Préparer sérieusement l’élection présidentielle
Il est préoccupant de constater que l’élection présidentielle se rapprochant aucun prétendant au pouvoir ne dispose d’une vision claire de la réalité. Tous savent que la situation du pays est grave et aucun ne dispose d’une vision claire du pourquoi de l’effondrement. Avec toutefois une prise de conscience, notamment celle des risques associés à un techno-mondialisme débouchant sur l’érosion de la démocratie. L’Union Européenne n’en est pas là et semble continuer sa marche avec une pièce nouvelle dans son architecture financière à savoir le grand projet de la création d’un « euro numérique de banque centrale ». S’agit-il d’une opportunité pour la France ? Pourrions-nous se servir de la force de L’UE pour faire basculer le projet et y construire les moyens de la reconstruction de la France ? C’est ce à quoi la présente note tente de répondre.
1. Pour bien comprendre la suite nous renvoyons à un certain de nombre de publications :
- https://www.lacrisedesannees2010.com/2021/01/l-enjeu-politique-des-monnaies-digitales-debanquescentrales.html
- https://www.lacrisedesannees2010.com/2025/07/l-industrie-bancaire-frappee-d-obsolescence.html
- https://www.lacrisedesannees2010.com/2021/10/presidentielles-2022-apercus-d-un-indispensable-projet-de-refondation-financiere.html
- https://www.lacrisedesannees2010.com/2021/09/les-surprises-de-la-nouvelle-monnaie-qui-arrive.html
- Communiqué de presse du 30 octobre de la BCE : « l’Eurosystème ouvre la prochaine étape du projet d’euro numérique ».
2. En résumé, les nouvelles technologies permettent de construire une infrastructure de circulation de la valeur dans laquelle le système bancaire apparait comme instance dépassée. Une situation rappelant celle des constructeurs de calèches à la naissance de l’industrie automobile. A terme, sans doute lointain, une banque centrale pourrait rassembler tous les comptes de tous les acteurs, et donc tous les utilisateurs : entreprises non financières, entreprises financières, ménages, associations, Trésor lui-même, et assurer dans des conditions de totale sécurité et dans l’instantanéité toutes les opérations de circulation de la valeur entre les dits acteurs. Un peu comme si - dans le cadre de la SNCF - l’on pouvait voyager d’un point quelconque du territoire vers un autre point sans passer par les gares et leurs contraintes.
3. Face à ce tsunami potentiel les banques classiques (ces anciennes gares) voire même les néo-banques résistent et se déclarent très opposées au projet actuel qui - présenté pourtant de façon très souple - tente de faire admettre un dispositif qui devrait être opérationnel vers 2029. A cette date chacun pourrait disposer d’un porte-monnaie électronique directement relié à la BCE et délaissant les classiques outils de mobilisation des tout aussi classiques comptes bancaires. Tsunami considérable pour un avenir proche.
Profitez du projet de la BCE pour déstabiliser l’infrastructure monétaire et financière
4. Un candidat sérieux à l’élection présidentielle devrait au moins connaitre le projet et son formidable potentiel. Une fois désigné par le suffrage universel il devrait le réorienter massivement au profit d’un véritable objectif partagé pour la France. Il pourrait même, dans un premier temps, se porter défenseur d’un système bancaire qui a peut-être compris les enjeux. Question d’opportunité stratégique.
5. Prenant appui sur le constat et les causes de ce qui est un effondrement du pays[1], il devrait militer pour la fin de l’indépendance de la BCE dans son nouveau rôle de création de l’euro numérique. La banque nouvelle ferait circuler la valeur – au profit de tous les acteurs - dans le respect de ce qui est politiquement décidé par les responsables de chaque Etat. Et ce nouveau statut serait facilité par les étapes de la mise en place de l’euro numérique.
6. Logiquement, pour de simples raisons d’efficacité, au terme de plusieurs étapes, les comptes bancaires migrent progressivement vers la banque centrale. Les banques classiques perdent ainsi progressivement le quasi-monopole de la création monétaire. Les opérations de crédit font de moins en moins de nouveaux dépôts et la puissance de ce qu’on appelle le multiplicateur du crédit s’étiole[2]. Les banques étaient devenues puissantes avec la relative disparition des billets. Elles perdront cette puissance avec une monnaie numérique dans un smartphone.
7. Dès lors la croissance de la masse monétaire reposera pour l’essentiel sur la banque centrale… dont on aura décidé la dépendance par rapport à l’ordre politique. On peut certes imaginer une création monétaire au profit des banques par la banque centrale, mais cette création ne pourrait engendrer un multiplicateur puissant puisque les prêts bancaires ne viendraient plus nourrir les passifs des bilans de ces mêmes banques.
8. Il résulte du point 5 qu’au terme d’une période de passage au nouveau système c’est désormais la banque centrale qui devient l’actrice majeure de la création monétaire. D’abord au profit des entreprises qui dans le cadre d’un plan européen peuvent être mobilisées pour les communs de l’Europe : climat/environnement, infrastructures, énergie, rupture démographique, etc. De quoi par conséquent ne plus passer par les marchés financiers comme ce fût encore le cas du programme « NextgénérationUE » de 750 milliards d’euros, programme qui va lourdement peser sur les remboursements par les différents pays à partir de 2028. Maitrisant à nouveau la création monétaire il n’y a plus à s’endetter et dépendre des marchés financiers pour faire face aux immenses besoins actuels. Seules les limites techniques existent notamment les disponibilités en compétences et en quantités de travail disponibles ou à remobiliser. Il n’existe pas de limite financière mais il existe bien sûr des limites de faisabilité. Un candidat sérieux à l’élection présidentielle doit pouvoir expliquer cela et montrer que nos limites dans une reconstruction ne sont pas financières. Pas facile dans un univers de très grande inculture.
9. La BCE nouvelle ne doit pas faire disparaitre les banques centrales des Etats qui elles peuvent financer ou non ces derniers. De ce point de vue, les Trésors et donc les Etats peuvent choisir en toute souveraineté : continuer à financer l’endettement public par la voie du marché ou bien mettre fin à l’endettement par rachat de la dette par les banques centrales. S’agissant de la France, il est clair que son statut d’Etat effondré milite en faveur d’une extinction de la dette, non par défaut, mais rachat progressif. De quoi faire disparaître progressivement les charges de la dette[3]. De quoi aussi limiter le coût insupportable des dévaluations internes s’étant substituées aux dévaluations externes devenues impossibles depuis la naissance de l’euro. Décisions politiquement difficiles en raison de la puissance des lobbys financiers, mais projet qu’il faut évoquer de façon très précise et très argumentée dans le cadre d’une campagne pour l’élection présidentielle… et donc ne plus se contenter de déclarations du type : « mon ennemi, c’est la finance » (discours du candidat Hollande du 22 janvier 2012).
Bien gérer les effets externes.
10. Parce qu’il faut imaginer des choix souverains différents dans l’UE (mettre fin ou non au marché de la dette publique) il est clair que malgré une force centralisatrice abordée au point 9, des divergences seront constatées entre les divers pays. Les plus dépendants de la finance resteront dans le présent système et d’autres seront incités à suivre la France. Les ADN anthropologiques fondamentaux ( « société enracinée dans l’économie » ? ou « économie enracinée dans la société ») pour reprendre la terminologie chère à Polanyi) de chaque pays doivent être respectés. De ce point de vue,. il faut comprendre que l’euro sera à la fois monnaie unique et monnaie commune. Le respect des choix des divers pays est aussi fait de l’attention portée aux externalités négatives qui en résultent. Il faut donc imaginer un dispositif tel que le choix proposé par la France garantisse un niveau d’externalité proche de zéro.
11. Il est très difficile d’anticiper les turbulences engendrées par le rétrécissement des marchés financiers ; par exemple, des réactions imprévisibles sur les swaps de la FED accordés ou non à la BCE. Par contre, il est clair qu’il faut interdire les comportements de passager clandestin avec lesquels une économie profiterait sans cause des choix d’une autre. Par exemple, les pays ayant choisi, malgré la fin de l’indépendance des banques centrales, de rester dans l’ancien système ne doivent pas bénéficier indûment des choix d’une France ayant choisi la voie de la fin du marché de la dette publique. Ce point mérite une particulière attention et suppose un équilibre garanti des échanges extérieurs comme cela est expliqué au point suivant.
Un retour à l’Union Européenne des paiements ? (UEP, 1950/1958)…
12. La disparition de l’étau financier, au profit de la mobilisation des ressources humaines réelles permet la construction de projets à long terme et les investissements réels qui sont associés. Il n’est plus question de dire que « nous n’avons pas d’argent »[4]. De quoi renouveler un espace de croissance réel[5] devenant opportunité pour les économies étrangères. Le lecteur peut à cet égard se souvenir de la relance Mauroy de 1981/1982 qui fut un keynésianisme ayant surtout profité à l’Allemagne et qui devait déboucher sur des dévaluations externes (cf la polémique sur les magnétoscopes de l’époque). Aujourd’hui, la mise à l’écart de l’étau financier sans compétitivité nouvelle immédiate et sans dévaluation possible (l’euro reste monnaie unique) aboutit mécaniquement à une aggravation des déséquilibres extérieurs, notamment la balance commerciale. Exactement comme lors de la relance impossible de 1981/1982. Sans dévaluation possible et malgré la fin du poids du refinancement de la dette publique, les difficultés demeurent et la réindustrialisation reste très difficile. Par exemple, il est probable que la fin de l’austérité financière débouche sur des importations nouvelles plus compétitives et sur moins d’exportations en raison d’un probable écart d’inflation entre la France et le reste de l’UE.
…regonfler une chambre à air suppose de grandes compétences…
13. Cela signifie que la fin de l’indépendance de la banque centrale et l’abandon du marché au titre de la gestion de la dette publique suppose un dispositif complémentaire, celui du strict respect de l’équilibre des comptes extérieurs. Cela signifie que l’effet d’aubaine des autres pays, avec ses conséquences négatives sur la nouvelle économie française, soit strictement compensé par des versements des autres banques centrales à la Banque de France. On ne peut regonfler une chambre à air percée sans au préalable boucher les trous. Si les divers pays de l’UE enregistrent un excédent de 100 résultant de la nouvelle politique française, les banques centrales doivent redéployer les 100 à la Banque de France. Ce dispositif aurait pu – difficilement - être imaginé par le gouvernement Mauroy et l’Allemagne invitée – difficilement - à l’époque, à ne pas profiter de l’aventure française[6]. Ce dispositif est pourtant ancien et fonctionnait déjà au temps de l’Union Européenne des Paiements (1950/1958). Les monnaies étant à l’époque inconvertibles et la monnaie commune étant rare (le dollar) l’équilibre devenait une véritable obligation régulièrement vérifiée par les 18 pays qui participaient au dispositif[7].
14. Dans le présente infrastructure monétaire et financière? les projets politiques de redressement du pays se ramènent à du bavardage inutile. C’est évidemment le cas de celui consistant à supprimer les aides aux entreprises contre une baisse de la pression fiscale (plan Edouard Philippe). Simple échange de rentes entre celle reçue par les entreprises et celle reçue par l’Etat sous forme d’impôt et de dette, il n’existe aucun gain de compétitivité : les bilans globaux des entreprises restent ce qu’ils sont…et l’économie française reste non compétitive... En reprenant l’image de la chambre à air, non seulement on ne bouche pas les trous, mais on a aussi oublié la pompe… Dans le cas de la nouvelle architecture monétaire et financière proposée, il y a extinction progressive de la rente financière (fin du marché de la dette publique par restauration de l’autorité monétaire) et mobilisation de la contrepartie du déficit qu’il faut désormais compenser. Règle d’équilibre extérieur oblige. L’Etat dispose désormais de ressources permettant d’alléger la pression fiscale et de restaurer à terme la compétitivité du pays. Reprenant encore l’image de la chambre à air, ici on bouche les trous et on dispose d’une pompe active. La modification des règles du jeu financier est le point de départ obligé à toute refondation du pays.
…dont les candidats à l’élection présidentielle sont totalement dépourvus…
15. Bien évidemment, il sera extrêmement difficile de trouver un candidat à l’élection présidentielle conscient des enjeux… et du dispositif sans doute complexe qui permettrait encore de maintenir l’euro système, voire de le reconstruire sérieusement. Il serait certes infiniment plus facile et sans doute plus rationnel de le dénoncer, mais le contexte de grande inculture y compris chez les économistes, -inculture que la finance entretient - et plus encore le contexte géopolitique dangereux que nous traversons, bloque toute réflexion sur un authentique retour à la monnaie nationale. Malgré une disparition de toute croissance et un déficit public qui deviendra - pour quasiment tous les pays de l’UE - ahurissant en 2026 (un endettement nouveau de plus de 1500 milliards d’euros[8]) aucun candidat n’aura la hauteur et le courage d’aborder- malgré la « petite lumière » de l’euro numérique - la question de notre infrastructure monétaire et financière. La France et les français - aveuglés par les journalistes, les économistes et le personnel politico administratif - continuerons donc à bavarder dans un grand vide cognitif.
Jean Claude Werrebrouck- 10 Novembre 2025.
[1] https://www.lacrisedesannees2010.com/2025/11/la-france-s-effondre-complements-a-la-note-du-20-octobre.html et surtout: https://www.lacrisedesannees2010.com/2025/10/une-france-effondree.html
[2] Le multiplicateur a pour formulation : 1/ (c+b) où "c" est le coefficient de réserves obligatoires et "b" le taux de conversion en billets. Si "b" devient très important (les comptes bancaires ne se convertissent plus en billets mais en monnaie numérique), et si "c" devient largement inutile, le multiplicateur se rapproche de l’unité et donc les banques perdent très largement le profit sur la création monétaire.
[3] Les charges d’intérêts passeront le cap des 100 milliards d’euros à l’horizon 2029 soit environ 3% du PIB, un pic jamais atteint depuis la naissance de l’euro.
[4] De ce point de vue, il est intéressant d’interroger l’histoire. La France n’a pas gagné la première guerre mondiale avec des moyens financiers dont elle était dépourvue. Elle a gagné la guerre en mettant fin à la loi d’airain de la monnaie et en construisant des usines de guerre en mettant au travail la quasi-totalité de la population.
[5] Il n’est d’ailleurs pas sûr que le terme de croissance soit le meilleur. A partir du moment où l’étau de la finance est maitrisé, on peut quitter le territoire de l’accumulation et aborder la « logique du moins », et donc explorer les territoires nouveaux de la décroissance. Le problème fondamental de la finance est qu’elle introduit une logique qui débouche sur un pouvoir cognitif : contrôle des représentations du monde et donc contrôle des décisions.
[6] Il est difficile car il faut aussi faire comprendre aux partenaires que l’effet d’aubaine dont ils bénéficient se transforme en grande difficulté pour la France. Nous avons là une grande question peu étudiée : comment envisager une monnaie unique sans toucher aux souverainetés ? D’où l’idée d’articulation entre monnaie commune et monnaie unique.
[7] Nous retrouvons la difficulté abordée dans la note 6. L’UEP était d’une certaine façon plus facile à gérer puisqu’il n’y avait pas d’articulation entre monnaie commune et monnaie unique : la monnaie commune était le dollar et les autres monnaies restaient nationales.
[8] 370 milliards d’euros pour la France, 364 pour l’Italie, mais aussi 363 pour l’Allemagne.