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1 juillet 2021 4 01 /07 /juillet /2021 07:05

Le récit national américain serait aujourd’hui fragmenté et il deviendrait de plus en plus difficile d’y repérer   la classique culture anglo-saxonne tournée autour de la propriété comme bouclier de la liberté et de la vie. L’écrivain George  Packer, dont les travaux sont repris par Dominique Moïsi dans un article des Echos en date du 28 juin, évoque ainsi l’existence d’une Amérique fragmentée en 4 Blocs : « Free America », « Smart America », « Real America », et « Just America ». A priori éloigné des thèses concernant l’Etat profond, cet émiettement anthropologique engendrerait les difficultés politiques croissantes des USA. Peu d’ADN commun subsisterait en effet entre la Free America franchement libertarienne et anti-étatiste, la Smart America qui assoit le succès sur l’effort et le mérite, la Real America qui assure un repliement isolationniste sur les valeurs traditionnelles et la Just America revendiquée par l’aile gauche très socialiste du parti démocrate.

Moîsi voit dans la France les mêmes fractures et établit une correspondance avec celles se manifestant aux USA. Correspondance difficile car s’il est possible d’imaginer un lien entre la Real America et ce qu’on appelle le populisme français, un autre entre la smart America et le progressisme macroniste, un troisième entre le Just America et la gauche française, il n’existe pas ( pas encore ?) d’équivalent français de la Free America. Ce qui reste de  civilisation française demeure  encore éloigné de la culture anglo-saxonne dont on annonce l’éclatement.

De fait, la distinction proposée par Packer peut sans doute expliquer la cassure croissante entre des blocs qui s’affrontent pour la conquête du pouvoir américain. Elle reste toutefois une cassure de second ordre tant il est vrai que Free America, Smart America, Real America et Just America ne sont que des branches issues de racines communes. Ces dernières restent celles d’une anthropologie qui fait que le rapport à l’autre ne se conçoit que sous l’angle du marché, un marché qui, certes, peut être perverti par l’utilisation de la contrainte publique, mais le plus souvent à des fins privées, donc en principe éloigné de tout projet de bien commun. La propriété ne peut être rognée et reste le fondement de l’ordre américain. L’exemple de la culture « wokiste » en principe issue des tenants de la Just America est à cet égard intéressant. Il s’agit ici d’incorporer dans la compétitivité des marchés un paramètre supplémentaire : l’entreprise qui pratique et revendique le wokisme, s’empare de l’idée de Just America comme moyen et non comme fin. S’emparer de l’idéologie wokiste est ainsi un moyen publicitaire comme un autre pour accroître des parts de marché. Il existe toutefois une exception, celle d'un bien commun concernant l'idée de nation: la recherche de compétitivité peut se faire dans la mobilisation de ce qui est consensuel ou quasi consensuel, ce qui est le cas du complexe militaro-industriel ou celui de la renaissance économique aujourd'hui.

Tout cela est assez étranger à ce qui reste de civilisation française. Bien évidemment, la France est contaminée par les idéologies américaines, mais elle résiste encore et si les entreprises sont déjà  tenues de se lancer dans le « wokisme », il reste un Etat qui, certes en voie d’épuisement, sait encore distinguer la fin et les moyens. La très croissante fracture française n’est pas le produit inéluctable de son ADN culturel. Elle relève simplement de la pénétration d’un modèle, celui du tout marché, fort étranger à son identité fondamentale. Ce qui reste de la vieille civilisation française sait encore distinguer la justice procédurale des libertariens de la justice résultats que, même les tenants de la Just America, n’imaginent pas.

Nul ne sait où conduiront les fractures américaines, et nul ne sait s’il est possible de les réduire. Il en est probablement de même pour la France. Par contre, s’agissant de ce pays on en connait la cause : celui du renoncement à sa très forte identité ; celui de l’abandon de son exception ; celui de l’abandon d’une congruence exceptionnelle entre sa culture, celle des lumières, son économie et ses règles sociétales ;  celui de la préférence nouvelle de la concurrence agressive à celle de l’excellence coopérative ; celui du délaissement de son rapport au passé, du récit qu’il engendrait, et des devoirs qui en découlaient. Reconnaissons toutefois que la contamination de la France par la culture  anglo-saxonne était facilitée par l'ambiguïté entre le particularisme national et l'universel français, ambiguïté bien perçu par le célèbre mot de Victor Hugo: "Adieu Nation et bonjour Humanité". 

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30 juin 2021 3 30 /06 /juin /2021 12:43

Nous reproduisons ci-dessous l'excellente réflexion de XERFY concernant le rapport Blanchard/ Tirole. 

La nouvelle bible de la raison politique en économie est sortie. Les grands défis économiques sous la direction d’Olivier Blanchard et de Jean Tirole. Avec en appui une commission où se bousculent les signatures les plus prestigieuses, nationales et internationales, de « courants intellectuels et politiques très divers » comme le signale d’entrée les deux rapporteurs. C’est le but de ce type de rapport : faire autorité comme socle impartial des grands arbitrages de l’État.


Un point de référence sur l’état de l’art


Du point de vue strictement économique, ce qui fait l’intérêt de ces grandes compiles de propositions déjà rabâchées, à l’instar du rapport Attali par exemple, c’est qu’il constitue un point de référence sur l’état de l’art. Blanchard et Tirole ont fait le choix délibéré de constituer une équipe composée uniquement d’économistes plutôt qu’une équipe plus large intégrant des chercheurs en sciences sociales et des acteurs de terrain. Ce purisme fait la force et la faiblesse de ce rapport. Force, parce qu’il gagne en clarté de raisonnement, en homogénéité des concepts, en points d’appui empiriques. Et faiblesse parce que l’absence de confrontation aux autres disciplines ou aux expériences de terrain fait que le produit, même s’il tente de multiples ouvertures, parfois audacieuses, demeure inévitablement un produit de laboratoire où les acteurs de l’économie réelle, la géographie, les spécialisations productives du territoire, les process, les organisations, les centres de pouvoir — par exemple de la finance — demeurent inexistants ou évanescents. Et la question qui se pose in fine, même si l’on agrège les meilleurs cerveaux de la discipline, est de savoir si l’intelligence, au plan économique, peut produire de l’intelligence tout court.


L’économie désirable (et incarnée !) de Pierre Veltz


Face à une question qui pourrait être sans réponse et donc sans intérêt, je propose aux lecteurs du rapport Blanchard Tirole, de se rabattre ensuite sur un petit ouvrage sorti en janvier dernier et signé Pierre Veltz, titré « l’économie désirable ». 109 pages d’un ingénieur sociologue, qui lorsqu’il parle d’innovation ne s’intéresse pas à la R&D comme variable instrumentale abstraite sur lequel il suffit d’ajouter des milliards pour produire de l’innovation comme un fait magique. Il décrypte plutôt les process contemporains de l’industrie, leur pseudo-dématérialisation, désigne précisément les innovations motrices, inscrit sa vision de l’économie sur le territoire, aborde l’État non comme une entité globale et abstraite, mais à travers tous ses niveaux de gouvernance, qualifie les besoins et les attentes du consommateur, etc. En un mot, l’économie de Pierre Veltz est incarnée, sa réflexion part d’une analyse fouillée de la sphère productive contemporaine, des systèmes de construction de la valeur, des interdépendances, travail qu’il poursuit depuis de nombreuses années.


Et cette confrontation de deux approches, a priori à armes inégales, entre l’auteur seul qui met toute son intelligence à comprendre le réel et les 500 pages produites par un aréopage de Nobels ou nobélisables qui mobilisent le champ de connaissance exclusif et auto-suffisant de l’économie, pour tenter de produire de l’intelligence, est profondément déroutante et ne peut que rendre perplexe sur la capacité de l’économie à relever les défis de l’époque.


Le défi climatique, point d’achoppement du rapport


Un exemple minuscule pour illustrer mon propos. Face au défi climatique, que nous dit le grand rapport ? Il réaffirme la priorité d’une tarification carbone (taxes, quotas, permis et banque centrale qui stabilise le prix des permis), préconise un chèque pour éviter le syndrome gilets jaunes, se montre réticent à l’égard des règlementations dont on contrôle mal les effets redistributifs, concède une taxe carbone aux frontières, pour éviter les distorsions de concurrence même si l’on peine à contrôler le contenu carbone, R&D verte, etc. Tout cela est argumenté, logique, mesuré.


Et puis page 32 du bouquin de Veltz, que lit-on ? Lorsque vous regardez une vidéo sur Netflix, le rapport entre l’énergie consommée pour le visionnage de cette vidéo et l’énergie réellement consommée est de 1 à 2000. Idem pour n’importe quelle requête sur Alexa d’Amazon qui déclenche une chaîne algorithmique très énergivore à échelle planétaire. Or, cette face en apparence gratuite ou quasi gratuite pour l’utilisateur ne cesse de s’étendre. À quel stade dois-je taxer cette utilisation pour en limiter les externalités ? Puis-je taxer le bilan carbone de toute l’infrastructure numérique sans risque d’embolie du commerce ? Les principes énoncés par le rapport sont-ils applicables ? Non, faute de s’être intéressés à l’économie réelle et de raisonner dans un monde où l’entreprise est une entité abstraite intemporelle, sans spécialisation, et dont la fonction est de maximiser le profit et de reporter ses coûts en amont sur le prix de vente.


Bref, le rapport Blanchard Tirole dispose déjà de son contre-rapport. Il n’a pas été conçu comme tel… et cela lui donne encore plus de force.

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28 juin 2021 1 28 /06 /juin /2021 10:00

 

La France en déconstruction est-elle reconstructible ?

Reprise du texte introductif :

Préciser les grands moments de la déconstruction allant jusqu’à l’abandon de la monnaie

Philosophie générale : une culture valant civilisation ne peut que résister à son effacement

L’Histoire s’interrogera sur la génération des « baby boomers » ouvriers de la déconstruction.

Les fondements de la culture

Ce qui est commun et qui soude par ce qui est appris, transmis, produit, inventé.

Bases anthropologiques (Axiomes):

  • Organiser le maintien de la vie,
  • Organiser la finitude et la reproduction de la vie,
  • Réguler l’être ensemble.

Culture anglo-saxonne :

la propriété l’emporte sur la liberté et la vie.

Pas de limitation à la logique de l’échange marchand :

  • La propriété elle-même peut naitre sans Etat
  • Existence d'un bien commun, la Nation, dont la construction passe par le marché
  • Possible marche vers la financiarisation généralisée (le Big-bang de la Loi ERISA aux USA)
  • Différences naturelles et culturelles possiblement limitées par droits compensateurs (minorités)

Civilisation française :

  • Corporations jamais abolies (Aventures de la loi Le Chapelier)
  • Passion d’une égalité surveillée et disparition des différences autres que naturelles
  • Liberté qui ne passe pas par le marché ni par la propriété.

Emballement de la logique anglo-saxonne et conservatisme français

  • USA : moment fordien vite dépassé, illimitation d’une économie qu’il faut mondialiser.
  • France: récit historique imprimant un destin exceptionnel autour d'un progrès universel
  • France : cohérence économique assise sur les valeurs civilisationnelles (TEI)
  • France: congruence exceptionnelle entre culture, économie et règles sociétales
  • France : réussites et performances exceptionnelles qui ne passent pas par l’agressivité marchande (Exemples dont EDF ou industries de la défense)

Une France qui « veut courir aussi vite » et se jette dans la gueule du loup anglo-saxon

  • Acceptation d’une monnaie non souveraine devenue simple marchandise
  • Technologies qui accompagnent l’emballement marchand.
  • Prix du choc culturel : croissance colossale des couts sociétaux et sociaux (monétaires et  extra-monétaires).
  • Prix du choc culturel : guerre civile larvée et démonétisation du système politique.
  • Prix du choc culturel: affaissement démocratique et promotion d'un ordre autoritaire.

Les espoirs.

  • A l’extérieur : multiplication des « têtes à queue » : BCE, crypto-monnaies d’Etats, etc.
  • A l’intérieur : économistes hors-sol et pouvoir politique massivement illégitime.

 

 

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17 juin 2021 4 17 /06 /juin /2021 07:43

Il y a encore de la place pour la conférence de ce soir à 18H45. J'ai encore la possibilité d'inviter une dizaine de personnes.

Merci de demander le lien par mail à l'adresse suivante:

jean-claude.empereur@numericable.fr

A bientôt.

Jean Claude Werrebrouck

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15 juin 2021 2 15 /06 /juin /2021 07:31

 

A la demande du groupe Reconstruction, je prononce une conférence ce Jeudi 17 juin à 17H. Son titre est : la France en déconstruction est -elle reconstructible?

La réunion étant en distanciel il est nécessaire de s'inscrite par mail à l'adresse suivante:

jean-claude.empereur@numericable.fr

On trouvera ci-dessous un bref texte introductif. Un plan détaillé sera fourni ultérieurement.

 

Lorsque la génération des « Baby Boomers » accède aux responsabilités au début des années 70, elle apprécie – au-delà des conflits et tumultes de la période- sa facile insertion dans le monde et la  pleine prospérité du pays. Elle sait aussi que les bilans de la 4ième république et ceux des débuts de la cinquième sont spectaculaires. La France est en effet, à cette époque, au premier rang mondial dans la plupart des domaines…y compris dans celui de l’économique.

A l’inverse, cette génération ne porte pas attention aux murmures étranges et grandissants d’une « société libérale avancée » qu’il faudrait construire, puis d’une « nécessaire modernisation », puis d’une toute aussi « nécessaire adaptation», enfin réaliser d’indispensables « réformes structurelles ».

Elle ne sait pas en effet que ces murmures grandissants et de plus en plus contraignants sont de fait une attaque contre les valeurs fondamentales du pays. La marche forcée vers les marchés dérégulés propres au monde anglo- saxon sont en effet en pleine contradiction  avec la liberté à la française et la notion du bien commun qui l’accompagne. Par exemple EDF ne baignait pas dans un marché, mais produisait pourtant et massivement l’électricité la moins couteuse du monde, et ce au service du bien commun.

Ces mêmes murmures étranges et grandissants vont induire un écart lui-même grandissant entre la légalité du pouvoir et sa légitimité. Ecart devenu grand écart, il est à la source de tous les errements dans les stratégies gouvernementales : achat à crédit de la paix sociale, vente de « droits libertés » au profit de toutes les minorités, affaissement culturel, perte de sens, destruction d’entreprises, déclin   économique, entrepreneurs politiques insignifiants et méprisés.

Les entrepreneurs politiques ne cesseront plus d’utiliser les outils de la contrainte publique au profit de leur reconduction au pouvoir et au prix de la déconstruction du pays. Dans ce contexte cette agression culturelle subie par la France prend plus de poids que dans d’autres nations elles aussi rétives aux marchés auto-régulés. Cela résulte simplement de l’histoire du pays, la France, dont la culture atteint la grandeur d’une civilisation. La France, quoique lasse et bientôt anéantie, devient ainsi championne de la résistance.

Les têtes à queue que l’on enregistre en différents endroits de la communauté épistémique planétaire, avec notamment des phénomènes massifs de monétisation jusqu’ici rigoureusement interdits, vont -ils consacrer le grand retour des valeurs de la France ? Une France plus ou moins paresseuse qui parait-il n’aime pas l’économie, n’y comprend rien et qui pourtant a fait naitre les entreprises les plus performantes du monde.

La conjonction des têtes à queue d’une part, et l’illégitimité massive d’un pouvoir qui gagnera les élections présidentielles de 2022 d’autre part, permettra-elle  enfin de renverser la table ?

 

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31 mai 2021 1 31 /05 /mai /2021 07:54

Nous présentons dans la vidéo qui suit la vision que Michel Aglietta propose en matière de système monétaire international.

Le départ de la réflexion est l'interrogation sur l'avenir du dollar  dans un monde où le poids économique de la Chine est fortement croissant. L'auteur se situant complètement dans les institutions actuelles cherche à éviter la fragmentation du monde globalisé. Dans cette perspective, il évoque la possibilité de construire un nouveau système monétaire international ne reposant plus sur une devise clé mais sur une devise multilatérale qui serait le DTS.

Expliqué différemment le schéma semble simple et le nouveau système pourrait se comprendre à partir de l'exemple du marché monétaire tel qu'on le rencontre dans chaque pays. Comme on le sait, ce marché résulte de la multiplicité des acteurs bancaires et des problèmes  qu'ils rencontrent au niveau de la compensation résultant du mouvement des paiements entre banques. Il n'existe évidemment pas d'équilibre journalier entre monnaie qui fuit et monnaie qui arrive dans une banque. D'où l'obligation d'opérations de prêts entre partenaires  avec intervention de la banque centrale en tant que prêteuse ultime. 

Un système monétaire international multilatéral pourrait reproduire ce schéma: Le FMI jouant le rôle de banque centrale et les banques centrales nationales chargées des intérêts de chaque Etat, jouant le rôle des banques classiques. La création monétaire, ici la liquidité internationale, se ferait au niveau du FMI par le biais d'allocations de DTS. Le FMI deviendrait ainsi l''émetteur d'une unité de compte mondiale, une monnaie fiduciaire créée sans dette, émise en fonction des besoins d'une économie entièrement mondialisée. Les nations en déséquilibre des paiements règleraient ainsi leurs dettes en DTS, avec bien évidemment les limites qui seraient imposées quant au montant de DTS dont elles peuvent disposer. La compensation entre Etats se ferait d'abord dans le cadre d'un système de prêts comme dans le marché interbancaire classique, puis avec l'aide du prêteur en dernier ressort que serait le FMI. Petit à petit le DTS, nouvelle monnaie fiduciaire, nouvelle unité de compte, nouveau vecteur de réserve de la valeur supplanterait le Dollar. Avec l'avantage ultime suivant: aucune autre monnaie nationale ne viendrait se substituer au Dollar et donc nous pourrions assister à la naissance de la monnaie mondiale dans un cadre entièrement multilatéralisé.

Cette vision des choses reste aujourd'hui très théorique et on ne voit pas pourquoi les USA accepteraient le désarmement monétaire qui, aujourd'hui, est un outil essentiel  de la puissance américaine. Il n'y a aucune raison de voir les USA accepter un multilatéralisme puisque l'intérêt du monde globalisé, même en fragmentation avec l'apparition d'Etats rivaux (Chine) est encore de voir une liquidité abondante et peu importe qu'elle résulte du gigantesque déficit américain. Le "déficit sans pleurs" des USA est aussi un vrai bonheur pour le reste du monde, pour ses entreprises, pour ses citoyens, pour son système financier, pour ses Etats.

Parce que -dans la vidéo que nous reproduisons ci-dessous- Michel Aglietta n'évoque pas l'idée que le système actuel  repose sur l'énorme déficit américain et  ses avantages pour la communauté internationale, il ne mesure pas l'énorme capacité des USA à maintenir le système en place. Et il sera difficile pour la Chine d'imposer un Yuan qui ne peut devenir liquidité internationale que si le pays se dirige vers un déficit extérieur massif. Tant que la Chine connaitra un surplus extérieur elle devra se contenter de rester l'usine du monde, absorber  de la liquidité monétaire internationale et ne pas en émettre : la circulation des yuans est centripète et non centrifuge. 

 

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17 mai 2021 1 17 /05 /mai /2021 03:57

Les comptables nationaux exposent la réalité chiffrée en regroupant des agents économiques selon de grandes catégories : les entreprises appelées sociétés non financières,  les institutions financières , les administrations publiques, les ménages et le reste du monde. Au terme d’une période d’activité, (trimestre ou année) on dresse le compte de chacun et on établit le résultat final. Ainsi chaque groupe d’agents connait au terme de son activité un solde final qui est soit un excédent (une capacité de financement) soit un déficit (un besoin de financement)  : la somme des besoins est comptablement égale à la somme des capacités. Plus savamment les économistes diront que la somme algébrique est égale à zéro.

Pour la France, si l’on prend le dernier trimestre de l’année 2019, soit quelques mois avant l’explosion de la pandémie, la somme des capacités de financement en millions d’euros, (respectivement 1952 pour les entreprises, 17070 pour les ménages et 6070 pour le reste du monde) est bien égale à la somme des besoins de financement ( 2072 pour le secteur financier et 22951 pour les administrations publiques), soit 25023 millions d’euros.

La pandémie et sa gestion bouleverse tout. Ainsi, en considérant le second trimestre de l’année 2020, les entreprises passent d’une capacité de 1952 à un besoin de 27864. Pour les autres secteurs : nous passons d’un besoin de 2072 à seulement 724 pour les institutions financières ; de la même façon nous constatons pour les administrations publiques un fort accroissement des besoins de financement lesquels passent  de 22951 à  65787 ; pour les ménages  une capacité de financement qui bondit de 17070 à  68551 ; enfin, pour le reste du Monde,  une capacité de financement fortement croissante en passant de 6072 à  18731.

Globalement, les besoins totaux de financement passent de 25023 millions d’euros - juste avant la pandémie - à 94375 millions d’euros au cours du second trimestre de l’année 2020, c’est-à-dire celui correspondant à la période du confinement. Soit une multiplication par 4 entre le quatrième trimestre 2019 et le second trimestre 2020.

Resterait à examiner les conditions de réalisation de l’équilibre nouveau des capacités et des besoins pour  les divers groupes d’acteurs. A priori peu de conséquences pour les institutions financières qui conservent un solde financier d’un faible montant malgré l’explosion de la pandémie. Pour autant, cette faiblesse du solde cache un accroissement considérable  d’éléments d’actifs et de passifs aux bilans des institutions correspondantes. En effet, ces dernières  vont s’endetter dans des conditions paradisiaques auprès de la BCE qui octroie des crédits à taux négatifs (-1%). Ces dettes nouvelles  serviront pour partie à acheter des bons du Trésor, pour  une autre partie à octroyer des crédits aux entreprises dans le cadre du programme gouvernemental, enfin une dernière partie servira de matière première à la spéculation et aux jeux d’enchères des gestionnaires d’actifs lesquels appartiennent au  système financier.

Le programme gouvernemental étant garanti par l’Etat, les institutions financières sont en quelque sorte protégées et du côté du passif (BCE) et du côté de l’actif (Administrations publiques). Ajoutons qu’elles sont aussi protégées par les ménages qui, eux-mêmes, verront apparaître une certaine garantie de revenus laquelle va engendrer, épargne aidant, un abondement des comptes courants au passif des banques, ce qu’on appelle l’épargne des ménages due au confinement. Les comptes courants des entreprises, figurant aussi au passif des banques,  sont eux-mêmes protégés par les crédits décidés par le programme gouvernemental, d’où les réactions parfois étonnées de commentateurs concernant l’abondance de trésorerie de nombre d’entreprises dont l’activité est pourtant réduite.

Au total, les institutions financières (banques) sont protégées, les ménages sont protégés, les entreprises sont protégées. Reste 2 acteurs : le Reste du monde et les administrations publiques.

Le premier voit sa capacité de financement tripler  ( passage de 6070 à 18731) et se trouve à ce titre grand bénéficiaire de la politique gouvernementale. Cette capacité de financement est la contrepartie des exportations étrangères vers une  France qui continue de consommer alors que la production se rapetisse. Cela correspond, par conséquent, à un abondement des comptes du reste du monde, comptes qui ont pu se transformer sans doute marginalement en achats de bons du Trésor français.

Le second, les administrations publiques, voit son besoin de financement passer de 22951 à 65787, soit presqu’un triplement. Pour l’essentiel, ce besoin est couvert par les banques qui se refinancent immédiatement et de façon fort lucrative auprès de la BCE avec ses prêts à -1%.

Au total, c’est bien l’action de la BCE qui autorise la grande transformation patrimoniale de la totalité des acteurs du jeu économique.

La présentation très comptable qui vient d’être dessinée permet de bien comprendre la question de la dette, ici dette dite COVID. C’est bien l’émission de monnaie par la BCE qui permet l’engagement nouveau de l’Etat sur ses administrés, en particulier entreprises et ménages, lesquels vont vivre la dette comme un abondement très heureux sur les comptes bancaires des uns et des autres. Un abondement heureux qui pourra même se manifester au profit des étrangers (compte du Reste du monde). Bien sûr, les besoins de financement sont comblés à l’euro près par des avoirs nouveaux ( capacités de financement), couverture qui laisse pourtant apparaître la question de la confiance. Lorsque les soldes des comptes des divers agents sont relativement faibles , cette confiance est elle-même plus grande que lorsqu’ils sont comme dans le cas de la France multipliés par 4 entre le quatrième trimestre 2019 et le second trimestre 2020. A ce titre, on pourrait penser en termes très simplistes et se dire que si l’Etat (administrations publiques) entrait en défaut au regard de sa dette c’est tout l’édifice qui s’écroulerait, avec en particulier l’insolvabilité généralisée du système financier et ses conséquences sur l’épargne des ménages figurant au passif des banques. Ce scénario n’a guère de sens puisque la banque centrale est prêteuse en dernier ressort et qu’elle est à ce titre le seul acteur du jeu à ne jamais connaitre d’exigence de passif. Et c’est fort de cette capacité en dehors du commun qui fait que tous les autres acteurs du jeu peuvent être sécurisés : les craintes pour leurs propres passifs sont protégées sur simple décision de la Banque centrale et ce, pour des montants illimités. C’est cette spécificité qui fait de la banque centrale l’acteur principal qui « tient le tout » et, à ce titre, permet de gommer tous les risques d’illiquidité et d’insolvabilité. Le lecteur averti sait que les traités européens interdisent juridiquement l’image d’une banque centrale prêteuse en dernier ressort. Pour des raisons propres aux conditions de la naissance de l’euro, ce fait est acté et enseigné, mais il est déjà de fait non respecté et ce, avec le quasi-assentiment d’une Allemagne qui n’a plus le choix et se trouve obligée de respecter le droit commun des banques centrales. Le lecteur averti sait aussi que même La Cour Constitutionnelle allemande est aujourd’hui obligée d’avaler des couleuvres….

Reste à savoir quelle partie de la liquidité nouvelle reste enfermée dans la sphère financière et simplement spéculative et quelle partie nourrit l’économie réelle.  De ce point de vue, la BCE en tant qu’organe central du jeu des acteurs ménage à la fois, la finance et l’Etat, qui se doit lui-même de ménager les réalités économiques et sociales. La BCE, comme souvent indiqué dans le blog, « tient le tout » tout en n’étant qu’un acteur au service des autres. Les leviers de commande  d’une finance  au périmètre gigantesque doivent être scrupuleusement tenus et à ce titre il faut bloquer tout effondrement de la valeur des actifs, d’où des prêts aux banques qui sont de fait des subventions, des achats de titres privés, etc. Le service  à l’Etat doit lui-même être tout aussi scrupuleux (rachat massif de dette publique) à peine d’un effondrement de la capacité de ce dernier à se financer et des conséquences gigantesques sur les bilans des institutions financières et de leurs clients (les ménages). Ce jeu très complexe et très subtil est le principe explicatif de la répartition de l’extraordinaire liquidité entre son canal spéculatif et financier et son canal économie réelle.

La BCE est certes bien devenue une sorte de proto-Etat, un peu l’équivalent du Duché de Bourgogne au 15ième siècle, mais le suzerain , c’est- à-dire l’Etat , doit être ménagé car il est lui-même dans une situation de servitude volontaire qui pourrait être contestée par des citoyens devenus soudainement conscients d’ une situation devenue ubuesque. Pour le moment encore, on continuera de véhiculer la grande fable de l’indépendance des banques centrales et on continuera à masquer le fait que derrière le jeu complexe du proto-Etat, de son suzerain et de ses serviteurs, il y a une finance qui est l’ultime marionnettiste. L’irruption éventuelle d’une cryptomonnaie "banque centrale" pourra-t-elle demain redéfinir fondamentalement les règles du jeu et nous faire basculer dans un tout autre monde ? Affaire à suivre.

 

 

 

 

 

 

 

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1 mai 2021 6 01 /05 /mai /2021 16:47

Les énormes dépenses publiques américaines sont critiquées de toutes parts. Beaucoup pensent que la compilation des plans Trump puis Biden de relance ne pourra, au-delà d’une dette jugée insupportable, que mettre en danger l’hégémonie du dollar dans le monde. Certains auteurs pensent même que la Chine va en profiter pour arrimer le yuan dans un statut de monnaie de réserve et que sa récente décision du passage à un Yuan flottant irait dans ce sens[1]. D’autres pensent que l’on pourrait se diriger vers une dévaluation massive du dollar.[2]

Pour autant, nous tenterons ci-dessous de montrer que le dollar est et restera encore très longtemps la seule monnaie à être suffisamment liquide et à ne pas souffrir du risque de convertibilité c’est-à-dire de fuite vers une autre monnaie. Clairement l’émetteur de dollar - de fait un accord non écrit entre Trésor fédéral et FED sur la couverture de l’émission - restera le souverain à qui il ne pourra pas être demandé de compte. Cela ne fut pas toujours le cas, notamment lorsque avant le 15 août 1971 le dollar était convertible en métal précieux et que cette convertibilité devenait de plus en plus exigée par des Etats qui demandaient le remboursement de leurs avoirs dollarisés en or. En pratique, des Etats étrangers, dont la France du Général De Gaulle, se disaient tout aussi souverains que l’Etat fédéral américain, lequel devait se soumettre à une discipline monétaire sérieuse. Cela n’est plus le cas aujourd’hui et nous allons montrer que la souveraineté américaine est au-dessus de toutes les autres souverainetés et cela probablement pour fort longtemps encore.

Tout d’abord il faut comprendre que l’énorme déficit du Trésor fédéral n’est pas danger mais pur cadeau fait à tous les acteurs qui vont en bénéficier. De façon très synthétique et en prenant la terminologie des comptables nationaux, les grands acteurs sont les « administrations publiques » (Etat fédéral), le secteur privé (« entreprises », « système financier » et « ménages ») et le « reste du monde » qui est un acteur greffé sur ceux  de l’ensemble national. Lorsque l’Etat fédéral décide de dépenser, il ordonne à la FED d’enclencher l’abondement des comptes des bénéficiaires (entreprises et ménages via le système bancaire). Cette dernière débite le compte du Trésor fédéral pour un même montant…que celui-ci soit à découvert ou non. Les bénéficiaires de la dépense publique sont le secteur privé dans ses composantes et bien sûr le reste du monde, le plus souvent par ricochet (importations nouvelles, dépenses militaires à l’étranger, exportation de capitaux vers le reste du monde, etc.) Ces mêmes bénéficiaires directs et indirects, nationaux ou étrangers, voient leurs comptes bancaires crédités en dollars. Ils peuvent bien sûr transformer ces dollars en bons du Trésor US sans aucun risque puisque la FED pourra en tant que prêteur en dernier ressort toujours assurer le paiement à l’échéance. De ce point de vue la dette n’a aucun sens pour le Trésor américain. Ce n’est évidemment pas le cas pour nombre d’autres Etats qui ont pu ou ont dû s’endetter à partir de devises étrangères et qui ont adopté un taux de change fixe. Ce n’est pas non plus le cas d’autres Etats qui, tels ceux de la zone euro, ont abandonné toute souveraineté monétaire et ne peuvent plus individuellement bénéficier d’un financement illimité de la BCE. Le drame de la Grèce reste ici dans les esprits.

Bien sûr les bénéficiaires nationaux et étrangers du déficit public américain peuvent transformer leurs

nouvelles liquidités en dollars et acheter des devises étrangères. Le problème est toutefois qu’une

partie essentielle du monde est fait d’espaces économiques excédentaires tel l’immense Chine et

l’Europe, voir le Japon et la Corée du sud. Cela signifie que le compte du reste du monde de ces espaces

 est déficitaire, ce qui correspond à un fort excédent financier pour les dits espaces. En termes

 simples, Chine et Europe, soit quelque 40% du PIB mondial, dépensent moins qu’ils ne gagnent, ce qui

signifie que leurs devises ne sont pas abondantes sur le marché mondial.

Le Yuan est relativement rare car peu d’acteurs mondiaux sont en excédent sur la Chine et leurs

 comptes en Yuans sont donc très limités. L’euro est relativement rare car peu d’acteurs sont en

excédent sur la zone euro et leurs comptes en euros sont limités.

 Globalement, une réserve de valeur en Dollars est bien plus intéressante qu’une réserve de

valeur en Yuans ou en euro dont la liquidité est beaucoup plus faible qu’un dollar très abondant en

raison du déficit américain. Et, précisément, cette liquidité aussi synonyme de sécurité, fait que les

monnaies chinoise et européennes sont moins souveraines que la devise américaine. Une grande partie

du monde s’étire ainsi entre zones  très  excédentaires (Chine, Japon , Corée du Sud,  Europe, Etats

pétroliers) et une zone très déficitaire (USA). Bien sûr, il existe d’autres espaces ( Amérique Latine,

Afrique, etc.) qui eux sont en difficulté. Très simplement ils ont quelque peine à rassembler les moyens

nécessaires aux importations dont ils ont le plus grand besoin (dentées alimentaires surtout, mais

aussi, pétrole, médicaments, technologies, sans bien sûr oublier un service de la dette qui, pour certains

pays africains, va mobiliser jusqu’à 50% du budget public[3]). Si donc les zones précitées étaient toutes

excédentaires, en particulier commercialement excédentaires, cela signifierait qu’Amérique Latine,

Afrique, etc. connaîtraient les plus grandes difficultés à exporter et donc à disposer des ressources

importées dont ils ont les plus grands besoins. De ce point de vue l’énormité du déficit américain

constitue un ballon d’oxygène pour ces continents et pays. Un ballon d’oxygène américain qui viendra

 s’ajouter à l’abandon par le G20  du service de la dette pour 73 pays en difficulté[4].

La conclusion est simple : parce que les monnaies des zones excédentaires sont animées par des forces

plus centripètes que centrifuges, les devises correspondantes ne peuvent devenir aisément monnaie

 de réserve. A l’inverse, parce que les USA connaissent un déficit public gigantesque et que ce déficit

nourrit le compte du reste du monde, le dollar est animé de forces plus centrifuges que centripètes et

 devient spontanément la monnaie ultime.

La Chine, notamment avec ses routes de la soie, effectue de gigantesques prêts en Yuans auprès de

nombreux pays. L’augmentation de la liquidité en Yuans correspondante est pourtant éphémère et les

pays bénéficiaires sont invités à importer depuis la Chine et au-delà à rembourser les prêts. Là encore

les forces centripètes l’emportent. Il est donc très difficile de créer une zone Yuan pouvant à terme

concurrencer le Dollar.

Une solution plus efficace pour la Chine serait d’utiliser ses immenses avoirs en dollars pour acquérir

des entreprises américaines. Il s’agirait alors d’un véritable paiement, les USA voyant leur déficit se

 transformer en perte de patrimoine. Bien évidemment, les USA utiliseraient tous les moyens de leur

souveraineté pour réduire à peu de chose cette perte de substance.

De fait la concurrence du Yuan - ou de toute autre monnaie - au regard du Dollar serait la transformation

 du système productif chinois avec désormais un déficit durable et important permettant aux forces

 centrifuges de l’emporter sur les forces centripètes. On en est très loin et longtemps encore la Chine

devra connaître un excédent extérieur compensant la faiblesse de la consommation interne.

La mort du dollar est régulièrement annoncée. Il n’a pourtant jamais été aussi hégémonique et il le sera

encore fort longtemps.

[1] C’est le cas de Kenneth Rogoff (cf les Echos du 33 avril 2021)

[2] C’est le point de vue de Nicolas Baverez (cf les Echos du 28 avril 2021)

[3] C’est le cas du Ghana aujourd’hui.

[4][4] Décision des pays du G20 d’Avril 2020, et décision de peu d’effet par peur d’abaissement de note entrainant une fuite de capitaux.

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21 avril 2021 3 21 /04 /avril /2021 07:42

A moins d’une année de l’échéance, les rapports de force semblent bien établis et le second tour de l’élection offrira à l’électeur un choix entre 2 forces très minoritaires. Résultat plus serré qu’en 2017 avec néanmoins prime pour le sortant.

Vu l’extrême fatigue de la population, la campagne devrait être assez plate et les joueurs joueront le jeu sans jamais débattre d’un changement de règles. Certes, l’idée de souveraineté sera beaucoup évoquée mais aucun joueur ne se risquera d'en discuter avec le sérieux indispensable. Sachant  que le souverain est celui qui se donne la possibilité de dépasser un cadre, chacun se  dira prêt  à en dépasser les limites tout en veillant scrupuleusement à rester à l’intérieur du périmètre  du terrain de jeu.  Même le RN respectera strictement le terrain de jeu actuel et tentera d’arracher plus de compétitivité en devenant un parti comme les autres. C’est ainsi que le combat entre joueurs sera celui d’échange de slogans souvent vides de sens : « capitalisme responsable avec objectifs sociaux », « performance ESG » (environnement/social/gouvernance), « fin de la logique du « fair value » dans les normes financières et comptables », « réglementation souple sur la commande publique », « pouvoir d’adaptation de la réglementation », « création d’ une agence des technologies de rupture », « rationalisation des aides à l’investissement », « abolition de l’extra territorialisation du droit américain » etc.

Les élections législatives qui suivront vont voir disparaitre les quelques centaines de députés type « ancien étudiant d’école de commerce et de communication ». Leur remplacement se fera par une très large majorité de députés type « Assureur de Saint Quentin ». D’où une cohabitation plus difficile que celle des années 1974/ 1981.

Le résultat de l’élection présidentielle étant assez resserré ( type 54/46), et l’élection législative ne laissant que peu de place à la gauche (quelques dizaines de députés) et peut-être encore  moins au RN (20/30 députés ?), le conflit entre  légalité et  légitimité deviendra trop visible.

Le grand écart entre légitimité et légalité déjà fort présent dans le quinquennat avait pu être contenu dans ses effets par une pandémie providentielle. Ce sera beaucoup plus difficile à partir de septembre 2022.

La déglobalisation fonctionnera ainsi comme discours hors sol dans un monde davantage numérisé grâce à la pandémie. La fin de l’entreprise comme organisme vivant, processus accéléré par la numérisation des plus petits acteurs, devrait développer une accélération de l’effondrement de l’architecture sociale présente : progression de la  fin du salariat  ? émigration de télétravailleurs renforçant celle des cadres existants ? accélération de l’émigration d’une élite davantage numérisée ? effacement d’une culture d’entreprise ? fin du syndicalisme ? capitalisme de surveillance ? etc. Le développement de l’Intelligence artificielle devrait lui-même accélérer la taylorisation de l’encadrement jusqu’aux niveaux les plus élevés. Moins de cadres réels et davantage « d’exécutants de l’encadrement »,  isolés, mais très surveillés et assignés au reporting permanent. L’énorme décalage entre niveau de formation et réalité du travail devrait s’accroître considérablement avec les  frustrations correspondantes. La numérisation sans retenue du management ruine l’entreprise vivante au profit du ruissellement bureaucratique.

Le capitalisme financier de l’après pandémie sera - ruse de la raison ?- adossé à un keynésianisme de grande dimension en provenance des USA. Cela posera avant même l’élection présidentielle la question du dimensionnement des plans de relance en France et, ultérieurement, favorisera les conflits à l’intérieur d’une cohabitation gouvernementale dont l’illégitimité sera clairement perçue par la population. Le retour d’un keynésianisme venu d’Amérique, théoriquement et juridiquement impossible dans le cadre bruxellois, favorisera d’énormes conflits dans un attelage gouvernemental où l’idéologie européiste confrontée à la dure réalité fera  l’objet de grands débats. Rapidement, le plan européen de relance se verra contesté dans son caractère de processus invasif d’une part et de monstruosité bureaucratique d’autre part. Parallèlement les énormes dettes garanties durant la pandémie deviendront un problème majeur pour l’attelage gouvernemental : continuer la zombification d’une partie de l’outil de production ? annulation des dettes correspondantes ? Quelles modalités pour l’affrontement avec Bruxelles ?

La société ne se vivra plus en termes de classes ou de groupes mais davantage en termes de tribus ou de bandes. Au final,  n’étant plus faite que d’individus disjoints, désormais incapables de s’organiser dans un milieu lui-même désorganisé, sans repères, et finalement inquiétant, la guerre civile de basse intensité devrait se pérenniser et grossir sous l’aide de « l’effet de loupe » de médias eux-mêmes numérisés.  Forte de composantes multiples et difficile à relier ( conflits culturels devenus indépassables, irréductible conflit entre développement auto-centré et extraversion mondialiste, conflits sur la très difficile intégration de l’environnement dans un projet humain, etc. ) la guerre civile sera de moins en moins idéologique et de plus en plus de type « guerre de tous contre tous ». Parce qu’au terme de la pandémie et de l’élection présidentielle la société se sentira davantage fissurée, elle connaitra  quelque peine à prendre conscience que sa fonction traditionnelle  de  « containment » de la violence est en voie d’épuisement.

L’enjeu de l’élection présidentielle n’est pas de sélectionner et laisser s’épanouir un projet clair et rassembleur. Parce que les acteurs sont trop fatigués et frappés de cécité, il s’agira modestement d’assurer la gestion des affaires courantes en évitant de  se poser de vraies questions.

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13 avril 2021 2 13 /04 /avril /2021 09:18

La pandémie semble bouleverser bien des points de vue et il parait aujourd’hui probable que les politiques industrielles constitueront une pièce majeure des débats lors de l’échéance présidentielle de 2022. Toutefois on parlera beaucoup d’industrie mais beaucoup moins du vecteur monétaire et en particulier la question de l’euro ne sera, à priori, plus à l’ordre du jour.

Dans un monde qui ne remettra pas en question l’économie de marché, l’industrie, comme les autres activités se déploie dans un canevas monétaire qui vient en dessiner la structure et les contours. Par exemple, côté structure, c’est bien aussi les prix relatifs du capital et du travail qui viennent dessiner le choix de la combinaison productive. Par exemple si le prix du travail diminue et que celui du capital augmente on privilégiera des organisations plus utilisatrices de travail.  Côté contour, c’est bien un système de prix qui vient fixer le poids et la qualité de la production par rapport à celui des services et des échanges, la part des importations et des exportations, etc.

On voit aussi que le système de prix est lui-même hiérarchisé et que l’un d’entre-eux, le taux de change,  est en réalité la clé de voûte de l’ensemble, avec d’emblée un statut de variable explicative, au moins partielle, de la totalité  macroéconomique étudiée.

Très simplement dans le cas de l’Europe, c’est bien un taux  de change d’un  type nouveau qui va massivement redessiner la macro économie grecque depuis le début du 21ième siècle. Parce que ce taux devient étranger à la réalité grecque- cotation élevée de l’euro contre Drachme de valeur faible-  les investissements se détourneront de la production au profit du commerce et de la distribution . Produire dans une zone déjà peu industrialisée  avec un taux de change élevé n’est guère rationnel, et ce qui pouvait être exporté avec un taux de change faible ne l’est plus avec un taux plus élevé. Par contre distribuer devient très rationnel et le taux de change élevé devient gain de pouvoir d’achat international. On comprend par conséquent la suite  des évènements : on produit moins, on consomme davantage, une consommation elle-même aidée par une autre distribution , celle du crédit…. et donc l’endettement est au bout du chemin.

Ce petit rappel d’une grande banalité doit être au cœur des réflexions de ceux qui dans beaucoup de mouvements politiques veulent reconstruire les bases industrielles de la France.

En allant plus loin, ce même petit rappel montre à quel point le taux de change était  un outil essentiel hélas perdu . Pour un pays comme la Grèce et bien d’autres pays du sud, son abandon  vient dessiner un système de prix aux  conséquences  majeures :

Le taux de l’intérêt se trouve plus faible qu’à l’époque de la Dracme, de la Peseta, de la lire, du Franc, etc; Le niveau de  dépense publique se trouve moins contraint que par le passé ; les contraintes en termes de recettes fiscales fléchissent ; l’endettement privé qu’elle qu’en soit sa destination devient plus aisé ; les importations moins couteuses peuvent croitre ; le prix du travail devient trop élevé ; l’investissement interne devient moins rentable ; l’investissement externe l’est davantage ; les exportations deviennent peu compétitives ; le cout des services explose ; etc.

De quoi modifier tous les comportements de tous les acteurs et d’entrainer des conséquences macroéconomiques majeures.

Ces modifications d’un système de prix orchestrées par un taux de change inadapté va aussi développer des effets majeurs sur les soldes financiers traditionnels, ceux désignés par les comptables nationaux par les expressions classiques suivantes : « secteur des administrations publiques », « secteur privé » (ménages et entreprises financières ou non), et « reste du monde ». Comptablement on sait que la somme algébrique des soldes financiers de ces 3 secteurs est égale à zéro. Ainsi quand la somme des soldes internes est négative (administration publique + secteur privé) cela signifie que le reste du monde bénéficie d’un solde positif pour un même montant…ou autre façon, plus simple, de s’exprimer : le pays entre en déficit au regard de son extérieur.

Quand par conséquent le vecteur monétaire est inadapté - dans le cas de l’Europe du sud, lorsque le taux de change est trop élevé par rapport au reste du monde y compris l’Europe du nord- l’évolution des soldes financiers devient problématique : déficit des administrations publiques, excédent du reste du monde ( donc déficit de la balance extérieure du pays) et solde de l’économie interne qui n’est que la conséquence des deux premiers. 2 situations possibles : si le déficit des administrations publiques est inférieur à celui de la balance extérieure, le secteur privé devient déficitaire ; à l’inverse si le déficit des administrations publiques est supérieur à celui de la balance  extérieure le secteur privé devient excédentaire.

Dans le premier cas, à solde extérieur donné,  le secteur privé laisse apparaitre un déficit financier résultant d’une alimentation trop faible en termes de ressources publiques. A  solde public donné, ce même secteur privé souffre d’une fuite de ressources vers l’extérieur. Le secteur privé (entreprises et ménages) s’étiole. Une situation d’étiolement qui peut connaitre des configurations variées par exemple en termes d’endettement trop lourd des entreprises, en termes d’épargne insuffisante des ménages, en termes de taux de marge trop faible eu égard à la concurrence, en termes de gains de productivité durablement inférieurs à ceux de la concurrence externe, en termes d’investissements de rente et non d’affrontements concurrentiels, etc. des configurations diverses qui hélas caractérisent assez bien  la réalité  des pays du sud de l’UE.

Dans le second cas, le secteur privé souffre d’une fuite vers l’extérieur mais se trouve surcompensée par l’alimentation publique.

Bien évidemment le second cas est préférable mais il se heurte à l’absence de souveraineté monétaire. En effet la grande question est de savoir comment financer le surplus de dépense publique, et un financement qui relève, on le comprend mieux maintenant, de la monétisation. Cette dernière ne pose pas de problème insoluble lorsque le pays concerné est monétairement souverain. Même lorsque la banque centrale est indépendante et que la dette publique fait l’objet d’un marché, un pays monétairement souverain développe une coopération entre sa banque centrale et son administration du Trésor. C’est en particulier le cas des USA où la Réserve fédérale soutient les « primary dealers » (l’équivalent des spécialistes en valeurs du Trésor de notre agence France Trésor) et veille à l’implication et  la rentabilité de ces derniers afin d’assurer le bon placement de la totalité des bons du Trésor. Avec une telle coopération même le gigantesque déficit engendré par les plans Biden se trouve financé avec des taux durablement faibles. Bien évidemment une telle coopération suppose une attention sur les risques inflationnistes, toutefois eux-mêmes maitrisables en raison d’un retour à forte croissance et donc à forte exigence en termes de disponibilités monétaires. Au-delà des modalités techniques de cette coopération entre Département du Trésor et Réserve fédérale, chacun aura compris qu’i y a mix des marchés primaire et secondaire de la dette publique, et qu’il y a donc complet dépassement de l’idée d’indépendance de la Réserve fédérale.

L’Union Européenne est l’inverse d’une zone de souveraineté monétaire et donc les pays du sud handicapés par une fuite vers l’extérieur ( taux de change trop élevé) ne peuvent compenser le saignement du secteur privé par un déficit lourd des administrations publiques. La BCE ne peut – au moins jusqu’à maintenant-répondre facilement et directement aux appels des Trésors en difficulté dans le sud de la zone. Ce fût le cas de la Grèce avec une BCE qui ferme le robinet. C’est potentiellement encore le cas de l’ensemble du sud si la même BCE n’arrive pas à s’extirper de la main allemande[1].

Présentement, tant que la BCE reste encore fondamentalement ce qu’elle est, les réformes structurelles se doivent de rester à la mode. Puisque le secteur privé (ensemble entreprises et ménages) ne peut compenser le saignement ( tendance fondamentale au déficit extérieur résultant d’un  taux de change irréaliste) par la dérive des finances publiques, la solution réside dans sa dévaluation interne : moins d’Etat social, diminution du cout du travail, baisse du montant des retraites, etc. Et une baisse d’autant plus forte qu’il faut aussi rendre plus compétitif le sous- ensemble entreprises du secteur privé : baisse de l’impôt sur les sociétés, disparition des impôts de production, allégement de la normalisation et de la réglementation, regroupement des agences de régulation  etc. Ajoutons que cette recherche de compétitivité doit aussi se faire compte tenu d’un partenaire nouveau : un environnement économique et climatique qui  doit de plus en plus être respecté, ce qui oblige une  grand rigueur sur les objectifs de la dévaluation interne. Très concrètement le cout de la « loi climat » ne peut se financer que sur les gains de la dévaluation interne.

Tant que fondamentalement le corset monétaire reste ce qu’il est, il est très difficile pour une éventuelle politique industrielle de s’abstraire de la logique des réformes structurelles. C’est en particulier ce que l’on constate en France avec le plan de relance : pas de retour à une stratégie de branche, pas de vision claire à long terme, et simple accompagnement de la logique de la recherche de compétitivité.

Bien sûr la BCE va encore beaucoup évoluer et probablement va-t-elle réussir à s’extirper de la main allemande. Toutefois même en faisant disparaitre les dettes du sud par inondation monétaire ciblée, la question du saignement par le déséquilibre extérieur restera posée. Et il sera difficile de muscler le secteur privé en particulier le sous ensemble des entreprises en abandonnant toutes les règles européennes qui ne sont que règles complémentaires et indispensable au fonctionnement de l’euro zone.

Une réindustrialisation est un processus lourd et difficile. Mais sans souveraineté monétaire permettant le choix du taux de change, la démarche s’avère complètement impossible. La contrainte monétaire, avec bien sûr ces conditions telle celle de la liberté de circulation du capital, sera pourtant totalement exclue des débats à l’occasion de la future élection présidentielle française. A l’inverse on voit déjà se dessiner des morceaux d’embryons de programmes où l’on retrouve « ripolinisées » les vieux slogans de la compétitivité et de la concurrence : « capitalisme responsable avec objectifs sociaux », « performance ESG » (environnement/social/gouvernance), « fin de la logique du « fair value » dans les normes financières et comptables », « réglementation souple sur la commande publique », « pouvoir d’adaptation de la réglementation », « création d’ une agence des technologies de rupture », « rationalisation des aides à l’investissement », « abolition de l’extra territorialisation du droit américain ». La liste n’est limitée que par le manque d’imagination des joueurs sur les marchés politiques. Des joueurs qui bien sagement jouent à l’intérieur des règles du jeu d’aujourd’hui. Le lecteur constatera que même les joueurs les plus hardis semblent se recentrer sur les règles et ce afin de jouer dans la même cour que tous les autres.


[1] Il est sans doute possible de nuancer ce jugement à la lumière de nos nombreux articles sur le présent blog qui s’interrogent sur la transformation de la BCE en « proto-Etat ». De la même façon, nous semblons assister en Europe aux prémices d’une coopération entre Trésors et BCE, un peu à l’image de ce qui se passe aux USA. C’est ainsi que les Hedg funds spéculent sur les dettes européennes en se portant acquéreurs massifs sur les marchés primaires pour revendre dès le lendemain à la BCE, laquelle achète en se couvrant derrière ses programmes d’achats de titres destinés à soutenir l’économie. Ce type de comportement permet aussi de comprendre que depuis plusieurs mois les carnets d’ordre sont parfois 10 fois supérieurs aux quotas d’émissions (Cf Les Echos du 12 avril 2021).

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