le texte çi dessous est une réflexion sur la nature du fait monétaire, et sert d'introduction générale à un autre texte en cours d'élaboration, lequel portera sur la refonte générale du système monétaire et financier
Regard sur la nature de la monnaie
Introduction générale à un projet de refonte de la finance
La monnaie est l’équivalent d’une infrastructure, telle un réseau ferroviaire assurant la circulation des personnes et des biens, ou un réseau électrique assurant la circulation des kilowattheures. L’industrie bancaire assure la circulation des marchandises en assurant la circulation de la monnaie entre ces ports que sont des comptes abrités dans des banques. Les banques, sont comme la SNCF ou EDF d’avant la libéralisation, et il est impossible de séparer le réseau de ses véhicules : le paiement, largement électronique, est à la fois réseau et véhicule. Comme la SNCF où il apparaissait impensable, avant la libéralisation, de séparer le réseau ferré du matériel roulant.
Mais il est des différences : le réseau bancaire n’est pas monolithique et se trouve peuplé de banques en concurrence. Qui plus est, cette concurrence peut entrainer des modifications de parts de marché entre les ports. Ce qui n’était pas le cas du chemin de fer ou des compagnies d’électricité d’avant les nationalisations de 1945 : les acteurs restaient des monopoles sur les parts de réseau qu’ils contrôlaient. Le caractère non monolithique du réseau bancaire est peu gênant pour la circulation de la monnaie. Outre qu’il existe une norme monétaire commune au dessus de chaque monnaie de banque (une unité de compte), il existe un marché monétaire assurant la cohérence continue du réseau : la monnaie Société Générale se transforme en tous points de l’espace couvert par le réseau, en monnaie BNP , en monnaie Crédit Agricole, etc.
Une autre différence est le fait que la monnaie comme infrastructure de type réseau, est propriété d’agents nombreux et divers, qui peuvent agir sur lui, en le rendant plus ou moins actif. Derrière cette idée, il y a la plus ou moins grande vitesse de circulation de la monnaie, voire son blocage éventuel. Et cette dernière circonstance, résulte du fait que la monnaie n’est pas seulement infrastructure de la circulation : elle est aussi instrument de l’accumulation. Les économistes diront qu’elle n’est pas qu’instrument de paiement, mais aussi réserve de valeur (tout au moins pour les monnaies « Yang » par rapport aux monnaies dites « locales », selon l’intéressante distinction de Bernard Lietar). Les conséquences en sont considérables. Cela revient à dire – en poursuivant la comparaison avec la SNCF ou EDF- que par exemple des trains s’accumulent dans des gares. Et la comparaison est intéressante, car dans l’un et l’autre cas les marchandises cessent de circuler. Et c’est précisément parce que la monnaie est elle-même marchandise (instrument de stockage de richesse) plus ou moins convoitée qu’elle peut gêner/ faciliter la circulation de toutes les autres marchandises : l’infrastructure réseau est plus ou moins stable.
Et parce que marchandise, elle peut être fabriquée comme toutes les autres marchandises. En se désaliénant de la « contrainte métallique » les hommes ont, en la matière, généré des gains de productivité infinis : le coût de fabrication de la monnaie est proche de zéro, et pour les banques centrales, et pour les blanques privées, qui depuis un grand nombre d’années se partagent le monopole de la création monétaire. De fait, il s’agit d’un coût marginal, puisque bien des coûts fixes demeurent, spécificité qui rappelle là aussi – selon les économistes - ces « monopoles naturels » que sont les réseaux classiques.
Historiquement, parce qu’aussi infrastructure de réseau, la monnaie a toujours intéressé le politique : routes, monnaie , postes, sont des services qu’il convient de contrôler pour asseoir le pouvoir. Bien, d’abord privé, avec tentative de constitution de réseau (les premières banques), le politique est intervenu et a traditionnellement marqué son pouvoir par les activités de frappe : les Hôtels des monnaies. Symboliquement, parce que le réseau fait circuler les marchandises, la monnaie est un "équivalent général". Ce que confirmera la frappe des monnaies à l'effigie du prince: ce dernier est celui qui garantit l'équivalence, et tous se reconnaissent en lui. Pouvoir politique et pouvoir économique se fusionnent dans le symbole de la monnaie frappée.
Les actuels réseaux monétaires – ce qu’on appelle le système monétaire et financier - sont le résultat de la construction historique de ce qui est devenu un bien public majeur, et bien public sans lequel les sociétés modernes connaitraient un retour à l’état de nature… avec la vitesse de l’éclair. Beaucoup de services publics pourraient disparaître sans radicalement disloquer une société. Ainsi la disparition du réseau ferré, voire même la disparition du réseau électrique, entraineraient certes des difficultés majeures avec nombre de régressions. Toutefois, ces dernières développeraient davantage d’espaces de solidarité, que du face à face brutal entre individus, lequel serait engendré par la nécessité de survivre. En revanche, un effondrement monétaire serait autrement redoutable et développerait en quelques instants – probablement moins d’une journée- la guerre de tous contre tous. Tout ceci pour dire que la monnaie dispose d’une structure de réseau , qui en fait le premier des biens publics, et probablement la clé de voûte de la société. Elle est ce qui fonde « l’ordre » et empêche « la panique » et son désordre.
Curieusement, ce bien public majeur, est aussi le bien public le plus fragile en raison du caractère réserve de valeur de la monnaie. Le double caractère de la monnaie se remarque dans le double caractère des banques : « commercial » et « affaires ». Parce que la monnaie est à la fois, moyen de paiement et réserve de valeur, le réseau peut être parcouru de disfonctionnement et de ruptures .
Les risques inhérents à la volonté accumulatrice autorisée par la fonction réserve de valeur, peuvent entrainer des phénomènes spéculatifs, avec alternance de confiance et de méfiance, débouchant sur de possibles ruptures du réseau, par exemple la disparition de la liquidité sur les marchés monétaires. La même volonté accumulatrice peut aussi développer des bulles sur n’importe quel bien évaluable en monnaie. Et cette même volonté, cherchera le plus naturellement du monde, à élargir l’espace du jeu en interconnectant les monnaies (elles deviennent toutes librement convertibles) ; en développant des marchés à terme sur tous les biens de l’économie réelle, et ce si possible à l’échelle de la planète ; en autorisant la liberté de circulation des capitaux ; etc. Autant d’élargissements de l’espace du jeu engendrant un « gigantisme de réseau » exposé à toutes les contagions possibles.
De ce point de vue, la mondialisation correspond à un processus d’interconnexion et d’unification des réseaux monétaires. Jusqu’ici l’interconnexion existait sous le contrôle de « douaniers » situés à la périphérie de chaque réseau national, et « douaniers » corrigeant ou veillant aux externalités engendrées par la dite interconnexion. Tels des fusibles sur des réseaux électriques, chargés de bloquer la contamination de surtensions apparues en tel ou tel point du système. De ce point de vue , l’unification mondialiste, est utopique en ce qu’elle correspond à la volonté de construire un réseau gigantesque dépourvu de fusibles. Tel un immeuble dont le ravitaillement électrique ne serait pas composé de sous- réseaux (des "lignes") reliés, mais en même temps séparés par des fusibles de protection. Et point n’est besoin d’être physicien, pour savoir que le potentiel d’entropie se développe à vitesse multipliée, avec l’augmentation de la taille du réseau . A titre de simple remarque, l’image du réseau est intéressante pour comprendre l’inéluctabilité d’une crise de l’euro : l’interconnexion entre systèmes nationaux, suppose au moins la maitrise du fusible "taux de change", ce que la monnaie unique ne peut- par définition - apporter.
Mais parce que l’interconnexion jusqu’à l’unification, sans défenses immunitaires (sans fusibles), porte au plus haut niveau d’intérêt la deuxième fonction de la monnaie (réserve de valeur), les bulles spéculatives et leurs outils ( leviers démesurés, produits synthétiques, outils électroniques de trading, etc.) développent sans limites le fonctionnement entropique du système en voie d’unification. Très simplement, le réseau conçu pour faire circuler des marchandises réelles, fait surtout circuler des paris financiers. Incapable de lutter contre sa propre entropie – à l’inverse des êtres vivants – le réseau monétaire et financier mondial fonce vers son inéluctable auto destruction.
Parce que premier des biens publics de toute communauté moderne, et en même tant bien public devenu historiquement dépourvu de défense immunitaire en raison de la dualité monétaire (moyen de paiement/ réserve de valeur), il convient de procéder à un toilettage complet de l’architecture du système monétaire et financier.
De fait, il s'agit de procéder à une refondation, dont la nature de la monnaie, nous fait déjà imaginer qu'elle porterait aussi une dimension politique majeure.
Ce que nous verrons ultérieurement.