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3 mai 2023 3 03 /05 /mai /2023 12:48

 

La vidéo présentée dans la première partie du présent texte suggère déjà qu’une révolution technologique met en danger notre infrastructure monétaire, laquelle commence à ressentir les limites de son modèle. Précisément il nous paraît nécessaire de parler d’infrastructure monétaire comme nous parlons d’infrastructure énergétique ou ferroviaire. De même que les électrons et les trains circulent sur des voies spécifiques, ce qu’on appelle la « valeur » supportée par un véhicule appelé « monnaie » circule sur des voies qui lui sont propres. De ce point de vue, l’humanité, probablement par essais et erreurs, sans déterminisme étroit, a érigé des institutions monétaires avec notamment des banques sans doute assez comparables à des gares ferroviaires. Il existe des usagers de ces institutions : déposants, épargnants, investisseurs, etc. qui sont assez comparables aux usagers de la SNCF.

Allons plus loin dans le comparatif infrastructure ferroviaire et infrastructure monétaire à partir d’un exemple.

Au niveau ferroviaire il est, en période de vacances d’été, des TGV qui s’accumulent en gare de Nice, TGV en provenance de la gare de Lyon à Paris. Tout simplement les parisiens partent vers le soleil. Sans retour vers Paris ces TGV empêcheront les parisiens restés sur place de partir eux-mêmes en vacances vers Nice. Dans le jargon de la finance il s’agit d’un problème de liquidité. Bien évidemment la SNCF très centralisée dispose des moyens de faire circuler les TGV (même relativement vides) vers Paris et les clients n’auront pas le souci de la liquidité du réseau.

Au niveau monétaire si l’on prend non plus Paris et Nice mais la BNP et la Société Générale, il se peut que l’argent circule massivement depuis cette dernière vers la première. Cela est dû par exemple au fait que beaucoup de clients de la Société Générale règlent des paiements à des clients dont le compte figure dans le bilan de la BNP. Cette accumulation peut gêner gravement la Société Générale si d’autres clients sont amenés à régler des paiements   dans le même sens. En effet les comptes bancaires figurent au passif de cette dernière et une partie[JCW1]  est utilisée pour effectuer des crédits ou acheter des titres, éléments figurants à l’actif de la banque. Si la Société Générale ne peut mobiliser les dits éléments il en résultera l’impossibilité de continuer à régler les sommes qui fuient vers la BNP. Encore un problème de liquidité. Il faut donc comme dans le cas de la SNCF – qui devait faire remonter les TGV vers Paris - faire « remonter » la monnaie depuis la BNP vers la Société Générale.

Or, le statut de l’infrastructure monétaire est ici beaucoup plus complexe que l’infrastructure ferroviaire. En effet, il pourrait y avoir une infrastructure centralisée avec donneur d’ordre unique qui ferait remonter autoritairement la monnaie vers la Société générale et règlerait les questions de la liquidité. Hélas, pour des raisons tenant au cheminement de l’Histoire, les infrastructures monétaires sont décentralisées et les banques sont privées et juridiquement indépendantes. Dans ce cas faire remonter la monnaie depuis la BNP vers la Société Générale présente des risques. D’abord la monnaie qui circule n’appartient pas aux banques comme les TGV appartiennent à la SNCF. Elle n’est que le véhicule d’une valeur qui ne leur appartient pas. Faire circuler de la monnaie depuis la BNP vers la Société Générale présente donc un risque, celui de voir ses clients ne plus pouvoir mobiliser l’intégralité de leurs avoirs, y compris sous la forme d’une simple conversion en billets. L’argent qui circulerait depuis la BNP vers la Société Générale n’est qu’une dette de la BNP envers ses clients et cette dette doit pouvoir être honorée à tout instant. Faire remonter les TGV depuis Nice vers Paris ne procure pas de soucis particuliers. Faire remonter de la valeur depuis la zone de fuite en est un. Ce n’est donc que par voie incitative - une rémunération - que la BNP fera remonter la valeur vers la Société Générale. Nous avons là l’origine de ce qu’on appelle le marché monétaire c’est-à-dire le lieu de l’échange de la monnaie entre banques. Sur ce marché se forme un prix qui est le taux de l’intérêt interbancaire.

Le véhicule de la valeur n’est pas la monnaie de la BNP ou celui de la Société Générale mais celui défini par l’Etat qui a pu confier sa gestion à un tiers qui est ce qu’on appelle la banque centrale. Ce qu’on appelle banque centrale est donc un tiers qui facilite le bon fonctionnement du marché monétaire et donc celui de l’infrastructure monétaire. Il est en cas de difficulté le préteur en dernier ressort et vient ici gommer les difficultés engendrées par le caractère non monopolistique de l’infrastructure. Car tout le problème est bien là : l’émiettement de l’infrastructure monétaire crée des problèmes de confiance entre acteurs et donc des crises que l’on appelle crises financières que les banques centrales tentent de gommer.

Nous n’allons pas revenir sur l’histoire complexe des banques centrales. Soulignons simplement qu’elles ont comme les banques la capacité de créer de la monnaie, ce qu’on appelle la monnaie centrale. Elles gèrent le compte des Etats et ce dans le cadre d’un rapport fort complexe : elles utilisent les prérogatives de la puissance publique soit pour prêter aux Etats, soit pour prêter aux banques. Dans le cadre de son cheminement historique que l’on ne peut que rappeler sans détailler, elles furent d’abord fusionnées avec les Etats en formation ( ce qu’on appelle le « big bang » des Etats dans le blog) et à ce titre font naître la forme monnaie comme véhicule de l’impôt dû au souverain. A ce stade, son émission donne lieu au versement d’une rente appelée seigneuriage. Après une très longue période où les Etats perdent le contrôle de l’émission, tandis que des banquiers inverseront le seigneuriage et deviendront les rentiers d’Etats endettés, les banques centrales modernes naissent et sont amenées à financer la dette publique avant de devenir formellement indépendantes à la fin du siècle dernier.

La situation d’aujourd’hui est celle d’organismes qui, tenant le tout, garantissent sa reproduction. Elles tiennent le tout en garantissant le fonctionnement des agences des Trésors aux prises avec une dette publique devenu hors de contrôle. Pensons aux USA ou à l’Europe. Elles tiennent le tout en garantissant le bon fonctionnement de l’infrastructure monétaire et les banques qui en sont le support. Pensons aux gigantesques prêts à ces dernières.  Elles tiennent enfin le tout en empêchant l’irruption d’une crise financière consécutive à un endettement privé mondial hors de tout contrôle. Pensons aux achats directs et sans retenues d’obligations d’entreprises voire des produits dérivés.  Cette position exceptionnelle dans un théâtre éminemment dangereux confère aux banques centrales un pouvoir incomparable.

Ce pouvoir incomparable n’est pourtant pas exempt de faiblesse et nous avons souligné la difficulté présente entre l’exigence d’une capacité à maintenir le tout, et l’inflation qui vient la contester (cf. notre article du 8 avril sur le blog). Les injections considérables de monnaie qui, jusqu’ici, permettent de maintenir le tout pourraient sans doute diminuer drastiquement- et du même coup diminuer la pression inflationniste- si l’infrastructure  monétaire se rationalisait en passant par une architecture centralisée. Clairement, l’avenir de l’infrastructure monétaire au sens strict,  passe par la disparition des banques et leur remplacement par la banque centrale… qui pourrait faire plus et mieux. Des réalités technologiques nouvelles et les opportunités qu’elles offrent aux acteurs peuvent entraîner une telle disruption. Dans notre exemple, faire en sorte que la circulation de la valeur soit aussi simple et assurée que la circulation des TGV entre Paris et Nice  C’est ce que nous verrons dans la troisième partie du présent papier.

 

 

 

 

 

 


 [JCW1]

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commentaires

L
La disparition des banques aurait comme conséquence la même que le monopole à dans la civilisation humaine.<br /> Dictature, oligarchie et atrocités.
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