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1 juin 2024 6 01 /06 /juin /2024 10:00

Le Rassemblement National est encore souvent qualifié d'organisation prorusse et  Il est vrai que son passé relativement proche peut encore justifier de telles alllégations. Il est encore probablement exact que certains de ses défenseurs restent prorusses. S'il parvient au pouvoir il sera probablement très sollicité par les agents du pouvoir russe qui tenteront une déstabilisation au détriment du nouveau gouvernement français. De ce point de vue le Rassemblement National pourrait se trouver intellectuellement en difficulté en raison d'une très grande méconnaissance de la réalité politique et anthropologique russe. A cet égard nous invitons les dirigeants du Rassemblement National à bien mûrir la  réflexion  que nous avons mené voici quelques temps et qui a fait l'objet d'un texte publié à la fin de l'hiver dernier. La Russie restera géographiquement proche de l'Europe mais il est illusoire d'imaginer que le type de relation à établir soit du même ordre que celles classiquement vécues entre nations démocratiques. 

Il est évident qu'une arrivée au pouvoir du Rassemblement National entrainerait un développement considérable de la propagande prorusse et donc un risque de déstabilisation. Il est même probable que le "despotisme oriental" qui sévit en Russie soit une opportunité dans son combat contre l'occident. De quoi se reproduire au pouvoir par la perspective potentielle d'un effondrement européen tant souhaité par ce même pouvoir.  Certes, le RN arrivé au pouvoir sera combattu  par de considérables forces d'opposition en matière financière, mais il aurait tort de négliger la propagande russe. Raison de plus pour bien saisir la nature profonde de l'Etat Russe.

27 mars 2024

La présente note s’intéresse moins à l’analyse de la faiblesse de l’impact des sanctions occidentales sur l’économie russe que sur la spécificité d’un modèle anthropologique jusqu’ici peu défriché. On peut en effet s’étonner de caractéristiques sociétales a priori assez éloignées de ce que l’on trouve dans l’occident classique : un Etat laissant très peu de place à la société civile, un demos davantage objet que sujet, un repli sur soi contrarié par une interaction sociale souvent brutale et violente, une très difficile émergence des droits de l’homme dont celui du respect de la vie. Ces caractéristiques sont elles-mêmes des qualificatifs divers d’une même réalité : la faculté d’un pouvoir très éloigné, à nier toute autonomie réelle à une population, simple moyen de sa propre fin, à savoir sa reconduction au pouvoir.

 1 - Anatomie de l’Etat Russe.

En Russie comme ailleurs, l’aventure étatique fût probablement la cristallisation d’une évolution qui selon l’expression de Pierre Clastres devait aboutir à ce que ce dernier appelait « un coup d’Etat fondant l’Etat ». Partout dans le monde le « big bang » des Etats fut l’appropriation du « commun » d’une société, ce que l’on appellerait dans le langage moderne les biens publics. L’histoire assez classique des Etats fut le passage d’un âge patrimonial plus ou moins long (le groupe au pouvoir gère le commun comme son bien propre), à un âge institutionnel (le groupe au pouvoir reconduit sa domination par un partage et la reconnaissance de droits attribués à un demos). Dans certains cas, l’âge institutionnel peut se déliter avec passage à un âge relationnel où l’Etat lui-même semble s’affaisser devant le marché (démocratie puis mondialisation). L’âge relationnel qui semble être le moment présent des Etats de l’UE délègue au marché et aux économistes l’édification d’un intérêt général. Le marché devenant la nouvelle patrie à défendre. Signalons qu’il n’existe aucune théorie de l’histoire et rien ne dit qu’il existe un passage ordonné entre les âges : des retours ou des ordres inversés sont toujours possibles. Rien ne dit non plus que la réalité correspond à des âges complètement séparés et complètement distincts. Ainsi il n’est pas impossible de penser que l’UE pourrait évoluer, après son âge plus ou moins relationnel  vers un stade intermédiaire que certains appellent déjà la marche vers « l’étaticité ».

Ce qui semble caractériser l’histoire de l’Etat russe est l’importance de l’âge patrimonial, la difficulté du passage à l’âge institutionnel et, plus récemment, sa greffe sur un âge relationnel qui lui reste fondamentalement étranger.

2- Une construction impériale sans équivalent.

L’âge patrimonial s’est parfaitement adapté à la construction d’un empire où - à l’inverse de ce qui se passait en occident (Grande-Bretagne et France arrimées depuis longtemps à l’âge institutionnel) - la métropole n’est pas géographiquement séparée des colonies. Alors que la France se distingue de l’Algérie par une frontière naturelle, il n’existe pas de barrière physique entre la colonie et l’Etat patrimonial russe. Et comme l’âge patrimonial est celui où les sujets sont dépourvus de l’essentiel de ce qu’on appelle les droits de l’homme, voire le simple respect de la dignité humaine, le colonisateur peut utiliser ses sujets comme matière première de la colonisation. Parce que dépourvus de droits de propriété qui n’existent que pour les dominants, les sujets peuvent être instruments de la colonisation et être déportés en masse vers de nouveaux lieux. D’où la multitude de groupes russophones dans des espaces a priori très éloignés mais jamais séparés de la métropole par une barrière naturelle qui n’existe pas. Phénomène que nous n’avons pas constaté avec les autres colonisations où, même en Algérie, il n’y avait pas de réelles déportations et où ce qu’on appelait les pieds noirs étaient des volontaires très autonomes au regard de l’Etat central. Les cas contraires - sauf l’énorme exception que fût le commerce triangulaire -  étaient marginaux et concernaient surtout une déportation des colonisés récalcitrants vers d’autres colonies, donc des personnes dépourvues des droits de propriétés de l’âge institutionnel de la métropole.

Dans le cas de la Russie, les moyens de production de la colonisation et de l’expansion de l’âge patrimonial, doivent historiquement rester ce qu’ils sont à peine d’effondrement de l’empire en expansion : les déportés doivent conserver leur rang et ne doivent jamais accéder aux droits de l’homme classiques. Il en résulte une distance réduite entre le colon et le colonisé, ce qui n’était pas le cas des empires coloniaux occidentaux. Dans le cas inverse, une stratégie d’accès aux classiques droits de l’homme entrainerait un effondrement de l’empire, ce que « Catherine la Grande » tentait d’expliquer aux philosophes des lumières et en particulier Diderot. Constatons qu’aujourd’hui encore les déportations restent une pratique assumée : enfants et familles ukrainiennes, minorités des espaces de l’Asie centrale, etc.

3 -  Un point d’appui sur des structures anthropologiques à privilégier.

 Les deux paramètres classiques des droits de l’homme : vie, liberté, reposent sur un troisième qui devient le point d’appui des deux premiers : la propriété. C’est dire que l’âge patrimonial de l’Etat russe ne permet pas l’arrimage à la notion classique de propriété : vie et liberté seront toujours sous la dépendance du pouvoir. D’où la difficulté de faire naître un âge institutionnel allant jusqu’à la démocratie. Au mieux, on aboutira à une citoyenneté qui restera bloquée sur le patriotisme ou le nationalisme alors qu’en Occident il sera possible d’aller plus loin. D’où l’asymétrie fondamentale dans une situation de guerre : un coût de la vie très élevé dans un cas ( l’Occident dépassant l’âge institutionnel et déjà plongé dans l’âge relationnel), et très faible dans l’autre (Russie dont l’âge institutionnel reste enkysté dans un âge patrimonial). Dans un cas nous avons la doctrine du zéro mort dans la guerre et dans l’autre il sera naturel d’extirper de l’univers carcéral des personnes que l’on enverra sur le front.

D’une certaine façon l’Etat russe se trouve très aidé par des structures familiales qui selon la classification d’Emmanuel Todd relèvent du type souche, voire communautaire, avec des caractéristiques culturelles qui restent éloignées de celles de l’occident classique où la valeur égalité l’emporte. Le poids de l’autorité indiscutable s’impose avec ses conséquences sur des droits de l’homme qui n’ont pas la même signification qu’en Occident. La dimension âge patrimonial de l’Etat Russe est ainsi en relative congruence avec des structures familiales qui ne vont pas contester frontalement la violence du pouvoir.  La perspective d’une révolution a ainsi beaucoup plus de chance de se réaliser par le haut que par le bas.

4 -  Un  point d’appui récent sur des Etats vivant l’âge relationnel.

Mais l’Etat russe qui passe déjà difficilement le cap de l’âge institutionnel est retenu, voire confirmé dans son âge patrimonial par sa greffe sur les Etats de l’âge relationnel (Occident). Les richesses de l’immense empire peuvent être valorisées auprès des Etats devenus vassaux d’un mercantilisme privé. C’est bien évidemment le cas -véritablement caricatural- de l’Allemagne dont le  mercantilisme permettra d’alimenter une rente gazière gigantesque accaparée par les détenteurs/défenseurs de l’âge patrimonial russe. De quoi nourrir- non pas avec des droits mais avec des marchandises- les dépendants du pouvoir russe. De quoi, par conséquent, légitimer la forme patrimoniale du pouvoir par une population qui reste à l’écart des agitations du post-modernisme occidental. Mieux : de quoi distribuer des salaires considérables et du capital qui l’est davantage encore, à ceux qui s’engagent dans la machinerie militaire. C’est dire que malgré une démographie très difficile l’Etat patrimonial russe peut encore alimenter la machine de guerre par une offre suffisante de personnel : les chaînes d’inscription à la guerre sont le point de départ d’un changement radical de niveau de vie pour nombre de familles de colons mais plus encore de colonisés dans l’immense empire. Au final de quoi connaître l’équivalent de la société de consommation occidentale dans un monde carcéral. Les immenses espaces de la Grande Distribution peuvent cohabiter avec ceux  des colonies pénitentiaires.

5 -  Un Etat sans limite territoriale

L’empire lui-même ne peut connaître de limite. Dans le cas de la colonisation occidentale, des barrières naturelles permettaient la distinction entre des colonies et des métropoles, elles-mêmes déjà marquées par les frontières des célèbres traités de Westphalie (1648). Simultanément, l’âge institutionnel et son débouché sur l’idée de citoyenneté et de droits de l’homme, délégitime rapidement le fait colonial occidental, lequel débouchera sur l’apparition de très nombreux Etats en formation au vingtième siècle. Historiquement, l’affaire ne fut pas facile et aurait pu l’être beaucoup moins encore en l’absence de barrières naturelles entre colonies et métropoles. Imaginons par exemple les difficultés supplémentaires- pourtant déjà  considérables- dans le cas de la France et de l’Algérie si cette dernière avait été directement accolée à la métropole.  Le cas de la Russie, au regard de l’idée de décolonisation est très différent. Parce que l’âge patrimonial peut se pérenniser et que la colonisation s’est accompagnée de déportations, il est très difficile de connaître une décolonisation. La violence naturelle de l’âge patrimonial s’y oppose, et surtout il est facile de compter sur ce qui est devenu les minorités russophones réparties sur l’immense territoire. C’est ce qui est présentement vécu avec un mouvement complexe de décolonisation/recolonisation. En occident parce que le colon était très différent du colonisé, la décolonisation s’en finit pas de se radicaliser y compris et surtout dans les anciennes métropoles. En Russie, colons et colonisés sont peu différents et le colonisé ne rejette pas la culture du colon. A priori impensable en occident, la recolonisation se trouve envisageable dans l’ordre Russe. Avec toutefois une limite : une colonisation vers des espaces fondamentalement étrangers à  l’espace russe (l’Afrique actuelle) se heurtera à des déboires majeurs. Il sera moins difficile de se réinstaller dans les ex territoires de l’Union Soviétique que d’occuper le sahel après évincement de la présence française.

6 -  Un Etat menaçant menacé ?

Et pourtant l’empire est plus ou moins menacé car les droits de l’homme frappent à la porte et les espoirs - fondés ou non - de l’âge relationnel s’affirment. Non pas nécessairement par le canal démocratique car une grande partie des droits de l’homme peut se vivre en dehors de la liberté démocratique, mais bien plutôt par le canal économique. L’économie prédatrice et rentière monopolisée par les tenants du pouvoir peut faire l’objet d’une contestation grandissante, voire se transformer en luttes de clans débouchant sur de possibles fragmentations. Et déjà, au quotidien, une difficulté croissante à gérer les conflits d’intérêts entre groupes de décisions et la peur qui, finalement, empêche toute innovation au niveau des microdécisions. Davantage encore, la digitalisation de l’économie et les espoirs du monde numérique favorisent la fuite hors de l’empire des plus modernes. De quoi accélérer la crise démographique. Au-delà des apparences nous sommes vraisemblablement dans la crise des Etats figés dans l’âge patrimonial.

7 -  Conclusions.

- Les réalités d’aujourd’hui sur le théâtre russe paraissent confirmer ce qui précède : le « sultanat électoral » que vient de vivre le pays ne semble guère embarrasser ce que chacun peut considérer comme une distraction dominicale où l’on est invité au jeu du plébiscite comme on peut l’être au jeu de monopoly. C’est dire que la liberté au sens occidental n’a encore que peu de sens.

- La guerre est coûteuse, et même avec une croissance ,  il deviendra de plus en plus difficile de jouer le jeu de la société de consommation avec des moyens de production qui se sont reconvertis en usines de guerre. La croissance peut certes s’accélérer  avec la généralisation d’une économie de guerre, mais elle ne pourra masquer durablement une perte des niveaux de vie.

-La guerre , elle-même, est un moyen de conserver un âge patrimonial menacé par des périphéries dissidentes qui pourraient déboucher sur  des exemples de réussite légitimant un âge relationnel : un succès économique et politique de l’Ukraine n’était pas acceptable. Une guerre qui soude une communauté est donc utile pour le pouvoir mais son coût devra se reporter sur les dépendants, plutôt sur les colonisés que sur les colons.

- Cette même guerre ne pourra que se limiter aux anciens espaces et La Russie, cruellement contestée dans sa volonté de devenir chef d’orchestre d’un Sud global,  devra probablement se retirer de l’Afrique.

- Enfin cette guerre développe ce qu’elle combat : le passage de l’Etat ukrainien d’un âge patrimonial à un âge institutionnel flirtant avec l’âge relationnel européen. Plus simplement exprimé, l’Etat Russe engendre à sa périphérie ce qu’il n’est pas,  et que classiquement on appelle « l’Etat Nation souverain ». Si le marché généralisé de l’âge relationnel connait quelque peine à souder une société,  La guerre de l’Etat Russe resté  patrimonial, ne permettra pas davantage de souder et développera  des risques de rupture.

 

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28 mai 2024 2 28 /05 /mai /2024 16:30

La reconstruction du pays doit aussi donner la priorité à l'indépendance énergétique et en particulier sa composante électricité dont  on sait que la part de marché devrait s'accroître considérablement au cours des prochaines années. La question est difficile et la confusion est entretenue par des candidats aux élections européennes qui visiblement maitrisent très mal le sujet. Nous avons beaucoup publié de notes concernant cette question et il nous parait utile de republier un texte de synthèse que l'on trouvera ci-dessous.

10 mai 2024

A un moment où les prix de l’énergie à l’échelle planétaire laissent hors course une Europe qui prend conscience de son handicap au regard des grands ensembles géopolitiques, il est intéressant d’examiner la position du Rassemblement National.

Il nous faut tout d’abord, au regard de l’extrême complexité de l’économie de l’énergie,  tenter de simplifier et donner au grand public accès à la réalité du problème.

Les spécificités de l’énergie en général et de l’électricité en particulier.

1 - D’une manière générale ce qu’on appelle économie n’est rien d’autre que de l’énergie transformée : Quelle que soit l’activité ou la spécialisation, rien ne peut se faire sans appel à l’énergie, ce qui potentiellement lui donne un statut d’universel comme l’est un bien public.

2 - L’électricité est la forme d’énergie qui devient quasi hégémonique : il s’agit d’une forme secondaire connaissant une très forte croissance issue de la transformation d’une énergie dite primaire.

3 - L’électricité devient ainsi potentiellement un bien public sous forme de réseau comme il existe un réseau routier, monétaire, ou ferroviaire.

4 - Simultanément,  cette énergie présente des caractéristiques très spécifiques : homogénéité (un KWH est partout un KWH), et non stockabilité (il faut produire et répondre de façon instantanée qualitativement et quantitativement à l’appel). Ces caractéristiques ne se retrouvent pas dans les biens marchands classiques.

Les modèles d’organisation de l’infrastructure électricité.

En simplifiant on peut retenir plusieurs types d’organisation de l’infrastructure électrique :

1 - autoproduction et autoconsommation (exemple : maison ou usine avec éolienne) ;

2 - réseau local ou régional de production et consommation (exemple : France d’avant la nationalisation de 1945) ;

3 - réseau organisé en marché (exemple : France d’aujourd’hui avec de nombreux offreurs et une infrastructure interconnectée nationalement et internationalement) ;

4 - réseau interconnecté et monopole de la production (exemple : France de 1945 jusqu’à la naissance d’un marché de l’électricité au début des années 2000).

La réalité est plus complexe encore et correspond parfois à une combinaison ou articulation de plusieurs types d’organisation.

Du point de vue politique, mais aussi du point de vue technologique, la question est de savoir quel modèle organisationnel il convient de retenir. C’est sans doute la question que semble aborder le Rassemblement National et ce, en rupture avec la présente organisation d’inspiration européenne. Curieusement, très peu de candidats aux élections européennes s’intéressent à la question essentielle de l’électricité.

Les déterminants d’un choix de modèle organisationnel

1 - Auto production et auto consommation ne semblent pas devoir poser de problème sauf à imaginer un raccordement à un réseau plus large pour gérer les excédents et déficits inhérents au dispositif. On peut d’ailleurs raisonnablement penser qu’il s’agit d’un modèle d’avenir en raison des techniques nouvelles qui posent de manière centrale la question de l’intermittence (solaire/éolien).

2 - Les réseaux locaux et régionaux sont économiquement dépassés puisqu’ils supposent des coûts anormalement élevés. Sans interconnexion large, chaque pôle doit être équipé pour les dates  de pic de consommation, ce qui suppose des capacités globales excédentaires et donc des coûts qui, à l’échelle macroéconomique, sont excessifs. L’infrastructure électrique du pays ne permet pas d’ approvisionner ce dernier de façon efficiente. Certes, on peut imaginer des contrats d’effacement pour libérer des capacités mais le jeu est trop limité. En clair, si les partis politiques travaillent pour un intérêt général, ils doivent s’éloigner de ce type organisationnel. On notera que c’est pourtant ce qui existait naguère dans nombre de pays dont la France d’avant EDF.

3 - Le réseau large, donc interconnecté à l’échelle nationale et internationale et surtout organisé en marché, correspond à la réalité européenne d’aujourd’hui. C’est ce type d’organisation que le Rassemblement National semble vouloir mettre en cause. S’il existe un vrai marché pour cette marchandise non stockable qu’est l’électricité, cela suppose que des entreprises contractent des accords afin de permettre le bon approvisionnement sans gaspillage de ressources. Ces accords doivent bien sûr se négocier autour d’un indicateur qui ne peut-être qu’un prix. Telle entreprise ne produit pas assez pour satisfaire ses clients et doit par conséquent trouver une entreprise sœur/concurrente qui accepte de lui fournir de l’électricité. Symétriquement, telle autre entreprise se trouve en excédent et essuie des pertes si elle ne trouve pas une entreprise sœur/concurrente qui lui achète ledit excédent. A quel prix doit se fixer la transaction ? L’entreprise excédentaire risque une perte marginale correspondant au coût de l’électricité potentiellement gaspillée si aucun acheteur ne se présente. L’entreprise déficitaire risque une perte marginale correspondant aux recettes sur clients qui, au final, ne paieront pas s’ils ne sont pas approvisionnés en électricité. Ce petit raisonnement nous permet de comprendre deux choses : La première est que ce qu’on appelle prix de l’électricité doit tourner autour du coût marginal. La seconde est que la puissance publique doit intervenir pour surveiller la réalité des transactions et garantir que le réseau ne dysfonctionne pas. Si l’électricité est un bien public, il faut surveiller un marché qui risque de ne pas fonctionner en cas de désaccords entre les entreprises offreuses d’électricité, toutes handicapées par la grave question de non stockabilité de la marchandise. La réalité est d’autant plus complexe s’il existe une volonté politique d’imposer la décarbonation par le biais d’un usage massif des techniques porteuses d’intermittence (éolien et solaire). Dans ce cas, il faut imposer une priorité à l’énergie intermittente ce qui suppose des pertes marginales des autres producteurs et imposent un surdimensionnement de l’ensemble de l’infrastructure. Ce type d’organisation est extrêmement complexe puisque les entreprises fournisseuses d’électricité sont à la fois isolées et en concurrence… et en même temps ont besoin de coopérer. D’où deux séries de prix qui matérialisent, l’un le mode de coopération totalement décentralisé pour accéder à la matière première, l’autre qui matérialise la concurrence au niveau de l’accès au consommateur final. On comprend que ce modèle d’organisation repose aussi sur la financiarisation : face à un modèle aussi risqué le recours à des bourses et produits de couvertures s’impose.   Au total, rien ne permet de dire que l’infrastructure qui ravitaille l’ensemble est optimale. D’où une bureaucratie de marché inhérente au modèle d’organisation retenu. Pour mieux percevoir l’étrangeté d’un tel modèle, il suffit de le comparer à un modèle classique par exemple celui de l’automobile. Pourrait on imaginer qu’une production de voitures en quantité insuffisante par rapport à la demande s’adressant à un producteur puisse être compensée par l’achat d’un excédent de voitures produites par un autre en vue de les céder aux clients finaux ?  Peut-on penser que Citroën - incapable de livrer les voitures achetées - demande à Renault de lui fournir des voitures excédentaires qu’il pourra livrer à ses propres clients ? Dans les marchés classiques, la régulation se fait par les prix et les stocks et surtout les marchandises ne sont pas homogènes, ce qui n’est pas le cas de l’électricité. N’entrons pas dans le détail de ce labyrinthe mais signalons que l’Etat français sera dans le cadre européen amené à ajouter une couche de complexité en détruisant le monopole public EDF et ce dans le cadre d’une belle unanimité des marchés politiques : fin du monopole (Chirac/Jospin) ; création d’une ponction permanente par le biais de l’ARENH laquelle permettra  de financer des concurrents qui ne produisent pas et se contentent de spéculer (Sarkozy) ; fermeture programmée de centrales (Hollande/Macron). De quoi détruire un outil de production avec savoirs et savoirs faire pour le faire entrer dans le marché. De quoi aussi ajouter à la bureaucratie de marché.

Dans ce type d’organisation très complexe si une crise d’offre se produit, le coût marginal peut se développer sans limite et ne plus correspondre à la réalité des coûts. C’est ce qui s’est passé avec la crise ukrainienne et la fin du gaz russe : globalement les entreprises se trouvent très nombreuses à être en déficit de production et donc les prix peuvent exploser. En même temps, les Etats qui ne peuvent que s’inquiéter de la nature bien public de l’électricité, ne peuvent en aucune façon maitriser les prix. Ils ajouteront à la complexité en inventant des boucliers tarifaires.                                                                                                                                                                                                                                                                     

4 - Le réseau interconnecté assorti d’un monopole de l’offre est le dernier dispositif organisationnel que nous avons mentionné. Il correspond à la situation de la France avant le passage au marché que nous venons très brièvement de déchiffrer. Ici il n’y a qu’un producteur (EDF) qui garantit une production adaptée aux fluctuations de la demande d’électricité. Disposant de plusieurs centaines d’unités de production dont les coûts d’exploitation sont divers, le monopoleur s’engage auprès de ses clients en activant les unités les moins coûteuses pour ne mettre en activité les plus coûteuses qu’aux pics de la demande. Avec l’interconnexion croissante au niveau européen, EDF peut encore compter sur des producteurs étrangers et ainsi comparer le coût marginal français et le coût européen. Si EDF se comportait en monopoleur privé, il pourrait fixer un prix égal au coût marginal croissant. Sans davantage préciser sa politique tarifaire, EDF n’a jamais récupéré de rente de monopole et pouvait essuyer des pertes marginales (coûts sur les dernières unités supérieurs au prix de vente) en les finançant sur les gains infra marginaux. Le plus important est ici de comprendre qu’EDF est totalement maître du jeu et ne fait pas négocier ses unités de production pour faire naître un prix comme dans le cas antérieur. La coopération entre les unités de production ne passe pas par le marché avec construction d’un prix, mais par une autorité chargée d’optimiser les coûts à tout instant. Clairement, il n’y a pas de marché de l’électricité et il n’y a pas à craindre d’accident de marché à surveiller par le biais d’une bureaucratie. Tout aussi clairement EDF peut pratiquer des prix proches des coûts de production, ce qui n’est pas le cas dans le modèle de marché qui doit suivre les coûts marginaux. Ce modèle fait de la centralité une souplesse alors que le modèle de marché développe incertitude et bureaucratie. Globalement, le Rassemblement National a raison de dire que sans le marché il eut été possible de ravitailler la France à des prix plus réduits lors de la crise russe.

Ce que devrait dire le Rassemblement National.

Pour autant, en hésitant sur l’idée de contrôle des prix, de mise à l’index d’un marché de l’électricité voire de retour au monopole public, le Rassemblement National révèle sa relative méconnaissance de la réalité. De ce point de vue on ne saurait trop le critiquer tant il est vrai que cette méconnaissance est répandue. D’un point de vue pratique éclairer les électeurs suppose plusieurs points à aborder :

1 - Reconnaître une responsabilité collective de destruction partagée d’un modèle qui assurait une partie de l’excellence française.

2 - Bien expliquer les énormes dysfonctionnements et difficultés de la réalité présente. Insister sur les bureaucraties inutiles, l'invraisemblable dossier de la fiscalité des rentes infra marginales, etc.

3 - Reconnaître que la reconstruction du monopole ne sera pas simple en raison d’une destruction programmée depuis près de 25 années.

4 - Ne pas attaquer le marché européen mais s’en séparer progressivement en maintenant voire en enrichissant les interconnexions qui permettent l’optimisation d’une infrastructure globale.

5 - Acheter et vendre à l’international au prix de marché par la seule EDF, les avantages et inconvénients très fortement liés à la décarbonation porteuse d’un accroissement de l’intermittence vont se poursuivre.

6 - Proposer la disparition des fausses entreprises fournisseuses d’électricité gavées à l’ARENH. Reconnaitre que cela posera des problèmes spécifiques pour Total Energie et ENGIE et que des négociations devront être conduites pour trouver une solution pour ces entreprises.

7 - Reconnaître qu’il faudra du temps pour faire rejoindre le prix de l’électricité sur le coût de production : reconstruire l’outil de production sur une base élargie ne sera pas simple et il faudra encore faire  gérer par EDF les difficultés liées à la situation géopolitique du monde sur de nombreuses années.

              

                                                                                                       Jean Claude Werrebrouck

 

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24 mai 2024 5 24 /05 /mai /2024 17:14

Les fondements monétaires et financiers étant redessinés (parties 1 et 2) il s'agit d'envisager maintenant les diverses composantes d'une reconstruction. Toutes s'inscrivent dans le rétablissement d'éléments de souveraineté permettant le retour d'une certaine sécurité. A cet égard, nous invitons le Rassemblement National parvenu au pouvoir, à réfléchir sur une réalité dont peu de personnes ont conscience et que nous  avons présenté à propos de la crise agricole. Ce qu'on appelle mondialisation était un processus rabotant la capacité des vieux Etats à gérer le commun d'une part, et à fournir de la puissance à des Etats nouveaux   ou à de vieux empires en réémergence d'autre part. Dans le grand rabotage des vieux Etats nous irons jusqu'à insécuriser des éléments fondamentaux de la vie : la nourriture et l'énergie. D'où les crises correspondantes que nous allons tenter d'exposer dans la suite de notre texte. Nous ne prétendons pas ici apporter de solutions techniques à ce qui sera peut-être le nouveau pouvoir. A lui de les imaginer comme nouveaux produits politiques. Par contre nous invitons ses dirigeants à mûrir leur réflexion à partir des analyses que nous proposons. Examinons d'abord les fondements de ce qu'on appelait l'hiver dernier la crise agricole pour laquelle nous avions publié le texte suivant :

25 février 2024

 

La présente note tente de proposer une grille de lecture intelligible de la multitude des faits qui accablent le monde agricole.

Depuis la nuit des temps, l’agriculture est une activité nécessaire à la conservation/reconstitution de la vie. Dans le monde moderne, point n’est besoin d’être économiste pour se rendre compte que cette conservation de la vie se déroule en dépensant tout ou partie de ce qu’on appelle un salaire dans ce qui est devenu la grande distribution, elle-même ravitaillée pour partie par le monde agricole. Plus les prix des produits de l’agriculture sont élevés et plus le coût de la vie est élevé et inversement plus les prix des produits agricoles sont bas et plus le coût de la vie est faible.

Logiquement,  si l’agriculture développe des gains de productivité, ce coût de la vie doit baisser. C’est ce que la France a bien connu au cours du siècle précédent avec une modernisation spectaculaire de son agriculture. Le prix des produits agricoles baissant ou augmentant plus faiblement que les salaires, il devait en résulter ce que simplement on appelle une hausse des niveaux de vie et l’avènement de l’immense classe moyenne qui devait caractériser la seconde partie du vingtième siècle.

Marx et les « biens salaires»… produits par les agriculteurs

Marx, très grand interprète des règles du jeu du capitalisme parlait de partage de la « plus-value relative » impulsée par la productivité. Dans son langage, si les biens de consommation – ce qu’il appelle les « biens salaires » - achetés avec les revenus distribués par les capitalistes voient leur valeur diminuer en raison de gains de productivité dans l’activité agricole, il doit en résulter logiquement une diminution des salaires, baisse résultant elle-même de la baisse du coût de la vie. Concrètement et simplement, si une vie de salarié est reproduite journellement par un kilogramme de pain et que le prix du pain diminue de moitié en conséquence d’un doublement des rendements agricoles, le coût de la vie est également divisé par 2 et donc le salaire peut lui-même être divisé par 2. Dans cette circonstance, les capitalistes récupèrent la totalité des gains de productivité, ce que Marx appelait la « plus-value relative », celle dépendant des gains de productivité donc de la « dévalorisation » des « biens salaires ». Si, maintenant, les salariés réussissent à maintenir le niveau de salaire, ces mêmes salariés empochent les gains de productivité. Dans un tel contexte, la lutte des classes au sens de Marx est aussi un combat autour du partage des gains de productivité. Bien sûr Marx emploie un langage beaucoup plus sophistiqué pour les besoins de ses démonstrations, mais il nous faut reconnaitre qu’il fût le grand théoricien de ce que lui-même appelait « l’embourgeoisement de la classe ouvrière », phénomène imaginé avec près d’un siècle d’avance sur la réalité. Un phénomène qui va progressivement se transformer et dont la configuration actuelle est elle-même appelée à se transformer.

Les transformations historiques de la  « plus-value relative ».

1 – Historiquement, il y a eu effectivement partage des gains de productivité et il en est résulté une première approche dans l’édification d’une immense classe moyenne. Globalement, les budgets consacrés à l’alimentation - ceux consacrés à l’achat de marchandises agricoles- vont régulièrement diminuer (13% aujourd’hui contre plus de 50% en 1950). En contrepartie ils vont laisser la place à de nouveaux biens, lesquels vont socialement devenir de nouveaux « biens salaires » au sens de Marx : logement, équipement ménager, téléphone, etc. Ces mêmes biens vont logiquement eux-mêmes bénéficier de gains de productivité à partager entre capitalistes et salariés.

2 - Les salariés pouvant désormais arbitrer entre divers « biens salaires » vont devenir de plus en plus exigeants et vont s’intéresser aux prix de ces premiers « biens salaires » que sont les produits de l’agriculture. Ils seront en cela aidés par la grande distribution qui fera pression pour une accélération des gains de productivité. Les agriculteurs doivent être compétitifs comme tous les acteurs de la vie économique. Déjà, des relations asymétriques entre entreprises agricoles nombreuses et grande distribution ou firmes agroalimentaires oligopolistiques vont se nouer. La pression sur les prix imposera une accélération de la modernisation de l’agriculture.

3 - La mondialisation permettra une accélération massive de la construction d’une « plus-value relative » d’un nouveau type. D’abord les entreprises pourront travailler dans des zones où la « valeur de la force de travail » est plus faible (le coût de la vie est plus faible en Asie, en Afrique, etc.). Si les biens fabriqués dans ces zones sont aussi des « biens salaires », il pourra en résulter une baisse de la valeur de la force de travail en Occident : les biens en question permettront de diminuer davantage le coût de la vie et la grande distribution et les firmes agroalimentaires s’y emploieront. De quoi comprendre les armadas d’acheteurs en route vers l’Asie…De quoi comprendre ce que naguère on appelait le grand accord entre WalMart et le parti communiste chinois…. Ce n’est plus WalMart et ses fournisseurs américains qui reproduiront la force de travail américaine mais des entreprises chinoises sur le sol chinois.

4 - Cette baisse de la valeur de la force de travail ne pourra plus nourrir aussi facilement que par le passé le partage des gains de productivité. C’est que la désindustrialisation fragilise la condition salariale et engendre un chômage qui pourra être plus ou moins masqué par le maintien d’un Etat-Providence qui lui aussi se trouve être le support d’une partie du coût de la vie. Ce qu’on appelle économie sociale se développe sans gains de productivité et le coût de la vie ne peut diminuer que par des importations massives en provenance du sud. Ce qui se met en place est la possible naissance de vastes zones de l’ex -Tiers monde chargées de la reproduction de la force de travail de l’Occident et, en particulier de la France qui se désindustrialise plus rapidement qu’ailleurs. En contrepartie de vastes zones de l’Occident et en particulier de la France deviennent des espaces où un revenu se dépense sans y avoir été produit. C’est par exemple le cas des espaces privilégiés occupés par des retraités ou inactifs dans le sud de la France… Des incohérences de territoires qui vont se multiplier…

5 - Les usines fabriquant les « biens salaires » disparaissent et se reconstruisent à la périphérie de l’Occident. Dans ce dernier monde et tout particulièrement en France, nous n’aurons plus que des entreprises de logistiques (les bien salaires produits à la périphérie doivent être distribués et nourrir le centre). Ainsi les entrepôts « Amazon » peuvent se développer sur les friches industrielles. A ces entreprises il faudra encore ajouter les entreprises agricoles jusqu’ici non délocalisées qui tenteront - fouettées par la grande distribution et les firmes agroalimentaires- d’apporter leur contribution à la baisse du coût de la vie. Le dernier ajout qui permettra de photographier le nouveau paysage est bien évidemment le maintien d’un Etat social très endetté. Bien évidemment tout ce qui n’est pas « biens salaires » peut encore subsister, notamment les industries de biens d’équipement, les industries de l’armement et toutes celles très nombreuses encore qui, techniquement, s’articulent à ces dernières.

6 - Mais la mondialisation est exigeante en termes de libéralisation des échanges et les traités de libre échange ne peuvent que se multiplier (plus de 40 par la seule UE) pour offrir des débouchés aux entreprises, soit celles restées dans le centre, soit celles déjà délocalisées et qui souhaitent voir croître leur part de marché dans le monde. L’UE est l’archétype de ce modèle et invente la concurrence libre et non faussée. Jusqu’ici l’agriculture n’était pas encore délocalisable comme l’était le capital industriel. Le facteur de production terre/environnement devait rester attaché à son antique espace national. Parce que les traités de libre échange se doivent être globaux et concernent toutes les marchandises, l’agriculture ne peut en être exclue. Cette dernière devra donc se soumettre et accepter que le coût de la vie au centre soit de plus en plus assuré par des firmes agricoles lointaines. La poursuite de l’éventuelle  baisse du coût de la vie doit se payer par une masse toujours croissante de biens salaires importée. Et le renard est entré dans le poulailler car les agricultures du centre se font concurrence et utilisent les outils de l’UE pour s’entredévorer : l’agriculture française est mangée par l’Espagnole ou celle de la Pologne, etc. Ce qui entretient le processus de dévalorisation de la force de travail. Il y a beaucoup plus que des chaussures, vêtements, jouets, appareils électroménagers, etc. qui doivent être importés. Il y a désormais à importer tous les produits agricoles qui étaient historiquement les premiers « biens salaires » : fruits, légumes, viandes, poisson, produits laitiers, etc.

7 - Aujourd’hui, nous sommes avec les questions liées au climat et à l’environnement arrivés au bout de la grande aventure consistant à faire produire à l’étranger la quasi-totalité des « biens salaires » consommés par les vieux Etats-Nations au premier desquels on trouve la France dont on vantait naguère l’excellence agricole. Non seulement l’agriculture européenne se doit d’être asservie par les règles du jeu du capitalisme mondialisé, mais elle est menacée de disparition par les règles concernant la protection du climat et de l’environnement. La course aux gains de productivité est certes désormais bloquée par la foule des règlements et normes concernant les intrants de la production, mais surtout par l’imposition d’un recul des surfaces autorisées à la culture ou l’élevage. Jadis le capital industriel délocalisé laissait à l’état d’abandon des friches industrielles. Aujourd’hui l’agriculture en délocalisation va laisser des jachères. Il ne restera plus que les traces des lieux où naguère la conservation/ reconstitution de la vie se déroulait.

8 - Ce grand mouvement est aussi la fin des classes moyennes protégées par le  capitalisme autocentré et efficient de la fin du vingtième siècle. Les « biens salaires » agricoles ou industriels majoritairement issus de la périphérie continuent de se dévaloriser au rythme des innovations et de la productivité. La concurrence en fait gonfler la quantité et la perte de valeur est surcompensée par des besoins artificiellement crées. La société de consommation devient hégémonique au sein de territoires où des revenus jamais produits et chargés de dettes sont « magiquement » dépensés. Il en résulte une disparition de la plus-value relative tandis que l’Etat social resté exigeant n’est plus finançable que par de la dette publique.

9 - Bien évidemment, ce grand mouvement aux conséquences géopolitiques majeures doit être arrêté et cela confirme bien les conclusions de nos précédents articles. Il sera toutefois très difficile de protéger l’agriculture. S’agissant de l’UE telle qu’elle est, on ne voit pas comment il serait possible de ne plus inclure l’agriculture dans les grands traités de libre-échange. Les avantages compétitifs de la périphérie de l’Occident sont bien évidemment concentrés dans  une agriculture où les taux de salaire et les normes sont très avantageux. Et c’est ainsi qu’au nom de la rationalité économique, l’Occident continuera probablement de confier la gestion du coût de la reproduction de sa force de travail dans les espaces que naguère il avait colonisé : Un libre échange où la baisse de la valeur de la force de travail continuera  d’être l’objectif probablement inconscient de ses promoteurs. Pourquoi, continuera-t-on de proclamer, renoncerait on à faire bénéficier le consommateur de prix à l’importation avantageux ? Pour la France le prix de cette rationalité stupidement économiciste sera plus élevé qu’ailleurs en raison de l’abandon complet de ce qui faisait une partie de son excellence.

Jean Claude Werrebrouck

 

 

La réflexion à partir du présent texte doit inviter le Rassemblement National parvenu au pouvoir à  découvrir les outils permettant la sécurisation d'un pays devenu très fragile dans une mondialisation qui n'avait rien d'heureuse. On sait maintenant que cette dernière n'était qu'un affaissement des vieux Etats au profit de nouveaux et plus encore au profit d'empires renaissants. 

L'agriculture est une pièce importante de la reconstruction. Le texte que l'on vient de lire permet de comprendre qu'elle fut élément important de la mondialisation avec un coctail d'effets sur des paramètres essentiels: cout de la vie, niveau de la rentabilité, regard sur l'environnement, niveau de cohérence territoriale, choix  géopolitiques. Clairement un pouvoir nouveau doit construire un modèle nouveau prenant en considération l'ensemble des paramètres. Plus clairement encore prendre en charge le dossier agricole c'est aller beaucoup plus loin que la PAC ou régler les  menus détails d'une réflementation. Si la France devait prendre en charge le dossier dans toute son ampleur elle pourrait contribuer au recul de qu'Emmanuel Todd appelle la 'défaite de l'Occident".

 

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21 mai 2024 2 21 /05 /mai /2024 10:27

La premiere partie de cette liste de conseils que nous tentons humblement de proposer au Rassemblement National a bien mis en évidence le coeur d'un projet de reconstruction : rien de sérieux ne peut être proposé sans  reconfiguration précise du système monétaire et financier. En même temps, la dite reconfiguration ne pouvait  apparaître comme défaite de l'Europe au regard de ses adversaires géopolitiques qui relèvent de ce qu'on appelait au dix huitième siècle le "despotisme oriental". D'où la proposition du maintien de l'euro dans un espace pourtant reconfiguré. Le Rassemblement National au pouvoir doit être très conscient de l'équilibre entre reconfiguration et affermissement de l'ordre européen. Tout autre chose que le slogan :  "plus d'Europe", tant vanté par les organisations politiques classiques.

Nous proposons ci dessous d'autres recommandations : 

20 octobre 2023

La circulation de l’argent entre les divers acteurs du jeu économique reste compliquée et donc coûteuse pour la collectivité. Elle était naturellement compliquée et coûteuse à l’époque de la monnaie métallique. Elle le restera avec l’apparition des billets de banques. Elle le restera encore à l’époque des chèques et cartes de paiement. Elle le reste aujourd’hui avec le téléphone devenu porte-monnaie. Encore aujourd’hui la mobilité de l’argent suppose des intermédiaires chargés de sa circulation sécurisée. Il faut en général au moins 2 banques, l’une faisant déplacer l’argent d’un compte à débiter vers l’autre qui va le recevoir et ainsi créditer un autre compte. Et comme la circulation de l’argent est le fait d’une multitude d’acteurs différents, rien ne dit qu’elle sera, à chaque instant équilibrée pour chacune des banques mobilisées. Ainsi, la banque A peut devoir créditer des comptes pour un montant supérieur à ce qu’elle devra débiter sur d’autres comptes. Si elle-même ne dispose pas de suffisamment de liquidités apparaissant sur un autre compte dont elle est titulaire, elle devra emprunter auprès d’autres banques qui, elles, ont la chance de connaître un solde excédentaire sur les opérations décidées par les acteurs économiques. Plus simplement exprimé, la circulation de la monnaie dans une infrastructure faite d’entités indépendantes - les banques - connaissent des fuites ou inondations monétaires permanentes qu’il faut en permanence contrôler. Face à la circulation nécessairement désordonnée des ordres des acteurs économiques, il faut donc créer un marché où vont s’échanger les créances et dettes de l’instant. Concrètement, cela s’appelle encore aujourd’hui le marché monétaire. Les coûts correspondants à cette circulation faisant intervenir ces intermédiaires que sont les banques, sont au fond des coûts de logistique, des coûts de transport. D’autres coûts interviennent car l’argent se métamorphose et peut prendre la forme d’espèces, voire de devises étrangères. D’où la présence d’un autre intermédiaire qui sera la banque centrale elle-même productrice des dites espèces. Cela suppose donc que les banques soient titulaires d’un compte à la banque centrale, compte qui pourra aussi être utilisé dans la gestion de la circulation de la monnaie entre banques. Ainsi quand la banque A devient momentanément déficitaire vis-à-vis de la banque B en raison des décisions d’échanges entre les acteurs économiques, la banque centrale pourra débiter le compte de A et créditer celui de B. Encore des coûts de simple logistique et de transport. Et bien sûr on peut imaginer que les distributeurs d’espèces qu’il faut alimenter, sécuriser et entretenir sont un élément important dans la chaîne des coûts.

Les nouvelles technologies peuvent bien sûr assurer des gains de productivité et par exemple les banques en ligne sont censées alléger la chaîne des coûts. Elles restent toutefois bloquées par l’architecture générale supposant l’existence de comptes dans des établissements en concurrence. Elles le sont davantage encore avec la difficile gestion des espèces.

Mais le problème se complique car les banques qui assurent la circulation de l’argent se servent aussi de cet argent comme matière première d’accroissement de la valeur et donc de profit. Nous y reviendrons.

En attendant, un examen lucide du circuit compliqué de la circulation de la valeur mais aussi des règles correspondantes,  nous invite à suggérer l’éviction des banques au profit de la seule banque centrale. En effet, on peut imaginer que cette dernière fasse disparaître les très coûteuses espèces au profit d’un porte-monnaie électronique, mais aussi fasse transférer tous les comptes de tous les acteurs économiques dans sa propre comptabilité. Que l’on soit entreprise, ménage, institution financière ou même Trésor public, tous disposeraient d’un compte à la banque centrale devenue infrastructure unique de circulation de la valeur. Une telle révolution ferait évidemment largement disparaître le marché monétaire. Simultanément, la chaîne logistique plus légère serait aussi complètement sécurisée. En particulier il n’y aurait plus de « bank-run » , c’est -à- dire des moments de panique au cours desquels chacun se précipite au guichet pour retrouver son capital. En effet, la banque centrale ne peut connaître, par construction, de risque d’insolvabilité.

Comment, du point de vue des acteurs économiques, un tel dispositif fonctionnerait ?

1 - Une banque centrale assurant le fonctionnement du réseau monétaire.

Toutes les relations des entreprises avec leurs correspondants relèveraient d’un jeu d’écritures entre leurs comptes à la banque centrale et les comptes de tous les correspondants situés eux-mêmes à la dite banque centrale. Chaque écriture se matérialisant par un débit et un crédit d’un même montant au passif de la banque. Cela signifie que la circulation monétaire n’en transforme pas son montant. La nouvelle banque centrale devient ainsi le logisticien unique dans la circulation monétaire. On passe ainsi d’un réseau fragmenté par l’existence d’une pluralité bancaire - une fragmentation risquée en raison de possibles maillons faibles - à un réseau unique et complètement sécurisé. Les titulaires d’un compte à la Banque centrale -en principe tous les acteurs du jeu économique- ne sont plus de simples créanciers pouvant perdre leurs avoirs liquides mais de réels propriétaires. Les droits de propriété sur la monnaie sont enfin garantis.

Au niveau international, la banque centrale gère les entrées et sorties de devises. Elle crédite et débite un compte en devises pour chaque entité et bien évidemment se trouve actrice sur le marché des changes. Le marché monétaire largement disparu au niveau interne reste au niveau externe et donc un marché monétaire entre banques centrales persiste.

2 - Statut des nouvelles banques.

Les banques,, désormais dépourvues de toute responsabilité en matière de logistique monétaire et des coûts correspondants peuvent continuer à développer leurs autres activités donc en particulier les opérations de crédit. Un crédit à un particulier ou entreprise se matérialiserait par un crédit au bénéficiaire sous la forme, d’un abondement sur le compte du particulier ou de l’entreprise figurant au passif de la banque centrale, et d’un débit sur le compte de la banque à la banque centrale. Nous constatons ici que le crédit n’est en aucune façon porteur de création monétaire, ce qui n’est pas le cas des opérations de crédit dans la configuration présente de l’architecture monétaire et financière. Rappelons en effet qu’aujourd’hui, un crédit est un abondement de compte qui se matérialise par une création monétaire. Et cette création monétaire en vue d’un profit (le taux de l’intérêt associé) peut s’opérer tant que la banque responsable du crédit ne se trouve pas gênée par une entrée en déficit permanent vis-à-vis des autres banques sur le marché monétaire. En effet une création monétaire massive de la part d’une banque crée mécaniquement une fuite de monnaie vers d’autres banques (le bénéficiaire du crédit effectue des paiements envers des acteurs disposant de comptes sur d’autres banques). Dans le nouveau dispositif proposé, les banques peuvent consentir  des crédits, mais seulement à partir de leur compte à la banque centrale, un compte qui sera débité pour créditer le compte du client. Bien évidemment, une banque pourrait solliciter un prêt à la banque centrale aux fins d’élargir son activité de distribution de crédits, mais une telle opération est une création monétaire de la banque centrale et non de la banque elle-même. On constate donc que la nouvelle logistique monétaire coupe la fonction bancaire traditionnelle : les banques ne peuvent plus créer de monnaie. La conclusion est donc qu’elles deviennent des établissements financiers comparables aux établissements non bancaires.

3 -  Le Trésor.

Toutes ses opérations figurent sur le bilan de la banque centrale, laquelle crédite les bénéficiaires de la dépense publique et débite les sommes correspondantes sur le compte du Trésor. Si le Trésor s’endette, le montant emprunté sera crédité sur son compte et va correspondre à des débits sur les comptes à la banque centrale de ceux des acteurs qui auront acheté de la dette publique. Sans création monétaire nouvelle par la banque centrale, l’endettement du Trésor correspond à une épargne de la part des autres acteurs. Précisément, comment désormais concevoir la création monétaire ?

4 - La nouvelle création monétaire.

Répétons que la création monétaire est jusqu’à présent le fait des banques et de la banque centrale. Logiquement, elle contribue à développer la croissance  sauf comme ce fut le cas avec les QE   où la monnaie supplémentaire reste stockée dans les systèmes financiers et ne font qu’alimenter une logique de casino.

Si, dans le nouveau système, la banque centrale ne devait pas créer de monnaie la croissance serait freinée par la rareté monétaire. L’expression monétaire de chaque marchandise serait amenée à décroître, d’où un risque de déflation et de thésaurisation : pourquoi acheter et investir dans un monde où les actifs correspondants vont perdre de la valeur ? La banque centrale nouvelle formule se trouverait ainsi chargée d’une croissance de la masse monétaire adaptée à la croissance économique elle-même. N’étant que le grand logisticien de la circulation de la valeur, elle ne pourrait créer de la monnaie pour elle-même et devenir agent investisseur. Il faudrait donc qu’elle abonde les comptes figurant à son passif pour créer de la monnaie et autoriser la croissance. Bien évidemment, le volume créé tient aussi compte des relations économiques internationales, relations  pouvant introduire des fuites de capitaux en cas d’émission excessive.

Bien sûr, la banque centrale pourrait créditer le compte du Trésor, un abondement sans dette correspondante et donc sans charge de la dette pour lui et les contribuables. Bien évidemment un contrôle démocratique doit être mis en place pour éviter tous les opportunismes politiques concernant des dérives vers les facilités monétaires. La règle de base étant que la contribution au Trésor privilégie les seuls investissements collectivement discutés. Une autre règle de base serait que les contributions au trésor soient muselées par la croissance économique réelle.

Dans un cadre semblable, la banque centrale serait autorisée à abonder les comptes des banques classiques. La création de monnaie correspondante au profit du système bancaire se trouverait quantitativement limitée au taux de croissance de l’économie réelle. Et une limitation à l’intérieur d’une fourchette afin d’autoriser des actions de régulation de la conjoncture. Les banques bénéficieraient d’un traitement égal, ce qui veut dire un abondement monétaire proportionnel à la part de marché de chaque banque. Les banques seraient évidemment libres de négocier les prêts avec les demandeurs de crédits. Rationaliser l’infrastructure monétaire n’est pas mettre fin à la concurrence et au libéralisme. Comme RTE (gestionnaire du réseau de transport de l’électricité) dispose du monopole de transport de l’électricité sans mettre fin à la concurrence entre producteurs, la banque centrale disposerait du monopole de transport de la monnaie sans toucher aux règles de la concurrence.

Ajoutons que les banques seraient aussi autorisées à négocier des emprunts auprès de la banque centrale comme auprès de tous les acteurs économiques. La fonction d’intermédiation traditionnelle serait donc garantie.

  1. - Le bilan coût /avantage du modèle proposé.

Il est un coût considérable pour la finance qui verrait une réduction draconienne de son terrain de jeu : impossibilité de transformer le bien commun qu’est la monnaie en matière première privée providentielle et porteuse de profit ; forte limitation du poids de  la gestion de la dette publique, le Trésor pouvant emprunter à la banque centrale, mais pouvant aussi recevoir de la monnaie sans dette. Au-delà, il est évident qu’une partie de la machinerie bancaire deviendrait complètement inutile.  Nous n’entrons pas ici dans le débat sur la banque universelle, mais il est clair qu’une telle transformation y mettrait fin..

Il est un avantage pour les piliers de l’économie réelle : répercussions sur la fiscalité de la baisse du coût des activités du Trésor ; possibilité de financer sans dette la « réparation » de l’environnement : aspect fondamental car il est aujourd’hui impensable de rembourser un capital (coûts de la protection du climat, de l’environnement, etc.) avec les intérêts correspondants alors qu’il n’y a pas de production supplémentaire ; probable diminution globale du coût de l’endettement avec marges de compétitivité plus importantes à l’international, et donc perspectives alléchantes en termes d’IDE.

Il est aussi un avantage pour les ménages : la monnaie figurant sur les comptes bancaires cesse de n’être qu’un créance, toujours porteuse de risque et redevient la pleine propriété de ses détenteurs.

Plus globalement le projet est adaptable aux grands choix sociétaux : il est libéral au sens classique, et il peut devenir l’outil d’un réel interventionnisme…avec le risque qu’un déficit de contrôle démocratique puisse le transformer en un outil du totalitarisme. De ce point de vue, nous recommandons de suivre de près les travaux présents des banques centrales dans le projet MDBC (monnaie digitale de banque centrale).  

Jean Claude Werrebrouck (29 septembre 2023).

Conclusions pour un Rassemblement National au pouvoir:

La reconfiguration proposée dans ce texte déjà ancien, évince le pouvoir de la finance et donc sécurise toutes les politiques publiques imaginables pour redresser le pays. Ce texte est complémentaire de celui déjà rediffusé dans la première partie de notre article. Clairement, les dirigeants du Rassemblement National doivent comprendre que leurs propositions économiques souvent vilipendées par les partis encore au pouvoir aujourd'hui, ne peuvent se déployer dans le cadre du logiciel actuel. Clairement, ils doivent avoir le courage d'expliquer à peine d'être rapidement évincés et de connaître un échec historique. Clairement ils doivent expliquer l'indigence des propositions des divers politiques ou spécialistes que l'on trouve dans la grande presse voire des revues dites sérieuses: verdissement voire démocratisation de la BCE, évincement des investissements climatiques dans le calcul des déficits, mobilisation de l'épargne, création d'un marché financier européen, grand emprunt européen, etc. Mieux, ils peuvent prendre de l'avance sur les projets de monnaie digitale de banques centrales stupidement vantés par les dirigeants des banques centrales qui aujourd'hui semblent vouloir se démarquer du monde financier qu'ils sont censés protéger.

:Note au lecteur: les 2 premières parties que vous venez de lire constituent le socle indispensable à toute volonté sérieuse de reconstruire le pays. Il est, dans les conditions de la France,  un préalable indispensable. Nous publierons ultérieurement (troisième partie, quatrième partie, etc.) des réflexions et conseils plus sectoriels touchant aux politiques publiques. Il s'agira encore de textes récemment publiés et que la grande presse refuse de diffuser. 

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17 mai 2024 5 17 /05 /mai /2024 13:02

Nous publions à partir de ce jour quelques textes de recommandations à l'adresse des dirigeants du Rassemblement National. La prise du pouvoir est aujourd'hui envisageable et nous sommes convaincus que la rencontre avec le réel  sera très difficile.. Les dirigeants actuels risquent de travailler sur une matière première que fondamentalement ils ne connaissent que fort mal. .Les textes susvisés sont déjà accessibles sur le blog et nous les republierons à intervalles réguliers.  Aujourd'hui nous republions un texte diffusé le 1/1/2024.

1 janvier 2024

Nous avons montré dans les articles précédents[1] à quel point les gigantesques défis qui se posent aujourd’hui se heurtent à l’architecture monétaire et financière qui organise le monde. Nous avons également montré à quel point les partis politiques surplombés par ladite architecture étaient tous très éloignés de la simple possibilité d’imaginer des  propositions sérieuses. Nous tentons dans le texte suivant de proposer la colonne vertébrale d’une réponse adaptée à la hauteur des enjeux. De ce point de vue le texte qui suit n’est pas consacré à telle ou telle recommandation de politique publique. Il s’intéresse bien davantage aux fondations qui permettront d’édifier un avenir pour le pays. C’est la raison pour laquelle nous parlons de colonne vertébrale, c’est-à-dire ce sur quoi peut être imaginé un avenir démocratiquement défini. Bien évidemment, le texte n’évoque pas les réformes dites structurelles qui toutes sont des mesures en harmonie avec l’architecture monétaire actuelle et ne font que colmater les effets de l’inévitable entropie vécue par chacun. Le temps présent ne peut plus consister à nettoyer/lisser/perfectionner le terrain de jeu et  doit être désormais consacré au renversement des règles du jeu.

Petit rappel banal :

 Le devoir du politique est de permettre aux générations futures de s’épanouir dans un monde meilleur que celui hérité par ses actuels habitants. Ce n’est évidemment pas reconstruire ce qui existait. Et parce que la vie est porteuse d’une créance de sens, le devoir du politique est aussi celui de proposer un horizon désirable. Redessiner la France aujourd’hui ce n’est donc pas reproduire son passé supposé grand, c’est simplement, compte tenu du passé, la rendre habitable, confortable, et lui donner une signification. Le logiciel politique unique qui consiste depuis plusieurs décennies à  reproduire le présent  sans en saisir son inéluctable entropie doit donc être dépassé[2]. Et même le Nobel Angus Deaton semble aujourd’hui questionner l’entropie dans laquelle nous sommes[3].

Proposition de renversement des règles du jeu monétaire et financier.

1 - On peut certes respecter le cadre budgétaire européen, par exemple voter la loi budgétaire selon les règles du pacte de stabilité et de croissance, mais en même temps reprendre le contrôle de la Banque de France en lui donnant l’ordre (interdit dans le présent cadre) d’effectuer les dépenses décidées par le parlement et l’exécutif. Ce n’est plus la banque centrale qui domine le Trésor et c’est le Trésor qui domine la banque centrale. Dans un tel contexte il n’y a plus à lancer une souscription de bons du Trésor pour alimenter le compte du Trésor à la banque centrale. Le compte est toujours alimenté. Il n’y a plus à se poser la question du taux et des difficultés à placer un emprunt qui n’existe plus. L’Agence France Trésor et sa cohorte de banques spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) peut disparaître.

2 - Le nouveau cadre est un cycle qui, du point de vue du Trésor, commence par une dépense immédiate  suivie d’une recette à venir (impôt et épargne éventuelle transformée en bons du Trésor). Ce nouveau cadre est inversement - du point de vue des bénéficiaires de la dépense ( secteur privé interne et externe) - une recette suivie d’une dépense à venir[4]Le cycle provoque donc mécaniquement une pression déficitaire côté Trésor et une pression excédentaire d’un même montant côté secteur privé interne et externe. Et le moteur du cycle est bien le Trésor. La liquidité du secteur privé est en permanence assurée par le Trésor dans sa dépense. C’est le Trésor qui donne l’ordre d’ouverture du robinet à monnaie, et c’est le même Trésor qui éponge le trop de monnaie en captant l’impôt et le surplus d’épargne. Le Trésor n’attend plus - dans l’angoisse - que le marché veuille bien éponger son déficit. Bienveillant, Il tend désormais la main à ceux qui connaissent un surplus de liquidité et souhaitent acheter des bons du Trésor.  Maintenant passer de l’angoisse à la bienveillance doit aussi correspondre à une modification des prix (le taux de l’intérêt) : le Trésor est moins soumis aux prix de marché et plus décideur de la rémunération qu’il va consentir. Nous ne sommes plus dans le même monde.

Les conséquences du renversement

Dans le cadre de la zone euro un tel système qui se mettrait en place en France développerait, en principe, les situations et effets suivants :

1 - Il y a tout d’abord un risque inflationniste si le moteur du cycle s’emballe et finit par produire plus de monnaie (dépense) qu’il n’en retire (impôts et bons du Trésor). La différence devenant déficit public trop important eu égard à une faiblesse des capacités matérielles propres à redessiner le pays. Ce risque doit être politiquement contrôlé sur la base d’une autorisation de création monétaire par les instances démocratiques.

2 - Il y a ensuite un risque extérieur se matérialisant par une relance…à l’étranger : la compétitivité française est trop faible et les intrants de la reconstruction sont importés massivement (pensons à la relance Mitterrand de 1981/1982).

3 - Ce second risque serait en principe très amorti en régime de taux de change flottants : le cours de la devise nationale fléchirait ce qui rendrait l’économie nationale plus compétitive, et donc l’excédent du secteur privé externe serait limité.

4 - Cette fuite très limitée au profit dudit secteur ne l’est plus avec le taux de change fixe existant à l’intérieur de la zone euro. La France ne peut pas dévaluer vis-à-vis de l’Allemagne. Dans ces conditions cela signifie la possibilité d’un « déficit sans pleurs » pour la France. La hausse de la dépense publique, imposée à une banque de France devenue obéissante, transforme le pays en passager clandestin de la zone euro.  On peut même penser que le destin de la France serait celui d’un rentier de la zone euro. Les dépenses publiques croissantes effectuées par la banque de France nourrissent un flux croissant d’importations, marchandises produites dans le reste de la zone et consommées en France. On serait très loin d’une restructuration du pays, de la reconstruction du lien social, de son autonomie, etc. Une telle situation de passager clandestin, pourrait faire des émules et pourrait aboutir à un effondrement généralisé.

5 - Cette situation nous permet de mieux comprendre la logique institutionnelle européenne qui interdit toute tentative de clandestinité : Bruxelles ne peut accepter la production de monnaie par un Etat et   va par conséquent devoir mobiliser des centaines de fonctionnaires, d’abord pour vérifier que la banque centrale est réellement indépendante, ensuite  pour élaborer, mettre en œuvre et surveiller un pacte de responsabilité budgétaire….dont la complexité aux dires des dits fonctionnaires  s’ajoute à l’imprécision du langage adopté : que signifie réellement un déséquilibre « structurel » ? De la même façon le « Next generation EU », ou plan européen de relance de 2021 (807 milliards d’euros) ne correspond qu’à de nouvelles dettes et n’apporte aucune solution au regard des enjeux. Il s’agit toujours en effet de procéder par la seule logique de l’endettement.

6 - Une façon de retrouver la souveraineté pour redessiner le pays serait donc de passer de l’équilibre budgétaire à l’équilibre des comptes extérieurs. Simplement, il s’agit d’éviter la fuite et faire en sorte que la dépense publique, nourrie par création monétaire, soit effectivement mobilisée pour redessiner le pays. Cela suppose évidemment des mesures techniques empêchant le déséquilibre sur les diverses balances du compte extérieur : taxation des importations, quotas, restrictions à la circulation du capital, etc. Toutes mesures interdites dans le cadre bruxellois.

7 – Cette dernière solution est pourtant probablement la meilleure en ce que bien menée elle pourrait ne pas briser l’édifice européen. Tout d’abord si elle était décidée par la France, il est très probable qu’elle développerait un processus d’imitation. Elle présente en effet un certain nombre de qualités : elle s’annonce responsable en ce sens qu’on refuse clairement le statut de passager clandestin[5] ; elle ne met pas en cause l’euro comme monnaie unique et donc ne met pas fondamentalement en cause le projet européen ; elle autorise des dynamiques nationales qui s’ajoutent et donc globalement la fin des restrictions budgétaires qui elles aussi se sont imposées à tous et ont provoqué un décrochage de la zone par rapport aux autres régions du monde (croissance de 19,2% depuis 2017 aux USA contre seulement 7,6% dans la zone euro). Reste à convaincre en expliquant le plus honnêtement possible.

Les résultats attendus

Les points susvisés méritent quelques explications et précisions :

1 - Il faut tout d’abord bien comprendre que le taux de change de 1 contre 1 à l’intérieur de la zone euro (l’euro n’est convertible qu’en lui-même) est le moteur de l’attrition européenne au regard du reste du monde. Si l’on se borne au cas franco-allemand, le déséquilibre extérieur France/Allemagne est porteur d’une attrition et pour la France et pour l’Allemagne. Parce que la France dispose d’un euro largement surévalué, le taux de change lui garantit un déséquilibre commercial abyssal (191 milliards d’euros pour 2022). Celui signifie une production nationale perdue pour un même montant (les français « mangent » un revenu qui n’est pas produit). De façon très approximative cette production perdue ou sous production correspond à 7,5% du PIB, et un peu plus de 2 millions d’emplois.

Parallèlement, parce que l’Allemagne disposait jusqu’ici d’un euro largement sous-évalué, elle disposait d’un excédent commercial considérable la conduisant à une stratégie mercantiliste qui commence à être dénoncée. Elle maintient une épargne considérable qui aurait pu être transformée en dépenses nécessaires (infrastructures délabrées, retraites insuffisantes, etc.). Globalement l’Allemagne pouvait mieux dépenser et la France pouvait davantage produire. Le déséquilibre franco/allemand est donc porteur d’un déficit de croissance globale. Si les taux de change pouvaient être modifiés et si donc un euro français pouvait moins valoir qu’un euro allemand, la croissance allemande serait moins mercantile et la croissance française serait plus élevée. Le raisonnement peut être généralisé à l’ensemble de la zone euro et donc si cette dernière reste à la traîne du reste du monde c’est en raison de la fixité du taux de change infra-zone.

Il est donc urgent d’inventer un dispositif permettant de retrouver les capacités productives de tous les pays à déficit commercial. Le gain de croissance collective de la zone permettra en retour un taux de change plus faible de l’euro au regard des autres devises. Taux de change allant donc dans le sens de la fin des excédents considérables de la zone avec le reste du monde. Observons toutefois que ce raisonnement est quelque peu biaisé par le fait que les contraintes qui s’exerceraient pour la construction d’un équilibre extérieur sont des gains à l’échange contrariés et donc le gain de croissance global reste sans doute difficile à évaluer.

2 - Globalement le passage de la « surveillance » des budgets publics (la monnaie est contrôlée par la finance) à celle de la « surveillance » des comptes extérieurs (la monnaie est émise par l’Etat) passe par une collaboration d’abord bilatérale mais probablement rapidement multilatérale entre pays déficitaires et pays excédentaires. Par exemple, l’Allemagne désormais bloquée dans sa trajectoire mercantile (problème des sanctions pour la Russie, keynésianisme stratégique américain, réduction du débouché chinois) pourra éviter le chômage français en relançant la consommation voire l’investissement interne…tout en évitant son propre chômage. La France en bénéficiera mécaniquement (moins d’exportations allemandes vers le reste du monde contre plus d’importations en provenance de la France), mais bien évidemment il lui faudra travailler sa compétitivité extérieure, d’abord sans doute par des mesures restrictives mais aussi en mobilisant les opportunités offertes par une monnaie émise par l’Etat. Ces opportunités ne sont pas négligeables et correspondent aux sommes mobilisées improductivement aujourd’hui au titre de la charge de la dette publique (55 milliards d’euros pour la France en 2023). Ces sommes deviennent des outils de compensation des inconvénients créés par une monnaie unique inadaptée et par définition inutilisable pour la maitrise des taux de change. Le maintien de la monnaie unique a un prix qu’il faut hélas payer. A terme, l’ensemble de la zone verra ses forces d’attrition se relâcher par une dépréciation globale de l’euro vis- à- vis du reste du monde.

3 - Mécaniquement le primat de la monnaie, simple marchandise émise par les banques, devait progressivement imposer la fin du bilatéralisme et l’imposition d’un ordre multilatéral contrôlé par la finance et assurant la fin des souverainetés. Cette fin des souverainetés devait être garantie par l’indépendance des banques centrales qui elles-mêmes devenaient le support d’un ordre multilatéral. Sans cette garantie la finance ne pouvait s’étendre. L’ordre interne, c’est -à-dire le budget, est surveillé, tandis que les frontières doivent disparaître : il n’y a pas à s’occuper de l’équilibre des comptes extérieurs. Notons que ce raisonnement se vérifie dans la pratique de l’agenda des fonctionnaires bruxellois : les budgets sont dans le champ des radars et les comptes extérieurs y échappent.

Tout aussi mécaniquement le primat d’une monnaie émise par l’Etat renverse les choses : l’ordre interne, c’est -à-dire le budget cesse d’être surveillé, et les frontières font l’objet d’une grande attention. Le retour de la souveraineté ne peut accepter celle des banques centrales qui doivent impérativement se contenter d’obéir et de faire respecter le politique retrouvé dans le système financier. Les banques centrales qui, partout dans le monde furent historiquement les enfants des Etats, doivent après leur grande fugue mondialiste revenir à la maison.

4 - Globalement l’objectif d’un équilibre des échanges extérieurs est favorable à l’élaboration de stratégies coopératives entre Etats. La lutte pour l’équilibre est affaire de discussions entre le déficitaire et l’excédentaire, ce dernier se devant de prendre sa part de responsabilité. A l’inverse dans le cadre actuel, l’Allemagne n’a aucun intérêt à ne pas maximiser sa « rente de taux de change » en adoptant une stratégie ouvertement mercantiliste et peu coopérative.  Alors que les présentes règles sur le budget sont l’affaire de chacun pour plus de compétitivité, la règle de l’équilibre extérieur est ouvertement coopérative. Notons que cette coopération est aussi ce qui faciliterait l’émergence d’une union des marchés de capitaux (UMC).

5 - L’ordre multilatéral n’est pas incompatible avec le retour des souverainetés. L’équilibre des comptes ext[JW1] érieurs est  un objectif de négociation qui peut commencer avec une offre politique nouvelle, celle du pays qui aura, le premier décidé, de retrouver sa capacité à produire de la monnaie. Le début du processus peut être d’ordre bilatéral, mais il devrait par imitation reproduire un ordre multilatéral : La mondialisation devient une « association d’Etats souverains » si possible démocratiques. Elle cesse d’être un liquide noyant les Etats qui ne savent pas nager pour cause d’amputation monétaire.

6 - Le processus de transformation de la monnaie marchandise en monnaie politique participe à l’engendrement d’un ordre sociétal nouveau. Dans le paradigme de la monnaie marchandise il y a en devenir la fin des souverainetés, la mondialisation et l’affaissement des nations : les droits de l’homme enflent et deviennent un fleuve en crue noyant les droits et devoirs du citoyen. Dans le paradigme de la monnaie politique, les droits de l’homme retrouvent leur lit et les droits et devoirs du citoyen ne sont plus dévalorisés.

7 – Il est donc clair que la prise en charge sérieuse de l’avenir ne laisse qu’une place limitée aux partis de la droite traditionnelle qui se sont contentés de se lover dans ce qu’on appelle le néolibéralisme ou l’ordo-libéralisme. Il ne laisse guère non plus de place aux partis dits de gauche qui, ayant abandonné le champ des luttes économiques, se sont reconvertis dans celles qui affaissaient la citoyenneté. A leur décharge, reconnaissons qu’ils furent tous endoctrinés par les discours normatifs des économistes en difficulté avec la lecture du réel. Des économistes qui ne semblent pas connaître de révolution copernicienne et qui n’ont pas l’humilité des astrophysiciens, testant/contestant en permanence les modèles au regard des réalités qu’ils découvrent.  Redevenir sérieux ne consiste pas à construire des programmes détaillés à vendre sur des marchés politiques. Redevenir sérieux c’est d’abord observer et lire les faits en tentant de les rendre intelligibles aux fins de proposer un avenir désirable. Il est grand temps de voir les partis s’atteler à cet exercice plus difficile que celui de la communication.

Conclusion :

1 - Le scénario proposé avait aussi pour objet de répondre à la très  grande complexité de notre monde : climat, environnement, démondialisation ou « grande fragmentation », déchirures sociales, guerres de grande intensité. Nous avons tenté de montrer que cette complexité se traduit par une gigantesque montée des coûts de la production/protection d’un monde habitable. Et une montée des coûts qui ne peuvent plus être couverts par de la dette[6].

2 - Parce que le danger de réécriture d’un nouvel ordre est considérable dans le présent contexte, le scenario proposé reste modeste et tente d’apporter des solutions sans déchirures trop graves de l’ordre ancien. Ainsi Le contexte géopolitique ne peut nous autoriser la contestation trop radicale de l’ordre européen. D’où l’acceptation d’une monnaie unique certes très couteuse mais en même temps  symbole d’un rassemblement. On peut certes réduire le poids de la finance et faire disparaître la dette publique mais il nous semble très difficile d’aller plus loin. D’où aussi le maintien d’un authentique libéralisme qui autorise néanmoins le passage vers moins de compétition et davantage de coopération.

Nous n’avons évidemment pas abordé toutes les questions et certaines d’entre-elles ont déjà été partiellement évoquées dans l’article du 18 décembre : « la reconstruction passe par une bonne dose de dé financiarisation »[7]. Nous n’avons pas non plus traité de façon détaillée  la question de la création monétaire par l’Etat : faut-il passer à la monnaie numérique de banques centrales ? faut-il interdire la création monétaire par les banques ? etc. Ce qui nous renvoie à d’autres textes déjà publiés, notamment celui du 20 octobre dernier : « Reconstruire le système bancaire »[8] ou celui du 1er octobre : « Politique publique : entre la dette et le climat, il faut choisir »[9]. Notons enfin que les nouvelles technologies monétaires peuvent aider à l’émergence du scénario proposé.[10]

3 - Il existe présentement une conjoncture favorable à ce que la France se lance dans un tel scénario. D’abord une prise de conscience d’effets cumulés devenus insupportablement lourds :  prise de conscience que le pays est désormais le plus désindustrialisé de toute l’Europe, prise de conscience de déficits jumeaux (budget/ balance commerciale) parmi les plus lourds de toute l’Europe, prise de conscience d’un stock de dettes publiques le plus élevé de toute l’Europe. Le moment est donc venu d’un nécessaire changement de paradigme.

 

 

                                                                                                                                                                                                                                                          

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7 mars 2024 4 07 /03 /mars /2024 18:10

La présente note n’aborde que la question de la réalisation matérielle d’une économie de guerre et laisse de côté les questions et décisions géopolitiques qui y mèneraient. Plus précisément encore,  elle s’intéresse strictement à la question du financement.

D’abord un peu d’histoire.

1 - On sait aujourd’hui que la monnaie métallique s’est progressivement imposée lors de la constitution des Etats premiers voici plusieurs milliers d’années. La monnaie est choisie par le pouvoir en formation et se trouve être moyen de paiement des services de guerriers et en même temps, moyen de règlement des premières ponctions fiscales par les « sujets » du pouvoir, sujets qui deviennent des « endettés ». Ce choix se fait compte tenu des choix des autres Etats en formation. L’or monétaire -  fait politique naissant au terme d’un processus d’essais et d’erreurs-  est historiquement apparu comme moyen ultime de la liquidité et de règlement des dettes.

2 - Quelques milliers d’années plus tard, lors de la première guerre mondiale le même phénomène va se reproduire non plus avec du métal mais avec du papier. Tout d’abord il faudra faire disparaitre le métal en déclarant l’inconvertibilité des billets et donc le cours forcé. Cela sera fait en France dès le lendemain de la déclaration de guerre par la loi du 5 août 1914 qui va introduire le cours forcé des billets et la faculté d’émission de monnaie par la Banque de France, laquelle connait un quasi doublement (passage de 6,8 à 12 milliards de francs). La différence avec la situation créée par la naissance des premiers Etats est de taille : ces derniers furent prisonniers de la rareté de métal (les mines d’or sont naturellement limitées) alors que les Etats désormais solidement implantés peuvent – sans doute après beaucoup d’erreurs au cours des siècles précédents - se permettre une émission potentiellement illimitée de monnaie. A la création de l’illimitation monétaire pourra correspondre un projet d’illimitation de l’industrie et potentiellement illimitation de la guerre elle-même.

 Concrètement dès le mois de septembre 1914, il faudra mobiliser les épouses des soldats et les inviter à produire du matériel de guerre, dans des usines reconverties, et ce au service du front. Le matériel de guerre produit n’est pas une marchandise et se trouve payé par un Etat disposant de moyens monétaires illimités. Economiquement, l’offre globale diminue (les usines fabriquent moins de biens marchands) tandis que la demande globale ne faiblit pas : les revenus, notamment ceux des femmes travaillant dans les usines affectées à la guerre, sont toujours dépensés. Il en résulte logiquement une inflation que l’on essaiera, difficilement, de limiter avec des prélèvements sous forme d’emprunts, notamment emprunts perpétuels assortis de taux d’intérêt incapables de compenser la hausse des prix.

3 -  Aujourd’hui nous sommes dans une situation assez proche de celle des premiers Etats dont les efforts de guerre étaient aussi limités par la rareté du métal précieux. On ne peut passer concrètement à une économie de guerre car nous restons convaincus que nous n’en avons pas les moyens. De ce point de vue les hésitations  du Président de la République française face aux achats sur étagères de stocks d’obus répartis chez des Etats potentiellement vendeurs est intéressant : on est prêt à faire la guerre mais l’argent manque.

La Russie peut encore penser qu’elle est moins limitée en raison de sa maitrise de  l’équivalent des mines d’or des premiers Etats , à savoir ses immenses ressources minières. Son passage en économie de guerre peut donc comme en 1914 en France correspondre à une diminution de l’offre globale. Mais  le marché national peut encore se nourrir, au moins partiellement,  d’une offre étrangère correspondant à une importation (augmentation de 20% des importations entre 2019 et 2023). D’où probablement une inflation plus faible que celle de 1914/1918 en France.  Avec toutefois des limites : la Russie peut-elle accumuler des roupies indiennes illiquides contre du pétrole ?

Illimitation monétaire pour une Europe en guerre ?

Tel n’est pas le cas pour une Europe sans véritable budget central, ses composantes, et en particulier la France, qui en raison de son arrangement institutionnel ne peut se permettre de retrouver la disponibilité illimitée de moyens monétaires pour produire du matériel militaire. Les budgets publics sont déjà très déséquilibrés et il est institutionnellement impossible de ne point en tenir compte. L’euro reste la muselière commune des Etats et la France - prête selon son président à se mobiliser bien davantage-  risque de voir sa note dégradée si son déficit public devait encore s’accroitre pour actionner les usines de guerre. Et il est vrai que son déficit budgétaire exprimé en pourcentage du PIB  risque en 2024 d’être de loin le plus élevé de toute l’Union européenne. Encore grand pays sur le plan militaire, son talon d’Achille reste une finance extraordinairement dégradée.

Fort de ces considérations, quelles sont les stratégies possibles pour construire- face à l’éloignement américain et si telle était la volonté européenne -  une économie de guerre propre à contenir la poussée militaire russe ?

1 -  La première est celle suggérée précédemment, chaque pays tentant de se convertir en économie de guerre. Au-delà d’un accord de coopération très difficile à tenir, nous risquons des disparités gigantesques entre Etats, et seule l’Allemagne, en raison de sa situation toujours très excédentaire, pourrait se risquer à passer en économie de guerre avec un financement très élevé d’entreprises en reconversion vers la fabrication de matériel militaire. Les Etats financièrement très affaissés seraient bien incapables d’alourdir le poids de la dette. Un tel schéma entrainerait d’autres difficultés puisque les facilités de l’achat de matériel américain l’emporteraient sur les coûts de mise en place de la reconversion et de la mobilisation d’un personnel trop rare ( aujourd’hui 68% des achats européens se font déjà au profit d’entreprises d’armement américain). Au-delà l’Allemagne, jusqu’ici très tournée vers la Russie, apparaitrait comme la grande coupable d’un éventuel « containment »  de l’aventure russe.

2 -  La seconde serait  celle de se concentrer sur un achat commun de matériel américain sur la base d’un emprunt européen. Les capacités techniques en la matière sont considérables et permettraient de mobiliser d’énormes moyens militaires. Compte tenu de ce qui reste d’excédents de l’Union Européenne, il serait  encore possible d’emprunter plusieurs milliers de milliards d’euros, permettant de financer annuellement de l’ordre de 300 milliards d’euros de matériel de guerre supplémentaire. Compte tenu des dépenses militaires additionnées des divers pays de l’UE ( plus de 300 milliards d’euros) cela signifierait que le total des dépenses militaires européennes (300 +300= 600) commencerait à se rapprocher de celui des USA ( 886 milliards de dollars).  Cela signifie par conséquent un alignement, à terme, de moyens matériels sur le front ukrainien devant - compte tenu de la supériorité technologique du matériel occidental - faire réfléchir les autorités russes devenues incapables de contenir la puissance occidentale (Les dépenses annuelles deviendraient 5 fois supérieures à celle de la Russie).

Cette solution n’est toutefois pas facilement envisageable et un problème de remboursement de l’emprunt se pose. Si la règle de répartition des charges est celle des PIB, cela signifierait que le poids du service de la dette reposerait essentiellement sur l’Allemagne (probablement plus de 25% du total du service de la dette). De quoi reposer la question de l’Euro, celui des « pays sérieux », sanctionnés, et du « club med » avantagés. De quoi revenir aux années 2010. De quoi, au regard de l’ennemi, mettre en avant une Allemagne devenue ultime responsable d’un éventuel échec russe.

3 -  La troisième, qui ne serait qu’une variation de la seconde consisterait à ne pas glaner le matériel sur les étagères américaines et à se concentrer sur une authentique reconversion des usines européennes. Là encore le choix n’est pas simple et le déséquilibre entre la France et l’Allemagne serait mal vécu : pourquoi l’Allemagne ferait davantage survivre l’économie de guerre française et inversement, pourquoi la France serait moins généreuse vis-à-vis de l’économie de guerre allemande ? De quoi réanimer les vieilles querelles sur les chars, les sous-marins,  et les avions. Ajoutons que le NATO financé à 75% par les USA risquerait lui-aussi de poser quelque problème.

4 -  La quatrième solution serait celle de se débarrasser de l’arrangement institutionnel européen, à savoir mette l’euro hors du circuit de l’économie de guerre et mettre en place une monnaie numérique de banque centrale. Chaque pays serait libre d’imposer à la BCE l’émission monétaire le concernant au titre de sa propre mise en place de son économie de guerre. De quoi retrouver l’illimitation monétaire de 1914. De quoi aussi retrouver le circuit classique du Trésor puisqu’au final la totalité de la monnaie digitale se retrouve au bilan de la banque centrale. Le bilan de la banque centrale se trouve alourdi des dépenses au titre du passage à l’économie de guerre consenti par chaque pays. Bien évidemment, des déséquilibres vont se manifester entre offre globale et demande globale pour chaque pays. Plus un pays se lance dans son économie de guerre et plus le risque inflationniste est élevé. En effet, concrètement des revenus importants seront distribués si les journées de travail s’allongent, si un système de 3X8 se met en place, si des tensions se manifestent sur les intrants, etc. Sans compter tous les effets de redistribution entre toutes les branches d’activité, effets provoqués par l’impact inflationniste. Le passage à une économie de guerre est donc nécessairement coûteux comme il l’était durant le premier conflit mondial.

Un tel système n’est évidemment pas sans inconvénient car il peut donner lieu à des comportements de passager clandestin et inviter les pays à distraire leur monnaie digitale allouée par la banque centrale vers d’autres objectifs en contravention avec, par exemple, les règles du marché unique. De ce point de vue, l’avantage de la monnaie digitale est sa traçabilité et donc la facilité du contrôle du respect des règles du jeu.

Une autre difficulté est évidemment celle des importations d’intrants voire de matériels complets. Soit les entreprises étrangères acceptent un compte en monnaie digitale, soit il faut  accepter la conversion en devises.

Il existe peut-être d’autres stratégies que celles susvisées. Toutefois il nous semble qu’au vu des contraintes d’un euro devenu, hélas, intouchable en raison du climat géopolitique présent, la stratégie de l’adoption d’une monnaie digitale de banque centrale domine les 3 autres.

Finalement, dans le brouillard géopolitique actuel, notons l’apparition d’une certaine ruse de la raison. C’est l’euro qui empêche la construction d’une économie de guerre, mais en même temps c’est ce même euro qui introduirait potentiellement son propre dépassement : la monnaie digitale de banque centrale, une monnaie tant vantée par les dirigeants de la BCE, risquerait  d’introduire à terme le temps de l’après euro.

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7 février 2024 3 07 /02 /février /2024 11:17

 

La note précédente [1], en introduisant la notion du coût de la vie comme élément fondamental dans la compréhension des phénomènes affectant l’agriculture nous a permis de comprendre que le vrai problème de l’Occident et plus particulièrement la France était de voir beaucoup des industries chargées de produire les « biens- salaires » se déplacer dans ce qui était jadis le Tiers-monde. Avec une contre-partie essentielle : l’Occident devient progressivement une immense zone où un revenu non produit se trouve acheteur d’un immense stock de marchandises « biens-salaires » issues du dit ex-Tiers -monde. La France est plus particulièrement exposée au phénomène en raison de son appartenance à une zone monétaire lui assurant un taux de change artificiellement élevé se payant d’un déficit commercial anormalement élevé.

La présente note tentera d’aller plus loin sur les causes de ce que nous avons déjà appelé la construction de territoires incohérents. Non incohérents dans le paradigme libre échangiste des économistes d’aujourd’hui, mais totalement incohérents dans celui des économistes d’hier qui affirmaient haut et fort que le développement est le « noircissement de la matrice des échanges interindustriels » (TEI) de la Nation : on compose la chaîne de valeur qui, elle-même productrice de revenus, permettra d’acheter ce que l’on aura produit. Le tout menant sur le chemin de l’équilibre des échanges extérieurs.

1- le mécontentement du « dernier carré » des agriculteurs français relève de leur impossibilité de rester acteurs d’une  «plus- value relative »[2] dont ils furent historiquement les moteurs centraux. Jadis les gains de productivité de l’agriculture diminuaient le coût de la vie, et permettaient aussi d’offrir de nouveaux débouchés à une classe de « biens-salaires » en continuel enrichissement. En effet les revenus salariaux seront de moins en moins affectés à une nourriture de plus en plus accessible et bon marché (18% aujourd’hui contre plus de 50% en 1950) et de plus en plus affectée à des produits manufacturés devenant de nouveaux « bien-salaires ». Les économistes désignent par « élasticité de substitution », ce phénomène qui, partant de la baisse relative des prix des aliments, vient augmenter la demande des autres « biens- salaires ». Simplement exprimé, c’est aussi parce que la productivité agricole augmente que les débouchés des autres industries chargées de délivrer des « biens salaires » (biens d’équipements ménagers, automobile, santé, éducation, etc.) augmentent. Jadis l’agriculture ne se contentait pas de nourrir les citoyens/salariés, elle nourrissait aussi l’ensemble de l’industrie des « biens-salaires ». La disparition des gains de productivité, voire perte de productivité,  au sein du « dernier carré » des agriculteurs français bloque le système….et autorise l’expulsion de la plupart des activités de confection des « biens salaires » vers le Tiers Monde ou la périphérie de l’Occident[3]. Penser au consommateur français devenu impécunieux exige de rassembler tous les efforts de productivité dans l’ex Tiers-Monde où la valeur de la force de travail reste encore faible. Souvenons-nous, avant même le blocage des gains de productivité agricole, des pénuries de masques, médicaments, etc.

2- Cet affaissement de productivité relève de plusieurs facteurs.

Tout d’abord, la concentration permettant une hausse des rendements est limitée par un facteur relativement fixe, celui des surfaces. Il est très difficile dans l’agriculture de proposer, comme dans l’industrie 4/0 ou l’industrie du numérique, de fonctionner à rendements continuellement croissants   (le coût marginal est rarement nul dans l’agriculture alors qu’il devient quasi courant dans nombre  de branches de l’industrie). Parce que la terre fait l’objet d’une appropriation restée familiale et qu’elle est aussi un mode de vie aux racines anciennes, la concentration est difficile et la surface disponible par exploitation ne peut  s’accroître que modérément (25% entre 2010 et 2020). Dans le même temps, faible concentration d’un côté (élevage par exemple), et monopolisation de l’autre (achat par quelques grandes laiteries par exemple), entraînent des situations contractuelles où  le coût marginal dépasse la recette marginale  (exemple des contrats fixant les quantités et non les prix). La réalité est ainsi souvent celle d’un monopsone.

Un second facteur de la disparition est bien évidemment l’interdit croissant des intrants (engrais, pesticides, molécules diverses) qui généraient les gains de productivité et nourrissaient la «plus- value relative ». D’une certaine façon, ces interdits deviennent, par ricochet, des facteurs d’augmentation du coût de la vie, donc augmentent théoriquement la « valeur de la force de travail » au sens de Marx.

 Un troisième facteur -sans doute très lié au second- est la volonté écologiste de ne plus obtenir de gains de productivité par ponctionnement de la nature et de  la vie en général. On peut ici multiplier les exemples. Le premier est sans doute de constater que le passage à l’agroécologie (haies pour freiner l’érosion et les bioagresseurs, cultures mélangées pour ces mêmes bioagresseurs, cultures sans labour pour l’enrichissement de la matière organique et le stockage du carbone, etc.) maintient les rendements mais supposent de lourds investissements de transition. Le second est la réorientation de la PAC qui, jadis, instance accélératrice de la modernisation et donc productrice de « plus-value relative », est devenue instance partiellement répressive (25% de son montant total est désormais affecté à des conditions de pratiques environnementales sanctionnables). La troisième est sans doute la volonté de limiter drastiquement la production de viande responsable de 13% des émissions de gaz à effet de serre et consommatrice de 65% de la surface des terres agricoles. A ces volontés s’accrochent de nouvelles menaces décourageantes pour les acteurs, voire pour les modes de vie, par exemple la volonté d’entrer en rupture totale avec le remplacement de la viande par des viandes végétales et cultivées…ce qui met en cause les foncements anthropologiques et culturels de nos sociétés.

3- Au total les spécificités productives et la volonté écologique sont responsables de l’émergence de rendements brutalement décroissants, venant en principe augmenter le coût de la vie et, comme dirait Marx, la « valeur de la force de travail ». Grande Distribution et agroalimentaire sont dans la même famille et la bataille autour d’EGAlim 1 et 2, 3 ? ne peut, sauf révolution des règles du jeu, que se terminer par la fin du « dernier carré » et la mondialisation définitive de ceux qui assuraient la circulation des biens alimentaires et leur transformation. La délocalisation des centrales d’achat constitue un bon exemple de cette mondialisation : l’agriculture victime du Titanic espère encore une chaloupe quand ses partenaires échappent totalement au naufrage.  La non-augmentation de la « valeur de la force de travail » occidentale passe par la disparition de plus en plus complète de la plupart des activités liées à la production occidentale des « biens-salaires ». Et la France avec son taux de change négativement inadapté (taux trop élevé) est plus exposée que d’autres, telle l’Allemagne bénéficiant elle d’un taux de change trop faible[4].  Dans cette perspective, ne subsisteraient que les activités de services non délocalisables, en particulier les services à la personne qui eux-mêmes sont rattachés à la catégorie des « biens- salaires » : social, éducation, santé, etc. On pourrait même aller plus loin en délocalisant les bénéficiaires nationaux desdits soins : Aux extrêmes pourquoi ne pas implanter des EHPADS dans l’ex Tiers-monde et bénéficier des services d’un travail moins coûteux ?

4- La solution serait évidemment la prise en charge par la collectivité de l’ensemble de l’agriculture : soit des aides et subventions (prise en charge des coûts de destruction de la nature, des coûts de rétablissement de la qualité des productions et du rétablissement du cadre de vie rural), soit des prix administrés des « biens salaires » agricoles permettant la couverture de tous les coûts et une vie digne pour les agriculteurs. Cette dernière solution supposerait évidemment des droits de douane à hauteur des coûts de rétablissement de la compétitivité. Quelle que soit la solution retenue, nous sommes bien dans un mécanisme d’inversion de « plus-value relative » impulsé par la protection de l’environnement/cadre de vie et le respect de la dignité des agriculteurs. Un coût net supplémentaire doit être réparti entre baisse des « niveaux de vie », baisse de la demande des autres « biens- salaires », et dette publique. On pourrait imaginer des investissements de rupture qui, par magie, permettrait le retour d’une « plus-value relative » avec non plus une diminution des surfaces mais une reconversion et une augmentation consacrée à la récupération de la photosynthèse. Cette dernière qui est le cœur même d’une agriculture captant l’énergie solaire pouvant donner lieu à des produits liés : nourriture, décarbonation de pans entiers de l’économie, énergie, biochimie, biomatériaux, etc…  Hélas, ces innovations exigent des investissements colossaux lesquels imposent un temps trop long.

5- les montants en jeu sont très importants et dépassent de très loin le montant de la PAC : Probablement plusieurs dizaines de milliards d’euros. Ils viennent aussi en concurrence avec des coûts géopolitiques massifs d’un nouveau genre : le passage nécessaire à une économie de guerre.  Deux grandes pistes sont possibles en termes de politique publique : soit le choix du respect des règles du jeu de l’UE, soit le dépassement de ces mêmes règles.

- Le premier choix suppose la prise en charge par la collectivité et donc l’impôt. Au-delà de la PAC actuelle, il faut prévoir un mécanisme de subventions et/ou aide à l’investissement privé, voire investissements publics. Une opération plus facile est  la dérèglementation.  Privilégier l’investissement est évidemment préférable à toute forme de révision règlementaire. Il suffit de comparer les premiers résultats spectaculaires de l’économie américaine qui privilégie l’investissement (cf « l’Inflation Reduction Act ») à ceux très discutables de l’UE qui privilégie le règlement dans son approche globale du respect de l’environnement[5].  Le coût global est d’ordre fiscal et l’impôt finance une production d’aliments nationaux qui vont progressivement se substituer aux aliments importés devenant eux moins compétitifs. Prenons conscience que cette substitution ne sera guère facile car la volonté écologiste de la fiscalité va s’opposer aux gains de productivité : la nature sera davantage protégée au sein d’un ensemble productif d’autant plus difficilement croissant que les importations moins coûteuses resteront présentes.  En attendant la fiscalité supplémentaire déprime l’activité globale (les niveaux de vie baissent du montant de la fiscalité nouvelle) avec effets pervers sur la demande des autres « biens- salaires ». Le choix du respect des règles du jeu de l’UE – en particulier le marché unique- invite, en termes de politique publique à arbitrer entre fiscalité nouvelle et accroissement de la dette publique. Réparer l’agriculture sans casser le marché unique et sans déprimer la demande globale suppose une forte incitation à l’accroissement de la dette publique. L’accroissement continue du périmètre du libre échange par Bruxelles accroit la pression sur les facilités de la dette publique : il vaut mieux, au moins partiellement, s’endetter que de continuer à renforcer la fiscalité à des fins de rétablissement d’une agriculture de plus en plus attaquée par l’ex Tiers-Monde. Arbitrage délicat.

-Le second choix correspond à un vrai dépassement des règles du jeu. Droits de douane, restrictions diverses, et surtout prix administrés en deviennent les outils. Des outils en principe interdits et qui seront dénoncés par tous les acteurs extérieurs au monde agricole. Ils seront aussi dénoncés par l’ensemble de la bureaucratie qui se complait dans les délices de l’abandon de la souveraineté. Pensons par exemple aux autorités administratives indépendantes tel l’office français de la biodiversité (OFB) ou plus encore l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) qui peut prendre en otage un gouvernement (plan Ecophyto) au nom du respect d’un Etat de droit[6]. L’agroalimentaire réagira et cessera de s’alimenter en intrants agricoles à partir du terroir français. On pourrait à l’infini multiplier les exemples. Et effectivement, on pourrait voir se profiler la « route de la servitude » chère à Hayek. Le problème est pourtant ailleurs. Dans un tel contexte des prix beaucoup plus élevés des produits alimentaires entraînent une ponction de la demande sur toutes les autres branches produisant des « biens-salaires ». Nous sommes plongés dans la question de l’insuffisance de la demande globale de « biens-salaires » en raison d’une baisse des niveaux de vie (« s’alimenter devient trop cher »). La politique publique ici retenue doit prendre en réflexion la « valeur de la force de travail » qui globalement augmente (son coût de reproduction augmente en raison de l’inefficience impulsée par la volonté de protéger la nature et le « dernier carré » d’agriculteurs). Logiquement cela passe par une augmentation des salaires … qui va poser la question de la diminution des marges de toutes les entreprises, en particulier françaises…et va en conséquence poser la question de leur compétitivité tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale[7]. Il faudrait que les entreprises produisant les « biens salaires » non agricoles puissent générer des gains de productivité profitant au final aux  salariés selon la logique classique de la « plus-value relative » de Marx, mais elles sont étouffées dans leur volonté de modernisation par la baisse potentielle des marges en particulier en France. La course à la délocalisation ne peut faiblir dans un tel contexte.

Le lecteur averti comprend qu’il faudrait, surtout s’agissant d’une France connaissant un déficit extérieur catastrophique, retrouver des marges à l’international par baisse du taux de change. Hausse des marges à l’exportation et restauration de marges nationales à l’importation. Ce qui pose évidemment la question de la monnaie qui ne peut plus être une simple marchandise assortie d’un prix de marché mais qui doit retrouver un statut de variable politique. La monnaie devient, comme jadis, affaire de politique publique.

6- Au terme de notre réflexion il apparait évident que la crise agricole dépasse de très loin sa seule dimension rurale. Son affrontement pose celle du choix de politique publique à retenir : politique publique à l’intérieur des règles du jeu du globalisme et en particulier de l’UE, ou bien politique publique de rupture consacrant le retour à l’Etat organisateur ? En terme d’efficience Il apparait évident que la stratégie  de rupture domine celui de la continuité. Pour autant cette stratégie est aussi celle qui développerait la probable fin de la monnaie unique, une stratégie ne devenant réellement dominante que dans un contexte beaucoup plus global et très difficile à décrire.

7- Face à un tel risque qu’aucun acteur politique n’est aujourd’hui prêt à prendre, la stratégie de prise en charge par l’impôt sera, le plus longtemps possible, conservée. A l’inverse de celle de la rupture, elle ne saurait entrainer le rétablissement massif de la production et la fin de l’incohérence des territoires avec les effets catastrophiques de l’entretien d’un monde où l’on prend l’habitude de dépenser un revenu qui n’est pas produit. Une habitude aux risques géopolitiques majeurs. Notons aussi que cette stratégie est aussi plutôt le choix de la dette que celui de la production. Penser pouvoir trouver une solution à la question de l’agriculture sans toucher aux règles du jeu accroit la pression sur une dette abyssale qu’il faut pourtant encore augmenter. C’est dire aussi que ce choix augmente mécaniquement la part de marché de la finance dans le total du PIB. Clairement, la dette publique augmentant avec les risques associés, suppose l’apparition de nouveaux produits de couverture porteurs d’opportunités pour la finance…donc de nouveaux débouchés…Plus clairement encore la dette est très difficilement remboursable dans la mesure où le capital qu’elle génère n’est pas productif [8]: on ne peut attendre de la valeur nouvelle à partir d’une simple réparation.

S’agissant de la France les économistes continueront, de façon abracadabrantesque, à évoquer les dangers de la dette alors que le véritable problème du pays est d’abord son incapacité à produire, incapacité tristement lisible dans sa balance commerciale.  

Ce qu’il faut retenir 

1-La crise de l’agriculture ne peut être étudiée en dehors d’un contexte global notamment celui évacuant le double ordre macroéconomique et macropolitique dans lequel les acteurs  déploient leur activité. Le problème est ainsi moins l’agriculture que le contexte lui-même.

2-L’agriculture est productrice du premier « bien-salaire » générateur de la valeur de la force de travail. Elle en fixe les modalités de déploiement de tous les autres « biens salaires » et participe à la construction du rendement de toutes les activités.

3-La crise agricole correspond aux exigences d’acteurs jusqu’ici négligés et qu’il convient de compenser et rémunérer : la nature et les modes de vie. Ce double rattachement est un contexte difficile pour le déploiement rapide d’investissements/innovations de rupture permettant un retour massif de gains de productivité. La crise agricole est donc un affaissement durable de la productivité.

4-Une première stratégie de réponse est celle s’inscrivant dans le respect des règles du jeu de l’UE et de la mondialisation. Elle est fiscalement coûteuse et développe des effets pervers tel un accroissement de la dette publique dont la partie non remboursable augmente en raison de la nature de la crise.

5-Une seconde stratégie de réponse s’affranchit des règles du jeu de l’UE et de la mondialisation et consacre le retour vers un Etat stratège et organisateur. Cette seconde stratégie domine la première en termes d’efficience. Elle suppose une rupture sur les marchés politiques laquelle reste peu probable en raison des risques associés. Cela nous renvoie au choix très probable de la première stratégie.

6-La voie de l’augmentation des parts de marché de la finance dans le total du PIB reste l’horizon dangereux  et indépassable de notre temps. Comme si s’extirper des questions environnetales avait pour prix l’inéluctabilité de l’aliénation financière.


[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/02/crise-agricole-moins-bavarder-er-davantage-reflechir-partie-1.html.

[3] Cette « expulsion » est directement lisible pour la seule production d’aliments à partir d’une carte du ciel. Sans donner de date, Luc Vernet de « Farm Europe » précise dans les Echos du 5 février 2024 que L’UE a perdu 10 millions d’hectares de terre agricole, tandis que la déforestation dans le monde pour produire nos aliments concernait une surface équivalente. D’où notre conclusion : l’Occident délocalise toujours davantage la reproduction de sa force de travail dans l’ex Tiers-monde.

[4] D’où une crise agricole en Allemagne n’ayant pas la même profondeur que la crise agricole française. Bien évidemment il n’y a pas que le taux de change qui permet à l’agriculture allemande de rattraper la France. Il y a aussi la taille des exploitations laissées par la RDA ou les rémunérations plus faibles accordées aux immigrés.

[5] De ce point de vue on constate un véritable décrochage de l’Europe. Sur une vingtaine d’années la productivité par tête aux USA augmente de 43% tandis que celle de l’UE n’augmente que de 10%.  Précisons que le "Net Zero Industry Act" que l'Europe vient d'adopter ne permettra pas le déploiement de fonds massifs. Il est clair qu’à ces questions se mêlent des questions de politiques monétaires permettant aux USA une gigantesque dette publique que la construction boiteuse de la monnaie unique européenne ne peut autoriser.

[6] Cf la polémique engagée dans la Tribune « du Monde » des 4 et 5 février 2024.

[7][7] Les marges des entreprises françaises sont beaucoup plus faibles que les marges des entreprises allemandes et cela reste vrai avec la crise énergétique qui frappe plus clairement l’Allemagne. Ainsi pour 2022 le taux de marge en Allemagne ( excédent brut d’exploitation / valeur ajoutée) restait supérieur à 39%, tandis que les françaises ne dépassaient pas les 32%. Là encore le caractère inadapté des taux de change est la cause principale du problème.

[8] http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/01/construire-la-colonne-vertebrale-d-une-france-renaissante.html

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1 février 2024 4 01 /02 /février /2024 10:57

La présente note tente de proposer une grille de lecture intelligible de la multitude des faits qui accablent le monde agricole.

Depuis la nuit des temps, l’agriculture est une activité nécessaire à la conservation/reconstitution de la vie. Dans le monde moderne, point n’est besoin d’être économiste pour se rendre compte que cette conservation de la vie se déroule en dépensant tout ou partie de ce qu’on appelle un salaire dans ce qui est devenu la grande distribution, elle-même ravitaillée pour partie par le monde agricole. Plus les prix des produits de l’agriculture sont élevés et plus le coût de la vie est élevé et inversement plus les prix des produits agricoles sont bas et plus le coût de la vie est faible.

Logiquement,  si l’agriculture développe des gains de productivité, ce coût de la vie doit baisser. C’est ce que la France a bien connu au cours du siècle précédent avec une modernisation spectaculaire de son agriculture. Le prix des produits agricoles baissant ou augmentant plus faiblement que les salaires, il devait en résulter ce que simplement on appelle une hausse des niveaux de vie et l’avènement de l’immense classe moyenne qui devait caractériser la seconde partie du vingtième siècle.

Marx et les « biens salaires»… produits par les agriculteurs

Marx, très grand interprète des règles du jeu du capitalisme, parlait de partage de la « plus-value relative » impulsée par la productivité. Dans son langage, si les biens de consommation – ce qu’il appelle les « biens salaires » - achetés avec les revenus distribués par les capitalistes voient leur valeur diminuer en raison de gains de productivité dans l’activité agricole, il doit en résulter logiquement une diminution des salaires, baisse résultant elle-même de la baisse du coût de la vie. Concrètement et simplement, si une vie de salarié est reproduite journellement par un kilogramme de pain et que le prix du pain diminue de moitié en conséquence d’un doublement des rendements agricoles, le coût de la vie est également divisé par 2 et donc le salaire peut lui-même être divisé par 2. Dans cette circonstance, les capitalistes récupèrent la totalité des gains de productivité, ce que Marx appelait la « plus-value relative », celle dépendant des gains de productivité donc de la « dévalorisation » des « biens salaires ». Si maintenant les salariés réussissent à maintenir le niveau de salaire, ces mêmes salariés empochent les gains de productivité. Dans un tel contexte, la lutte des classes au sens de Marx est aussi un combat autour du partage des gains de productivité. Bien sûr Marx emploie un langage beaucoup plus sophistiqué pour les besoins de ses démonstrations, mais il nous faut reconnaitre qu’il fût le grand théoricien de ce que lui-même appelait « l’embourgeoisement de la classe ouvrière », phénomène imaginé avec près d’un siècle d’avance sur la réalité. Un phénomène qui va progressivement se transformer et dont la configuration actuelle est elle-même appelée à se transformer.

Les transformations historiques de la  « plus-value relative ».

1 – Historiquement, il y a eu effectivement partage des gains de productivité et il en est résulté une première approche dans l’édification d’une immense classe moyenne. Globalement, les budgets consacrés à l’alimentation - ceux consacrés à l’achat de marchandises agricoles- vont régulièrement diminuer (18% aujourd’hui contre 31% en 1962 et plus de 50% en 1950). En contre partie ils vont laisser la place à de nouveaux biens, lesquels vont socialement devenir de nouveaux « biens salaires » au sens de Marx : logement, équipement ménager, téléphone, etc. Ces mêmes biens vont logiquement eux-mêmes bénéficier de gains de productivité à partager entre capitalistes et salariés.

2 - Les salariés pouvant désormais arbitrer entre divers « biens salaires » vont devenir de plus en plus exigeants et vont s’intéresser aux prix de ces premiers « biens salaires » que sont les produits de l’agriculture. Ils seront en cela aidés par la grande distribution qui fera pression pour une accélération des gains de productivité. Les agriculteurs doivent être compétitifs comme tous les acteurs de la vie économique. Déjà, des relations asymétriques entre entreprises agricoles nombreuses et grande distribution ou firmes agroalimentaires oligopolistiques vont se nouer. La pression sur les prix imposera une accélération de la modernisation de l’agriculture.

3 - La mondialisation permettra une accélération massive de la construction d’une « plus-value relative » d’un nouveau type. D’abord les entreprises pourront travailler dans des zones où la « valeur de la force de travail » est plus faible (le coût de la vie est plus faible en Asie, en Afrique, etc.). Si les biens fabriqués dans ces zones sont aussi des « biens salaires », il pourra en résulter une baisse de la valeur de la force de travail en Occident : les biens en question permettront de diminuer davantage le coût de la vie et la grande distribution et les firmes agroalimentaires s’y emploieront. De quoi comprendre les armadas d’acheteurs en route vers l’Asie…De quoi comprendre ce que naguère on appelait le grand accord entre WalMart et le parti communiste chinois…. Ce n’est plus WalMart et ses fournisseurs américains qui reproduiront la force de travail américaine mais des entreprises chinoises sur le sol chinois.

4 - Cette baisse de la valeur de la force de travail ne pourra plus nourrir, aussi facilement que par le passé, le partage des gains de productivité. C’est que la désindustrialisation fragilise la condition salariale et engendre un chômage qui pourra être plus ou moins masqué par le maintien d’un Etat-Providence qui lui aussi se trouve être le support d’une partie du coût de la vie. Ce qu’on appelle économie sociale se développe sans gains de productivité et le coût de la vie ne peut diminuer que par des importations massives en provenance du sud. Ce qui se met en place est la possible naissance de vastes zones de l’ex -Tiers monde chargées de la reproduction de la force de travail de l’Occident et, en particulier de la France qui se désindustrialise plus rapidement qu’ailleurs. En contrepartie de vastes zones de l’Occident et en particulier de la France deviennent des espaces où un revenu se dépense sans y avoir été produit. C’est par exemple le cas des espaces privilégiés occupés par des retraités ou inactifs dans le sud de la France… Des incohérences de territoires qui vont se multiplier…

5 - Les usines fabriquant les « biens salaires » disparaissent et se reconstruisent à la périphérie de l’Occident. Dans ce dernier monde et tout particulièrement en France, nous n’aurons plus que des entreprises de logistiques (les bien salaires produits à la périphérie doivent être distribués et nourrir le centre). Ainsi les entrepôts « Amazon » peuvent se développer sur les friches industrielles. A ces entreprises il faudra encore ajouter les entreprises agricoles jusqu’ici non délocalisées qui tenteront - fouettées par la grande distribution et les firmes agroalimentaires- d’apporter leur contribution à la baisse du coût de la vie. Le dernier ajout qui permettra de photographier le nouveau paysage est bien évidemment le maintien d’un Etat social très endetté. Bien évidemment tout ce qui n’est pas « biens salaires » peut encore subsister, notamment les industries de biens d’équipement, les industries de l’armement et toutes celles très nombreuses encore qui, techniquement, s’articulent à ces dernières.

6 - Mais la mondialisation est exigeante en termes de libéralisation des échanges et les traités de libre échange ne peuvent que se multiplier (plus de 40 par la seule UE) pour offrir des débouchés aux entreprises, soit celles restées dans le centre, soit celles déjà délocalisées et qui souhaitent voir croître leur part de marché dans le monde. L’UE est l’archétype de ce modèle et invente la concurrence libre et non faussée. Jusqu’ici l’agriculture n’était pas encore délocalisable comme l’était le capital industriel. Le facteur de production terre/environnement devait rester attaché à son antique espace national. Parce que les traités de libre échange se doivent être globaux et concernent toutes les marchandises, l’agriculture ne peut en être exclue. Cette dernière devra donc se soumettre et accepter que le coût de la vie au centre soit de plus en plus assuré par des firmes agricoles lointaines. La poursuite de l’éventuelle  baisse du coût de la vie doit se payer par une masse toujours croissante de biens salaires importée. Et le renard est entré dans le poulailler car les agricultures du centre se font concurrence et utilisent les outils de l’UE pour s’entredévorer : l’agriculture française est mangée par l’Espagnole ou celle de la Pologne, etc. Ce qui entretient le processus de dévalorisation de la force de travail. Il y a beaucoup plus que des chaussures, vêtements, jouets, appareils électroménagers, etc. qui doivent être importés. Il y a désormais à importer tous les produits agricoles qui étaient historiquement les premiers « biens salaires » : fruits, légumes, viandes, poisson, produits laitiers, etc.

7 - Aujourd’hui, nous sommes avec les questions liées au climat et à l’environnement arrivés au bout de la grande aventure consistant à faire produire à l’étranger la quasi-totalité des « biens salaires » consommés par les vieux Etats-Nations au premier desquels on trouve la France dont on vantait naguère l’excellence agricole. Non seulement l’agriculture européenne se doit d’être asservie par les règles du jeu du capitalisme mondialisé, mais elle est menacée de disparition par les règles concernant la protection du climat et de l’environnement. La course aux gains de productivité est certes désormais bloquée par la foule des règlements et normes concernant les intrants de la production, mais surtout par l’imposition d’un recul des surfaces autorisées à la culture ou l’élevage. Jadis le capital industriel délocalisé laissait à l’état d’abandon des friches industrielles. Aujourd’hui l’agriculture en délocalisation va laisser des jachères. Il ne restera plus que les traces des lieux où naguère la conservation/ reconstitution de la vie se déroulait.

8 - Ce grand mouvement est aussi la fin des classes moyennes protégées par le  capitalisme autocentré et efficient de la fin du vingtième siècle. Les « biens salaires » agricoles ou industriels majoritairement issus de la périphérie continuent de se dévaloriser au rythme des innovations et de la productivité. La concurrence en fait gonfler la quantité et la perte de valeur est surcompensée par des besoins artificiellement créés. La société de consommation devient hégémonique au sein de territoires où des revenus jamais produits et chargés de dettes sont « magiquement » dépensés. Il en résulte une disparition de la plus-value relative tandis que l’Etat social resté exigeant n’est plus finançable que par de la dette publique.

9 - Bien évidemment, ce grand mouvement aux conséquences géopolitiques majeures doit être arrêté et cela confirme bien les conclusions de nos précédents articles. Il sera toutefois très difficile de protéger l’agriculture. S’agissant de l’UE telle qu’elle est, on ne voit pas comment il serait possible de ne plus inclure l’agriculture dans les grands traités de libre-échange. Les avantages compétitifs de la périphérie de l’Occident sont bien évidemment concentrés dans  une agriculture où les taux de salaire et les normes sont très avantageux. Et c’est ainsi qu’au nom de la rationalité économique, l’Occident continuera probablement de confier la gestion du coût de la reproduction de sa force de travail dans les espaces que naguère il avait colonisé : Un libre échange où la baisse de la valeur de la force de travail continuera  d’être l’objectif probablement inconscient de ses promoteurs. Pourquoi, continuera t-on de proclamer, renoncerait-on à faire bénéficier le consommateur de prix à l’importation avantageux ? Pour la France le prix de cette rationalité stupidement économiciste sera plus élevé qu’ailleurs en raison de l’abandon complet de ce qui faisait une partie de son excellence.

10 - N’allons pas plus loin et laissons le lecteur se reporter à nos articles[1] des 1/1/2024 et 12/1/2024.  Toute politique économique sérieuse doit se pencher sur la construction d’un équilibre des comptes extérieurs. Et cela passe par ce qu’on appelait la « colonne vertébrale » de la reconstruction. Bonne relecture de ces deux articles.

 

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27 janvier 2024 6 27 /01 /janvier /2024 10:30

Des informations et faits nouveaux justifient la republication de notre texte en date du 1/10/2023).. Entre la dette et le climat il faudra effectivement choisir et être sérieux. On pourrait ajouter qu'il faudra aussi choisir sériusement entre la dette et l'UE...

En 2022 l'Institut de l'Economie pour le climat (14 CE) nous précise que les investissements climat ont franchi le cap des 100 milliards d'euros et que 2023 serait encore une année de hausse...toutefois fortement entravée par la hausse du cout du crédit et le renchérissement du cout des projets. Le même institut précise qu'il faudrait dans ce contexte, pourtant plus difficile, investir beaucoup plus au cours des prochaines années: au moins 58 milliards d'euros supplémentaires. Or ces investissements sont appuyés sur une partie publique de moyens financiers à hauteur d'un tiers. Le déficit budgétaire pour l'année 2023 dépasse les prévisions de 2 milliards d'euros et les réductions de dépenses pour 2025 (12 milliards de prévus) devront être renforcées. La conclusion est que le financement de la transition est rigoureusement impossible...sauf à changer complètement de modèle.

Le modèle de la dette interdit la protection du climat mais il interdit aussi tout passage à une économie de guerre pour soutenir l'Ukraine. L'Allemagne s'oppose au renouvellement de la "facilité européenne de paix" qui permettait un financement européen d'une partie des dépenses militaires ( achat de matériel neuf pour compenser les stocks partis vers l'Ukraine). La même Allemagne s'oppose à tout mécanisme de soutien collectif au profit de ce même pays. C'est dire qu'il n'y aura pas de commandes européennes groupées pourtant nécessaires pour justifier le financement des investissements dans l'industrie de l'armement. Les banques refusent tout crédit nouveau aux entreprises productrices de matériel militaire sans appui public, ce qui empêche le passage concret à une économie de guerre. Parce que l'Allemagne bloque, nous allons tenter d'utiliser les fonds de livret A, sans percevoir les effets d'éviction évidents sur le marché de l'immobilier....

Entre la dette, l'Europe et l'aide à l'Ukraine il faudra choisir. Hélas la configuration des marchés politiques ne permettra pas de choix rationnel et l'industrie financière restera encore, au moins à court terme, la gagnante des décisions prises: nous continuerons à parler de la dette.

Notre texte publié le 1/10/2023 reste d'actualité. Bonne lecture. 

 

Les débats budgétaires révèlent les énormes difficultés du pays : coûteux réarmement, coûteuses mises à niveau des infrastructures sanitaires, coûteuses mises à niveau des infrastructures énergétiques, etc.. et déjà la perspective d’un appel  à l’endettement public de plus de 285 milliards d’euros pour la prochaine année budgétaire. Une somme qu’il faut comparer avec des recettes attendues de l’ordre de 375 milliards d’euros. Observons que dans un tel contexte les dépenses au titre de l’environnement et du climat seraient de l’ordre de 7 milliards tandis que les besoins au titre d’un respect des contraintes de l’environnement se montent selon le rapport Pisani Ferry à 66 milliards…

Cet écart entre besoins et moyens ne concerne pas que la France. Sa levée repose sur un dogme, celui de disponibilités financières qui ne se conçoivent que dans le cadre de l’émission d’un actif devenant créance de celui qui en est propriétaire. Clairement, on accroit un stock de nouveaux ou anciens endettés et de nouveaux ou anciens créanciers.

La dette, outil inapproprié pour protéger un bien commun.

Cette pratique, reliant par contrat endettés et créanciers, est légitime dans le cadre de relations entre personnes privées. On ne peut en effet imaginer – en dehors de relations strictement personnelles et extra-économiques - qu’un acteur puisse financer un autre sans une reconnaissance de dette. De ce point de vue, même une action est une dette de l’entreprise vis-à-vis de son propriétaire. Simplement, elle peut être de nulle valeur en cas de mauvaises affaires et dans cette circonstance, selon le langage des professionnels, on dira que les « capitaux propres sont mangés ». 

Mais cette pratique n’est pas légitime pour la gestion de ce qu’on appelle les biens communs à reconstruire. En effet, si la température de la planète est un bien collectif à préserver, on voit mal des dépenses de simple préservation être assurées par des créanciers qui, au-delà du remboursement du titre acquis, exigent également une rémunération du capital investi. Clairement, les investissements au titre de l’environnement ne sont pas du capital créant de la valeur. Ils sont simplement du capital qui n’en détruit pas. Ils ne peuvent donc pas être financés par de la dette classique, celle qui relie investisseurs et créanciers dans le cadre de contrats classiques entre personnes privées –entreprises émettant des titres- ou entre personnes publiques et personnes privées (Etat émettant des titres publics). De ce point de vue, les 7 milliards de dépenses prévues au titre de l’environnement ne peuvent être légitimement dépensés à partir de la nouvelle dette anticipée au titre de l’année 2024

Comment mobiliser du capital sans dette ?

Il faut donc imaginer des émissions de capital sans dette, c’est-à-dire l’équivalent d’un don. La pratique de l’évergétisme relevant d’une autre époque, il faut donc imaginer non pas des dons de capital par des personnes privées mais des dons  de la part de la collectivité. Clairement, mobiliser des moyens concrets au profit de l’environnement suppose aussi une mobilisation concrète de moyens financiers qui ne soient pas de la dette. Même une obligation perpétuelle reste une dette à honorer et le temps n’est plus où cette dernière pouvait - comme naguère aux Pays-Bas - financer la protection des sols par des digues anti-inondations. Face à la question posée : la réponse qui vient à l’esprit est donc simple : la voie de l’impôt serait l’unique solution. Cette voie est pour autant largement impensable en raison de la concurrence fiscale entre Etats soumis aux contraintes de la mondialisation….même finissante.  De ce point de vue, les sociétés occidentales simplement peuplées d’individus déliés sont plus mal loties que la Grèce antique ou Rome qui -elles aussi démunies sur le plan fiscal-  bénéficiaient d’un évergétisme impensable chez nous aujourd’hui. Par exemple la générosité de Total Energie, avec son prix maximal de 1,99 euros pour le sans plomb, n’a rien à voir avec le Ptolémée III du troisième siècle av. JC. Elle se trouve même en être le contraire.

Une création monétaire non inflationniste et protégeant un bien commun

 Au-delà d’une fiscalité impraticable, la meilleure solution aujourd’hui est tout simplement la création monétaire, non pas celle des banques qui n’est qu’une dette mais celle de la banque centrale mobilisée par son Etat.

Concrètement, la Banque de France est invitée à créditer le compte du Trésor par une inscription à son passif. Afin d’éviter une centralisation dangereuse, on peut même imaginer un compte spécial de la banque de France au profit de chaque banque, compte figurant à l’actif de ces dernières et compte fléché au profit du seul environnement. Seuls les dossiers solides en matière d’environnement seraient susceptibles de financement sans dette, soit par l’Etat (compte du Trésor à la banque centrale), soit par les banques (leur compte spécial à la banque centrale). Il s’agirait par conséquent d’une subvention spéciale « climat » ou « environnement ». Bien évidemment, au terme du processus la richesse réelle n’augmente guère et se trouve en théorie simplement préservée : le bien commun climat ou environnement est protégé.  Toutefois en termes de PIB, tel qu’il est calculé aujourd’hui (somme de valeurs ajoutées), il y aurait croissance comptable : protéger le climat ou l’environnement est, bêtement, une valeur ajoutée au sens simplement comptable. Cela signifie qu’au final  l’émission monétaire sans dette ne déboucherait sur aucune inflation spécifique.

Reste le grand problème de l’acceptation d’un tel dispositif par les autorités européennes. Posons simplement la question du choix entre survie de l’humanité et dette.

 

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15 janvier 2024 1 15 /01 /janvier /2024 07:48

Notre texte[1] publié le 31 décembre dernier comportait un point essentiel : abandonner la voie sans issue de l’éternelle surveillance permanente des budgets publics au profit de la surveillance constructive de l’équilibre des comptes extérieurs. Cela passait par des renversements ambitieux : la fin de la domination des banques centrales et le retour des Trésors comme entités autonomes et motrices d’une reconstruction. Cela passait aussi par la fin du paradigme de la compétition interétatique à celle de la coopération.

Ce texte était aussi le point d’aboutissement d’une série d’autres articles insistant sur les points suivants : la montagne vertigineuse des nouveaux enjeux qui se portent à l’échelle du monde, donc aussi à la civilisation occidentale et à la France en particulier[2] ; l’impossibilité radicale d’y faire face en perennisant une  logique « d’overdose » d’endettement classique[3]; l’urgente nécessité de dé financiariser nombre d’activités ; avec au final la nécessité de passer, au moins à l’intérieur de l’UE, d’une architecture institutionnelle porteuse d’un affaissement des nations à celle d’une association d’Etats souverains démocratiques[4].

Le présent papier apporte un complément sur l’importance d’une révision radicale de la gestion budgétaire dont nous disions qu’elle devait quitter le champ de l’idéologie de la dette.

1 La gestion budgétaire dans l’ancien fordisme.

 A l’époque du fordisme classique la gestion du budget ne portait que fort peu sur l’aide à la  compétitivité des entreprises. Au-delà des grandes infrastructures construites par l’Etat, ce dernier s’intéressait moins à la qualité de l’offre globale qu’à la quantité de la demande globale. Parce que nourrie par des gains de productivité très élevés (de l’ordre de 5% l’an) l’offre globale était en quelque sorte naturellement compétitive. Le cas échéant la souveraineté sur le taux de change pouvait l’y aider. Par contre il fallait assurer le déversement des grains de productivité en garantissant la demande globale. La construction d’un immense Etat Providence fut ainsi une assurance de débouchés avec pour effet ultime l’édification d’une immense classe moyenne[5]. Nous sommes dans ce qu’on appelait, il y a bien longtemps, les trente glorieuses…

2 La gestion budgétaire dans le nouveau monde.

 Sans revenir sur le pourquoi et les détails de l’édification du mondialisme dont l’UE devait en être le modèle réduit le plus parfait, il est clair que la gestion budgétaire allait changer de manière radicale. Désormais les Etats ne sont plus des aménageurs d’une demande globale qu’il faut développer, mais des contributeurs d’une offre globale compétitive. Et l’UE avec la monnaie unique va devoir devenir très sourcilleuse sur la bonne  gestion budgétaire. Le déficit public, qui naguère s’évanouissait par une fiscalité elle-même nourrie par la très forte croissance engendrée par les gains de productivité, devient l’objet d’une surveillance accrue. Il est apprécié en ce qu’il nourrit la finance (les bons du Trésor sont la matière première indispensable de la multitude des contrats financiers[6]) mais il n’est réellement et durablement toléré que s’il s’inscrit dans des limites raisonnables[7] et repose sur une baisse des prélèvements obligatoires. Par contre il n’est guère apprécié s’il repose sur la hausse de la dépense publique, laquelle vient concurrencer des activités privatisables et financiarisables. Propos qui méritent quelques explications.

Parce que dans la mondialisation, et plus encore dans l’UE, il n’y a plus de frontières il faut se révéler compétitif. Il n’y a plus à nourrir une demande globale qui risquerait de se manifester par un supplément d’importations et de chômage. Il y a à contribuer à la musculation des entreprises et donc concourir à une politique dite d’offre compétitive.

        - Compétitivité par baisse de la pression fiscale

Une façon de procéder est bien évidemment la baisse de la pression fiscale, laquelle augmente directement les marges et au final la rentabilité globale. De ce point de vue les Etats qui ont perdu leurs frontières maintiennent encore la distinction entre  un « dedans » et un « dehors », ce qui entraine leur mise en concurrence dans la course à la baisse de la pression fiscale. La concurrence entre les entreprises est aussi une course aux fins d’amaigrissement des Etats. Et de ce point de vue la bataille est rude pour empêcher une cartellisation des Etats lesquels verraient possiblement un intérêt à ce que, par exemple, les bénéfices soient imposés proportionnellement à l’endroit où les ventes sont réalisées. De ce point de vue le Cartel du pétrole (OPEP) est plus facile à réaliser que celui de la fiscalité. Et mêmes les tentatives européennes nouvelle (emprunt européen) ne sont pas des « moments hamiltoniens ». La cartellisation des Etats est d’autant plus difficile qu’il y a désormais libre circulation du capital, ce qui met en concurrence près de 200 Etats travaillés par une industrie de la finance employant plusieurs milliers d’avocats, comptables, consultants, tournés vers l’aide des plus fortunés et des moins scrupuleux.

Dans ce contexte l’Etat français n’a pas cherché à cartelliser et s’est plié à la nouvelle logique : baisse des impôts sur les bénéfices, baisse des impôts de production, affaissement de la fiscalité sur le capital, CICE, acceptation des « délocalisations fiscales » y compris à l’intérieur de l’UE (Irlande, Luxembourg), etc. L’Etat français ira même au-delà et pratiquera ouvertement une politique de baisse des charges sociales le tout agrémenté d’une politique de subventions sous formes diverses et totalisant selon REXCODE entre 6 et 9,6% du PIB, ce qui est considérable[8].

Et la pression s’accroit dans un contexte européen qui procédé par élargissement et non par approfondissement. Ainsi le passage à 27 Etats en 2004 devait accroitre la pression sur la compétitivité par l’adjonction d’Etats (pays de l’Est) aux normes salariales très inférieures à celles de l’Europe occidentale. Que dire de l’accueil de l’Ukraine dont on voit déjà les problèmes posés par une compétitivité agricole très supérieure à celle de la Pologne, de la Hongrie, etc. ? Au total, la recherche de compétitivité par baisse des prélèvements fiscaux est et sera toujours insuffisante…La seule voie possible étant la cartellisation et la perspective d’un grand Etat mondial. Hypothèse très irréaliste…

            -Compétitivité par baisse de la dépense publique

Elle est à priori encore plus difficile à réaliser car électoralement plus dangereuse. Il s’agit ici de diminuer le périmètre de l’Etat Providence : réduction/ financiarisation des prestations sociales, réduction/privatisation/financiarisation des services publics, privatisation/financiarisation du système de santé. Dans ce cas l’Etat gère une politique de l’offre en se retirant et en offrant des parts de marché à l’offre privée. De quoi retrouver le député/ économiste Frédéric Bastiat dans son combat contre les Etats au 19ième siècle.

 C’est bien évidemment le cas du marché de l’électricité venu largement détruire EDF[9]. C’est le cas du système de soins avec retrait des structures publiques qui se cantonnent aux cas difficiles- d’où ce qu’on appelle la « dégradation du service public »- et élargissement continu des structures financières, type capital- investissements, qui sélectionnent leurs activités (Zöi est un bel exemple des start-up de l’e santé). Par lobbying très actif, notamment auprès des autorités européennes, les apporteurs de capitaux ont réussi à prendre le contrôle de structures dont la réglementation imposait jusqu’ici la direction par des professionnels de santé[10]. De quoi transformer demain des médecins ou dentistes en « cadres moyens taylorisés» de structures entièrement financiarisées[11]. Dans la pratique, nombre d’établissements sont ainsi privatisés et participent à l’émergence de grands groupes complètement financiarisés (Ramsay). C’est le cas des cliniques, de nombreux EHPAD et d’une partie de la sphère médicosociale. Plus globalement encore c’est le cas des Partenariats publics privés (PPP)[12] Notons toutefois qu’il s’agit le plus souvent de fausses privatisations, les structures correspondantes jouissant d’une enveloppe  juridique privée alors que le financement reste largement public. Comme quoi le retrait du périmètre des Etats est une opération très difficile : à la ponction financière sur les déficits, vient s’ajouter la ponction  sur les fausses privatisations (pensons par exemple à Orpéa).

Pour des raisons aussi culturelles[13] déjà entrevues sur le blog la France se trouve en particulière difficulté dans une course à la baisse de la dépense publique qu’elle n’arrive pas à concrétiser : augmentation des emplois publics locaux qui pour beaucoup correspondent à une forme du traitement social des effets du chômage industriel, et surtout augmentation considérable des dépenses de santé et de retraites provoquées par le vieillissement de la population. A cela il faut ajouter que les efforts de rationalisation/privatisation se sont déroulées par développement d'une considérable bureaucratie  que l'on retrouve dans nombre de branches et surtout dans les dépenses dites sociales, en sorte que le front office visible est devenu handicapé par la lourdeur croissante du  back office invisible ( "marché de l'énergie", Hôpital, social, médicosocial, etc.). Comme quoi des gains de productivité microéconomiques espérés sont engloutis par les pertes de productivité non comptabilisées à l’échelle micro économique[14]. Ajoutons qu’il existe des cas d’organisations qui relèvent de la dépense publique et qui vont fonctionner à rendements décroissants sur de très longues durées (facultés de médecines qui en France, par le biais du numérus clausus, vont produire de moins en moins de médecins pour des couts de plus en plus élevé). Nos pourrions multiplier les exemples à l’infini.

 Au total les dépenses de l’Etat régalien sont durablement stabilisées voire en diminution (pensons à l’armée), ce qui pour une population en croissance correspond à une dégradation du service public (pensons aussi à la justice). Par contre celles de l’Etat social augmentent malgré les tentatives de rationalisation/ privatisation. Ainsi on passe de 266,9 à 317,7 milliards d’euros entre 2019 et 2022 pour les dépenses de santé, et de 346 à 375,6 milliards d’euros entre les mêmes dates pour les dépenses de retraites. Plus globalement les dépenses de protection sociales passent de 761 à 849 milliards d’euros entre ces mêmes dates et représentent aujourd’hui près de 33% du PIB.

 3 Une gestion budgétaire dépassée à dépasser

La grande transformation de la gestion budgétaire se solde pour la France par une baisse de la pression fiscale nette de subventions et une impossibilité de voir baisser la dépense publique malgré les tentatives de rationalisation/privatisation et les difficiles réformes des retraites. Il en résulte un déficit budgétaire constant, considérable, et donc difficilement gérable. Globalement l’Etat français cherche à jouer le jeu de la compétitivité mais la démarche est quasi-impossible dans le contexte mondialiste et européiste d’un interdit de solidarité entre Etats, et d’un mur électoral qui interdit une dévaluation massive des retraites dont les titulaires représentent 40% des électeurs, dévaluation couplée à une autre tout aussi massive correspondant aux dépenses de soins. Le modèle culturel français vient ici bloquer le politique dans son aventure mondialiste et européiste.

Globalement l’Etat français ne peut faire face à l’impératif de compétitivité tout en prenant des risques au regard d’un déficit public beaucoup plus élevé que dans le reste de l’UE. Sa dette publique est encore appréciée dans sa fonction de collatéralisation « sûre » dans les contrats financiers[15], mais tend à devenir trop élevée. La France est donc bien dans une nasse, une situation où elle se trouve désarmée face aux immenses contraintes géopolitiques et environnementales[16] dans laquelle elle se situe parmi d’autres pays qui ne sont pas dans une situation significativement meilleure. C’est la raison pour laquelle nous retrouvons le projet/programme de changement radical de paradigme exposé dans « Construire la colonne vertébrale d’une France renaissante »[17]

Cela passe comme exposé dans l’article susvisé par la disparition autoritaire de la dépendance financière, le retour d’un Etat créateur de monnaie[18]…qui ménage l’euro en raison des contraintes géopolitiques majeures du moment. Un tel dispositif, qu’il faut évidemment négocier, déplace les contraintes sur un nécessaire équilibre des comptes extérieurs à coconstruire dans une coopération entre nations souveraines. Simultanément il rendrait plus réaliste un processus de coopération avec une Ukraine qui ne peut sérieusement, même à long terme, intégrer une UE dans son architecture institutionnelle présente.

 

                                                                             Jean Claude Werrebrouck

 

[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/01/construire-la-colonne-vertebrale-d-une-france-renaissante.html

[2] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/la-reconstruction-passe-par-une-bonne-dose-de-de-financiarisation.html. D’une certaine façon nous entrons dans le schémas du « catastrophisme éclairé » cher à Jean- Pierre Dupuy. Il s’agit obligatoirement de se munir d’investissements de protection contre des évènements inéluctables dont l’émergence doit- être bloquée. Cf son ouvrage : « Pour un catastrophisme éclairé, quand l’impossible est certain » ; seuil ;2002.

[3] Soulignons que la hausse du taux d’épargne (16% contre 14 avant la pandémie) et celle des marges (32,5% de la valeur ajoutée) sont très loin des pharaoniques besoins d’investissements.

[4] http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/le-socle-de-tout-programme-electoral-serieux.html

[5] http://www.lacrisedesannees2010.com/2021/12/le-redressement-de-la-france.html

[6] Il est selon la règlement 648/2012 – directive dite « EMIR »- la matière première de base exigée dans les chambres de compensation sur tous les dérivés.

[7] Cf les règles budgétaires de l’UE.

[8] Le Vade-Mecum des aides d’Etats est aujourd’hui un livre comportant 338 pages.

[9] On pourra ici se reporter sur tous les articles du blog consacré à l’électricité. Voir notamment : http://www.lacrisedesannees2010.com/2022/10/edf-la-dialectique-du-demantelement-et-de-la-nationalisation.html. L’ARENH est effectivement un transfert de valeur du secteur publics vers des structures privées dont l’activité est essentiellement spéculatives sur un marché administrativement imaginé.

[10][10] Loi du 13 juillet 1975, article L753-760 et décision de la cour de justice européenne du 16 décembre 2010

[11] Les start-up e-santé se disent encore bloquées par la difficulté de remboursement des actes. Pour autant elles mobilisent un effectif croissant de médecins rares retirés à la médecine classique.

[12] On trouvera une analyse précise des difficultés des PPP dans le N°163 (2017) de la Revue Française  d’Administration publique: « Une arme à double tranchant ? Le recours aux partenariats publics privés et la maitrise des risques budgétaires ».

[13]http://www.lacrisedesannees2010.com/2020/04/pour-sortir-de-la-crise-mettre-fin-a-la-schizophrenie-de-la-france.html.  http://www.lacrisedesannees2010.com/article-independance-des-banques-centrales-et-paradigmes-culturels-117604632.html

[14] Ce faisant nous retrouvons ici les travaux d’Ivan Illich avec ses grands concepts de « contre productivité » et de « vitesse généralisée » et  avec la distinction entre production autonome et production hétéronome, cette dernière finissant par devenir obstacle à la réalisation des objectifs qu’elle est censée servir. (Cf ses « œuvres complètes » publiées chez Fayard en 2004 et 2005)

[15] CF la directive EMIR déjà citée.

[16] Des risques qui se multiplient avec de graves conséquences sur l’économie internationale mesurées par le FMI lequel recense aujourd’hui 3000 obstacles contre seulement 700 en 2017. Des conséquences jusqu’ici peu anticipées par les marchés financiers dont les indices de perception des risques sont jusqu’ici relativement stables et modérés. En particulier l’indice de volatilité (VIX) reste très bas en ce début d’année.

 

[18] Un peu comme le propose la très américaine « Théorie Monétaire Moderne » avec Stephanie Kelton dans son ouvrage: « Le Mythe du déficit » (Les Liens qui libèrent, 2021) ou d’une  façon plus classique avec Jezabel Couppey Soubeyrand dans son futur ouvrage chez le même éditeur : « Le pouvoir de la monnaie », ouvrage co écrit avec Pierre De Landre et Augustin Sersiron. Publication ce 17 janvier 2024.

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