Le présent texte constitue une synthèse et un complément de:
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Résumé:
Pouvoir politique et pouvoir financier sont deux forces partiellement englobées dans des signes appelés monnaie. La création monétaire fut historiquement le fait d’institutions progressivement accaparées par les Etats puis contestées par des financiers. Les banques centrales modernes qui vont naitre avec l’épanouissement de l’économie vont exprimer dans leurs missions, l’évolution des rapports de forces entre politique et finance. L’indépendance des banques centrales est une période historique consacrant la victoire de la finance.
Le présent texte propose une explication du mouvement historique des banques centrales. Pourquoi il fallait les créer ? Pourquoi, plus tard, il fallait assurer leur indépendance ? Pourquoi cette indépendance sera fondamentalement mise en cause dans le futur ? Cette explication reposera au préalable sur une analyse du couple Monnaie/Etat, couple dont la dynamique est véritablement porteuse de celle des banques centrales.
La monnaie… avant la monnaie et avant l’Etat.
Il est probable que l’histoire de la monnaie se ramène à celle d’une longue entropie. Née dans la chaleur des communautés holistiques, elle se dégrade lentement depuis l’apparition des Etats pour ne plus exprimer que les seuls liens entre des individus, des liens dont la force serait suffisante pour ne plus exiger la présence d’un souverain. L’Euro, monnaie sans maître, serait ainsi la forme la plus avancée de cette lente dégradation[1].
La monnaie primitive n’est pas la monnaie locale d’aujourd’hui et les liens qui s’y expriment ne sont pas librement choisis comme ils le sont dans cette dernière , liberté de choix qui en fait une sorte de « bien de club ». Ainsi Daniel de Coppet[2] nous explique longuement qu’à l’instar de ce qu’avait découvert Malinovski chez les Trobriandais, la monnaie primitive est chargée d’essence spirituelle. Sa circulation permet « au tout » de fonctionner en reliant les hommes entre eux, qu’ils soient vivants ou morts mais aussi en les reliant à tous les ordres du monde, celui de la terre, de l’eau mais aussi du ciel.
Une première forme de dégradation pourrait correspondre au « paiement du sacrifice » qui ne correspond plus à l’échange traditionnel de dons. Dans le monde primitif, le maintien du crédit des dieux exige la violence sacrificielle, laquelle sera suivie du paiement du sacrificateur, et paiement qui n’est plus suivi de réciprocité à l’instar de l’échange marchand moderne[3]. Une autre forme très comparable est le « paiement du neuf » qui met fin à la violence meurtrière entre groupes pris dans la logique infernale de la vengeance réciproque[4].
Paiement du sacrificateur ou du « neuf » vont dans le même sens, et mettent fin à un système de relations, exactement comme dans les monnaies modernes. Le paiement est –comme aujourd’hui – ce qui met fin à l’engagement et à toute obligation de réciprocité.
Il existe aussi un lien entre sacrificateur travaillant pour le crédit des dieux ou le rétablissement de la paix et mercenaires qui, plus tard, seront payés par l’Etat. Dans les sociétés primitives, le paiement du sacrificateur (mercenaire) est le fait de la communauté et ne concerne que quelques personnes. Plus tard, l’Etat constitué prenant la forme du souverain, assurera le paiement du service de la guerre à un nombre considérable de mercenaires, paiement avec ce qui sera bien davantage – nous le verrons – de la monnaie moderne.
Un couple potentiel mais encore bien séparé : le stade de la monnaie anonyme.
Un certain « désenchantement du monde »[5]interviendra avec les premières civilisations qui introduiront souvent les tyrans et la problématique de l’Etat.
Si les sociétés primitives permettent de parler de paléo- monnaies, les premières civilisations permettent, bizarrement, de parler de « monnaies anonymes »[6]. Dans ce type de monde l’endettement envers les dieux s’est scindé et s’est partiellement muté en endettement envers les princes, ce qui fait naitre le politique et l’Etat et ce qui transforme, au moins partiellement le sacrifice en impôt envers lui.[7] Tout au moins, s’agissant de l’Orient ancien (entre 2500 et 539 AJC), il existe déjà un échange marchand avec des monnaies qui sont davantage que des monnaies locales, car leur espace de circulation est probablement plus vaste, et sont assez probablement réserves de valeur. Mais ces monnaies sont aussi moins que des monnaies locales, en raison de leur caractère beaucoup plus anonyme. Ces monnaies sont en effet composites et faites de métaux divers : or, argent, électrum[8], cuivre, bronze, étain, etc. Mais surtout ce qui est échangé, est souvent des morceaux découpés de métal, et ce sans trace d’une autorité quelconque, et par ailleurs sans trace visible d’une émission organisée. Cela signifie probablement que l’émission était plurielle, au moins au tout début de la période considérée.[9] Donc à priori peu ou pas de traces d’un ordre transcendant divin ou politique imprimant à ces monnaies la matérialisation d’une totalité sociale.
Ce fait, confirmé par toute l’école historique française est assez intrigant lorsque l’on connait la suite de la glorieuse aventure du couple monnaie - Etat. Comme si, l’Etat en formation avec ces premiers représentants, n’avait pas immédiatement pris conscience de tout l’intérêt qu’il y avait à lier son destin à celui de la monnaie. Si l’on tente toutefois de se situer dans les conditions de l’époque, il n’était probablement pas évident de prendre conscience que le contrôle d’un outil qui n’est pas encore construit, pouvait être un apport décisif dans la consolidation de l’Etat.
Pour autant, ces monnaies anonymes vont progressivement se transformer et concourir grandement à l’affermissement du phénomène étatique. Parce que les monnaies anonymes sont réserve de valeur, elles deviennent particulièrement attrayantes pour les pouvoirs dont la reproduction et la survie sont consommatrices d’un objet réserve de valeur. Les guerres entre Etats en formation sont assez naturellement productrices et consommatrices de monnaies anonymes : il faut financer des armées avec d’autres moyens que des monnaies locales ou paléo- monnaies, accaparer des richesses dont la liquidité est la plus grande possible, se préparer – en cas de défaite – à payer sous la forme acceptée par le vainqueur. Tout concoure par conséquent à l’élection progressive de la monnaie anonyme comme objet de pouvoir, objet politique qui est aussi pourtant un objet économique.
Fondation du couple monnaie/ Etat et émergence des paléo banques centrales.
Fonction réserve de valeur et parfaite liquidité progressent encore si l’Etat en formation impose le règlement de tout ou partie des créances qu’il s’octroie- par la violence de son système fiscal- dans la monnaie de son choix. Nous ne sommes plus très loin du cours légal qui va permettre « le circuit du Trésor »[10], c’est-à-dire un système qui va assurer la solvabilité des Etats en formation.
La monnaie anonyme devient ainsi potentiellement monnaie souveraine, qualité qu’elle va acquérir lorsque les princes inscriront sur des rondelles appelées pièces de monnaie des symboles confirmant leur pouvoir politique. Ce sera le cas de Cyrus et de Darius, rois de Lydie au 6ième siècle av.jc.[11]
La monnaie souveraine moderne exprime ainsi une forme de dégradation de la monnaie. Beaucoup moins holistique que celle de la communauté ‘Aré’aré étudiée par Daniel de Coppet, elle est néanmoins fondamentalement hiérarchique et devient manipulable pour celui qui la contrôle.
La monnaie moderne continuera à exprimer le tout de la société, mais le réseau qu’elle va constituer et que l’économiste peut ne lire que sous l’angle du monopole naturel, relève surtout de l’affirmation du pouvoir du prince, pouvoir qui s’exprime dans un espace géographique délimité par des frontières. Le réseau, espace censé minimiser les coûts de transaction, est politiquement défini et s’arrête aux frontières politiques. Et ce n’est pas pour la fluidité des transactions que l’on crée le réseau, mais au contraire pour assurer une meilleure emprise politique sur un espace que l’on aura délimité, espace lui-même modifié par le résultat des guerres avec des souverains voisins. Frontières monétaires et frontières politiques vont ainsi largement se recouper.
Les Etats en formation se consolident en devenant aussi les premiers banquiers centraux. Si le métal frappé est richesse, alors il faudra le fabriquer, ce qui suppose le contrôle de mines de métal et le travail du minerai jusqu’à l’atelier de production des pièces. Mines et Hôtels des monnaies deviennent ainsi les premières banques centrales, des institutions qui ne sont pas séparées du politique et du Trésor correspondant. C’est que le contrôle de la production et de la circulation monétaire apporte un surplus de capacité prédatrice gigantesque pour le politique qui, jusqu’ici, se contentait de ses créances au regard d’une population souvent esclave, ou de prélèvements en nature sur les activités domestiques. L’édification de la monnaie moderne est donc aussi consolidation d’un Etat dans les premiers âges de son histoire. Et ces premières banques centrales que sont les organes du contrôle monétaire ne connaissent pas de division du travail, la monnaie (« nomisma ») est affaire de droit et de loi (« nomos ») laquelle va donner ou retirer la dénomination de l’étalon et le « dokimon » c’est-à-dire le cours légal. Il sera alors plus ou moins aisé de changer la loi[12] et de gagner au change entre ancienne et nouvelle monnaie, ce que verra rapidement le tyran Hipias, fils de Pisistrate. Il sera aussi facile de jouer sur « l’Aloi » c’est-à-dire les contenus métalliques, de jouer sur le poids, sur le titre, mais aussi sur la composition du cocktail de métal de l’électrum, monnaie justement choisie en raison de la difficulté technique à déterminer le contenu métallique.[13] Bien évidemment la frappe elle- même est sujette à prélèvement, taxes de brassage et plus tard de seigneuriage sont les outils classiques de prélèvement, outils auxquels viendront s’ajouter des taxes de change sur les marchands qui s’adonnent à des activités « internationales ».
Le holisme institutionnel, qui fait que l’espace monétaire et l’espace juridique sont juxtaposés, sait toutefois être libéral, et les Etats conquérants peuvent laisser chez les peuples conquis les anciennes monnaies, ce qui entrainait l’émergence d’espaces pluri monétaires souvent hiérarchisés. Les avantages étaient évidemment politiques, les conquis conservant une certaine dose d’autonomie et le sentiment de n’avoir pas trop perdu. Assez rares furent les tentatives d’union monétaire et nous ne savons que fort peu de choses sur leur concrétisation.[14]
L’ordre monétaire est un ordre politique, fondamentalement hiérarchique, et donc constitutif d’une réalité sociale communautaire. Simplement, il faut rappeler que cette monnaie moderne qui fait son irruption au Moyen- Orient et en Chine à peu près à la même époque est déjà une monnaie dégradée. Dégradée parce que les princes vont la manipuler, mais aussi parce que ces mêmes princes sont déjà dans une situation de perte de monopole lorsqu’ils ne frappent plus « leur métal », mais celui dont ils ne sont plus les propriétaires : des marchands propriétaires de lingots peuvent les transformer en pièces dans les hôtels des monnaie, voire leurs propres banques . Parce qu’il existe dans les interstices de la société un ordre marchand plus égalitaire, les princes qui continuent à poser leur marque sur le métal réaffirment l’unité d’une communauté, mais une communauté qui cherche aussi à affaisser l’ordre hiérarchique.
Les Etats voient dans la hiérarchie, en particulier monétaire, la pérennisation de leurs « créances » sur l’ensemble humain qui leur est soumis. Les sujets les plus utilisateurs de monnaie, c’est-à-dire les marchands ou les banquiers, ne voient dans cette hiérarchie qu’une contrainte pratique permettant la circulation des marchandises. Pour les deux partenaires la hiérarchie monétaire est un moyen mais la fin est autre, les uns- les Etats- visent un monde vertical ; les autres, les marchands sont en quête d’horizontalité[15].
C’est cette conjonction des contraires[16] qui va marquer le dé- enchâssement des banques centrales primitives et leur progressive autonomie, voire indépendance.
Querelles de couple et émergence des prés banques centrales.
Une nouvelle dégradation de la monnaie résultera beaucoup plus tard de l’irruption de nouvelles formes monétaires, en particulier la monnaie fiduciaire émise librement par les banques.
La monnaie moderne métallique doit se multiplier pour assurer la puissance des princes, mais aussi celle des marchands soucieux de faire progresser les volumes échangés de marchandises. L’abondance monétaire est donc nécessaire…..mais souvent contrariée en raison de sa fonction « réserve de valeur ». C’est que la monnaie qui doit circuler doit aussi être thésaurisée[17] à des fins d’épargne. Sans banques centrales primitives chargées de nouvelles mines de métal, ou ne pouvant dépasser les limites socialement tolérées de la dilution – l’ancêtre de la planche à billets- Etats et marchands sont bloqués dans leur ascension. Ascension du pouvoir politique d’un côté, ascension du pouvoir économique de l’autre.
En la matière les banquiers éloignés du pouvoir ont mieux réussi que les Etats qui vont souvent se heurter au mur de la dette publique et à ses tentatives catastrophiques de contournement par ces nouveaux moyens de dilution que fut le papier.
L’un de ces contournements est la création de substituts de mines de métal ou de pré banques centrales dont le modèle fut peut - être le système de Law dans la France de la Régence. Quand la Banque générale, fondée en 1715, devient nationalisée pour devenir Banque Royale titulaire de privilèges considérables et qu’elle se met à émettre massivement des billets d’Etat pour payer les créanciers de la monarchie, elle devient de fait un institut d’émission, un prêteur en dernier ressort. Curieusement cet institut d’émission qui permet de régler les dettes et que le Trésor accepte en paiement des créances pour maintenir son « circuit » se trouve fortement contesté par les banquiers privés qui voient dans cette institution une concurrence inacceptable pour leur débutante et encore timide émission monétaire.[18]
C’est que pour de nombreux banquiers, la marche vers l’horizontalité et l’indépendance vis-à-vis des Etats passe par l’émission monétaire privée. Commencée avec l’invention au moyen –âge de la lettre de change, elle se poursuit dans les banques de « villes –Etats » comme Venise et plus tard dans celles de l’Europe du Nord dans le cadre de ce qui est déjà un système à réserves fractionnaires.
Une question difficile est celle du passage à ce dernier système alors même que dans la tradition, et ce depuis la fondation des Etats, le principe du 100% de réserves était scrupuleusement respecté, et surtout imposé dans le « corpus juris civilis ». Les ultra-libéraux traitent rapidement cette question en postulant que les réserves fractionnaires se sont imposées sur la base d’un accord mutuellement avantageux entre Etats et banquiers. les seconds devenant l’équivalent des vieux Etats capables eux- aussi d’émettre de la monnaie et de bénéficier d’un seigneuriage qui sera tout simplement le taux de l’intérêt, toujours interdit, mais de fait de plus en plus toléré. Et les Etats seraient eux- aussi gagnants, car en concédant ou partageant leur privilège de battre monnaie, ils seraient payés de retour par l’achat par les banquiers de dette publique à partir des dépôts bancaires. [19]
Il est difficile de trouver dans l’histoire les traces d’un tel accord, mais il est toutefois exact qu’une collaboration va se créer entre les tenants de la verticalité (le politique) et ceux qui recherchent l’horizontalité (la finance).
Cohabitation raisonnable et naissance de la Banque centrale moderne
La loi d’airain de la monnaie continuant de sévir en raison du développement du capitalisme, il viendra immanquablement un temps où les Etats et les banquiers chercheront à renouveler sur une base élargie l’accord antérieur.
Les émissions monétaires privées doivent revenir sur un principe de centralité et les Etats ont intérêt à définir eux- mêmes la dénomination et le cours légal d’une monnaie dont ils acceptent l’utilisation au titre du règlement de leurs créances, notamment fiscales. Ils ont aussi intérêt, sans doute après de nombreuses expériences malheureuses,[20] à émettre de la monnaie au même titre que les banquiers. Ils ont même intérêt à donner un monopole d’émission à une structure qu’ils peuvent créer, et bénéficier directement d’une part de marché croissante dans la création monétaire. C’est ce que fera Bonaparte avec la création de la Banque de France dont il sera lui-même actionnaire, et à laquelle il donnera un monopole régional d’émission de billets. Un tel monopole permettrait aux Etats de retrouver l’abondance financière et cette fois de façon quasi illimitée[21].
Mais, simultanément, les banquiers engagés dans le système des réserves fractionnaires, ont intérêt à fixer un point d’ancrage solide à leurs activités de création non planifiées et donc possiblement désordonnées. En particulier, avec le développement du capitalisme, doit se développer un nécessaire marché du crédit inter bancaire, non dépourvu de risques au cas où une banque en viendrait en raison d’émissions excessives à faire faillite. Bref, il faudrait mettre en place un système assurantiel. Système assurantiel en monnaie légale, que les Etats peuvent fournir par le biais de l’institut d’émission qu’eux-mêmes souhaitent mettre en place.
La banque centrale moderne couplée à la monnaie non métallique moderne doit logiquement voir le jour. Ce sera chose faite entre la fin du XVII siècle et le vingtième[22].
Il s’agit d’un compromis entre verticalité (les Etats) et horizontalité (les banquiers).
En étendant le monopole de l’émission étatique – la monnaie légale- sur l’ensemble du territoire du souverain et en acceptant la transformation de la monnaie de banque en monnaie légale, les Etats se donnent les moyens d’un circuit du Trésor bien alimenté par ce qui va aussi devenir la possible planche à billets. En retour, la Banque jouissant du monopole de l’émission de monnaie légale, garantit la bonne circulation et la bonne transformation de toutes les monnaies de banques entre elles, et de toutes les monnaies de banques en monnaie légale. La banque ainsi appelée Banque centrale sert de point d’appui à une possible double émission monétaire : le système des réserves fractionnaires et son fameux multiplicateur du crédit d’une part, et l’émission de monnaie légale au profit du Trésor, d’autre part. Il s’agit bien d’un accord mutuellement avantageux. Les banquiers peuvent potentiellement augmenter considérablement leurs profits en bénéficiant d’effets de levier que l’on ne trouvera dans aucune autre branche d’activité. En retour, les Etats sont beaucoup moins contraints par la question de la dette et ne limitent la planche à billets, que sous la pression de la possible baisse de la valeur externe de la monnaie souveraine.
Le compromis entre horizontalité et verticalité pourra se lire jusque dans le fonctionnement concret des Banques centrales, lequel va souvent apparaitre comme mi- privé mi- public alors même que le statut juridique est soit, au choix pourrions-nous dire, complètement privé – cas américain par exemple- ou complètement public – cas français. De fait, il s’agira toujours d’une collaboration. Alors que la Banque centrale dispose de prérogatives de puissance publique et qu’à ce titre elle se trouve soumise à l’Etat, elle peut en effet être complètement privée et parfois émerge sur la base des exigences des banquiers. Ainsi la FED est fondée en 1913 sur la base de la volonté des Morgan et des Rockefeller et se trouve être une association de banquiers privés.
Le compromis est bien sûr instable et se trouve aussi fortement orienté par les valeurs et cultures des peuples dans lesquelles baignent ces banques centrales modernes. La verticalité peut se faire implacable à certains moments, notamment au cours des deux guerres mondiales. Sans revenir juridiquement sur l’autorisation des réserves fractionnaires, il est possible pour l’Etat en guerre,[23]d’envisager une législation d’exception : achats obligatoires de bons du Trésor, planchers de titres publics etc. De fait, la mise en place de banques centrales peut, selon les circonstances et les histoires nationales, se faire beaucoup plus qu’un simple dispositif assurantiel pour les banques et devenir un outil de « répression financière », selon l’expression souvent consacrée au cours de la longue période qui précède le mouvement vers l’indépendance des banques centrales.
L’écrasement de la verticalité et la naissance de la banque centrale indépendante.
Si la verticalité peut se faire implacable en raison des circonstances précédemment exposées, elle peut à d’autres moments et en d’autres circonstances se trouver phagocytée par l’horizontalité. L’accord politico- financier faisant émerger les banques centrales pose en effet le problème du partage des gains à l’échange[24].
Dans le cas des périodes de guerres mondiales, les Etats ont pu imposer avec leurs banques centrales une totale répression financière, ces dernières ne fonctionnant qu’à leur seul profit.
En revanche dans la phase présente dite de mondialisation, il est des forces qui feront que les gains à l’échange seront totalement absorbés par les banquiers, voire même en viendront à pénaliser les Etats. Ces forces sont celles qui vont porter au plus haut niveau possible l’indépendance des banques centrales.
Il est inutile de rappeler le contexte général de contestation du corpus théorique dominant , clairement la théorie keynésienne, qui va débuter à la fin des années 60 et au début des années 70. Le nouveau cadre, sans doute hétérogène et qui va des nouveaux classiques aux ultra-libéraux, est d’abord celui de la contestation de l’Etat dans les prérogatives économiques qu’il s’était octroyé dans la période antérieure.
Cette contestation ne concerne pas uniquement la souveraineté sur la monnaie et débute par l’émergence massive d’autorités administratives dites « indépendantes » chargées d’assurer la régulation d’un secteur. Le terme de régulation étant employé pour Co- contrôler une activité dans le cadre d’un partenariat que l’on peut qualifier de « politico- économique » avec, de fait, une répartition des pouvoirs allant parfois jusqu’à l’abandon des outils de la contrainte publique. Ces autorités encore peu nombreuses en France – environ une quarantaine – le seront bien davantage dans un pays comme l’Allemagne où une tradition ordo- libérale est installée.
Dans ce contexte, les banques centrales qui s’étaient dans nombre de pays affranchies
de la loi d’airain de la monnaie vont être critiquées dans leur fonctionnement par les nouveaux paradigmes économiques : monétarisme, anticipations rationnelles, etc. Le tout débouchant sur la contestation organisationnelle de banques centrales dont l’indépendance souvent proclamée laissait toutefois assez peu de place à l’autorité des gouverneurs[25]. La stagflation des années 70 fera des banques centrales des boucs émissaires et une profusion de travaux théoriques et économétriques viendront recommander l’indépendance complète, et, au-delà, la surveillance de gouverneurs dont il faudrait vérifier leur forte aversion pour l’inflation. Il serait impossible dans le cadre d’un article aux ambitions plus vastes d’évoquer l’intégralité de ces travaux et bornons nous à citer les auteurs les plus connus : Sargent, Wallace, Alesima, Summers, Grill, Masciandaro, Tabellini, Kydland, Prescott, Barro, Gordon, Rogoff, Blinder, Walsh, Taylor.
Le résultat essentiel de la marche vers l’indépendance fut le passage du « mode hiérarchique » au « mode marché » de gestion de la dette publique. En utilisant le langage du célèbre article de Coase[26], les Etats sont passés du « make » au « buy ». Ils ne peuvent plus fabriquer la monnaie dont ils ont besoin et se mettent à emprunter sur les marchés. Les banques centrales peuvent alimenter voire doper le multiplicateur du crédit autorisé par le système des réserves fractionnaires, mais ne peuvent plus prêter aux Etats.
Les conséquences de la séparation radicale entre banques centrales devenues indépendantes et Trésors, ont déjà été développées[27]. Rappelons-les brièvement.
Il y a tout d’abord privatisation de la planche à billets et l’effet d’éviction - contrairement à des propos infondés - peut être mis aux oubliettes puisque les financements des déficits ne sont pas accaparement d’une épargne. Ainsi les déficits publics viennent alimenter des comptes bancaires que l’on trouve au passif des banques en contre partie des titres publics que l’on trouve à l’actif.
Il y a ensuite mécaniquement un passage de l’inflation à la dette avec la conséquence très mécanique que les actifs financiers cessent de se dévaloriser, peuvent par conséquent se multiplier et venir alourdir considérablement le bilan des banques qui, en contrepartie, pourront jouer sur des effets de levier en continuelle croissance[28]. Nous avons là la tendance à la financiarisation de l’économie alors que l’inflation précédente favorisait les placements dans l’économie réelle. La répression financière possible dans l’ancien modèle de banque centrale faisait que le commerce des promesses était muselé, il pourra désormais exploser.
Il y a surtout le fait que, désormais, une rente sur effets publics qui- plus tard- viendra possiblement attaquer les compartiments « Etats-providence » des Etats avec début d’un accroissement des inégalités aussi favorisée par la mondialisation.
Nous pourrions longuement évoquer les conséquences de l’indépendance, conséquences que nous avons présentées, dans l’ouvrage déjà cité comme nouveau logiciel exprimant un nouvel état du monde.
Au terme de ce premier examen tentant d’expliquer la naissance, le développement et les métamorphoses des banques centrales, il est possible de proposer une définition permettant de saisir l’essence de cette réalité changeante au cours d’une très longue histoire :
« Les banques centrales sont des institutions logées dans l’interface entre pouvoir financier et pouvoir politique et chargées d’exprimer le rapport de forces entre les deux par des actions concernant la circulation monétaire, la monnaie elle-même et la dette. La position relative des deux pouvoirs : absorption plus ou moins complète de l’un par l’autre, séparation / opposition radicale, coopération mutuellement avantageuse, servitude volontaire, etc., est la source ultime de la compréhension des faits monétaires et un outil indispensable pour connaitre les états des rapports économiques, politiques et sociaux dans le monde. Connaitre les règles de fonctionnement des banques centrales c’est ainsi s’ouvrir sur la connaissance du logiciel qui dit des choses essentielles sur une société concrète ».
L’indépendance des banques centrales aujourd’hui est donc l’expression d’un rapport de force très favorable au pouvoir financier, l’horizontalité étant grandement victorieuse dans sa lutte contre la verticalité. Pour autant, il est possible d’affiner l’analyse et la victoire de la finance n’est pas la même partout. Il est ainsi évident que la Banque Centrale allemande ne fonctionne pas selon les mêmes règles et pourrions-nous dire, croyances, que la Banque centrale américaine. C’est que les nouvelles banques centrales, même d’une certaine façon normalisées dans le grand bain de la mondialisation, restent enracinées dans des cadres culturels, voire idéologiques, qui sont très largement restés nationaux.
A ce titre nous voudrions montrer que ces cadres joueront probablement un très grand rôle dans les métamorphoses futures des banques centrales.
L’Introduction de paradigmes culturels dans le fonctionnement des Banques centrales indépendantes.
Le choix du modèle allemand de banque centrale qui s’est partout imposé à la fin du siècle dernier, fut facilité par la commune croyance en un nécessaire devoir de lutte contre l’inflation. Cette dernière très importante dans les années 70 était attribuée aux largesses de la politique monétaire que – selon la théologie monétariste de l’époque - les Etats pratiquaient sans modération. De ce point de vue, le dessaisissement radical de la gestion monétaire au profit d’une banque centrale indépendante, organisme simplement soumis au maintien de la valeur de la monnaie, est apparu comme modèle et modèle dont nous venons d’expliquer les principes de fonctionnement.
Aujourd’hui, les difficultés d’une mondialisation intimement liée aux causes profondes de la crise en termes réels[29], questionnent le bel unanimisme. Mais surtout, la guerre des monnaies qui semble s’amplifier, passe par l’examen des racines culturelles nationales, paramètre oublié au moment du grand basculement vers l’indépendance.
Dans ce grand mouvement, les racines culturelles - ou « l’atmosphère sociale » au sens de Marc Bloch - furent mises à l’écart des raisonnements économiques. Sans entrer dans la complexité des cultures, il semble que les racines en question, concernent au moins trois grandes conceptions de la liberté : l’anglo-saxonne, la française et, peut- être plus intermédiaire mais néanmoins fondamentale, la conception allemande.
Les deux premières sont assez radicales et très radicalement opposées.
L’anglo-saxonne fait de la liberté une dépendance de la propriété qui, selon la loi naturelle de Locke, est elle-même un bouclier au regard des agissements d’autrui. Je ne suis libre que si je dispose de droits de propriété eux-mêmes négociables sans restriction sur un marché. On comprend, par conséquent, que l’idée de société n’est pas centrale, cette dernière s’analysant d’abord sous la forme d’une somme d’individus dont il faut simplement protéger les droits de propriété. Cela signifie la centralité d’un marché où l’interaction sociale génère des situations concrètes -des résultats économiques- censées justes si les règles de la justice procédurale au sens de Nozick sont respectées[30]. Clairement, cela signifie qu’un Etat ne saurait intervenir dans l’interaction sociale au nom d’un intérêt général, intérêt qui ne peut exister que sous la forme d’une croyance ou « production idéologique » d’importance secondaire. De fait, pour un anglo-saxon, l’intérêt général se ramène à la liberté qui, elle-même,autorise le « rêve américain ».
La conception française est fort différente et la liberté ne passe pas par le bouclier de la propriété, laquelle ne jouit pas d’une importance première malgré les soins que la Révolution et les libéraux du XIXème désiraient lui prodiguer. Perte de prééminence qui a pour corollaire, une place assez secondaire réservée à un marché devenu souvent objet de méfiance. Qualité bien analysée par Jean Pierre Dupuy dans son récent texte: "La France et le marché: les sources philosophiques d'une incomatibilité d'humeur". Ce qui compte en France est bien davantage la position jugée honorable de chacun dans la société, laquelle est sans doute faite d’individus, mais des individus qui se regardent et observent, avec attention toute particulière, leur position relative sur l’ensemble de l’échiquier social[31]. Cette caractéristique va jusqu’à s’inscrire dans l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen laquelle précise que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Dans la conception française, la « justice résultat »[32] au sens de Nozick compte beaucoup et correspond à l’idée d’un intérêt général. En revanche, la justice procédurale est assez secondaire et correspond aux conséquences d’une position non centrale accordée à la propriété.
La conception allemande est, de fait, une position intermédiaire, assez complexe, qui tente un dépassement des deux premières. C’est, précisément, ce dépassement théorisé à partir de Kant et plus tard par les théoriciens de l’ordo libéralisme ( W. Eucken, W. Röpke , F. Böhm, etc.)[33] qui fera de la liberté une réalité qui ne peut s’épanouir que dans une certaine soumission à la société, soumission valorisée sur la base d’une égale participation aux décisions communes. Il y a du holisme dans la tradition allemande, un holisme qui lui-même provient d’un romantisme construit sur le rejet de la Révolution française. Mais le holisme est contrebalancé par une méfiance au regard d’un Etat que l’histoire condamne non pas en tant qu’Etat fort, mais en tant qu’Etat incapable d’assurer la commune liberté. Bizarrement, l’Etat doit être fort pour assurer sa mission de neutralité et de construction d’un intérêt général.
La liberté allemande passe par la propriété, davantage que dans la loi française et moins que dans la loi américaine. Elle passe aussi par le respect des droits individuels moins que dans la société américaine et davantage que dans la société française. Tout cela conduit à un ordre du marché, peut-être moins échevelé que l’américain mais sans doute plus libéral que l’ordre du marché français.
Ordo libéralisme allemand et indépendance radicale de la Banque centrale
Il se trouve que cette représentation du monde fut aussi théorisée pour justifier l’ordre économique et monétaire en Allemagne, et justification non exempte d’ambiguïtés, qui aboutira à la conception allemande de la banque centrale.[34]
L’ordo libéralisme allemand, sous-produit d’une histoire pluri- séculaire, n’est pas facilement compréhensible. Son point de départ est à priori proche de celui des libéraux qui considèrent que l’interaction sociale se doit d’être le fait d’individus responsables de leurs choix. Pour autant, proches de « l’ordre spontané » Hayékien[35], les auteurs de l’école de Fribourg considèrent que le marché génère aussi des situations de monopole et des rentes incompatibles avec un intérêt général.
Il existe donc un intérêt général qui, toutefois, n’est pas « l’optimum » que l’on rencontre dans la théorie néoclassique, laquelle ouvre la voie à la présence d’un Etat parfois chargé d’y conduire. A l’inverse, l’Etat pouvant lui-même introduire des inégalités, les théoriciens préfèrent parler d’une Constitution de l’économie, c’est-à-dire un ensemble de règles analogues à celle des Constitutions politiques, règles qui s’imposeront à l’Etat comme s’impose à lui la norme juridique la plus élevée.
On peut évidemment douter de l’émergence de règles encadrant aussi bien les choix individuels que les choix politiques et règles censées générer un intérêt général qui ne fait pas l’objet d’une définition précise[36]. Et ce doute est bien évidemment renforcé par la présentation de l’essence des Banques centrales que nous venons d’identifier. Par contre, dans la conception, voire dans l’idéologie allemande, il importe de voir que la Constitution de l’économie, intègre une composante monétaire dont la réalité est de créer un ordre qui, là aussi, dépasse et encadre les choix individuels et politiques.
Bien évidemment, la vision de la monnaie ne peut qu’être normative et les théoriciens de l’ordo libéralisme, ne cherchent pas à produire une définition de la monnaie ou des banques centrales au travers d’une démarche cognitive. Et donc, la monnaie issue d’un projet complètement normatif, devra être sanctuarisée et ne pourra faire l’objet d’aucune manipulation privée ou publique. Sans doute est- elle juridiquement définie, donc définie par l’Etat au sens du néo chartalisme, mais elle est indépendante des pouvoirs politiques, comme l’ensemble du corpus juridique qui, constitutionnellement, s’impose à l’Etat lui-même. De la même façon que l’Etat est le serviteur des règles juridiques qu’il impose et à ce titre se doit de respecter l’indépendance de la justice, il doit aussi respecter la monnaie dont il assure la définition et le cadre de fonctionnement, en s’interdisant de l’utiliser à son profit sous la forme d’un crédit. Nous retrouvons ici la subtilité allemande d’Etat suffisamment fort pour ne pas tomber dans les facilités.
Si donc, la sanctuarisation passe par une banque centrale chargée de contrôler la création monétaire classique par des banques insérées dans le marché du crédit, l’Etat ne saurait lui-même être « consommateur » de sa propre monnaie sous la forme d’un emprunt auprès de la banque centrale[37]. Etat et banque centrale ne peuvent que vivre séparément, ce qui va conférer à la dite banque une indépendance, avec toutefois comme objectif constitutionnel de bien respecter la sanctuarisation : la monnaie doit être l’instrument de la stabilité des valeurs et donc la banque centrale aura pour objectif constitutionnel de lutter contre toute dérive inflationniste.
Cet aboutissement de la pensée ordo- libérale n’est pas exempt d’ambiguïtés et d’imprécisions et rien ne vient démontrer que « l’économie sociale de marché » qui va concrètement en résulter, est l’outil interdisant l’apparition de rentes que la théorie, encore une fois très normative, voulait combattre. Ainsi la stabilité monétaire est sans doute favorable à l’émergence d’une classe de rentiers dont les intérêts entrent en contradiction avec les groupes exportateurs, voire les salariés. Et c’est bien la rente financière qui va devoir être intégrée dans la gestion planétaire de la grande crise. Encore une fois la répression financière imposée à l’Etat - interdiction d’une rente monétaire pour ce dernier - peut devenir liberté d’épanouissement pour les rentiers privés.
Gestion de la grande crise et contestation planétaire du paradigme allemand de Banque centrale.
La fin du siècle dernier qui voit le grand mouvement d’indépendance des banques centrales, correspond de fait à la victoire du paradigme culturel allemand[38], paradigme qui ne correspond pas exactement, ni au paradigme anglo-saxon ni au paradigme français. Et la gestion de la présente grande crise a pour effet très visible de faire réapparaitre, au-delà de la fiction d’une norme devenue mondiale, les différences culturelles concernant la façon de concevoir la liberté.
C’est le monétarisme américain[39] qui a aidé l’ordo- libéralisme allemand à dessiner les contours des banques centrales du monde à la fin du siècle dernier. Et, à l’époque, la grande peur de l’inflation a fait des Etats les grands boucs émissaires. Dans ce vaste mouvement, les différences culturelles fondamentales furent oubliées. La grande crise les fait réapparaitre et cette fois possiblement au détriment de l’Allemagne qui devra choisir entre la fin de son ordo libéralisme et sa sortie de la zone euro.
Les banques centrales anglo-saxonnes, au beau milieu de la grande crise, ne sont pas soumises à la normativité ordo libérale. Liberté, propriété et marché ne connaissent pas de limite venant les surplomber. Que le marché dans son fonctionnement débouche sur des situations de monopole et de rente ne gêne que si des droits fondamentaux ne sont pas respectés. Sans doute la hausse des prix est-elle une variable importante, mais la monnaie n’est en aucune façon sanctuarisable. Et comme le tout marché l’emporte dans la genèse du ciment social, la vraie contrainte est davantage un niveau d’emploi compatible avec la cohérence sociale. Les gestionnaires de la banque centrale américaine ne peuvent ainsi se couvrir des habits de l’ordo- libéralisme et doivent ajouter une dimension croissance et emploi à leur feuille de route[40]. L’intérêt général se ramenant pour l’essentiel au « rêve américain », la création monétaire massive n’est pas rejetée si elle a pour vertu de maintenir le rêve. Ajoutons que s’agissant des USA, aucune contrainte monétaire extérieure ne s’impose, ce qui signifie une grande liberté dans la création de monnaie. Liberté aujourd’hui complètement assumée pour tenter d’éteindre l’incendie de la crise[41].
La banque centrale française est bien évidemment plongée dans le système européen de banques centrales et, de ce point de vue, l’Etat qui lui correspond, sera de plus en plus tenté de cesser l’aventure ordo libérale. Les rentiers ont massivement profité de ce qu’on a appelé la fin de la « répression financière », mais, parce que dans la tradition française la liberté ne se réduit pas à la propriété et au marché, c’est dans ce dernier pays que la rente financière prend les risques les plus importants, d’où l’attachement considérable des milieux qui en profitent à ce qu’on appelle le « couple franco-allemand ». La banque de France, devenue objet étranger dans son propre pays, sera de plus en plus soumise à de très fortes contraintes impulsées par la crise et la tradition culturelle française.
Mais l’Allemagne elle-même, sera contrariée dans sa tradition culturelle. Déjà le comportement de la BCE n’est plus en accord avec la grande tradition ordo-libérale[42]. Alors que, naguère, la banque centrale, qu’elle soit européenne ou simplement allemande, se devait d’être l’équivalent d’une cour suprême ou d’un conseil constitutionnel veillant à la sanctuarisation de la monnaie - exactement comme le principe d’indépendance de la justice et de respect du droit - la BCE est devenue dépendante d’intérêts privés et publics : le système bancaire européen devenu massivement insolvable, qu’il faut aider, et les Etats européens eux-aussi insolvables et qu’il faut, au moins de manière détournée, aussi aider.
C’est dire que l’impérium allemand s’est réduit au strict territoire national, territoire lui-même contesté puisqu’il a bien fallu au travers de péripéties fort multiples en arriver à ce que le contribuable allemand soit sollicité pour financer, banques et Etats européens impécunieux[43]. La seule résistance de l’ordo- libéralisme traditionnel n’étant que celle offerte par la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe.
Les racines culturelles allemandes, très gravement perturbées par la crise de l’euro et en même temps solidement confirmées par l’histoire récente du pays peuvent inviter ce dernier à quitter la zone euro. Départ qui, dans un contexte de crise mondiale, peut favoriser la fin de l’idéologie de l’indépendance des banques centrales.
L’avenir ou la possible fin de l’indépendance des banques centrales
Une partie de cet avenir est probablement dictée par la naissance en Allemagne d’un fort intérêt commun entre l’immense et croissante cohorte des retraités, d’une part, et le lobby des industriels eux- mêmes fortement exportateurs, d’autre part. Cet intérêt commun en formation passera par la possible décision allemande de quitter la zone euro devenue potentiellement ruineuse des intérêts nationaux. Proposition qu’il convient d’expliciter.
S’agissant de la cohorte des retraités, celle-ci est gravement contrainte par une falaise démographique de très grande ampleur et à nulle autre pareille dans la zone euro. Les retraites par répartition qui constituent 65% des revenus du groupe considéré sont calculées à partir d’un système de points incluant le paramètre démographique, c’est-à-dire la proportion des actifs dans la population totale. La valeur du point diminue régulièrement avec le gonflement de la pyramide des âges aux tranches les plus élevées, et son amincissement pour les tranches les plus basses. Ce dispositif règlementaire introduit un auto- équilibrage entre prestations et cotisations, mais développe une tendance très lourde à la diminution des pensions qui, elles- mêmes, ne sont en aucune façon indexées sur les prix. Comme le précise un rapport de L’IFRI, si démographiquement la France vieillit, l’Allemagne se fossilise.[44]
Cette situation démographique, historiquement exceptionnelle, est peu compatible avec une crise de l’euro générant elle- même le souhait d’une intégration européenne plus complète. Les retraités allemands ne peuvent accepter d’alourdir leur Etat d’une fiscalité européenne nourrissant les transferts dont les pays du sud ont besoin[45]. Ces mêmes retraités, déjà assurés d’une perte de revenu en raison de la falaise démographique et ne bénéficiant d’aucune indexation de revenu sur les prix courants, ne peuvent non plus accepter les risques réels ou supposés d’une inflation européenne alimentée par le laxisme de la BCE. Cela signifie que dans ce contexte démographique historique, les retraités allemands doivent plutôt logiquement préférer le départ de l’Allemagne et le rétablissement de la monnaie nationale. La montée du taux de change qui en résulterait, dans l’hypothèse d’une neutralité de ses effets sur la « Riester rente »[46], garantirait au moins la stabilité des prix voire même une baisse limitant la baisse du pouvoir d’achat de leurs revenus.
S’agissant maintenant du lobby des exportateurs, les avantages procurés par l’euro sont aujourd’hui grandement absorbés et les coûts pourraient maintenant se développer. Certes, l’euro a procuré et procure encore un taux de change favorable aux exportateurs, et ce en raison des problèmes du sud de l’Europe. Toutefois, après avoir considérablement bénéficié de l’impossible dévaluation des partenaires de la zone, le lobby exportateur désormais gêné par la crise européenne, s’est considérablement redéployé vers les pays émergents. La quasi stabilité de l’excédent commercial depuis 5 ans (environ 190 milliards d’euros) masque une réorientation spectaculaire des ventes vers les marchés extra-européens. Cet excédent qui était aux deux tiers alimenté par l’union européenne en 2007, est aujourd’hui généré aux trois quarts en dehors. Depuis le début de la crise, l’excédent allemand sur l’union européenne a diminué de près de 80 milliards d’euros, et a progressé de plus de 70 milliards hors zone euro. Le lobby exportateur a construit ou développé sa force compétitive au cours des premières années de vie de l’euro. Désormais massivement consolidée, y compris dans sa dimension hors coût, il l’utilise dans sa conquête des marchés émergents.
L’intérêt du groupe des exportateurs aujourd’hui très puissant[47], est beaucoup moins lié à l’euro qu’il ne l’était au début des années 2000. Pour ce groupe, comme pour l’immense cohorte des retraités, le danger du passage au fédéralisme européen est fait de nouveaux prélèvements publics obligatoires. Par contre, la fin de l’euro, a priori défavorable, serait néanmoins compensée par le recours accru au made « by Germany », lui-même résultant d’un nouveau taux de change favorable. Parce que l’Allemagne devient une base d’exportation, elle pourrait en quittant la zone, mieux se servir de sa plateforme européenne en consommations intermédiaires plus compétitives, résultant de taux de change très favorables. Il existe une seconde raison à la consolidation d’une plateforme européenne permettant aux industriels de mieux asseoir leur compétitivité vis-à-vis des marchés émergents : il s’agit là encore de la falaise démographique qui diminue déjà, depuis plusieurs années, l’importance de la population active sur le territoire allemand[48]. Le groupe des exportateurs voit ainsi son intérêt rejoindre celui des retraités. Moment historique assez exceptionnel où les intérêts de la rente et ceux de l’industrie se rejoignent[49].
Ce scénario d’une possible sortie de l’Allemagne est simultanément, confirmation et contestation, du modèle de banque centrale indépendante.
Confirmation de l’ordo-libéralisme pour l’Allemagne qui restaurerait son paradigme culturel menacé. Mais aussi contestation au moins pour l’ensemble des banques centrales européennes, qui soit de façon harmonisée, soit en mode panique, n’auraient plus à respecter des textes, voire des institutions devenues obsolètes. Le coût du changement de la règle, va devenir politiquement léger car l’indépendance des banques centrales va devenir un handicap majeur dans la gestion de la crise. Ainsi l’ensemble des banques centrales européennes libérées du joug de la règle allemande, iraient immédiatement rejoindre le groupe mondialisé des banques centrales qui ont décidé de donner de l’avenir à ce qu’on ne pourra plus appeler « mesures non conventionnelles ».Il en résulterait bien sûr une aggravation de la guerre des monnaies avec rétablissement de la verticalité, puisque les Etats eux-mêmes auraient à gérer des taux de change agressifs.
Il est bien difficile de préciser les contours de banques centrales qui continueraient à se déclarer, et être déclarées indépendantes, tout en n’y étant plus.
Ce qui est toutefois assuré, c’est que la guerre des monnaies étant la repolitisation des taux de change, La politique monétaire cesserait, d’une façon ou d’une autre, d’être privatisée au service des banques. En la matière, la solution la plus hardie, et qui serait probablement la meilleure pour éviter que l’abondance de liquidités débouche sur de nouvelles bulles, serait un accord international visant l’interdiction des réserves fractionnaires, et le rétablissement complet de la souveraineté monétaire. Cela signifierait la création monétaire par les banques centrales sur ordre des Etats correspondants.
Le dispositif pourrait en être le suivant :
Le parlement vote chaque année le volume de monnaie supplémentaire, monnaie légale venant abonder le compte du Trésor.
Le mode marché de gestion de la dette publique disparaissant, la monnaie légale créée est partagée en deux blocs : une partie vient financer à taux zéro les investissements publics[50], tandis que l’autre partie est vendue aux enchères au système bancaire. Les Etats n’ont ainsi plus à payer la rareté monétaire, mais au contraire à en bénéficier sous la forme d’un intérêt payé par le système bancaire.
Le crédit à l’économie réelle privée, est ainsi assuré par les banques acheteuse de monnaie centrale distribuée par l’Etat, et l’épargne privée. Bien évidemment, la nouvelle banque centrale reste responsable du bon fonctionnement du système bancaire. Elle intervient à ce titre sur le marché des changes, pour maintenir des taux redevenus fixes et taux renégociés périodiquement entre les Etats, aux seules fin de maintenir des comptes courants équilibrés. On pourrait bien sûr présenter la nouvelle architecture d’un système politico-financier entièrement nouveau, celle-ci dépassant toutefois le cadre d’un article uniquement consacré aux banques centrales[51].
Pour terminer ce « regard sur les banques centrales » il faut préciser que cet avenir possible de changement des règles du jeu, est aussi le début d’une solution à la grande crise planétaire qui reste fondamentalement une demande globale mondiale insuffisante au regard de l’offre globale mondiale correspondante. Le développement gigantesque du système financier depuis le début du siècle, avec l’économie de la dette qui lui correspond est intervenu pour gommer artificiellement un écart. Dettes privées et dettes publiques furent les bienvenues pour gonfler une demande inadaptée, et la hisser à un niveau suffisant pour assurer l’écoulement d’une offre plus importante[52]. La fin de l’indépendance des banques centrales sera aussi le rétablissement du pouvoir d’Etats invités à reconstruire une toute autre mondialisation.
Bibliographie
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[1] Les monnaies virtuelles naissantes (« Bitcoin », « Solidcoin », « Litecoin », « BBQcoin », etc.) plus anonymes encore, et échappant à toute forme de régulation, participent sans doute à ce grand mouvement de dégradation.
[2]« 1,4,8,9,7. La monnaie : présence des morts et mesure du temps » , L’homme Volume 10 , 1970 , N°1. P17-39.
[3] Cf. l’ouvrage : « La violence de la monnaie » de M. Aglietta et A. Orléan , PUF, 1984.
[4] Là aussi on pourra se référer aux travaux de Daniel de Coppet. De fait, la logique de la vengeance meurtrière s’arrête avec le sacrifice par un mercenaire de l’un des membres du groupe meurtrier, membre dont la dépouille est remise au groupe victime contre des perles qui vont arrêter le déchainement de la violence.
[5]Expression attribuée à Max Weber mais très utilisée et reprise dans les travaux du philosophe Marcel Gauchet.
[6]Expression de Georges le Rider dans son ouvrage : « La naissance de la monnaie. Pratiques monétaires de l’Orient ancien », PUF, 2001.
[7]Concernant la nature de l’Etat et son irruption dans la scène humaine on pourra voir : http://www.lacrisedesannees2010.com. En particulier on pourra consulter l’article : « Pour mieux comprendre la crise, déchiffrer l’essence de l’Etat ».
[8]L’électrum est un mélange fabriqué ou parfois naturel d’or et d’argent.
[9] Il existe parfois des traces d’ordre légal ou politique. Ainsi le paragraphe 108 des lois d’Hammourabi (1792-1750 révèle la présence de bureaux des poids, et l’existence de vérificateurs. Nous avons aussi des traces de contrats marchands stipulant que le paiement devait se faire avec du métal marqué d’un sceau.
[10]Expression que l’on doit à François Block Lainé directeur du Trésor après la seconde guerre mondiale.
[11] Sur les premières pièces les symboles pourront encore concerner la religion, voire une nature symbolisée. Plus tard les princes viendront se substituer aux Dieux de manière beaucoup plus directe.
[12] Ce qui était « dokimon » devient alors « adokimon ».
[13] Le travail de « cémentation » correspondait au travail de séparation de l’or de l’argent.
[14] Ce fut le cas de la première confédération de Délos qui dans les années 440 va voir la promulgation d’un décret imposant la monnaie athénienne à toutes les cités confédérées avec fermeture des monnayages locaux. Comme si l’Euro était la monnaie d’un Etat que ce dernier impose à tous les autres de l’Union Européenne.
[15]Problématique qui exprimée différemment, en ayant notamment recours au « Traité de la première invention des monnaies » de Nicolas Oresme, est très bien analysée par André Orléan. Cf. son article : http://www.parisschoolofeconomics.com/orlean-andre/depot/publi/Coppet.pdf
[16] Louis Dumont parlait « d’englobement des contraires » dans ses « Essais sur l’individualisme », Seuil, 1991.
[17] Ce que nous appelons « la loi d’airain des monnaies ». Cf. l’article de Jean Claude Werrebrouck dans le N°34 de Médium, Janvier-février-mars 2013, P 101- 119.
[18] Cf. « Le mercantilisme au XVII ième siècle. Les banques et les billets de monnaie sous la Régence ». Jean Marie Thiveaud , Revue d’économie financière , Vol 50 , 1998 , P 29-53.
[19] Accord insuffisamment démontré avec toute la rigueur attendue. C’est notamment le cas de Hueta de Soto dans son ouvrage : « Dinero, Credito, Bancario y Cyclos Economicos » , Union Editorial , Madrid ,1998.
[20] Dont par exemple celle de Law précédemment évoquée.
[21] Le point de vue ici exprimé est aussi celui du « néo-chartalisme » développé par Knapp en 1924, et plus tard par Lerner dans son article : « La monnaie comme créature de l’Etat ». Pour plus de détails sur le courant néo-chartaliste nous renvoyons à l’ouvrage publié sous la direction de Pierre Piégay et Louis-Philippe Rochon : « Théories monétaires post keynésiennes », 2003, Economica.
[22] Bien évidemment de très nombreux débats et réflexions interviendront avant de stabiliser le système politico financier moderne, par exemple la célèbre bataille entre la « currency school » et la « banking school » qui devait se cristalliser dans l’acte de Peel en Grande Bretagne en 1844.
[23] Pour davantage de précisions on pourra consulter Jean Claude Werrebrouck :« Banques centrales, indépendance ou soumission, Un formidable enjeu de société » , Yves Michel , 2012, P. 57-94.
[24]Problème évoqués dans de nombreux articles de « lacrisedesannees2010.com, et en particulier : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-banques-centrales-independantes-condition-necessaire-de-la-mondialisation-115739303.html.
[25] Cela était notamment le cas en France. On pourra lire à ce titre l’article d’André Orléan « les croyances monétaires et le pouvoir des banques centrales » dans l’ouvrage : « Les banques centrales sont-elle légitimes », Albin Michel, 2008, P 17-35.
[26] « The nature of the firm », Economica, 1937.
[27] Cf. le chapitre 9 : « les banques centrales comme logiciels des états du monde » de « Banques centrales- indépendance ou soumission- Un formidable enjeu de société ; Yves Michel ; 2012.
[28] Nous avons ici le principe d’explication de l’apparition des méga banques à importance systémique, avec en correspondance le développement d’une oligarchie financière à la source de lobbys puissants. On pourra lire à ce propos l’article de Simon Johnson : « les banques ingouvernables » dans le Monde du 1/06/2013.
[29]Concernant l’idée d’un décalage entre offre globale mondiale et demande globale mondiale on pourra lire : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-loi-de-say-comme-obstacle-à-la-lecture-de-la-grande-crise-115527906.html
[30] Robert Nozick, dans « Anarchie, Etat et Utopie » PUF, 1988, parle de justice procédurale pour évoquer le résultat d’un jeu social, que ce dernier soit de l’ordre du simple jeu (échecs, football etc.) ou du jeu économique. A ce titre un résultat est réputé juste si les procédures qui y ont conduit, ont à chaque étape respecté les droits de propriété fondamentaux. Dans cette conception, que le résultat d’un contrat de travail entre un employeur et des salariés amène le premier à s’enrichir considérablement, n’est pas injuste si le contrat dans toutes ces clauses respecte les droits fondamentaux, notamment ceux de la liberté contractuelle et si, bien évidemment, ces clauses ont été respectées durant le jeu.
[31] Ce point de vue est, notamment, celui bien analysé par Philippe d’Iribarne dans « la logique de l’honneur » Seuil 1993.
[32] La justice résultat, à l’inverse de la justice procédurale, apprécie le résultat du jeu pour le déclarer juste ou injuste en fonction d’une simple opinion de justice. La justice résultat n’intervient en général pas dans les jeux traditionnels (Echecs, football, etc.) où seule compte une justice procédurale (les règles du jeu ont-elles été respectées ?) mais elle intervient massivement dans le jeu de l’économie et se trouve être à la base des politiques dites de redistribution.
[33] Ces auteurs sont rassemblés dans ce qu’on a appelé l’école de Fribourg qui a connu ses moments de gloire entre les deux guerres mondiales et plus encore après la seconde pour engendrer ce qu’on a appelé « l’économie sociale de marché ».Mais on peut aussi penser que les prémices de cette pensée se trouvent déjà dans l’œuvre de Friedrich List, en particulier son « système national d’économie politique » qu’il publie en 1841, (Gallimard 1998 pour la dernière édition française).
[34][34] Les développements qui suivent s’inspirent partiellement de l’article d’Eric Dehay : « La justification ordo libérale de l’indépendance des banques centrales », Revue Française d’Economie, Vol 10, N°1 1995, P 27-53.
[35] Cf. notamment l’ouvrage majeur de Hayek : « Droit, Législation et Liberté » PUF, 1985, et particulièrement le tome I où l’auteur développe sa grande distinction entre les ordres spontanés (plutôt le monde anglo-saxon) et les ordres organisés (plutôt l’ordre français). Soulignons qu’il y a eu de nombreux contacts entre les ordo- libéraux allemands et la « Société du Mont Pèlerin » fondée par Hayek après la seconde guerre mondiale.
[36] On pourra ici s’intéresser à des textes dans http://www.lacrisedesannees2010.com, tels que : « Le monde tel qu’il est » (texte du 4 juillet 2011), ou « Pour mieux comprendre la crise : déchiffrer l’essence de l’Etat » (texte du 16 février 2010).
[37] Bien évidemment toujours traumatisés par l’hyperinflation de 1922-1923 les allemands font encore le lien entre indépendance et fin de la planche à billets, ce qui pourtant est largement contesté par l’histoire y compris l’histoire allemande.
[38]Paradigme que dénonce le sociologue allemand Ulrich Beck dans son essai : « Non à l’Europe allemande » , Autrement, 2013. Dans ce bref ouvrage, (144 pages), il invite ses compatriotes à ne pas se prendre pour des français et de cesser de croire à l’universalité des valeurs germaniques.
[39]Notamment sous l’égide d’un Milton Friedman qui pourtant était opposé à l’indépendance des banques centrales.
[40] Il en est de même pour le japon dont nous n’avons pas ici présenté le paradigme culturel, mais qui ne sanctuarise pas sa monnaie, ainsi qu’on le constate depuis le début de l’année 2013 avec un programme de doublement de la masse monétaire.
[41] Le programme de rachat de dette publique par la Réserve fédérale se monte à 1000 Milliards de dollars pour la seule année 2013.
[42]Notamment avec les dispositifs LTRO, OMT, ELA et surtout des taux proches de zéro qui finissent par peser sur la rente financière.
[43]Notamment avec le MES et demain avec l’union bancaire.
[44]« Visions franco-allemandes » N° 16, IFRI, 2010. La plupart des simulations font état de résultats saisissants. Ainsi il est aujourd’hui admis que les hommes appartenant aux cohortes nées au début des années 60 bénéficieront – malgré la progression des salaires (cotisés) à long terme - au moment de leur passage à la retraite au cours de la décennie 2020-2030, d’une revenu net ( pension « Riester » comprise, pour ceux qui en disposent) inférieur de plus de 10% de celui perçu par les retraités partis en retraite au début des années 2000. C’est dire qu’en Allemagne la baisse des revenus en euros courants est aujourd’hui programmée.
[45]Transferts évalués par Jacques Sapir à environ dix points de PIB/an pendant 10 ans.
[46] Il s’agit de la retraite complémentaire par capitalisation instaurée par le Ministre Rieste en 2004. Ce complément représente aujourd’hui moins de 30% du volume des retraites. On peut évidemment débattre des conséquences d’une sortie de l’Allemagne sur sa dette publique et les taux qui lui sont associés, matières premières de nombre de produits financiers que l’on trouve dans les fonds de pension. Il est toutefois difficile d’y apporter un éclairage clair et incontestable.
[47] Puissance très appuyée par le syndicat de la Fédération des industriels allemands ( BDI) ou celui de la Fédération du commerce extérieur allemand, et puissance très écoutée du ministère allemand de l’économie.
[48] La population des 20-60 ans va passer de 45,48 à 43, 3 millions entre 2010 et 2020 et ce compte- tenu d’un solde migratoire net estimé à 200000 individus/an. De ce point de vue l’exceptionnel solde migratoire de 369000 personnes en 2012 est une bonne nouvelle…compensée par des informations catastrophiques résultant du recensement de 2011.Ajoutons que le Japon , et son industrie, se trouvent dans la même situation avec une réponse toutefois différente, les salariés des lignes d’assemblage sont maintenant de plus en plus remplacés par des humanoïdes alors que l’industrie allemande continue de délocaliser.
[49] A cet intérêt commun entre le groupe des retraités et le lobby exportateur il faut ajouter le risque majeur provoqué par les balances « TARGET2 », lesquelles correspondent à des stocks croissants de créances douteuses sur les pays du sud et créances détenues par la Bundesbank. TARGET2 dépasse le champ de la présente étude et on pourra se reporter sur l’article de Pierre Jean Raugel sur le sujet : http://www.latribune.fr/getFile.php?ID=6914910
[50] Il ne saurait évidemment être question de financer le budget courant par de la création monétaire…comme cela se fait aujourd’hui lorsque les banques créent de la monnaie pour acheter de la dette publique.
[51] On trouvera davantage de détails dans : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-pour-une-revolution-du-systeme-monetaire-101497488.html.
[52] Cf. l’article : http://www.lacrisedesannees2010.com/article-la-loi-de-say-comme-obstacle-a-la-lecture-de-la-grande-crise-115527906.html.