Bien évidemment, nous ne pouvons connaitre l’issue du référendum britannique du 23 juin prochain. Par contre, au-delà de remous légers sur certains marchés, nous sommes déjà assurés que le départ de la Grande Bretagne, s’il a lieu, sera - à court terme et toutes choses égales par ailleurs - complètement indolore pour les britanniques[1].
La raison en est – toujours à court terme- que le grand marché sera toujours présent et que nulle barrière ne viendra s’opposer à la libre circulation des marchandises et des capitaux. C’est la raison pour laquelle aucune spéculation déstabilisante ne viendra contrarier le vote des électeurs.
Si la France devait suivre l’exemple britannique, les choses seraient incontestablement beaucoup plus douloureuses et la seule annonce d’une renégociation suivie d’un référendum programmé entrainerait un déchainement incontrôlable des marchés. La raison en est que l’engluement de la France dans la zone euro est autrement plus marqué que celui de la City. Nous avons souvent ici indiqué que, de fait, une telle renégociation était tout simplement impensable. On ne peut plus aller plus loin sans défigurer complétement l’identité de la France et l’affaisser davantage encore. Que deviendrait notre politique étrangère ? notre outil de dissuasion ? la souveraineté militaire ? Mais on ne peut plus retrancher sans prendre le risque d’un déchainement des marchés. Comment renoncer au pacte de stabilité ? Comment modifier le statut de la Banque centrale ? Comment reprendre le contrôle des banques ? Comment renégocier la dette publique ?
Nous sommes ainsi placés dans la situation du TOUT ou RIEN.
LE RIEN signifiant au mieux une renégociation globale entre tous les partenaires, et une renégociation sous la triple surveillance très étroite des marchés, des partis dits populistes qui sont devenus porte-paroles des peuples.… et des épargnants allemands. Il n’y a pas d’espace d’accord mutuellement avantageux possible dans le cadre d’une renégociation et c’est la raison pour laquelle les diverses propositions des uns et des autres - même celles les plus hardies[2]- ne sont que de l’agitation sans contenu. Tous veulent aller dans une « union toujours plus étroite » … seul chemin offert dès le Traité de Rome… mais le dit chemin se trouve aujourd’hui impraticable….
Si donc le rien n’est vraiment pas grand-chose, Le TOUT signifie à l’inverse une rupture qui ne peut même pas être anticipée, par exemple dans le cadre de programmes politiques. On ne peut rien négocier, mais au-delà, on ne peut même pas promettre une négociation si d’aventure le parti qui la propose risque de gagner l’élection : les marchés seraient « affolés» et donc quel que soit le vainqueur de la primaire française de l’automne prochain, on peut être certain que s’agissant de l’Union européenne la prudence des mots sera de rigueur. Seul le parti dont on est assuré qu’il ne gagnera pas, pourra parler d’une sérieuse renégociation….dont le système politico-médiatique pourra affirmer avec force et hauteur de vue qu’elle ne relève pas du raisonnable voire du simple sérieux….
Il s’agit, bien sûr, d’un emprisonnement complet qui, seul, peut s’expliquer par ce qui est devenu le pouvoir bureaucratique européen : des acteurs qui peuvent quasi complètement s’autonomiser vis-à-vis des Etats et des pouvoirs économiques pourtant omniprésents dans les institutions européennes. Un personnel politico-administratif de haut niveau qui s’arroge des compétences non prévues par les textes et qui décident de la politique économique des Etats adhérents, allant contre l’intérêt de ces derniers et allant parfois contre l’intérêt de ses acteurs économiques[3].
Quand tout est bloqué, quand les règles du vivre ensemble deviennent complètement inadaptées, quand le chômage (Europe du Sud), les inégalités (toute l’Europe), le non-respect de la démocratie (Grèce2015, France 2005, Pays-Bas 2005, etc.), quand la ghettoïsation/fragmentation (France, Italie, Espagne, etc.,) quand les comportements sécessionnistes de ceux qui le peuvent (toute l’Europe) quand les migrations (toute l’Europe) ou le développement de divergences nouvelles colossales entre pays (toute l’Europe), deviennent des sources majeures de destruction, seule une décision aux effets instantanés peut redessiner un espace du vivre ensemble – une refondation du contrat social - acceptable par tous. Parce qu’au final on perçoit de sourdes menaces sur la paix civile elle-même, il devient urgent d’agir avec la vitesse de l’éclair.
Il se trouve que, sauf coup d’Etat, les règles constitutionnelles des divers pays empêchent cette décision radicale aux effets instantanés. Sauf la France qui, constitutionnellement équipée d’un article 16[4], peut réécrire les règles du jeu.
Parce que les règles présentes ont perdu toute légitimité[5] , qu’elles détruisent « les corps politiques »[6], et la souveraineté comme condition nécessaire de toute démocratie, il est important de rétablir le droit en tant qu’instrument de régulation des rapports sociaux acceptables par le plus grand nombre.
L’utilisation de l’article 16 permet-elle de rétablir la souveraineté démocratique ?
Voulue par le général De gaulle, elle fut souvent contestée en ce que, pour les juristes classiques, elle pouvait être l’outil de la tyrannie[7]. Elle reste contestée aujourd’hui car, pour nombre d’ entre-eux, elle est un outil devenu obsolète au regard de l’évolution du droit. Il est ainsi vrai que des droits dits fondamentaux sont susceptibles d’être opposés au législateur lui-même. Tel est le cas des effets de la ratification de la Convention européenne des Droits de l’homme, qui entraine l’acceptation du droit de recours individuel devant la cour européenne des droits de l’homme. On pourrait citer d‘autres cas.
Pour autant, même toilettée dans le cadre de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, l’outil reste d’une extraordinaire puissance et se trouve être à la disposition de celui qui voudra redonner espoir à la France.
On sait quels sont les actes essentiels qui doivent être publiés dans la minute qui suit la mise en action de l’article 16, pour l’essentiel : réquisition de la banque de France et de la totalité évidemment du système bancaire, contrôle des changes et fin de la libre circulation du capital et des biens : l’ensemble des textes propres à une refondation doivent alimenter les rotatives du Journal Officiel au moment même où le Président de la République s’arroge les pleins pouvoirs.
Ces actes ont juridiquement le caractère de « Décisions » et sont des « actes de gouvernement »[8] insusceptibles de recours juridictionnels. Leur force juridique est extrêmement puissante et seules les « décisions » portant sur la Constitution sont interdites au Président de la République. Ceci est extrêmement important : il ne peut toucher au « bien commun » de la Constitution et se transformer en tyran. Il est dans la légitimité et en utilise les ressources pour simplement rétablir la paix dans une société menacée.
La décision d’utiliser l’article 16 est elle-même juridiquement inattaquable et ne peut donner lieu à des situations ingérables. Certes, elle est encadrée par des conditions (cf note 4) mais le Président est seul à pouvoir juger de la menace qui pèse sur le Pays, et son interprétation ne peut donner lieu à des interventions de la part d’instances qu’il aura simplement informé : premier ministre, présidents des 2 assemblées, Conseil Constitutionnel. Pendant toute la période de rétablissement de la souveraineté et de la démocratie, le parlement est lui-même dans l’impossibilité de légiférer et de contrarier les « Décisions » du Président. Cette période est bien sur limitée par la Constitution : l’aticle 16 n’est là que pour rétablir une paix civile et une démocratie que la bureaucratie européenne a largement détruite.
L’article 16 allie ainsi deux qualités souvent opposées : la légitimité et la vitesse . Il n’est pas acte fondateur de la tyrannie mais permet le rétablissement d’un ordre démocratique miné par une bureaucratie européenne souvent aidée par des pouvoirs politiques compradores bien répartis sur le territoire de l’Union. Mais il permet aussi d’étouffer les risques d’inefficience et, le cas échéant, de renégocier à l’abri de la violence des marchés, les modalités des nouvelles relations avec l’Union européenne.
Certes, cette renégociation, très différente de celle qui vient d’être menée par la Grande Bretagne, risque d’être un peu théorique en ce sens que l’utilisation de l’article 16 par la France vaudra à lui seul la probable destruction quasi complète de l’édifice européen.
Néanmoins, on peut imaginer que le Président de la République respecte l’intégralité des règles de l’article 50 du TUE[9]. C’est conformément aux règles constitutionnelles que la France décide de se retirer (alinéa 1 de l’article 50), et c’est conformément aux alinéa 2 et 3 du TUE que la France pourra - à l’abri des marchés mis sur le côté par les « Décisions »- renégocier des accords mutuellement avantageux avec l’Union ou ce qui en restera.
Le présent texte tente ainsi de montrer que la France n’attend aucune alternance politique classique et l’élection présidentielle de 2017 risque une fois de plus de décevoir. Les différents candidats ne pouvant se mouvoir que dans le cadre du logiciel qui s’est progressivement cristallisé avec la prétendue mondialisation et le totalitarisme de la marche forcée vers toujours plus d’intégration.
Quel président aura le courage de sortir le pays de son naufrage en utilisant l’article 16 ? René Capitant avait naguère considéré que le Général De Gaulle voulait avec cet article constitutionaliser « l’appel du 18 juin ». Il avait sans doute raison et c’est bien davantage d’un « 18 juin » que du hochet des primaires et d’élections, dont le pays a besoin.
[1] Ce qui ne veut pas dire qu’il ne se passera rien à plus long terme par exemple : l’indépendance de l’Ecosse. Par contre la chute de la livre sterling n’est pas ,contrairement à ce qui est, dit une catastrophe. Elle permettrait même un allégement du déficit extérieur et probablement la création d’emplois industriels de qualité supérieure.
[2] C’est le cas de la note de 9 pages envoyée par le gouvernement italien à la commission laquelle évoque l’excédent d’épargne allemand, la mise en place d’un système d’assurance chômage commun, la création d’un budget commun au titre des investissements communautaires, etc.
[3] C’est bien évidemment la cas de l’Eurogroupe, institution juridiquement inexistante qui prend des décisions d’autant plus aisées que les acteurs politiques sont bâillonnés
[4] « Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacés d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier ministre, des Présidents des Assemblées ainsi que du Conseil constitutionnel
[5] Nous renvoyons ici à la distinction faite dans le dernier ouvrage de Jacques Sapir : « Souveraineté, Démocratie, Laïcité », Michalon, 2016.
[6] Expression largement utilisée dans le passionnant ouvrage de Frédéric Lordon : « Impérium », La fabrique , 2015.
[7] Certains parlent ainsi du « venin de l’article 16 ». Cf l’article de Sébastien Platon dans la « Revue de Droit Constitutionel », 2008/5 : « Vider l’article 16 de son venin : les pleins pouvoirs sont-ils solubles dans l’Etat de droit contemporain ?».
[8] Dans son arrêt Rubin de Servens du 2 mars 1962[1], le Conseil d'État précise que la décision de mettre en œuvre les pouvoirs exceptionnels est « un acte de gouvernement dont il n'appartient pas au Conseil d'État d'apprécier la légalité ni de contrôler la durée d'application ». Les décisions du président sont insusceptibles de recours juridictionnel.
[9] Article50 du T.U.E.
1. Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union.
2. L’État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union. Cet accord est négocié conformément à l’article 218, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il est conclu au nom de l’Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen.
3. Les traités cessent d’être applicables à l’État concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai.