Le programme du parti socialiste publié le 5 Avril dernier, prévoit la création d’une banque publique d’investissement. Son architecture juridique n’est pas précisée. Toutefois, on lit dans le programme qu’elle sera « financée efficacement, mobilisable rapidement, délimitée territorialement sous forme de fonds régionaux, adossée à la Caisse des Dépôts, à la Banque de France, au Fonds Stratégique d’investissements, ou encore à OSEO ». Ses moyens ne sont pas non plus précisés. Toutefois, au vu de l’ambition, on peut les supposer considérables. C’est qu’elle semble devoir être le socle d’une « Politique industrielle pour la nation » permettant à l’Etat, assisté d’un « Comité Prospectif » - nouveau Conseil National de la Résistance ?- de redevenir « stratège » ou « pilote industriel ». Et missions qui se déclinent en de nombreux axes : « favoriser la constitution d’entreprises de taille intermédiaires » (de 250 à 5000 salariés avec apport possible de capital) ; « investir dans les secteurs d’avenir », lesquels figurent dans le projet sous la forme d’une liste impressionnante ; « prévenir et réparer les dégâts humains et territoriaux de la désindustrialisation » ; s’engager vers « agriculture biologique intensive » ; « investir dans la recherche et la sciences » ; assurer la « relance du programme national de lignes à grandes vitesses » (TGV).
Le lecteur averti peut se poser la question de l’origine des moyens financiers –non chiffrés mais sans doute considérables- et pensera sans doute qu’au vu de la présente situation, la volonté affichée par ailleurs, de réduire l’endettement, même avec quasi disparition des dépenses fiscales, devient mission très difficile. Toutefois, la question est de savoir si les rédacteurs du projet n’ont pas pour ambition de passer à la monétisation, précisément en s’offrant les services d’une banque publique, masquant l’émission monétaire de la banque centrale effectuée à son avantage, et au profit du programme de « l’Etat stratège ». Dans le langage de ce blog, il s’agirait de gérer une partie des dettes nouvelles « en mode hiérarchique » et donc d’abandonner partiellement le « mode marché de gestion de la dette ». C’est ce que laisse penser une autre phrase que l’on trouve dans le programme : « Nous proposons que les dépenses d’avenir utiles à la croissance et à l’emploi bénéficient d’un traitement distinct des autres dépenses ».
Phrase peu claire, mais probablement en congruence avec les idées des partisans de la monétisation, lesquels considèrent que les dépenses publiques courantes, doivent être financées par l’impôt, tandis que les dépenses d’investissement doivent être financées par création monétaire, ce qui est largement le cas des investissements privés sur crédits bancaires. Et ici, dans le cas des investissements de l’Etat « pilote industriel », monétisation directe par la Banque centrale.
Sans nous attarder sur la fort délicate question, du classement des dépenses publiques en dépenses courantes et dépenses d’avenir, on remarquera que la Banque publique d’investissement du projet socialiste peut ressembler à « l’Agence publique d’investissement », telle que prévue dans le texte « financer l’avenir sans creuser la dette », publié et discuté lors d’un séminaire organisé le 30 mars dernier par la Fondation Nicolas Hulot ( www.fnh.org).
Ce dernier texte fait largement référence aux travaux d’André- Jacques Holbecq ,qui ont l’immense mérite, de révéler une possible monétisation , sans entrer directement en contradiction avec l’interdit de l’article 123-1 du traité de Lisbonne. Holbecq prend en effet appui sur l’alinéa 2 du même article, lequel stipule que l’interdit : « ne s’applique pas aux établissements publics de crédit qui, dans le cadre de la mise à disposition de liquidités par les banques centrales, bénéficient , de la part des banques centrales nationales et de la Banque centrale européenne, du même traitement que les établissements privés de crédits ». En clair, la création d’une banque publique d’investissement permet de contourner, au moins l’esprit, du Traité et de bénéficier de la liquidité centrale à coût très faible.
Cet alinéa 2 permet en effet de ne plus discriminer les Etats, lesquels auraient accès à la liquidité centrale à des conditions aussi avantageuses que celles offertes aux banques privées : le prix de la liquidité (taux de la Banque centrale) n’étant augmenté que du coût de fonctionnement de la banque publique. Ce dispositif étudié par la Fondation Nicolas Hulot , a le mérite de répondre, du point de vue de cette institution, à la très grande difficulté de rassembler de gigantesques moyens, pour assurer la transition économique (600 Milliards d’euros entre 2012 et 2020 selon la FNH), dans un contexte d’insolvabilité généralisé.
La présentation détaillée de l’économie générale du dispositif importe peu. Ce qui compte, est qu’effectivement, il est possible de rétablir un Etat « pilote industriel », un Etat « stratège », sans l’automaticité d’une brutale sanction des marchés, et sans heurter frontalement le dogme de l’indépendance de la Banque centrale. C’est qu’en effet, l’introduction d’une banque publique permet l’accès à la liquidité centrale, sans augmenter la dette du Trésor, et donc en principe sans heurter les agences de notation et le marché : l’Etat récupère les marges de manœuvres abandonnées jusqu’ici par des politiques budgétaires restrictives. Au surplus, la nouvelle dette devient complètement nationale et n’est plus soumise aux caprices de la spéculation.
Il existe sans doute des effets pervers, avec en premier lieu, la possible émergence d’anticipations inflationnistes justifiées par l’augmentation de la base monétaire. Si aucune donnée économétrique sérieuse ne fait le lien entre la croissance du PIB et la croissance de la base monétaire, il est vrai que la nouvelle liquidité viendrait s’ajouter à celle engendrée par les déficits publics, et que cette nouvelle liquidité abonderait les dépôts bancaires, avec de possibles effets de second tour sur la création monétaire privée.
Dans un tel scénario, il s’ensuivrait assez logiquement une hausse des taux sur la dette publique nouvelle, une augmentation des charges de remboursement de la dette, une baisse des cours sur les marchés secondaires et une dégradation des bilans bancaires. Ce scénario verrait ses conséquences amplifiées si la stratégie de contournement, ainsi amenée par un parti socialiste au pouvoir, décidé à changer réellement le cours des choses, était contestée avec force par les partenaires de la zone, avec de possibles effets sur le cours de l’euro. Maintenant- sous la pression mimétique des rentiers les plus conscients de l’enjeu- la peur de voir se développer une contestation beaucoup plus radicale du traité de Lisbonne, pourrait aggraver les effets pervers déjà signalés. Avec la mise sur le devant de la scène de l'identité du payeur final : le contribuable utilisateur des services publics, ou le rentier qui se gave de dettes publiques?
Autant d’hypothèses risquées, voire audacieuses ou mal fondées , tant il est difficile d’anticiper les réactions entrainées, par un dispositif banque public d’investissement, qui serait monté avec la volonté de s’affranchir de la rigueur du Traité.
En revanche, il est opportun d’interroger les rédacteurs du projet sur le non- dit de la Banque publique d’investissement. Le parti socialiste français, est –il prêt à s’engager dans les premières formes de contestation de l’ordre monétaire européen, un ordre dont il avait négocié et fixé les règles avec le partenaire allemand voici près de 25 ans ? Réforme d’un traité constitutionnel pour risquer un avenir, ou réforme de la Constitution pour vitrifier le caractère restrictif des politiques budgétaires ? Aux marchés politiques d’en décider.