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11 décembre 2021 6 11 /12 /décembre /2021 08:11

Pandémie et grande peur climatique sont porteuses d’effets  conjugués sous la forme d’un processus généralisé de digitalisation du monde. Et cette digitalisation, simple moyen, affecte bien évidemment le capitalisme de l’économie réelle comme il affecte le capitalisme financier.

La digitalisation s’apprécie d’abord au plan micro et méso-économique.

Au plan micro, il s’agit de rechercher des gains de productivité par une automatisation accrue des process, celle permise par exemple par les nouvelles  chaînes de robots connectés. Cette recherche donne naissance à une multitude d’entreprises dites du numérique, des biotechnologies, de la santé, du dernier kilomètre, du big data, de la fintech, avec évidemment tout ce qui de près ou de loin se rapproche de l’intelligence artificielle. Cette automatisation généralisée signifie aussi parfois le retour à un taylorisme d’un autre âge, par exemple celui constaté dans la livraison en France d’un milliard de colis annuel dans le e-commerce. Il s’agit aussi de construire des protections contre les secousses nouvelles qui apparaissent sur les chaines de la valeur, par exemple celles de considérables fluctuations de prix, d’où un fantastique développement des positions non commerciales sur les marchés à terme (par exemple 600 000 contrats présents, donc des paris, sur le seul marché du bois de construction contre zéro contrat avant la pandémie). Il s’agit également de s’avancer vers les problématiques d’un télétravail aux conséquences inexplorées et pourtant probablement considérables. D’où de grandes questions : Nouvelle fracture sociale entre les assignés aux postes physiques et un back office de plus en plus éloigné ? Séparation beaucoup plus radicale entre cols blancs et cols bleus ? Déliaison sociale dans un monde -l’entreprise- qui était l’un des derniers lieux de socialisation ? Salariés, notamment cadres, redevenus simples mercenaires ? Fin d’une commune culture faite de codes respectés ? Forme modernisée du vieux travail à domicile à l’aube du capitalisme industriel ? Nouvelle forme de délocalisation dans une mondialisation renouvelée ? Quel avenir pour les locaux libérés ? Quelles conséquences pour les services associés (repas, transports, etc.) ? S’agit-il des prémices d’une future expulsion des derniers gagnants nationaux de la mondialisation ? Quel bilan coûts/ avantages ?

A mi-chemin entre le micro-économique et le méso-économique, il s’agit de mesurer les conséquences d’un choix très particulier de la protection des communs. C’est finalement le marché -et non la gouvernance polycentrique chère à Ostrom- qui doit prendre en responsabilité la transition climatique. Dans ce paradigme, les atteintes au milieu naturel sont une défaillance du marché qu’il faut éradiquer par des incitations et un marché des droits à polluer. Pour défendre la nature contre la prédation capitaliste, il s’agit de transformer la nature en capital. D’où un nouveau champ d’investigation pour la finance avec les expressions correspondantes : « finance durable », « responsabilité sociale de l’entreprise » (RSE), « financement participatif », « Investissement à impact » etc. D’où la volonté de monétiser la performance non financière des entreprises avec la construction de nouvelles formes de comptabilité….

Avec des conséquences gigantesques si le prix du carbone devait s’accroître de façon importante. Ainsi quel impact sur les bilans consolidés des 6 grands groupes bancaires (BNP, SG, Crédit Agricole, BPCE, Banque Postale, Crédit Mutuel) dont l’impact carbone est 7,9 fois supérieur à celui de la France ? Quel impact sur la valeur des cryptomonnaies privées qui, utilisatrices de Blockchains, consomment des quantités considérables d’électricité produites à partir de matières premières carbonées ? Sur le plan méso-économique des branches entières sont dès aujourd’hui soumises à de grandes contraintes et surtout de grandes interrogations quant à leur avenir : industrie automobile, industrie pétrolière aux actifs carbonés gigantesques, Aéronautique, industries cimentières et bétonnières, sidérurgie, cristallerie, etc.

Et dans ce contexte, il faut se souvenir des propos visionnaires tenus par John Perry Barlow dans le Davos de 1998 : «Gouvernements du monde industriel, vous, géants fatigués de chair et d’acier, je viens du cyberespace, le nouveau domicile de l’esprit. Au nom du futur, je vous demande  de nous laisser tranquilles. Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez pas de souveraineté là où nous nous rassemblons. »  Effectivement, les « grandes peurs » qui précipitent l’accélération de la digitalisation généralisée font naître des entreprises monopolistiques (GAFAM) qui, elles-mêmes, questionnent la souveraineté classique. Comment ne pas s’inquiéter de l’avenir de la Grande Distribution française, notamment les difficultés du groupe Mulliez  face à AMAZONE après une expérience malheureuse avec ALIBABA ? Quel avenir pour les 3,5 millions de salariés français dans la Grande Distribution ? On pourrait multiplier les questionnements.

Sur le plan macroéconomique, il est inutile de rappeler les effets de la première grande peur, celle de la pandémie. On sait simplement que raréfier brutalement l’offre globale tout en maintenant les revenus présente des conséquences évidentes : maintien d’entreprises zombies, une rémunération du travail qui passe directement par l’Etat comme au temps du « Speenhamland System » anglais du 18ième siècle, un déséquilibre public en très forte hausse,  un déséquilibre extérieur accru, un recul de la consommation et une hausse de l’épargne, un désœuvrement débouchant parfois vers une  « démocratisation » des activités boursières elles-mêmes équipées de nouveaux « produits » : « non-fungible tokens » (NFT), « Exchange Traded funds » (ETF) spécialisés dans le jeu de la conquête spatiale, etc. La spéculation sur la virtualisation généralisée ne connait plus de limite.

Plus important serait de s’interroger sur les effets de la seconde grande peur sur le climat avec les décisions concernant le prix du carbone. Les coûts macroéconomiques concernent d’abord l’augmentation générale des prix à la consommation. Il ne s’agit pas de l’actuelle hausse des prix qui résulte des secousses sur les chaînes de la valeur et qui ne seront probablement pas durables. Pour autant existe une vraie controverse sur un retour de l’inflation. Pour les optimistes il existe une indexation assez générale du cours des matières premières sur le pétrole et les USA disposent aujourd’hui du pouvoir politique de fixer les prix par action sur le volume des réserves stratégiques et surtout le contrôle de l’extraction. Pour ces optimistes l’inflation ne serait pas durable et déjà le cours du brut baisse. Pour d’autres l’inflation serait durable et affecterait de façon très différentielle les pays de la zone euro, avec des chiffres qui interrogent : 8% pour la Lituanie, mais simplement 2% pour le Portugal, ce qui pose et repose la question de la divergence croissante entre pays…et la stabilité de l’Euro.

  Au-delà il faudra - sur le moyen et le long terme - évaluer les conséquences de l’intégration de la taxe carbone sur la totalité des émissions de gaz à effets de serre. L’étude de Diego Kansig de la London Business School tend à montrer un lien entre prix du carbone et nombre de brevets déposés au titre de l’énergie verte, avec effets rapides sur la transformation des combinaisons productives et une production plus décarbonée. La demande globale correspondante se transforme qualitativement avec un maintien des dépenses des ménages aisés et une chute significative de celles des ménages à bas revenus. L’étude conclut que la taxation carbone est efficiente pour la modification de l’architecture générale  de la production, mais  qu’elle doit s’accompagner de sa redistribution vers les ménages les moins aisés. Le coût de la transition énergétique varie en fonction des pays, de leur niveau de diversification, et de leur niveau de développement. La France dispose de ce point de vue d’un avantage reposant sur son parc électronucléaire, avantage qui peut encore être contesté par Bruxelles dans sa classification taxonomique. Inversement le mode d’occupation du territoire avec la dispersion de l’habitat augmente les couts et interroge probablement sur les modalités de la redistribution en France: faudra-t-il être plus sévère avec les couches sociales plus  défavorisées qui émettent beaucoup de gaz à effet de serre en raison de leur éloignement des grands pôles économiques ?

 

 

La digitalisation accélérée sur un monde qui veut rester complètement marchand -y compris pour vaincre la « grande peur » sur le climat- facilite (comme précédemment rappelé) le champ d’action de la finance. Puisque tout est marchandise et que tout peut être représenté par des chiffres, il apparait assez logique que la finance soit à priori la grande gestionnaire du monde : les professionnels de la politique se doivent de devenir de simples collaborateurs des professionnels de la finance.

Ainsi que allons tenter de le montrer les choses vont pourtant devenir plus complexes.

Sans aborder ici la question de « l’Union bancaire » qui relève des problèmes liés à la monnaie unique, il faut savoir que le  système bancaire devient  étrangement menacé par la financiarisation généralisée. Au-delà de son actif bilantaire lourdement carboné, il est aussi menacé directement par la digitalisation généralisée. Il est menacé d’abord par les nouvelles banques en ligne, mais il est aussi menacé par les nouveaux moyens de paiement qui, de fait, assurent une marginalisation progressive du système bancaire classique. Il y a d’abord la disparition de la monnaie fiduciaire qui ne correspond pas au soulagement normalement attendu s’il est remplacé progressivement par la multitude des cryptomonnaies privées. On peut aussi souligner le poids de ces cryptomonnaies qui, de fait, font disparaître des ressources à un moment où la décarbonisation des bilans imposera de multiplier les provisions sur les actifs ( aujourd’hui 1000 milliards de dollars sont transformés en bitcoins et assèchent, en collaboration avec quelque 15000 autres cryptos, les comptes figurant au bilan des banques). De ce point de vue, la nouvelle informatique et en particulier la technologie blockchain permet aujourd’hui d’assurer une grande partie des métiers bancaires en se passant de toute forme d’intermédiaires. Alors que les paiements étaient jadis le fait d’un système solidarisé par une banque centrale, ils peuvent aujourd’hui se passer de tout système. Un peu comme si le matériel roulant de la SNCF pouvait se passer des voies ferrées.  La banque risque ainsi de devenir dans un monde entièrement digitalisé la voiture hippomobile à l’époque de l’industrie automobile. Le système tente de survivre en nouant des interdépendances avec les géants de la tech, en pratiquant le « beyond banking » et en multipliant d’autres interdépendances avec la finance de l’ombre.

Face à cette situation, la Banque centrale mène une stratégie ambigüe : devenue proto-Etat en garantissant la solvabilité des acteurs principaux (Etat et système financier global) qui eux-mêmes garantissent la solvabilité de tous les autres au regard des « grandes peurs », elle prépare déjà le monde de demain. Parce que nouvelle institution assurant- à l’intérieur de l’espace marchand- l’ordre chez les humains elle est bien une sorte d’Etat en formation. La « guerre de tous contre tous » est ainsi contenue par le proto-Etat banque centrale.

Cette activité de proto-Etat -qui se ramène à monétiser toutes les dettes et maintenir à flot la valeur des actifs- développe d’innombrables effets pervers souvent recensés : taux d’intérêts négatifs ou proches de zéro, maintien d’entreprises zombis, inflation des actifs avec bulles financières et immobilières, etc. Sachant qu’il est devenu impossible pour la Banque centrale de compenser les effets pervers principaux et qu’il faut pourtant continuer à éviter que les « grandes peurs » se transforment en panique, la réflexion se porte sur l’interdiction des cryptomonnaies et leur remplacement par une cryptomonnaie de banque centrale. Une réflexion qui devient sous la houlette de la BRI un grand projet.

Il y a d’abord la prise de conscience que les cryptomonnaies sont une menace pour les banques, pour l’économie, et pour la société : aucun investissement économiquement et socialement utile, impossibilité technique de gérer de grandes masses de transactions à l’instar de Visa ou Mastercard, participation au détournement d’une épargne à investir dans l’économie réelle vers  une inflation d’actifs spéculatifs, instrument de blanchiment de revenus illicites, aucune transparence, aucune sécurité,  etc. Mais il y a ensuite la prise de conscience par les autorités monétaires que la nouvelle technologie numérique permet de construire un système financier permettant de mieux contrôler l’activité bancaire et financière dans des conditions nouvelles : gains de productivité, confiance pour l’ensemble des agents, possibilité de mettre un terme à l’ensemble des dérives d’un monde insuffisamment régulé.

Dans son sens le plus fort, la cryptomonnaie de banque centrale peut faire disparaître tout ce qui constitue l’infrastructure monétaire du système bancaire actuel. Elle peut renouer avec le slogan de  « destruction créatrice » cher à Schumpeter. Les moyens sont simples : chaque agent (Etat, ménages, entreprises) dispose d’un compte à la banque centrale laquelle effectue automatiquement les milliards d’opérations journalières entre les participants. Clairement ce que fait le système bancaire au quotidien, c’est-à-dire assurer la circulation de la monnaie entre tous les agents, la banque centrale équipée de sa monnaie numérique peut l’assurer dans des conditions de rapidité et de sécurité incomparables. Il n’est plus besoin de rails pour faire circuler la monnaie. Il n’est plus question de tensions sur un marché monétaire fait de méfiance concernant la solvabilité de tel ou tel partenaire bancaire. Il n’est plus question de « bank run » et des paniques associées. A l’échelle de la zone euro, la nouvelle monnaie numérique peut aussi techniquement assurer une union des transferts entre pays cigales et pays frugaux : les soldes « Target 2 » deviennent invisibles. Bien évidemment il ne s’agit que d’un masque, mais la métamorphose partielle de la Banque centrale en véritable Etat permet, à priori, de mieux sécuriser l’attelage. Au final on pourrait imaginer un partage des tâches entre banque centrale qui aurait le monopole de la création et d’une infrastructure monétaire en law cost , et les banques, qui privées de la création, conserveraient toutes les opérations classiques sous la houlette de la Banque centrale….en espérant que l’Etat reprenne un maximum de responsabilité dans le cadre d’une politique économique capable d’assurer la maitrise des « grandes peurs ».

Il est difficile d’aller plus loin dans cette réflexion tant il est vrai que propositions/décisions et résistances de la finance seront d’une extraordinaire puissance. La finance d’aujourd’hui est autrement puissante que les producteurs de calèches d’hier face à l’industrie automobile naissante. Au surplus la banque centrale fonctionnant encore au service de la finance, il lui sera difficile de faire sécession puis de se renier. Pour autant elle pourrait trouver l’appui des entrepreneurs politiques qui eux-mêmes prendraient conscience de leur servitude au regard de la finance et appuieraient- voire prendraient en charge- un projet de grande transformation.

 

 

 

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1 décembre 2021 3 01 /12 /décembre /2021 17:32

L’élection présidentielle est importante en France dans la mesure où elle confie d’immenses pouvoirs à l’élu. Ces pouvoirs sont la possibilité d’agir sur les outils traditionnels de ce qu’on appelle la puissance publique. Sachant que, dans toute communauté humaine, ces outils sont en position de capture par ceux qui y ont accès, le but de l’action politique en démocratie est la montée de la qualité d’un vivre ensemble, sans doute proche de celui proposé par le philosophe politique John Rawls[1]. Ce but peut se traduire en objectifs hiérarchisables.

 

Les objectifs fondamentaux

1- Parmi les facteurs fondamentaux du bien vivre ensemble, il y a l’importance de la classe moyenne. Plus cette dernière est large, en position quasi hégémonique, et plus l’ensemble est apaisé :  confiance entre agents, confiance en l’avenir, confiance et respect dans la démocratie, émancipation visible, recul du communautarisme, avec au final entropie faible et « capital social » élevé. Plus la classe moyenne est en position quasi hégémonique et plus le risque du passage de la société multi-culturelle à l’ethnicité rigoriste recule.

2 - Le dirigeant politique idéal est celui à qui sont confiés les outils de la puissance publique, et ce en vue de la reconstruction d’une classe moyenne aujourd’hui en déshérence. Cela concerne la France et au-delà l’ensemble de l’Occident, mais aussi l’ensemble des pays « émergés » victimes de ce qu’on appelle aujourd’hui l’impossible « moyennisation ».[2]

3 - L’immense classe moyenne à reconstruire n’est pas celle d’hier. Elle est celle de demain et à ce titre doit faciliter l’épanouissement des nouvelles aspirations : émancipation, autonomie, inventivité, dynamisme, conception nouvelle de l’Universel, etc. Sans renier les anciennes : méritocratie, égalité, solidarité, etc.

4- L’objectif de reconstruction d’une immense classe moyenne doit tenir compte de ce nouveau logiciel dans lequel le futur ne s’enracine plus dans les grands paradigmes narratifs, mais  se contente de quête de bien-être matériel et immatériel. Ce bien-être se conçoit au regard de plusieurs paramètres :

  • La dimension environnementale qui déplace le combat pour la patrie de naguère en  combat pour l’habitabilité de la maison commune d’aujourd’hui c’est-à-dire  la nature. Ce  combat doit aussi  assurer la subordination de l’économie aux fonctions régulatrices assurées par le milieu naturel. 
  •  La valeur liberté qui, s’enracinant dans un cadre protecteur, cherche pourtant à s’en affranchir (fin de la modernité, fin des pyramides hiérarchiques, corrosion de toutes les institutions, développement du « pair à pair » radical et rejet des « tiers »). 
  •  La valeur égalité qui, avec l’objectif d’une hégémonie de la classe moyenne, devient simple conséquence et donc indicateur du résultat d’une politique. Cette valeur est combinaison complexe de l’idée de « justice-résultat » associée à celle d’une « justice procédurale »[3].

Les moyens principaux

1 – Mettre fin à tous  les programmes de réformes dites « structurelles » qui détruisent l’identité fondamentale de la France. Cela suppose selon le mot de Braudel d’accepter que la « main du passé sculpte encore le présent » et qu’à ce titre soit respectée la tradition pluri-séculaire de la concentration politique et administrative. Il s’agit d’arrêter le processus d’affaissement de la loi, celui de la promotion de la norme foucaldienne ou de la règle ordo-libérale , la dérive des autorités dites indépendantes, l’engloutissement de l’Etat dans la marchandisation généralisée, la « déconstruction » généralisée, le suivi de prétendus modèles, etc. En résumé, il s’agit d’arrêter les agressions contre l’identité culturelle du pays.

1 - Les outils de la puissance publique doivent tout d’abord être maîtrisables, ce qui passe par le retour de la pleine souveraineté, sans laquelle le « Démos » se trouve contesté et emprisonné. Contesté aussi bien par l’extérieur (Union européenne) que par l’intérieur (haine de la Nation dans certaines nouvelles communautés), la souveraineté du pays s’exerce dans le cadre du respect de la souveraineté de tous les autres.

2 - Considérant que le revenu de citoyenneté et autres primes d’affaissement[4] de la valeur travail sont  peu engendreuses de lien social (risque d’entropie élevée et capital social faible), il faut admettre que la valeur travail - même revisitée par des aspirations nouvelles (autonomie, réalisation de soi, etc.)-  reste aujourd’hui encore l’instrument fondamental de la socialisation. La valeur travail ainsi associée à celle de liberté plaide pour une société à économie de marché, ce qui est différent d’une société de marchés. La reconstruction d’une immense classe moyenne passe par le rétablissement d’un plein emploi productif de qualité. Plein emploi autorisant une croissance inclusive forte, la fin du déséquilibre extérieur du pays et le souci de l’équilibre extérieur des autres pays.

3 - Dans une réalité qui confirme que le monde restera celui de la cohabitation concurrentielle entre Etats-Nations, l’arme financière, dans sa dimension « taux de change », est un outil fondamental au rétablissement du plein emploi : elle est – par l’architecture du système de prix qui en découle- un filtre entre un dedans maîtrisable et un dehors à maîtriser. La maîtrise relative d’un taux de change est ainsi la clé qui permet l’ajustement entre des mondes différents et ouverts à la cohabitation concurrentielle.

4 - Parce que la cohabitation entre Etats-Nations est fondamentalement concurrentielle, l’arme financière permet d’éviter les catastrophiques dévaluations internes pratiquées par les pays du sud de la zone euro (recul du salaire réel, de la demande interne et de l’emploi, et pratique non généralisable en raison de ses effets externes négatifs sur les autres pays). Le rétablissement à court terme de la compétitivité passe donc par le taux de change et jamais par la baisse des salaires. Ce taux de change est directement travaillé par la valeur externe de la monnaie ou indirectement par des limites au libre-échange, par exemple des barrières douanières.

5 – A moyen et à long terme, la compétitivité porteuse du rétablissement des classes moyennes et du bien vivre ensemble passe aussi par des choix privilégiés en termes de branches d’activité. Pour la France, toutes les activités porteuses de croissance régulière de la productivité, croissance aux effets externes positifs sont à privilégier. Il faut ainsi privilégier l’industrie, mais aussi l’agriculture, l’écologie, les technologies numériques, toutes activités qui, de par leur nature, peuvent concourir au rétablissement de l’équilibre extérieur. Les activités non porteuses de rendements potentiellement croissants -celles imaginées aux fins du soulagement du poids de la crise, non susceptibles de contribuer à l’équilibre extérieur- ne sont à privilégier que dans la mesure où elles contribuent de façon indirecte à la valeur égalité (services et en particulier services à la personne).

6 - Le rétablissement de la souveraineté monétaire est d’abord un coût élevé (dévaluation ou/et barrières douanières) pesant sur les classes moyennes dont on veut, pourtant, rétablir la place centrale. Le maintien de la confiance durant la difficile phase de reconstruction suppose une dimension spectaculaire, celle de la promptitude et de la non-limitation des moyens de l’investissement.

7- La non-limitation de l’investissement est ce qui permet de sortir à moyen terme du plafond très bas de la croissance potentielle (à peine 1% aujourd’hui), plafond bloquant la création d’emplois et donc le rétablissement de la classe moyenne. Cette non-limitation concerne aussi fondamentalement le combat sur le climat. Il est donc fondamental d’élever rapidement les taux d’activités dans toutes les classes d’âge par une embauche massive et rapide autour des moyens investis (environnement, climat, SNCF, Energie, infrastructures, etc.). Non seulement le chômage apparent doit disparaître très rapidement mais la population en activité doit croître dans d’importantes proportions (importance du critère du taux d’activité en équivalent temps plein comme seul outil de mesure du chômage réel).

8- Le risque de fuite considérable des investissements sous la forme d’importations massives doit être combattu par leur sélection : d’abord par la requalification la plus rapide possible de ceux qui sont devenus « inutiles au monde » et porteurs de la dérive ethnique, parfois depuis plusieurs générations (requalification d’abord sociale et comportementale, puis professionnelle) ; ensuite par l’adoption d’un processus sélectif de l’investissement limitant la forte pression sur les importations.

9- Les contraintes de requalification et de fuite vers les importations sont les seules pouvant être qualifiées d’objectives. Tel n’est pas le cas des moyens financiers. A ce titre, la mise sous tutelle de l’ensemble des institutions monétaires et financières est requise et il est mis fin à l’indépendance de la Banque de France. Et il n’y a rien à négocier avec la finance : le souverain - surtout si au-delà de la simple légalité il est aussi un souverain légitime- est celui qui est le seul à pouvoir légitimement bousculer l’ordre normatif et juridique financier.

10 - Une arme privilégiée de l’investissement est le rachat de dette publique à échéance par la Banque de France. Le cas échéant, cette arme peut aussi être celle de l’émission directe par la Banque de France, émission rétablissant le seigneuriage[5] sur l’ensemble de la monnaie scripturale émise par les banques. Bien évidemment, les nouvelles technologies sont mobilisées avec en pratique l’accélération de la mise en place d’une cryptomonnaie de banque centrale, à l’instar de ce qui se passe en Chine.

 Les moyens correspondants sont redistribués :

           - aux banques chargées d’une mission de service public,

          - aux agents économiques sous la forme d’une baisse des prélèvements publics obligatoires,

          - à la puissance publique elle-même,

    - aux éventuels litiges avec les victimes (non-résidents) de la perte de change résultant du rétablissement de la souveraineté monétaire.

Ces décisions stratégiquement majeures doivent faire l’objet d’un habillage politique sincère et habile : la France ne met pas fin à l’euro, elle décide simplement de se servir de la monnaie commune pour le rétablissement de sa souveraineté. Politiquement, ce n’est que si l’Allemagne se manifeste en décidant de quitter l’Eurosystème que la fin de l’euro pourra être actée. Ce qui suppose de grands et sans doute longs débats entre les rentiers et les industriels allemands porteurs d’intérêts fondamentalement différents. Durant toute cette période le pouvoir français devra se montrer inflexible : il n’y a rien à négocier, et il y a surtout à mettre en lumière la fausse monnaie déversée par le QE de la BCE aux fins de maintenir le pouvoir de la finance. Simultanément il y a la volonté éthique de transformer cette fausse monnaie  en monnaie productive au profit de l’économie réelle.

11 - La mission de service public du système bancaire concerne notamment l’aide au rétablissement de l’équilibre extérieur : relocalisations, investissements substitutifs d’importations, agriculture de proximité privilégiant l’autosuffisance alimentaire, dé-carbonisation, aide au développement aux fins de contenir les flux migratoires, etc.

12 - Les considérables moyens nouveaux de la puissance publique doivent privilégier l’avenir : formation, recherche, coopération inter-étatique -en particulier européenne et africaine- sur grands projets, investissements stratégiques, etc.

Conclusion : 

 La fin des QE de l’actuelle BCE - qui a augmenté la base monétaire et non le crédit et donc l’investissement - et son remplacement par l’achat direct de dette publique participe à une véritable économie de l’offre rétablissant la confiance : l’aisance monétaire nouvelle n’est plus l’aisance monétaire improductive des QE de la BCE, elle consacre à l’inverse le retour à des investissements massifs, eux-mêmes encouragés par la baisse des prélèvements publics obligatoires. Parallèlement, les banques et en particulier, celles dites « Spécialistes en Valeurs du Trésor » (« SVT »), sont mécaniquement invitées à construire des produits financiers dont la contrepartie correspond à un investissement réel (et non plus une dette publique dont la contrepartie est une dépense publique courante). Les autorités monétaires perdent leur statut de faussaires et se mettent au service d’une volonté nationale et d’une géopolitique soucieuse du bien commun de l’humanité.

 Une croissance forte aux effets de reconstruction d’une classe moyenne large est ainsi enclenchée.

NOTE : Les développements que nous venons de mener ne sont évidemment pas un programme pour une élection présidentielle. En revanche ils en constituent un canevas. On peut hélas souligner que les candidats restent éloignés d’une réflexion profonde et courageuse : le fonctionnement normal des marchés politiques ne s’y prête guère. En particulier aucun entrepreneur n’est  en situation d’ aborder la question de la finance laquelle est pourtant le paramètre central de tout projet de refondation sérieux.

 


[1] Pour John Rawls, la bonne société est faite d’une articulation de la liberté et de la contrainte aboutissant à ce qu’un certain niveau d’inégalités sociales soit  tolérable s’il concourt à l’édification du bien être le plus grand possible pour les citoyens les plus défavorisés. Ancrée dans un univers culturel différent de celui de la France, ce point de vue correspond pourtant à un certain idéal français.

[2] Il s’agit de la très difficile construction d’une classe moyenne dans les pays dits émergés : Chine, Brésil, etc.

[3] Les résultats  d’un jeu économique classique peuvent donner lieu à une interprétation en termes de justice sociale. Les décideurs politiques pourront ainsi par une politique de redistribution redessiner les résultats du jeu. Les néolibéraux n’acceptent pas cela et considèrent que les résultats du jeu économique sont justes et incontestables si les procédures contractuelles menant au résultat sont respectées. C’est ce qu’ils appellent la « justice procédurale ». Dans le monde concret ces 2 types de justices ne s’opposent pas nécessairement et peuvent être complémentaires.

[4] Cela concerne l’ensembles des primes dites Macron ou d’activité ou d’inflation etc. qui toutes correspondent à une prise en charge d’une partie du coût du travail par la société.

 

[5] De tradition antique le seigneuriage correspond à un prélèvement public sur la monnaie produite par l’Etat. La monnaie n’est plus produite par les banques mais se trouve vendue aux banques par un Etat souverain.

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1 novembre 2021 1 01 /11 /novembre /2021 15:36

Jusque dans les années 90,  l’entreprise EDF était de très loin l’entreprise d’électricité la plus moderne et la plus efficiente du monde. A cette époque, l’électricité était un service public ou plus exactement  un bien commun au sens de celui que   la commission Rodotà définira beaucoup plus tard : « utilité fonctionnelle à l’exercice des droits fondamentaux », « protection au bénéfice des générations futures », « participation à la gestion » et système tenu « hors commerce »[1].

La bonne gestion du monopoleur qu’était EDF consistait à mettre en activité les quelques centaines de centrales selon un ordre décroissant : d’abord les unités les plus performantes et, selon l’appel de la demande, les unités de moins en moins performantes. S’il n’était que monopoleur classique sur un simple marché, EDF aurait poussé  sa production jusqu’au moment où la recette marginale (le prix de vente) serait égale au coût marginal , c’est-à-dire le coût de production de la centrale la moins compétitive mise en activité pour répondre à une hausse de demande. Comme le prix était « hors commerce » et qu’il convenait de répondre positivement à tous les aspects de ce qu’on appelle un bien commun, EDF pratiquait une politique tarifaire soucieuse à la fois du dit bien commun et de l’efficience. Ainsi les tarifs pouvaient être modulés afin de répartir l’appel et éviter des pointes de demandes exigeant des mises en activités de centrales trop peu performantes.

Une France honteuse de sa réussite.

Toujours en terme de bonne gestion et de respect du bien commun, le gouvernement français aurait pu résister à ce que Bruxelles  a appelé au début des années 2000, la nécessaire « libéralisation du marché de l’électricité ». Clairement on pouvait -fort de la sur-compétitivité d’EDF- proposer l’élargissement à l’échelle de l’Europe du principe du bien commun et cela, associé à une gestion rationnelle. On peut ainsi imaginer l’implantation de filiales d’EDF sous forme de centrales nucléaires dans nombre de pays, ce qui aurait autorisé partout en Europe un accès à une électricité beaucoup moins coûteuse que sur les autres continents. Bien évidemment, il fallait imaginer l’interconnexion des réseaux nationaux et bénéficier d’une mutualisation ou d’une solidarité dans la gestion des pointes de la demande. Très simplement, plutôt que de réserver nationalement des centrales complémentaires au titre des pointes, on pouvait envisager un lissage à l’échelle européenne, lissage facilité par les différences climatiques entre pays, par les horaires différents, des modes de vie différents, etc. A l’échelle d’une dizaine d’années l’Europe aurait pu ainsi bénéficier de l’électricité la plus compétitive du monde, mais aussi d’une grande indépendance énergétique et tout ceci dans le cadre « hors commerce » constitutif de la réalité « bien commun ».

La France n’a pas cru bon de participer à une construction européenne un peu sérieuse et ne s’est pas opposée dans les négociations qui devaient aboutir à l’édification d’un prix, cette fois de marché, dont le « coût » devait être la destruction d’EDF. Comme il fallait à l’interne (nationalement) maintenir la fiction d’un bien commun, et à l’externe (au niveau européen) respecter un ordre de marché, on aboutira à l’édification d’un monstre bureaucratique.

La construction d’un monstre bureaucratique

Cet ordre commence par la séparation des différentes pièces de l’édifice : production, transport, distribution. Avec toutefois pour des raisons évidentes de rationalité le maintien de l’infrastructure de réseau sous forme de monopole. Mais puisqu’il faut passer à un ordre de marché il fallait aussi construire une concurrence au niveau production ce qui était extrêmement difficile en raison de la sur- compétitivité d’EDF. Aucun producteur ne pouvant en permanence - c’est-à-dire quel que soit le niveau de la demande d’électricité- concurrencer EDF, il fallait imaginer une vente forcée d’électricité nucléaire à des prix extrêmement bas à de simples marchands de kilowattheures. Cette vente forcée était d’autant plus nécessaire que l’interconnexion du réseau à l’échelle européenne interdisait la possibilité pour un marchand de proposer un tarif plus élevé aux consommateurs. Ce point mérite explication : Il est clair que l’inter-connection devait aboutir, à l’échelle européenne, à la formation d’un prix européen. Comme dans le cas de la situation d’avant la libéralisation, le prix devait refléter le coût marginal. Il ne peut être supérieur car - en régime de concurrence- des producteurs marginaux ont intérêt à produire et donc l’offre augmente avec un coût marginal qui rejoint le prix. Mais il ne peut être inférieur car il y a perte sur les producteurs marginaux lesquels arrêtent de produire ce qui fait à nouveau coller prix et coût marginal. Dans de telles conditions, il est impossible pour les marchands -que l’on souhaite faire naître - contre tout bon sens- au nom de la concurrence - de connaître une quelconque rentabilité sans tordre le bras à EDF. Ce qui fût fait après de difficiles négociations avec la création du monstre bureaucratique appelé ARENH[2]. Parce que les marchands veulent gagner leur vie sur un marché qu’ils ne maîtrisent pas et à partir d’un métier qu’ils ne pratiquent pas, il fallait construire une marge sur le dos de la valeur ajoutée EDF. Bien évidemment, les quantités d’électricité nucléaire négociées entre les marchands et EDF n’ont rien à voir avec la logique de l’échange marchand traditionnel. Ici point d’automaticité des marchés et plutôt autorité brutale prise sous la forme de règlements ubuesques : prix et quantités imposés selon des règles précises, répartition du gâteau électricité nucléaire entre les marchands selon des règles tout aussi précises, réglementation concernant la gestion des conflits, la formation des prétendus contrats, etc. De quoi construire des programmes de travail pour une multitude de fonctionnaires bruxellois, de quasi-fonctionnaires d’autorités administratives indépendantes comme ceux de la CRE[3], de salariés d’EDF, de cabinets d’avocats et de conseils, voire de syndicats comme l’ANODE[4] et de lobbystes contestant tel ou tel arrêté concernant les modalités de fonctionnement de l’ARENH.

Des circonstances aggravantes.

Mais il faut aller plus loin, car l’électricité n’étant pas stockable les bourses de marché[5] utilisées dans les échanges ne peuvent se contenter d’un « prix spot » logiquement aligné- heure par heure- sur le coût marginal. Les marchands spéculent en effet sur le devenir des prix, d’abord en spéculant sur la demande à venir mais aussi en fonction d’une foule d’autres critères, d’où des marchés à termes lesquels vont utiliser toute la panoplie des instruments financiers au titre des couvertures[6]. Tant que les situations économiques, climatiques, géopolitiques, sont relativement stables les marchands d’électricité peuvent contrôler leurs marges. Ils sont d’ailleurs aidés en cela par l’accès à L’ARENH qui peut -moyennant rémunération- autoriser des différences entre l’appel négocié (demande programmée d’électricité) et l’appel réalisé (électricité nucléaire réellement achetée).

Tel n’est plus le cas si les coûts marginaux fluctuent de manière incontrôlée, par exemple avec la pandémie qui va voir le prix des énergies fossiles s’effondrer et, à l’inverse, s’envoler avec la reprise et surtout le risque climatique.

Durant la pandémie, les marchands d’électricité ont pu accroître leurs marges en spéculant à la baisse sur les prix de gros. Outre l’approvisionnement ARENH, on pouvait gonfler les contrats octroyés aux consommateurs avec un accès à très bon marché de l’électricité dont le coût marginal baissait en raison de centrales qui, désormais, connaissaient elles-mêmes un accès bon marché aux énergies fossiles. La pandémie perdurant, les marchands d’électricité pouvaient même prendre le risque de ne pas se protéger sur les marchés de couverture. Tout change avec la brutale et forte reprise : la spéculation à la baisse est devenue catastrophe et les marges disparaissent… alors même que l’accès à l’ARENH demeure inchangé. Les solutions sont logiques : des marchands doivent disparaître - éventuellement en ne respectant plus leurs propres engagements avec les consommateurs d’électricité- ce qui veut dire que malgré toutes les précautions, la clause du « hors commerce » qui caractérise le bien commun n’existe plus. L’autre solution consiste alors - lobbying  aidant- à tordre un peu plus le bras d’EDF et à exiger un déblocage de l’ARENH aux fins  d’obtenir des quantités croissantes d’électricité nucléaire[7].

Nous sommes de plus en plus loin… et du marché et du bien commun…. pour se rapprocher d’un ordre de plus en plus bureaucratique et complètement illégitime.

Les choses ne pourront que s’aggraver en enkystant le prix de l’électricité à un niveau durablement élevé.

Le coût d’un retour à la raison

En effet, la gestion de la transition climatique se base sur un marché du carbone dont on connait des limites finalement assez peu éloignées de celui de l’électricité. Sans exhaustivité on peut citer quelques difficultés majeures : difficulté de définir ce qu’on appelle les gaz à effet de serre, difficulté de définir la certification de l’émission carbone évitée ou échangée, manipulation du marché par des effets d’annonce tel celui du Green Deal de la Commission européenne ou de la taxe carbone, à venir aux frontières de l’UE, financiarisation excessive avec irruption des hedge funds dans le cadre de « l’Emission Trading System »[8], fraudes et comportements de passagers clandestins,  etc[9]. Cette gestion devenue parfois panique vient considérablement et durablement relever le coût marginal puisque les dernières centrales électrique mises en activité au titre des besoins de la relance sont pénalisées par la spéculation sur la transition climatique. Parce que ces centrales sont animées par de l’énergie fossile elles contribuent - marché du carbone oblige- à augmenter considérablement le prix de l’électricité, mais aussi ses fluctuations et ainsi à transformer l’énergie électrique  en bien marchand complètement instable : Prix élevés et instables qui handicapent et désorganisent une partie de l’industrie.

Ainsi l’ensemble de l’industrie sidérurgique[10] est profondément touchée par le phénomène, d’où le nouveau bricolage qui consiste à prévoir dans la partie décarbonation du plan de relance français une aide au profit de l’industrie victime des nouveaux prix de l’électricité. Au final la fin d’une électricité comme bien commun handicape gravement une industrie qui voit dans la montée de ses coûts une barrière aux investissements de décarbonation.

La France peut-elle rompre avec le processus de libéralisation du prix de l’électricité ? En théorie, en acceptant de tordre le bras de la réglementation, il est possible d’en revenir au modèle antérieur. Il est donc possible de retrouver un prix permettant de renouer avec l’idée de bien commun, un prix entre le coût du nucléaire et celui des centrales classiques. Cela suppose la fin de l’interconnexion du réseau au sein de l’espace européen et de retrouver le monopole national sur les frontières de l’hexagone. Mais là aussi existe un prix à payer. Il faudrait en effet prévoir rapidement la construction de centrales nouvelles permettant de faire face aux pointes de demande que la mutualisation permettait d’aborder plus aisément. Contrairement à ce qu’a affirmé le président de la CRE, il ne faudrait pas construire 40 centrales au gaz mais probablement quelques unes qui en toute hypothèse viendraient amoindrir la compétitivité. La très grave erreur de la France qui n’a pas été capable de résister à l’aube des années 2000 aux pressions bruxelloises, ne se réparera pas facilement. Ajoutons à cela que la critique permanente du nucléaire français a fait disparaître des générations d’ingénieurs et d’étudiants qui se sont investis ailleurs. Des générations remplacées- au-delà des marchands sans boussoles- par des fonctionnaires à cheval sur le monstre « marché de l’électricité », fonctionnaires aidés par des prédateurs financiers  armés de juristes et prétendus gestionnaires,  qui ne produisent que du désordre. Comme quoi une politique économique sérieuse ne peut être laissée à des amateurs.

 


[1] Rodotà S ; « Vers les biens communs. Souveraineté et propriété au 21ième siècle » Tracés, 2016.

[2] Accès Réglementé à l’Energie Nucléaire Historique.

[3] Commission de Régulation de l’Energie. Nous invitons le lecteur à se rendre sur le site de CRE pour qu’il puisse se rendre compte du caractère proprement ubuesque des décisions prises par ce type d’instance qui dans son idéologie officielle est préoccupée par la transparence du marché.

[4] Association Nationle des Opérateurs Détaillants en Energie.

[5] Epexspot, Nordpool, Omel.

[6] Puisque le marché à terme est aussi un pari sur un prix futur il faut se couvrir financièrement sur le risque correspondant et donc la couverture est l’opération financière qui permet de limiter  le risque pris.

[7] C’est très exactement ce que demande l’ANODE auprès de tous les bureaucrates qui tournent autour de l’ARENH.

[8] Bourse mise en place par La Commission Européenne.

[9] Sur toutes ces questions on pourra consulter l’excellent ouvrage de Benjamin Coriat : « Le bien commun, le climat et le Marché, Réponse à Jean Tirole » ; Les liens qui libérent ; 2021.

[10] Cf Le Monde du 27 octobre 2021 : « Pour les aciéries, la facture d’électricité » flambe » ; Laurie Monier.

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26 septembre 2021 7 26 /09 /septembre /2021 14:04

Les divers candidats sont déjà dans les propositions, les programmes et présentations de réformes alors que rien n’est dit sur le diagnostic du pays et de son environnement ou les souhaits de ses habitants. Les candidats sont ainsi dans la situation d’un médecin qui proposerait une médication sans examen ni entretien avec son patient. Cette dérive grave est bien évidemment entretenue par les exigences des médias et leur agenda. Plus grave encore, elle est aussi entretenue par les intellectuels ou les élites qui voulant se placer à un niveau supérieur restent dans la critique des moyens, donc des programmes et propositions sans jamais s’attaquer aux fins ultimes. C’est le cas de nombre d’ouvrages récents. Ainsi Pierre Rosanvallon[1] veut s’attaquer aux subjectivités - le ressentiment, l’indignation, la colère , l’amertume, l’anxiété et la défiance - pour construire des remèdes dans le cadre d’un existant global qui n’est pas analysé et qui-  peut-on penser- correspond au cercle intouchable de la raison d’Alain Minc. Même chose pour Aquilino Morelle[2] qui, au-delà de certaines bonnes remarques sur l’identité de la France, n’analyse pas pourquoi on aurait « défait la France sans faire l’Europe ». Même chose pour Denis Olivennes[3] qui, critiquant le tête -à-queue socialiste, propose des solutions dessinées dans le grand cercle de l’innovation. On pourrait multiplier les exemples. Les fins n’étant jamais réellement questionnées, elles restent des moyens. Les entrepreneurs politiques - probablement à l’inverse de la démarche médicale- savent sans doute qu’ils sont candidats à l’impuissance et font ainsi très attention à ne proposer que les remèdes qui permettront au mieux de soigner mais pas de guérir.

Si l’on veut dépasser insignifiance et indigence, il faut par conséquent passer par un vrai diagnostic du pays et de ses habitants, lequel comme dans le diagnostic médical passe par une maitrise la plus parfaite possible du principe de causalité[4]. Derrière ce principe se trouve l’antériorité ( la réalité « B » s’explique par « A » laquelle est une réalité antérieure) ce qui signifie que dans le domaine des faits humains ce principe relève de l’histoire et de son élucidation.

Il faut ainsi reconnaitre que la France et ses habitants sont une organisation ou une identité qui n’est compréhensible que par les évènements du passé. L’identité, élément relativement fixe, est faite de traits distinctifs et communs à un groupe. L’identité présente de la France est donc un ensemble de traits autant spirituels que matériels qui, par transmission, vient pour l’essentiel de son passé. Comme nous l’a enseigné Fernand Braudel[5] , le passé intervient dans le présent et vient le sculpter. Et parce que l’identité est aussi un logiciel, elle est en permanence reproduite et assure la relative cohérence du groupe. Tant que le logiciel fonctionne, le comportement de chaque acteur, ce qu’il fait, ce qu’il produit, ce qu’il invente, ce qu’il transmet, correspond plus ou moins à ce qui est attendu par les autres membres de la communauté. Vu sous cet angle, un problème de société, une réalité dérangeante, correspond à la prolongation du passé dans le présent. Un mal être pour reprendre les idées trop superficielles développées par Rosanvallon est donc un désaccord avec des réalités profondes, ou si l’on veut la « main du passé qui s’agite et vient contester le présent ».

Si une réalité nouvelle s’adapte bien à une identité, la réalité vécue ne sera pas fondamentalement dérangeante, et la société fonctionnera plus ou moins paisiblement. Si, par contre, la réalité est éloignée de l’identité, il y aura crise d’adaptation avec au final possible rejet.

Quand on obéît  au principe de causalité pour comprendre la France, il faut par conséquent repérer les traits fondamentaux de son passé. En reprenant le point de vue de Braudel il existe plusieurs traits fondamentaux qui expliquent le malaise de la France dans la réalité présente :

Le premier est le principe de sa construction historique qui part de Paris et consomme des moyens énormes sur plus de 10 siècles pour grandir et construire le dogme d’une unité indivisible. Concentration et centralisation politique et administrative sont un trait fondamental sur lequel la réalité présente faite de dispersion marchande vient buter. De ce point de vue le travail présent de déconstruction et d’émiettement de l’Etat est très loin d’être définitivement acquis. Attention aux têtes à queues.

Le second, qui découle partiellement du premier, est que le politique se fait très envahissant au niveau économique. Cela développe des spécificités : la culture française est beaucoup moins capable de générer un groupe très important de grands entrepreneurs comme on a pu le voir dans d’autres révolutions industrielles. De fait, l’économique est contesté depuis la base jusqu’au sommet.  L’économie en France parait ainsi être toujours en retard, et ce qu’elle que soit l’époque étudiée. D’où des entrepreneurs politiques qui ,aujourd’hui fascinés par  la mondialisation et le capitalisme financier, parlent toujours de modernisation nécessaire du pays ou de réformes structurelles indispensables.

Le troisième principe, qui lui aussi peut partiellement découler du premier, est la grande capacité à innover et à créer dans ce qui, à priori, est extra-économique : La première partie du Grand Siècle (très politique) est un triomphe culturel, un rayonnement linguistique et civilisationnel qui là encore part du centre c’est-à-dire Versailles. Il sera lui-même prolongé par les Lumières dont la portée se veut  universelle. Et ce rayonnement attire de très nombreux étrangers qui vont eux-mêmes doper l’innovation créatrice et  feront de Paris la ville Phare. Simultanément, la France devient un espace de rayonnement à vocation universelle. Et un pays capable de se sacrifier sans jamais se renier d’où le mot de Victor Hugo : « Adieu Nation et bonjour Humanité ». Il devient ainsi difficile pour les entrepreneurs politiques de proposer le chemin inverse en imaginant de rejoindre des « modèles » (Allemagne, USA, pays du Nord, etc.). Intellectuellement Il devient aussi difficile d’accepter la prétendue « french theory » enracinée dans le principe de déconstruction.

La combinaison de ces traits a sculpté sur plusieurs siècles les mentalités, les croyances et les souhaits. On peut en énoncer quelques-uns : passion pour l’égalité ; passion de la grandeur ; passion plus limitée pour la propriété ; recherche de position honorable pour tous avec des valeurs telles la logique de l’honneur, la fierté d’être citoyen, la laïcité,  les droits de l’homme,  l’idée de mérite ; méfiance au regard du marché débouchant sur la préférence de la loi sur le contrat. Là encore le politique doit l’emporter sur l’économique et il est attendu de lui que la loi soit, le cas échéant, rapidement changée aux fins du respect des « valeurs fondamentales ». Rien à voir avec la « règle » intangible que l’on retrouve dans les cultures plus ordo-libérales en particulier celle du monde germanique où la justice est d’abord procédurale, et la « règle » méta-constitutionnelle.

De ces traits, il  découle que le stade du capitalisme qui lui est culturellement adapté, est celui des grandes organisations fordiennes ou celui des grands projets. C’est à ce stade que la France qui n’aime pas l’économie peut pourtant produire en raison de sa culture des réussites spectaculaires qu’aucune autre nation ne sera capable de réaliser. Parce que la France est centralisée, une et indivisible, une planification indicative aboutira dans des délais stupéfiants à des résultats eux-mêmes stupéfiants : construction d’un réacteur nucléaire moins de 10ans après l’occupation, greffe d’une unité nucléaire tous les 6 mois au réseau électrique au cours des années 70/80, construction du Redoutable, construction de la Caravelle, construction du France, construction du Concorde, etc. Cette réussite se fait dans le respect de l’unité nationale cousue progressivement par 1000 années d’histoire. Ainsi le pendant économique de la très politique Ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 sera le « noircissement » de ce que les comptables nationaux vont appeler le Tableau des Echanges  interindustriels. Le pays s’unifie, au-delà de la langue, par le tissu très dense constitué par les complémentarités entre toutes les branches de l’industrie. Et le tableau des échanges interindustriels ne doit oublier personne, le politique veillant à ce que les provinces dites périphériques ne soient pas oubliées dans le processus d’industrialisation et d’unification. Et de ce point de vue, la planification indicative ne faisait que reprendre le travail des rois qui fût de « coudre ensemble » des provinces autour de Paris. Ce travail de couture existe encore –  en très petite dimension -  dans ce qu’on peut appeler l’écosystème militaro-industriel français, et risque grandement de disparaître dans le grand vent de la construction européenne[6] en particulier dans la question d’une Europe de la défense.

Ce capitalisme conforme à la culture profonde de la France, capitalisme des grandes organisations, était orienté vers la production , donc les valeurs d’usages. Ce capitalisme là a largement disparu à l’échelle planétaire au profit d’un capitalisme financier orienté autour de la spéculation et de la seule valeur d’échange. Très éloigné de la culture française, la production disparait dans l’échange : les grandes organisations porteuses de projets communs s’évaporent dans une externalisation massive : on achète et on ne produit plus. Le manager - qui n’est plus un capitaliste mais un simple maillon dans la chaine du reporting qui remonte jusqu’aux Hedge-funds - fait en permanence le choix du faire-faire contre celui du faire. En cela Il est grandement aidé par la libre circulation du capital qui lui permet de bénéficier de coûts salariaux avantageux. Mais en cela il est aussi taylorisé par le jeu des « parieurs sur simples fluctuations de prix »[7], parieurs - anciens capitalistes-  qui ont culturellement perdu l’idée d’œuvre ou de production, et habitent les grands casinos de la finance. L’économie doit se débarrasser du politique et la vieille matrice des échanges industriels qui continuait à coudre l’unité de la France doit être abandonnée. D’où une véritable et conflictuelle inversion des valeurs. Pour reprendre notre expression « la main du passé  secoue  le présent" et lui suggère d’arrêter la déconstruction du pays.

C’est précisément cette « main du passé » qui déstabilise depuis 40 ans les entrepreneurs politiques, entrepreneurs qui ont d’abord pensé à compenser les déchirures du tissu en faisant croître au-delà du raisonnable l’Etat-providence. Une réalité qui, à sa naissance, était pourtant en harmonie avec les valeurs et la culture du pays. La financiarisation de l’économie se développant sans limite, il eut fallu que cet Etat-providence continua à compenser ce qui est évidemment impossible. D’où les réformes structurelles exigées…par le bon fonctionnement des marchés…

En attendant l’évaporation de la France - celui de son Etat qui se sublime dans des Agences indépendantes, celui de ses citoyens qui n’est plus fait de classes sociales avec la fin des solidarités ouvrières, ou celle des capitalistes disparus dans des Hedge-funds - continue et crée des individus esseulés parfois regroupés en minorités activistes tueuses de la démocratie, voire  selon le mot de Gilles Kepel « entrepreneurs de colères ». Parce que devenus simples individus ils sont attirés dans un processus de désocialisation majeure, lui-même entretenu par la protection des « niches » qui se déploient dans les plis onctueux d’un Etat-Providence obèse. Lui-même porteur du principe de solidarité, son gigantisme est devenu agent d’une désocialisation qui frappe massivement les habitants du pays. Si la logique économique est généralisée, elle ne produit plus grand-chose, car elle n’est plus porteuse du sens qu’on lui donnait dans la vieille culture, celle où les entreprises étaient aussi parfois de véritables « Institutions » porteuses de fierté.

C’est que les marchés charrient de plus en plus de flux financiers et de moins en moins de flux réels. Clairement les activités économiques réelles sont noyées dans l’océan des activités financières, un océan qui grossit avec une dette complètement monétisée aujourd’hui par les banques centrales. A cet égard les entrepreneurs politiques devraient prendre conscience qu’il est difficile de rémunérer des flux financiers croissants si ces derniers n’engendrent pas de flux économiques réels. Qui a conscience de ce que certains peuvent appeler le « moment Minsky » moment qui roderait déjà en Chine avec l’affaire « Evergrande » ?

Clairement, notre diagnostic est celui de la contradiction entre des choix politiques remontant à plusieurs dizaines d’années  avec la culture profonde du pays. « La main du passé vient de plus en plus secouer le présent », lequel est  une réalité en  bifurcation vers la financiarisation du monde. Parce que les valeurs fondamentales du pays sont tournées vers ce qui est grand, vers ce qui donne du sens et ce qui unifie, seule une politique fixant de grands objectifs est capable de renouer l’accord entre le présent et le passé. Bien évidemment, on l’aura compris, cet accord entre le passé et le présent passe par une dé financiarisation complète de ce qui reste des structures productives. Et cette définanciarisation n’est elle-même que le moyen indispensable à la fin ultime qui est celui de la resocialisation des habitants du pays, le risque majeur étant aujourd’hui l’anomie généralisée et la guerre de tous contre tous qui en est la conséquence.

Un entrepreneur politique honnête doit pouvoir trouver le moyen d’expliquer cela. Il n’y a plus à parler de programmes complètement dépourvus de sens. Un programme de reconstruction ne sera envisageable qu’à partir du moment où la finance sera totalement maitrisée. Si l’on parvient à faire rentrer la finance dans sa boîte le chemin de l’accord entre le passé et le présent sera peut-être retrouvé….

…Nous sommes infiniment éloignés des hausses de salaires, des merveilles du couple franco-allemand,  de la réforme des retraites, de la  limitation de vitesse sur les autoroutes….etc… etc…

Nous reconnaissons volontiers qu’il sera très difficile de trouver un candidat ayant la hauteur de vue et la compétence adaptée à un tel enjeu.


[1] « Les Epreuves de la vie- comment comprendre les français » ; seuil ; 2021.

[2] « L’Opium des élites- Comment on défait la France sans faire l’Europe » ; Grasset ; 2021.

[3] « Un étrange renoncement : Pourquoi les français ont l’impression de ne plus y arriver » ; Albin Michel ;2021.

[4] Et non celui de la déduction qui expliquerait les faits à partir de lois inscrites dans la nature. De ce point de vue les économistes avec leurs modèles de représentation du réel économique savent mieux que les physiciens qu’il n’y a pas de loi naturelle et qu’à ce titre les politiques tirées des modèles sont peu crédibles. Plus généralement on sait avec Wesley Salmon que le principe de causalité est très supérieur à celui de la déduction.

[5]  Voir par exemple les 2 tomes de « L’identité de la France » ; Flammarion ; 2009.

[6] C’est l’enseignement qu’il faut tirer de l’étude de la Fondation Respublica : « l’Europe de l’armement, vecteur de la puissance ou braderie des moyens de notre indépendance ? » ; 23 septembre 2021.

[7] Cf notre article sur ce blog : http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/08/en-quoi-la-fin-du-systeme-monetaire-de-bretton-woods-a-t-il-engendre-notre-present-monde-2.html

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21 avril 2021 3 21 /04 /avril /2021 07:42

A moins d’une année de l’échéance, les rapports de force semblent bien établis et le second tour de l’élection offrira à l’électeur un choix entre 2 forces très minoritaires. Résultat plus serré qu’en 2017 avec néanmoins prime pour le sortant.

Vu l’extrême fatigue de la population, la campagne devrait être assez plate et les joueurs joueront le jeu sans jamais débattre d’un changement de règles. Certes, l’idée de souveraineté sera beaucoup évoquée mais aucun joueur ne se risquera d'en discuter avec le sérieux indispensable. Sachant  que le souverain est celui qui se donne la possibilité de dépasser un cadre, chacun se  dira prêt  à en dépasser les limites tout en veillant scrupuleusement à rester à l’intérieur du périmètre  du terrain de jeu.  Même le RN respectera strictement le terrain de jeu actuel et tentera d’arracher plus de compétitivité en devenant un parti comme les autres. C’est ainsi que le combat entre joueurs sera celui d’échange de slogans souvent vides de sens : « capitalisme responsable avec objectifs sociaux », « performance ESG » (environnement/social/gouvernance), « fin de la logique du « fair value » dans les normes financières et comptables », « réglementation souple sur la commande publique », « pouvoir d’adaptation de la réglementation », « création d’ une agence des technologies de rupture », « rationalisation des aides à l’investissement », « abolition de l’extra territorialisation du droit américain » etc.

Les élections législatives qui suivront vont voir disparaitre les quelques centaines de députés type « ancien étudiant d’école de commerce et de communication ». Leur remplacement se fera par une très large majorité de députés type « Assureur de Saint Quentin ». D’où une cohabitation plus difficile que celle des années 1974/ 1981.

Le résultat de l’élection présidentielle étant assez resserré ( type 54/46), et l’élection législative ne laissant que peu de place à la gauche (quelques dizaines de députés) et peut-être encore  moins au RN (20/30 députés ?), le conflit entre  légalité et  légitimité deviendra trop visible.

Le grand écart entre légitimité et légalité déjà fort présent dans le quinquennat avait pu être contenu dans ses effets par une pandémie providentielle. Ce sera beaucoup plus difficile à partir de septembre 2022.

La déglobalisation fonctionnera ainsi comme discours hors sol dans un monde davantage numérisé grâce à la pandémie. La fin de l’entreprise comme organisme vivant, processus accéléré par la numérisation des plus petits acteurs, devrait développer une accélération de l’effondrement de l’architecture sociale présente : progression de la  fin du salariat  ? émigration de télétravailleurs renforçant celle des cadres existants ? accélération de l’émigration d’une élite davantage numérisée ? effacement d’une culture d’entreprise ? fin du syndicalisme ? capitalisme de surveillance ? etc. Le développement de l’Intelligence artificielle devrait lui-même accélérer la taylorisation de l’encadrement jusqu’aux niveaux les plus élevés. Moins de cadres réels et davantage « d’exécutants de l’encadrement »,  isolés, mais très surveillés et assignés au reporting permanent. L’énorme décalage entre niveau de formation et réalité du travail devrait s’accroître considérablement avec les  frustrations correspondantes. La numérisation sans retenue du management ruine l’entreprise vivante au profit du ruissellement bureaucratique.

Le capitalisme financier de l’après pandémie sera - ruse de la raison ?- adossé à un keynésianisme de grande dimension en provenance des USA. Cela posera avant même l’élection présidentielle la question du dimensionnement des plans de relance en France et, ultérieurement, favorisera les conflits à l’intérieur d’une cohabitation gouvernementale dont l’illégitimité sera clairement perçue par la population. Le retour d’un keynésianisme venu d’Amérique, théoriquement et juridiquement impossible dans le cadre bruxellois, favorisera d’énormes conflits dans un attelage gouvernemental où l’idéologie européiste confrontée à la dure réalité fera  l’objet de grands débats. Rapidement, le plan européen de relance se verra contesté dans son caractère de processus invasif d’une part et de monstruosité bureaucratique d’autre part. Parallèlement les énormes dettes garanties durant la pandémie deviendront un problème majeur pour l’attelage gouvernemental : continuer la zombification d’une partie de l’outil de production ? annulation des dettes correspondantes ? Quelles modalités pour l’affrontement avec Bruxelles ?

La société ne se vivra plus en termes de classes ou de groupes mais davantage en termes de tribus ou de bandes. Au final,  n’étant plus faite que d’individus disjoints, désormais incapables de s’organiser dans un milieu lui-même désorganisé, sans repères, et finalement inquiétant, la guerre civile de basse intensité devrait se pérenniser et grossir sous l’aide de « l’effet de loupe » de médias eux-mêmes numérisés.  Forte de composantes multiples et difficile à relier ( conflits culturels devenus indépassables, irréductible conflit entre développement auto-centré et extraversion mondialiste, conflits sur la très difficile intégration de l’environnement dans un projet humain, etc. ) la guerre civile sera de moins en moins idéologique et de plus en plus de type « guerre de tous contre tous ». Parce qu’au terme de la pandémie et de l’élection présidentielle la société se sentira davantage fissurée, elle connaitra  quelque peine à prendre conscience que sa fonction traditionnelle  de  « containment » de la violence est en voie d’épuisement.

L’enjeu de l’élection présidentielle n’est pas de sélectionner et laisser s’épanouir un projet clair et rassembleur. Parce que les acteurs sont trop fatigués et frappés de cécité, il s’agira modestement d’assurer la gestion des affaires courantes en évitant de  se poser de vraies questions.

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1 mars 2021 1 01 /03 /mars /2021 05:00

Le présent texte consacré à la notion de frontière se veut loin des réflexions philosophiques de Régis Debray[1] ou de celles plus concrètes d’Anne-Laure Amilhar Szary[2] . A l’inverse, il se propose d’utiliser celles du paradigme libertarien de l’économie du droit, pour comprendre que l’idéologie de la fin des frontières proposée par la mondialisation, mais plus encore par l’Union européenne, est plus un déplacement, voire un émiettement complexe, qu’une disparition. 

La frontière, parfois très matérielle est aussi une abstraction sur laquelle s’édifie des règles très concrètes. Ainsi on prend appui sur elle pour codifier et préciser droits et devoirs des acteurs situés à l’intérieur comme à l’extérieur de son périmètre. Du plus simple au plus contraignant, par exemple l’obtention d’un visa ou à l’inverse « l’impôt du sang » en cas de guerre, tout repose sur l’idée de frontière. On conçoit ainsi que l’essentiel d’une législation s’enracine, d’une certaine façon et sans le dire, sur le concept de frontière.

On sait que, d’une façon générale, la règle de droit dessine l’éventail des comportements humains et donc l’architecture de l’interaction sociale. On sait aussi que toute modification de la règle de droit modifie la répartition du bien- être entre les acteurs. Par exemple la hausse d’un salaire minimal déplace du bien- être depuis les entreprises vers les salariés, une hausse de tarifs douaniers déplace du bien- être depuis les consommateurs vers les entreprises protégées, etc. On sait aussi que ces déplacements entrainent des effets de compensation souvent mal élucidés par les économistes. D’où les débats infinis sur l’efficacité des politiques publiques.

Une disparition de cette matière première législative qu’est la frontière doit logiquement développer des conséquences considérables entre les acteurs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de son périmètre. Globalement, il y a ainsi des gagnants et des perdants et il est très difficile d’en dresser une liste complète. Dans sa version économiciste, disons simplement que la frontière protégeait ceux qui pouvaient se méfier d’un grand marché et handicapait ceux qui pouvaient voir dans sa disparition un allègement des coûts et donc des perspectives accrues de rentabilité dans le monde des affaires. Plus généralement et de façon très simpliste,  on pourrait donc penser que la disparition des frontières déplace du bien-être sous toutes ses rubriques - anthropologiques, psychologiques, sociétales, économiques, etc... - de ce qui constitue les communautés humaines. A priori un éventail des possibles plus large, ce qui correspond bien au libéralisme. Mais un éventail des possibles qui peut aussi développer des externalités négatives, par exemple la fin de rentes de situations pour nombre d’institutions protectrices, voire l’horreur pour certains de se voir contester, par le biais d’une libre immigration, une identité culturelle.

Pour autant les choses sont encore   beaucoup plus complexes, car très concrètement, il n’y a pas et il n’y aura probablement jamais de disparition des frontières. On peut ainsi vérifier que dans le cas de la construction européenne, certains morceaux de la frontière peuvent disparaitre tandis que d’autres restent fondamentaux. Certains groupes peuvent être particulièrement attachés aux fameuses « 4 libertés », matières premières de base du marché unique. Ces mêmes groupes, défenseurs de ces principes qui effacent d’antiques frontières, restent pourtant attachés à des différences énormes en matière fiscale ou en matière de prélèvements sociaux. Et ces différences  ne survivent que protégées par le bouclier  de frontières qu’il est impensable de faire disparaitre. On peut du reste ici regretter que les pages du Monde du 11février dernier consacrés à « l’Openlux » n’aillent pas plus loin que la compréhensible indignation : la frontière n’y est pas le thème central qu’elle devrait être.

 De fait, les acteurs bénéficiaires de la disparition d’une partie des frontières ne souhaitent en aucune façon un démantèlement généralisé effaçant les avantages fiscaux, sociaux, voire règlementaire. Une frontière, si possible très solide, est ce qui permet à la mondialisation de se « sur-vitaminer » en laissant des grumeaux de souveraineté appelés « paradis fiscaux ».

Lorsque maintenant le processus de mondialisation du point de vue de certains acteurs reste imparfait, qu’il aboutit à des règles spécifiques à l’intérieur d’un espace plus limité que celui d’une planète simplement parsemée de paradis fiscaux, on peut comprendre des volontés de rupture pour davantage de mondialisation. C’est le cas de la City de Londres qui, sans doute, appuyait la construction européenne comme outil de mondialisation…. tout en le trouvant trop timoré.

La construction européenne,  parce que se méfiant  d’une finance totalement dérégulée, n’a opéré qu’un déplacement modéré des frontières. Mieux des directives vont progressivement aller dans le sens d’un accroissement des contraintes. C’est le cas de l’AIFM[3] qui va imposer un contrôle des régulateurs nationaux sur les investisseurs alternatifs. C’est aussi le cas des directives CRD3 et CRD4[4] qui vont limiter la titrisation, le shadow banking, et les bonus calculés sur les risques excessifs. C’est enfin le cas de la directive EMIR[5] qui viendra encadrer l’émission des dérivés et des opérations des hedges funds sur les marchés de gré à gré. Ces déplacements de frontières furent souvent contestés par la finance britannique, en particulier les adeptes  de la « seconde financiarisation », adeptes qui  viendront  appuyer les promoteurs du référendum sur le Brexit[6].  Sans perdre de temps, la Grande Bretagne se livre ainsi depuis quelques semaines, à redessiner ses frontières financières en adoptant une stratégie de « diplomatie réglementaire », aussi faite de "goutte à goutte normatif", qu’elle délègue à des institutions privées comme la Financial Conduct Authority (FCD).

Globalement, le processus de transformation permanent des frontières est le fait de l’acteur politique qui en principe dispose du pouvoir réglementaire. Ce faisant, il interprète les demandes des différents acteurs et de leurs représentants lobbystes ou médias : entreprises, citoyens, consommateurs, salariés, institutions financières, mais aussi les entreprises politiques chargées d’établir des synthèses et compromis, pour dessiner l’architecture générale d’une frontière qui n’est qu’un outil de filtration. Ce dernier dessine les contraintes et avantages des divers groupes sociaux en fonction d’une architecture qui peut constamment changer. Notons enfin que si ce pouvoir réglementaire est lui-même délégué à des agences privées, voire contesté et redéfini par le pouvoir des juges, il devient difficile d’imaginer qu’une frontière ainsi découpée à l’infini et peu contrôlée par quelque chose comme un pouvoir démocratique, n’aboutisse pas  à des résultats forts éloignés de ce qui serait un intérêt plus ou moins général.

Si le Limes romain était bien le fait du pouvoir politique, la frontière - idéologiquement disparue dans le mondialisme ambiant - reste tout autant présente… mais en devenant progressivement le produit d’intérêts strictement privés. Si maintenant certains sont plus habiles que d’autres, on peut comprendre qu’émergent, au-delà de paradis fiscaux artificiels, de véritables Etats classiques, Etats de droit ayant « pignon sur rue » mais, hélas, complètement mafieux. C’est bien le cas du Luxembourg, qui arbore fièrement le visage d’un Etat-Nation, membre fondateur de la communauté européenne, mais qui est réellement une institution largement peuplée d'acteurs - bien protégés par une frontière - au service d’une prédation planétaire.

 

[1] CF son ouvrage : « Eloge des frontières » ; Gallimard ; 2010.

[2] Cf :son ouvrage « Géopolitique des frontières ; Le cavalier bleu ;2020.

[3] Alternative Investment fund.

[4] Capital Requirement Directive.

[5] European Market Infrastructure Regulation.

[6] Voir ici l’ouvrage de Marlene Benquet et Theo Bougeron : « La finance autoritaire ; Vers la fin du néolibéralisme » ; Raisons d’agir éditions ; 2020.

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6 janvier 2021 3 06 /01 /janvier /2021 14:37

L’ouvrage de Christophe Guilluy commenté dans la partie 1 du présent article était finalement très optimiste, le grand retour des classes populaires pouvant donner lieu à un possible renouveau du contrat social.

Les choses se présentent fort différemment dans le livre d’Éric Sadin signalé dans la première partie de l’article[1]. Ici, il n’est fait aucune allusion à ce que certains appellent :  le possible grand retour de l’Etat comme solution aux grandes crises et en particulier celles de l’épidémie et du climat. Pas non plus de collectif qui serait issue de l’emprise du social à l’échelle mondiale[2] comme le pense un Bertrand Badie. Eric Sadin est ici beaucoup plus proche d’auteurs comme Christopher Lash[3] ou plus encore de Jean Claude Michéa[4]. Toutefois, pour lui, la désocialisation et sa résultante politique n’est plus le fait d’une sécession des élites (Lash), ni même d’un passage d’un gouvernement des hommes à une administration des choses (Michéa), mais à une décomposition beaucoup plus profonde au sein de ce formidable chaudron  technologique que serait le numérique. Avec au final une confrontation de rivalités entre individus atomisés, rendant irréaliste tout programme politique supposé rendre justice à tous les motifs centrifuges de rancœur personnalisée, ressentis par la multitude d’êtres qui depuis longtemps auraient abandonné leur qualité de citoyens ou  leur identité  de classe.

Sadin n’aborde les questions économiques que du point de vue d’un progressif passage de la reconstruction de l’après-guerre, vers la production de masse puis le néo-libéralisme d’aujourd’hui. Sans analyse fouillée il en conclue que la gouvernance ne cesse de se tromper quant aux vertus du présent modèle économique et qu’à ce titre le pouvoir politique fabrique, par ses mensonges répétés, son incapacité à gouverner réellement. Il y a là une insuffisance réelle : Pourquoi le tournant néo libéral ? Pourquoi une répétition de mensonges sur les résultats macroéconomiques et macrosociaux attendus par ce tournant ? Avec parfois des propos qui mériteraient mieux que des affirmations non démontrées par exemple celles concernant le recul de l’Etat- providence. N’analysant pas, comme le fait Michéa, que le tournant économique néo libéral s’est accompagné d’un tournant sociétal lui-même libéral, il passe rapidement à l’analyse des effets du numérique sur une matière première humaine encore citoyenne.

Pour autant les effets du chaudron technologique numérique sont étudiés avec une finesse remarquable. Partant d’internet et du smartphone, il en étudie tous les produits dérivés et leurs effets anthropologiques. Les premiers textes, données, images, contacts, etc. qui sont apparus avec les premiers dérivés d’internet ne sont plus des fenêtres sur le monde mais, pense Sadin, des horizons spatio -temporels infinis, horizons que produisent des moteurs de recherche censés aussi simplifier l’existence à coûts a priori nuls. D’autres outils veillent en permanence à s’ajuster aux habitudes et désirs de chacun. De quoi, pense Eric Sadin, augmenter la centralité de soi, mais aussi engendrer la perte d’une socialité qui peut se réduire à un compagnonnage entre l’être et la machine. Quelques années plus tard le smartphone et ses premières « applications » vont augmenter cette impression de centralité, avec ce sentiment que les choses viennent automatiquement vers nous et transforment l’homme moderne en roi de sa vie. Les objets et outils ainsi générés et conçus  construisent pour certains un eldorado économique d’autant plus grand qu’il situe l’individu au centre de toutes les préoccupations. Plus tard encore « you-tube » engagera, selon Sadin, chacun à devenir plus visible voire à se « diffuser », le célèbre « Broadcast yourself » ou le « you » proposant à l’homme moderne de devenir populaire, de se mettre en scène, voire même de se transformer en « individu multinationale » très lucrative. Au nom de la transparence et de la souveraineté de chacun, d’autres outils proposeront une « démocratie internet » permettant une transparence sans limite dans les affaires privées ou publiques ou d’en découdre avec tous les puissants, et ce, bien sûr, sans la délibération qui caractérise le vieux monde démocratique. Avec ici de grandes conséquences sur la transformation digitale des entreprises, qui vont permettre à l’actionnaire de mieux contrôler le manager et ses cadres, et autoriser le déploiement d’outils numériques de gestion allant toujours vers plus d’adaptabilité et de flexibilité continue à des fins de résultats plus performants. D’autres progrès comme les assistants numériques personnels vont désormais administrer une large part de l’existence en nouant une relation d’un nouveau genre, celle débarrassée de toute négativité, relation qui entraine selon l’expression d’Eric Sadin une véritable « sphérisation de la vie », faisant que chacun évolue à l’intérieur d’une bulle faite d’une attache privilégiée nouée avec des systèmes ne s’adressant qu’à lui[5]. La « sphérisation de la vie » réduit ainsi l’apport d’autrui à la portion congrue, voire apport inutile ou même nuisible : la voix « supérieure » de l’assistant étant nécessairement bienveillante. Eric Sadin multiplie les exemples : celui de Twitter qui n’aboutit au travers du « follower ou « retweet » qu’à une « boursoufflure du soi » et ne revient qu’à pérorer sans jamais agir ; celui du TripAdvisor qui généralise la notation de tous par tous , l’étalage des subjectivité devenant ainsi des « vérités » objectives. De notre point de vue, Sadin n’insiste pas suffisamment sur les effets divergents de cette notation dans les 2 mondes celui de l’économie, plus exactement celui de l’entreprise, et celui du sociétal : la notation de l’actionnaire dirigeant par le salarié ne modifiant pas la verticalité de la relation, tandis que la notation du professeur par l’élève promettant davantage d’horizontalité[6]. Par contre, il perçoit clairement que les techniques nouvelles génèrent aussi une économie où l’intermédiaire public deviendrait superflu. Idéologiquement, l’individu, désormais numériquement équipé, devenu souverain de lui-même, acteur devenu efficient et important, capable d’agir sans intervention publique, ne peut  qu’exiger davantage de marché, donc de liberté dans ce nouveau paradigme, de la part d’un Etat invité à se retirer du jeu. Et si les résultats globaux ne sont pas au rendez-vous c’est parce que l’Etat n’a pas été assez loin dans la libéralisation, l’extension continue de ce qui est marché, l’abaissement de toutes les barrières, certes économiques, mais bien davantage sociétales. En particulier la nouvelle technologie, et ses effets immenses sur l’homme moderne, mène à ce que les contraintes et interdits traditionnels soient dépassés, que les codes, règles et autres usages soient abandonnés. Parce que les êtres peuvent ne plus se rencontrer, les valeurs qui encadrent ce qui était la société ne sont plus justifiées. Dans  ce monde nouveau, ce qui entrave encore la « sphérisation » de la vie n’est plus acceptable, ce qui entrave encore la montée de la centralisation de soi n’est plus acceptable, ce qui limite la « boursoufflure » de soi n’est plus acceptable, etc. Dès lors s’effritent le principe d’autorité et celui de confiance accordée aux institutions. D’où, à la limite, la colère si un gouvernement ne se comporte pas comme un assistant numérique. D’où aussi, et probablement simple oubli de Sadin qui n’en parle pas, l’irruption d’une monnaie complètement privée tel le Bitcoin. Un objet technologique, la crypto monnaie, permet ainsi de se passer complètement d’un Etat que l’on imagine désormais dépourvu de fiabilité. Sa monnaie n’étant  plus considérée comme réserve de valeur, il faut recourir à une technique numérique (une limitation programmée de l’émission, et l’éviction de toutes formes de tiers) pour éviter ce que l’on croit être la planche à billets de l’Etat.

Désormais il ne serait plus d’ordre plus grand que soi et le libéralisme classique, celui qui garantit ce dernier en se conformant à un registre de valeurs et repères partagés, disparait au profit d’une constellation d’êtres mus par leurs seuls tropismes et à l’égard desquels il est demandé à l’ordre collectif de se changer : autoriser la « fluidité du genre, la « location d’adultes », la fin de « l’esclavage du patrimoine génétique », etc. Avec comme conséquence l’irruption des logiques marchandes dans toutes les sphères de la vie. La technologie numérique permettant aussi d’agréger les individus devenus isolés en  foules, il est aussi demandé à ce même ordre collectif de reconnaitre toute sa culpabilité envers toutes les formes de minorités : anciens colonisés, ethnies maltraitées[7], usurpation du pouvoir blanc masculin, dévoiement de l’universalisme républicain, langue et régime syntaxique reproduisant la domination sexuelle, etc. D’où le refus, voire la haine, de l’ordre majoritaire censé être devenue l’arme des dominants ou d’une élite corrompue…donc le refus de ce qu’on appelle la démocratie. Cette dernière n’est pas simplement affaire de libre élection, et Sadin pourrait y ajouter que la démocratie suppose, comme le note Michael Foessel[8], que vivre les uns avec les autres n’apparaisse pas comme une contrainte, ce qui exige un principe fondamental d’empathie, et principe disparu avec la « boursoufflure des moi » autorisé par la technologie numérique.

Les conclusions de Sadin sont sans appel l’autorité comme l’institution sont rejetées massivement et il n’est plus question d’accorder le moindre crédit au contrat social et donc à l’ordre politique existant.

On peut certes critiquer l’ouvrage : pandémie et dérèglement climatique avec les peurs engendrées ne sont-elles pas refondatrices d’un grand retour de l’Etat ? Le très envahissant univers numérique est-il la  source principale d’explication du rejet de la démocratie? N’existe-il pas d’autres explications telle le multilatéralisme géopolitique ou la juridiciarisation de la vie politique ? On peut aussi critiquer l’absence d’une articulation étudiée entre le néolibéralisme économique et le libéralisme sociétal, par exemple l’absence d’une prise de position au regard du choix des politiques publiques qui vont favoriser le principe de « diversité » contre celui de « l’égalité »[9]. L’analyse de cette articulation, notamment dans le temps, nous semble fondamentale pour comprendre en particulier l’effondrement de la gauche en France voire les difficultés du parti démocrate américain. On peut enfin se poser la question de la récupération des technologies numériques par les pouvoirs encore en place. A la rupture anthropologique affectant les anciens citoyens peut correspondre une rupture dans les stratégies de pouvoir : comment ne pas voir dans les futures monnaies digitales des Etats une réponse puissante et très autoritaire, pour ne pas dire totalitaire, au risque de décomposition sociale ? L’exemple de la Chine est là pour nous le montrer avec sa banque centrale qui prépare la fin du cash et la surveillance complète de quelque 300000 transactions par seconde effectuée par une foule de ce qui n’est plus que des sujets[10]. Ajoutons les « Nudges » des économistes …et il n’y aura plus que des marionnettes…..

Ces critiques ne sauraient effacer l’essentiel à savoir l’extrême difficulté dans laquelle se trouve et va se trouver le système politique français au printemps 2022. Comment les règles du jeu de la cinquième république vont-elles pouvoir fonctionner si les acteurs/électeurs qui croient encore à un ordre plus grand qu’eux se trouvent très minoritaires ? Si l’épuisement du politique est tel qu’il ne pourra que dessiner et remettre sur la table les contours anciens d’un monde disparu ou en voie de disparition, il est clair que le résultat de la campagne est déjà écrit. S’il y a impossibilité pour les divers candidats de faire naitre un ou des groupes instituant la tension la plus équitable et harmonieuse entre chaque être et l’ordre collectif, le conservatisme ou la peur l’emportera et fera apparaitre un second tour de campagne avec les mêmes personnages qu’en 2017.


[1] « L’Ere de l’individu tyran » ; Grasset ; 2020.

[2] Cf Bertrand Badie :"Inter-sociabilité, Le monde n'est plus géopolitique"; CNRS. 2020.  :

[3] Cf : « La révolte des élites et la trahison de la démocratie » ; Champs Essais;2020.

[4] Cf : « Le loup dans la bergerie socialiste » ; Climats ; 2018.

[5] On retient ici les intéressants développements des pages 140 et suivantes de l’ouvrage.

[6] Cette distinction révèle  que le libéralisme généralisé peut au fond masquer ce que Marx aurait désigné par « rapports sociaux de production ». Le monde du libéralisme est aussi un monde illibéral et même l’éventuelle fin du salariat ne permet pas de sortir de la dépendance du marché. Sur l’illibéralisme ou l’autoritarisme du libéralisme on pourra aussi consulter les textes de Carl Schmitt et d’Herman Heller rassemblés et publiés chez Zones : « Du libéralisme autoritaire » ; 2020.

[7] Cela peut donner lieu à des actions surprenantes, telle ce restaurateur Nantais victime de  moins de 100 internautes qui exigent de changer une appellation de l’établissement jugée inacceptable ( « Le nez grillé ») au vu du passé de la ville.

[8] CF Le Monde du 1 et 2 janvier 2021.

[9] On pourra ici consulter, parmi tant d’autres,  l’ouvrage de Walter Benn Michael : « La diversité contre l’égalité » ; Liber/Raison d’agir ; 2009.

[10] Cf Le monde du 5 janvier 2021.

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24 décembre 2020 4 24 /12 /décembre /2020 16:29

 

Deux ouvrages importants et à priori en opposition sont publiés en cette fin d'année, celui de Christophe Guilluy ( "Le temps des gens ordinaires"; Flammarion; 2020) et celui d'Eric Sadin (l'ère de l'individu tyran; Grasset; 2020)) Le premier accorde encore encore un peu de crédit au politique. Le second radicalement pessimiste parle ouvertement de la fin d'un monde commun et le passage progressif d'une situation où les individus, certes devenus solitaires, sont encore solidaires à un monde où ces mêmes individus deviennent des "isolés antagonistes". Nous aurons l'occasion de commenter ces 2 ouvrages à partir de la réflexion déjà menée dans le blog sur les doutes concernant l'utilité de la prochaine élection présidentielle ( voir les articles du 30 novembre et 14 décembre intitulés: "France: il n'y a pas grand chose à attendre de la future élection présidentielle ", partie 1 et 2). Nous aurons l'occasion d'y mêler des billets invités sur le blog dont celui d'Hélène Nouaille publié le 16 décembre et celui d'Olivier Passet publié le 7 décembre.

En attendant nous remercions la Fondation Res Publica et en particulier Joachim Imad qui vient de publier une brève note de lecture concernant l'ouvrage de Christophe Guilluy, commentaire que nous reproduisons ci-dessous. Bonne lecture.

Aux Trente Glorieuses, période de forte croissance et de relative domestication du capitalisme, a succédé un processus de marginalisation économique et culturelle des classes populaires. Analysant les conséquences de l'avènement du néolibéralisme, conjugué à des mutations technologiques rapides et au triomphe d'une nouvelle division international du travail, Christophe Guilluy évoque « le plus grand plan social de l'Histoire », à coups de précarisation, de désindustrialisation, de délocalisations et de chômage de masse. La ruralité et les petites et moyennes villes françaises en ont été les premières victimes, comme l'illustre la carte de France de l'indice de fragilité sociale des communes [1], un indicateur élaboré par le géographe à partir de onze critères (la part des ouvriers dans la population active, la part des employés et ouvriers dans la population active, l'évolution de la part des ouvriers et employés dans la population active, le revenu disponible médian des 60 ans et +, le taux de chômage, la part des actifs en temps partiel, la part des actifs en emploi précaire, la part des plus de 15 ans non diplômés, le revenu disponible médian des ménages, la part des propriétaires occupants sous seuil de pauvreté, la part des locataires du parc privé sous seuil de pauvreté).

Dans le même temps, les classes populaires ont perdu leur statut de référent culturel. Auparavant prescriptrice, enrichie par le travail remarquable de syndicats et de partis politiques comme le Parti communiste et magnifiée par des réalisateurs comme Jean Renoir, Marcel Carné ou Julien Duvivier, la culture populaire s'est retrouvée cantonnée aux marges de la société, au point de devenir une « sous-culture inquiétante », méprisée par les vainqueurs de la mondialisation et par des minorités acquises à l'idéologie libérale-libertaire.

Ce déclassement économique et culturel a enfin été aggravé par une relégation politique. Les partis de gouvernement qui avaient auparavant à cœur de défendre les intérêts des classes populaires s'en sont progressivement détournés, à gauche au nom d'un ralliement à la mondialisation au prétexte de l'idéologie européiste et d'une vision sociétaliste de l'avenir, à droite au nom d'une vision gestionnaire de l'économie et du dogmatisme néolibéral. Délaissées par les partis traditionnels et les élites anciennement industrialistes et confrontées à une détérioration de leurs conditions matérielles d'existence, les classes populaires n'ont eu d'autre choix que de basculer dans le vote pour le Rassemblement national (auparavant le Front national) ou dans l'abstention, alimentant ainsi la crise de la démocratie sur laquelle tant d'éditorialistes et d'universitaires se plaisent à disserter.

Ce constat, nourri par de nombreux exemples, s'inscrit dans la longue lignée des ouvrages de Christophe Guilluy qui, depuis Fractures françaises, met en évidence la persistance d'une conflictualité sociale que l'idéologie libérale s'efforce de dissimuler. L'originalité du Temps des gens ordinaires n'est pas là. Elle réside dans le constat, plutôt optimiste, que propose l'auteur d'un basculement des classes populaires dans la résistance. Refusant la place subalterne à laquelle la recomposition du capitalisme et l'idéologie dominante les assignent, celles-ci passent aujourd'hui de l'ombre à la lumière.

Cette résistance est d'abord pratique et va bien au-delà de ce qu'il convient d'appeler le populisme. Bien qu'il ait débouché sur un échec politique, le mouvement des gilets jaunes a par exemple fait entendre les exigences et le cri de détresse des couches populaires dont beaucoup avaient préféré oublier l'existence. Quelques mois plus tard, à l'heure du premier confinement et du passage d'une partie des Français en télétravail, ces mêmes gens ordinaires, qu'ils soient aides-soignants, caissiers, livreurs, éboueurs ou encore chauffeurs routiers, ont dû assumer presque seuls le principe de réalité et faire tourner ce qu'il convenait alors d'appeler « l'économie de guerre ». Nullement naïf sur le processus d'héroïsation dont ils ont pu faire l'objet (« L'héroïsation est une manière de garder la main, de continuer à objectiver les plus modestes mais certainement pas une façon de leur laisser la place. »), Christophe Guilluy observe que les classes populaires, et ce pour la première fois depuis des décennies, occupent désormais une large place de l'espace médiatique.

Cette visibilité nouvelle va de pair avec une renaissance culturelle. Négligées voire vilipendées par le monde de la culture depuis les années 1980, les classes populaires sont de nouveau des sujets de premier plan de la création artistique, en témoigne la multiplication des œuvres qui contestent les représentations dominantes du peuple. Pour étayer son propos, Christophe Guilluy cite de nombreux exemples issus aussi bien de la scène artistique française (le prix Goncourt attribué à Nicolas Matthieu, la descendance littéraire d'Annie Ernaux, etc.) qu'anglo-saxonne (le succès des films de Ken Loach, le phénomène autour du roman Hillbilly Elegy de J. D. Vance, les romans populistes de John King, etc.). On peut néanmoins s'interroger sur leur portée réelle. Ces œuvres ont rencontré un succès indéniable mais sans commune mesure avec celui d'œuvres invitant par exemple à jeter un regard nouveau sur les banlieues. Pensons par exemple à la notoriété immense de certains rappeurs ou à des phénomènes de société cinématographiques, à l'image de La haine de Mathieu Kassovitz ou, dans une moindre mesure aujourd'hui, Les misérables de Ladj Ly, prix du jury 2019 du Festival de Cannes.

En outre, les classes populaires tendent, aux yeux du géographe, à ne plus jouer sur le terrain du pouvoir et à s'autonomiser. Refusant « les faux débats sous contrôle » et « le piège de la récupération politique et syndicale », elles se recomposent autour des valeurs traditionnelles (besoin d'ancrages, attachement aux solidarités organiques, refus du progressisme diversitaire, etc.) et d'un diagnostic commun : l'échec de la globalisation, de la métropolisation et du multiculturalisme. Avant tout pragmatique, la France périphérique a tourné le dos à l'idée de révolution et aux grands récits ayant structuré le XXe siècle. Seule la préservation de l'essentiel lui importe dorénavant : « un niveau de vie, un niveau de protection sociale, mais aussi un environnement culturel qui favorise le bien commun ».

Consacrant de nombreuses pages aux enjeux migratoires et démographiques, Christophe Guilluy explique que la question identitaire s'avère fondamentale dans les milieux populaires, à la faveur notamment de l'ethnicisation des débats sociaux. En première ligne face à la crise de l'intégration, ceux-ci font le constat des tensions auxquelles conduit nécessairement « la société multiculturelle à 1000 euros par mois ». Loin des procès en repli sur soi et en xénophobie, le géographe rappelle cependant que l'hostilité des classes populaires au multiculturalisme et à l'immigration non-contrôlée ne découle pas d'un racisme renaissant mais bien d'un attachement à un mode de vie et à une culture façonnés par l'histoire : « Ce que les élites feignent de définir comme du racisme n'est en réalité que la volonté des plus modestes de vivre dans un environnement où leurs valeurs restent des références majoritaires. » Christophe Guilluy évite néanmoins, à raison, l'écueil consistant à accorder la primauté à la question identitaire sur la question sociale : « S'il partage ses valeurs et sa langue, un ouvrier européen se sentira toujours plus proche d'un ouvrier d'origine maghrébine ou africaine que d'un bobo parisien blanc. »

Cette renaissance des classes populaires s'accompagne d'un inévitable effondrement culturel et idéologique du monde d'en haut. Les gens ordinaires ne sont plus dupes sur l'écologisme, l'antiracisme et l'antifascisme de façade de celui-ci, comme l'exprime Guilluy par la formule lapidaire suivante : « La lessiveuse idéologique ne fonctionne plus. » Ces discours bienveillants peinent selon lui à dissimuler la réalité de la lutte des classes et le refus de la diversité sociale d'une large partie des élites, en témoigne par exemple l'inquiétante homogénéisation des métropoles que souligne Guilluy : « Pourtant bastions de la « société ouverte », les métropoles sont des lieux de ségrégation territoriale et d'exclusion sociale radicale des classes populaires. »

Conscientes de cette hypocrisie, les classes populaires contestent désormais avec virulence l'idéologie dite progressiste. Si celle-ci demeure hégémonique au sein du bloc élitaire, elle s'avère selon le géographe à bout de souffle, en témoigne par exemple la perte brutale d'attractivité des grandes villes, exprimée par des données très révélatrices compilées dans l'ouvrage. Christophe Guilluy rappelle par exemple que 600 000 à 800 000 personnes quittent les grandes villes françaises chaque année et que seuls 13% des Français vivant dans les espaces métropolitains désirent continuer à y résider. Lassés par l'hypermobilité propre aux métropoles et rêvant de « décélération », ceux-ci devraient à terme être amenés à renouer avec la sédentarité inhérente à la France périphérique (si l'on passe outre les mobilités contraintes liées à l'activité professionnelle). Comme l'écrit Christophe Guilluy, la mobilité, géographique comme sociale, pour tous est en effet un mythe. En 2016, 65 % des Français vivaient par exemple dans la région où ils sont nés, tandis que « les chances d'ascension sociale des individus d'origine populaire (soit les enfants d'ouvriers et d'employés) varient du simple au double selon les territoires de naissance. N'en déplaise aux thuriféraires du nomadisme, cette sédentarisation ne devrait faire que progresser du fait des grandes dynamiques anthropologiques caractéristiques de notre temps (augmentation de l'espérance de vie, vieillissement de la population en Occident, ralentissement de la croissance démographique mondiale, raréfaction des ressources, etc.).

Cet essoufflement du modèle néolibéral et de la métropolisation dissimule une crise beaucoup plus profonde. Christophe Guilluy juge qu'il ne faut pas seulement adapter marginalement le modèle à l'origine de la désindustrialisation - ce même modèle qui fait que pour la première fois de l'histoire, les gens ordinaires sont contraints de vivre sur les territoires qui créent le moins d'emplois - mais bien le transformer radicalement, ce qui implique un volontarisme politique accru, un changement de cap économique et une capacité à planifier que notre classe dirigeante a laissé en déshérence depuis des décennies.

Christophe Guilluy relève que les territoires périphériques demeurent les « heartlands » des démocraties occidentales et que la mécanique des gens ordinaires correspond non pas à une « entrave » mais au « mouvement du monde ». Au-delà de ce constat fort intéressant, il serait néanmoins nécessaire de poursuivre la réflexion sur les implications pratiques du changement de modèle que le géographe appelle de ses vœux (quid de l'articulation entre une élite responsable et des classes populaires exprimant une légitime demande de protection ?) et de réfléchir aux politiques ambitieuses qu'un bloc républicain devrait mettre en œuvre pour réorienter notre modèle économique vers un horizon souhaitable. [2]

Alors que la crise du coronavirus a mis en lumière nombre de nos dépendances et de nos faiblesses, contribuant ainsi à réhabiliter des notions depuis longtemps ostracisées dans le débat public, à l'instar de la souveraineté, de l'autonomie stratégique ou des frontières, ce travail intellectuel s'avère plus impératif que jamais.

Enregistrons bien cette analyse débouchant sur un possible retour des "gens ordinaires". Conclusion jugée positive et conclusion qui sera très critiquée dans l'ouvrage d'Eric Sadin, ouvrage qui sera bientôt commenté dans la partie 2 de cet article. 

Bonnes fêtes de fin d'année à toutes et à tous.

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[1] Carte de l'indice de fragilité des communes françaises (Données INSEE), p.97
[2] Voir le colloque organisé par la Fondation Res Publica « Quelle recomposition du paysage politique pour la France ? », 3 décembre 2019

 

16/12/2020

 

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14 décembre 2020 1 14 /12 /décembre /2020 08:48

En qualité de citoyen, nous pouvons imaginer un point de vue de relatif bons sens concernant la future élection présidentielle : quels sont, à priori, les probables problèmes du pays, et quelles sont les solutions raisonnablement envisageables. C’est ce que nous tentons d’évoquer ci-dessous en empruntant certaines idées émises par des correspondants et des collègues que nous remercions[1]. Pour autant l’émiettement de la pensée est devenu tel que le processus électoral risque de voir à son terme la continuité l’emporter sur le changement et c’est ce que nous envisagerons en conclusion.

Un premier constat est que  l’élection présidentielle ne permet   plus, depuis longtemps, d’exprimer clairement et efficacement le choix des français. Plusieurs raisons peuvent  être invoquées :   

- une constitution très présidentielle dont le jeu est mal compensé par le recours au referendum sur les grands sujets qui engagent la nation ;

- le système des partis, favorisé par une élection majoritaire à deux tours, sans proportionnelle, qui élimine du Parlement une proportion croissante de l'intention populaire ;

- des abandons imposés et massifs de souveraineté vers Bruxelles, Genève, Strasbourg, Luxembourg, Washington ;

- une perte de légitimité et un désintérêt marqué puisque, désormais, entre les non- inscrits sur les listes, les abstentions et les votes blancs ou nuls, moins de la moitié des citoyens expriment leur choix .

Il en résulte un affaissement dramatique de la démocratie face à une montée de nombreux dangers.

1 Une démocratie affaiblie face à de grandes menaces

1 Perte d’autonomie de la France, c'est à dire perte de sa souveraineté nationale et populaire, perte qui se manifeste sur tous les plans : politique, économique, monétaire, militaire, migratoire.

2 Dilution des repères qui forgent l’identité d’une nation, identité qui préserve le pays d’une   fragmentation aujourd’hui hélas très avancée, et fragmentation en opposition à la montée des Etats-Nations partout dans le monde en dehors du continent européen. Le large abandon de l'enseignement de l'histoire dans sa fonction identitaire et son accaparement par des groupes minoritaires à des fins d'instrumentalisations mémorielles dénonciatrices de la République aggrave cette fragmentation.

3 Augmentation sensible des ferments de la division économique et sociale : chômage de masse, paupérisations nouvelles et enrichissements exponentiels, sécession de l’élite, divisions qui contribuent à la fragmentation du territoire national entre zones branchées à "l'économie monde" et zones abandonnées.

4 Mondialisation économique non régulée, au nom de l’idéologie libre-échangiste, avec une fulgurante ascension des activités simplement spéculatives, financières ou rentières, mais aussi avec effacement des cohérences économiques noyées dans des chaines de la valeur illisibles, aux conséquences sociales et humaines désastreuses. En particulier, l’effondrement industriel correspond aussi à l’affaissement des gains de productivité donc de la croissance potentielle et à des disparitions de compétences difficilement récupérables (nucléaire, industrie manufacturière et de la défense, etc.). Cela correspond aussi à l’effondrement d’un futur désirable et de projets globaux négociés au profit de la  consommation vorace du simple présent.

5 Effacement de l’humanisme (transhumanisme, genrisme, fichages informatiques, capitalisme de surveillance, disparition du citoyen responsable au profit d’un consommateur docile ou capricieux, etc.) et de l’universalisme français (dictatures des minorités ethniques, raciales, religieuses, LGBTI, idéologiques, etc.)

6 Montée de l’intolérance, de la violence et de l’insécurité : quartiers interdits, groupes séditieux, déstabilisation de la dimension régalienne du pouvoir, effondrement du crédit porté à la parole institutionnelle et épidémie de fake news , affaiblissement de la fonction protectrice des institutions ,dialectique du complotisme et de l’anti-complotisme dans un monde devenant Orwellien,  gouvernement des juges en particulier sur les questions économiques et sociétales, terrorisme islamique, etc. 

7 Montée de l’insécurité écologique et climatologique avec au final pollution et dégradation qualitative et quantitative de l'air, de l’eau, des terres, et du vivant.

8 Affaissement   du potentiel scientifique, technologique voire simplement cognitif avec abaissement de la qualité des formations, tout au long des cursus,  chute des compétences et savoirs -faire, voire simple affaissement de la raison au profit des seules émotions ou idéologies. 

Quelles solutions envisageables?

II Reconstruire les chemins d’un vivre-ensemble apaisé et sécurisé….

1 Récupérer la souveraineté populaire :

- au sein de la nation c'est le peuple qui doit pouvoir décider de son destin : introduction de la proportionnelle à l’Assemblée nationale , référendum obligatoire sur les grands sujets, mais aussi référendum d'initiative populaire ;

- au sein des instances internationales (OMC, OTAN) qui imposent aux nations ce qu'elles ne veulent pas et les empêchent de se tourner vers ce qu'elles souhaitent. Cela passe en particulier par moins de multilatéralisme, une coopération active entre Etats, mais aussi par une sortie de l’OTAN ;

- au sein de l'UE, avec renégociation des traités laissant davantage de place aux citoyens de chaque nation et moins de place aux seuls dirigeants européens non élus. Les accords entre gouvernements doivent, chaque fois que cela est possible, l’emporter sur un multilatéralisme déresponsabilisant et non démocratique.

2 Récupérer la souveraineté économique par une planification simplement indicative aux fins d’une reconstruction de chaines de la valeur plus autocentrées sur le territoire ; d’une maitrise, en partenariat avec d’autres pays, des technologies d’avenir, avec investissements massifs et montée rapide des qualifications correspondantes ; d’une limitation de la financiarisation  et des activités spéculatives parasitaires et rentières ; d’une décarbonisation des activités ; du développement des filières écologiques, par exemple celle de l’économie circulaire ; d’une limitation à la libre circulation du capital ; etc. Ces changements de paradigme supposent au final le rétablissement de tout ou partie de la souveraineté monétaire.

 3 Utiliser la souveraineté économique pour rebâtir un monde moins concurrentiel et respectueux des valeurs françaises : rétablir des droits de douanes compensateurs des inégalités de protection sociale entre pays ; établir le principe d’un maxima des rémunérations ; imposer sur le territoire national les revenus qui y sont produits et perçus ; mettre fin aux détournements réglementaires et comptables permettant à des pays européens d’en prédater d’autres (Irlande, Luxembourg, Malte…) ; etc.  L’objectif final est la reconstruction, autour de la valeur travail restaurée, d’une immense classe moyenne aujourd’hui en perdition.

4 Conforter le projet de renaissance d’une classe moyenne quasi hégémonique en remobilisant les valeurs qui fondent l’histoire commune de l’immense majorité. Cela passe par une immigration choisie et le retour au pays des immigrants clandestins. Cela passe aussi par la suppression de la législation concernant le regroupement familial ; la prééminence du principe d’assimilation sur celui d’intégration ; la fin de la tyrannie des minorités, etc. De quoi éviter l’aggravation de la guerre civile de basse intensité dans laquelle le pays se trouve aujourd’hui plongé.

5 Restaurer un vivre ensemble de qualité, avec pour finalité la reconstruction d’une immense classe moyenne, passe aussi par la protection d’une nouvelle démocratie, et ce, en évacuant le gouvernement des juges qu’ils soient nationaux ou supra nationaux : Conseil d’Etat, Cour Constitutionnelle, Cour européenne de justice, etc…  instances si souvent mobilisées par des minorités actives,  doivent  elles-mêmes être cadrées par des choix référendaires sur toutes les questions aux conséquences sociétales.

Ces constatations et préconisations que l’on vient d’évoquer sont  peu susceptibles de rencontrer une majorité de français.

III…Mais des chemins hélas largement impraticables….

Sans doute beaucoup de constatations et de propositions simplement énumérées ci-dessus sont -elles partagées par de très nombreux français. Pour autant ce qu’on appelle néo-libéralisme est aussi, au terme d’une longue et complexe évolution,  un nouvel arrangement social[2] qui a favorisé l’évaporation du citoyen, et  l’émergence de l’individu souverain. La souveraineté est ainsi passée de la communauté politique des citoyens, communauté par définition la plus large, à celle de «  l’individu désirant ». D’où des conséquences fondamentales débouchant sur une nouvelle sémiologie : les mots vont voir leur signification et leur charge symbolique se modifier. Prenons quelques exemples :

La souveraineté. Ce terme dans ce nouvel arrangement du monde est presque devenu une incongruité, voire une grossièreté ou une incorrection  taxant  de populiste celui qui l’emploie. Il en résultera, à titre de simple  exemple, que  la communauté écologiste veillera avec acharnement  à son abandon. L’ environnement naturel, dira t-on  ne connait pas de frontières politiques et donc il est impératif de s’éloigner d’une idéologie d’un autre âge. On pourrait prendre d’autres exemples allant dans le même sens : faible taille du pays l’empêchant de tenir son rang face à des géants, risque de dérive nationaliste derrière l’idée de souveraineté, etc. Une variété de thèmes s’additionnant pour former une probable majorité et interdire tout débat sérieux sur la notion de souveraineté.

Le politique et l’Etat. Le terme de « choix politique » perd beaucoup de signification dans un monde persuadé que la société n’est, au mieux, qu’une somme d’individus et qu’il ne saurait y avoir d’instance  surplombant chacun d’eux. Mieux, l’expérience concrète de l’anéantissement du lien social au profit de la seule relation individu/ordinateur semble révéler que la société elle-même disparait. Elle n’est même plus somme d’individus. On comprend dans ces conditions que la liberté est devenue, dans son exercice, radicalement  incompatible avec le politique. Le terme lui-même devient ainsi une autre incongruité, ce qui justifie idéologiquement qu’il serait temps de dépolitiser les débats au profit de simples mécanismes de marchés auto-régulateurs. Pensons, par exemple, à la retraite par points qui permettrait largement de passer, dans l’administration des retraites, par un automatisme plutôt que par un débat politique périodique  entre acteurs. Une foule d’autres exemples peut être avancé : indépendance des banques centrales, organismes de régulation indépendants, mise en concurrence forcée sous contrôle bureaucratique de ce qui est monopole naturel (EDF, SNCF) ; etc.

La frontière. L’exercice d’une liberté toujours plus grande et plus éloignée des contraintes politiques fait  que Le libre échange est un état rationnel qu’on ne saurait réduire à peine d’engendrer une perte de pouvoir d’achat du consommateur. A cet égard, les droits de douane mêmes dits égalisateurs des conditions sociales de la production sont vécus comme un impôt sur la consommation, paradigme universellement enseigné avec les habits et décors de la science et jamais contesté. Droits de douanes ou contrôle des frontières, encore une atteinte à la liberté que l’individu désirant ne saurait supporter.

La liberté. Cette dernière n’est plus elle-même le produit d’un arrangement social dans lequel la rencontre avec l’autre se doit d’être plus ou moins civilisée. Rencontrer l’altérité est aussi fait de comportements d’adaptation et de prudence, "règles de juste conduite" dirait un Hayek, comportements devenus largement inutiles dans le monde numérisé, lequel peut devenir lieu d’épanouissement d’une violence virale aux effets catastrophiques.  Une  liberté ainsi devenue dépourvue d’ ancrage social débouche naturellement vers une méfiance généralisée atteignant en particulier les institutions, le respect des savoirs, mais aussi permettant le développement d’une idéologie complotiste sans frontières. La liberté dans son sens français (dimension encore collective) devient  de plus en plus la liberté au sens anglo-saxon ( le bouclier « propriété » protège l’altérité invasive) d’essence beaucoup plus radicale et débouche, technologisme aidant,  sur un développement de la  "call culture" américaine (culture de la dénonciation) mais aussi de la simple violence. 

L’intérêt général. Parler d’un intérêt général au dessus des intérêts particuliers n’a plus de sens dans une société d’individus simplement consommateurs. Au mieux, ces derniers peuvent se rassembler en communautés, ou en tribus, mais il est très difficile d’introduire une citoyenneté devenue une incongruité ou un simple signe dépourvu de  signifiant. Un intérêt de groupe se déploie en surplomb d’un intérêt général devenu invisible. Et les communautaristes verront, dans un intérêt tribal, un intérêt général puisque la communauté politique disparait. L’intérêt général évaporé laisse ainsi la place aux dictatures des minorités, en particulier simplement ethniques. Le mixage de la dictature ethnique et de la liberté radicale digitalisée ou numérisée peut ainsi déboucher sur des appréciations différentes du terrorisme, celle de Gilles Kepel laissant plus de place aux considérations ethniques et celle d’Olivier Roy accordant à la nouvelle liberté, comme effondrement d’un monde commun, un rôle plus essentiel[3]. D’où les interrogations sur la radicalisation : est-elle un effet de l’islam conquérant sur un Occident en perdition ou islamisation de la radicalité, elle- même effet de la fin d’un monde commun? Des débats qui nous éloignent du vrai sujet : comment décider aujourd’hui d’un thème disparu qui était pourtant l’un des fondements de la démocratie ?

La République et la méritocratie. Cette dernière ne peut voir qu’un rétrécissement considérable de son périmètre. La nation et la citoyenneté disparaissant,. il ne reste plus que des minorités qu’il faut aider par le biais de stratégies discriminantes. La vieille passion de l’égalité à la française peut ainsi évoluer  lentement vers des logiques de quotas et de nouvelles formes de discriminations à forts retentissements médiatiques et juridiques (juges), eux-mêmes  porteurs de nouveaux ressentiments et de méfiance.

Toutes ces pertes de repères font que les individus ont de plus en plus de difficulté à entendre et comprendre, notamment durant les campagnes électorales,  les discours d’ acteurs politiques largement démonétisés.

Les acteurs politiques sont eux-mêmes le plus souvent assis entre 2 chaises. Parce qu’il est question d’une élection présidentielle comme avant, on utilise les mots d’avant avec parfois le sens qu’ils avaient (démocratie, intérêt général, liberté etc.), de quoi développer la méfiance de nouveaux électeurs habitant le nouveau monde où les dits mots se trouvent démonétisés. Mais dans le même temps, ces acteurs politiques se doivent d'être modernes et expliquer que le monde a changé; que la démocratie ne peut que s’estomper dans le vide d’une souveraineté disparue ; que les frontières ne peuvent être rétablies en raison des impératifs d’une mondialisation favorable à la croissance et à l’épanouissement toujours plus grand de la liberté, ou de la consommation; etc. Parce que discourant au milieu du gué, les paroles publiques deviennent inaudibles, voire ridicules,  pour une majorité d’électeurs. Nombre d’entre eux seront ainsi tentés par l’abstention.

Il n’y a donc rien à attendre de la prochaine élection présidentielle. Aucun projet, tel celui développé plus haut ne peut naitre des prochains débats. Le plus probable est donc que l’on retrouve le même résultat avec des acteurs désignés légalement mais aussi des acteurs encore plus délégitimés que ceux d’aujourd’hui.

Plus probable est donc le changement qui proviendra des banques centrales en particulier la BCE. Cette dernière confirme sa situation d'Etat d'un type nouveau avec pour effet de masquer les difficultés issues de la triple crise sanitaire, économique et financière. Les lecteurs du blog savent que sa transformation empêchera tout effondrement de l'énorme pyramide financière. En revanche, on sait aussi que ladite transformation de la banque centrale développe d'énormes effets pervers en termes  de valeur des actifs (dont les actifs immobiliers), en termes de sous investissements réels et d'inégalités sociales -que le maintien des réformes structurelles et de la crise en termes réels  aggrave - effets qu'elle impose à la société. 

La Banque Centrale dans sa toute puissance a encore théoriquement les moyens de masquer les énormes inégalités sociales qui se construisent à grande vitesse. On peut ainsi imaginer le passage de l'helicopter money masqué (aujourd'hui) à l'helicopter money clairement revendiqué... lequel supposerait toutefois l'approbation de l'Allemagne... Il est difficile d'aller plus loin et nul ne sait comment les choses vont évoluer. Le plus probable toutefois est la conjonction de l'illégitimité aveuglante  du politique après 2022 et l'impossibilité d'une gestion coordonnée des affaires européennes. De quoi imaginer un monde d'après qu'il faudra construire si possible démocratiquement, avec comme le souhaite un Bertrand Badie dans son dernier ouvrage la fin du géopolitique et son remplacement par "l'inter-socialité". ("Inter-sociabilité, Le monde n'est plus géopolitique"; CNRS. 2020). 


[1] Nous remercions en particulier Henri Temple et Philippe Murrer.

[2] Pour une explication de cette dialectique entre nouveau paradigme économique et arrangement social nous recommandons l’excellent ouvrage de Pierre-Yves Gomez : « l’Esprit malin du capitalisme ; Desclée De Brouwer ; 2019.

[3] « Islamisation de la radicalité et radicalisation de l’Islam », entretien avec Olivier Roy ; l’Obs ; n°2683- 7 avril 2018.

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1 décembre 2020 2 01 /12 /décembre /2020 07:43

Les partisans de l’ordre monétaire et financier actuel sont  sur la défensive quand on leur parle, depuis quelques jours, de l’opportunité d’une annulation de la dette COVID. C’est vrai qu’ils ne peuvent plus se cacher derrière la défense des investisseurs ou celle des épargnants, puisque ladite dette se trouve très largement logée à l’actif de la BCE, une institution qui ne repose pas sur de vrais créanciers potentiellement victimes d’indélicats défauts. Les arguments de défense empruntent alors la paresse du juridique : les traités interdisent l’annulation des dettes. Mais le politique n’est-il pas source de refondation du droit ? Ils empruntent aussi le scabreux argument de l’inflation qui résulterait d’un tel relâchement disciplinaire. Mais l’actuelle monétisation massive est- elle source d’inflation ?

En sorte qu’il existe probablement un risque caché, autrement plus important derrière cette mobilisation contre une annulation de la dette COVID. Quel est-il ?

Bien évidemment, à horizon assez bref, le roulement de la dette publique serait allégé. A priori de quoi limiter les déficits futurs ou baisser la pression fiscale ou augmenter les dépenses de reconstruction. Au total de quoi apporter de l’oxygène aux Etats les plus endettés. De quoi faire rêver un pays comme la France dont le gigantesque roulement de la dette n’est plus très éloigné du total de ses recettes fiscales. C’est oublier les réactions du marché et ce avant même de décider - par un Etat, voire plusieurs, voire même l’Union Européenne dans son ensemble -  l’annulation des dettes COVID.

Le fait d’en parler- à quelque niveau que ce soit, Etats, Conseil européen, Commission, etc.- entrainerait automatiquement une hausse des taux assortie de spreads considérables. La raison en est simple. Bien sûr aucun « investisseur » ou épargnant ne serait lésé puisque cette dette est, ou serait cantonnée, à l’actif de la seule banque centrale. Toutefois, une perte de confiance se manifesterait légitimement : les Etats ne vont-ils pas s’affranchir du respect qu’ils doivent à l’autre  partie de la dette publique, celle acquise par des investisseurs et qui figure dans des patrimoines privés, voire publics ? Plus simplement après avoir « tiré » sur une cible largement virtuelle - la BCE - ne vont-ils pas « tirer à balles réelles » sur les épargnants ?

Il est clair qu’un « bouquet » de hausse des taux s’élèverait rapidement et qu’un comportement de contagion mimétique s’enclencherait avec la vitesse de l’éclair. Dans le même temps, et à l’échelle planétaire, tous les produits financiers incorporant de la dette publique européenne verraient leur valeur s’affaisser avec effet boule de neige sur la plupart des titres mondiaux. N’oublions pas non plus les effets dévastateurs sur les dettes des pays émergents.  Bref, une série « d’événements » qui ferait  disparaître rapidement l’espoir d’une diminution du roulement de la dette et mettrait en cause la signature, donc les cotations, de la totalité des pays de l’Union Européenne

C’est dire que les principaux acteurs qui récemment sont intervenus après les propos du Secrétaire d’Etat italien Riccardo Fraccado, (le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau ; le chef Economiste du Trésor, Agnés Benassy-Quéret ; mais aussi Bruno Le Maire  et beaucoup d’économistes) ont utilisé des arguments qui cachaient le véritable objectif : celui de maintenir en l’état le dispositif monétaire et financier. La crise financière serait d’une telle puissance que l’ensemble de l’édifice financier serait détruit, laissant alors la place à un tout autre monde qu’il faudrait construire. Soyons donc rassurés, tout sera mis en œuvre pour entretenir la fiction d’un remboursement de la dette. C’est très difficile, mais il faut y arriver.

 Et donc tout sera mis en œuvre pour poursuivre les réformes structurelles censées participer au redressement des finances publiques… comprenons ici le maintien de la rentabilité des grandes entreprises financiarisées…. avec ses effets en chaîne sur les petites entreprises dépendantes toujours enkystées dans un taux de change irréaliste… lesquelles  attendent des réformes structurelles en compensation de la faiblesse des marges laissées par les grandes entreprises qui nourrissent leurs carnets de commande….

 Il est évident que l’annulation des dettes COVID ne lèse aucun épargnant, mais il faut surtout ne pas en parler.

 

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