de paradis fiscal. Et un impôt sur les sociétés le plus faible d’Europe, était aussi épaulé par une  grande créativité, dans les processus d’optimisation fiscale. C’est dire que la matière première « impôt sur les entreprises», matière propre à maintenir debout les dominos, n’est guère très épaisse, et que le choix est fait de laminer les petites rentes d’un Etat providence, initialement déjà plus réduit que sur le continent. Pour maintenir, contre vents et marée, la rente financière dans son intégralité, il s’agit de s’attaquer aux salaires et à leurs annexes, et ce et y compris par la voie de la pression fiscale sur les revenus du travail.

Ce choix est celui des  entrepreneurs politiques irlandais, bousculés par les entrepreneurs politiques européens, qui conscients du tsunami qui gronde, désirent toujours gagner du temps en imposant de « nouvelles aides » dépourvues de tout bon sens. Le choix initial des entrepreneurs politiques irlandais : gagner du temps en laissant couler le robinet de la BCE, est ainsi contrarié par d’autres entrepreneurs politiques, qui veulent gagner du temps par d’autres moyens, ici en tentant de réduire le spread des taux, aux mimétismes ravageurs dans nombre de pays de la zone. Ces façons différentes de gagner du temps, étant eux-mêmes dictées par l’agenda de chacun au regard du refinancement de « sa » dette sur les marchés. L’Irlande pouvait attendre jusqu’au printemps 2012. Portugal, Espagne, et d’autres encore, sont obligés de commercialiser de la dette beaucoup tôt.

L’épuisement des entrepreneurs politiques est toutefois bien présent, et les «  blocs au pouvoir » s’effritent progressivement. Tous baignent dans le même paradigme, et tous restent fascinés par la mondialisation. Pour autant, certains prennent conscience de l’existence d’un mur de l’insolvabilité. Aucun ne fait encore le lien entre la construction des autoroutes  de la finance, la mondialisation, la construction de, l’euro etc. Mais certains savent, qu’il existe désormais une forêt de dominos dont l’instabilité est rapidement croissante. Et encore une fois, il suffit de consulter les statistiques de la BRI pour voir à quel point tous habitent un « château branlant ». En affirmant avec naïveté, devant le conseil européen, que la finance doit comprendre que les politiques sont élus par des électeurs, qui sont aussi des contribuables, jusqu’ici trop mobilisés à sauver le système bancaire, la chancelière allemande s’est exprimée dans le langage  de ce blog. Expression dangereuse, pouvant initier l’effondrement généralisé des dominos. Mais en même temps, expression signifiant que les marchés politiques peuvent brutalement faire émerger de nouveaux produits politiques : rééchelonnement de la dette, nationalisation, saisie brutale du système financier, fin de l’Euro etc.

Epuisés par maintenant plus de 3 années de course au gain de temps, les entrepreneurs politiques touchent de la main, et apprécient la dureté du mur de l’insolvabilité. Cette prise de conscience est le début de grands bouleversements sur les marchés politiques : certains entrepreneurs au pouvoir, tenteront de maintenir leur rente de pouvoir par un rapide changement d’offre. D’autres accéderont au pouvoir et seront amenés à négocier le monde de la probable dé mondialisation et de l’euthanasie des rentiers. Les choses ne seront pas simples, et on aurait tort de se réjouir brutalement de la fin de l’étranglement par la finance. C’est que cette dernière présente parfois un angle plus sympathique : son gigantisme, a aussi pour contrepartie, des produits d’épargne appréciés par des contribuables, irrités par ailleurs, de payer pour le maintien, sous perfusion, du système financier.

 

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2 novembre 2010 2 02 /11 /novembre /2010 14:16

 

 

A plusieurs reprises nous avons précisé,  que l’utopie mondialiste déstabiliserait les marchés politiques locaux, et faciliterait la naissance, ou le renouvellement d’entreprises politiques, faisant elle-même émerger d’autres produits,  au sein d’un nouveau marché de la loi. De façon plus précise encore, nous indiquions que le produit «  équilibre des échanges extérieurs » devait devenir un produit phare sur les marchés politiques ( °).

Le présent texte tente de préciser, le possible mécanisme juridique assurant l’inéluctable dé mondialisation, dans un cadre autorisant encore le libre échange. Et mécanisme qui pourra se substituer,  au caractère dangereux, et surtout sans avenir, de la guerre des monnaies, qui  aujourd’hui semble monter en puissance.

Parce qu’en Occident, la schizophrénie des acteurs exige à la fois, plus de rentes de protection qui enferment,  et davantage de « droits liberté » qui autorisent une autonomie toujours croissante, il est clair que l’exigence d’équilibre des balances extérieures ( protection contre le siphonage de la demande globale) ne peut passer par des mesures autoritaires concernant les importations. Et encore une fois, renoncer à l’utopie mondialiste, ne saurait correspondre au repliement sur le seul espace national.

La mise en place d’un marché de droits à importer, émis privativement par les exportateurs, est un possible équilibre entre les exigences contradictoires du couple (protection/liberté).

Concrètement, le fait d’exporter donne lieu, à émission d’un droit à importer pour un même montant, droit librement négociable sur un marché. Symétriquement, tout porteur de droit à importer jouit de la liberté d’importer les marchandises de son choix, en provenance de son choix.

Formellement, un tel marché serait assez comparable à celui du « Blue Next » où se négocie des droits à polluer. Sur ce dernier marché, les entreprises sont soumises à des normes en matière de volumes de carbone émis, normes qui peuvent être dépassées par achat de droits à polluer, émis par d’autres entreprises, qui polluent moins que la norme autorisée.

Mais la comparaison s’arrête vite dans la mesure où les inconvénients bien connus du « Blue Next », pourraient ne pas exister dans le cadre d’un marché de droits à importer. Les effets pervers du « Blue Next » sont clairement identifiés : existence d’un double marché (spot et à terme) se matérialisant par une forte volatilité, bouchant la visibilité des investisseurs en matériels de dépollution. Mais surtout, prime à la délocalisation des pollueurs qui peuvent fuir ( ce qu’on appelle la « fuite carbone ») ou baisse de compétitivité, de ceux qui ne peuvent quitter le territoire, (centrales thermiques par exemple) , tout en étant victimes d’importations moins coûteuses .

Le marché des droits à importer, pourrait en effet bénéficier d’un puissant régulateur, l’Etat, qui lui aussi, aurait la possibilité d’émettre des droits à importer, et qui pourrait par sa présence sur le marché, assurer une  stabilisation des prix. Les spéculateurs seraient interdits, aussi en raison du fait que la très grande multiplicité des acteurs, procure la liquidité nécessaire du marché, sans passer par la présence des seuls parieurs non importateurs et non  exportateurs. Bien évidemment, si la propension à importer est plus élevée que la propension à exporter, il en résulte une tension sur les prix, mais tension stabilisatrice. Le coût des importations  étant croissant, le mécanisme de l’élasticité- prix devrait permettre le rétablissement progressif de l’équilibre.

Tout aussi évidemment, l’ancrage  d’un tel système, serait d’autant mieux fondé, qu’il résulterait d’une négociation internationale, avec  accords d’étapes, sur l’objectif d’équilibre multilatéral des échanges. Les droits à importer relatifs à chaque pays, pourraient ainsi être internationalement négociés. Sans doute les exportateurs étrangers pourraient- ils délivrer à leurs clients importateurs, des droits afin de garantir ou fidéliser la clientèle, toutefois les droits étant nationaux et inconvertibles, de telles opérations seraient sans effets pervers sur l’objectif d’équilibre. Egalement, il va de soi que les Etats ne pourraient émettre que leurs propres droits à importer, faute de quoi, les Etats mercantiles ne se priveraient pas d’émettre de grandes quantités de droits étrangers,  au bénéfice de leurs exportateurs nationaux.

Le marché des droits à importer ne serait  pas d’essence malthusienne, et n’aurait pas le caractère de « licence d’importation » titre regardé avec méfiance par l’OMC. A l’inverse de cette dernière, le droit à importer, est d’abord une monnaie privée, émise au premier chef par des acteurs privés : les entreprises exportatrices. C’est dire que si l’Etat peut émettre des droits, c’est à tire accessoire, et qu’en revanche,  il lui est juridiquement interdit d’en  retirer  de la circulation, pour éventuellement s’engager dans une politique de limitation des importations. En clair, les Etats pourraient émettre des titres, sans possibilité d’en acheter.

 C’est dire aussi, que ne se cache derrière le dispositif, aucun contingentement : le droit à importer est un titre non spécialisé. C’est  aussi remarquer, qu’il n’est pas l’équivalent d’un droit de douane, dont le prix est fixé par l’autorité administrative, alors que le prix du droit à importer serait fixé par le marché, et sa hauteur très largement déterminée par le  dynamisme des exportations. Sans doute, ces dernières sont elles dépendantes, du prix des  droits à importer qui se fixent à l’étranger, mais ces mêmes droits, se fixent aussi sur les exportations de ces mêmes pays étrangers. On est donc très loin de la fermeture tant redoutée par les adeptes du mondialisme : la dé mondialisation n’est pas la fin du libre échange.

Nul ne connait la hauteur des bouleversements politiques qui interviendront sous la pression des déséquilibres croissants des balances des paiements, et de leurs conséquences sur les acteurs directs, toutefois, le recours au marché des droits à importer, tel qu’évoqué ci-dessus, est la solution élégante, qui permet de quitter- très progressivement- le mythe de la mondialisation, sans dangers extrêmes.  

 

 

(°)  les textes qui  s’intéressaient à ces question sont : « Paradigmes d’entrée et de sortie de crise »5-07-10 ; « Crise et renouvellement de l’offre politique » 16-09-10 ; « L’équilibre extérieur comme produit politique émergent » 28-09-10 ; et « Mondialisation ou libre échange » 19-10-10.

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19 octobre 2010 2 19 /10 /octobre /2010 08:46

                                

Il est important de revenir sur le célèbre exemple de Ricardo pour bien comprendre toute la distance qu’il peut y avoir entre libre- échange et mondialisation.

Le libre échange ou  l’acceptation de l’improductivité britannique

L’auteur sus-visé cherche à démontrer que même en situation de désavantage absolu, un pays a toujours intérêt à se livrer à des opérations de commerce international. Dans son exemple, Ricardo évoque deux pays, le Portugal et l’Angleterre et deux marchandises, le vin et le drap.

Avant échange extérieur, les deux pays produisent et évaluent les deux marchandises selon les coûts suivants en travail par unité produite : 80H et 90H respectivement pour le vin et le drap pour le Portugal ;  120 et 100H pour ces deux mêmes marchandises s’agissant de l’Angleterre.

Si l’Angleterre est déclassée aussi bien pour la production de vin que pour la production de drap, elle a - dit Ricardo  - intérêt à se spécialiser dans le domaine où elle se trouve relativement  le moins désavantagé, c'est-à-dire le drap, le Portugal prenant en charge la production de vin.

Une telle spécialisation suppose évidemment une bonne mobilité des facteurs de la production, avec pour résultat la possibilité de produire plus de deux unités de vin (2,125 unités) pour le Portugal, et plus de deux unités de drap (2,2 unités)  pour L’Angleterre. Il existe bien un gain mondial à l’échange international comme il existe des gains à l’échange au niveau national. La question toutefois se pose de savoir comment sera réparti ce gain entre les deux pays.

Pour autant, si on raisonnait en dehors du contexte national/ international pour raisonner en mondialisation le résultat serait encore meilleur. Car les entrepreneurs anglais n’ont aucune raison de supporter l’improductivité des travailleurs britanniques et délocalisent leur production au Portugal. Cela suppose évidemment un grand réservoir de main  d’œuvre dans ce pays, mais désormais il serait possible de disposer de 2,125 unités de vin et de 2,44 unités de drap (220/90), soit une situation mondiale meilleure. De ce point de vue la mondialisation, faisant disparaitre les Etats, peut-être perçue comme avantageuse.

Evidemment l’exemple et les calculs sont frustres, mais ils correspondent assez correctement à ce qui s’est passé depuis la fin du fordisme. L’exemple de Ricardo revisité représente assez correctement ce qui s’est produit : zones dévastées (L’Angleterre ne produit plus grand chose) associées à des croissances miraculeuses (Chine).

Une réalité  empirique entre libre échange et mondialisation…

Si l’on cherche à se rapprocher de la réalité empirique d’aujourd’hui, il faudrait raisonner dans l’exemple de Ricardo sur le cas des USA et de la Chine. Mais plus important, il est des paramètres fondamentaux à introduire dans le modèle : il existe des productions non délocalisables, par exemple les services sociaux portant secours aux chômeurs, les services publics etc. Plus sérieusement encore, derrière les pays existent des acteurs ou groupes d’acteurs : entrepreneurs économiques aux intérêts divers, salariés et  consommateurs plus ou moins citoyens, enfin entrepreneurs politiques travaillant dans un champ institutionnel.

Pour autant, la réalité empirique d’aujourd’hui, semble à mi- chemin entre le libre échange qui devrait assurer une sorte d’optimisation mondiale de la production, et la mondialisation qui élimine l’existence même des improductifs. Clairement, les USA n’ont plus grand-chose à exporter, et la Chine peut, tous les jours davantage,   produire tout ce dont les américains ont besoin.

 Le modèle du libre-échange est celui où la nation n’est pas encore contestée, le marché politique pouvant fonctionner sur la base d’un mercantilisme classique. Les acteurs les plus importants, c'est-à-dire les entrepreneurs économiques travaillent sur des bases nationales et n’exigent pas la disparition ou l’adaptation du corpus législatif interne à une norme supérieure. Ce modèle est assez largement celui de la révolution industrielle, notamment anglaise, et celui du monde dit développé du 20ième siècle.

…Mais marchés politiques tentés par le mondialisme

Le modèle de la mondialisation n’existe pas, et a peu de chances de se manifester, et ce même si la réalité empirique semble - faussement ou maladroitement - s’en rapprocher. En théorie il signifie que les acteurs les plus importants, c'est-à-dire les entrepreneurs économiques exigent la fin des nations et l’apparition d’un ordre institutionnel planétaire susceptible de favoriser sans limite l’ordre économique. En clair, ils exigent que les nations , coupe- circuits, dans l’ordre du marché généralisé, subissent un affaissement drastique. Les entrepreneurs politiques ne peuvent que mollement répondre à cette exigence. Dans un premier temps ils peuvent en accepter les premiers effets en ce qu’ils s’inscrivent dans l’ambiguïté : le salariat se précarise, mais la consommation se porte bien, simplement, parce que dans la première phase, la Grande distribution se charge de faire baisser la valeur de la force de travail, ce que nous appelions le fordisme boiteux ou « l’artificialisation de la plus value relative" (cf:

  http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-grande-crise-les-8-fondamentaux-pour-conclure-54153801.html).

 Avec le temps, le marché politique devient  plus difficile, et l’offre de produits de mondialisation (ensemble du système juridique revu et corrigé  pour autoriser une entrée en mondialisation) engendre  de grands changements, notamment  en termes de répartition du bien être (accroissement des inégalités de revenus et de patrimoine). Mais précisément l’offre  se manifeste néanmoins  parce qu’il existe un besoin et un marché potentiel.

Concrètement , la théorie économique- tel le marketing  engendrant en permanence de nouveaux besoins qui n’existent pas vraiment-  va faire naitre, d’abord chez nombre d’entrepreneurs économiques, mais aussi chez les salariés, le besoin  de s’éloigner de l’Etat : La macroéconomie ne bénéficie d’aucun statut scientifique, diront les autrichiens ; l’école des choix publics nous a sensibilisé sur les handicaps de l’intervention publique ; l’école des anticipations rationnelles  a confirmé le handicap ; et beaucoup considèrent que les modèles dont sont friands les ministères  sont un crime épistémologique. La parole académique, comme celle du marketing,  est ainsi venue modeler la pensée et les actions des praticiens du jeu social. Et si la finance s’est imposée dans la configuration qu’on lui connait encore, c’est aussi et surtout en raison de l’efficacité instrumentale de la théorie des marchés efficients ( Merton, Black et Scholes). De quoi faire reculer le règlement (l’Etat) et faire avancer le marché qui ferait beaucoup mieux.

 Avec, au passage, cette académique contradiction : on dénonce l’épistémologie des modèles macroéconomiques intégrant le postulat des bienfaits de l’Etat,  mais on accepte celle de l’efficience des marchés alors qu’il est possible de lui adresser les mêmes critiques : celles en provenance de la théorie du chaos. Dans un cas comme dans l’autre, puisqu’il s’agit de modèles, il existe une fissure – même très faible- entre le réel et sa représentation, fissure  qui se transforme en abîme entre ce qui se produit réellement et ce qui se prédisait. Comme quoi  le concurrentiel épanouissement des théories économiques est autant affaire de marketing que de science fondamentale.

   Et tout aussi concrètement,  l’inondation de la société par les mécanismes du marché fera apparaitre « l’homme délié » au détriment de l’homme citoyen. C’est dire par conséquent que les individus seront de plus en plus nombreux à connaitre une certaine fringale de produits de mondialisation. Cette dernière apparaissant comme la conquête de libertés nouvelles. L’homme citoyen était encore imprégné de cet ersatz  de holisme qu’était la patrie dévoreuse de devoirs autant que de droits. Désormais la société complètement inondée par le marché, ce que Polanyi appelait la « grande transformation », se reconnait mieux comme individus dévoreurs de « droits liberté » que l’on met en avant dans l’échange volontaire universalisé et intéressé.

A cheval sur un monde de plus en plus difficilement maitrisable, les entreprises politiques dont le carburant   fût historiquement la nation, furent ainsi amenées à répondre à l’utopie  de la mondialisation. Il existe donc curieusement une contradiction, entre un marché politique qui s’oriente vers son anéantissement, la disparition de l’Etat nation étant aussi celle des marchés politiques correspondants,  et un principe vital qui l’empêche d’aller jusqu’au suicide.  Avec cette caractéristique singulière : plus ils répondent positivement aux exigences  des acteurs les plus mondialistes et plus ils sont contestés dans leur fonctionnement. 

C’est qu’à la simplicité du holisme résiduel de la modernité naissante (19 et 20ième  siècle) correspondait la simplicité de son marché politique : peu de

produits, et beaucoup de gesticulations idéologiques et manipulatrices sur la base de valeurs simples. A l’explosion de l’individualisme radical correspond la complexité du social et la sur- agitation des marchés politiques : avalanche de produits censés compenser la perte des valeurs et du sens. La régulation de l’ensemble social n’est plus nourrie par la citoyenneté, mais par l’intérêt individuel, d’où la pluie de lois chargées de compenser l’effacement de ce que l’on appelait capital social, valeurs ou simple morale.

….Mais marchés politiques non suicidaires

Toutefois le monde connait déjà les limites de la mondialisation et les forces de rappel vers le simple libre échange se manifestent.

La première est celle qu’avait peut-être envisagé Ricardo, lequel stoppait son raisonnement au beau milieu de la démonstration : les capitalistes anglais supportent l’improductivité des travailleurs britanniques et ne délocalisent pas la production de drap alors même que l’économicité y pousse. Ricardo ne nous dit pas pourquoi le seuil de la délocalisation radicale n’est pas franchi. Peut-être  s’agit-il d’un problème de valeurs : les capitalistes anglais seraient aussi citoyens britanniques soucieux de ne pas ruiner leur pays. Cela signifierait aussi, que l’avantage de l’échange est bien perçu dans les vieux termes du holisme qui se prolonge alors même que la grande transformation est à l’œuvre : ce sont d’abord des nations qui gagnent à l’échange. L’inondation de la société par l’économie n’est pas encore la noyade. Et le libre échange n’est pas la mondialisation.

Aujourd’hui, il est difficile de penser que les entrepreneurs économiques restent animés par le primat de la citoyenneté, et la noyade de la société n’est pas la leur. Ils constituent pour les plus importants d’entre-eux la sur- classe mondialiste et restent entièrement gagnants au jeu de l’échange. Ce gain, correspondant à la noyade de la société,   s’oppose de plus en plus radicalement aux intérêts des entrepreneurs politiques qui seront de plus en plus amenés à refuser leur propre suicide. Ils vont pour cela construire de nouveaux produits répondants aux intérêts des salariés dont  la précarisation se fait menaçante. Si Ricardo pouvait penser que la main invisible était surplombée par la citoyenneté des capitalistes, aujourd’hui il nous faut plutôt penser qu’elle sera surplombée par l’intérêt des entrepreneurs politiques,  lesquels refusent le suicide par noyade volontaire. Les entreprenurs politiques seront ainsi amenés à renégocier les termes d’un libre échange assurant leur propre pérennité.

 Les marchés politiques européens  refuseront la mort

En termes empiriques il est facile de repérer que les Etats qui se sont le plus lancés dans la mondialisation, par abandon lourd de leur souveraineté, sont aujourd’hui très hésitants. Tel est le cas des pays de la communauté européenne, qui révèlent au grand public, leur refus d’aller plus loin dans l’affaissement des Etats et en arrivent à imaginer un lourd système de sanctions au détriment de ceux qui souhaitent se préserver des marges d’autonomie. L’abandon des souverainetés monétaires et budgétaires est de moins en moins bien acceptée, et les projets de systèmes de sanctions à l’encontre des Etats récalcitrants ne font que mesurer la résistance à l’affaissement des marchés politiques nationaux, et de ses entrepreneurs qui refusent la filialisation vis-à-vis d’un possible marché politique supra national (le grand Etat européen), et surtout la perte de parts de marché sur leur propre zone de chalandise.

Et précisément ces sanctions lourdes (on parle d’amendes se comptant en points de PIB pour les déficits excessifs, et amendes quasi automatiques en raison de la mise en action d’une règle  de majorité inversée) vont entrainer l’hostilité croissante des électeurs des pays concernés, lesquels exigeront de la part  de leurs  entrepreneurs politiques nationaux une authentique résistance. Les entrepreneurs politiques nationaux les plus intelligents seront ainsi sauvés par ceux qu’ils martyrisaient dans l’aventure mondialiste. D’où des revirements spectaculaires à attendre en termes d’offres politiques, idée  que nous risquions déjà dans notre texte:

 http://www.lacrisedesannees2010.com/article-crise-financiere-et-renouvellement-de-l-offre-politique-57894468.html.

L’hostilité ne peut en effet que grandir avec l’épuisement du fordisme boiteux qui ne cesse d’éloigner le salarié du consommateur. Il est, avec l’approfondissement de la crise financière, de moins en moins question de négocier- au moins fictivement- du pouvoir d’achat conquis par la plus value relative offerte sur des importations toujours croissantes contre davantage de précarité salariale (cf:

  http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-grande-crise-les-8-fondamentaux-pour-conclure-54153801.html).

Au-delà de ce que l’on appelle les nouveaux besoins, Les gains en pouvoir d’achat sur produits importés sont désormais surcompensés par des taux de salaire déclinants. Avec impossibilité de sortir du couple prix des importations/salaires par utilisation d’une monnaie, l’euro, qui reste aujourd’hui encore la seule « monnaie sans souverain », c'est-à-dire  mondialisée.

Et cette hostilité vis-à-vis de la construction européenne est aussi la porte de secours des marchés politiques nationaux qui constatent de plus en plus que l’Europe est curieusement le continent le plus avancé vers la mondialisation. Les autres continents le sont en effet beaucoup moins, et s’avancent au mieux, sur la base d’un relatif libre- échange vers des Etats- nations, qu’il s’agit de préserver ou de construire. Et cette pointe avancée vers la mondialisation qu’est l’Europe est d’abord le fait de sa « monnaie sans souverain ». L’actuelle guerre des monnaies faisant ainsi intervenir sur le champs de bataille une armée sans général.

Le possible démantèlement prochain des institutions européennes s’annoncera aussi comme lutte pour la vie des principales entreprises politiques du continent. Et démantèlement qui ne signifie pas nécessairement disparition : comme les entreprises économiques, les entreprises politiques se doivent de renouveler en permanence le catalogue des produits, produits parmi lesquels il serait possible de trouver de nouveaux projets européens.

Singulièrement, comme l’improductivité des travailleurs britanniques ne signifiait pas leur disparition dans l’exemple de Ricardo, il n’est pas dit que l’improductivité des travailleurs grecs, condamne ces derniers à disparaitre. Après avoir été martyrisés, les improductifs seront peut-être protégés.

 

 

 

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28 septembre 2010 2 28 /09 /septembre /2010 15:27

              

La présente réflexion,  s’inscrit dans l’idée selon laquelle une conjonction entre temps propre de la crise, et temps propre à la sphère  politique, risque d’aboutir avant le printemps 2012 à un changement radical de paradigme dans le fonctionnement de l’Europe, et en particulier de sa zone euro. Et  un changement possiblement impulsé par la France.

Inutile d’insister ici sur l’aggravation de l’actuelle grande crise. Les lecteurs avertis, en connaissent maintenant le mécanisme, et savent que si l’empilement de la dette globale mondiale n’est pas l’essence de la crise, il en est le facteur de déclenchement. Même sans revenir sur la globalisation, le retour à la croissance suppose au moins  l’arrêt de l’accroissement de l’économie de dettes. Circonstance non empiriquement constatée, puisque les Etats continuent d’accroitre leurs stocks de dettes….pour aider  les banques… qui aident les Etats. Il faut sauver les Trésors Irlandais ou grecs, pour sauver les banques françaises ou allemandes- largement exposées sur les dettes publiques correspondantes-  et qui financent les Trésors français ou allemand. Le cercle est bouclé.

Sur un plan purement comptable, aucun pays de la « zone euro à risques »- Allemagne,  Pays Bas et Autriche exclus-   n’obéit  à l’équation de stabilisation de la dette publique. Les soldes primaires sont très au-delà de ce qui permettrait la simple stabilisation : dette cumulée déjà trop élevée, taux de croissance beaucoup trop faible, et taux de l’intérêt sans doute encore faible pour certains pays (France) mais instable, et devenant usuraire pour les plus faibles ( Irlande, Portugal, Grèce). Cela signifie que malgré les plans de contraction des dépenses publiques, et d’augmentation parallèle des prélèvements, l’endettement continue d’augmenter, avec notamment les risques qui s’y rattachent, en termes de classement par les agences de notation.

Pour les plus menacés – Irlande, Portugal, Grèce et sans doute Espagne- et aussi les plus menaçants pour l’ensemble de la zone euro, la situation est désespérée, puisqu’en 2010 les taux de croissance seront négatifs, ou  au mieux inférieurs à 1%, alors que le taux moyen de la dette sera proche de 3%, et le taux marginal pouvant dépasser les 10% (très exactement 10,898% au 27 septembre 2010 pour les bons grecs à 10 ans selon Bloomberg). C’est dire qu’il faudrait un solde primaire très positif – plusieurs points de PIB-  à priori inaccessible. Les plans de réduction des déficits, risquent de faire baisser les recettes, et donc d’accroître ces mêmes déficits,  alors  qu’ils sont déjà insupportables. La France est, elle-même, en position plus que délicate : En admettant pour 2011 une dette de 85% de PIB, une croissance de 1,5%, et un taux d’intérêt de 3%, il faudrait un solde primaire public supérieur à 1,275 point de PIB. Cela représenterait un excédent budgétaire primaire d’environ 25 milliards d’euros… pour seulement bloquer la croissance de l’endettement. Le parlement préparant un budget 2011, affecté d’un déficit supérieur à 90 milliards, sera du même coup voté,  une aggravation importante de l’endettement global,  et donc un risque d’aggravation de la crise financière.

De façon très conjoncturelle, la guerre des monnaies en cours dans le monde ( il vaut mieux dévaluer puisqu’il ne saurait y avoir de relance interne, avec des ménages davantage disposés à thésauriser, et que tous les Etats veulent exporter) retarde et fait passer au second plan, l’inévitable démantèlement  ou recomposition de la zone euro. Curieusement, l’achat d’Euros permet de stabiliser Yen, Franc suisse, Yuan et de conforter la monnaie européenne.

C’est dire aussi que le temps propre de la crise en Europe, ou son cheminement, ne saurait évidemment faire l’objet de prévisions calendaires. Et ce d’autant  que d’autres acteurs lourds interviennent dans le déroulement de la crise : USA, Chine, autres émergents,  etc. Il est toutefois raisonnable de penser, que la très grande probabilité de défaut d’un ou de plusieurs maillons de la chaine euro, sera suivi de rupture politiques majeures.

Dans le texte« l’Euro, sursaut ou implosion », il était expliqué la logique de la connivence des entreprises politiques, notamment françaises : la fuite en avant étant la capacité, grâce à l’euro, de multiplier ou de conserver le niveau et la qualité de  l’offre de produits politiques sur les marchés correspondants.

Mais le fordisme boiteux qui devait en résulter (cf. le texte du 19 juillet : « La grande crise : les 8 fondamentaux pour conclure ») est devenu « fordisme boiteux en sursis »  avec le développement de la crise. Désormais, pour les grandes entreprises politiques des pays les plus importants (France en particulier) l’offre de produits risque de devenir très rapidement inadaptée. Quel que soit l’entrepreneur politique ayant vocation à gouverner, la reconduction au pouvoir, ou la conquête du pouvoir,  ne pourra plus se faire à partir du même paradigme, si  le défaut constaté chez un maillon faible se propage. Et la propagation est inévitable, et atteint directement le Trésor, qui devra soutenir des banques victimes de la contagion, qu’il faudra bien sauver …si l’on veut sauver le Trésor lui-même.

Le paradigme dominant de la science économique, certes ébranlé par les développements passés de la crise, reste toutefois dominant, et partout, il s’agit de refermer la porte d’un Keynésianisme dont on ne veut pas. C’est dire que sans le défaut, pourtant très probable dans le court ou le moyen terme, d’un maillon faible de la chaine euro, les entreprises politiques conserveront – malgré elles- leur offre faite de rigueur budgétaire, dite de droite (diminution de la dépense) ou de gauche (augmentation de la pression fiscale) . Et ce même si une telle stratégie aboutit à créer du mécontentement, puisque rigueur budgétaire signifie aussi diminution du volume de l’offre politique, et perte de parts de marchés, au profit d’entrepreneurs politiques moins généralistes, souvent appelés  « populistes ». Ou tout simplement au profit du retrait du marché c'est-à-dire l’abstention : le consommateur de produits politiques n’achète plus.

Cette situation, forte probabilité d’un défaut très contagieux, associée à un conservatisme de l’offre politique globale, procure un avantage considérable à l’entrepreneur politique au pouvoir : il peut – dans la tempête, et dos au mur- révolutionner l’offre de façon immédiate. Et il le peut, car il détient – puisqu’au pouvoir-  les outils de la contrainte publique. Et il ne peut que révolutionner l’offre, s’il veut se donner une chance de gagner l’élection suivante. Parce que la réalité se transforme brutalement – défaut avec forte contagion et crise systémique, non maitrisable avec les outils classiques- l’entrepreneur politique au pouvoir n’a guère le choix. Il lui faut « dérailler », rapidement changer de paradigme, et révolutionner le mode d’accaparement des outils de la contrainte publique à des fins privées.

Dans le cas de la France , ce déraillement rapide , mobilisant de nouveaux outils aux fins d’une possible reconduction au pouvoir, est constitutionnellement prévu : Il s’agit de l’article 16 de la constitution de 1958.

Il convient toutefois de préciser les modalités économiques et juridiques du déraillement.

S’agissant des modalités économiques les choses sont simples : l’avalanche contagieuse des défauts, est stoppée net par le rétablissement de la souveraineté monétaire autorisée par l’article 16. Il s’agit simplement de reprendre autorité sur la banque centrale, de supprimer l’agence France Trésor devenue inutile,  et d’exiger l’achat gratuit de bons du Trésor par le banquier de l’Etat, comme cela se déroulait sans heurts,  avant la loi du 3 janvier 1973. Une telle décision, va contre les engagements bruxellois de la France, et débouche inéluctablement sur un conflit avec les tenants de l’autre paradigme, à savoir essentiellement l’Allemagne. Le défaut ayant une portée systémique, il est toutefois peu probable que l’Allemagne – dont le système bancaire est très exposé- puisse résister longtemps, à une offre française de redéfinition de l’euro, lequel devient monnaie commune, et cesse d’être monnaie unique. Et monnaie commune avec taux de change fixes et ré ajustables à intervalles réguliers. Dans la négociation qui en résulte, l’entrepreneur politique français a tout à gagner : il est suivi par les entrepreneurs politiques des maillons faibles, qui à force de se droguer à l’euro, ont tout perdu. Cela signifie la construction d’une nouvelle zone euro à l’initiative de la France, avec toutes les conséquences politiques qui peuvent en résulter. On peut du reste imaginer, qu’il y aurait vite contagion sur l’idée de souveraineté monétaire, et peu de pays conserveraient la doctrine de l’indépendance des banques centrales. Et l’entrepreneur politique français, a également tout à gagner sur le plan interne, puisqu’initiateur d’une nouvelle offre de produits politiques,  dont les coûts associés- par exemple une augmentation du coût des importations-  sont reportés au-delà des élections. En outre cette offre nouvelle, est aussi une nouvelle histoire et donc un projet qui ne se ramène plus à de la fade   « gouvernance de l’immédiateté et de l’insignifiance ». Ainsi, des produits comme le « retour à la croissance » ou « la ré industrialisation » pourraient, au moins temporairement, abandonner leur statut de slogans usés et reprendre quelques couleurs.

La question reste toutefois de savoir, si l’article 16 est utilisable dans le cas d’une crise systémique. Une lecture constitutionaliste du texte, semble indiquer que le recours à l’article 16, est subordonné à des ensembles de faits précis : « menaces graves et immédiates » sur « l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire, ou l’exécution de ses engagements internationaux ». Et menaces susceptibles d’interrompre le « fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels ». Si un défaut d’Etat en zone euro est extrêmement contagieux et entraîne une catastrophe financière, il y a bien menace sur le fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Et on sait qu’un effet de « Bank run », avec disparition de la monnaie, débouche rapidement sur une dislocation de l’Etat de droit. Ce fût du reste la grande peur des Etats en septembre 2008. En revanche, la catastrophe financière ne semble pas être une menace sur « l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire, ou l’exécution de ses engagements internationaux ». Il appartiendra, comme  prévoit le texte, au Conseil Constitutionnel, d’apprécier la légitimité du recours à l’article 16 après 30 jours de mise en œuvre, mais uniquement sur la base de la saisine du président de l’Assemblée Nationale, ou du président du Sénat ou de 60 députés ou sénateurs. Il est toutefois douteux, au vu de l’étendue de la catastrophe, qu’une saisine du Conseil puisse se manifester, ou le cas échéant, que le conseil saisi, déclare non conforme l’utilisation de l’article 16. Il en résulte qu’effectivement, l’entrepreneur politique au pouvoir, peut être le grand bénéficiaire d’un risque de défaut contagieux sur l’euro-zone.

Bien évidemment, le changement de paradigme autorisé par le recours à l’article 16 est un pari et un saut vers l’inconnu. Mais il faut noter aussi qu’il est dans, la présente situation de la France, le moyen le plus efficient dans la quête de la reconduction au pouvoir.

Sans préjuger des modalités précises des mesures prises, dans le cadre du recours à l’article 16, il y a comme dans toute mesure publique, d’abord déplacement de bien être entre groupes de personnes et effets secondaires, dont nul ne peut en évaluer, ni l’importance ni la direction. Le fonctionnement des groupes humains, ne relève pas de la mécanique, et les liens causes /effets sont infiniment complexes. Néanmoins, et en toute première approximation, il y a d’abord relâchement de la pression sur les Trésors puisque la dette nouvelle devient gratuite. On pourrait imaginer, qu’il en serait de même concernant le stock de dettes publiques, toutefois on peut se demander, s’il est juridiquement possible d’utiliser l’article 16, aux fins de promulgation d’ordonnances rétroactives. Cette gratuité nouvelle, correspond à des désavantages pour l’ensemble de la finance qui jusqu’ici, se nourrissait de la dette publique, laquelle était aussi matière première de base, pour confectionner d’autres produits financiers achetés par des épargnants. Dans le cas de la France, les désavantages sus visés seraient internationalisés, puisque jusqu’ici, prés de 70% de la nouvelle dette publique était vendue à des banques étrangères. Les réactions des banques françaises, déjà très atteintes par le défaut en un point de la chaine euro, seraient donc limitées, et il est faux de considérer, comme le fait Jean Peyrelevade, qu’elles ne pourraient pas supporter la gratuité de la dette publique.

Il y aurait aussi comme conséquence première, déplacement de bien- être à l’intérieur de la zone euro : tous ne pourront plus être passagers clandestins ainsi que nous le disions dans l’article du 28-01-2010. Les moins efficaces, paient  leur insertion avec des importations plus couteuses, et les plus efficaces (Allemagne) ne peuvent plus siphonner, la demande globale de l’ensemble des autres membres de la zone. On pourrait du reste imaginer, que les négociations nouvelles dans le cadre du nouveau paradigme, prévoiraient la mise en place des institutions de veille et sauvegardes, des équilibres des échanges extérieurs entre pays.(cf. le texte du 16 juillet : « l’équilibre extérieur comme produit politique émergent »)

Au-delà, il est évidemment difficile d’aller plus loin, tant  les prévisions dans un contexte de rupture radicale sont difficiles. La présente réflexion n’avait pas pour objectif d’éclairer le nouveau paradigme. Il se bornait à souligner, que dans la zone euro, mais certainement aussi ailleurs, les piles de dettes, toujours en très forte croissance, risquent d’exploser à une date peu éloignée de celle de l’inventaire comparatif des offres politiques, dans un pays clef de la zone (élections du printemps 2012 en France). La possible rencontre des événements, est favorable à l’entrepreneur politique au pouvoir, qui est en raison de sa maitrise des outils de la contrainte publique, et en particulier d’une disposition constitutionnelle redoutable , peut brutalement renouveler l’offre de produits,  et lui assurer une rente d’innovation, démonétisant les offres concurrentes.

 

 

 

 

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16 juillet 2010 5 16 /07 /juillet /2010 12:54

 

Deux grandes entreprises politiques européennes, le PS français et le SPD allemand, ont adopté en juin dernier une déclaration commune, mettant en avant la recherche d’un équilibre des balances des paiements courants des pays de l’Union européenne.

Un produit obsolète .

Le fait est à souligner tant la période de mondialisation semblait entrainer l’obsolescence de l’idée d’équilibre, en particulier celui de la balance des biens et services. A échelle plus réduite, l’euro lui-même débarrassait les entrepreneurs politiques de la bonne surveillance dudit équilibre : en s’offrant une « monnaie de réserve à l’américaine », disions-nous dans un précédent article, il n’y a plus à surveiller, ce qui naguère annonçait et engendrait des modifications de parités ou de cours de monnaies aujourd’hui disparues. Les balances devenues simple curiosité statistique n’étaient plus, à priori des contraintes publiques. La victoire de la minorité mondialiste des entrepreneurs économiques sur les marchés politiques, devait légitimer d’autres produits : monnaie  en apesanteur, liberté de circulation du capital, anéantissement des droits et taxes aux frontières, recherche de compétitivité par production d’externalités positives à la mondialisation et en particulier grignotage des « compromis fordiens » de la période antérieure, etc. Et il est vrai que la notion de commerce extérieur perdait sens, puisqu’il s’agissait moins de marchandises circulant entre  pays, qu’entre établissements d’entreprises eux- mêmes dépaysés. Pour faire bref, les balances externes ne sont plus des objectifs, à partir desquels des politiques économiques seront mis en œuvre, en utilisant les outils ordinaires de la contrainte publique. Elles ne sont plus que des résultats issus d’autres types de contrainte publique mises en œuvre pour déplacer du bien- être vers la minorité mondialiste des entrepreneurs économiques. Contraintes exigées par eux et mis en place par les entrepreneurs politiques au pouvoir. Avec la mondialisation le niveau équilibre/déséquilibre des balances n’est plus un objectif à réaliser mais un résultat constaté.

Replacée dans cette perspective, la déclaration commune susvisée, apparait comme revirement de très grande portée quant à ses intentions. Portée hélas anéantie par une  opérationnalité  victime des croyances passées.

Un progrès humain majeur.

Rétablir l’équilibre des balances, comme objectif, peut être interprété comme un progrès humain sans doute très commercialisable sur les marchés politiques. Sous ses aspects les plus radicaux, la mondialisation n’a pu être achetée par une majorité d’électeurs qu’avec l’apport idéologique issu  de constructions intellectuelles, elles- mêmes de plus en plus sophistiquées, et remontant à Ricardo dans son célèbre exemple des avantages comparatifs. En termes simples, l’échange et la spécialisation internationale sont avantageux pour tous les partenaires. Les restrictions à l’échange sont un mal à combattre. Les Grands militants de l’actuelle OMC en sont toujours là.

Or, ce que nous appelions « fordisme boiteux » dans un précédent article révélait déjà les limites d’un tel raisonnement. Il ne s’agit pas ici de faire le bilan économiciste classique des coûts/avantages du libre échange par rapport au protectionnisme. Il s’agit à l’inverse de voir dans quelle mesure un déséquilibre récurrent des balances en particulier des biens et services est porteur  d’un rétrécissement, d’une restriction, aux droits de l’homme. Le déséquilibre en mondialisation est l’indice  de différences et/ou d’inégalité des partenaires dans de multiples domaines : productivité qui elle-même relève d’une foule de facteurs, variables sociétales, statut démographique, fonctionnement des marchés politique, etc. Les déséquilibres, en particulier négatifs, des balances de biens et services peuvent durer longtemps et comme précédemment évoqué, ne pas intéresser les entrepreneurs politiques si l’on vit à l’abri d’une monnaie de réserve, réelle (dollar) ou artificielle (euro). Par ailleurs on peut aussi bénéficier de mouvements de capitaux rééquilibrants.  Cependant un déséquilibre récurrent sur biens et services, sur très longue période, entraine des effets potentiellement dévastateurs, effets qui vont loin au-delà de la stricte économicité. Les déséquilibres sont en effet une violence : l’excédentaire ponctionne ou siphonne une partie de la demande globale du déficitaire lequel ne peut réagir en libre échange que par son alignement sur la productivité réelle ou artificielle de son encombrant partenaire. En clair les grecs sont amenés à perdre leur travail sauf à s’aligner sur la productivité des allemands. Et il n’existe pas d’autre choix en mondialisation. Autre violence, celle concernant le risque de non respect des contrats : l’excédent chinois est une ponction sur la demande intérieure américaine qui peut être combattue par une autre violence, celle concernant le non- respect éventuel  de la valeur de l’épargne chinoise investie en bons du Trésor américain. En mondialisation, telle qu’elle fût achetée et imposée, il y a impérialisme de l’économicité, et seuls les systèmes culturels les plus favorables à l’élévation régulière de la productivité sont autorisés : de quoi appauvrir ce qui fût la richesse humaine.

Sans doute peut -on rétorquer qu’il ne saurait y avoir de violence puisque les échanges n’ont lieu que sur la base de l’avantage mutuel, et ce dans le seul champ de la  microéconomie. Nul grec, n’est tenu d’acheter des produits allemands ; nul américain n’est tenu d’acheter des marchandises chinoises. Seulement, à terme, ces échanges volontaires et mutuellement avantageux rétrécissent le champ des possibles : les grecs sont volontairement acheteurs de produits industriels allemands et achètent à leur insu les externalités négatives qui entourent et accompagnent leurs achats. Ils ne peuvent que réduire une ambition industrielle déjà peu marquée et ne pouvant être aidée par l’arme monétaire perdue. Ils se spécialiseront dans les activités non dé localisables , des activités de services ,non porteuse des gains de productivité futurs, et qui resteront chères. Même le tourisme peut être laminé par un déséquilibre qui ne peut être effacé par l’arme monétaire disparue. Le soleil des îles grecques est devenu trop coûteux. Le déséquilibre s’entretient, se renforce et peut saigner le déficitaire. Avec tous les risques géopolitiques qui pourraient en découler. Inutile de rappeler ici la violence des propos qui s’échangeaient, au cœur de l’Union européenne, au printemps dernier,  à propos de la crise grecque.

L’idée d’établir en tendance un équilibre (obligatoire) des échanges entre pays de l’Union est donc un très réel progrès. La liberté d’échanger ne doit pas entrainer le dénuement des plus faibles pensait déjà ce grand théoricien du libéralisme qu’était John Locke, d’où la célèbre clause dite « Lochéenne » qui vient rétablir un minimum d’égalité entre les partenaires. Plus récemment Jean Pierre Dupuy a pu critiquer la philosophie Nozickenne en montrant que l’absence de tout frein à la liberté d’échanger conduit à des états où la « quantité de liberté » disponible se trouve réduite. Les entrepreneurs politiques n’ont évidemment pas le souci de la « quantité de liberté » disponible et ne sont pas , par essence, des libertariens. Il n’empêche que, situés au centre de gravité des marchés politiques, ils ne peuvent pas ne pas tenir compte des effets dévastateurs du libre- échange non régulé sur nombre d’électeurs. Le débat, très concret sur les délocalisations,  et la question de savoir s’il est possible pour un pays, d’abandonner toute ambition industrielle, doit aussi être resitué dans l’idée de liberté présente d’échanger (mondialisation), qui détruit, ou détruirait potentiellement, la quantité de liberté future disponible pour un pays.

Sans le théoriser, les dirigeants du PS et du SPD viennent ainsi de déclarer, que l’équilibre des échanges entre pays serait  la forme moderne de la clause Lochéenne . Ou dit autrement, le moyen de préserver la quantité de liberté disponible. Répétons le, il s’agit d’un immense progrès, une avancée dans le respect des droits de l’homme, et sans doute le seul moyen, qui à l’échelle planétaire, donnera quelque légitimité à une mondialisation repensée. 

Une confusion dans l’analyse causale.

Resterait toutefois la question de savoir comment, c'est-à-dire opérationnellement, faire vivre cette idée d’équilibre. Et c’est ici que les raisonnements des deux grandes entreprises politiques susvisées deviennent hautement contestables.

De fait, il s’agirait pour les dirigeants de ses entreprises politiques, de parvenir à l’équilibre recherché en agissant sur la demande globale interne à chaque pays. Les excédentaires (essentiellement l’Allemagne) doivent stimuler leur demande interne, et en conséquence importer davantage des pays du Sud. Ces derniers, en contre partie  se verraient  offrir des débouchés nouveaux et seraient incités à des efforts de productivité. Réduction de l’excédent d’un côté,  du déficit de l’autre côté. Evidemment cela supposerait l’abandon des politiques de rigueur non coopératives et généralisées. Cela passerait aussi par le rétablissement de la bonne entente à l’intérieur du couple franco- allemand. Curieusement, le but affiché n’est pas l’équilibre des balances mais la stabilité de l’euro. Le raisonnement étant le suivant : ce sont les politiques macro- économiques non coopératives qui ont entrainé le déséquilibre des balances des pays du sud, politiques qui ont-elles- mêmes aggravé l’endettement des pays correspondants, et endettement qui viendrait aujourd’hui déstabiliser la zone monétaire.

L’affaire serait entendue : la cause de la crise de l’euro (variable expliquée) est à rechercher dans des politiques macro- économiques inadaptées (variable explicative). Une autre gestion des demandes internes aboutissant à l’équilibre extérieur, la crise de l’euro s’évanouirait. Outre que les liens de cause à effet qui s’articulent dans le raisonnement ne sont pas  clairement établis, il est possible de se demander s’il n’y a pas lieu de changer le sens des variables, l’euro devenant la cause de politiques macro- économiques improprement jugées inadaptées par les entrepreneurs politiques susvisés.

Dans l’article « l’euro : implosion ou sursaut ? » (lacrisedesannees2010.com) il avait été pourtant montré, que les politiques macro- économiques adoptées partout, correspondaient bien aux nécessités ou aux facilités proposées par la monnaie unique. Productivité faible et taux d’intérêt devenus faibles de par « la grâce de l’euro » ont privilégié les stratégies de consommation dans le sud : spéculation immobilière et importations massives de biens de consommation (Espagne). Productivité élevée et assurance que les partenaires européens ne peuvent plus dévaluer par rapport au mark disparu, ont permis la mise en place d’une fantastique machine à exporter (Allemagne). Sans doute pouvait-on lutter contre les facilités procurées par l’euro, davantage perçu aujourd’hui comme drogue dangereuse. Mais au moment de sa mise en place, comme nous le disions dans l’article précité, « tous étaient d’heureux passagers clandestins ». Les entrepreneurs politiques des pays correspondants, pouvaient vendre du bien- être à beaucoup d’électeurs, sans à court terme le faire payer par d’autres. Ce qui devait leur assurer des gages de bonne gouvernance, et ce dans tous les pays de la zone. Les marchés politiques fonctionnant en continu, et à fort court terme, ont conseillé aux électeurs européens de vivre dans le présent. L’euro était une liberté dans l’océan du libre- échange. Il est devenu une immense aliénation.

Le PS français et le SPD allemand continuent de croire que la crise de l’euro est gérable en retrouvant, par le biais d’une habile gouvernance, l’équilibre extérieur de chaque Etat. Cet équilibre passe évidemment par une compétitivité accrue….qui nous renvoie aux questions précédemment soulevées : Comment la Grèce peut-elle retrouver de la compétitivité dans le tourisme- un service à la personne peu générateur de gains de productivité- sans une dévaluation massive ? Comment l’Espagne, mais aussi, et peut être surtout la France, peuvent-elles faire renaître un secteur industriel après en avoir – au nom de la liberté des échanges – abandonné jusqu’à la culture qui lui correspond et jusqu’à l’outil de formation qui lui est attaché, sans l’électrochoc d’une dévaluation massive ?

Les grandes entreprises politiques européennes ont vu dans l’euro un produit de grand avenir consolidant leurs parts de marché politique. L’euro, produit « vache à lait » était en tête de gondole. Il entrainait même dans nombre de pays une cartellisation des grandes entreprises politiques, lesquelles ne se distinguaient plus que sur des produits secondaires. Il leur est extrêmement difficile aujourd’hui, de « rentrer le produit en usine » ,comme il est très difficile dans l’industrie, de rappeler un objet déjà largement commercialisé pour défaut majeur. C’est la raison pour laquelle se trouve aujourd’hui lancée cette vieille idée d’équilibre des échange extérieurs de chaque nation de l’Union. Objectif aussi impossible à atteindre que celui de rembourser la dette. Il manque l’outil adéquat : le rétablissement de la souveraineté monétaire.

Toutefois en faisant renaitre une expression disparue, la réflexion avance. L’équilibre extérieur est un produit politique émergent qui engendrera probablement une nouvelle grappe de produits dérivés.

 

 

 

 

 

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5 juillet 2010 1 05 /07 /juillet /2010 17:02

                       

L’idée selon laquelle la crise financière est plus effet  que cause est déjà une question paradigmatique, voire épistémologique. N’est-elle qu’une erreur de calcul du risque (« cygne noir » dénoncé par Nassim Nicholas Taleb), une conséquence des inconséquences keynésiennes en matière de redistribution, une conséquence des inconséquentes dé régulations des années 80, ou la résultante de la simple cupidité alliée à la puissance de l’informatique et au dogme de l’efficience des marchés ?

Ce dernier point de vue, probablement  relativement populaire,  pourrait éventuellement déboucher sur une logique classique de chasse au bouc émissaire : « on ne veut pas payer pour leur crise » (Suzan George).

Finalement les entrepreneurs politiques décident.

L’observation attentive des faits, révèle pourtant que, classiquement,  la crise financière est le dysfonctionnement d’institutions issues d’un champ réglementaire, qui n’est pas le fait des banquiers. Dans l’industrie financière comme ailleurs, des structures, notamment juridiques, donc règlementaires, développent des modes opératifs et des fonctionnements  qui se sont révélés, ici , catastrophiques. Sans doute existe-il des lobbys extrêmement puissants, qui vont jusqu’à entrainer des protestations  du législateur lui-même – tels ces parlementaires européens exigeants  un « Green Peace de la finance » -  il n’empêche que ce sont bien les entrepreneurs politiques qui ont fixé les règles du jeu. Les codes monétaires et financiers, les règles et les régulateurs quels qu’ils soient  sont  comme dans tant d’autres domaines,  des modes d’utilisation de la contrainte publique  à des fins  privées. D’où bien évidemment le lobbying. La crise financière et sa calamiteuse gestion partout dans le monde est donc le résultat du fonctionnement classique des marchés politiques. Le coupable étant davantage l’offreur (l’entrepreneur politique) que le demandeur (le banquier).

Reste évidemment la question, de savoir pourquoi les marchés politiques ne débouchent sur aucune nouvelle configuration assurant la fin de la grande crise, mais au contraire son approfondissement.

Un examen rapide du passé, permet de mettre en lumière cette paradoxale paralysie du monde face à la grande crise. Paralysie qui se confirme de G20 en G20. « G vain » comme disent certains.

La vente d’outils d’utilisation de  la contrainte publique à des fins privées est le mode de fonctionnement normal des démocraties. Et pour l’essentiel,  il s’agit d’un corpus juridique : des textes qui créent, stimulent, déforment, contrarient, ou interdisent un jeu social, par exemple un marché.  Dans ce qui précédait l’Etat de droit,  le détenteur du pouvoir- prédateur réel vendait à lui-même, de la contrainte publique à son seul bénéfice, marginalement au bénéfice de ceux qui l’accompagnaient dans l’exercice de l’entreprenariat politique ou d’autres activités. En démocratie, il convient  de vendre avec plus d’intelligence - c'est-à-dire en partageant plus ou moins les avantages qui en résultent -   les outils divers (lois et règlements) qui feront les avantages des diverses catégories sociales composant le corps électoral. Les politistes disent qu’il faut atteindre « l’électeur médian ». En démocratie classique,  les marchés politiques - à l’instar des marchés financiers - ne connaissant pas de trêve (ils fonctionnent en permanence entre deux élections), les ventes d’outils de contraintes publiques à des fins privées, se font de plus en plus massives et désordonnées : tel texte qui avantage un groupe social, non seulement sera contrarié par le marché économique, mais au surplus sera contredit par un autre texte censé induire  des effets inverses, ou développera des effets inattendus sur telle ou telle autre catégorie. D’où la grande difficulté, voire le comique, des problématiques d’évaluation des politiques dites publiques.

Et tous gagnaient.

D’une certaine façon l’électeur médian fût la cible régulièrement atteinte lors des 30 grandes glorieuses. Plus exactement, les 30 glorieuses furent une période au cours de laquelle la vente de contrainte publique à des fins privées,  pouvait satisfaire un très grand nombre d’acteurs. D’abord les entrepreneurs politiques qui voyaient dans l’utilisation intelligente du Keynésianisme , l’assurance de la légitimité de leur métier , et le moyen d’une possible reconduction paisible au pouvoir . Mais aussi patrons et salariés, qui voyaient dans la politique économique, une efficace promotion de la richesse accompagnée d’une acceptable redistribution. La crise de 1929 était celle de la contradiction des effets de l’accumulation intensive qui, exigeant de larges débouchés, venait mourir sur une accumulation extensive, qui, à l’inverse, les interdisait. Les 30 glorieuses seront la solution politique permettant de vaincre l’étroitesse des marchés : Il appartiendra à l’entrepreneur politique, de construire un Etat Providence garantissant les débouchés de la production de masse. Le fordisme n’est  pas tenable à l’échelle micro-économique, d’où la crise de 1929 : il faut qu’il devienne un projet de société. Ce sera l’œuvre des 30 glorieuses. Période faste où des textes, outils de base de la contrainte publique à des fins privées,  peuvent déplacer du « bien être », d’un groupe  social vers un autre, sans désavantages visibles et, au surplus, engendrer  des bénéfices politiques. Tel est le cas - mais les exemples pourraient être très nombreux - d’une législation du travail, qui entrainera de très vives hausses des rémunérations, davantage payées par les gains de productivités que par les patrons , avec  les retombées justifiant  l’ordre politique en place. La coopération sociale, jamais simple, est gagnante pour tous.

La démocratie telle qu’envisagée encore aujourd’hui, c'est-à-dire : système issu de la capture de l’extériorité relative à tout groupe humain au profit d’individus, fonctionnait à l’époque du fordisme généralisé,  comme compromis social particulièrement avantageux puisque tous gagnaient à la coopération. D’où la crédibilité forte de l’idéologie d’un intérêt général.

Mais le fordisme après avoir triomphé s’est affaissé. La matrice heureuse des profits croissants, des salaires croissants, des impôts aux rendements eux-mêmes croissants, le tout développant des débouchés croissants justifiant des investissements incorporant des gains de productivité,  et donc la pérennisation de la croissance de tous les revenus,  s’est progressivement évaporée. L’analyse des causes internes de cet affaissement, largement étudiée et connue depuis  près d’une trentaine d’années,  n’a pas à être menée ici. Par contre, il faut bien comprendre que la lutte pour maintenir un fordisme déclinant, a très probablement accéléré le processus de mondialisation sans projet, et les difficultés présentes.

Fuyons vers la mondialisation

La mondialisation internationalise l’accumulation et va aggraver les difficultés d’un fordisme que l’on espérait sauver. Elle est d’abord un moyen de retrouver, sur des bases sans doute largement  artificielles,  des gains de productivité : ce que l’investissement ne génère plus, ou génère moins bien, sera engendré par la délocalisation. L’efficacité technique ne change que peu, mais les coûts s’effondrent en raison d’un gigantesque écart de rémunérations entre les vieux pays fordiens et les pays qui acceptent les délocalisations. L’effondrement des coûts de transaction : transport et communications en particulier faciliteront les choses. Mais surtout la mondialisation va exiger l’investissement réglementaire préalable, et en particulier la construction des autoroutes de la finance. D’où la dérégulation monétaire et financière des années 80, et la destruction progressive de tout ce qui vient limiter la bonne circulation des marchandises.

Ces métamorphoses passent évidemment par les marchés politiques. Les entrepreneurs politiques ne bénéficient plus de la manne fordienne, et le keynésianisme, qui semblait être l’outil idéologique des 30 glorieuses est en crise : le modèle s’accommode moins de la réalité. A la crise d’un fordisme en quête de l’oxygène  des grands espaces, correspond ce qu’on a appelé la crise de la sociale démocratie. Les entrepreneurs économiques achèteront d’autant plus facilement les outils juridiques de la mondialisation, que les entrepreneurs politiques sont eux-mêmes en quête d’une nouvelle idéologie de l’intérêt général. Cette perméabilité des entrepreneurs politiques aux nouvelles idées sera telle qu’ils abandonneront ce qui, historiquement, avait garanti leur toute puissance : la monnaie, laquelle  cessera d’être un attribut de la souveraineté. Aujourd’hui, quels entrepreneurs politiques et dans quels pays pourrait-on voir signer avec la banque centrale des conventions portant sur le volume du réescompte d’obligations cautionnées, le volume des avances et prêts sur le compte du Trésor, le volume des planchers de bons du Trésor etc.,  comme cela était d’usage courant jusqu’au début des années 70 ?  A ces époques du fordisme triomphant, les gouverneurs des banques centrales signataires des conventions avec les Etats, étaient généralement nommés  par les entrepreneurs politiques au pouvoir.

 La signature ne supposait évidemment pas l’accord des volontés. Seul le fait souverain comptait.

Les entrepreneurs économiques ont ainsi pu acheter aux entrepreneurs politiques, une partie de ce qui faisait la substance des démocraties traditionnelles. D’où la constatation croissante de l’impuissance des Etats face à la toute puissance des marchés.

Mais nous ne sommes équipés que de béquilles

Aux achats des outils juridiques de la mondialisation, devait correspondre l’épanouissement d’un fordisme boîteux que certains appelleront le modèle « Wal Mart » ou le modèle « Wall Street ». Car s’il est vrai que  les gains de productivité du fordisme traditionnel s’évaporaient, un pouvoir d’achat nouveau allait se constituer dans les vieux pays concernés : les marchandises produites et importées depuis les bases d’entreprises délocalisées sont moins chères. Marx dirait qu’il s’agit d’une forme nouvelle de « plus value relative » : le coût de la reproduction de la force de travail va diminuer dans les vieux pays. Le pouvoir d’achat peut augmenter alors même que le niveau des salaires stagne. Mais il s’agit  d’un fordisme boiteux, ce pouvoir d’achat résultant  bien de la baisse de prix constatée sur les seules  marchandises  importées. Il est bon pour « Wal-Mart » qui assure par ses achats plus de 10% du total des exportations chinoises. Il est moins bon pour les entreprises américaines produisant à coûts plus élevés sur le sol américain. La plus value relative de Marx était dynamisante, en ce sens cet auteur était-il l’annonciateur  des 30 glorieuses. La plus value relative nouvelle ne l’est pas : elle ne relance pas l’accumulation dans les vieux pays, et ne fait qu’encourager de nouvelles délocalisations. Alors que naguère, toute baisse de la valeur de la force de travail passait par de nouveaux gains de productivité sur le territoire, désormais cette baisse passe par le relèvement des importations et l’effritement de l’outil national de production. Dans les temps que l’on peut maintenant qualifier d’anciens,  le progrès passait par le noircissement de la matrice des échanges interindustriels. Il semble passer  aujourd’hui  par son blanchiment.  De quoi comprendre l’inquiétude actuelle des entrepreneurs politiques, qui voudraient bien réindustrialiser, mais se trouvent forts démunis après avoir vendu les outils de la reconstruction.

Mais le fordisme de la mondialisation est aussi boiteux à un autre titre : celui de la dette.

La dérégulation financière a introduit une multitude d’innovations, de méthodes et de produits, qui ont participé  à la naissance et à la construction d’une nouvelle  plus value relative, cette fois fictive ou virtuelle. Il s’agit bien évidemment des subprimes   américains dont on dit que l’implosion, fût le signal d’enclenchement de la grande crise des années 2010. Là encore il y a hausse du pouvoir d’achat : les salariés obtiennent théoriquement par l’endettement croissant une hausse de la valeur d’actifs, donc un pouvoir d’achat nouveau qu’ils n’obtiennent que plus difficilement dans le cadre du fordisme mondialisé. Les débouchés ne viennent plus de la redistribution d’un pouvoir d’achat arraché sur des gains de productivité. Ils viennent partiellement du mécanisme de l’endettement privé. La finance prend la relève, et au fordisme réel, succède partiellement un fordisme virtuel particulièrement dangereux. Mais là encore, les règles du jeu ne sont pas tombées du ciel, et ce sont bien les entrepreneurs politiques qui ont vendu à leur profit, et au profit des demandeurs, la boîte à outils, par exemple le dispositif réglementaire de la titrisation . Les entrepreneurs politiques ne peuvent plus offrir un Etat Providence généreux, mais peuvent désormais proposer  un casino que l’on espère moins coûteux, et où tous pourraient gagner. En termes plus concrets, la titrisation des subprimes pourra faciliter l’accès à la propriété des ménages les moins aisés, peut produire un « effet richesse » par hausse de prix de l’immobilier, que l’on espère durable, et ainsi augmenter la demande solvable. De quoi augmenter la probabilité de gagner les prochaines élections.

Mais le marché de la dette comme substitut de pouvoir d’achat, ne saurait se borner aux seuls citoyens. Il peut aussi avec une certaine efficacité, maintenir plus ou moins fictivement les murs de l’Etat providence, patiemment construit au cours des 30 glorieuses. Dans le fordisme mondialisé, les gains de productivité n’irriguent plus et  nourrissent mal l’Etat providence. Au surplus, les entrepreneurs politiques d’un Etat sont en compétition avec les entrepreneurs politiques d’autres Etats. La reconduction au pouvoir est de plus en plus difficile dans une situation de rareté de l’offre de produits politiques, opposée à une demande croissante issue des victimes de la mondialisation.

Paradoxalement,  l’abandon de la souveraineté monétaire ne fait pas disparaître la capacité d’endettement : les dettes publiques peuvent désormais se négocier sur un marché infiniment plus vaste que par le passé. Les gouverneurs des banques centrales n’obéissent plus, mais leur jalouse indépendance est compensée par un marché mondial bienveillant envers la signature des Etats. D’où la création, partout dans le monde, selon un modèle unique, d’agences publiques chargées, à l’échelle planétaire, de la commercialisation de la dette de chaque Etat. Les dettes publiques, jusqu’ici nationales, et très largement hors marché (naguère les bons du Trésor achetés au bureau de poste, se trouvaient entre deux piles de draps) se mondialisent.

De ce point de vue, on peut considérer que la dette publique - devenue quasiment partout massive - est venue remplacer la matrice heureuse des 30 glorieuses qui nourrissait si bien les Etats providences. Ce ne sont plus les recettes publiques rapidement croissantes  qui ravitaillent les Etats providence, mais à l’inverse la dette mondialisée. Inutile d’insister sur l’exemple - que certains considèrent scandaleux - de la CADES en France, caisse d’amortissement d’une partie de la dette, qui devrait disparaître,  mais qui ne fait que prendre de l’embonpoint,   et ce malgré des lois de cadrage censées limiter son existence. Mais là encore, la contre partie de la dette publique est l’achat de voix. Car contenir la dette peut, dans nombre de pays, entrainer une déroute électorale.

Au total si le fordisme triomphant assure une croissance de tous les revenus : salaires, profits, impôts ; il semble que le fordisme boiteux de la mondialisation qui lui succède, assure d’abord le développement de la rente financière et sans doute des profits. Les oubliés sont le salaire et l’impôt. Et ce passage entre les deux états correspond à une série de fuites en avant, à l’origine de la paralysie  actuelle. Et paralysie car ces fuites sont peu réversibles.

C’est l’essoufflement du fordisme classique, qui oblige les entrepreneurs économiques à exiger le libéralisme, à exiger davantage d’ouverture sur le monde, avec tous ses requis  en matière douanière, et surtout financière puisque l’espace de la couverture des risques deviendra beaucoup plus considérable. Pour autant, cette ouverture, parce que non maitrisée, aboutira au blanchiment de la matrice des échanges interindustriels des pays. Car l’exportation de capital sera moins à des fins de débouchés locaux qu’à des fins de débouchés nationaux. Concrètement les délocalisations seront des bases d’exportations vers les pays d’origine. Plus clairement encore, le commerce international sera –au moins au cours de la première phase de la mondialisation- assez peu un commerce entre pays et bien davantage un commerce entre établissements ou filiales, d’entreprises des vieux pays fordiens. Aujourd’hui encore, la moitié du commerce extérieur américain se déroule entre firmes américaines. De quoi relativiser l’idée de déficit extérieur américain. Il faut du reste souligner qu’au moment de son ouverture sur le monde, le parti communiste Chinois, interdisait les délocalisations soucieuses de conquérir le marché interne. Cette ouverture si spécifique, si étrange, est bien un remède qui aggrave le mal du fordisme, puisque désormais les intérêts du consommateur, acheteur de produits que l’on dit étrangers, vont se disjoindre de ceux du salarié. Ce qui n’était pas le cas au cours des 30 glorieuses. Il s’agit bien d’une fuite en avant,  où la crédibilité de l’idée d’un intérêt général ira en s’émoussant.

Cette première fuite en avant créatrice de plus value relative est suivie d’une autre, qui elle aussi, crée une variété plus douteuse encore de plus value relative : une croissance soutenue par l’effet de richesse énoncée plus haut. Les revenus des salariés américains n’augmentent plus, mais le jeu douteux des subprimes titrisés remplace artificiellement ce qu’autorisaient naguère les gains de productivité conquis dans les progrès de la production. L’économie américaine, celle située à l’intérieur des limites territoriales des USA, se fragilise, mais la croissance reste élevée. D’où les mensonges concernant la bonne santé de l’économie américaine dans les années 2000. Le fordisme boiteux est aussi une économie de bulles.  Avec ses conséquences en termes de désagrégation des collectifs qui caractérisaient le fordisme traditionnel. Naguère les revenus faisaient l’objet de négociations collectives. Cela était vrai des salaires, mais cela était  également vrai pour les profits et rentes, puisque les entrepreneurs politiques, intervenaient parfois avec rudesse, sur le taux marginal de l’impôt sur le revenu et le taux de l’intérêt. Désormais les revenus seront fixés par les marchés, et certains verront leur montant fixés par la seule spéculation. Là encore Marx, grand précurseur, affirmait déjà que le marché avait l’effet d’un acide : il dissout les liens sociaux et parcellise les collectifs. Ce qu’aujourd’hui Alain caillé appelle le « parcellitarisme ».

 La vente des outils monétaires par les entrepreneurs politiques, principalement à la finance, provoque cette seconde fuite en avant : non seulement le fordisme est devenu boiteux, mais il devient virtuel .

Evidemment l’implosion du système en 2008, aurait pu mettre un terme au processus de déraillement. Mais là encore, la solution toute provisoire sera la fuite en avant, et la pyramide de dettes privées sera soutenue par l’agrandissement, à une échelle encore jamais vue dans l’histoire, de la  pyramide des dettes publiques. Inutile d’insister sur un fait bien connu. En Octobre 2008 les entrepreneurs politiques choisissent partout la solution qui les maintient le mieux au pouvoir.

A chaque étape, le choix des entrepreneurs politiques fixe largement celui de l’étape ultérieure, et ce jusqu’à la paralysie. Comme l’animal qui pris dans un piège, construit sa prison définitive en se débattant.

En faisant le choix d’une mondialisation non négociée, une mondialisation simple béquille du fordisme finissant, les marchés politiques, aveugles comme les autres marchés, débouchent sur un système d’échanges internationaux ravageurs aussi bien pour les hommes que pour l’environnement. Le couple sino américain en est l’exemple emblématique.

En abandonnant le pouvoir monétaire et en acceptant l’auto-régulation financière, dont certains, à l’instar de Jean De Maillard, disent qu’elle est porteuse de fraudes à grande échelle,  il est difficile d’en revenir à  des économies plus autocentrées : les Etats ont donné au marché le pouvoir. Racheter la boîte à outils de la régulation, devient politiquement aussi difficile, que de faire rentrer le dentifrice dans un tube, après avoir pressé dessus pour l’en faire sortir. Les débats concernant la rédaction de la grande loi de régulation financière, qui sera prochainement promulguée aux USA  (2000 pages) et qu’on appellera peut-être le « Dodd- Barney Act », sont  là pour en témoigner.

Enfin, en acceptant le principe du « to big to fail » les Etats désormais surendettés, sont aussi complètement paralysés.

Et si les banques centrales devenaient tueuses de la dette ?

A priori les choses sont pourtant simples : tout pourrait repartir si toutes les dettes disparaissaient. De quoi envisager la reconstruction de nouvelles pyramides de dettes, consommatrices d’un temps pendant lequel l’accumulation pourrait reprendre.  Nouvelle fuite  en avant sans doute, mais probablement plus confortable car plus durable. Laissant aussi du temps pour envisager une nouvelle configuration aux échanges extérieurs. A noter que la résolution de ces questions très difficiles, laisserait de toute façon en jachère la question du fordisme finissant, et la construction d’un autre modèle. Modèle « cognitif », croissance durable, équitable, etc.  Autant de principes ou de mots à définir et à approfondir. Interrogeons nous plutôt sur la disparition des dettes et la reconfiguration des échanges extérieurs.

La disparition des dettes ne sera pas facile  car elle suppose la mobilisation d’outils de contraintes publiques, inacceptables pour ses contreparties, c'est-à-dire les créanciers. Or ceux-ci sont beaucoup plus nombreux qu’on le pense, la financiarisation généralisée des activités humaines, les ayant multipliés. A elle seule, la dette publique devenue hégémoniquement marchande dans les années 70, crée la cohorte des rentiers directs et indirects : banques, fonds de pension, ménages résidents et étrangers de tous pays, fonds divers et souverains etc. Elle est bien une invention, un produit politique résultant de la radicalité de la séparation entre Trésors et Banques centrales. Sans cet outil nouveau de contrainte publique, il est clair que la notion de dette publique et de la charge correspondante sont - pour une bonne part - dépourvus de sens : si le trésor s’endette, il récupérera la charge correspondante sous la forme de profit de la banque centrale dont il est le propriétaire. Dans cette configuration l’endettement public, plus exactement la charge de la dette, n’a guère de sens. C’est donc le fonctionnement des marchés politiques, qui a élargi considérablement le périmètre de  la dette publique comme marchandise. Le service public est largement remplacé par le marché, parce que les marchés politiques se sont ainsi orientés. Et il est vrai que la demande existe : de la même façon qu’avec la moyennisation de la société,  le fordisme multiplie les marchandises, le système financier doit multiplier les produits d’épargne. La modernité étant aussi –philosophiquement- tentative humaine pour se libérer des contraintes de la nature, le risque ne peut plus se situer hors des prises humaines, d’où là aussi multiplication de produits financiers, censés couvrir les risques, dont l’une des matières premières, est la dette publique.

Dans ce contexte, anéantir la dette publique par de nouveaux outils de contraintes publiques : répudiation totale ou partielle de la dette, renégociations avec décisions sur la maturité, les taux, nouvelle législation concernant les banques centrales , etc. suppose des décisions de la part des entrepreneurs politiques qui ne vont pas de soi…d’autant que les marchés politiques sont des navires très nombreux ,  en concurrence, et pouvant entrer en collision  sur l’océan de la mondialisation.

Mais la dette privée est également très difficile à faire disparaitre. Elle peut sans doute être une mesure populiste et tenter les entrepreneurs politiques. Mais là aussi le salut est difficile. Il est certes possible d’annuler juridiquement la dette immobilière des ménages américains…mais cela ne peut que reproduire à échelle élargie, ce qui fût historiquement le déclencheur de la crise. Plus populiste encore serait un Trésor se substituant aux charges des débiteurs…. Ce qui nous renverrait à la question de la dette publique. Plus radicale encore, serait la reprise en main des banques avec l’interdiction de créer de la monnaie, mais une telle opération correspondrait à la disparition du crédit et l’approfondissement de la crise.

Il n’est donc apparemment plus possible, d’utiliser les outils classiques de contraintes publiques, pour donner satisfaction à un groupe social sans détériorer gravement le niveau de satisfaction d’autres groupes, voire de l’ensemble. La dissémination, et donc le risque systémique, est le principal facteur de la toxicité financière. Et c’est bien là le signe qui permet d’affirmer que ce qui est vécu, est bien une grande crise. Ce qui autorise bien sûr d’imaginer un autre monde, et de se livrer à un néo-constructivisme par essence hasardeux. Les marchés politiques n’y sont toutefois pas prêts.

Pour autant il est théoriquement possible d’envisager la suppression de l’ensemble des dettes privées et publiques sans de trop gros dégâts, c'est-à-dire utiliser de la contrainte publique à des fins privées qui ne correspondrait pas à un bousculement majeur des marchés politiques. Il s’agit d’accepter une augmentation illimitée de la taille des bilans des banques centrales, et ce, sans recapitalisation par les Etats.

En clair, cela suppose qu’elles deviennent quasi officiellement des « bad Banks », qu’elles assurent sans limites le refinancement du système financier, qu’elles achètent sans limites les titres de la dette publique, etc. En contre partie cela signifie aussi des engagements forts du système bancaire en termes de crédits,  dans ses dimensions qualitatives et quantitatives, en termes de taux, en termes d’activités du compartiment banque d’affaires, en termes de rémunérations etc.

L’accouchement par les marchés politiques de ces quelques règles est - même en Allemagne- probable dans le court terme. La crise des années 2010 atteint aujourd’hui un niveau de gravité, qui ne permet plus de la contourner comme ce fût le cas en 2008 et 2009 .

Ce refinancement officiellement illimité est évidemment porteur d’anticipations inflationnistes. Et c’est précisément l’augmentation illimitée de la pyramide de la dette qui permettra au futur son anéantissement par inflation. En attendant  ce changement de statut des banques centrales est ce qui est politiquement le moins coûteux et qui permet de gérer encore la crise, sans réellement l’affronter.

Car il est vrai qu’au fond peu de choses changent en réformant en profondeur le statut des banques centrales et marginalement celui des banques : les équilibres sociaux sont globalement maintenus, les banques restent privées, les Trésors sont ré-oxygénés et les Etats providences moins menacés, la rigueur s’éloigne et le crédit est réenclenché, etc. De quoi re-légitimer nombre d’entreprises politiques et de reconduire au pouvoir ceux qui les animent, y compris en Allemagne qui jusqu’ici connaissait une configuration très spécifique de ses marchés politiques.

Mais la masse monétaire, dans chaque pays, augmente considérablement, et de façon probablement différenciée, ce qui pose la question des taux de change. Et au-delà celle des échanges internationaux.

Car le changement de statut des banques centrales ne peut que déclencher une très vaste spéculation sur les monnaies. La spéculation sur les dettes peut s’affaisser : les banques centrales « avalent »  tout. A l’inverse la spéculation sur les devises se développe.

D’où la question de la maitrise des échanges extérieurs. Laquelle, dans un premier temps, passe par la maitrise des autoroutes de la mondialisation, c'est-à-dire pour l’essentiel, la circulation des capitaux. Redonner de la cohérence aux systèmes économiques nationaux, suppose la disparition des plus values relatives factices dénoncées plus haut, source de la schizophrénie de plus en plus ressentie du salarié-consommateur.

Le fordisme boiteux, aboutissait à la désindustrialisation et au blanchiment de la matrice des échanges interindustriels disions-nous. Plus concrètement encore, il entrainait, sauf exception rarissime (Allemagne) un déficit de la balance des biens, non compensée par un excédent de celle des services. Avec en correspondance, une structuration de l’emploi, de plus en plus orientée vers la déqualification et les faibles rémunérations  (services à la personne),  mais  aussi le gonflement d’une rente des services financiers, assurant de très hautes rémunérations au profit d’un tout petit nombre. De quoi déséquilibrer, à terme, nombre de marchés politiques. La démocratie paisible, s’épanouissait facilement dans une  moyennisation de la société financée par le fordisme. Tous gagnaient,  au terme de  la compétition pour  la maitrise des outils de la contrainte publique, y compris les entreprises politiques elles-mêmes. La montée des inégalités associée à la chute de la croissance ne peut que remettre en cause le mode d’insertion de chacun dans la mondialisation.

Le rêve : un contrat d’équilibre multilatéral des échanges internationaux.

La réponse à ce problème majeur sera trouvée dans la négociation d’un vaste contrat d’équilibre multilatéral des échanges internationaux. Question difficile puisqu’elle met en question l’hégémonie du dogme libre-échangiste.

Cela signifie tout d’abord que les entrepreneurs politiques de chaque Etat, se rendent maîtres des péages des autoroutes de la mondialisation : Les taux de change sont à taux fixes et négociés en vue d’assurer l’équilibre des échanges pour chaque pays. Avec sélection de ce qui peut ou ne pas « passer »  afin de contrôler les flux spéculatifs comme le très volumineux «  carry trade ». Avec aussi garantie des risques  sur les opérations antérieures : il ne saurait être question pour la Chine de voir son stock de dollars disparaître au terme d’un accord multilatéral des échanges internationaux.

Et l’accord multilatéral suppose que les changements de parité soient négociés : le créditeur net ne pouvant plus dire au débiteur net, qu’il doit s’adapter à la concurrence, et faire aussi bien que lui. Concrètement, un tel  accord doit mettre fin aux tristes et dangereuses  réalités vécues aujourd’hui en Europe, où les plus faibles ( Grèce,  Espagne etc.) sont invités à « devenir aussi  sérieux » que les « plus sérieux » (Allemagne) . Cela signifie qu’en fonction de règles précises, débiteurs et créanciers nets,  ajustent périodiquement les taux de change, les créditeurs devant obligatoirement réévaluer, et les débiteurs devant obligatoirement dévaluer. Ce qui signifie partage des charges liées au déséquilibre. Il est ainsi interdit au créditeur net, d’user de sa plus grande productivité pour siphonner le marché du débiteur net. De la même façon,  il est interdit au débiteur  de maintenir une capacité internationale d’achat qui ne correspond pas à ses moyens. Plus de baisse artificielle de la valeur de la force de travail. En cas de désaccord entre créditeurs nets et débiteurs nets, un tribunal international ( FMI ?) décide du taux de change d’équilibre.

Au total, les marchés politiques qui, dans le court terme, vont probablement s’orienter vers le repositionnement sus-visé des banques centrales, seront nécessairement conduits à se positionner sur la guerre des monnaies qui devrait logiquement en résulter. La solution proposée- difficile - est probablement politiquement la moins coûteuse : elle ne signifie pas la fin d’un libre échange ; elle garantit les immenses actifs nés des déséquilibres passés (fonds souverains) ; elle évite la très difficile question de la refondation d’un système monétaire international, en n’évoquant pas l’idée de monnaie de réserve à conserver ou à remplacer ; elle tente enfin de réduire la dissociation croissante entre le citoyen, le salarié, et le consommateur. Dissociation porteuse de troubles croissants sur les marchés politiques.

Les changements proposés ne sont pas du type « grand soir ». L’apparent, et sans doute irréel désarmement idéologique, étant la contrepartie du passage à la société de marché, les grands rassemblements ne sont plus que d’éphémères  révoltes. Par contre,  il faut espérer que la démocratie pourra emprunter les chemins qui mènent à de réels changements, par exemple ceux exposés ci-dessus,  des chemins qui permettront d’éviter un chaos planétaire.

 

 

 

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1 janvier 2010 5 01 /01 /janvier /2010 07:16

Au seuil d’une année nouvelle il est inutile de rappeler les causes ultimes de la grande crise qui se déploie partout dans le monde : une mondialisation, sans projet ni sens, a développé de grands déséquilibres entre pays,  déséquilibres à la fois créés, gommés, et aggravés par la finance. Le fordisme des 30 Glorieuses a laissé la place à un modèle où une épargne et une  production excessives en un point du monde comble et creuse à la fois des revenus, et une production insuffisantes en d’autres points . Le compromis fordien laisse la place à ce que certains appellent le « modèle wall Street ». Avant, parait-il, de passer au « modèle Wall- Mart ». Et s’il est probablement abusif de parler de modèle au vu de l’inventaire de la réalité, il est bien sûr impensable de parler de « compromis Wall Street ».

C’est que le modèle ne peut fonctionner que sur la base d’un endettement sans cesse croissant et donc forcément limité. Le déclenchement de la crise exprime le dépassement du seuil de soutenabilité de la dette. En  2008 mais surtout en 2009, parce que l’endettement privé, est devenu insoutenable, notamment aux USA, la crise financière qui s’en est suivie a pu être contenue par la montée sur le front des Etats. La demande globale, partout dans le monde s’effritant voire s’effondrant, fût réanimée par des déficits budgétaires massifs (5000 milliards de dollars à l’échelle mondiale). Les perfusions les plus gigantesques furent entreprises aux USA et en Chine. Les entrepreneurs politiques de tous  pays n’avaient d’autre choix que cette aussi gigantesque fuite en avant. Et aussi fuite en avant intellectuelle, car quel sens donner à l’action d’entrepreneurs politiques- dits libéraux -obligeant  Keynes à plonger dans la tempête pour sauver Hayek ?

Au seuil de l’année 2010 il apparait que l’insoutenabilité de la dette privée est toujours présente, mais accompagnée par les menaces de l’insoutenabilité de la dette  des Trésors Publics. L’examen de la multitude d’indicateurs, et il est aisé de se les procurer, révèle que la demande globale n’est toujours pas capable d’équilibrer l’offre globale sans crédits supplémentaires …qui ne peuvent naître en situation d’endettement excessif.  D’où le maintien des perfusions même à échelle plus modeste. D’où le vote du 24/12/2009 du sénat US qui ajoute 90 milliards de dollars au plafond de la dette US, le comblement sans limite des pertes de Fannie Mae et Freddie Mac jusqu’en 2012 , la mise en activité d’unités de production industrielle sur dimensionnées en Chine, la construction frénétique de logements , de voitures qui ne peuvent être vendues sans subventionnements disproportionnés, etc.

Les entrepreneurs politiques - au-delà des discours, et interprétations ou avertissements des financiers, des banquiers, de la presse dite spécialisée, etc ,discours et interprétations qui tomberont progressivement dans le comique et le dérisoire-  seront obligés en 2010 d’aggraver les déficits et dettes publiques. Les prévisions de vente de dette souveraine,(plus de 2000 milliards de dollars pour le trésor US en 2010 et déjà 1945 milliards en 2009), minorées parfois pour ne pas effrayer les marchés comme celles de l’Agence France Trésor, ne sont pas en congruence avec les capacités de remboursement. D’où la question déjà évoquée de la répudiation de la dette. (cf « le trou noir de la finance n’engloutira pas les Etats »).

C’est ainsi que le mode de la répudiation de la dette sera la question centrale des années  2010 et 2011. Et pour comprendre ce qui pourrait advenir, il est fondamental d’effectuer un bref retour historique sur le fonctionnement des Etats.

Les Etats et la monnaie

Considérons comme acquis la fondation historique de ces derniers sur la violence. L’Etat repose historiquement sur la monopolisation de l’extériorité, qui caractérise tout groupe humain, par des acteurs soucieux d’utiliser le levier correspondant  à des fins privés. Les libertariens comme les marxistes diront plus tard qu’il s’agissait et qu’il s’agit toujours d’utiliser la contrainte publique à des fins privées. Seuls les paradigmes ultra-libéraux et marxistes sont relativement capables d’interpréter assez correctement les travaux des ethnologues et donner une vision assez convenable de la naissance de l’Etat. Il en va autrement des néo-classiques et des keynésiens, qui glissent ce dernier dans leur modèle, mais ne peuvent rendre compte des conditions de sa naissance, voire même ne cherchent pas à en rendre compte. Or la chose est capitale pour comprendre la finance, sa gestion et sa ou ses crises. Et parce que ces deux écoles ne disent mot de l’essence de l’Etat, ils ne peuvent énoncer une théorie monétaire très satisfaisante.

Lorsque l’Etat est né mais qu’il n’est pas encore Etat de droit, l’utilisation de la contrainte publique à des fins privées concerne massivement l’accaparement de ressources privées à des fins privées, notamment guerrières. Concrètement il s’agit d’effectuer des prélèvements pour financer  des guerres toujours ruineuses. Des prélèvements qui seront des impôts, des pillages (même Napoléon dira que c’est la guerre qui doit nourrir la guerre, d’où la création administrative d’un « volet extraordinaire » de ressources budgétaires issues du pillage des territoires  conquis) des emprunts obligatoires ou non, de la dilution de métal précieux dans  les  monnaies métalliques, des papiers dépourvus de valeur ou dont on organise la dévalorisation. Il s’agit au fond de renoncer à l’échange volontaire de la théorie des marchés.

Les Etats dans leur version brutale , et les individus qui en tiennent les leviers ,  utilisent la violence prédatrice en s’invitant dans l’espace monétaire pour le faire fonctionner, au moins partiellement, comme machine prédatrice. Mais précisément apparait ici la contradiction fondamentale. Celle du loup dont l’intérêt est que les moutons soient gras : il faut autant que possible, surtout si l’avenir est le passage à l’Etat de droit, respecter les contrats qui existent dans la sphère privée tout en les violant.

Parce que Rome est apparemment moins habile qu’Athènes dans ce difficile exercice, le Denarius ne jouira pas du prestige de la Drachme, et il est vrai que les ruptures de contrat envisagées par Néron et surtout Septimus Severus, ruptures sous  forme de  dilution- politiquement décidée- de métal précieux, développeront déjà les premières apparitions de la loi de Gresham. Il s’agit déjà d’un problème de dette publique et de  tentative de sa répudiation.

En raison même de la nature du fait étatique, les ruptures de contrat, souvent violentes, et toujours très consciemment décidées par les détenteurs du pouvoir, resteront très nombreuses jusqu’au seuil de l’avènement de l’Etat de droit. Durant l’ensemble de cette très longue période, les Trésors fonctionnent à la fois comme Trésor et comme banque centrale, une banque centrale qui n’existe pas et qui naitra dans le premier Etat de droit, c'est-à-dire la Grande Bretagne avec la création en 1694 de la Banque d’Angleterre.

Jusque là on peut considérer qu’effectivement « battre monnaie est un attribut de la souveraineté », ce qu’il faut entendre- plus correctement- comme violence monétaire de groupes privés ( les détenteurs du pouvoir) à l’encontre d’autres groupes privés (les sujets). L’émission de ressources monétaires au profit des détenteurs du pouvoir passe par le seigneuriage, la dilution, plus tard l’émission d’assignats dont on organise la dévalorisation y compris par la voie légale.

Ce sont bien les Trésors publics qui produisent par violence les ressources tant attendues. Ainsi l’assignat créée le 19 décembre 1790 repose sur des biens confisqués ( les biens de Clergé). Il s’agit de papiers imprimés par l’administration que l’on « achète » à l’Etat contre de la monnaie classique qui viendra résorber le déficit public. Cet achat est obligatoire pour ceux des acteurs qui souhaitent acquérir des biens confisqués, lesquels ne se négocient qu’en assignats. Il s’agit donc au fond d’une sorte de modernes bons du trésor puisqu’émis par le trésor,  ce qu’on appelle aujourd’hui de la dette souveraine, sauf que l’Etat n’a pas à les rembourser , puisque le dit remboursement se fera sur la base d’actifs spoliés issus de la violence étatique. Et comme cette première forme de violence est insuffisante pour couvrir les charges publiques, il suffira de remettre en circulation des assignats ayant déjà apporté leur tribut aux détenteurs du pouvoir et aux groupes qui le soutiennent. Concrètement les assignats issus de la vente réelle de biens du clergé ne seront plus détruits ( on faisait semblant de respecter un contrat qui pourtant repose sur un sous-jacent mal acquis) et seront remis en circulation : on ne fait plus semblant et après avoir spolié le clergé on se met à spolier les acquéreurs d’assignats. Si maintenant la machine s’emballe et que nait une méfiance mimétique, alors il suffira aux détenteurs du pouvoir d’imposer l’assignat comme instrument  de circulation. Avec toute la violence nécessaire : le seul fait pour un commerçant de refuser l’assignat comme moyen de paiement est passible de la peine de mort (décret du 8 septembre 1794) . Aujourd’hui, les Etats Unis vont-ils couper la tête des chinois ?

C’est  la loi du 30 septembre 1797 qui organisera avec brutalité la dernière  répudiation active de la dette souveraine française. Après bien des gesticulations, dont l’affranchissement par l’Etat du paiement annuel des arrérages  ( ce qui fût désigné par le terme de « mobilisation de la dette ») et même la naissance acrobatique d’un premier marché secondaire de la dette, il est décidé que le capital sera aux deux/tiers  répudié. Ce que l’histoire appellera la « banqueroute des deux/tiers ».

Les Etats de Droit et la monnaie.

L’irruption de l’Etat de droit devait modifier largement les moyens d’action de ceux qui devaient devenir des entrepreneurs politiques sur des marchés démocratiques. C’est qu’en démocratie, les marchés politiques sont instables, ce qui signifie qu’en théorie tous les groupes constitutifs de la société peuvent être amenés à utiliser la contrainte publique à des fins privées. La démocratie permet, à tour de rôle, aux moutons de devenir  eux-mêmes des loups et inversement. Ce qui signifie par conséquent une main moins lourde de la part de ceux qui désirent utiliser la contrainte publique à leur avantage. La gestion de la dette publique devra donc être revue et corrigée : moins de violence affichée et recours caché aux forces du marché pour la répudiation.

Tout d’abord, l’expérience de la Grande Bretagne fera école : la présence d’une banque centrale ayant le monopole de l’émission monétaire diminue la prime de risque, et c’est la raison pour laquelle la dette souveraine britannique sera durablement moins couteuse. Les Trésors de la plupart des pays vont donc s’équiper d’une banque centrale qui, dans nombre de cas, va devenir la banque du Trésor. La Banque centrale sera ainsi amenée à gérer par voie conventionnelle avec le Trésor le compte de ce dernier. Evidemment des opérations de crédit peuvent être envisagées : avances simples, crédits à plus long terme, mais tout simplement achats de bons du trésor, ce qu’on va en France appeler « planchers de bons du trésor » jusqu’aux débuts des années 1970, et qui signifiait l’obligation de la, part de la banque centrale, mais aussi des autres banques, d’acheter un minimum de bons du trésor. Minimum évidemment politiquement décidé. Les facilités correspondantes peuvent aussi être acquises sur le système bancaire et tous les agents économiques. Il s’agira encore de bons, par exemple ceux de la défense nationale ou d’emprunts, volontaires le plus souvent, obligatoires parfois. En période difficile, guerre, changement de régimes et donc d’entrepreneurs politiques, l’émission de dette souveraine se fait sur des bases moins indolores : cours forcé des billets en 1914, avances illimitées de l’institut d’émission, emprunts obligatoires sur la base de taux organisateurs de la spoliation (Vichy) etc.  Mais le 19ième et surtout le 20ième siècle sont doux et la dette souveraine ne dépasse que fort rarement le seuil de l’insoutenabilité. L’Etat de droit respecte mieux les contrats que son ancêtre. Surtout les entrepreneurs politiques et leurs mandants peuvent se cacher derrière des processus inflationnistes, qui annulent la dette souveraine, sans passer par la violence de sa répudiation officielle. Surtout enfin, ces mêmes entrepreneurs bénéficient d’une croissance encore jamais rencontrée dans l’histoire de l’humanité. La dette est ainsi mangée par les deux bouts : inflation d’une part, croissance d’autre part. Keynes le voulait, les Etats l’ont fait : les groupes rentiers disparaissent  sans le recours à la violence de l’Etat dans sa version brutale. C’est, en idées, le temps de la sociale démocratie et, en théorie, celui du Fordisme triomphant, le fameux compromis fordien. Compromis large, avec utilisation massive de la contrainte publique au profits de classes moyennes de plus en plus nombreuses faisant émerger un Etat providence redistribuant souvent massivement des prélèvements à l’intérieur même de ces classes moyennes, mais laissant le groupe des rentiers en voie de marginalisation.

Mais l’histoire ne s’arrête pas, et des groupes, en quête d’un élargissement de marchés devenus trop provinciaux, vont au nom de l’universalisme des droits, au nom de la liberté , et donc  au nom de la liberté d’échanger ,  exiger des entrepreneurs politiques, l’affaissement des nations et le triomphe du marché. C’est aussi le triomphe de la finance, puisqu’il faudra bien au nom du respect des contrats couvrir les risques d’un marché mondialisé : taux de change, taux d’intérêts, marché des futures risques fournisseurs et risques pays, etc. Sans Finance, et donc sans les entrepreneurs politiques chargés de la promouvoir, pas de réelle mondialisation.Il est  essentiel que les entrepreneurs politiques  abandonnent  leurs outils traditionnels dans le champ de la finance et de la monnaie. Il faut donc  interdire – avec radicalité-leurs activités prédatrices traditionnelles, fussent- elles devenues plus douces.

La perte du pouvoir monétaire.

Cela s’appellera indépendance des banques centrales et lutte contre l’inflation. Mais auparavant, la loi du 3 Janvier 1973, en France, viendra déjà quasiment interdire toute possibilité d’abondement du compte du trésor à la banque centrale. Comme si une entreprise solide et réputée, ou un particulier aisé se voyait refuser un crédit par son banquier traditionnel.  Changement de statut inouï : Le loup qui avait intérêt à ce que les  moutons soient gras et à cet effet avait construit cette belle bergerie qu’est l’Etat Providence, devient subitement mouton. Quelques années plus tard, en 1993, les nouveaux statuts de la Banque de France, en conformité avec ce qui va devenir le système européen de banques centrales, confirmeront une interdiction radicale. Interdiction qui se reportera évidemment sur la Banque centrale européenne. Le loup est devenu le mouton.

Les Trésors n’ont ainsi plus accès au pouvoir monétaire qui, de tous temps, menaçait  les rentiers. Le champ monétaire ainsi dégagé devait autoriser un nouveau développement de ce groupe en voie de disparition dans le compromis Fordien. En même temps le pouvoir monétaire est transféré à la finance. Et les groupes correspondants ont beaucoup œuvré pour orienter les choix des entrepreneurs politiques. Depuis les accords de la Jamaïque du 8 Janvier 1976, qui vont ouvrir l’immense marché de la régulation des changes flottants, au détriment de la souveraineté des Etats, jusqu’aux G20, et la nouvelle régulation financière qui n’en finit pas d’accoucher, le fil conducteur est le même depuis 35 ans. Et il est difficile pour les participants de ces grandes conférences de nier que l’enjeu en est à chaque fois – au-delà des apparences techniciennes  -l’utilisation de la, ou des contraintes publiques à des fins privées.

En 2010 le transfert de la montagne de dette sur les Trésors, repose la question éternelle de la répudiation par un acteur qui reste d’essence prédatrice, qui était depuis la nuit des temps pourvu d’une formidable mâchoire,  mais que la mondialisation a édenté.

Toutefois les entrepreneurs politique n’ont pas disparu et  continuent à travailler pour les groupes qu’ils représentent tout en travaillant pour eux-mêmes. Ce qui va les amener à retourner leurs armes et trouver alliances avec les groupes victimes de la grande crise.

C’est qu’en 2010, une masse croissante d’individus va constater que la crise n’est pas finie, et qu’elle s’est simplement enrichie de victimes nouvelles : Les Etats. Déjà aux USA un mouvement se constitue pour s’inquiéter de l’énormité de la dette souveraine. Des Etats à l’intérieur de la confédération sont au bord de la cessation de paiement. Il en est de même en Europe. Surtout il n’est pas impossible que l’on apprenne dans le grand public ce que tout banquier sait parfaitement : le grand prédateur devenu trop gentil, est lui-même pillé par les banques  qu’il vient de sauver. En achetant des bons du Trésor on se constitue un actif construit sur une matière première à coût d’acquisition presque nul  ( cf  « Taxer les bonus ou l’art de l’immobilisme ») Comme si les maçons construisaient des murs, sans devoir payer les brique et le ciment. C’est que la création monétaire est aujourd’hui en d’autres mains. Il  sera – malgré le technicisme des discours et l’opacité des bilans- de moins en moins  difficile en 2010 de faire comprendre aux victimes déboussolées de la crise, qu’ils paient 2 fois : une fois comme victime de la crise économique, une autre fois comme contribuable devant payer « la valeur ajoutée des banques ».

Quel scénario de déploiement de la crise pour la période à venir ?

La difficile répudiation douce de la dette.

En premier lieu, les banques centrales continueront à injecter massivement des fonds à coût approximativement nul au profit du système bancaire. Les choses peuvent durer longtemps, car le crédit ne peut redémarrer alors que la cause (intermédiaire  et non pas ultime) de la crise est un excès d’endettement. On ne guérit pas un drogué en lui demandant d’accroitre sa consommation de stupéfiants.Ne dit-on pas que le rythme des prêts à l’économie ne cesse de baisser, en particulier aux USA avec une chute de 11% en octobre dernier, dont 18% pour le seul Citigroup ?

Et les choses vont durer, car les banques commencent à subir les « effets de second tour » qui se manifestent par une augmentation des défauts partout dans le monde, y compris en Chine. La base monétaire continuera donc son ascension. Mais toujours sans risque inflationniste immédiat. Nous ne sommes pas dans un monde connaissant une pénurie de marchandises associées à un pouvoir d’achat non négligeable. Durant la première guerre mondiale il y eut augmentation gigantesque de la base monétaire distribuée, d’abord par la banque centrale, ensuite par le Trésor. Il y avait donc un pouvoir d’achat, en face duquel les marchandises échangeables se contractaient puisque, pour raisons militaires, une bonne partie du PIB n’était pas constitué de marchandises échangeables. La situation était donc directement inflationniste. Nous sommes presque dans une situation inversée : l’augmentation considérable de la masse monétaire n’est pas pouvoir d’achat, et les marchandises échangeables ne font pas défaut. Simplement la surliquidité bancaire actuelle continuera à développer des bulles d’actifs toujours dangereuses. Aussi bien en Occident qu’en Asie.

Au-delà, la situation restera donc de tendance déflationniste sur l’ensemble de l’année 2010.

Il n’est pas sûr que la surliquidité permettrait  de supporter une éventuelle nouvelle crise financière dans la crise économique. Ne dit-on pas en cette fin d’années qu’il y aurait 21millions de ménages américains endettés pour un montant supérieur à la valeur de logement ? La BCE ne vient t-elle pas d’annoncer, pour 2010, 187 milliards d’euros de dépréciations nouvelles d’actifs financiers ? Mais cette crise potentielle serait autrement gérée : les Etats épuisés ne pourront plus sauver le système bancaire ,et l’essentiel de l’effort éventuel sera reporté sur les seules banques centrales. Cela pouvait être le choix de septembre- octobre 2008. Et si tel ne fût pas le cas, c’est en raison du malthusianisme aujourd’hui disparu des banques centrales. Probablement aussi  en raison de 35 années de réglementation financière ayant eu pour effet,  d’éloigner les Etats du grand banquet de la finance. Choix extraordinairement coûteux qui ne pourra, le cas échéant, être reproduit en 2010. L’apparition d’une nouvelle crise financière à l’intérieur de la crise économique, serait probablement favorable à l’accélération d’un processus de rapprochement entre Banques centrales et Trésor comme ci-dessous imaginé.

Les voies souterraines du desserrement de l’Etau monétaire et financier.

En second lieu, l’année 2010 verra probablement augmenter le stock de dette souveraine mondiale qui  dépassera en fin d’année très largement le cap des 50 000 milliards de dollars (49500 en fin 2009) . Le risque d’un krach obligataire sera multiplié en raison des maillons faibles qui déjà subissent un spread de taux important (prés de 3% entre le taux allemand et le taux grec en fin 2009). La grande question qui émergera, est celle du rapprochement des banques centrales avec les Trésors : est-il possible pour les entrepreneurs politiques de casser le développement de la rente financière et d’en revenir à une situation où prévalait l’euthanasie des rentiers ? La question se posera régulièrement en 2010 avec  l’élargissement du cercle de ceux qui réaliseront, qu’au nom du désarmement financier des Etats, (indépendance des banques centrales) un puissant marché secondaire de la dette souveraine s’est créée au grand avantage des banques, et au grand désavantage des Etats. Le nombre de ceux qui partout dans le monde, exigeront la fin des rentiers ira croissant et les entrepreneurs politiques seront progressivement  amenés à  réexaminer,  et leurs convictions, et leurs bases électorales. Et c’est bien ce que l’on constate depuis l’automne 2009 dans les débats qui agitent le congrès américain : volonté d’en découdre avec  la FED et ses opacités, menaces de démantèlement des méga banques contre la toute puissante et très écoutée « American Bankers Association » etc.

Il sera très difficile en 2010- sauf peut-être emballement de la crise-de revenir sur 35 années de législation nationale et internationale qui ont consacré la victoire de la finance et de la rente. L’idée étant pourtant, de revenir à une situation où les Trésors seront capables de répudier la dette, comme ils le faisaient si bien, avant la naissance des Etats de droit. Nous retrouvons ici toute l’ambiguïté des Etats  garants du respect des contrats qu’ils cherchent pourtant à violer. Dans ce contexte, le scénario de l’implosion de l’Euro serait un boulevard pour précipiter un rapprochement musclé des banques centrales et des Etats, les premières ne devenant que les gestionnaires obéissants des Trésors, comme au « bon vieux temps ». Un tel scénario vaudrait évanouissement de la dette souveraine au profit de nouvelles aventures. Crise dans la crise (point 1) et prise de conscience du siphonage des Trésors (point 2) seraient une conjonction  éminemment favorable au réarmement des Etats et la répudiation de la dette. La réalité 2010 sera une situation intermédiaire entre cette conjonction et ses effets considérables, et le maintien du statut quo, donc celui du maintien de la présente fuite en avant.

On peut pourtant imaginer un exemple de situation intermédiaire annonciatrice de répudiation de la dette par rapprochement des Banques centrales et des trésors en 2010. Les agences des Trésors chargées de la commercialisation de la dette souveraine (AFT pour le Trésor français) peuvent progressivement renoncer,  aux adjudications compétitives (respect du marché) et imposer des taux proches de zéro (violence réglementaire). Situation qui nous rapprocherait de l’époque où l’Etat, disposant d’une solide mâchoire, pouvait s’affranchir du « paiement annuel des arrérages ». Bien sûr il ne saurait s’agir d’inviter la banque centrale dans le club très fermé des banques SVT ( spécialistes en valeurs du Trésor) ce qui est encore, bien sûr, juridiquement interdit aujourd’hui. Mais si le Trésor est édenté, on peut lui adjoindre des prothèses, le club des SVT étant fermement invité, à faire des propositions d’achat à des prix  très proches du coût d’accès à la matière première, par la banque centrale , qui précisément fournit cette matière première à taux proche de zéro. Voilà qui ressemble au contrôle des marges dans la grande Distribution. Cela suppose une certaine autorité sur les banques centrales. Et si bien sûr les banques étrangères quittent le club pour d’autres lieux plus rémunérateurs, il n’y a pas à craindre d’assèchement de la liquidité, les robinets des banques centrales restant ouverts pour les banques nationales. En clair si HSBC quitte le club rattaché à l’AFT, il est toujours possible d’élargir la part de marché de BNP PARIBAS qui elle aussi fait partie des SVT françaises. Il serait même possible d’envisager la composition d’un club des « Etats nouvellement prothèsés », faisant face aux clubs des SVT, et bien décidés à mettre fin à la «  fausse valeur ajoutée » des banques qui développent encore aujourd’hui l’insoutenabilité des dettes souveraines. Il n’est donc pas impossible de voir apparaitre en 2010 ce club des « Etats prothèsés », club sans doute plus porteur  que le G20.

Le schéma proposé ci dessus n’est qu’une piste possible, parmi les  dispositifs qui se mettront progressivement en place en 2010 sous la conduite d’entrepreneurs politiques qui – poussés par les victimes de la rente financière-ne pourront plus très longtemps se contenter de la fuite en avant.

Vers la guerre monétaire ?

En troisième lieu, les inéluctables tentatives de rapprochement  des Trésors et des banques centrales seront en 2010 porteuses de troubles monétaires internationaux de grande ampleur, et ce  dans un contexte déjà fort complexe. Les contraintes du Trésor américain et déjà les modalités du financement de sa dette, continuent de peser sur le cours du dollar. C’est que d’une certaine façon, ce dernier est émis dans les mêmes conditions que les assignats. Avec toutefois une différence : les assignats étaient en principe gagés sur une richesse réelle , comme les premières coupures fiduciaires l’étaient sur l’or, ce qui n’est pas le cas du dollar de l’époque du « Quantitative Easing ».

Cette baisse est porteuse de deux effets vis-à-vis de la nouvelle seconde économie mondiale (La Chine). En premier lieu les chinois continueront en 2010 à protester pour l’obligation qui leur sera faite de maintenir des réserves en monnaie fondante. A l’inverse des citoyens français de 1794 ils ne sont pas réellement obligés d’accepter des assignats et tenteront de diversifier leurs placements. En termes plus crus, ils partageront le poids de la monnaie fondante avec d’autres acteurs intéressés par les investissements chinois sur leur territoire : Afrique, Amérique Latine, etc. Autre façon d’échapper à ce qu’ils croient être des assignats : le lancement en 2010, en Asie, de la plus grande zone de libre échange du monde , avec création  en mars 2010 d’un fonds d’urgence de devises, et la tentative de populariser  le Yuan comme monnaie internationale. Opération difficile ne se déployant que dans la durée. En 2010 le Yuan restera une monnaie inconvertible, mais, si la Chine ne connait pas de catastrophe, l’ avenir du yuan comme monnaie de réserve, n’est pas impossible.

En retour, les USA seront de moins en moins disposés à voir leur demande globale siphonnée par une monnaie de combat. Même si le déséquilibre commercial des USA est divisé par deux en 2009, il représentera encore 4% de PIB. Accroché au dollar le yuan fluctue au rythme de la devise américaine, ce qui signifie qu’en cas de baisse du dollar, toutes les autres monnaies sont victimes d’un yuan trop faible. En particulier l’euro qui voit le yuan se déprécier de 17% depuis mars 2009 et le Yen qui le voit se déprécier de 11% pour la même période. Cela signifie que tous les pays dont la monnaie n’est pas rattachée au dollar, peuvent en théorie adopter le point de vue des USA. Le risque d’entrer dans une guerre des monnaies est donc relativement important. Déjà des propos équivalents à ceux tenus dans les années 30 à propos des dévaluations massives de l’époque, refont surface : « La Chine exporte son chômage », « il faut compenser l’agressivité monétaire chinoise par des taxations douanières » etc. Déjà très consciente de ce risque la Chine en 2009, a dans la précipitation, décidé de se diriger vers l’auto centrage par le biais de son gigantesque plan de relance  économique. D’où un premier résultat : la chute de la contribution négative des échanges extérieurs à la croissance a pu être compensée par 12% de PIB de la demande intérieure. Résultat spectaculaire.

Insuffisant, diront les Occidentaux et nombre d’autres Etats qui vont exiger en 2010, de façon de plus en plus pressante, une réévaluation du yuan. Sans se rendre compte que la chine, est aussi dans une fuite en avant tout aussi dangereuse. Société aujourd’hui tout aussi inondée par l’économicité que le monde occidental, son Etat, à peine de graves déconvenues, se doit de produire 24 millions d’emplois chaque année. La relance fût classiquement keynésienne avec surtout des investissements pharaoniques d’infrastructures et la naissance de surcapacités industrielles par obligation, de la part de ses dirigeants  d’accepter des crédits bancaires massifs, décidés par un Etat qui lui, n’est pas encore Etat de droit et dispose d’une belle dentition. Mais qui est aussi dans une fuite en avant dangereuse et inquiétante. La base monétaire s’étant accrue de 30% en 2009, les bulles en formation sont nombreuses, notamment dans l’immobilier. La croissance chinoise peut-elle s’effondrer en 2010 en raison même de cette fuite en avant ? Il est impossible de répondre à une telle question. Le risque étant toutefois, que la volonté de maintenir un Yuan sous évalué pour des raisons de politique interne, entraine un réarmement douanier ailleurs dans le monde, accélérant le processus de dé mondialisation déjà bien avancé.

Les 3 points sus-évoqués (difficile répudiation douce de la dette souveraine par une inflation qui restera absente  en 2010 ; tentatives de répudiation par reprise plus ou moins souterraine du pouvoir monétaire, et donc desserrement de l’étau monétaire ; conséquences de la tentative de reprise du pouvoir monétaire sur les taux de change et la situation internationale) constituent la colonne vertébrale du déploiement de la crise au cours de l’année 2010. Son centre de gravité étant le réarmement des Etats face à l’endettement public.

La prise de distance toujours croissante entre les Trésors et les banques centrales a autorisé la mondialisation, et les déséquilibres que cette dernière a elle-même engendrée, par rupture de la cohérence Fordienne. En 2010, le rapprochement pour cause de la répudiation de la dette, de ce qui était séparé, marquera la confirmation du  processus de dé mondialisation.

A partir de ces lignes de force essentielles pourront se comprendre les phénomènes qui vont accompagner la trajectoire de la crise: puissance de la croissance, ou hélas ,plus probablement de la dépression, importance du chômage, niveau d’agitation des marchés politiques , niveau d’agitation des instances médiatiques chargées de l’interprétation du déroulé des  évènements,  rapports de forces autour des tables de négociation internationales, etc...


Bonne Année 2010 à toutes et à tous.

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22 avril 2009 3 22 /04 /avril /2009 04:40

                

La prise de conscience des turbulences financières et de leurs conséquences fait émerger, dans le langage utilisé, les termes de « régulation » et de « grand retour de l'Etat ». L'idée selon laquelle le politique se serait noyé dans l'économie est souvent évoquée, avec bien évidemment la  critique de l'ultralibéralisme et la volonté d'en finir avec  30 années de domination économiciste.

Mais les projets de refondation sont souvent d'une grande timidité, et certains peuvent se demander si le grand retour de l'Etat n'est pas, plus simplement,  la prise de contrôle des Etats par la finance. Le risque en finance étant global - on dit systémique- et non local comme le risque économique courant, il est seulement maitrisable par une instance en surplomb : le politique. Il n'est donc pas illogique de penser, que le contrôle du risque financier, puisse être mené à bien par le contrôle du politique par la finance. Hypothèse séduisante qui trouve des bribes  de confirmation empirique dans les troublantes circulations de dirigeants de la finance vers l'administration du trésor aux USA, en France ou ailleurs . Circulation bien examinée par Simon Johnson ( The « atlantic » mai 2009) pour ce qui est du cas américain. Hypothèse qui pourrait donner aussi une grille de lecture nouvelle concernant l'indépendance des banques centrales : mieux contrôler les Etats, c'est aussi disséminer leurs pouvoirs et leur retirer la politique de la monnaie, affaire de spécialistes, que l'on découvre plus volontiers chez les dirigeants de la finance.

Parmi les refondateurs les plus éloignés de cette vision du retour du politique, comme aboutissement de la financiarisation du monde, nous avons à l'instar de Paul Jorion, l'idée de la mise en place d'une constitution pour l'économie, comme il existe une constitution politique.


L'idée est à bien des égards  séduisante. La constitution politique serait ce qui aurait historiquement apaisé et mieux encore civilisé les rapports entre les hommes dans l'ordre politique. Il s'agirait d'emprunter ce modèle, et l'appliquer sur un tout autre ordre qui est encore à apaiser et civiliser : l'ordre économique. L'économie serait ainsi un espace encore sauvage, comme le capitalisme du même nom, et il conviendrait de faire œuvre civilisatrice en l'arrimant à une constitution.


Sans doute ce capitalisme n'est-il pas complètement sauvage, et se trouve- t'il déjà enrobé par des règles. Ainsi la finance dispose d'un carcan de règles extrêmement précises, mais elles ne forment pas système, comme le font les règles constitutionnelles de l'ordre politique. Il conviendrait donc de mettre de l'ordre dans un système juridique  encore trop anarchique.


Il n'est pas question ici de vouloir minimiser l'intérêt d'un projet qui reste extrêmement original dans un contexte de grande crise des sciences humaines. Par contre, il convient de s'interroger sur le cadre juridique à construire. S'il ne s'agit que d'un ensemble de règles économiques formant système, en quoi se distingue-t-il d'un droit commercial, d'un droit des contrats, d'un droit du travail etc. ? Et, de ce point de vue, si ces derniers systèmes juridiques sont insuffisants dans leur étendue spatialo- juridique , il suffirait de les élargir et de les compléter.  Si tel n'est pas le cas, en quoi une constitution  pour l'économie entrainerait-elle  une différence de nature ?


Maintenant on voit mal en quoi il y aurait 2 constitutions qui régiraient l'inter action sociale : une pour les activités politiques, et l'autre pour les activités économiques. Parce que dans les deux cas, il s'agirait de règles constitutionnelles, il faudrait bien qu'il y ait harmonie entre les deux ordres, ce qui signifie qu'il y aurait au dessus, des principes plus généraux et donc plus génériques. En clair la constitution est une et ne saurait se décliner en fonction de la nature de telle ou telle interaction sociale. Il ne saurait donc exister une constitution politique, et, une constitution économique. Au demeurant  on ne trouve guère répandue l'expression de constitution politique. On évoque simplement l'idée de constitution pour embrasser l'ensemble de l'interaction sociale. Sur un plan pratique, la règle constitutionnelle- telle que vécue aujourd'hui -est bien  le corps de métarègles , corps sur la base duquel s'enracine des corps de règles spécifiques, correspondant à des interactions sociales, elles- mêmes spécifiques.


Il est exact que la lecture d'une constitution concrète spécifique invite à penser, en première lecture, que pour l'essentiel, seules les questions de l'organisation politique sont traitées dans le détail. Mais précisément le politique est le point d'appui, ou l'extériorité qui fonde le vivre ensemble. Tout le reste est annexe, et il n'existe pas une instance économique indépendante de l'instance politique, en ce sens que ce qu'on appelle économique n'est qu'une variété de politique, mieux encore, l'économique aujourd'hui est probablement un choix politique.


Un examen attentif de l'histoire du vivre ensemble chez les hommes le révèle aisément ces dernières affirmations.

Pierre Clastres a montré il y a bien longtemps, et Marcel Gauchet a repris cette idée, que le religieux fût historiquement la première forme du politique.


Le mythe des anciens et des primitifs, est l'extériorité radicale, le point d'appui du vivre ensemble et de toutes les pratiques humaines. Ce stade est celui d'une commune dépossession, en ce sens que tous, sans exception, obéissent aux forces d'un au-delà, radicalement inaccessible. Cette radicalité est elle-même fondatrice de l'égalité radicale entre des hommes, qui englués dans le mythe, sont aussi les jouets d'un monde fondamentalement holistique.


Dans un second temps du vivre ensemble des communautés humaines, des hommes vont réussir à se distinguer des autres en ce qu'ils se disent être en position de communiquer avec les forces de l'au-delà. Ces hommes, seront les fondateurs de ce qu'on appelle traditionnellement le politique et seront à terme fondateurs de l'aventure étatique. A ce stade, puisque le politique prend naissance dans le religieux, nous aurons le plus souvent des systèmes étatiques où la religion l'emporte encore sur le politique. Il faut toutefois bien comprendre que le politique ne nait pas de ce coup de force de certains (coup d'état fondateur de l'Etat comme aimait le dire Pierre Clastres). Il était déjà fondamentalement présent dans le stade antérieur, celui des premières formes de religion, qui ne sont rien d'autres que les premières formes du politique, en tant que première forme d'extériorité à partir de laquelle tous se rattachent.


La nouvelle forme du politique sera -elle-même appelée à évoluer. Et on passera successivement d'un Etat enkysté dans la religion à une religion enkystée dans l'Etat, forme étatique qui finira par expulser la première forme du politique en se séparant du religieux : le politique moderne est né.


L'accouchement progressif du politique moderne, rend crédible chez les hommes l'idée  que la société et ses pratiques, sont autant d'instances simplement humaines, c'est-à-dire fabriquées par eux. Ils apprenent ainsi que l'extériorité est une construction dont il sont les seuls responsables, qu'ils peuvent en conséquence en changer. Cette prise de conscience est porteuse de la fin du holisme et de la montée de la personne : si l'échange de dons était la manifestation concrète du holisme et condition de sa reproduction, l'échange marchand intéressé entre les personnes, deviendra la manifestation concrète de l'individualisme et condition de sa reproduction.


Le holisme interdisait l'économie ou la contrôlait avec radicalité. L'individualisme moderne construit tous les ingrédients de la machine économie : fixation des droits et devoirs, définition raffinée de la propriété, affaissement des antiques liens de solidarité....autant d'instances qui vont limiter les « coûts de transactions »- comme disent les économistes- et libérer une économie jusqu'ici interdite.


De même que le succès de l'aventure étatique devait rendre ingrat l'enfant vis-à-vis  de sa mère : la religion ; le succès de l'aventure économique - ce qu'on appelle la croissance ou le développement- devait récemment rendre ingrat l'économie vis-à-vis de sa mère : l'Etat. Il faut que l'Etat se retire, et libère les forces d'un marché plus intelligent que lui, Hayek affirmant même que le marché est beaucoup plus que le marché. Mais cette libération qui est aussi l'émergence récente et rapide de la mondialisation, ne fait pas disparaitre l'extériorité et « dans la tombe l'œil regarde encore Cain » . C'est que l'extériorité prendra de nouvelles formes, par exemple le système des prix . Les prix sont bien un au-delà inaccessible : construits par chacun à son insu, ils constituent un phénomène social incontrôlable, et prennent l'allure d'un phénomène aussi naturel que le mouvement des planètes. La crise est, elle-même, aussi incontrôlable que les tsunamis.


Les hommes ne peuvent se passer de l'extériorité. Cette dernière se transforme, évolue, mais demeure le point d'appui de la société, qu'elle qu'en soit la forme et le niveau de civilisation. Elle était la religion, elle est successivement devenue le politique, puis l'économie. Qu'elle qu'en soit la forme apparente-religion ,politique ,économie- elle est toujours d'essence politique puisqu'elle est la forme historique prise pour assurer la relative cohésion sociale d'un groupe humain. Il est d'ailleurs intéressant de constater qu'il existe au fond des relations d'équivalence qui nous permettent de poser des questions embarrassantes : si l'économie est l'équivalent de la religion, en ce qu'elle est la forme nouvelle de l'irrépressible extériorité, les économistes sont-ils des clercs ou fonctionnaires de la religion des temps modernes ? Et la théorie économique est -elle l'équivalent de la théologie ? Il ne saurait être question  d'aborder ici un sujet aussi délicat. Il est pourtant de très grande importance. Remarquons enfin qu'affirmer -comme très souvent- que l'ultralibéralisme qui serait pratiqué depuis une trentaine d'années serait l'effacement progressif du politique au profit de l'économicité est une expression dépourvue de sens. La société de marché est tout aussi politique qu'une autre, et le marché est, aujourd'hui, ce qui fait société, ce qui maintient un ordre en tant qu'ordre social , donc ordre politique.

Au total, il convient de constater, que très probablement, évoquer une constitution pour l'économie, comme il y a eu une constitution pour le politique, est au moins une appellation maladroite. Une telle expression entraine une confusion sur la nature profonde de ce qu'est l'économie. Et il ne saurait être question de travailler les configurations de l'économie sans connaitre la nature de la matière première.


Les quelques réflexions précédentes ne sont en aucune façon une critique des travaux menés par Paul Jorion aux Etats-Unis. Simplement elles s'attachent à préciser un  vocabulaire, qui risque aussi d'être un matériau pouvant conduire à des inexactitudes de raisonnement.


En revanche, si l'on accepte l'idée que l'économie n'est que la forme moderne de l'extériorité radicale -condition anhistorique de l'homme- il est sans doute possible d'enrichir les résultats des travaux de réflexion qui seront menés quant à sa refondation. Rebâtir, reconfigurer cette extériorité radicale, passera probablement par une limitation  de l'économie : il s'agirait de la ré enchâsser dans des structures juridiques, qui bien sûr restent à inventer, et qui seraient ce que Paul Jorion appelle selon une terminologie  contestable, une constitution pour l'économie. La réalité et la grande brutalité de la crise faciliteront, hélas, l'avancée des propositions.

 

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