Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 août 2013 2 27 /08 /août /2013 14:47

 

Le Centre d’Etudes prospectives et d’Informations Internationales (CEPII) a récemment publié une étude concernant l’impact sur le pouvoir d’achat d’une politique de substitution des importations par des productions nationales (CF lettre du CEPII, N° 333- juin 2013).

S’agissant d’une simple lettre,  le détail des calculs et leur complexité n’est pas présenté, mais il est clair que ces derniers reposent sur une rigueur et une méthodologie qu’il est difficile de mettre en doute. Par contre le présent article se propose de contester la rigueur des raisonnements et conclusions.

Selon les auteurs, parce que 25% de la consommation des ménages français  de biens industriels provient de pays de délocalisation, la dé mondialisation - et donc le choix de produire français - entrainerait un surcoût potentiel de 1270 à 3770 euros par an et par ménage. Soit de 100 à 300 euros par mois. Chacun était conscient que la mondialisation favorisait le consommateur – et au passage son vecteur indispensable : la branche Distribution- toutefois les auteurs ajoutent une évaluation quantitative qu’il est - apparemment -  difficile de contester.

L’analyse va pourtant plus loin et s’intéresse aux impacts de ce pouvoir d’achat, d’abord gagné par les vertus de  la mondialisation et fictivement perdu par le choix d’un « made in France ». Sans aborder les questions d’élasticité-prix, d’élasticité- revenu et d’élasticité croisée, pourtant fondamentales dans une telle analyse, les auteurs affirment que la mondialisation a permis le développement de la consommation de services. Le pouvoir d’achat supplémentaire se serait ainsi reporté sur de telles activités. A contrario, le retour au « made in France » supprimerait l’effet d’aubaine au bénéfice  des services avec ses conséquences fâcheuses sur l’emploi dans la branche. Destruction d’emplois, qu’il faut bien sûr comparer avec le volume d’emplois crées par la ré industrialisation du pays. Or, affirment justement les auteurs de l’étude, la différence de productivité ( faible dans les services et forte dans l’industrie) ferait que la politique de relocalisation industrielle serait tueuse nette d’emplois.

La conclusion est ainsi claire : le consommateur devenu contraint dans ses choix serait porteur du virus d’un chômage accru.

Le raisonnement est toutefois contestable dans beaucoup de dimensions non évaluées ou occultées.

Les dimensions non évaluées concernent évidemment les élasticités. Si les élasticité-prix sont très élevées au niveau de la consommation de biens industriels, la ré-industrialisation est sans impact sur les dépenses en direction des services et l’impact en termes d’emplois est très différent : peu d’emplois détruits dans les services et beaucoup d’emplois crées dans l’industrie. Dans ce cas, le choix du « made in France » est défavorable au consommateur mais favorable au salarié désormais moins contraint par le risque de chômage. Le raisonnement des auteurs est ainsi entaché d’une grave insuffisance et aurait gagné à présenter les différents scénarios du point de vue de la valeur des élasticités.

Plus grave est la question des dimensions occultées. Bien sûr le raisonnement privilégie le point de vue du consommateur, mais comme il aborde aussi la question de l’emploi et donc des considérations davantage macroéconomiques, il convenait aussi de procéder à l’analyse coût/avantage  de la mondialisation/dé mondialisation sur les comptes publics et sociaux , également aborder les questions environnementales des deux modalités possibles de la production industrielle.

Sans apporter d’évaluations chiffrées, il est pourtant clair que la mondialisation supposait la parfaite circulation du capital et donc la course au mieux disant fiscal et social, éléments à faire intervenir dans le théorique  gain de pouvoir d’achat calculé par les auteurs. Bien évidemment, le coût environnemental de la libre circulation de la marchandise –elle-même essentiellement composée d’éléments de produits qu’il faudra assembler au terme de trajets longs et complexes- n’est guère évalué.

Il est donc inacceptable de publier de telles études faussement sérieuses et aboutissant à des conclusions confortant bien évidemment la théologie économique dominante.

Marx que l’on taxe volontiers dans la presse de simple philosophe, a pourtant développé il y a près de deux siècles les outils permettant de comprendre de manière plus globale, le processus de mondialisation et ses effets sur le pouvoir d’achat. Il s’agit de ce qu’il appelait la « plus- value relative ». Bien sûr cet outil est aussi un « parti pris théorique » puisé dans sa théorie de la valeur travail, mais il faut accepter que la prétendue « science » économique est faite, plus que la physique ou les mathématiques, de parti pris théoriques.

Et de ce point de vue, celui de Marx produit un paradigme de compréhension du monde plus explicatif et convaincant que celui présenté par le CEPII.

La plus-value relative est chez cet auteur l’ensemble des effets résultants d’une baisse de la valeur de la force de travail, baisse elle-même induite par la diminution de la valeur des « biens salaires » (les biens de consommation qui servent justement à reproduire la "force de travail"), et diminution provenant d’une hausse de la productivité dans les branches les produisant.

Appliquée à la mondialisation, il y a bien baisse de la valeur des biens salaires (vêtements, chaussures, appareils ménagers etc.) et baisse constatée par une diminution des prix de ces marchandises, désormais importées et non produites dans le cadre d’un Etat-nation. Il y a bien plus-value relative et le coût de reconstitution de la force de travail diminue : on peut théoriquement diminuer les salaires en France sans que le pouvoir d’achat des salariés diminue puisqu’ils acquièrent désormais de quoi se vêtir, se nourrir pour moins cher dans les usines de la grande distribution branchée sur les produits de délocalisation.

De fait, Marx considérait que la plus-value relative ( baisse de la valeur de la force de travail) était un gain global du système qui pouvait être partagé entre hausse du pouvoir d’achat, hausse du profit, hausse de la rente publique (impôt). Dans le cas de la mondialisation - processus qui crée massivement de la plus-value relative - il y a possiblement partage entre profits et salaires mais très probablement évincement de la rente publique.

Le pouvoir d’achat peut augmenter, ce qu’admettent les auteurs de la lettre du CEPII. Mais les entreprises des vieux pays anciennement industrialisés peuvent aussi bénéficier de la baisse de la valeur de la force de travail, soit en délocalisant, soit en faisant pression sur les salaires internes aux fins de résister à la concurrence mondialiste. De fait elles peuvent récupérer en profits une partie des gains de pouvoir d’achat: le pouvoir d'achat des salariés augmente beaucoup en raison de l'effondrement des prix des "biens salaires", désormais importés , mais les entreprises récupèrent une partie de ce pouvoir d'achat en tentant de comprimer les salaires. La question étant de savoir si la plus- valur relative est partiellement ou totalement récupérée par les entreprises.

 Par contre, le prédateur public est très probablement le plus mal placé pour bénéficier de la plus- value relative et se trouve exposé aux récriminations  des entreprises qui menacent de nouvelles délocalisations. Curieusement son évincement est peu visible car la masse taxable se réduit en mondialisation: l’Etat amaigri apparait trop gros dans un PIB qui ne s’accroit plus au même rythme que naguère dans l'ancien Etat-Nation. D'où de nouvelles récriminations des entreprises trop taxées...

Plus globalement le modèle de Marx concernant la plus-value relative et sa répartition doit être revisité dans la cadre d'une réalité mondialisée où ce qu'il appellait les "sections de production"  - celle des biens capitaux ( investissements) et celle des biens salaires (consommation) -  se trouvent désarticulées par la disparition relative des Etats- Nations. Plus simplement exprimé , en mondialisation, tous les salaires apparaissent comme des coûts et non des débouchés puisque le marché n'est plus national mais mondial. D'où la tendance généralisée à la surproduction de biens capitaux inutilisables ( par exemple la Chine avec ses infrastructures vides d'utilisateurs) , ce que Marx désignait par la contradiction entre la création de valeur et sa "réalisation" (concrètement la difficulté de  vendre  ce qui est crée, donc des marges en baisse et des questions d'insuffisantes rentabilité).

 

 Bien évidemment il est de fait impossible de procéder à une évaluation chiffrée de cet ensemble de phénomènes que l'on ne peut apprécier que qualitativement par des indices qui confirment la robustesse du modèle ( le parti pris théorique). Et dans la présente configuration du monde , ce qui confirme le paradigme de Marx est un ensemble de faits: capacités de production excédentaires partout dans le monde, carnets de commandes en baisse, faiblesse des marges industrielles justifiant un manque d'investissements faute de bébouchés, et justifiant l'investissment spéculatif dans d'irréelles innovations financières, dislocation des équilibres bilantaires et des paiements extérieurs justifiant de nouvelles spéculations, etc.

Au delà -  et néanmoins -  la qualité d’un raisonnement qui ne peut dépasser en toute honnêteté le simple domaine du qualitatif, est parfois supérieure à celle qui prétend mesurer avec précision, sans dévoiler de discutables prémisses. 

Il est vrai que les économistes ont oublié Marx depuis longtemps: comment intégrer ce vieux philosophe de réputation sulfureuse dans la connaissance du monde moderne?  

Partager cet article
Repost0

commentaires

A
Bonjour,<br /> j'ai un petit problème avec cette phrase : "Si les élasticité-prix sont très élevées au niveau de la consommation de biens industriels, la ré-industrialisation est sans impact sur les dépenses en<br /> direction des services et l’impact en termes d’emplois est très différent : peu d’emplois détruits dans les services et beaucoup d’emplois crées dans l’industrie."<br /> La relocalisation entraîne, sans investissement massif dans la robotisation, une hausse des prix des biens industriels. Si je me souviens bien, une élasticité prix élevé sur les biens industriels<br /> veut dire que face à une hausse de ces prix, la demande de ces biens décroît plus que proportionnellement. Ce qui explique pourquoi la demande vers les services est peu impactée puisque les<br /> consommateurs ignorent en quelque sorte ces biens industriels, mais pas du tout la forte hausse des emplois industriels que vous relatez. La demande de ces biens n'étant pas au niveau de celle des<br /> biens importés, le nombre d'emploi industriels ne va pas forcément exploser ( d'autant plus si cette relocalisation s'effectue tout de même dans un environnement pas totalement fermé). La<br /> robotisation permettant de contrer à moyen terme la hausse des prix de production ( une fois le coût des équipements récupéré par l’amortissement), implique aussi une création d'emplois industriels<br /> qui ne me parait pas forcément phénoménal. D'autant plus, qu'une véritable croissance durable dans le sens "qui dure", qui ne s'arrête pas fautes de matières premières ( dans les 25 ans en moyenne<br /> pour le fer par exemple ) nécessite le passage à un système de location de biens durables et non plus de simple vente ( location = construction plus solide= mise à niveau régulière par le<br /> fabricant= moins de gâchis= emplois de réparateurs qui eux semblent plus prometteurs que les emplois de production en eux mêmes car non délocalisable par définition)
Répondre
J
<br /> <br /> Je suis d'accord avec la nuance apportée. Mais je pense qu'une élasticité élevée signifie bien un solde création/destruction d'emplois favorable.<br /> <br /> <br /> Par contre mon raisonnement est lui même criticable sur la question de la possibilité matérielle du retour au made in france: nouvelles compétences professionnelles à valider, recomposition<br /> complète des chaines dites de la valeur si séduisantes aux yeux de Pascal Lamy, négociation internationale sur la réorganisation du monde, etc....Toutes choses assez compliquées que le<br /> fonctionnement des marchés politiques ne peut en aucune façon produire.<br /> <br /> <br /> <br />
B
Union Européenne : chômage pour le mois de juillet 2013 :<br /> <br /> 1- Médaille d'or : Grèce. 27,6 % de chômage.<br /> <br /> 2- Médaille d'argent : Espagne. 26,3 %.<br /> <br /> 3- Médaille de bronze : Chypre : 17,3 %.<br /> <br /> 4- Croatie : 16,7 %.<br /> <br /> 5- Portugal : 16,5 %.<br /> <br /> 6- Slovaquie : 14,3 %.<br /> <br /> 7- Irlande : 13,8 %.<br /> <br /> 8- Bulgarie : 12,7 %.<br /> <br /> http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_PUBLIC/3-30082013-AP/FR/3-30082013-AP-FR.PDF<br /> <br /> Chômage des jeunes de moins de 25 ans :<br /> <br /> 1- Grèce : 62,9 % de chômage des jeunes de moins de 25 ans.<br /> <br /> 2- Espagne : 56,1 %.<br /> <br /> 3- Croatie : 55,4 %.<br /> <br /> 4- Italie : 39,5 %.<br /> <br /> 5- Chypre : 37,9 %.<br /> <br /> 6- Portugal : 37,4 %.<br /> <br /> 7- Slovaquie : 34,6 %.<br /> <br /> 8- Irlande : 28,6 %.
Répondre
B
Mercredi 28 août 2013 :<br /> <br /> Merkel : "la Grèce n'aurait jamais dû être admise dans la zone euro"<br /> <br /> La chancelière allemande Angela Merkel, en campagne pour un troisième mandat aux législatives du 22 septembre, a lancé mardi lors d'une réunion électorale que la Grèce n'aurait pas dû être admise<br /> dans la zone euro.<br /> <br /> http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/afp-00545407-merkel-la-grece-n-aurait-jamais-du-etre-admise-dans-la-zone-euro-598674.php<br /> <br /> Vendredi 23 août 2013 :<br /> <br /> « Sauvetage de l’euro, l’addition s’il vous plait ! »<br /> <br /> Après l’annonce du ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble d’un probable nouveau plan d’aide à la Grèce après 2014, le Handelsblatt consacre un dossier à « l’addition » que les Allemands<br /> doivent payer pour le sauvetage de l’euro.<br /> <br /> Le quotidien économique allemand critique Angela Merkel, qui s’était dite « incapable d’indiquer le montant du sauvetage de l’euro ».<br /> <br /> « La chancelière poursuit visiblement un but cet été : garder le calme sur le front de l’euro », commente le Handelsblatt, qui a fait ses propres calculs.<br /> Selon le journal, il en coûte à l’Allemagne quelque « 150 milliards d’euros, dont 42 devraient être rendus disponibles très vite. »<br /> <br /> http://www.presseurop.eu/fr/content/news-brief/4079821-sauvetage-de-l-euro-l-addition-s-il-vous-plait
Répondre

Présentation

  • : Le Blog de Jean Claude Werrebrouck
  • : Analyse de la crise économique, financière, politique et sociale par le dépassement des paradigmes traditionnels
  • Contact

Recherche