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22 novembre 2022 2 22 /11 /novembre /2022 08:51

Si la hausse des taux des banques centrales a pu mettre en difficulté les fonds de pension britanniques en septembre dernier, il est à craindre que ce que l’on appelle la crise de l’énergie aura des effets financiers autrement redoutables.

Lorsque les systèmes énergétiques sont globalement de nature monopolistique les différentes pièces du lego (production, transport, distribution, commercialisation) sont étroitement imbriquées dans un ensemble unique et la notion de prix de marché n’existe pas. C’était le cas d’EDF qui n’était en aucune façon géné par des variations du coût marginal. C’était toujours le cas pour ce même EDF qui gérait centralement les pointes de consommation en hiver avec ses stratégies  de « capacité » et « d’effacement ». La « maison » est « tenue » et la tarification, sans oublier les coûts moyens, peut obéir à une logique d’intérêt général. Avec la libéralisation, les différentes pièces cessent d’être articulées et surtout un grand nombre d’acteurs nouveaux intervient.

 Au titre d’une première vague de nouveaux acteurs d’un marché naissant, nous aurons un très grand nombre de producteurs nouveaux qui en France ne peuvent être, pour l’essentiel que des fournisseurs non producteurs en raison de la forte concurrence d’EDF. Et bien évidemment il faudra relier les différentes pièces par le jeu d’un marché qu’il faut inventer et sur lequel devrait se former un système de prix.

En raison de la nature de la marchandise électricité ( à l’inverse des biens classiques, homogénéité parfaite du produit et surtout sa non stockabilité)  ces fournisseurs ne produisent que rarement, ne transportent pas, ne distribuent pas, ne savent pas combien consomment leurs clients, lesquels ne savent pas d’où provient l’électricité utilisée. Au fond, ils sont déjà un peu dans la sphère financière purement spéculative où l’on échange des titres. Ils achètent et vendent en tentant d’édifier une marge sur un produit qu’ils n’ont jamais rencontré.

L’Etat se retire mais il sait aussi que le marché ne peut fonctionner correctement et assurer la parfaite continuité entre production et appel de consommation. Parce que l’intérêt privé l’emporte il est clair que les investissements de capacité ne peuvent qu’être oubliés et donc la gestion des pointes ne peut être correctement assurée. Il faut donc à côté d’un Etat qui se retire, imaginer une autorité de régulation et de surveillance bureaucratique. Les choses étaient simples sous la houlette du monopole, elles deviennent extraordinairement complexes sous celle d’un marché qui ne peut être que défaillant sans une épaisse bureaucratie. Ce sera le cas avec les « certificats de capacité » et leur gestion qui va regrouper un grand nombre d’institutions et acteurs : Commission de Régulation de l’Energie, RTE, opérateurs d’effacement, fournisseurs et producteurs, EPEX Spot. D’où aussi l’appel au monde académique pour tenter de rationaliser  la bureaucratie qui s’est mise en place. Curieusement les propositions académiques  orientées massivement dans la logique du libéralisme Coasien n’ont jamais évalué les couts de ladite bureaucratie et ce en contravention avec les travaux de Coase lui-même.

Maintenant puisqu’on échange, il faudra trouver un lieu virtuel ou réel dans lequel les fournisseurs rencontreront de vrais producteurs. C’est le cas des bourses d’électricité. Sur ces bourses se forment des prix  représentant l’état du marché pour une transaction déterminée, en un lieu géographique et à un instant donné. Sans présager des conditions futures, se sont ajoutés des marchés plus élaborés faisant intervenir la notion d’anticipation temporelle : les prix des contrats à terme (futures) et les échanges à terme (forward). Ce qu’il convient de comprendre c’est que la libéralisation fait que les échanges et les prix correspondants ne sont plus garantis, qu’il faut par conséquent se protéger des risques de prix, ce que l’on appelle les produits de couvertures que sont par exemple les swaps de prix.

C’est dire que la première vague d’acteurs nouveaux en induit une seconde complètement financière. La première vague faisait des échangistes des acteurs assez semblables à ceux de la finance pure. La seconde beaucoup plus nombreuse est faite de purs spéculateurs censés apporter liquidité et surtout sécurité. Le poids du secteur énergétique dans ses diverses dimensions (électricité, fuel, gaz, charbon, renouvelable dans sa propre diversité), son poids dans les contraintes macroéconomiques (l’économie est souvent toute entière de la production/transformation/consommation d’énergie), et surtout sa dimension géopolitique, font que la volatilité des prix est naturellement plus importante que sur toutes les autres matières premières. L’immensité et la complexité d’un marché mondial de l’énergie devient une source d’opportunités nouvelles pour la finance purement spéculative avec la formation perverse d’anticipations auto-réalisatrices et globalement ce qu’on appelle une exubérance irrationnelle.

Les agents économiques véritables, par exemple les entreprises, victimes de l’exubérance irrationnelle peuvent eux-mêmes se couvrir, par exemple par des swaps de prix sur l’énergie. Les entreprises négocient ainsi un contrat fixant un prix convenu avec un agent financier, le plus souvent une banque. Sur la base d’un notionnel (un montant physique d’énergie) et de périodes convenues, entreprises et financiers échangent des sommes représentant la différence entre l’évolution du prix de marché et le prix convenu. Si le prix de l’énergie augmente, et si le contrat qui relie l’entreprise à son fournisseur ne prévoit pas lui-même une couverture, alors c’est l’agent financier qui versera une compensation à l’entreprise. Dans le cas inverse c’est l’entreprise qui compensera la banque. Comme les fluctuations de prix sont considérables les swaps deviennent des outils risqués eux-mêmes susceptibles d’appels de marge. Parce que la finance ne fait que transmettre les risques on voit immédiatement que les swaps peuvent figurer dans d’autres produits structurés et ce à la dimension de l’inventivité financière. D’où un dangereux effet contagion.

La libéralisation du marché de l’énergie, en faisant naître un marché et une concurrence que la France avait jugé nuisible dans sa longue phase de prospérite, risque de devenir source active de la prochaine crise financière.

Cette source active va être renforcée par le développement des boucliers tarifaires qui représentent aujourd’hui environ 2% du PIB. Parce que ces boucliers, dans leur lourdeur, vont  aggraver considérablement  le déficit français (5 points de PIB contre seulement 3 pour l'Italie et 0,5 pour l'Allemagne selon la projection 2027 du FMI) nous aurons  là,  une force nouvelle qui pourra se conjuguer avec celle de l'overdose financière pour aboutir à la situation britannique de septembre dernier : crise purement financière et crise des finances publiques. 

 

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