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1 avril 2019 1 01 /04 /avril /2019 09:27

La vidéo proposée ci-dessous nous semble une bonne piste d’entrée pour aborder la question de l’engourdissement de l’Occident dans ce premier tiers du 21ième siècle.

Nous invitons le lecteur à visionner une ou deux fois la bande et à revenir au présent texte pour aborder les corrections qui nous semblent nécessaires et les questions complémentaires qui s’y rattachent.

L’idée de comparer les taux de marché à ce que Wicksell appelait le taux naturel de l’intérêt est intéressante. Il est exact de considérer que ce dernier taux correspond approximativement à la rentabilité au sein de l’économie réelle. Ce taux souvent repris dans certaines publications de la Banque de France était fixé par son auteur dans l’hypothèse d’un équilibre du marché des biens et des services et donc de celui de l’égalité de l’épargne et de l’Investissement. Compte tenu de l’élasticité considérable du système financier aujourd’hui, il est maintenant habituellement défini comme étant le taux impliquant ni hausse ni baisse d’inflation. Plus simplement et plus habituellement, il est souvent admis que  le taux naturel est le taux de rendement marginal du capital

On comprend aisément que la décision d’investir relève de la simple comparaison entre taux constaté sur le marché bancaire et rendement du capital dans l’économie réelle. Si dans un espace concret, le taux de l’intérêt est inférieur au rendement du capital, on comprend qu’il est intéressant d’investir avec pour effet une économie en croissance…sous réserve, bien sûr, de disponibilités de facteurs de la production. Si maintenant le rendement est égal au taux de l’intérêt, il y a compte tenu du risque de l’investissement, disparition de l’incitation à investir et donc tendance à la stagnation. D’où - à priori- l’intérêt de débattre dans la vidéo de « l’inversion de la courbe des taux », avec la régularité historiquement constatée, qu’à chaque inversion une récession économique se manifeste. Et effectivement le rendement des obligations américaines est récemment devenu égal ou inférieur aux taux à 3 mois tandis, que l’Allemagne émet des titres à 10 ans pour un taux négatif, et qu’enfin le stock mondial de titres souverains à taux négatifs approche les 10000 milliards de dollars…soit près de la moitié du PIB américain.

Mais nous ne pouvons être d’accord avec le raisonnement car manifestement il y a confusion : le taux long évoqué (marché financier) n’a rien à voir avec le rendement du capital (économie réelle) et le renversement de la courbe des taux n’intéresse que le monde financier. Or l’auteur de la vidéo se livre à cette confusion. Logiquement à l’échelle de l’Occident, une entité ramenée pour l’essentiel à l’OCDE, l’écart entre taux bancaire et rendement du capital étant élevé, l’investissement devrait être considérable et la croissance élevée, ce qui n’est pas le cas. Particulièrement en ce qui concerne la zone euro.

Cette anomalie pourrait à priori être expliquée par la faible profitabilité du système bancaire lequel, créateur de monnaie gratuite, est aussi victime de taux de marché réduit avec comme résultat une maladie de l’industrie de l’épargne. Cette faible profitabilité est par ailleurs renforcée par la réglementation de Bâle 3, qui oblige le système bancaire à détenir davantage de réserves de liquidité et des obligations sans risques (dettes publiques à faible rendement). Cette même régulation impose une forte hausse des fonds propres (7,5% du bilan en 2005 contre 9,5% en 2018). Toutefois une  explication par la faible profitabilité n’est guère convaincante et l’indicateur de faible profitabilité, qu’est la fort basse capitalisation boursière du système bancaire, a surtout pour origine le maintien d’actifs pourris, notamment en Italie, en Espagne et bien sûr en Allemagne avec le cas de Deutsche Bank. On sait aussi que ce très faible cours boursier empêche les banques européennes de se recapitaliser : le cout du capital est trop élevé. Mais cette faiblesse n’est nullement convaincante car le fantastique développement du shadow banking fut un moyen d’échapper à l’espace règlementé tout en bénéficiant de la création monétaire des banques auxquelles le dit shadow banking  reste adossé. En clair la banque dit « de l’ombre » est venue corriger les difficultés du système bancaire et la faiblesse des taux est très largement compensée, voire utilisée pour des activités spéculatives fort éloignées de l’investissement. Au total L’anomalie de la faiblesse de l’investissement dans l’économie réelle, en particulier dans la zone euro, n’est donc pas levée par de possibles difficultés financières.

Pour tenter de comprendre l’anomalie il faut considérer que l’espace entre taux bancaire et taux de rendement marginal du capital est occupé soit plutôt par de l’investissement réel, soit plutôt par de la spéculation, soit enfin par un mix équilibré des deux. Aujourd’hui l’investissement réel est faible et se trouve remplacé par la spéculation, ce qu’on appelle « l’hypertrophie financière », une hypertrophie qui se repère dans le poids croissant de la finance dans le PIB (quasi doublement aux USA entre 1980 et 2006). Pour autant finance et économie réelle ne s’opposent pas nécessairement, et il est clair que la mondialisation et la fin des taux de change fixes, exigent une sécurisation accrue de l’économie réelle par l’irruption de la finance. Quand une entreprise industrielle quitte un marché national pour se déployer vers un espace mondial, la question des monnaies devient un souci majeur. Plus les chaines de la valeur sont longues et plus les risques, notamment de change doivent être couverts par des produit financiers de plus en plus sophistiqués, lesquels donnent lieu à des marchés dont on recherche la liquidité par la taille et la présence de très nombreux acteurs financiers. En retour, la sécurisation de plus en plus recherchée est couteuse et les produits financiers viennent capter la valeur ajoutée d’une économie réelle adossée aux risques de la mondialisation. Il doit par conséquent exister une combinaison optimale  « d’économie réelle » et de finance, une combinaison qui devrait en théorie être celle qui maximise la croissance économique. Au-delà du problème des banques, disposer d’un taux d’intérêt très faible n’est donc pas à priori une difficulté pour la finance, laquelle voit dans ce taux une matière première bon marché pour son travail de sécurisation de l’économie réelle mondialisée…une sécurisation assurée au moindre cout…pour ladite économie réelle.

Si donc l’investissement  est si faible dans cette économie, c’est aussi probablement parce que le rendement marginal du capital devient inférieur à celui des investissements financiers. D’où les dérives du private equity, l’endettement massif pour des rachats d’actions eux-mêmes massifs (1000 milliards de dollars pour les entreprises américaines en 2018), la transformation du métier de banquier devenu trader très éloigné de l’évaluation du rendement d’un investissement de PME industrielle, etc. Cette hypothèse de baisse du rendement marginal du capital nous renvoie d’ailleurs à celle de l’inefficacité des politiques monétaires complaisantes avancée par nombre d’économistes : la croissance ne provient pas de facilités monétaires, et s’inscrit d’abord dans un potentiel fait de ressources disponibles dont- entre autres- celles de la qualification des travailleurs. Exprimé autrement, le trop plein d’épargne réelle ou fictive ne règle pas la question du trop peu d’investissements.

De fait la mondialisation initiée par l’Occident va entrainer des difficultés de croissance dans tous les pays correspondants et ce au bénéfice des émergents. La concurrence des bas salaires de ces derniers impulse une forte modération salariale dans les pays occidentaux, modération aggravée par la conjonction d’autres facteurs : désyndicalisation, hausse de l’intensité capitalistique, et apparition massive d’entreprises à fortes rentes d’innovation et de monopole bénéficiant du principe du « winer takes all » (nouvelles technologies). Au total le salaire réel ne suit plus la productivité par tête. Sur une base 100 en 1995 pour l’OCDE, la productivité par tête passe à 138 en 2018 tandis que les salaires réels ne passent qu’à 118. Prix à l’importation contenus par effet de mondialisation, et faiblesse de la masse salariale (cette dernière baisse de 2,5% de PIB dans l’OCDE entre 2000 et 2018) entrainent une inflation très faible. En retour cela justifie une politique monétaire expansionniste, donc de taux faibles de la part des banques centrales, taux qui génèrent des opportunités d’endettement plus risqués. Ainsi l’endettement des ménages de l’OCDE passe de 60% du PIB en 1990 à 70% en 2018 en étant passé à 8O% en 2008, alors même que la masse salariale baisse de 2,5 points dans le même temps. La limitation de la demande globale qui va lui correspondre ne justifie pas de forts investissements dans l’économie réelle, d’où un taux d’autofinancement anormalement élevé : le ratio de cash flow à l’investissement devient supérieur à 100% alors qu’il n’était que de 75% en 2000.

Les liquidités disponibles deviennent considérables et fort mal utilisées : la dette se substitue aux salaires, ne se transforme pas facilement en investissements et donc se déploie dans ce qui est  partiellement improductif : la finance et la spéculation. La tendance au rapprochement du taux naturel de wicksell et du taux bancaire est inscrite dans le jeu des acteurs. Les dettes publiques et privées augmentent et correspondent de moins en moins à des investissements publics et privés réels.

Et quand l’Occident s’enlise dans une mer de liquidités pour : sauver ses banques, accélérer les mouvements de fusion/acquisition sans investissements et donc sans croissance autre que la revalorisation des actifs, permettre sans limite des rachats d’actions, etc. ; la Chine, elle, équipée d’un Etat fort transforme son épargne en investissements réels, lesquels viendront demain bousculer les vestiges de ce qui fut la gloire dudit Occident

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commentaires

B
Samedi 6 avril 2019 est un jour historique.<br /> <br /> Les citoyens britanniques ont des nouveaux passeports : dorénavant, ces nouveaux passeports ne comportent plus la mention « Union Européenne ». Le nouveau passeport est celui à gauche de la photo :<br /> <br /> https://media.lesechos.com/api/v1/images/view/5ca86138d286c256200211cd/660w/0601038574290-web-tete.jpg
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