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13 avril 2021 2 13 /04 /avril /2021 09:18

La pandémie semble bouleverser bien des points de vue et il parait aujourd’hui probable que les politiques industrielles constitueront une pièce majeure des débats lors de l’échéance présidentielle de 2022. Toutefois on parlera beaucoup d’industrie mais beaucoup moins du vecteur monétaire et en particulier la question de l’euro ne sera, à priori, plus à l’ordre du jour.

Dans un monde qui ne remettra pas en question l’économie de marché, l’industrie, comme les autres activités se déploie dans un canevas monétaire qui vient en dessiner la structure et les contours. Par exemple, côté structure, c’est bien aussi les prix relatifs du capital et du travail qui viennent dessiner le choix de la combinaison productive. Par exemple si le prix du travail diminue et que celui du capital augmente on privilégiera des organisations plus utilisatrices de travail.  Côté contour, c’est bien un système de prix qui vient fixer le poids et la qualité de la production par rapport à celui des services et des échanges, la part des importations et des exportations, etc.

On voit aussi que le système de prix est lui-même hiérarchisé et que l’un d’entre-eux, le taux de change,  est en réalité la clé de voûte de l’ensemble, avec d’emblée un statut de variable explicative, au moins partielle, de la totalité  macroéconomique étudiée.

Très simplement dans le cas de l’Europe, c’est bien un taux  de change d’un  type nouveau qui va massivement redessiner la macro économie grecque depuis le début du 21ième siècle. Parce que ce taux devient étranger à la réalité grecque- cotation élevée de l’euro contre Drachme de valeur faible-  les investissements se détourneront de la production au profit du commerce et de la distribution . Produire dans une zone déjà peu industrialisée  avec un taux de change élevé n’est guère rationnel, et ce qui pouvait être exporté avec un taux de change faible ne l’est plus avec un taux plus élevé. Par contre distribuer devient très rationnel et le taux de change élevé devient gain de pouvoir d’achat international. On comprend par conséquent la suite  des évènements : on produit moins, on consomme davantage, une consommation elle-même aidée par une autre distribution , celle du crédit…. et donc l’endettement est au bout du chemin.

Ce petit rappel d’une grande banalité doit être au cœur des réflexions de ceux qui dans beaucoup de mouvements politiques veulent reconstruire les bases industrielles de la France.

En allant plus loin, ce même petit rappel montre à quel point le taux de change était  un outil essentiel hélas perdu . Pour un pays comme la Grèce et bien d’autres pays du sud, son abandon  vient dessiner un système de prix aux  conséquences  majeures :

Le taux de l’intérêt se trouve plus faible qu’à l’époque de la Dracme, de la Peseta, de la lire, du Franc, etc; Le niveau de  dépense publique se trouve moins contraint que par le passé ; les contraintes en termes de recettes fiscales fléchissent ; l’endettement privé qu’elle qu’en soit sa destination devient plus aisé ; les importations moins couteuses peuvent croitre ; le prix du travail devient trop élevé ; l’investissement interne devient moins rentable ; l’investissement externe l’est davantage ; les exportations deviennent peu compétitives ; le cout des services explose ; etc.

De quoi modifier tous les comportements de tous les acteurs et d’entrainer des conséquences macroéconomiques majeures.

Ces modifications d’un système de prix orchestrées par un taux de change inadapté va aussi développer des effets majeurs sur les soldes financiers traditionnels, ceux désignés par les comptables nationaux par les expressions classiques suivantes : « secteur des administrations publiques », « secteur privé » (ménages et entreprises financières ou non), et « reste du monde ». Comptablement on sait que la somme algébrique des soldes financiers de ces 3 secteurs est égale à zéro. Ainsi quand la somme des soldes internes est négative (administration publique + secteur privé) cela signifie que le reste du monde bénéficie d’un solde positif pour un même montant…ou autre façon, plus simple, de s’exprimer : le pays entre en déficit au regard de son extérieur.

Quand par conséquent le vecteur monétaire est inadapté - dans le cas de l’Europe du sud, lorsque le taux de change est trop élevé par rapport au reste du monde y compris l’Europe du nord- l’évolution des soldes financiers devient problématique : déficit des administrations publiques, excédent du reste du monde ( donc déficit de la balance extérieure du pays) et solde de l’économie interne qui n’est que la conséquence des deux premiers. 2 situations possibles : si le déficit des administrations publiques est inférieur à celui de la balance extérieure, le secteur privé devient déficitaire ; à l’inverse si le déficit des administrations publiques est supérieur à celui de la balance  extérieure le secteur privé devient excédentaire.

Dans le premier cas, à solde extérieur donné,  le secteur privé laisse apparaitre un déficit financier résultant d’une alimentation trop faible en termes de ressources publiques. A  solde public donné, ce même secteur privé souffre d’une fuite de ressources vers l’extérieur. Le secteur privé (entreprises et ménages) s’étiole. Une situation d’étiolement qui peut connaitre des configurations variées par exemple en termes d’endettement trop lourd des entreprises, en termes d’épargne insuffisante des ménages, en termes de taux de marge trop faible eu égard à la concurrence, en termes de gains de productivité durablement inférieurs à ceux de la concurrence externe, en termes d’investissements de rente et non d’affrontements concurrentiels, etc. des configurations diverses qui hélas caractérisent assez bien  la réalité  des pays du sud de l’UE.

Dans le second cas, le secteur privé souffre d’une fuite vers l’extérieur mais se trouve surcompensée par l’alimentation publique.

Bien évidemment le second cas est préférable mais il se heurte à l’absence de souveraineté monétaire. En effet la grande question est de savoir comment financer le surplus de dépense publique, et un financement qui relève, on le comprend mieux maintenant, de la monétisation. Cette dernière ne pose pas de problème insoluble lorsque le pays concerné est monétairement souverain. Même lorsque la banque centrale est indépendante et que la dette publique fait l’objet d’un marché, un pays monétairement souverain développe une coopération entre sa banque centrale et son administration du Trésor. C’est en particulier le cas des USA où la Réserve fédérale soutient les « primary dealers » (l’équivalent des spécialistes en valeurs du Trésor de notre agence France Trésor) et veille à l’implication et  la rentabilité de ces derniers afin d’assurer le bon placement de la totalité des bons du Trésor. Avec une telle coopération même le gigantesque déficit engendré par les plans Biden se trouve financé avec des taux durablement faibles. Bien évidemment une telle coopération suppose une attention sur les risques inflationnistes, toutefois eux-mêmes maitrisables en raison d’un retour à forte croissance et donc à forte exigence en termes de disponibilités monétaires. Au-delà des modalités techniques de cette coopération entre Département du Trésor et Réserve fédérale, chacun aura compris qu’i y a mix des marchés primaire et secondaire de la dette publique, et qu’il y a donc complet dépassement de l’idée d’indépendance de la Réserve fédérale.

L’Union Européenne est l’inverse d’une zone de souveraineté monétaire et donc les pays du sud handicapés par une fuite vers l’extérieur ( taux de change trop élevé) ne peuvent compenser le saignement du secteur privé par un déficit lourd des administrations publiques. La BCE ne peut – au moins jusqu’à maintenant-répondre facilement et directement aux appels des Trésors en difficulté dans le sud de la zone. Ce fût le cas de la Grèce avec une BCE qui ferme le robinet. C’est potentiellement encore le cas de l’ensemble du sud si la même BCE n’arrive pas à s’extirper de la main allemande[1].

Présentement, tant que la BCE reste encore fondamentalement ce qu’elle est, les réformes structurelles se doivent de rester à la mode. Puisque le secteur privé (ensemble entreprises et ménages) ne peut compenser le saignement ( tendance fondamentale au déficit extérieur résultant d’un  taux de change irréaliste) par la dérive des finances publiques, la solution réside dans sa dévaluation interne : moins d’Etat social, diminution du cout du travail, baisse du montant des retraites, etc. Et une baisse d’autant plus forte qu’il faut aussi rendre plus compétitif le sous- ensemble entreprises du secteur privé : baisse de l’impôt sur les sociétés, disparition des impôts de production, allégement de la normalisation et de la réglementation, regroupement des agences de régulation  etc. Ajoutons que cette recherche de compétitivité doit aussi se faire compte tenu d’un partenaire nouveau : un environnement économique et climatique qui  doit de plus en plus être respecté, ce qui oblige une  grand rigueur sur les objectifs de la dévaluation interne. Très concrètement le cout de la « loi climat » ne peut se financer que sur les gains de la dévaluation interne.

Tant que fondamentalement le corset monétaire reste ce qu’il est, il est très difficile pour une éventuelle politique industrielle de s’abstraire de la logique des réformes structurelles. C’est en particulier ce que l’on constate en France avec le plan de relance : pas de retour à une stratégie de branche, pas de vision claire à long terme, et simple accompagnement de la logique de la recherche de compétitivité.

Bien sûr la BCE va encore beaucoup évoluer et probablement va-t-elle réussir à s’extirper de la main allemande. Toutefois même en faisant disparaitre les dettes du sud par inondation monétaire ciblée, la question du saignement par le déséquilibre extérieur restera posée. Et il sera difficile de muscler le secteur privé en particulier le sous ensemble des entreprises en abandonnant toutes les règles européennes qui ne sont que règles complémentaires et indispensable au fonctionnement de l’euro zone.

Une réindustrialisation est un processus lourd et difficile. Mais sans souveraineté monétaire permettant le choix du taux de change, la démarche s’avère complètement impossible. La contrainte monétaire, avec bien sûr ces conditions telle celle de la liberté de circulation du capital, sera pourtant totalement exclue des débats à l’occasion de la future élection présidentielle française. A l’inverse on voit déjà se dessiner des morceaux d’embryons de programmes où l’on retrouve « ripolinisées » les vieux slogans de la compétitivité et de la concurrence : « capitalisme responsable avec objectifs sociaux », « performance ESG » (environnement/social/gouvernance), « fin de la logique du « fair value » dans les normes financières et comptables », « réglementation souple sur la commande publique », « pouvoir d’adaptation de la réglementation », « création d’ une agence des technologies de rupture », « rationalisation des aides à l’investissement », « abolition de l’extra territorialisation du droit américain ». La liste n’est limitée que par le manque d’imagination des joueurs sur les marchés politiques. Des joueurs qui bien sagement jouent à l’intérieur des règles du jeu d’aujourd’hui. Le lecteur constatera que même les joueurs les plus hardis semblent se recentrer sur les règles et ce afin de jouer dans la même cour que tous les autres.


[1] Il est sans doute possible de nuancer ce jugement à la lumière de nos nombreux articles sur le présent blog qui s’interrogent sur la transformation de la BCE en « proto-Etat ». De la même façon, nous semblons assister en Europe aux prémices d’une coopération entre Trésors et BCE, un peu à l’image de ce qui se passe aux USA. C’est ainsi que les Hedg funds spéculent sur les dettes européennes en se portant acquéreurs massifs sur les marchés primaires pour revendre dès le lendemain à la BCE, laquelle achète en se couvrant derrière ses programmes d’achats de titres destinés à soutenir l’économie. Ce type de comportement permet aussi de comprendre que depuis plusieurs mois les carnets d’ordre sont parfois 10 fois supérieurs aux quotas d’émissions (Cf Les Echos du 12 avril 2021).

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