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19 mai 2017 5 19 /05 /mai /2017 13:24

En simplifiant les choses, on sait que la richesse produite annuellement par la France est inférieure à ce qu’elle dépense. Cela se manifeste par de la dette publique auprès de souscripteurs étrangers, et cela se manifeste par un déficit des échanges extérieurs. On retrouve là l’idée de « cigale » tant vilipendée : les Français disposent de revenus qui excédent ce qu’ils produisent et qu’ils dépensent sans se soucier des conséquences possibles. En refusant obstinément d’aller plus loin dans l’analyse, donc en se contentant de faits aussi bruts, comment ne pas faire rire le bon peuple au regard de ceux qui, taxés de keynésiens, évoquent la relance par l’accroissement de la demande sous l’égide de l’Etat ?

Concrètement, il faudrait par conséquent diminuer ces revenus excessifs afin qu’ils correspondent à la production. Et c’est bien ce que l’on véhicule à l’unisson : « nous n’avons plus les moyens de vivre comme l’on vit depuis si longtemps ».

On sait que ces revenus dits "excessifs" sont grossièrement des revenus du travail auxquels il faudrait ajouter les revenus du capital. Le capital étant plus mobile que le travail, il faut diminuer les revenus du travail, et surtout ne pas toucher à ceux d’un capital qui pourrait fuir et s’investir à l’étranger. De quoi produire encore moins et élargir le fossé qui fait de ces français de vraies cigales. On comprendra par conséquent que, jamais dans le « langage main Stream », on ne pourra dire que les revenus du capital sont excessifs.

Jadis, les cigales étaient sanctionnées par une baisse du taux de change : la dévaluation facilitait les productions nationales et amputait les revenus réels distribués par la hausse des prix des marchandises importées. Et, bien sûr, cette dévaluation intervenait lorsque les caisses étaient vides : il n’y a plus de devises acquises sur des exportations trop réduites pour payer des importations trop abondantes.

Aujourd’hui, ce mécanisme d’ajustement a largement disparu avec la complexification des échanges et surtout la disparition de l’outil "taux de change" résultant de l’implantation d’une monnaie unique au sein de l’Europe : on échange un euro allemand contre un euro français. Et tant que l’euro existe, il en sera toujours ainsi.

Le lecteur, même averti, pourrait se dire qu’au fond cette monnaie unique est un immense avantage puisque nous pouvons payer nos comportements de cigales en demandant aux banques et à la banque centrale d’émettre suffisamment de monnaie pour continuer la fête et remplir nos magasins de marchandises importées. Les allemands qui nous livrent certaines de ces marchandises veulent être payés en euros et cela tombe bien puisque nous les fabriquons. Hélas, il n’en est pas ainsi et les règles de la monnaie unique imposent une grande rigueur en matière de création monétaire. Il en résulte que faire la fête et inonder le pays d’importations passe par de la dette publique. Propos qui méritent une explication.

On comprend aisément que, globalement, les entreprises produisant sur le territoire n’aiment pas les cigales et menacent de délocaliser si les salariés exigent des rémunérations plus élevées que celles ayant cours dans d’autres pays. Comment faire la fête sous la contrainte de salaires plus ou moins bloqués ? Cela passe largement par de la dette publique et correspond concrètement aux parties du coût global du travail non payé par les entreprises. Mais pour saisir cela il faut passer par Marx. Ce dernier, grand économiste, ne parlait pas de salaire et évoquait l’idée de «coût de la reproduction de la force de travail» laquelle est constituée, outre le salaire direct, de la totalité des dépenses annexes : formation des salariés, soins médicaux, entretien lors des phases inactives de la vie des salariés ( chômage, maladie, retraite), entretien des inaptes au travail (handicapés, accidentés) , etc. Globalement, nous avons derrière ces éléments les immenses dépenses sociales de la France… qu’on ne peut financer en détruisant les capacités productives des entreprises par le biais de la prédation fiscale ( sinon fuite et encore moins de richesses produites). Les entreprises n’acceptent que fort mal de supporter le coût de la reproduction de la force de travail ni par les charges sur les salaires ni par l’impôt. Elles demandent donc à l’Etat de s’en charger pour partie sans lui en donner les moyens…un Etat qui va s’acheminer vers des dépenses sociales en partie financées par de la dette.

Et donc, le chiffre d’affaires des magasins et des entreprises est ainsi partiellement la contrepartie d’une dette publique figurant dans des revenus qui ne correspondent à aucune production. Ce comportement de cigale pourrait sans doute se pérenniser, mais il débouche sur de possibles crises financières d’une grande violence à l’instar de celle de 2008. Quant à nos amis allemands, ils n’acceptent pas d’être payés avec la planche à billets , mais ils ne peuvent non plus accepter d’être payés avec une dette continuellement croissante et vis-à-vis de laquelle la méfiance s’impose. Curieusement, les allemands se nourrissent des cigales sans lesquelles leur production resterait partiellement stockée dans les usines du pays… mais ils s’en méfient puisque de fait cela mène à des crises financières potentiellement de plus en plus dangereuses…

Ce petit raisonnement bien simple que l’on vient de mener, explique pourquoi nos amis allemands ne se soucient pas du déficit abyssal de nos échanges extérieurs, et qu’ils s’intéressent bien davantage à l’équilibre des finances publiques françaises pour lesquelles la solution des réformes structurelles touchant toutes le coût du travail apparaissent comme les véritables solutions…. à notre compétitivité...

Les allemands n’ont aucun intérêt à nous voir plus productifs et ainsi gêner un comportement de fourmi. Il n’existe aucun intérêt à multiplier le nombre de fourmis qui vont se faire concurrence. Ce qui intéresse les allemands c’est le dangereux déficit budgétaire français. Pour eux, l’équilibre budgétaire est une fin en soi. Pour nous, il est le moyen permettant une autre fin qui est la compétitivité.

Il serait temps de mettre en évidence l’ambiguïté des propos des dirigeants allemands repris par les médias. Lorsqu’ils parlent de réformes structurelles pour la France, il s’agit bien toujours de procéder à une dévaluation interne portant sur le seul coût du travail. Mais cette dévaluation n’est que le moyen d’une fin qui est l’équilibre des comptes publics, un équilibre qui sécurise un système financier et donc une monnaie qui est elle-même le moyen le plus sûr de pérenniser l’énorme excédent des échanges extérieurs allemands, et donc un mercantilisme assurant un relatif plein emploi….en Allemagne…

Dans le cadre d’une double propagande massive de soutien au candidat Macron et de décrédibilisation des candidatures souverainistes, les dirigeants allemands ont procédé et continueront de procéder à un calcul coût/avantage au terme duquel il leur faut accepter le risque, à moyen terme, d’une meilleure compétitivité de la France pour sécuriser, au moins à court terme, le dispositif monétaire et financier propre à la zone euro. L’Europe ne se construit avec l’Allemagne que sur la seule base des intérêts allemands. De ce point de vue, le nouveau président français, en procédant aux futures réformes structurelles qualifiées d’indispensables à la France, sera amené à devenir président comprador.

Il est  pourtant des réformes structurelles plus avantageuses : celle de la dévaluation externe que nous examinerons dans un prochain billet en la comparant à la dévaluation interne.

 

 

 

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commentaires

A
Bonjour Jean-Claude<br /> Article fort intéressant, mais (au moins dans cette première partie) il me semble que, concernant la dette publique, tu omets le poids des intérêts. Si ceux ci n'existaient pas, la dette serait très considérablement diminuée (de l'ordre de 3/4) . D'ailleurs le projet de loi de finance 2017 inclue (de mémoire) 41 milliards d'intérêt et seulement 27 milliards de déficit primaire.
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J
Bonjour André Jacques<br /> Oui et donc ce qu'il faut comprendre c'est outre qu'à échelle, non pas nationale mais mondiale, la dette représente certes un déficit de demande due à la course aux bas salaires, mais elle représente aussi une opportunité pour la finance. Le système financier planétaire - par son architecture institutionnelle- profite du décalage entre offre mondiale et demande mondiale dans l'économie réelle en venant y planter un crédit dont nul n'aurait réellement besoin si les Etats étaient d'authentiques souverains. Amitiés.

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