Il était une fois une Allemagne fort mécontente du comportement d’une banque centrale européenne dont elle était le principal actionnaire. Cette dernière avait pris l’habitude d’accumuler à l’actif de son bilan des dettes publiques grecques que l’on disait de nulle valeur.
Furieuse, l’Allemagne voulut sortir du capital de la BCE. Petit problème : la BCE n’était pas cotée en bourse et les avoirs allemands à la BCE risquaient de ne point trouver preneurs. La BCE qui ne souhaitait faire de mal à personne pouvait choisir de créditer le compte du Trésor allemand ou, plus encore, remettre à la chancelière allemande des liasses de billets de banques dont la somme correspondait au capital devant être récupéré….Nul ne sait quelle solution fut choisie par l’intrépide Banque centrale…. Bien sûr une folle histoire….
Quittons-la pour toutefois en retirer quelque enseignement. Si un tel comportement était validé, à supposer qu’il soit juridiquement pensable, on assisterait alors à la démonstration que les banques centrales n’ont nul besoin de capitaux propres… et que les Etats peuvent faire l’économie d’une dépense inutile.
Bien évidemment on comprend que, dans la réalité, les banques centrales ont toujours disposé de capitaux propres. C’est que leur histoire n’est pas celle de la BCE, que beaucoup étaient privées à leur naissance et que certaines le sont restées. On comprend aussi qu’historiquement, instrument de sécurisation des échanges monétaires entre banques, il apparaissait peu pensable que cet outil puisse donner lieu au suicide de ses actionnaires : il ne fallait pas acheter aux banques de second rang des actifs douteux venant manger les capitaux propres, lesquels constituaient les avoirs des vrais capitalistes financiers de l’époque. En France ce qu’on appelait les 200 familles…
Toutefois notre petit exemple fort naïf révèle un vrai problème : Dans un système public, celui d’aujourd’hui, La BCE n’a pas besoin de ses encombrants actionnaires, notamment allemands… n’a pas besoin de capitaux propres indûment exposés à des actifs pourris… Et donc sa recapitalisation potentielle en raison des éventuelles bêtises commises par ses dirigeants n’a strictement aucun sens. Ajoutons que les frayeurs impulsées par la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe ne sont que des inventions propres à faire peur, (aux Etats impécunieux du sud qui doivent se débrouiller), ou rassurer (les rentiers allemands inquiets d’une démographie moribonde).
Le vrai problème consiste donc à voir pourquoi la BCE est comptablement présentée comme une banque classique. Ce qu’elle n’est pas en raison de son statut de prêteur en dernier ressort.
Car fort concrètement, on l’a bien compris, la BCE pourrait payer ses créanciers, les Etats soucieux de quitter le capital de la banque avec… ô scandale …de la dette qu’elle détient à son actif, c’est-à-dire avec une créance sur autrui. Par exemple, le gouvernement allemand souhaitant sortir du capital de la BCE se ferait payer avec de la dette publique grecque… Bien sûr, il n’acceptera pas et la Banque pourra alors le rembourser avec des billets qu’elle imprime. Elle pourrait ainsi rembourser tous ses actionnaires en billets. En théorie, ils seraient pleinement satisfaits d’être payés dans l’actif le plus liquide qui existe. Tout ceci pour dire, et pour confirmer, qu’une banque centrale moderne n’a pas besoin de capitaux propres.
Une grande question serait d’étudier comment se passeraient les choses s’il n’y avait pas de contrainte de passif juridiquement imposé. A priori il y aurait inflation puisque déresponsabilisation complète de tous les acteurs. Et même avec interdiction de l’achat direct de dette publique, on comprend que les banques seraient déresponsabilisées et, au-delà, la banque centrale participerait à cette course à la déresponsabilisation.
L‘émission monétaire pourrait théoriquement devenir infinie : aucune banque, même celles en position difficile sur la marché monétaire, ne serait limitée dans l’octroi de crédit toujours renégociable auprès de la banque centrale qui, elle-même, ferait jouer son pouvoir illimité de création monétaire. Inflation…. mais probablement croissance par forte demande de capital et sans doute de consommation.
Le fait de donner aux banques centrales les apparences comptables d’une banque de second rang peut donc avoir du sens : l’empêcher de reporter sur la collectivité les vicissitudes du crédit. En même temps, le fait de la rendre moins libre qu’une banque de second rang en l’empêchant d’acheter directement de la dette publique entraine les mêmes effets : rationner les Etats dans leur quête de crédits nouveaux.
Pour autant il peut exister des moyens moins onéreux. Point n’est besoin de disposer des vêtements comptables des banques classiques et gaspiller des capitaux propres inutiles –donc mauvaise allocation des ressources selon le langage des économistes- il suffirait de ne retenir que la responsabilité personnelle des dirigeants de la banque centrale. Pourquoi le choix d’un capital important à mobiliser au lieu d’un simple alinéa dans un contrat de travail ?
Ce qu’il faut retenir de notre petite histoire :
1. L’indépendance des banques centrales est bien le retrait du politique sur la création monétaire, ce qui est une innovation majeure pour nombre d’Etats. Le choix de capitaux propres contre celui de la responsabilisation du gouverneur est le signe du retrait.
2. Cette indépendance se fait au prix d’une mauvaise affectation des ressources : les capitaux propres de la BCE sont techniquement inutiles.
3. Le retrait du politique n’est pas sa disparition mais un nouveau fonctionnement privilégiant la stabilité monétaire au détriment de l’investissement
4. Le dispositif institutionnel mis en place joue sur la peur : celui de devoir faire payer le contribuable national en cas d’évaporation des capitaux propres. Et donc : techniquement inutiles, les capitaux propres sont politiquement fondamentaux.
5. Parce que, techniquement inutiles, ils n’empêchent pas la BCE de faire grossir son bilan par monétisation immodérée d’un ensemble gigantesque d’actifs douteux. Discipline pour les Etats mais goinfrerie illimitée pour le système financier.
6. La contrainte de bilan de la BCE étant pure fiction -une spécificité qui n’a pas été clairement perçue par l’Allemagne lors de la naissance de l’euro-système- celle des banques de second rang peut le devenir tout autant. D’où une croissance du système financier beaucoup plus rapide que le reste de l’économie où les contraintes de bilan n’ont pas changé.
7. Le passage à un système de monnaie pleine ou 100% monnaie ne peut se concevoir que par la fin de l’indépendance des banques centrales.
Ces conclusions sérieuses, issues d’une histoire qui ne l’était pas, mériteraient d’être diffusées :
Non Messieurs les Allemands il n’y a pas à craindre l’évaporation des capitaux propres de la BCE. En évoquant régulièrement le risque de devoir recapitaliser la Banque centrale, vous cherchez surtout à vous prémunir d’une inflation que vos partenaires européens redoutent moins.