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30 juillet 2018 1 30 /07 /juillet /2018 16:12

Le grand philosophe allemand Habermas prétend dans un article du Monde publié le 29 juillet dernier que la montée du populisme de droite provient de l’absence de volonté politique en Europe.

Le début de l’article rappelle fort logiquement que loin d’homogénéïser les situations économiques des divers pays de l’Euro zone, le fonctionnement de la monnaie unique développe inéluctablement la course vers la désagrégation. Le remède est connu et se trouve fait de transferts des pays excédentaires vers les pays en difficultés, ce qui suppose la construction d’une unité politique. De ce point de vue Habermas est en désaccord complet avec la politique allemande qui n’accepte à aucun prix l’idée d’un réel budget fédéral capable de matérialiser les transferts.

Là où les choses se compliquent c’est lorsqu’il croit devoir s’appuyer sur des travaux sociologiques allemands pour montrer que l’idée d’Europe politique serait une perspective déjà bien admise dans les populations concernées. C’est ainsi qu’il met en avant les derniers travaux de Jürgen Gerhards qui, dans un ouvrage récent : « Social Class and transnational Human Capital »[1] développe, chiffres à l’appui, l’idée qu’une conscience européenne cohabiterait et commencerait à déborder une conscience nationale. Plus encore, des politiques de redistribution transnationales seraient bien admises par les populations concernées. De ce point de vue, la réalité politique ne rejoindrait pas la réalité sociologique et le prix de ce décalage serait un abandon des politiques de redistribution interne et un mécontentement social débouchant sur une montée des populismes.

Il est bien sûr difficile de comprendre pourquoi les marchés politiques ne suivraient pas les désirs des électeurs européens dont une majorité serait prête à passer à l’union politique. Logiquement, à quelques exceptions près toujours envisageables, les partis traditionnels auraient pu renforcer leur pouvoir de marché au niveau national en encourageant la construction d’une Europe politique permettant de préserver et confirmer le modèle social existant. Si tel n’est pas le cas, c’est vraisemblablement qu’une conscience européenne a quelque difficulté à se matérialiser ce qui nous fait retomber sur les travaux de la sociologie allemande.

Jürgen Gerhards développe longuement l’idée que la classe dominante, d’essence évidemment mondialiste, est rejointe par une partie des classes moyennes qui vont de plus en plus éduquer leurs enfants dans l’apprentissage des outils de la mondialisation. Jadis on apprenait la maitrise des concepts de la citoyenneté. Aujourd’hui on apprend la maitrise des concepts porteurs de la mondialisation : matériaux  linguistiques,  normatifs, culturels, etc. Le tout fait, parfois, de séjours universitaires plus ou moins longs. Ce qui est aussi évident, c’est qu’au moins dans la plupart des pays de la zone euro, cet apprentissage nouveau n’est pas le fait de la totalité de la jeunesse mais seulement d’une partie relativement minoritaire (probablement moins de 30% de la population). Le noyau dur de cet apprentissage de la mondialisation est lui-même beaucoup plus réduit. Si l’on prend le programme ERASMUS comme indicateur, on note qu’il n’a concerné dans la première version du projet qu’un étudiant français sur 20. Dans sa nouvelle version en cours (2014/2020) il ne concernera que 5 millions d’étudiants sur un total exprimé en stock cumulé d’environ 40 millions dans l’Europe à 28.

La structure de la population européenne de demain sera ainsi extrêmement hétérogène avec une minorité européiste mais surtout mondialiste, très active car maitrisant les nouveaux outils, qui va cohabiter avec une autre minorité, beaucoup plus passive mais qui n’est pas encore victime de la globalisation. Enfin un troisième groupe complètement victime sera et se trouve déjà entretenu à bas coûts par les importations …produites à l’autre bout du monde par des agents mal rétribués, mais qui eux sont encore employables. Le capital humain transnational de Jürgen Gerhards n’est fait que d’une partie de la population, partie plus ou moins importante selon les Etats, mais partie qui est déjà peu articulée avec le reste de la population de chaque pays. La classe dominante devenue mondialiste n’est en effet plus tenue de rester articulée comme jadis avec les autres classes à l’intérieur de chaque Etat. Jadis dans les entreprises les cadres négociaient avec les ouvriers spécialisés et, de cette dernière, naissait un compromis social. Avec la globalisation et les stratégies parentales proposant aux enfants l’apprentissage des outils et concepts nouveaux, il y a la possibilité de rester dans l’entre soi à l’intérieur de chaque Etat. Faire société, apprendre le vivre ensemble, n’est plus une contrainte et devient un simple choix. Jadis les classes sociales étaient d’une certaine façon complémentaire. Aujourd’hui elles peuvent s’empiler, glisser les unes par rapport aux autres sans jamais se rencontrer. La traduction spatiale d’un tel phénomène est la désagrégation des espaces nationaux dont la France est un très bel exemple : les territoires s’additionnent et font réapparaitre des frontières parfois infranchissables.

Si donc les entrepreneurs politiques européens n’arrivent pas à proposer un cadre politique fédéral et ont beaucoup de mal à se reproduire au pouvoir dans chaque nation, ce n’est pas à cause de leur insouciance ou de leur bêtise, hypothèse d’Habermas, mais en raison qu’il n’est plus possible de « faire société » dans un cadre globalisé…qui a délibérément abandonné, il y a si longtemps, les formes nationales de la monnaie. Et ces entrepreneurs politiques paralysés, impuissants, d’où émanent de leurs entrailles des discours épuisés depuis si longtemps, sont spectateurs de la montée de ce qu’ils appellent les populismes.

Un progrès serait d’imaginer une globalisation avec des barrières monétaires plus ou moins contraignantes qui empêchent la grande dislocation économique à l’intérieur de la zone euro. Dans ce cas, l’Allemagne tant vilipendée par Habermas n’aurait pas à être sollicitée par des transferts, par exemple vers la Grèce, puisque ladite Grèce pourrait réagir à l’invasion des produits allemands sur son territoire par des dévaluations. Du point de vue des marchés politiques allemands, il eut été beaucoup moins coûteux de voir Mercédès, TMKS ou Siemens gênés dans leurs exportations, que de demander aux contribuables de nouveaux impôts au bénéfice des Grecs. Mais il est impossible de revenir sur des choix historiques si lourds de conséquences. Non, monsieur Habermas, ce n’est pas Madame Merkel qui est coupable, c’est l’ensemble du peuple allemand qui est collectivement, consciemment ou non, victime de son aliénation ordo-libérale.

Plus concrètement, ce ne sont pas les traditionnels entrepreneurs politiques européens qui bloquent une avancée vers une Europe respirable pour tous. C’est au contraire le modèle retenu de construction, un modèle qui ne respecte pas les nations. Les choix politiques passés sont désastreux et il appartiendra à ceux que l’on appelle négativement « populistes » de reconstruire. L’espoir d’une Europe vivable est donc la victoire partout où cela est possible des  « populistes ».

 

[1] Ouvrage en collaboration avec Silk Hans et Sören Carlson publié en 2017 ; Routeledge.

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12 juillet 2018 4 12 /07 /juillet /2018 12:36

Emmanuel Macron, meilleur anglophone que votre serviteur, aurait pu profiter de l’article récent qu’un chroniqueur du Financial Times a consacré à la dette publique italienne[1]. John Plender, dont il s’agit, résume en deux phrases quarante années d’Histoire de notre voisine. « J’avais coutume de dire dans les années 80 que l’Italie était une bonne économie entravée par un Etat inopérant. Aujourd’hui, La troisième économie de la zone euro est faible et entravée par une union monétaire dont l’impact est substantiellement néfaste ». On subodore que John Plender n’est pas un de ces journalistes ravis de la crèche européenne.

L’auteur souligne que le revenu par tête en Italie est aujourd’hui inférieur à ce qu’il était au moment de l’incorporation dans l’union monétaire et que les dirigeants politiques ont joué constamment le jeu de l’austérité budgétaire imposée par Bruxelles, au point de réaliser des excédents primaires, ce qui signifie que les dépenses sont inférieures aux recettes, hors intérêts dus sur la dette accumulée.

John Plender aggrave son crime de lèse-majesté européenne quand il nous dit que l’union monétaire a installé un taux de change inapproprié tout particulièrement pour le secteur manufacturier qui souffre d’un « écart de compétitivité de 30 pour cent vis-à-vis de l’Allemagne ». Et il ne voir pas comment réaliser la déflation des salaires qui résorberait cet écart. Par voie de conséquence, l’Italie s’enfonce dans un chômage chronique qui atteint des proportions ravageuses chez les jeunes avec un taux de 35 pour cent.

En dépit des efforts d’austérité accomplis par tous les gouvernements des vingt dernières années sans exception, ce qu’oublient de dire nos médias, l’Etat italien est aujourd’hui affligé d’une dette supérieure à 130% du PIB, la seconde par l’importance de la zone euro. Tous les efforts accomplis entre 2000 et 2008, qui avaient permis de la réduire à 105% du PIB ont été annulés et au-delà par les trois récessions successives qui ont crucifié l’Italie entre 2008 et 2016. Et la seule échappatoire, qui consisterait à monétiser la dette discrètement, est interdite par l’union monétaire qui joue ainsi deux fois son rôle de souricière.

C’est là que le cas de John Plender devient pendable : « Les leçons de l’Histoire ont montré que des niveaux très élevés de dette n’ont pu être que rarement ramenés à des niveaux  acceptables sans une répudiation formelle ou un défaut informel par l’inflation ». L’Angleterre offre un cas exceptionnel de réduction normale de la dette mais il lui a fallu 98 ans pour résorber l’immense dette issue des guerres contre Napoléon, l’Angleterre, première puissance industrielle, bancaire et maritime du monde durant la période concernée ! En sens inverse, l’Italie a pu surmonter la dette issue de la Grande Guerre au prix de deux répudiations partielles prononcées par Mussolini, puis celle provoquée par la Deuxième Guerre Mondiale, grâce à l’inflation.

Nous pouvons tirer la conclusion qu’impose son propos : l’Italie ne peut rembourser sa dette, non plus que la Grèce, le Portugal ou l’Irlande. La France, l’Espagne, la Belgique sont à la merci d’un ralentissement ou d’une récession qui porterait leurs dettes publiques au niveau de l’Italie[2]. Les Européens sont pris au piège qu’ils se sont tendus à eux-mêmes en adoptant l’unification monétaire.

Otages des banques

Encore le procès qui vient d’être fait reste incomplet. L’essentiel des dettes ainsi accumulées au fil du temps se trouve aujourd’hui dans les comptes des grands agents financiers : les fonds de placement, les sociétés d’assurance et les banques. Les banques surtout. La souscription des dettes publiques par les banques est la face cachée de notre Histoire financière récente. Elle s’est faite en deux temps.

Dans un premier temps, il y a près de quarante ans, les banques ont offert  aux Etats de les délivrer de la patate chaude des déficits en prenant ferme leurs nouveaux emprunts. La complicité qui s’est établie ainsi, en arrière-plan du débat officiel, explique entièrement l’inertie des Etats face aux comportements dévoyés de la corporation bancaire : un troc a été passé au terme duquel les gouvernants s’abstenaient de réglementer les activités financières en contrepartie du soutien formel que las banques accordait à leur crédit.

Plus tard, avec la crise de l’euro, la situation de dépendance réciproque des Etats et des banques s’est renforcée sous la conduite de la BCE. Pour sauver les Etats et les banques avec eux, tout en sauvant l’euro, cela va de soi, il a fallu remonter à toute force la valeur des dettes publiques qui s’était affaissée ou effondrée. C’est la raison d’être du Quantitative Easing mené de la main du maître Draghi. Avec l’argent tombé du ciel de la BCE, les banques ont continué à acheter les emprunts nouveaux émis par les Trésors Publics en acceptant les taux les plus bas de l’Histoire. L’Allemagne emprunte aujourd’hui à 0,4%, la France à 0,8%, L’Espagne à 1,3%. Et c’est là la raison pour laquelle les dettes publiques se sont stabilisées dans les pays du Sud. Des Etats potentiellement insolvables sont traités comme les débiteurs les plus fiables qu’on ait jamais vu sur les marchés du crédit. Cherchez l’erreur.

Dans le monde financier, personne n’est dupe de cette manipulation. L’artifice est appelé à se dévoiler dès la prochaine crise. Et l’on imagine mal quel nouvel artifice prévaudra.

Reste la ressource de la mutualisation des dettes publiques de la zone euro, solution que notre président avance avec conviction depuis qu’il est installé à l’Elysée. Elle n’est pas nouvelle puisque certains financiers l’avaient préconisée dès l’éclatement de la crise de l’euro. Cette mutualisation serait assortie d’un contrôle des dépenses à partir de Bruxelles qui marquerait la fin de la souveraineté budgétaire des Etats. Le nerf de la guerre serait dans les mains d’un bureaucrate plus ou moins germanique.

J’aimerais cependant insister sur un point oublié par le débat public. Le mélange des dettes de l’Europe du Sud, du Nord et d’ailleurs rappelle étrangement les CDO, ces titres financiers qui combinaient le subprime rate, le prime rate et d’autres emprunts de qualité intermédiaire, titres qui ont joué un rôle décisif dans la crise financière de 2008. Nous aurions donc une récidive de cet artifice dangereux avec le projet de mutualisation des dettes publiques de la zone euro : le subprime rate grec, italien et portugais, le prime rate allemand et néerlandais, la qualité intermédiaire française et belge entreraient dans la composition de ces nouveaux CDO d’origine publique.

Il s’agit, ni plus, ni moins, de prendre en otages l’économie et le contribuable allemand pour préserver les banques et l’euro, permettant de faire jouer la solidarité financière entre les clochards du Sud et les nantis du Nord. Berlin l’a compris qui a fait obstacle aux demandes de Paris au prix d’une concession sur l’accroissement du budget de l’Union. Mas les demandes du président français trahissent la nature de son projet. Dès lors, de quoi Macron est-il le nom ? D’un militant de l’Europe intégrée ou d’un majordome de la corporation bancaire ? Sans doute une peu les deux, car il incarne cette dialectique de l’idéologie et des intérêts qui est au cœur de l’expérience néolibérale.

                                                                                               Jean-Luc Gréau.

*******

 

 

[1] « Investors set to remain unforgiving on Italian populist’s debt diagnosis » John Plender Financial Times 30 mai 2018.

[2] La récession de 2008 a porté la dette publique française de 65% à 85% du PIB, la crise de la zone euro  l’a porté à près de 100%.

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8 juillet 2018 7 08 /07 /juillet /2018 13:55

On sait que la monnaie unique a fait disparaitre le lien fondamental qui, historiquement, reliait la monnaie à l’Etat. Au moment où des partis eurosceptiques prennent le pouvoir, il n’est pas inutile de rappeler ce fait.  Ce que l’on peut désigner par « big bang » des Etats, c’est-à-dire leur origine et leur naissance se comprend le plus souvent comme un processus faisant apparaitre un lien entre un créancier - le prince - et des débiteurs - les sujets - lien largement confirmé par un objet politique qu’on appellera « monnaie ». Toujours sur le plan historique, cet objet sera du métal précieux contrôlé par le prince, métal qui, par sa suprême liquidité, pourra servir au paiement de mercenaires voire de dettes envers d’autres princes. Le pouvoir, en sélectionnant l’objet servant au paiement des dettes invente déjà ce qui sera ultérieurement le circuit du Trésor. Il faudra payer tout ou partie du montant de l’impôt en métal précieux, lequel redescendra dans la société par la voie de la dépense publique. Une bonne partie de l’histoire monétaire peut se lire au travers de 2 lignes de forces, l’une verticale, celle de l’Etat et de son circuit du Trésor, et celle horizontale des marchands et financiers qui chercheront à utiliser au mieux, voire à contrarier la puissance du prince. Dans ce monde, il est important de contrôler mines de métal et « hôtels des monnaies » qui, de fait, seront les premières banques centrales. A partir de ces dernières, un « seigneuriage » sera d’autant plus facilement prélevé que le métal étant « réserve de valeur » sa thésaurisation potentielle entraine une rareté elle-même accrue par les besoins d’une économie qui se développe.  

Il est important de rappeler cette trop rapide fresque historique pour comprendre le démantèlement des Etats résultant de la construction de « l’euro système ». La banque centrale est devenue un objet séparé des Etats avec l’idée d’indépendance de l’institut d’émission. Mieux, les Etats qui, encore au vingtième siècle, pouvaient partiellement se nourrir de seigneuriage, par exemple les fameuses « avances non remboursables » au Trésor sont devenus des « interdits bancaires ». Chaque Etat dispose d’un compte du Trésor à sa Banque centrale, mais il est interdit à ladite banque de lui accorder un quelconque crédit. Et s’il existe une politique monétaire, elle est le fait d’une institution complètement extérieure, la Banque Centrale européenne qui,  de par sa vocation holistique, ne peut s’adapter aux réalités économiques spécifiques de chacun des pays de la zone.

C’est dans ce contexte qu’il faut imaginer la volonté du nouveau pouvoir italien d’émettre des certificats de Trésorerie, un peu comme jadis les hôtels des Monnaies frappaient le métal. Et le but serait de remédier à une situation économique particulièrement difficile.

De façon très résumée cette situation économique de l’Italie résulte pour l’essentiel d’une stagnation, voire un déclin exceptionnel de la productivité du travail, laquelle passe de 100 en 1996 à 98 en 2018. Soulignons que, dans le même temps la productivité du travail est passée de 100 à 150 aux USA, de 100 à 130 en Grande Bretagne, et de 100 à 120 en Allemagne. Ce fait fondamental, assorti d’un partage des revenus défavorable aux entreprises, explique la faiblesse de la rentabilité du capital, celle de l’investissement et au final la stagnation en longue période du PIB. Stagnation qui entrainera un affaissement international du pays que l’on pourra mesurer par l’évolution relative de sa compétitivité internationale :  hausse de 70% du volume des exportations depuis l’avènement de la monnaie unique, à comparer avec les hausses correspondantes pour la France (130%), ou mieux l’Allemagne (230%). Bien évidemment, on notera une grande corrélation entre ces faits et l’irruption de la monnaie unique, et corrélation aussi entre les dévaluations régulières de la Lire de jadis et l’extraordinaire réussite industrielle italienne jusqu’à la fin des années 80. Une réussite qui se déversait, certes plus modestement, dans le sud du pays grâce à des taux de change tenant compte de l’improductivité relative du sud par rapport au nord. En clair une Italie hétérogène adoptant déjà une monnaie unique pour l’ensemble du pays, mais une monnaie adaptée à la région la moins prospère.

Côté financier,- il faut bien sûr rappeler une dette publique colossale (132% du PIB) et donc un service de la dette venant naturellement s’ajouter aux dépenses publiques. Il faut aussi rappeler un stock élevé de créances douteuses (plusieurs centaines de milliards d’euros) alourdissant les bilans d’un système bancaire fragile.

C’est dans ce contexte que vient l’idée de monnaie parallèle qui, de par son double effet apparent d’instrument supplémentaire de la dépense publique et de réducteur d’imposition, est un point d’accord entre des partis au pouvoir dont les buts sont divergents.

L ’objectif est bien évidemment de renouer avec une croissance forte elle-même nourrie par des gains de productivité élevés issus d’investissements de modernisation tout aussi (quantitativement et qualitativement) importants. Tout aussi évidemment, il s’agit de desserrer les contraintes de la monnaie unique qui, dans le cas italien, imposent un excédent budgétaire primaire très élevé en raison d’un service de la dette très lourd. Contraintes qui entrainent un climat continuellement récessif et le déclin marqué du pays.

La victoire des partis dits « populistes » correspond ainsi à la volonté de mettre fin à cette situation.

Le principe de la monnaie parallèle est alors assez simple : il s’agit de construire un instrument de paiement, qui ne peut être juridiquement interdit par Bruxelles et qui permet de desserrer l’étau de la contrainte budgétaire. Cet instrument est un « bon de Trésorerie » émis par le Trésor lui-même qui servira de paiement de tout ou partie de l’impôt pour son détenteur. Concrètement, l’Etat règle ses engagements (achats, subventions, dette) par des Bons, lesquels - au terme d’une circulation correspondant au monde des affaires - viendront en déduction des montants d’impôts à payer au Trésor. Beaucoup de choses peuvent être imaginées ici : qualité des bons assis sur différents types d’impôts (TVA, Revenu, etc.) échéance du titre (court terme, moyen terme, etc.), qualité des bénéficiaires (investisseurs, producteurs, consommateurs, etc.). On peut aussi imaginer un paiement du service de la dette publique par émission de bons de trésorerie, ce qui revient à diminuer la charge de ladite dette. On peut ainsi imaginer des modalités nombreuses qu’il convient d’instruire en fonction des objectifs et de leur efficience.

Mais beaucoup de questions se posent immédiatement : si le titre est un instrument de paiement, sera -t-il assorti d’un cours légal ? un cours forcé ? Y aura-t-il mécaniquement un marché secondaire du bon de trésorerie ? une « loi de Gresham»? Plus fondamentalement, les défenseurs de l’euro proclameront que le déficit caché ne peut l’être très longtemps puisque la procédure revient à augmenter les dépenses publiques tout en diminuant à terme les prélèvements. On cache le non-respect des traités aujourd’hui… mais ils réapparaitront demain affirment les défenseurs de la monnaie unique.

A ce risque, la réponse est simple et consiste à considérer que la croissance retrouvée permettra des recettes fiscales supérieures au volume des bons en circulation, croissance et réduction du déficit fiscal allant de pair. En allant plus loin dans le concret, on peut imaginer que le supplément de dépense publique, par son effet migratoire, allège successivement les contraintes comptables de toutes les instances productives ou consommatrices. Une commande publique redresse une rentabilité ici… qui permet un règlement de dette là, un crédit ailleurs, un investissement plus loin, etc. De quoi assainir une relation particulièrement complexe en Italie entre banques chargées de créances douteuses et entreprises en difficultés générant les dites créances, une situation qui rappelle un peu celle de l’aveugle et du paralytique. Plus la chaine est longue et plus l’efficience des bons de trésorerie est grande. Inversement plus elle est courte et plus l’efficience est faible.

C’est la raison pour laquelle, dans cette affaire, la confiance est importante : si les bons deviennent une quasi monnaie, l’économie italienne pourra redémarrer. Inversement si la confiance est faible ou fragile l’effet risque d’être catastrophique.

Cette confiance peut- elle -même- être mesurée par la différence entre taux italien et allemand sur la dette publique, ce qu’on appelle le « spread de taux ». Si le lancement des bons de trésorerie réduit le spread de taux, cela signifie qu’il n’y a pas de fuite de capitaux, que la confiance règne, et que rien n’est entrepris pour détruire les effets positifs des bons sur l’activité économique. Dans ce cas le succès est probable et, en longue période, cela peut signifier que le retour de gains importants de productivité peut éviter la dévaluation et le retour de la Lire. Bien entendu cela suppose que ces gains de productivité soient significativement supérieurs à ceux des voisins de l’euro zone et vienne ainsi permettre le maintien de la monnaie unique : l’équivalent d’une quasi dévaluation interne se substituant à une dévaluation externe qui continue de rôder….

Nous ne connaissons pas le chemin qui se dessinera mais il est intéressant de noter que le dispositif qui va peut-être émerger remet en selle des principes radicalement opposés à toutes les croyances et dogmes du monde de la finance. Les bons de trésorerie deviennent une quasi-émission monétaire orchestrée par l’Etat, soit l’équivalent de ce qui existait lorsque banques centrales et Etats ne formaient de fait qu’une seule et même institution. Réalité qui s’oppose au principe devenu planétaire depuis la prise progressive du pouvoir par la finance partout dans le monde et qui a partout exigé l’indépendance des banques centrales et la fin de toute forme de seigneuriage au profit des Etats.

Bien évidemment l’émission de bons risquera très vite, comme nous le suggérons, d’élargir le spread de taux ce qui peut amener le gouvernement italien à mettre en place un contrôle des changes ….et renforcer les doutes… d’où un cercle vicieux possiblement catastrophique. Il faut donc comprendre que logiquement les acteurs du monde de la finance vont entrer en guerre contre le gouvernement italien et, de fait, tenter de le décrédibiliser. L’arme privilégiée étant de proclamer haut et fort que le gouvernement va ruiner les épargnants…

La chose ne sera pourtant pas facile car l’arme en question peut très bien se retourner contre ses utilisateurs si l’Etat italien s’appuie sur une souveraineté réaffirmée. On peut en effet imaginer la contagion suivante :

-la hausse des taux sur la dette italienne débouche sur un contrôle des changes et un essaimage vers les pays les plus endettés (Espagne) ;

- La baisse des cours affaiblit les banques européennes porteuses de dettes italienne (soit selon les chiffres fournis par « l’European Banking Association » près de 25 milliards d’euros de titres  pour les banques espagnoles, 30 milliards d’euros pour les banques françaises… et 172 milliards d’euros pour les banques italiennes) ;

-Mais elle affaiblit aussi- par contamination-  les banques européennes porteuses de dette espagnole ( 13 milliards d’euros pour les banques françaises, 23 milliards pour les banques italiennes …et 211 pour les banques espagnoles) ;

-l’émission de bons de trésorerie entre en difficulté : on ne peut sauver les banques- en crise d’illiquidité- avec de tels titres , et plus encore on ne peut faire face au passif extérieur net (10 % du PIB italien selon NATIXIS) avec ces mêmes titres…tandis que l’Espagne contaminée ne peut honorer ses engagements extérieurs (80% de son PIB selon la même source) ;

- explosion finale de l’euro avec ses conséquences sur tout ou parti des actifs nets extérieurs allemands (60% de son PIB selon NATIXIS), ce qui représente une gigantesque perte en capital pour le pays, auquel il faut ajouter la disparition de sa « compétitivité cout » par une réévaluation élevée (30% ?)

L’exercice assumé de la souveraineté de l’Italie et la panique des marchés sont ainsi porteurs d’un rétablissement des souverainetés chez tous les voisins.

L’ampleur d’un tel processus, sans doute élargi encore par l’énormité des stocks de produits dérivés contaminés, est évidemment connu de nombre d’acteurs et Il est certes possible d’imaginer un autre scénario plus complaisant avec le rétablissement d’un circuit du Trésor en Italie. On peut imaginer une Allemagne, très inquiète devant un risque majeur, devenir réaliste et fermer les yeux sur la monnaie parallèle italienne…qui dès lors essaimerait dans d’autres pays…et finirait par transformer l’euro- quasi-spontanément- en monnaie commune. Un tel dispositif mettrait fin au grand démantèlement des Etats et permettrait à ces derniers de retrouver l’essentiel de leur souveraineté. Le couple monnaie/Etat, momentanément abandonné par l’aventure fort singulière de la monnaie unique, serait reconstitué et permettrait le retour des fondements démocratiques des sociétés européennes.

                                                                                                                      Jean Claude Werrebrouck

 

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7 juin 2018 4 07 /06 /juin /2018 06:38

Le caractère déplorable de la situation économique de l’Italie est maintenant suffisamment connu pour ne pas y revenir. La coalition au pouvoir est très hétéroclite et devra rapidement faire émerger un outil assurant aussi bien la pleine satisfaction de ceux qui souhaitent une diminution de pression fiscale (Ligue) que celle des propagandistes d’une hausse de la dépense publique (cinq étoiles). Cet outil n’est autre qu’une monnaie parallèle dont l’architecture est déjà en discussion. En ce domaine idées et pratiques sont fort anciennes, mais c’est un groupe d’économistes italien sous la direction de Biagio Bossone qui a relancé la question en 2015.

I’objectif est bien évidemment de renouer avec une croissance forte elle-même nourrie par des gains de productivité élevés issus d’investissements de modernisation tout aussi (quantitativement et qualitativement) importants. Tout aussi évidemment, il s’agit de desserrer les contraintes de la monnaie unique qui dans le cas italien imposent un excèdent budgétaire primaire très élevé en raison d’un service de la dette très lourd. Contraintes qui entrainent un climat continuellement récessif avec stagnation voire recul de la productivité et croissance nulle. Et contraintes qui à terme déclassent un pays qui voit son flux d’exportations se rétrécir depuis la naissance de l’euro par rapport à celui de ses voisins immédiats (hausse de seulement 70% du volume des exportations contre hausse de 130% pour la France et 230% pour l’Allemagne)

La victoire des partis dits « populistes » correspond ainsi à la volonté de mettre fin à cette situation.

Le principe de la monnaie parallèle est alors assez simple : il s’agit de construire un instrument de paiement qui ne peut être juridiquement interdit par Bruxelles et qui permet de desserrer l’étau de la contrainte budgétaire. Cet instrument est un « bon de trésorerie » émis par le Trésor lui-même qui servira de paiement de tout ou partie de l’impôt pour son détenteur. Concrètement l’Etat règle ses engagements (achats, subventions, dette) par des Bons, lesquels -au terme d’une circulation correspondant au monde des affaires- viendront en déduction des montants d’impôts à payer au Trésor. Beaucoup de choses peuvent être imaginées ici : qualité des bons assis sur différents types d’impôts (TVA, Revenu, etc.) terme du titre (court terme, moyen terme, etc.), qualité des bénéficiaires ( investisseurs, producteurs, consommateurs, etc.). On peut aussi imaginer un paiement du service de la dette publique par émission de bons de trésorerie, ce qui revient à  diminuer la charge de la dite dette. On peut ainsi imaginer des modalités nombreuses qu’il convient d’instruire en fonction des objectifs et de leur efficience.

Mais beaucoup de questions se posent immédiatement : si le titre est un instrument de paiement, sera  t-il assorti d’un cours légal ? un cours forcé ? Y aura-t-il mécaniquement un marché secondaire du bon de trésorerie ? une loi de «Gresham»? Plus fondamentalement les défenseurs de l’euro proclameront que le déficit caché ne peut l’être très longtemps puisque la procédure revient à augmenter les dépenses publiques tout en diminuant à terme les prélèvements. On cache le non-respect des traités aujourd’hui… mais ils réapparaitront demain disent les défenseurs de la monnaie unique.

A ce risque, la réponse est simple et consiste à considérer que la croissance retrouvée permettra des recettes fiscales supérieures au volume des bons en circulation, croissance et réduction du déficit fiscal allant de pair. En allant plus loin dans le concret, on peut imaginer que le supplément de dépense publique, par son effet migratoire, allège successivement les contraintes comptables de toutes les instances productives. Une commande publique redresse une rentabilité ici… qui permet un règlement de dette là, un crédit ailleurs, un investissement plus loin, etc. De quoi assainir une relation particulièrement complexe en Italie entre banques chargées de créances douteuse et entreprises en difficultés générant lesdites créances. Une situation qui rappelle un peu celle de l’aveugle et du paralytique. Plus la chaine est longue et plus l’efficience des bons de trésorerie est grande. Inversement plus elle est courte et plus l’efficience est faible.

C’est la raison pour laquelle, dans cette affaire, la confiance est importante : si les bons deviennent une quasi monnaie, l’économie italienne pourra redémarrer. Inversement si la confiance est faible ou fragile l’effet risque d’être catastrophique.

Cette confiance peut elle -même être mesurée par la différence entre taux italien et allemand sur la dette publique, ce qu’on appelle le « spread de taux ». Si le lancement des bons de trésorerie réduit le spread de taux, cela signifie qu’il n’y a pas de fuite de capitaux, que la confiance règne, et que rien n’est entrepris pour détruire les effets positifs des bons sur l’activité économique. Dans ce cas le succès est probable et, en longue période, cela peut signifier que le retour de gains importants de productivité peut éviter la dévaluation et le retour de la Lire. Bien entendu cela suppose que ces gains de productivité soient significativement supérieurs à ceux des voisins de l’euro zone et vienne ainsi permettre le maintien de la monnaie unique : l’équivalent d’une quasi dévaluation interne se substituant à une dévaluation externe qui continue de rôder.

Nous ne connaissons pas le chemin qui se dessinera mais il est intéressant de noter que le dispositif qui va peut-être émerger remet en selle des principes radicalement opposés à toutes les croyances et dogmes du monde de la finance. Les bons de trésorerie deviennent une quasi-émission monétaire orchestrée par l’Etat, comme au bon vieux temps où banques centrales et Etats ne formaient de fait qu’une seule et même institution. Réalité qui s’oppose au principe devenu planétaire depuis la prise progressive du pouvoir par la finance partout dans le monde et qui a partout exigé l’indépendance des banques centrales et la fin de toute forme de seigneuriage au profit des Etats. De quoi faire de ces derniers, pourtant souvent propriétaires de leur banque centrale des « interdits bancaires ».

Bien évidemment l’émission de bons risquera très vite, comme nous le suggérons, et avec déjà la grande presse économique qui se manifeste bruyamment, d’éveiller des doutes, ce qui peut amener le gouvernement italien à introduire la fin de la libre circulation du capital….et renforcer les doutes… d’où un cercle vicieux possiblement catastrophique Il faut donc comprendre que logiquement les acteurs du monde de la finance vont entrer en guerre contre le gouvernement italien et, de fait, tenter de le renverser. L’arme privilégiée étant de proclamer haut et fort que le gouvernement va ruiner les épargnants…

Il appartient à tous les citoyens du monde de bien comprendre ce qui risque de se jouer en Italie. Il leur appartient aussi  de se rassembler pour soutenir un gouvernement qui pourrait s’enorgueillir de réanimer des « Lumières » depuis si longtemps disparues.

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13 mai 2018 7 13 /05 /mai /2018 15:59

http://www.lacrisedesannees2010.com/2018/05/un-referendum-d-initiative-populaire-sur-la-monnaie.html

 Les thèmes abordés sont d’une brûlante actualité à un moment où des partis politiques nouveaux vont accéder au pouvoir dans un Etat fondateur de l'Union Européenne avec l’ambition de créer une monnaie parallèle à l’euro, un peu comme l’avait imaginé le ministre des finances Varoufakis en 2015 à Athènes.

Il reste quelques places disponibles à notre colloque du 24 Mai à l’Assemblée nationale. Je rappelle que l’inscription est gratuite et qu’il suffit de nous envoyer vos nom, prénom, date et lieu de naissance afin que les services de l’Assemblée puissent contrôler votre identité. J’ajoute que ces mêmes services n’accepteront pas d’inscription au-delà du 18 mai.

 .

Dernières Inscriptions par mail à l’adresse suivante : miwerrebrouck@nordnet.fr

 

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7 mai 2018 1 07 /05 /mai /2018 05:03

Selon un sondage de la SSR, une majorité relative s’est déclarée en faveur de l’initiative Monnaie pleine en Suisse romande et au Tessin . La Suisse italienne a obtenu 45%  pour et 36%  contre ; la Suisse romande 42%  pour et 27%  contre.
Le sondage confirme clairement la revendication de l’initiative Monnaie pleine : 59% des personnes interrogées veulent que seule la Banque nationale crée le franc suisse. En outre, 62% sont d’avis que la création monétaire des banques commerciales conduit à des bulles risquées. Toutefois, sur l’ensemble de la Suisse, seul 35% des sondés sont pour l’initiative Monnaie pleine.

Les commentateurs de l'initiative Monnaie pleine expliquent  les différences de résultats par le fait que la Suisse alémanique a fait l’objet d’une campagne d’opposition plus agressive que dans les autres régions. Il est difficile de juger mais d'autres paramètres peuvent intervenir. Parmi ces derniers, il nous semble que le facteur culturel est important. Il est très probable que les électeurs de la Suisse alémanique soient équipés du logiciel du peuple allemand, c'est à dire les principes de "l'ordo-libéralisme" qui font de la monnaie un objet qui ne peut être manipulé par l'Etat. La Suisse doit ainsi être régie par des règles procédurales. Cette approche complémentaire peut aussi expliquer pourquoi la campagne électorale est si rude dans cette partie du pays : il doit y avoir, vis à vis de l'Etat, une indépendance complète de la gestion monétaire comme il y a une indépendance complète dans les affaires de justice. Mais cette même approche est elle-même insuffisante car on sait que l'initiative "Monnaie pleine" ne met pas en cause l'indépendance des banques centrales, ce qui est la pierre angulaire de l'ordo-libéralisme. Il est difficile, dans ces conditions, de ne pas penser que le logiciel allemand si bien théorisé par Habermas et les principes qu'il en retire ne sont  pas une magnifique opportunité pour les intérêts supérieurs du système monétaro-financier.

Mais, beaucoup plus important est le fait de constater que le débat en Suisse est aujourd'hui "bruyant", ce qui est un gage de démocratie, même "procédurale", pour reprendre l'expression d'Olivier Mongin. En France, nous sommes informés de beaucoup de choses mais les questions de fond sont savamment mises sur le côté.

Pour conclure,   le thème de notre  colloque du  24 mai prochain est en pleine actualité. Le  colloque est  évidemment gratuit mais  l'inscription est obligatoire. Pour vous inscrire, retournez à l'article ci-dessous et respectez- bien la procédure.

Je rappelle que, pour les étudiants des écoles doctorales, une attestation de présence sera fournie à tous les intéressés. Je rappelle enfin que les hommes politiques, députés, sénateurs, etc. respecteront "l'esprit colloque" c'est-à-dire un échange d'idées sur une question qui dépasse largement les appartenances.

 http://www.lacrisedesannees2010.com/2018/05/un-referendum-d-initiative-populaire-sur-la-monnaie.html

 

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2 mai 2018 3 02 /05 /mai /2018 07:46

      Les citoyens suisses vont pouvoir, dans le cadre d'une votation le 10 juin prochain, se prononcer sur leur régime monétaire : faut-il laisser aux banques le soin de créer la monnaie, ou faut-il réserver cette compétence à la seule banque centrale qui en détiendra le monopole? Les lecteurs du blog savent que la question n'est pas technique et qu'elle est un véritable choix de société. 

Par contre, les lecteurs du blog savent aussi que ce débat est inexistant en France. C'est la raison pour laquelle il nous faut remercier l'Assemblée Nationale qui a bien voulu que nous organisions le colloque consacré à ce thème.   

On trouvera dans la présentation ci-dessous  le programme du colloque.

Important: L'accès à l'Assemblée n'est pas libre. Il est donc obligatoire de s'inscrire par mail à l'adresse suivante: miwerrebrouck@nordnet.fr   en précisant vos nom, prénom, date et lieu de naissance. Ne pas oublier de se munir d'une pièce d'identité car, pour des raisons de sécurité, les personnels de l'Assemblée Nationale vérifieront que vous êtes  bien inscrit au colloque.        

 

                                                           Monnaie et prospérité économique

          Demain : Quelle monnaie pour quel Monde ?

                 Assemblée nationale le 24 mai 2018, 14h/18h

                126, rue de l'Université, salle 6217, Paris 7ème

             (Métro : Assemblée nationale ou Invalides)                   

 

Problématique

La monnaie est-elle, peut-elle, ou doit-elle être un simple moyen neutre d'échange et de réserve ou, aussi, un moyen de gouvernance économique, de prospérité, voire un objet de spéculation ? Dollar, convertibilité-or, crise de l'Euro, explosion de la dette mondiale, spéculations sur le marché monétaire, crise des subprimes, bitcoin, émission monétaire par les banques privées, relance keynésienne, 100% Money...Le référendum constitutionnel suisse d'initiative populaire du 10 juin 2018 sur la ''monnaie pleine'' réactive un débat de fond séculaire : Qui décide et Qui contrôle l'émission monétaire ? Une occasion de reprendre ce débat crucial mais souvent oublié.

Ouverture du séminaire

14h00 - M. Julien AUBERT, député du Vaucluse, membre de la Commission des finances, magistrat à la Cour des Comptes.

- M. Jean-Pierre GERARD, chef d’entreprise, membre honoraire du conseil de la politique monétaire de la Banque de France, président du club des numéros un mondiaux français à l’exportation, Président du G21 et de l’institut POMONE.

Animation générale: Jean Sébastien Ferjou  journaliste et directeur d'ATLANTICO

14h30 1/ Introduction : La monnaie, sa fonction, hier et aujourd’hui

État de la question monétaire. Le rôle de la monnaie dans la cité et dans l'économie, ce qu’elle était, ce qu’elle est devenue, ce qu'elle devrait être ou pas. Dimensions philosophique, historique, juridique, politique, économique.

Intervenants : Henri Temple, Université de Montpellier, et Jean Claude Werrebrouck, Université de Lille

 

15h00 2/ Changement de paradigme : un projet de réforme monétaire

Thèmes abordés : les insuffisances du présent système monétaire, le projet Suisse de refondation, effets attendus, nouveau paradigme de la dette publique, gestion de la phase de transition entre ancien et nouveau système.

Intervenants : Christian Gomez, Docteur en Sciences économiques et ancien dirigeant de banque Suisse ; Gérard Lafay, professeur émérite, Université de  Paris 2 ; Steve Keen, Kingston University de Londres ; Jézabel Couppey Soubeyran, Université de Paris1 Sorbonne; Jean -Marc Heim, juriste, organisateur de l'initiative monnaie pleine en suisse

 

16h15 3/ Une régulation modernisée préférable à un changement de paradigme?

Thèmes abordés : Les risques de la « monnaie pleine » (fin de l’indépendance des banques centrales, fin du libéralisme au profit d’une gestion publique des encours de crédit, destruction des mécanismes d’allocation optimale du capital, fuite des capitaux et contrôles des mouvements de capitaux) ; revisiter et améliorer la régulation bancaire actuelle.

Intervenants : Jean Michel Naulot, ancien banquier et membre du collège de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Henri Sterdyniak économiste à l'OFCE; François Schaller, ex-rédacteur en chef de l’AGEFI et de PME magazine de Genève.

 

17h30 4/ Questions de la salle et débat

 

18h00 Fin du colloque

 

 

 

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19 avril 2018 4 19 /04 /avril /2018 14:06

Le blog de la Banque de France (Eco Notepad) révèle dans un billet en date du 17 avril 2018 en quoi les importations à bas coût ont permis d’accroitre le pouvoir d’achat des français.

L’article signé par Juan Carluccio, Erwan Gautier et Sophie Guilloux-Nefussi nous informe que- pour l’année 2014 - le gain de pouvoir d’achat fut ainsi de 1000 euros par ménage. Un tel calcul n’est probablement pas simple car, entre autres paramètres, il faut s’entendre sur la notion de bas coût et la liste des pays fournisseurs sur lesquels appuyer l’estimation. L’article se voulant scrupuleux dans les limites de son périmètre d’analyse, il aborde également les effets des importations sur la réduction de l’inflation et évoque aussi ceux concernant la compétitivité des entreprises résidentes, qui ont aussi bénéficié de consommations intermédiaires avantageuses. De quoi, en principe, accroitre la valeur ajoutée des dites entreprises.

On aimerait toutefois aller beaucoup plus loin pour avoir une évaluation plus exhaustive des effets de la mondialisation sur la France. Si le pouvoir d’achat a augmenté, cela signifie aussi que le partage des gains de productivité à partir des entreprises résidentes a pu s’opérer davantage en faveur de ces dernières. Les revendications salariales se modèrent mécaniquement si du pouvoir d’achat peut « tomber du ciel ». C’est bien ce que l’on constate lorsque l’on examine en longue période la partage de la valeur ajoutée. Mais un autre effet importe beaucoup : la pression concurrentielle plus élevée fait passer en mode survie des entreprises dont la compétitivité était, avant la mondialisation, plus élevée : De quoi affaisser leur modernisation, donc l’investissement ou leurs capacités exportatrices. C’est ainsi qu’il est souvent affirmé que l’âge moyen de l’outil industriel français serait le double de son équivalent allemand.

Maintenant, la mondialisation ayant mis en place la liberté complète de la circulation du capital, les entreprises résidentes sont aussi invitées à participer au « gâteau des coûts bas » en se démantelant et en planifiant une optimisation permanente de la chaine de la valeur à l’échelle mondiale. Les échanges internationaux étant d’abord des échanges de produits industriels, cela signifie mécaniquement un affaiblissement des bases industrielles du pays. Il est inutile de préciser que la réalité empirique confirme le raisonnement, et il suffit d’avoir en tête l’effondrement de l’industrie automobile française. Cet effondrement est naturellement aussi un effondrement des savoirs locaux correspondants, et une réorientation majeure de l’outil de formation vers le secteur des services. Ce qui signifie aujourd’hui que toute réindustrialisation, si modeste soit-elle, est de fait hors de portée des compétences du pays. D’où les débats sur un chômage structurel qui ne fait que s’élever avec l’impossibilité pour nombre d’entreprises industrielles de faire face à toute augmentation de la demande faute de trouver la main d’œuvre correspondante.

Les activités de service prenant de l’ampleur, les gains globaux de productivité ne peuvent que décroitre ce qui rend plus coûteux nombre de postes de dépenses du budget des ménages et au final une captation des gains des importations nouvelles par des dépenses dites incompressibles. Les effets bénéfiques de la mondialisation sont ainsi mangés par ses conséquences globales sur l’économie résidente.

On pourrait certes, continuer le raisonnement et évoquer une conséquence, il est vrai, très indirecte de la mondialisation.  La construction européenne aurait pu s’opérer sans l’abandon de la souveraineté sur les monnaies.  Le choix d’un modèle réduit et parfait de mondialisation qu’est la zone euro a abouti à renforcer les effets négatifs sur la France : taux de change surévalué qui accroit les gains à l’importation mais affaisse une compétitivité déjà insuffisante.

On pourrait aussi poursuivre le raisonnement en évoquant le solde des emplois (destruction/création) dont on sait qu’il est globalement négatif en raison du déséquilibre extérieur abyssal :

-  en  envisageant les conséquences macroéconomiques et en particulier le poids croissant d’un Etat social qui se gonfle de la gestion de la crise… avec le raisonnement singulier selon lequel le pays ne peut plus se payer un Etat-providence pour faire face à la mondialisation alors que c’est cette dernière qui contribue à le rendre obèse ;

- en évoquant l’emprisonnement dans la mondialisation par effondrement structurel des élasticités/prix à l’importation ;

- en évoquant les questions environnementales liées à la boursouflure des échanges de marchandises, etc.

Certes, les effets complexes que nous ne faisons qu’esquisser, sont probablement semblables à ceux perçus par les autres nations également impliquées dans la mondialisation. Et parfois ces autres nations - il suffit de penser à l’Allemagne- connaissent des résultats globaux plus avantageux.

C’est oublier que ces effets complexes ont pour cadre un faible taux de change pour l’Allemagne (le cours de l’euro est toujours inférieur à ce que serait celui du Mark) et un taux de change trop élevé pour la France ( le cours de l’euro est toujours supérieur à ce que serait celui du Franc). La puissance déstabilisatrice des importations à bas coût est ainsi plus importante avec un taux de change artificiellement élevé et plus faible avec un taux de change artificiellement faible. Et il faut bien parler d’artifice, puisque le cours de la monnaie unique n’est qu’une moyenne, entre des cours de monnaies disparues mais qui continuent de représenter des économies restées ce qu’elles étaient, et qui vont se déformer en restant dans leur principe d’identité.

Ainsi, la France va continuer de  se désindustrialiser massivement et les usines à produire, vont laisser la place aux « usines à vendre » (Grande distribution), tandis que l’Allemagne va très largement maintenir ses usines à produire et ne laisser qu’une place plus limitée pour les « usines à vendre ».

Aborder la mondialisation en focalisant les raisonnements sur les bénéfices pour les ménages revient à produire une vision partiale de la réalité. Utiliser les arguments correspondants, notamment dans les médias, à l’encontre du Brexit, à l’encontre des populistes ou des souverainistes ....  revient à un acte de propagande d’autant plus efficace qu’on laisse les citoyens dans l’obscurantisme économique.

 

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2 avril 2018 1 02 /04 /avril /2018 07:09

La mondialisation s’est annoncée comme vaste modification institutionnelle. Au plus haut niveau, elle s’est affirmée comme le passage d’une économie enkystée dans les Etats à des Etats enkystés dans l’économie.

Ce renversement de dominante est naturellement le fait des Etats eux-mêmes qui se sont adaptés aux exigences des grandes entreprises : en finir avec un certain type de frontières, donc mettre en place des dispositifs assurant leur transformation institutionnelle. Ce sera le cas de la libre circulation des capitaux qui introduira progressivement la perte de l’outil « taux de change » et surtout l’indépendance des banques centrales, elles-mêmes jusqu’alors institutions périphériques d’Etats centraux souverains. Ce sera aussi, bien sûr, le cas de la circulation des marchandises lesquelles seront déchargées de taxes et soumises aux règles extra-étatiques de l’OMC. Les Etats désarmés accepteront même de s’engluer dans un ensemble considérable d’autorités administratives indépendantes (IAA) qui deviendront de hauts lieux du lobbying. Au nom de la concurrence, ils accepteront la fin des monopoles naturels et le démantèlement des infrastructures correspondantes. Déjà affaiblis, ils accepteront plus tard que, dans le cadre d’accords de libre-échange dits de seconde génération, des tribunaux privés pourront les flageller et les condamner pour avoir, le cas échéant, mal légiféré. Plus tard encore, ils constateront l’anéantissement de tout pouvoir monétaire et accepteront l’émergence de crypto-monnaies chargées de les réduire encore. Nous pourrions bien sûr multiplier les exemples.

L’effacement progressif de ce qui assurait la souveraineté des Etats devait aussi concourir à la modification institutionnelle de nombreuses entreprises.

Jadis fixées en un lieu, elles rassemblaient des individus entrant dans des rapports de coopération étroits. Les salariés étaient ceux de l’institution et les propriétaires en étaient les acteurs vivants et le plus souvent présents. La coopération était bien évidemment conflictuelle, mais parce que coopération, la société correspondante laissait peu de monde à l’écart : il n’était pas pensable que le groupe social dominant, très minoritaire, puisse être complètement détaché du reste de la société. Sa domination ne pouvait se pérenniser qu’en prêtant attention aux dominés. La sécession des dominants était peu imaginable.

La mondialisation va largement modifier le décor. L’entreprise est devenue désarticulée avec une répartition planétaire d’établissements devenus simples maillons d’une chaine dite de la valeur. L’établissement perd l’essentiel de son caractère institutionnel : il est largement nomade et peut facilement changer de lieu. Ces dirigeants, beaucoup plus nomades encore, ignorent largement la réalité de l’entreprise comme lieu de coopération. Du point de vue des salariés relativement immobiles, il s’agit de retenir un lieu de travail qui peut disparaitre à tout instant et qui est managé par des cadres qui, eux-mêmes, n’ont qu’une faible idée du principe général d’intégration et ne sont que des agents qui doivent rendre des comptes, en respectant des normes. Parmi ces dernières, les normes comptables IFRS – mondialement appliquées - dessinent, découpent et redécoupent en permanence, au nom de la « fair value », les frontières de l’entreprise et de ses maillons. L’espace institutionnel de l’entreprise désarticulée est devenu pauvre : il y a moins à coopérer puisque l’institution est devenue précaire. Certes, il reste des espaces de coopération dans les entreprises du monde ancien, mais ces dernières sont progressivement noyées dans ce nouveau monde. Globalement, se forme une classe importante de dirigeants non propriétaires qui, en raison de son nomadisme, n’a pu institutionnaliser de vrais lieux de coopération.  Tout un groupe social peut ainsi faire sécession et devenir pièce détachée du reste du monde. A la désarticulation des entreprises correspond la dislocation des sociétés. Et le salariat lui-même va se trouver contesté, avec l’idée que la crise est aussi le fait « d’insiders » décidément « égoïstes », avec l’idée qu’il faut dépasser le salariat, introduire de la flexibilité dans les codes du travail, « libérer les salariés » en les transformant en « entrepreneurs », créer des « contrats de mission » à côté ou à l’intérieur « d’entreprises de missions », etc. Devenues une non-institution dans l’espace des Etats, pourquoi et comment faudrait-il taxer ces entreprises devenues insaisissables ?

Pour les Etats qui, dans l’ancien monde replié sur lui-même, avaient imaginé des espaces de solidarité de type Bismarckien en facilitant l’épanouissement d’un partenariat social chargé de gérer tout ou partie de l’Etat social, il faudra passer à un système tout au plus Beveridgien. Ainsi, une grande attention sera déployée pour bien distinguer ce qui dans le généreux solidarisme pourra devenir simplement assurantiel et ce, dans le cadre d’un marché financier. Beaucoup de travail en perspectives pour les « modernisateurs des Etats » encore enkystés dans les vieilles solidarités. Et puisque les Etats sont invités à ne plus être que les facilitateurs des marchés, les choix collectifs découlant d’élections dites démocratiques deviennent des « aberrations » : comment le politique pourrait-il faire mieux que le marché et ainsi le contrarier ? D’où une participation plus réduite lors des rendez-vous électoraux ou des résultats « aberrants » en ce qu’ils consacrent des victoires « populistes ». Deviennent ainsi désignées toutes les entreprises politiques dont le programme va contre les évidences de l’économie et de l’idée que l’on s’en fait dans les institutions où la discipline correspondante est enseignée.

Globalement les Etats agonisants n’ont pas encore commencé à réagir. Si les « populistes » menacent d’engendrer de nouvelles configurations institutionnelles, ils se heurtent encore aux évidences du marché : le retour du protectionnisme est déclaré par les libéraux comme un processus d’appauvrissement planétaire. N’est-il pas vrai –ainsi que le disent les économistes- que réprimer l’échange volontaire entre partenaires rationnels vient réduire les gains qui en découlent ? D’où les offensives médiatiques insistant lourdement sur l’augmentation des prix des marchandises importées venant réduire le pouvoir d’achat des nationaux. Et il est vrai que, sur les marchés politiques occidentaux, le spectre de l’appauvrissement est une arme redoutable puisque tous les électeurs sont concernés par la possible baisse du pouvoir d’achat. En contrepartie, les armes opposées sont moins puissantes : l’élargissement colossal de l’échelle des revenus avec ses conséquences macroéconomiques négatives est plus difficile à expliquer et à mettre en avant dans une société beaucoup moins solidaire ; les perdants de la mondialisation sont aussi des groupes bien spécifiques parmi d’autres groupes qui sont les gagnants, etc. En clair il est plus facile d’expliquer les gains de la mondialisation que ses effets pervers.

 En allant plus loin il est difficile, par exemple, d’expliquer que la mondialisation affaisse la résilience du monde. Ainsi il n’est pas facile d’expliquer que le nomadisme des objets, par exemple les produits de l’agriculture et de l’agro-alimentaire, est source de danger majeur pour l’alimentation et donc la survie des populations en cas de crise ou de guerre.

Plus fondamentalement encore, la mondialisation apparait comme la dernière étape de la libération de l’homme et la grande réconciliation de toute l’humanité. De quoi associer à ce projet toutes les forces politiques dites de gauche qui, elles aussi, œuvraient pour la fin des aliénations.  Avec pour fin ultime, la constatation de la fin du politique au profit d’un monde post-politique chargé de la simple bonne gestion des affaires. Jadis les entrepreneurs politiques se confrontaient sur des choix et des projets de société, aujourd’hui ils s’évaluent et se confrontent sur de simples compétences managériales. Les Etats n’enkystent plus les marchés, ce sont les marchés qui enkystent les Etats. Libertés fondamentales, droits de l’homme et effacement des Etats sont ainsi le produit de la marchandisation illimitée du monde occidental et de ses satellites….

Pour autant, si le mondialisme et sa version hypertrophiée qu’est l’européisme est l’idéologie officielle, il reste qu’elle est confrontée à des Etats qui ont conservé une configuration institutionnelle traditionnelle. Le voyage du président Nixon en Chine, il y a maintenant près de 50 ans, a offert la mondialisation aux USA mais n’a fait qu’égratigner l’ordre Chinois. Si l’Occident -davantage dans sa version européenne et moins dans sa version américaine- a vu l’ensemble de ses configurations institutionnelles se plier à la mondialisation, rien n’a changé en Chine : l’économie y est restée enkystée dans l’Etat alors même que le pays devient grande puissance économique. Pas de liberté de circulation du capital, pas de banque centrale indépendante, taux de change politiquement contrôlé, répression financière qui met le pays à l’abri des crises correspondantes, entreprises contrôlées et chargées d’une mission de mercantilisme généralisé allant jusqu’à la destruction des obligés partenaires occidentaux, etc.

Ce contexte n’est évidemment pas durable. La mondialisation, cantonnée au seul Occident, a gravement fragilisé ce dernier, lequel commence tout doucement à réagir. Il était assez logique que la réaction vienne d’abord de l’Etat américain. Une réaction a priori désordonnée puisque l’interventionnisme nouveau dans l’ordre des échanges internationaux, est accompagné d’une libéralisation accrue dans l’ordre de la finance. La réaction européenne sera plus complexe puisque globalement un pays, l’Allemagne, bénéficie grandement de la configuration mondialiste et ce, avec des entrepreneurs politiques fermement décidés à ce que rien ne change.

La période qui s’ouvre est intéressante. Les USA vont devenir plus agressifs dans leur lutte contre les déséquilibres commerciaux et vont utiliser toutes les armes de ce qui leur reste de puissance. Les européens vont afficher, malgré le rapprochement des élections, des divergences qui ne peuvent que s’accroitre avec pour issue une possible dislocation. Les reconfigurations institutionnelles correspondant à la fin de la mondialisation ne sont  pas écrites et l’histoire humaine continue.

On peut néanmoins imaginer que la fin des déséquilibres massifs -et donc un certain contrôle des comptes extérieurs de chaque Etat- se fera par des barrières tarifaires, monétaires, voire des contingentements et normes plus ou moins négociées et ce dans un cadre beaucoup moins multilatéral. Il en résultera bien sûr des modifications substantielles des chaines mondiales de la valeur. Les effets d’échelle seront réduits à la hauteur de ces barrières, d’où très probablement une modification du volume et du contenu des échanges internationaux et de leur évaluation : beaucoup moins de produits intermédiaires et beaucoup moins de mystères sur les prix de transferts. Ce ré- enkystement des échanges dans les Etats contestera les monopoles naturels privés qui se sont historiquement construits dans le numérique. Comment en retenir les immenses avantages tout en en réduisant ses effets pervers gigantesques ? L’affaire ne sera pas simple pour les nouvelles « sept sœurs » parties à la conquête du monde depuis leur territoire américain et chinois. Elle le sera davantage pour les anciens monopoles naturels des anciens Etats qui, faisant chemin inverse, s’évertuaient à créer des marchés privés de type rentiers - rail, énergie, etc. -  là où la puissance publique était la plus légitime.

 Bien évidemment, le secteur le plus mondialisé, la finance, risquera de voir son volume s’étioler considérablement avec une montée règlementaire qui, très vraisemblablement, limitera voire détruira ses activités prédatrices. Désormais, elle pourrait craindre l’établissement de lourds péages sur ses libres autoroutes (taux de change contrôlés, limites à la circulation du capital, banques centrales moins complaisantes, surveillance voire disparition du seigneuriage, limites réglementaires à la spéculation, etc.).

La montée du protectionnisme, parce qu’elle suppose de vastes reconfigurations institutionnelles et organisationnelles fera l’objet de confrontations majeures le long d’un chemin qui ne sera probablement pas linéaire.

Les forces porteuses de son maintien resteront considérables. Ainsi l’arme très réelle du recul du pouvoir d’achat avec toutes ses conséquences fera des consommateurs l’allié inattendu de la finance ou des dirigeants des grandes organisations qui se battront au nom des évidences de la bonne gestion. Ainsi du ventre des Etats contestés pourra naitre des bourgeonnements d’Etats nouveaux (Catalogne, Ecosse, etc.) qui, en raison même de leur faiblesse, verront un avantage compétitif à demeurer mondialistes. Ainsi l’individualisme, l’hédonisme, le culte du moi, le goût des émotions au détriment de la raison, le culte de l’ici et du maintenant, etc. résisteront ils à tout ce qui peut apparaitre comme retour en arrière voire un insupportable contrôle des libertés.  On pourrait multiplier les exemples de barrières très puissantes à la montée du protectionnisme.

C’est dire que sur les marchés politiques pourront naitre des jeux nouveaux aux résultats difficiles à imaginer. Certes les résultats que l’on disait « aberrants » vont se multiplier. Mais précisément parce que le populisme n’est que le résultat de la volonté de rétablir le politique dans le jeu des marchés qui ont engendré le monde post politique, il n’est pas homogène. Que doit-être le politique dans ce qui serait le « post-marché » ? Il est même des populismes qui utilisent le marché pour renouer avec le politique (indépendantistes catalans ? AFD en Allemagne ?) C’est dire qu’il peut devenir majoritaire dans nombre d’Etats en décomposition sans pouvoir prendre réellement le pouvoir en raison de divergences fondamentales (Italie ? France ? Grèce ? etc.). Face à lui, les « grandes coalitions » intégrant parfois des éléments populistes vont probablement se multiplier pour maintenir l’ordre mondialiste et européiste. Un monde dit « raisonnable » se devant de barrer la route aux « aventures » dont certaines peuvent être réellement dangereuses. Le déploiement du protectionnisme dans une configuration négociée suppose par conséquent la construction d’une grande coalition, symétrique de celles dites « raisonnables » chargée de réduire la grande hétérogénéité des entreprises politiques dites « populistes ». La réduction de cette hétérogénéité sera le grand travail de la période qui vient de s’ouvrir.

 

 

 

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16 mars 2018 5 16 /03 /mars /2018 09:43

 

Le livre : « Pour un traité de démocratisation de l’Europe »[1] est à nouveau invoqué par Thomas Piketty dans un article du Monde des 11 et 12 mars[2]. L’auteur s’attaque aux politiques récessionistes, en particulier dans leur dimension fiscale, menées à partir de 2011 pour expliquer la montée du populisme. Face au défi qui en découle, il propose une union politique des 4 grands pays de la zone euro (Allemagne, France, Italie, Espagne) lesquels totalisent 75% du PIB de la zone.

Le schéma proposé est simple : création d’une assemblée européenne entre ces pays, assemblée qui serait issue des membres des parlements nationaux en proportion des populations des différents pays. Cette entité, démocratiquement constituée et complètement européenne, déciderait d’investissements d’avenir financés par un impôt européen sur les sociétés, sur les hauts revenus et sur les patrimoines élevés. Cette assemblée serait aussi chargée de réguler la mondialisation en invitant les entités nationales aux harmonisations fiscales et réglementaires entre pays.

Thomas Piketty prend la précaution de dire que le dispositif proposé ne correspondrait en aucune façon à la mise en place d’un dispositif de transferts. Mieux, il prévoit une clause rassurante garantissant que chaque pays bénéficierait d’un niveau de ressources proche de sa contribution fiscale. Il prend donc bonne note des conseils de ses collègues juristes signataires du livre et admet que jamais l’Allemagne ne pourrait accepter qu’en étant minoritaire au sein de cette assemblée, elle serait « exploitée » par une majorité de pays du sud.

Cette précaution retire bien des qualités au dispositif retenu et, si la nouvelle assemblée européenne se fixait un objectif d’homogénéisation comme le fait traditionnellement une assemblée nationale, ce serait avec grand embarras, donc avec lenteur extrême. Il est relativement aisé de niveler à moyen terme les prélèvements   socio-fiscaux, voire les taux de salaires. Mais comment en effet gommer, même en quelques années, les énormes dissymétries qui se sont édifiées en raison des blocages des taux de change ? Comment redessiner la carte des avantages comparatifs en un temps fort éloigné du temps politique ?

Mais surtout, il est aujourd’hui des acteurs qui n’ont aucun intérêt à voir naitre un front européen uni. Vu de l’extérieur, le front de l’Union douanière, constitué depuis longtemps, ne peut que se fragiliser au regard des énormes dissymétries qui se mesurent par les colossaux déséquilibres externes. L’extérieur mercantile (les USA) le sait, et ne saurait être impressionné par le voile d’une union douanière qui ne peut cacher les divergences d’intérêts entre pays européens. En matière douanière, les USA savent qu’ils ont intérêt à privilégier une France qui, par la faiblesse de sa compétitivité, n’est pas dangereuse et à porter le fer sur une Allemagne hyper excédentaire. Le Président des Etats-Unis nous apprend ainsi qu’une Union douanière n’est solide que si les échanges externes de chaque membre de l’union sont à peu près équilibrés. On peut ainsi imaginer l’embarras d’une assemblée authentiquement européenne qui, porteuse d’un projet d’homogénéisation, serait travaillée par une Allemagne devenue minoritaire en proie à l’exercice du souverainisme sourcilleux américain.

Dans la bruyante affaire de la taxation de l’industrie automobile, les représentants français, négociateurs d’un pays déjà victime d’un taux de change France/Allemagne inapproprié, devraient-ils accepter une exposition plus grande encore   de l’industrie automobile nationale au regard de la concurrence  américaine ? Et avec des effets secondaires, puisqu’en raison de « règles » de l’OMC, la fin éventuelle des taxes sur les voitures américaines entrainerait mécaniquement celles sur les importations de voitures japonaises ou coréennes…L’industrie automobile allemande est prête à sacrifier les taxes à l’importation sur les voitures américaines pour sauver ses exportations vers les USA….en se moquant des dommages collatéraux sur les partenaires français….Au nom de l’homogénéisation, on ne va pas mettre en cause ce qui est acquis depuis longtemps, c’est-à-dire l’union douanière. Mais il faudra en payer le prix : le maintien d’un avantage pour l’Allemagne et des contraintes  supplémentaires pour la France. De quoi rendre le projet d’homogénéisation toujours impossible : il fuit de la main de ses ardents concepteurs….

Toute tentative d’avancée plus grande vers l’union restera ainsi bloquée tant qu’on refusera de regarder la réalité. Si les transferts sont interdits malgré leur nécessité vitale pour le fonctionnement de la monnaie unique, alors c’est bien cette dernière qui va bloquer toutes les tentatives sérieuses d’homogénéïsation, c’est-à-dire le travail normalement attendu d’une assemblée censée être représentative d’une communauté en devenir. On pourra – difficilement certes-  bricoler sur des politiques sociales ou fiscales communes, mais il sera difficile d’aller plus loin. La tendance planétaire lourde, celle de la fin d’une certaine mondialisation, s’accompagnera probablement d’un réel démantèlement du projet européen.

 


 

[1] Seuil 2017. Livre signé par Stephanie Hennette, Thomas Piketty, Guillaume Sacriste et Antoine vauchez.

[2] « Pour une Union dans l’Union ».

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