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17 septembre 2024 2 17 /09 /septembre /2024 07:23

 

Au regard de la réalité de la situation de la France, le nouveau pouvoir reprendra les mêmes thèmes et les mêmes slogans en particulier celui d’un « euro protecteur ». La France ne va pas bien mais heureusement « l’euro nous protège ». Au moment où la question budgétaire va se poser dans l’hémicycle, la présente note se propose de montrer qu’il existe plus qu’un lien entre la dette ou le déficit et le choix de la monnaie unique.

Pour cela, il nous faut d’abord expliquer que le fonctionnement normal de l’euro suppose des transferts importants de ressources entre zones excédentaires et zones déficitaires.

Transferts entre régions au sein d’un Etat-Nation

 Soit un Etat-Nation composé de deux régions, l’une très productive, l’autre beaucoup moins. Logiquement, les échanges entre les deux régions seront déséquilibrés. Appelons RE la région excédentaire et RD la région déficitaire. Logiquement viendra un moment où la circulation des moyens de paiement se bloquera : RD devient insolvable. Plusieurs réactions sont envisageables :

1 – L ’Etat central décide de subventionner/moderniser RD à partir de l’impôt.

2 - Le même Etat décide d’introduire une monnaie spécifique dans RD, monnaie dévaluée par rapport à celle de l’Etat central et monnaie rétablissant la compétitivité de RD.

3 - L’Etat central mobilise autoritairement sa banque centrale et lui donne l’ordre de créer de la monnaie nationale au profit de RD.

En termes classiques les deux dernières solutions ne sont guère envisagées et ne sont que peu envisageables[1]. Toujours très classiquement, parce qu’un Etat est aussi chargé de produire de « l’homogénéité », la solution fiscale est envisagée. Constatons que c’est la solution que l’on trouve dans les pays de la zone euro. Ainsi en France les régions en difficulté bénéficient de transferts publics financés par la fiscalité.

Transferts impossibles en zone Euro

Cette solution n’est guère envisagée au niveau de la zone euro. Les divers pays sont naturellement très différents et très naturellement, pour toute une série de causes, les structures productives sont très variées. La monnaie unique fige les taux de change et donc nous aurons durablement des régions (ici des pays) excédentaires et des régions déficitaires. Il existe déjà des politiques européennes de mise à niveau, mais ces dernières sont quantitativement très limitées en raison du fait que le total de budget européen ne représente que 1% de son PIB. Le rééquilibrage doit donc se faire sans transfert et bien sûr une dévaluation est impossible pour les pays les moins productifs.

C’est dire que les pays déficitaires doivent reporter sur eux-mêmes la charge de la modernisation de l’outil de production alors même que le déficit vient les étrangler. Un peu comme si la région des houillères des Hauts de France avait été tenue de financer elle-même sa reconversion, alors que les marchés politiques produisent quasi automatiquement une solidarité.

Les coûts de l’interdiction des transferts

Sans revenir sur l’histoire de l’avènement de l’euro, il est clair que, pour la France, mais également pour d’autre pays, les difficultés vont commencer très vite après l’introduction de la monnaie unique. Ainsi l’indice de la production industrielle, régulièrement croissant à l’époque du franc, va stagner à partir de l’an 2000 (base 100 en 2000) puis décroître jusqu’à 90 en 2024. Ainsi le solde du commerce extérieur plus ou moins équilibré jusqu’en 2000, s’effondre à partir de 2004 pour atteindre le niveau historique de 200 milliards d’euros en 2023. Simultanément, cette sous-production assortie d’une sur importation ne peut être contenue malgré des aides publiques colossales au secteur productif. Articulée autour d’une multitude d’outils fiscaux budgétaires et socio fiscaux, cette aide est passée de 20 milliards d’euro en 2004, à 80 milliards en 2008 pour atteindre la somme faramineuse de 170 milliards aujourd’hui. Soit un passage de 1 point de PIB à 5,5 points aujourd’hui.

La disparition de la question du taux de change à l’intérieur de la zone euro accroit la pression concurrentielle sur le système productif français moins adapté. Il est plus facile d’internationaliser avec la disparition des coûts de la couverture de change mais cette disparition se réalisant pour tous, l’économie la moins compétitive voit son exposition renforcée. L’affermissement de l’internationalisation est donc globalement moins avantageux pour la France.

Vivre au-dessus de ses moyens

Ainsi, les français dépensent un revenu qui, quantitativement et qualitativement, n’est pas assis sur une production satisfaisante. Quantitativement la dépense est supérieure au revenu issu de la production, la différence correspondant au déséquilibre extérieur. Qualitativement cette production insuffisante est partiellement artificielle car sur vitaminée par des subventions ahurissantes. Il s’agit d’une tentative de soutien du secteur productif gravement handicapé par un taux de change de plus en plus irréaliste.

Cette dépense d’un revenu qui n’est pas produit, se lit également dans les dépenses sociales au profit de personnes qui restent durablement éloignées du tissu productif. Il est d’ailleurs difficile de distinguer clairement l’imputation des dépenses publiques globales entre celles affectées directement au monde de l’économie et celles au secteur des ménages. On sait toutefois que l’élargissement des dépenses sociales a mobilisé 1 million de fonctionnaires supplémentaires depuis l’introduction de l’euro, soit une hausse de 21% des effectifs de la fonction publique. Réalité qui ne peut se justifier que par l’étranglement du système productif : quand une économie est malade il lui faut mobiliser beaucoup de médecins.

La conclusion de ce raisonnement est extrêmement simple.

Côté dépenses publiques, l’Etat est venu compenser l’étranglement de l’économie productive. Il ne peut que poursuivre son effort à peine de crise économico/sociale majeure. Les entrepreneurs politiques sont tenus d’aider et les entreprises et les ménages. La bataille entre entrepreneurs politiques se déroulant autour des modalités du partage de l’aide, modalités censées distinguer une droite d’une gauche. L’étranglement est croissant si, comme constaté depuis plusieurs années, la productivité baisse.

Côté recettes publiques, il y a blocage en raison d’une liberté de circulation du capital qui est l’une des conditions d’existence de la monnaie unique. L’Etat ne peut davantage taxer les entreprises à peine de renforcer le flux des délocalisations. Il ne peut non plus davantage taxer les ménages en particulier les plus aisés à peine de renforcer le flux des exilés fiscaux.

Le vote du budget 2025.

Il existe par conséquent une tendance fondamentale à l’élargissement d’un déficit public croissant dont l’une des causes essentielles est l’inadaptation du taux de change. Le nouveau pouvoir qui se met en place, malgré sa sympathie pour le Gaullisme, se trouve très loin des conditions de la naissance de la Cinquième République où pouvait être voté, en 1959, un budget en équilibre… après une dévaluation anticipée de 20% en juin 1958, suivie d’une autre de 17,55% le 29 décembre de la même année…. A l’époque, la dévaluation massive permettait une hausse de la production et donc une situation où les acteurs dépensaient un revenu réellement produit.

La solution aujourd’hui supposerait que les déficits soient pris en charge par la zone euro, ce qui nous renvoie à la logique des transferts entre régions déficitaires et régions excédentaires. Il est difficile d’évaluer ces transferts depuis Bruxelles mais compte tenu des quelques chiffres sus mentionnés il s’agirait probablement d’un montant très supérieur à 10 points  de PIB…soit plus de 350 milliards l’an…On voit mal les marchés politiques s’orienter vers ce type de « mesure structurelle »….Le rapport de la France à l’Euro zone n’est en aucune façon le rapport du bassin houiller des hauts de France vis-à-vis de son autorité de tutelle. Il n’y aura jamais l’équivalent du « Fonds d’Industrialisation du Bassin Minier » (FIBM) mis en Place par François Mitterrand. L’Etat central se devait de payer et il n’a jamais été demandé aux houillères de mettre en place des « mesures structurelles » si galvaudées aujourd’hui.

Le projet de budget 2025 sera évidemment débattu autour des immenses besoins régaliens, ou des dépenses sociales voire, plus marginalement, sur la fiscalité. Les entreprises politiques de L 'Assemblée Nationale n’ont pas vraiment conscience de la réalité de la situation. Celles qui savent doivent imaginer le rapport coût/avantage résultant de la dénonciation de la monnaie unique. Ce rapport, vu le niveau moyen de connaissance économique dans l’élite française, est extrêmement négatif et les quelques députés qui savent se tairont. Au-delà, ces mêmes députés savent aussi que le coût géopolitique d’une telle dénonciation serait tout simplement colossal. D’où bien sûr, à peine d’inéligibilité radicale, aucun débat sur un financement strictement monétaire, aucun débat sur l’irruption d’une monnaie parallèle. Les débats concrets seront bien sûr agités mais ne porteront pas sur l’essentiel et très peu auront conscience que les choix techniques sont l’équivalent des marionnettes vis-à-vis du marionnettiste : c’est l’euro qui impose et guide les choix de politique budgétaire.

 La masse des entrepreneurs politiques de base, n’aura heureusement pas la charge de voter sur un sujet qu’ils ne connaissent pas et tout sera réglé par la magie du 49/3.

 

[1] Sauf le cas particulier de l’Argentine qui - depuis quelques mois - voit se redévelopper des monnaies régionales. Précisons toutefois que le problème n’est pas ici un déséquilibre entre régions mais plus fondamentalement une question de politique monétaire globale.

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7 septembre 2024 6 07 /09 /septembre /2024 09:09

Remarque préliminaire:

 Notre modèle d’analyse repose sur la constatation de la fin d’une idéologie d’un intérêt général. Ce qu’on appelle le politique a toujours été la monopolisation/appropriation de ce qui fonde le "commun" d’un ensemble humain. Et  une monopolisation assurant concrètement le pouvoir de certains acteurs sur d’autres. Plus concrètement encore, une  monopolisation/utilisation des outils de ce qui est "puissance publique" à des fins privées: conquête du pouvoir ou simple maintien. Cette monopolisation/utilisation reposait traditionnellement  sur une "extériorité" (Religion, Nature, Idéologie séculière, Raison). L’effacement des idéologies séculières (marxisme par exemple)  au profit d’une croyance nouvelle, celle de l’individu devenu "souverain", met à jour la réalité du fonctionnement politique. Ce que nous appelons les « entrepreneurs politiques » sont effectivement et visiblement  des agents équivalents à ce qui se passe dans le champ de l’économie où l’intérêt privé est la clé de compréhension de l’ensemble. . D’où la difficulté présente du narratif politique où le commun (Intérêt général, voire Raison) est toujours brandie alors qu’il s’efface pour tous, le commun n’ayant plus qu’une fonction strictement opportuniste et intéressée. Notre modèle d’analyse est donc aussi un choix épistémologique, choix qui ne peut se justifier que par sa capacité à expliquer la réalité empirique que nous vivons.

Les événements de ces derniers jours semblent confirmer le modèle d’analyse que nous tentons de développer depuis le début de l’été :

1 - L’entreprise politique RN est bien le pivot de l’assemblée, ce qui était déjà développé dans http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/08/le-rn-boussole-probable-de-l-assemblee-nationale.html

2 - L’entreprise politique RN devient un passager clandestin à l’intérieur du marché jouant dans  l’hémicycle de l’Assemblée Nationale, ce que nous évoquions dans l’article du 1ier Aout : http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/08/prospective-sur-la-production-future-de-l-usine-assemblee-nationale.html

Le passager clandestin va le rester et hélas les journalistes ne voient pas la cartellisation cachée que nous annoncions le 1er Août entre le NFP et le RN. Dans ce même article, nous avons expliqué pourquoi il n’y aurait pas de coalition mais une cartellisation entre entreprises politiques. La cartellisation mobilise des moyens pour des fins différentes. La coalition suppose un accord d’objectifs, ce qui n’est évidemment pas le cas de la cartellisation.

3 -  Le passager clandestin n’a aucune raison de sortir de sa clandestinité et n’acceptera pas d’alimenter l’exécutif avec des ministres issus de sa famille. Un passager clandestin se définit comme un acteur bénéficiant d’une situation, une externalité positive disent les économistes , sans en supporter les coûts. L’entreprise RN n’a aucun intérêt à supporter les coûts associés à une quelconque appartenance gouvernementale : une partie de son offre programmatique (immigration/ sécurité) sera obtenue sans effort.

4 - Le passager clandestin RN est d’un type fort particulier : il n’est pas dans la soute de l’embarcation gouvernementale mais dans le navire de sauvetage. C’est dire que l’entreprise politique RN a le pouvoir de déclencher le naufrage, d'en choisir le moment, et ultérieurement de choisir qui sera rescapé. Concrètement il s'agit d'une menace aux effets potentiels considérables.  Ce qui renvoie au point 1 et au texte associé. 

5 - Le premier ministre a été nommé selon ce qui était annoncé dans http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/09/fin-d-ete-2024-economie-politique-de-la-france-politique.html Avec toutefois une nuance que nous n’avions pas correctement anticipée : celle d’un affaiblissement important du pouvoir du Président de la République. Ce dernier a nommé un acteur important des marchés politiques et l’acteur en question  n’a certainement pas signé la traditionnelle  lettre de démission non datée. Nous sommes dans une véritable cohabitation et il est assez probable que le Président devra siéger au Conseil Européen en compagnie de son premier ministre. Le Président se livrera à de nombreuses tentatives pour se maintenir à flot mais le rapport coût/avantages risque de devenir de plus en plus négatif. Au total une activité présidentielle à rendements décroissants et ce  jusqu'à l'effacement. 

6 - Le naufrage politique n’est pas terminé et s’explique bien à partir du texte du 2 juillet :

http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/07/macron-un-modele-d-entrepreneur-politique-de-l-age-de-la-mondialisation-partie-1.html

Il n’y a donc pas à s’étonner de la fragmentation à l’intérieur de ce que l’on croyait être les 3 blocs fondamentaux. Parce que la « fin de la société » débouche sur un « Etat Providence pour tout et pour tous » en congruence avec l’apparition du "consommateur souverain" ayant lui-même écrasé le citoyen, les entreprises politiques se délitent. A l’intérieur les «franchisés» - entrepreneurs politiques de base que sont les députés – se crispent sur le petit marché qu’est la petite circonscription. Non seulement le bloc présidentiel se délite, mais à l’intérieur de ce dernier les comportements opportunistes ne peuvent que s’épanouir et animer des forces centrifuges.

7 -  Il n’y a pas à débattre  - comme le font trop souvent les journalistes voire certains entrepreneurs politiques - de la question de la proportionnelle ou d’une nouvelle dissolution, ce que nous avons largement expliqué dans :

http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/07/macron-un-modele-d-entrepreneur-politique-de-l-âge-de-la-mondialisation-partie-1.html

Il n'y aura ni proportionnelle ni dissolution  aux effets catastrophiques sur ce qui reste de pouvoir au Président. 

 Il est difficile d’aller plus loin pour le moment. Mais on pourra touver une bonne interprétation de la situation dans:

http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/08/le-rn-boussole-probable-de-l-assemblee-nationale.html

Bien évidemment les questions financières vont très brutalement s’imposer, mais il est difficile d’anticiper  les solutions envisagées dans l’article du 18 décembre 2023 :

http://www.lacrisedesannees2010.com/2023/12/la-reconstruction-passe-par-une-bonne-dose-de-de-financiarisation.html

Là encore il y aurait un espace de cartellisation possible entre   NFP et RN mais nous ne nous sentons pas en mesure d’anticiper quoi que ce soit. L'idée serait toutefois que la rencontre opportuniste se fasse  sur la question de l'euro en tant que réalité explicative principale d'une dérive incontrôlable des déficits publics. A voir d'ici quelques jours ou semaines.

 

 

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1 septembre 2024 7 01 /09 /septembre /2024 17:23

 

En cette fin d’été, le pays semble s’enfoncer dans une crise politique majeure et il est à craindre que l’annonce d’un premier ministre pour les jours à venir ajoutera de nouvelles difficultés. Le texte suivant se propose de dépasser les débats et d’analyser les stratégies des différents acteurs du jeu politique.

 

Le Président

Le Président ne peut concéder que le strict minimum de puissance à peine de disparition de tout avenir politique. Ses préférences individuelles portent davantage sur la conquête future de nouveaux pouvoirs que sur un enrichissement économique ou des fonctions politiques de second rang. C’est dire que de son point de vue il ne peut envisager un plan de carrière ni dans le monde des affaires ni dans des situations intermédiaires type présidence du FMI ou de la Banque mondiale. Le seul objectif restant est la Présidence d’un Etat fédéral européen, objectif de long terme compatible avec la jeunesse de son porteur. Toute son activité est donc orientée vers ce seul objectif et ce quel qu’en soit le prix.

 

Traditionnellement habitué à détenir l’intégralité de l’exécutif et du législatif, il n’a pu accepter son échec de 2022 et la disparition d’une Assemblée Nationale faite d’acteurs ayant fait le choix intéressé de la servitude volontaire. 2022 marque sa perte de toute puissance sur le législatif avec déjà son incapacité à nouer une coalition dans laquelle il ne pouvait disposer de place hégémonique : plutôt le 49.3 qu’une coalition. 2024 consacre une perte absolue sur le législatif, avec tentative du maintien du pouvoir exécutif. Une perspective de cohabitation est a priori insupportable pour le Président. D’où le rejet impératif d’une candidate issue du NFP, qui serait également potentiellement destructrice du projet européen  et .....  du projet de carrière du Président.

 

Les députés

Les entrepreneurs politiques de base c’est-à-dire les députés ont bien évidemment pour objectif de produire un travail positivement sanctionné sur le marché politique de base qu’est la circonscription de chacun. Deux facteurs peuvent guider leur attitude : une possible dissolution en 2025 et la perspective d’un changement de loi électorale introduisant la proportionnelle.

 

Sans proportionnelle, la menace de dissolution est extrêmement peu probable, car elle entraînerait - la candidate du NFP étant exclue - le grand risque de quasi disparition des députés restés porteurs d’un exécutif encore largement tenu par le Président. L’immense majorité des électeurs ne pourrait accepter le non-respect de la sanction de juillet 2024 ni la poursuite, même modérée, d’un macronisme sans Macron. En clair, si le Président veut retrouver la plénitude de son pouvoir cela ne passe pas par une nouvelle dissolution. Avec la proportionnelle, la menace de dissolution est tout aussi peu probable parce qu’elle ne pourrait qu’entraîner la quasi disparition d’Ensemble et de LR. Les élections de juillet sont à cet égard riches d’enseignements. Avec 28% de voix, la gauche obtient 31% des députés, Ensemble avec 23% de voix fait 28% des députés, et RN avec 34% des voix fait 25% des députés. C’est dire que l’introduction de la proportionnelle serait défavorable à la gauche qui selon les calculs (non vérifiés) du ministère de l’intérieur obtiendrait 162 députés contre 193, à Ensemble qui ne ferait que 130 députés contre 163. Par contre RN aurait obtenu 199 députés contre 143.

 

Dans le contexte présent dire qu’il est possible, grâce à l’introduction de la proportionnelle, de débaucher des députés socialistes élus par la bienveillance intéressée de LFI, pour constituer une majorité présidentielle et donc rétablir la plénitude des pouvoirs du Président de la République, est très dangereux. Chaque circonscription est spécifique et nul ne peut dire combien de socialistes arriveraient à sortir de l’orbite LFI avec l’introduction de la proportionnelle. Au-delà, cette introduction suppose le vote d’ une loi, laquelle au vu des chiffres sus visés ne peut être envisagée. Resterait alors l’hypothèse du ralliement des quelques députés socialistes qui pensent être assurés de se reconduire au pouvoir sans ou contre les voix LFI. Sans chiffrage possible, il est difficile de conclure mais le groupe correspondant ne peut dépasser quelques dizaines de personnes.

 

Au total, il n’y aura ni proportionnelle ni risque de dissolution. Les députés présents bénéficient d’un contrat beaucoup plus durable. Cela signifie que RN comme NFP disposent d’une puissance de feu durable et considérable face à un exécutif potentiellement très minoritaire. La motion de censure sera ainsi une arme courante débouchant sur la ruine de tout exécutif contrôlé par le Président de la République. Cette puissance de feu durable (NFP+RN) se situe vraisemblablement entre 300 et près de 340 voix à l’Assemblée nationale.

 

Un premier Ministre ?

 

Dans ce contexte il est très difficile pour le Président de trouver un entrepreneur politique déjà intégré sur de grands marchés politiques (présidents de région, anciens grands ministres, anciens premiers ministres ou président de la République). Le risque est colossal en termes d’avenir et la dimension économique est dérisoire, un Premier Ministre déchu par une motion de censure ne bénéficiant que d’une prime de licenciement ridicule par rapport à ce qui existe sur les marchés économiques. Ces arguments sont toutefois de second ordre par rapport à l’essentiel : celui du statut d’un tel premier ministre au regard du président. Face aux arguments de second ordre un tel premier ministre ne peut accepter l’emploi que dans un strict respect de cohabitation et donc d’indépendance par rapport au Président. C’est dire qu’il ne peut signer la lettre de démission non datée qui traditionnellement appartient à son statut de simple cadre licenciable à tout moment. Cette lettre jamais évoquée est essentielle pour les Présidents de la Cinquième République qui cumulent traditionnellement (hors période de cohabitation) les fonctions de garant des lois, de patron d’un exécutif et de patron d’un législatif. Sans une telle lettre, cela signifierait que le premier ministre deviendrait l’équivalent d’un cadre inamovible, ce qui est impensable puisqu’il deviendrait ainsi  un contre- pouvoir potentiel.

Si, par conséquent, le Président embauche un premier ministre issu des rangs classiques des marchés politiques, cela signifiera que l’embauché ne signera probablement pas de lettre de démission non datée susceptible de nuire à sa future carrière. Il se voudra titulaire d’un contrat à durée indéterminée et non sanctionnable par le Président : nous sommes en pleine cohabitation que le Président ne peut accepter.

 

C’est dire qu’il n’est pas impossible mais qu’il est peu probable de trouver un exécutif classique car il n’y a pas de potentiel d’échange mutuellement avantageux entre Président et Premier Ministre du milieu classique. Le seul espace d’échange mutuellement avantageux serait la non signature de lettre de démission non datée contre une promesse d’avancée dans la construction européenne…une hypothèse irréaliste en raison de l’alliance objective -et toujours cachée- entre NFP et RN et donc la menace de licenciement par l’Assemblée Nationale.

 

Il faut par conséquent trouver une personne plus malléable, sans doute plus éloignée des marchés politiques de premier rang, mais  qui verrait une prise de lumière avantageuse sur une carrière restée jusqu’ici assez terne. Le coût serait élevé parce qu’ici le Président imposerait la lettre de démission devenue véritable garantie de non cohabitation, mais les avantages de la prise de lumière sont certainement très supérieurs à la dépendance introduite par la signature. Vraisemblablement, la liste des candidats crédibles est donc importante.  Notons que le Premier Ministre en question serait au cœur d’un conflit de légitimité, l’une devenue très faible, l’autre très puissante et peu maîtrisable. Existe-t-il dans un tel contexte des espaces d’échanges mutuellement avantageux pour les acteurs ?

 

Les partis politiques

Resterait à introduire les partis ou groupes d’acteurs politiques. Très largement démonétisés par la disparition du citoyen au profit de l’individu désirant, ils sont majoritairement des fossiles faisant office d’enveloppes pour des stratégies poussives de recherche de pouvoirs par les entrepreneurs politiques de tous niveaux. Leur cartellisation -historiquement perçue comme mutuellement avantageuse- (libéralisme économique croissant et irréfléchi contre Etat-Providence pout tout et pour tous) eut pour prix la montée asymptotique d’une dette et une désocialisation sans limite. Externalités résultant d’un échange privé désastreux diront les économistes sérieux. De quoi faire naître ou grossir de nouvelles entreprises politiques et au total faire naître un marché complètement émietté donc incompatible avec le bipartisme de la Cinquième République. Des parts de marché en réduction qui restent pourtant des  points d’appui pour des stratégies individuelles. Globalement, il n’est pas dans l’intérêt de dirigeants -eux-mêmes affaiblis-  de mener une stratégie d’alliance avec un pouvoir en grande difficulté.

 

Face à cette situation de blocage généralisé et de guerre de position, il est pourtant clair que le président dispose de davantage de munitions. Son pouvoir de nomination même affaibli par une lettre de démission non datée, elle-même peu puissante et peu utilisable, reste un avantage compétitif : il pourra -pour quelque temps encore- faire prévaloir son intérêt privé au détriment des intérêts collectifs.

Il y a certes des limites que l’on ne peut anticiper car nul ne peut sauter par-dessus son temps. Toutefois fusiller des premiers ministres incapables de construire un pacte de non censure avec l’Assemblée Nationale n’aura qu’un temps. Enfin la stratégie de violence du Président se heurtera sur le mur de la dissuasion : il ne peut pas brandir l’article 16 de la Constitution sans se suicider. Le « coup de majesté » ne correspond pas au temps présent.

 

Le lecteur aura noté que nous sommes très loin de l’exposé d’un programme politique. Il est des périodes historiques où la réalité se lit à livre ouvert.

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26 août 2024 1 26 /08 /août /2024 07:35

 

Sans entrer dans le débat constitutionnel, la réalité du pouvoir s'incarnait, jusqu’en juillet dernier, d'abord dans un représentant de ce qui fait l'Etat (Gardien des lois et des institutions), un patron de l'exécutif et un organe législatif. Traditionnellement, le Président de la République cumulait ces pouvoirs : gardien des lois, « patron » d'un ensemble de « cadres » et de leur dirigeant  premier ministre, « patron » d'une majorité parlementaire. D'une certaine façon, la séparation des pouvoirs restait un principe parfois malmené, mais l'efficacité était relativement garantie. De quoi retrouver certaines caractéristiques du bonapartisme. 

La cinquième République au temps du fordisme triomphant

Cette réalité supposait parallèlement une matière première anthropologique où la citoyenneté restait un ciment de qualité : La République était unanimement respectée et empêchait la dissolution des acteurs dans le grand marché de l'économie. Concrètement, il pouvait exister des entreprises politiques appelées partis[1], mais les élections législatives, à l’inverse de ce qui se passait sous la quatrième république, ne pouvaient que produire une majorité et une opposition. Le résultat n’étant que la victoire ou l’échec du camp présidentiel. La difficulté ne se manifestait que lorsqu'une majorité nouvelle venait contester la majorité du président. D'où des cohabitations.

Globalement, dans l’enfance de la cinquième République, le marché politique était simple, il s’agissait d’un duopole (socialisme contre libéralisme) ne comprenant que peu de variétés, car l’essentiel des exigences s’inscrivait dans  la question de la gestion du social et du périmètre de l’Etat providence. La question centrale n’était au fond  que le partage des énormes  gains de productivité engendrés par le fordisme triomphant. La citoyenneté ne laissait percevoir que le couple traditionnel socialisme/libéralisme dans ses versions les moins détaillées et les plus enracinées dans l’histoire.

Ajoutons que les duopoles politiques aboutissaient traditionnellement à une offre globale peu variée en raison de l’impératif de la captation de l’électeur médian : chaque entreprise politique se devait de capter l’électeur médian pour obtenir la victoire et donc très simplement le RPR devait de plus en plus ressembler au PS, et réciproquement ce dernier devait de plus en plus ressembler au RPR, constatation bien conforme à ce que prédisait le théorème de l’électeur médian[2]. De la même façon qu’aux USA le parti démocrate devait de plus en plus ressembler au parti républicain. Ce ne sera qu’avec les effets massifs de la mondialisation sur le statut des individus que l’électeur médian deviendra très difficile à découvrir, ce qui provoquera en réaction de la variété dans les offres politiques.

 La production politique, de l’époque, était face à un marché de masse mais comme dans l’économie à l’époque de la naissance du fordisme, peu de produits étaient offerts…comme le modèle T de couleur noire... chère à Henri Ford en 1912… modèle produit en masse mais sans variétés possibles.  Les problèmes étaient sociaux et l'infinie complexité du sociétal restait congelée dans la citoyenneté. Des marchés politiques qui, plus tard, vont exploser avec la décongélation et explosion elle-même facilitée par les errances d’une mondialisation sans doute fort mal gérée. Quelle entreprise politique - au-delà des mots et slogans vides de sens type « libre-échange » contre « protectionnisme » - s’était intéressée sérieusement au mode d’articulation de la France, de son industrie et de son agriculture, au marché mondial ?

Un président très jeune et très moderne… refusant le changement de notre monde

Aujourd'hui, les choses sont très différentes et la réalité anthropologique est devenue celle du « consommateur souverain »[3]. C’est dire que le citoyen, comme l’électeur médian, s’est effacé[4]. Que l’on soit cadre de l’industrie, dealer, médecin, gilet jaune, périurbain, immigré, fonctionnaire, etc. on est d’abord - très riche ou très pauvre - « individu désirant ».   D'où la multiplication, face à un marché de masse, des produits des entreprises politiques. D’où aussi l'abondance des produits  issus des grandes usines de « l’Etat providence pour tout et  pour tous ». Bien évidemment, le marché devenant agité, le bipartisme disparait et laisse la place à des blocs multiples et fragmentés. Et des ensembles incapables de générer des offres de produits politiques cohérents. L’incohérence programmatique devient une réalité asymptotique et commune à tous les partis.

La fragmentation et la dislocation potentielle s’est plus clairement manifestée au cours du présent été en France. Une réalité complètement inadaptée aux règles de la cinquième République. Le président ne peut plus disposer d'une majorité présidentielle et ne peut plus être le patron réel, ni de l'exécutif, ni du législatif. Au surplus, il a sans doute accéléré le processus de fragmentation et d’élargissement du spectre politique par une stratégie du « en même temps ». La réalité est qu’il devient simple arbitre, une réalité qu’il ne peut accepter.

Bien évidemment, cette réalité va contre son projet de carrière future dans les instances européennes et il ne peut accepter et n'acceptera pas l'apparition et la mise sur le marché de produits politiques affaissant le projet européen. Le premier ministre ne sera plus un simple collaborateur mais il devra respecter le plan de carrière privé du président de la République. Le Président n'est plus patron du législatif mais il ne peut en accepter les conséquences qui, au-delà de l'Europe, détruirait son projet personnel de carrière. Il ira jusqu’au bout de sa logique d’entrepreneur politique schumpetérien au service d’un grand Etat fédéral européen qu’il veut chevaucher[5]. Et si le parlement résiste, il ira probablement plus loin et n'hésitera pas à recourir à une certaine forme de violence saluée par Bruxelles Il s’agit pour lui d’une question de survie.

Une violence qui en appellera une autre avec déjà la mise en avant de l'article 68 de la Constitution. Il est difficile d'aller plus loin pour le moment et constatons qu'il y a simplement conflit de légitimité. Dans le monde des apparences, monde repris par la majorité de la grande presse, le Président se veut fort d’une légitimité présidentielle même si l’élection de 2022 est venue brutalement l’affaisser. Toujours dans le monde des apparences, L’Assemblée Nationale est également légitimement constituée. Mais les entrepreneurs politiques et les dirigeants qui l’anime, pensent silencieusement que le vrai problème est l’éviction rapide du Président. Il ne s’agit donc pas de respecter les règles d’un jeu devenu impossible, mais de précipiter un départ…qui risque de ne rien régler si le futur président reste accroché à des dispositifs institutionnels ne pouvant s’emboiter à la réalité anthropologique.  

Autrefois les conflits de légitimité se réglaient de manière brutale et efficace. Pensons par exemple au « coup de majesté » du jeune Louis 13 face à une régence légitime mais abusive. Sauf effacement de « l’individu désirant » qui constitue la réalité anthropologique dominante, la cinquième République ne peut plus correctement fonctionner et il faudra un jour acter le retour au statut de simple arbitre des présidents. Si possible, sans « coup de majesté ».

                                                                                         Jean Claude Werrebrouck – 25 Aout 2024-

 

[2] Rappelons toutefois que le théorème de l’électeur médian n’est valable que si les préférences des agents sont unimodales

[4] En termes savants nous dirons que nous sommes en plein paradoxe de Condorcet.

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25 août 2024 7 25 /08 /août /2024 17:15

 

Sans entrer dans le débat constitutionnel, la réalité du pouvoir s'incarnait, jusqu’en juillet dernier, d'abord dans un représentant de ce qui fait l'Etat (Gardien des lois et des institutions), un patron de l'exécutif et un organe législatif. Traditionnellement, le Président de la République cumulait ces pouvoirs : gardien des lois, « patron » d'un ensemble de « cadres » et de leur dirigeant  premier ministre, « patron » d'une majorité parlementaire. D'une certaine façon, la séparation des pouvoirs restait un principe parfois malmené, mais l'efficacité était relativement garantie. De quoi retrouver certaines caractéristiques du bonapartisme. 

Cette réalité supposait parallèlement une matière première anthropologique où la citoyenneté restait un ciment de qualité : La République était unanimement respectée et empêchait la dissolution des acteurs dans le grand marché de l'économie. Concrètement, il pouvait exister des entreprises politiques appelées partis, mais les élections législatives, à l’inverse de ce qui se passait sous la quatrième république, ne pouvaient que produire une majorité et une opposition. Le résultat n’étant que la victoire ou l’échec du camp présidentiel. La difficulté ne se manifestait que lorsqu'une majorité nouvelle venait contester la majorité du président. D'où des cohabitations.

Globalement, dans l’enfance de la cinquième République, le marché politique était simple, il s’agissait d’un duopole (socialisme contre libéralisme) ne comprenant que peu de variétés, car l’essentiel des exigences s’inscrivait dans  la question de la gestion du social et du périmètre de l’Etat providence. La question centrale n’était au fond  que le partage des énormes  gains de productivité engendrés par le fordisme triomphant. La citoyenneté ne laissait percevoir que le couple traditionnel socialisme/libéralisme dans ses versions les moins détaillées et les plus enracinées dans l’histoire.

Ajoutons que les duopoles politiques aboutissaient traditionnellement à une offre globale peu variée en raison de l’impératif de la captation de l’électeur médian : chaque entreprise politique se devait de capter l’électeur médian pour obtenir la victoire et donc très simplement le RPR devait de plus en plus ressembler au PS, et réciproquement ce dernier devait de plus en plus ressembler au RPR, constatation bien conforme à ce que prédisait le théorème de l’électeur médian. De la même façon qu’aux USA le parti démocrate devait de plus en plus ressembler au parti républicain. Ce ne sera qu’avec les effets massifs de la mondialisation sur le statut des individus que l’électeur médian deviendra très difficile à découvrir, ce qui provoquera en réaction de la variété dans les offres politiques.

 La production politique, de l’époque, était face à un marché de masse mais comme dans l’économie à l’époque de la naissance du fordisme, peu de produits étaient offerts…comme le modèle T de couleur noire... chère à Ford en 1912… modèle produit en masse mais sans variétés possibles.  Les problèmes étaient sociaux et l'infinie complexité du sociétal restait congelée dans la citoyenneté. Des marchés politiques qui, plus tard, vont exploser avec la décongélation et explosion elle-même facilitée par les errances d’une mondialisation sans doute fort mal gérée. Quelle entreprise politique - au-delà des mots et slogans vides de sens type « libre-échange » contre « protectionnisme » - s’était intéressée sérieusement au mode d’articulation de la France au marché mondial ?

Aujourd'hui, les choses sont très différentes et la réalité anthropologique est devenue celle du « consommateur souverain ». C’est dire que le citoyen, comme l’électeur médian, s’est effacé. Que l’on soit cadre de l’industrie, dealer, médecin, gilet jaune, périurbain, immigré, fonctionnaire, etc. on est d’abord - très riche ou très pauvre - « individu désirant ».   D'où la multiplication, face à un marché de masse, des produits des entreprises politiques. D’où aussi l'abondance des produits  issus des grandes usines de « l’Etat providence pour tout et  pour tous ». Bien évidemment, le marché devenant agité, le bipartisme disparait et laisse la place à des blocs multiples et fragmentés. Et des ensembles incapables de générer des offres de produits politiques cohérents. L’incohérence programmatique devient une réalité asymptotique et commune à tous les partis.

La fragmentation et la dislocation potentielle s’est plus clairement manifestée au cours du présent été en France. Une réalité complètement inadaptée aux règles de la cinquième République. Le président ne peut plus disposer d'une majorité présidentielle et ne peut plus être le patron réel, ni de l'exécutif, ni du législatif. Au surplus, il a sans doute accéléré le processus de fragmentation et d’élargissement du spectre politique par une stratégie du « en même temps ». La réalité est qu’il devient simple arbitre, une réalité qu’il ne peut accepter.

Bien évidemment, cette réalité va contre son projet de carrière future dans les instances européennes et il ne peut accepter et n'acceptera pas l'apparition et la mise sur le marché de produits politiques affaissant le projet européen. Le premier ministre ne sera plus un simple collaborateur mais il devra respecter le plan de carrière privé du président de la République. Le Président n'est plus patron du législatif mais il ne peut en accepter les conséquences qui, au-delà de l'Europe, détruirait son projet personnel de carrière. Il ira jusqu’au bout de sa logique d’entrepreneur politique schumpetérien au service d’un grand Etat fédéral européen qu’il veut chevaucher. Et si le parlement résiste, il ira probablement plus loin et n'hésitera pas à recourir à une certaine forme de violence saluée par Bruxelles Il s’agit pour lui d’une question de survie.

Une violence qui en appellera une autre avec déjà la mise en avant de l'article 68 de la Constitution. Il est difficile d'aller plus loin pour le moment et constatons qu'il y a simplement conflit de légitimité. Dans le monde des apparences, monde repris par la majorité de la grande presse, le Président se veut fort d’une légitimité présidentielle même si l’élection de 2022 est venue brutalement l’affaisser. Toujours dans le monde des apparences, L’Assemblée Nationale est également légitimement constituée. Mais les entrepreneurs politiques et les dirigeants qui l’anime, pensent silencieusement que le vrai problème est l’éviction rapide du Président. Il ne s’agit donc pas de respecter les règles d’un jeu devenu impossible, mais de précipiter un départ…qui risque de ne rien régler si le futur président reste accroché à des dispositifs institutionnels ne pouvant s’emboiter à la réalité anthropologique.  

Autrefois les conflits de légitimité se réglaient de manière brutale et efficace. Pensons par exemple au « coup de majesté » du jeune Louis 13 face à une régence légitime mais abusive. Sauf effacement de l’individu désirant qui constitue la réalité anthropologique dominante, la cinquième République ne peut plus correctement fonctionner et il faudra un jour acter le retour au statut de simple arbitre des présidents. Si possible, sans « coup de majesté ».

                                                                                         Jean Claude Werrebrouck – 25 Aout 2024-

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16 août 2024 5 16 /08 /août /2024 14:42

La logique présidentielle fera émerger dans quelques jours un exécutif proche du bloc dit « central ». Ce nouveau pouvoir devrait être fort contraint par le risque d’une proposition de censure   initiée soit depuis le bloc de gauche soit depuis le RN. Des vagues pouvant additionner jusqu’à 335 voix au moins. Dans le même temps, il doit pour exister répondre aux exigences fondamentales des anciens citoyens devenus aussi groupes de simples consommateurs  non pas  de programmes politiques auxquels plus personne ne croit  mais de produits politiques adaptés à des ensembles plus ou moins solidaires mais aussi plus ou moins antagonistes. Il est facile de dresser la liste de ces exigences - certaines probablement fondamentales d’autres moins -   qui, là aussi, s’additionnent et se trouvent représentées dans des partis devenus entreprises politiques largement incapables d’offrir, face à leurs marchés émiettés, un programme cohérent : SMIC et pouvoir d’achat, réforme des retraites, pauvreté et inégalités, fiscalité, services publics (école, santé, etc.) immigration et sécurité. Cette liste qui figure dans tous les sondages est confirmée par la dernière enquête IPSOS de juillet.

Curieusement, ce même bloc central sera dominé par une ex majorité présidentielle, contestée depuis très longtemps sur les sujets que nous venons d’énumérer. Ajoutons que ce bloc est extrêmement hétérogène avec des fractures importantes sur des dossiers décisifs, comme celui de la fiscalité ou du libre-échange. C’est dire que ce bloc central ne peut, curieusement, tenir que s’il est puissamment épaulé par les 2 autres. Probablement incapable d’assurer sa cohérence interne, il ne peut survivre que par la contribution de son environnement. Il doit par conséquent être beaucoup plus qu’encadré et bénéficier d’une aide de ses adversaires. Il s’agit d’un important paradoxe.

Selon les modalités de son action il devrait tantôt s’appuyer sur la gauche, tantôt sur le RN et tantôt sur les deux. Sur le plan de la réforme des retraites, il n’aura guère le choix et devra impérativement obéïr aux exigences conjuguées de la Gauche et du RN, exigences qui vont peser très lourd dans l’adoption ou non du budget 2025, et donc dans la survie du nouvel exécutif. Pour le reste, il lui faudra compter sur une aide indispensable du RN.

Et cette aide devra s’envisager quel que soit le domaine législatif ou règlementaire.

Les propositions du nouvel exécutif ne peuvent être que fort modestes dans ce qui impacte le fonctionnement de l’économie et on verrait mal ce bloc central partir en guerre contre les règles du jeu du néolibéralisme de marché, règles surveillées étroitement par la holding européenne. Qu’il s’agisse de la hausse du SMIC, du chômage, voire du prix de l’électricité, et de tant d’autres sujets, les marges de manœuvres seront de plus en plus réduites Dans ce registre, il devra affronter de façon violente la gauche qui exigera de nouveaux impôts et il ne pourra être sauvé que par une bienveillance ou une neutralité du RN. En cas de motion de censure lancée par la gauche, il devra négocier une simple abstention de celui qui reste officiellement son adversaire.

Dans le registre des textes portant sur l’amélioration des services publics, l’impact économique est lui aussi non neutre et à court terme risque de peser sur le déficit et la dette. On ne pourra rétablir le service public hospitalier en misant sur les seuls gains de productivité. Même chose pour l’école ou l’Université. C’est dire que le nouvel exécutif va rencontrer d’énormes difficultés dans la volonté attendue de dominer les questions budgétaires. Si, en ce domaine, le risque de censure par la gauche est probablement plus faible, le bloc central ne pourra l’emporter qu’avec au moins la neutralité bienveillante du RN.

S’agissant maintenant des réformes touchant la sécurité, les frontières et les flux migratoires, le bloc central sera lui-même intrinsèquement faible en ce domaine et il est très clair qu’il faudra largement dépasser la négociation d’une simple bienveillance du RN et donc collaborer directement avec lui.

Quels  que soient les projets,  textes, voire les amendements discutés , l’onction du RN sera fondamentale. C’est dire que l’usine Assemblée Nationale fonctionnera largement sous haute influence RN.

 

 

 

 

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9 août 2024 5 09 /08 /août /2024 15:29

 

La présente note se propose de montrer qu’il sera difficile à court terme comme à moyen terme de construire un exécutif stable en France. Loin des questions constitutionnelles et organisationnelles trop souvent mises sur le devant de la scène, cette réalité est le résultat d’une confrontation entre identité anthropologique nouvelle et une architecture économico-financière inadaptée.

Le "pacte du chameau"

Nous commencerons par discuter d’un modèle amusant présenté il y a plus de 10 ans par le philosophe Jean- Pierre Dupuy à la suite des travaux de Jacques Lacan : le pacte du Chameau. Expliquons. Soit un univers composé d’un propriétaire de 11 chameaux  souhaitant transférer son patrimoine auprès de ses trois enfants. Le transfert obéit à des règles a priori non négociables : La moitié du patrimoine pour le premier enfant, le quart pour le second et le sixième pour le dernier. Une autre règle est que le transfert se réalise en laissant vivants les animaux.

Concrètement ces règles bloquent le transfert, lequel s’avère impossible et va susciter désordre et peut-être violence. La solution consiste donc à transformer les règles du jeu (la loi si l’on tente de se représenter les choses dans une société concrète) ou bien de recourir à des tiers facilitateurs. Si la loi n’est pas modifiable, prévenir la violence suppose que le propriétaire de chameaux emprunte un chameau à l’extérieur de la communauté, ce qui fera  que le transfert respecte les règles à partir d’un patrimoine non plus de 11 mais de 12 chameaux. Dans ce cas, nous obtenons un transfert respectant les règles et donc sa bonne réalisation : 6 chameaux (règle des 50%) pour le premier, 3 pour le second (règle du quart) et 2 pour le dernier (règle du sixième). Le transfert s’effectue sans difficulté et laisse un chameau non transféré aux héritiers lequel pourra être rendu au prêteur extérieur.

Par analogie avec notre monde ce modèle est très riche. Sans l’autorité du propriétaire, il n’y avait aucune chance de voir se réaliser le transfert dans le respect complet des règles. Avec cette même autorité il n’y a même pas besoin d’emprunter un chameau : il suffit de l’imaginer comme une réalité qui n’existe pas. C’est donc une fiction collective qui seule permet la transaction et donc établit une sorte de pacte social. Le marché donc la libre négociation entre les enfants ne pouvait aboutir sans le viol des règles. Comme disent les économistes, il n’y avait pas de possibles échanges mutuellement avantageux.

Il faut  aller plus loin encore et la fiction collective est elle-même issue du caractère intangible des règles du jeu, caractéristique technique qui interdit radicalement le transfert : Le modèle Dupuy/Lacan fait des règles sociales une extériorité radicale : les humains ne peuvent y toucher. La loi ne se discute pas et se trouve indépendante de leur volonté. Sans doute s’agit-il d’une aliénation empêchant de se rendre compte que la loi n’est qu’une convention humaine. Mais c’est précisément parce qu’il y a aliénation qu'il faut inventer le pacte social, ici le pacte du chameau.

La France et son peuple d’individus désirants

 Globalement, le fonctionnement d’une société passe par une extériorité qui surplombe la communauté. Une extériorité qui crée du collectif et produit une réalité anthropologique c’est-à-dire selon le langage de Bruno Latour un « mode d’existence ». Si cette extériorité s’affaisse progressivement - pensons à la naissance d’un droit naturel, puis d’un droit construit par les hommes comme purement conventionnel, affaissement pouvant donner naissance à une simple foule d’individus désirants, c’est-à-dire un autre « mode d’existence » -  alors il est probable que ce qui reste du champ politique s’affaisse tout doucement dans un même mouvement. Et c’est précisément ce que nous constatons depuis longtemps en France, et sa mise en pleine lumière aujourd’hui, avec un rejet/émiettement des entreprises politiques censées produire du pacte social. Avec l’émergence du simple individu désirant, ce que nous avons souvent appelé le « consommateur souverain » ; avec la contestation de plus en plus radicale de la règle en tant qu’extériorité qui lui est associée, la France est susceptible de  connaître de grandes ruptures institutionnelles. Et des ruptures qui risquent de rester tempêtes dans un verre d’eau si les consommateurs souverains s’avèrent insusceptibles de retrouver une extériorité porteuse de collectif.

Concrètement, la crise politique que nous vivons est un peu la perte du pacte du chameau et la tentative pour le retrouver, d’abord sous la forme d’un exécutif stable. Parce que tout exécutif risque d’être minoritaire, les citoyens disparus au profit de consommateurs souverains se retrouvent dans la situation des héritiers du propriétaire des chameaux...sans le pacte du chameau.  Concrètement peu de négociations possibles et vote rapide de la censure parlementaire. Sans le pacte, l’héritage était bloqué. Aujourd’hui, sans extériorité qui donne du sens à une foule errante, le jeu politique est bloqué.

Ce qu’il faut donc faire naître est un consensus relatif, une véritable majorité (289 voix) laquelle ne peut se construire… qu’en donnant la plus grande satisfaction individuelle aux participants de la foule. Si l’on revient au modèle, sans l’intangibilité des règles et donc sans la fiction du chameau emprunté sur un extérieur, les héritiers se seraient accordés par le biais d’un non- respect des règles : soit le nom respect des quotas de partage, soit le découpage des chameaux, soit les deux. Sans pacte du chameau, il n’y a plus que le bricolage des règles. Qu’en est-il pour une France qui ne connait plus que la foule ?

La foule invite les marchés politiques à surproduire un cadre réglementaire incohérent

Bien évidemment, le nombre de règles du jeu social est infiniment plus important que dans le cas du partage des chameaux. Toutes ces règles sont discutables et aucune n’est intangible. Elles n’expriment même plus un universel tant elles sont adaptées aux situations les plus particulières et les plus individuelles. La disparition de l’extériorité au profit de la foule se lit aussi dans la surproduction de l’usine qui fabrique le droit : le Journal Officiel ne cesse de s’épaissir et le secrétariat général du gouvernement comme le Conseil d’Etat sont en suractivité. De surcroit ,on ne connait pas de façon précise les effets collectifs d’une évolution de la montagne des règles, ce que l’on traduit par les nombreuses critiques sur l’insuffisance des outils d’évaluation des politiques publiques. Ce que dans un autre vocabulaire nous avons appelé « incohérences programmatiques ». Parvenir à une majorité de 289 voix consistera donc à donner satisfaction à une multitude d’acteurs aux intérêts opposés.

Dans un tel contexte est-il possible de retrouver un pacte du chameau ? Du point de vue du Président de la République, l’effacement progressif de l’extériorité devient le problème que ne rencontrait pas le propriétaire des chameaux. Avec la crise politique il n’est plus -au mieux- que simple patron tentant de construire une holding politique produisant des règles du jeu favorables aux consommateurs souverains. De quoi accumuler des marchandises plutôt que de la lumière. L’intangibilité d’un corpus juridique n’a plus aucun sens dans un monde devenu complètement opportuniste. Nous ne sommes plus à l’époque où un Pierre Cot pouvait se proposer de « balayer les escaliers au service de la France » : il suffisait, en ces temps de guerre, de balayer pour faire réapparaître un pacte du chameau. Reconstruire la France était l’équivalent du pacte du chameau. Aujourd’hui les choses sont infiniment plus difficiles. Signalons aussi qu’il n’est pas dans l’agenda du Président de la République de chercher un premier ministre qui serait en dehors du paraître et de la course aux médias : la foule des consommateurs souverains tant droguée à la publicité et la communication ne comprendrait pas. Les entreprises politiques complètement déboussolées ne peuvent plus proposer de programmes et se contentent de multiplier des produits politiques insignifiants pour, comme dans la distribution, attirer l’acheteur englué dans la marchandise.

Vers la « tragédie des communs ».

Concrètement, l’Etat devrait encore grossir avec de nouvelles dépenses exigées par les consommateurs souverains débarrassés de toute forme d’extériorité venant encadrer et canaliser leurs exigences. Et ces dépenses seront concentrées sur ce sur quoi les députés ont la charge, à savoir tout ce qui relève de l’Etat-providence, lui-même élargi à une composante sociétale non limitée (les minorités bruyantes). Ce grossissement sera enclenché par des votes rassemblant une coalition d’intérêts politiques à L’Assemblée Nationale. Bien évidemment, les tentatives pour limiter les déficits publics correspondants (hausses de pressions fiscales diverses) seront, dans un monde ouvert, peu efficaces : fuite des gros revenus à l’étranger, fuite de l’épargne, chute de l’investissement dans un contexte de rentabilité affaiblie, hausse du coût de la dette publique, etc.

Globalement parce que le monde est devenu foule de consommateurs souverains et que les limites à la dépense reculent en raison de la nécessaire et très difficile fabrication d’une majorité à L’Assemblée nationale, nous nous retrouvons, plus que jamais, dans ce que les économistes appelaient « la tragédie des communs » laquelle devrait inclure celle de l’environnement. De la même façon que la concurrence entre pêcheurs dans un monde non régulé entraîne un sur-prélèvement et l’appauvrissement des océans, la crise politique entraîne un processus semblable que nous proposons d’appeler « surexploitation du PIB » (la bataille sur les marchés politiques favorisera une foule dépensant un revenu qui n’est pas produit). C’est l’extériorité radicale qui, dans le modèle de Dupuy, permettait les transactions entre héritiers. C’est sa disparition qui aggravera en France la surexploitation du PIB (et probablement de l’environnement) par ce qui est devenu la foule. Avec une conséquence évidente et oubliée : un déficit extérieur abyssal.  Avec bien évidemment des conséquences sur les marchés financiers et au niveau bruxellois sous la forme de procédures de surveillance voire de sanctions diverses jusqu’ici jamais appliquées.

 Un « mode d’existence » travaillé par la fiche d’identité monétaire

Dans le modèle social-démocrate français antérieur, celui d’avant la monnaie unique, le risque existait déjà, mais la sanction était rapide : toute surexploitation du PIB se payait d’une dévaluation. Cette dernière faisant office d’externalité. Cette surexploitation du PIB était moins le produit d’un consommateur souverain encore embryonnaire que celle de la lutte des classes que l’on régulait par de l’inflation. Finalement, il fallait respecter les règles du jeu et donc la monnaie nationale était un peu l’équivalent de la fiction du chameau dans le modèle de Dupuy. Au fond la monnaie nationale empêchait que le citoyen ne se transforme plus complètement en consommateur souverain. Plus encore, la monnaie nationale protégeait le modèle anthropologique, le « mode d’existence » de Latour. Dans la présente situation, cette surexploitation du PIB est plus durable et comme les entrepreneurs politiques le disent stupidement ou malhonnêtement : l’euro protège. Plus sérieusement il prolonge une tragédie des communs. Plus concrètement encore la monnaie unique élargit l’espace d’errance de la foule et entretient son ADN : l’euro est une liberté nouvelle pour les consommateurs souverains. Il entretient un nouveau « mode d’existence ». Que deviendraient ces millions de français qui pratiquent tant le tourisme à l’étranger avec une monnaie surévaluée par rapport à ce que serait la monnaie nationale ?

Un Président de la République marchant sur un fil

Le président de la République est ainsi amené à poursuivre sa dangereuse marche sur un fil. Pour conserver le pouvoir, il ne peut qu’aller dans le sens de la foule des consommateurs souverains qui sont aussi, pour certains, défenseurs de la souveraineté absolue du capital, donc de son errance. Une errance que l’on va tenter de réduire avec la prise de conscience du drame de la désindustrialisation. Mais, en même temps, il doit veiller à ne pas affoler ses collègues bruxellois dont il espère la reconnaissance future dans sa candidature à la présidence d’une fédération d’Etats européens. Le choix du futur premier ministre dépendra de la seule capacité de ce dernier à accompagner le parcours privé du Président de la République sur le très haut câble aérien qui doit le mener jusqu’à Bruxelles pour y saisir un gain politique nouveau. Simple contrainte  de carrière toute personnelle.

 Observons pour terminer  que ce choix est en rupture avec l’idéal néo-libéral. Ce dernier fabrique un nouveau modèle anthropologique, mais un modèle ancré dans l’intangibilité d’un corpus juridique très responsabilisant : consommateur oui, mais foule errante attirée par les cadeaux offerts sur les marchés politiques, non. D’une certaine façon, il est censé reproduire le modèle de Dupuy. A l’inverse, notre présent monde refuse le pacte du chameau et généralise l’irresponsabilité de tous les acteurs. Ce modèle anthropologique a-t-il de l’avenir ?

 

 

 

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1 août 2024 4 01 /08 /août /2024 05:27

Il est logique que la disparition de la société (évoquée dans notre article précédent [1]) entraîne - pour les entrepreneurs politiques assis sur les bancs de l’Assemblée Nationale -l’unique souci de la gestion du seul présent. Les lois votées ou leurs amendements n’entraînent plus que de simples modifications dans la répartition du bien-être entre les anciens citoyens  devenus consommateurs souverains selon le terme retenu dans l’article précédent. La disparition de la croissance confirme que le jeu politique devient effectivement, au mieux, jeu à somme nulle. Les députés, entrepreneurs politiques en concurrence, souvent simples franchisés d’entreprises plus vastes -les partis- et rarement entrepreneurs politiques individuels, se battent sur des textes produisant des rentes de marchés, ou de bien être pour certains et des coûts pour d’autres. Ces déplacements entraînent des rentes politiques pour ceux des députés qui auront gagné au jeu du déplacement : satisfaction de la clientèle électorale (consommateurs souverains) et espérance de reconduction/ prise du pouvoir. Avec la disparition de la croissance, les gains potentiels se réduisent pour les consommateurs souverains d’où l’absentéisme croissant lors des élections (le jour du marché) et le rejet croissant des entrepreneurs politiques. Un peu comme dans la grande distribution et le rejet de ses formes les plus anciennes.

Au niveau de l’usine Assemblée Nationale le déplacement de bien-être obéit à la règle de la majorité (289 voix). Cette même usine étant devenue plus émiettée avec l’éclatement de la société, il n’existe plus de duopole (droite/ gauche) et Il faut construire un cartel politique – une « coalition » dans le langage courant - pour obtenir une loi participant à la redistribution du bien-être.

En abandonnant  momentanément la question du LR, 3 grandes entreprises ou groupes d’entreprises sont aujourd’hui présentes : NFP, ex majorité, RN. Dans une logique majoritaire, celle qui permet la naissance d’un produit politique et du gain correspondant, 3 figures de Cartel peuvent se constituer : NFP/ex-majorité ; Ex-majorité/RN ; NFP/RN. Il est clair que dans un ordre spontané de marché (en dehors d’un grand régulateur type Président de la République) la figure de Cartel qui doit l’emporter est celle qui maximisera les gains pour les entrepreneurs politiques gagnants, ceux qui encaisseront les gains politiques en termes de fidélité d’électeurs devenus consommateurs souverains. Ces gains peuvent théoriquement se manifester dans les niches du grand marché : le régalien (armée, justice, etc.), l’économie (globalement tout ce qui peut maximiser la réussite entrepreneuriale), le social (santé retraite, logement, etc.), enfin le sociétal (globalement tout ce qui concerne le rapport à l’altérité). Toutes ces niches sont un peu déprimées avec la déconstruction de la société mais elles existent encore, non plus comme pièces à emboiter dans un projet de monde collectivement enviable, mais comme outil de réalisation du moi, ce qu’attendent les consommateurs souverains des marchés politiques.

Quels sont les gains selon les types de cartellisation ?

Le cartel NFP/ex-majorité ne produit aucun gain pour aucun participant : pas de majorité possible ni pour le régalien,  ni pour le social ou l’économique. La seule niche serait éventuellement le sociétal où le cartel pourrait produire quelques rentes politiques obtenues auprès des minorités bruyantes. D’où parfois ce parfum de Mélanchonisme dans le Macronisme ou de Macronisme dans le Mélanchonisme. Globalement parce que  cette figure ne produirait rien (aucun texte ne serait adopté, donc aucun gain politique entre les divers partenaires) l’usine Assemblée Nationale ne saurait mobiliser un tel rassemblement d’entrepreneurs politiques. Le marché politique qui devrait comme tout marché produire des gains à l’échange ne fonctionne pas.

Le cartel ex-majorité/RN ne procure aucune rente et ce pour tous les acteurs : pas de majorité possible que ce soit dans le régalien, l’économique, le social, ou le sociétal. Là encore l’usine Assemblée Nationale ne produirait rien et le marché politique ne peut fonctionner.

Le cartel NFP/RN ne produit évidemment aucun gain sur les marchés du régalien, probablement rien sur l’économique et encore moins sur le sociétal. Par contre, il peut produire de très gros gains sur la niche sociale. Ainsi on parle déjà d’une loi d’abrogation de la réforme des retraites qui serait validée, non par un cartel constitué, ce qui serait impensable, mais par le biais d’une stratégie de passager clandestin de la part du RN. Une telle stratégie, celle du cartel caché, régulièrement rencontrée dans le monde économique – pensons au cartel pétrolier jusqu’en 1970 - permettrait de retrouver sans le dire quelque chose comme la sociale-démocratie d’avant le néolibéralisme.  

Compte tenu des résultats électoraux, ce type de cartel caché est spontanément le résultat le plus probable. Avec bien évidemment des gains, puisqu’au moins dans un premier temps les entrepreneurs politiques qui y gagnent sont à l’abri de toute motion de censure (l’addition des entrepreneurs politiques du NFP et du RN dépasse les 330 députés). Bien évidemment, l’incohérence programmatique est au rendez-vous d’un tel scénario, avec élévation très rapide de la barrière de la finance (dette publique incontrôlable, hausse des taux, sanctions bruxelloises, etc…). Il n’est toutefois pas dit que la violence de la crise qui en résulterait mettrait fin à la cartellisation cachée car la France est un vrai poids lourd dans la finance mondiale. La dite barrière pourrait en effet aboutir à une solidarité plus forte entre les 2 partenaires et à une modification radicale de l’architecture monétaire et financière du pays et au moins de l’ensemble de la zone euro. De quoi aboutir à un durcissement du pouvoir politique, une vraie révolution et peut-être une guerre civile.

Le vote des parlementaires à l’intérieur de l’hémicycle est-il plus puissant que celui des investisseurs et des spéculateurs dans le parlement virtuel des marchés financiers ? S’il est difficile de répondre à la question il est pourtant essentiel de bien la poser[2].

Si l’on compare les diverses stratégies de cartel il est clair que le jeu du marché libre à l’intérieur de l’hémicycle devrait aboutir à un accord caché entre NFP et RN, le second devenant passager clandestin de celui qui pourra afficher les gains politiques d’une coopération masquée. Il est donc de l’intérêt de NFP de précipiter l’avènement de ce type d’accord - spontané mais masqué - en proposant un premier ministre. De quoi précipiter le résultat du marché libre à l’intérieur de l’hémicycle.

C’est la raison pour laquelle ce mouvement spontané vers une cartellisation cachée entre NFP et RN sera interdit par ce grand régulateur du marché qu’est le président de la République, lui-même consommateur souverain ayant comme projet très personnel et très privé sa nomination à la présidence d’une Europe devenue fédérale. Ce n’est que près de 70 années après sa création que l’on se rend compte que La Constitution de la cinquième République peut, potentiellement, établir un marché régulé dans l’hémicycle, avec au final des entreprises politiques filiales d’un patron de holding qui peut dans certaines limites jouer au mécano.  Le cartel caché sera donc interdit fin Août au profit d’un cartel plus complexe : Ex majorité présidentielle/LR/ quelques autres députés ? Le régulateur du grand marché politique jouera au mécano et imposera si possible sa cartellisation bien davantage tournée vers le succès de sa future carrière professionnelle.

 Il est très difficile d’envisager les chances et modalités de ce type de scénario qui sera assurément retenu. Il sera pourtant internationalement soutenu et en particulier par le parlement virtuel  des marchés financiers qui verront, dans ce type de cartel imposé la seule et dernière voie de salut. Le risque est évidemment interne puisqu’il sera considéré comme irrespectueux des résultats de la dissolution et donc sera probablement rapidement détruit par une motion de censure… La Constitution permet de jouer au mécano… encore faut-il que les pièces soient bien ajustées…

 

A moins d’aboutir à un cartel tellement large que la rente politique qui en résulterait, aboutirait à un ruissellement considérable sur les consommateurs souverains les plus éloignés. En toute logique un cartel très large, susceptible de rassembler jusqu’à 289 députés travaillant sur des marchés forts différents, se paie d’incohérences programmatiques lourdes débouchant sur un Etat encore plus obèse : probablement un peu plus de recettes fiscales (ISF ?) et beaucoup plus de dépenses publiques. Ce que les juristes/politistes/constitutionnalistes ne voient guère dans l’idée souvent avancée de coalition, laquelle suppose des échanges mutuellement avantageux entre partis. Au détriment de qui ? Un cartel élargi aux fins d’aboutir à une majorité entrainerait probablement de nouveaux déficits[3].   La réalité est donc plutôt complètement inverse et respecter les contraintes Bruxelloises  et des marchés suppose aujourd’hui un ruissellement à l’envers, ruissellement qu’on peut lire dans la dernière note du Conseil d’Analyse Economique. Ainsi il est proposé une diminution des aides à l’apprentissage, de supprimer les exonérations de cotisations sociales au dessus de 2,5 smic, de réduire les dispositifs d’exonération sur les droits de succession, de réduire le crédit d’impôt recherche, de sous indexer les dépenses et tranches d’imposition, etc. Un dispositif aux effets de réduction d’une croissance déjà nulle  depuis quelques mois. Les gains politiques pour les entrepreneurs politiques qui se risqueraient à produire de telles nouvelles règles à l’Assemblée Nationale, seraient des plus ténus. Les modifications de répartition du bien-être devenant production de mal-être au détriment d’une majorité de consommateurs souverains et au profit d’une finance obscure arguant de la souveraineté du capital.

Même en supposant qu’elle puisse fonctionner, la production future de l’usine Assemblé Nationale ne satisfera en aucune façon les anciens citoyens devenus consommateurs souverains. De quoi les éloigner encore davantage de l’idée de démocratie, un concept il est vrai devenu obsolète dans un monde où la société disparait.


[1] http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/07/notre-naufrage-politique-simple-effet-de-la-disparition-de-la-societe.html

 

[2] De ce point de vue, il serait très intéressant d’examiner le travail des anthropologues, philosophes et sociologues qui,  tel celui d’un Jean-Pierre Dupuy, étudie la transformation brutale de la non société, la foule désordonnée, (ici approximativement l’individu souverain) en ordre social ultra contraignant par un processus de panique. On ne peut que regretter de ce point de vue que les économistes et juristes en particulier travaillent en silo et désertent le champ des autres disciplines.

[3] De ce point de vue la distinction entre coalition gouvernementale et Cartel est importante. Dans une coalition les partenaires se livrent à des négociations mutuellement avantageuses dans le respect d’un cadre les dépassant réellement ou idéologiquement. C’est peut-être encore le cas dans les pays qui se livrent à ce type de pratique. La société se défait mais on croit encore à un intérêt général. La négociation à l’intérieur de la coalition ne peut se nourrir de ce que l’on croit être la richesse commune. Ainsi en Allemagne on ne saurait négocier des gains allant contre la stabilité monétaire.

 Quand le monde est plus complètement déconstruit, ce qui est plus particulièrement le cas de la France, les entreprises politiques peuvent devenir plus radicales et on passe à la logique du donnant/donnant sans trop se soucier d’un extérieur commun : le cartel va plus loin que la coalition et devient la nouvelle pratique. Cet extérieur commun oublié peut encore être l’armature monétaire et financière : la finance se nourrit encore de la dette. On peut donc penser que la France ira jusqu’au bout de son endettement et que le grand régulateur qu’est le président de la République continuera, le plus longtemps possible, de marcher sur un fil.

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24 juillet 2024 3 24 /07 /juillet /2024 06:00

Il est inutile de reprendre l’accumulation des faits pour constater le chaos dans lequel le pays est plongé. Il est aussi inutile de commenter toutes les analyses superficielles qui en évoquent les  causes et les improbables solutions: Absence de majorité parlementaire, dissolution inappropriée, usure de la verticalité, scrutin majoritaire dysfonctionnel dans une Constitution inadaptée, refus de la proportionnalité, etc. Et parce que l’on se contente de superficialités rapides,  on aboutit très vite à des analyses douteuses : la crise actuelle consacrerait le retour aux prétendues horreurs de la quatrième république, Le Rassemblement National serait toujours un parti d’extrême droite, le «macronisme » serait en voie d’extinction, etc.

Pour comprendre le réel il est nécessaire d’aller plus loin.

On peut commencer par le détricotage du prétendu retour aux pratiques de la quatrième république. Nous serions entrés  dans une période aussi instable que celle que nous aurions connu entre 1946 et 1958. Il y a là confusion de l’apparence avec la réalité : la période considérée était le théâtre d’affrontements entre entrepreneurs politiques de petits partis qui se battaient sur des marchés secondaires sans jamais s’affronter sur de grands projets complètement partagés. Personne ne contestait la reconstruction de la France et de ses grandes orientations, reconstruction qui se déployait à un rythme spectaculaire mondialement reconnu. Personne ne contestait la construction d’un grand Etat providence qui se déployait dans de multiples directions. Personne ne contestait les grands choix industriels, les grands choix dans le domaine de l’Education, de la santé, de l’agriculture, etc. Bien sûr existaient des affrontements sur certaines réalités de l’histoire : la résistance de l’ancien monde au projet de sécurité sociale , la gestion de la décolonisation, etc. Mais ces confrontations s’inscrivaient dans un universel censé être le point oméga de l’intérêt général. Le théâtre politique de l’époque est donc bruyant mais insignifiant. Les entrepreneurs politiques de l’époque sont des groupes et individus qui cherchent comme aujourd’hui à se maintenir ou se reconduire  au pouvoir mais les intérêts égoïstes étaient masqués par un idéal commun peu contesté. On se bat sur les modalités de la construction d’un collectif mais ce n’est que très rarement que ces entrepreneurs politiques apparaitront pour ce qu’ils sont à savoir des accapareurs des outils de la puissance publique – le commun de la société – à des fins privées. A l’époque, l’utilitarisme de la fonction politique avec ses rémunérations symboliques se noie dans l’océan de la production d’un bien commun approximativement identifié.

La crise de la cinquième république est d’une toute autre nature et n’est en aucune façon une sorte  d’entrée en quatrième république. Il y avait à l’époque une société française encore assez largement holistique qui faisait que l’intérêt général était connu de tous et ne donnait lieu qu’à des contestations et interrogations secondaires : le capitalisme était - au-delà des discours-  finalement accepté car il donnait des signes évidents de prospérité pour l’immense majorité. D’où le succès des entreprises politiques sociales/démocrates.

Hélas, aujourd’hui la société française s’efface et laisse les entreprises politiques en perte de repères. Le holisme qui se cachait dans le concept de citoyenneté  se réduit au mieux à des groupes ultra-minoritaires et plus fondamentalement à des « individus désirants » qu’on peut aussi désigner comme « consommateurs souverains ». Nous reviendrons sur cette expression. Le « commun » qui reliait les individus et constituait les moyens de production/régulation de la société s’est évanoui. Même les groupes ultra-minoritaires (décoloniaux, Wokistes, LGBT, etc.) ne sont, dans la plupart des cas,  que des regroupements d’individus qui s’associent pour mieux revendiquer leur individuelle et personnelle souveraineté.

La disparition de la société est bien évidemment une complexification gigantesque du travail des entrepreneurs politiques. Un peu comme si, en capitalisme, les capitalistes perdaient le contrôle de moyens de production qui disparaitraient. Certes, le matériau intérêt général reste l’outil de base des dits entrepreneurs. Certes ces entrepreneurs n’ont pas changé, il sont toujours entreprises politiques rassemblant des franchisés plus ou moins obéissants, mais l’intérêt général brandi n’est au mieux qu’un fossile : il n’y a plus que des intérêts privés débarrassés de   marque collective. Dans un tel contexte l’entrepreneur politique se démonétise et ne peut au mieux surnager qu’avec des programmes lourds et fondamentalement incohérents. Les franchisés - censés promouvoir les produits de l’entreprise politique d’appartenance - s’autonomisent vis à vis de l’enseigne car devant tenir compte de ses propres électeurs qui n’ont que peu de choses en communs avec les autres. A société disloquée doit correspondre un marché politique lui-même effondré. La crise politique actuelle n’est donc pas une crise conjoncturelle provoquée par telle ou telle erreur ou imperfection, elle est plus fondamentalement conséquence du processus de disparition de la société.

Ces erreurs d’analyse en entrainent d’autres, porteuses de violences futures. Tel est le cas des considérations portées sur un Rassemblement National quasi universellement désigné comme parti d’extrême droite. Il s’agit pourtant d’une entreprise politique comme les autres avec des dirigeants et entrepreneurs politiques franchisés proposant des produits politiques censés répondre  aux désirs et besoins d’individus privés. Le marché du dit RN n’est plus fait du holisme qui caractérisait l’extrême droite européenne du siècle précédent, laquelle véhiculait des discours idéologiques violents et concernaient des organisations autoritaires souvent militarisées. Aujourd’hui, l’électeur du RN est aussi individualisé que tous les autres et se trouve être un « individu désirant » classique. Tout aussi classique que l’individu mondialisé qui, fort de sa réussite sociale, se veut consommateur complètement souverain. Ce dernier est tellement souverain qu’il refuse les frontières, les droits de douane et toutes les contraintes environnementales qui l’empêcheraient de  surconsommer . Et il veut aujourd’hui aller au delà en exigeant une souveraineté sur le capital lui-même : pas d’ISF et pas de droits de succession. De quoi déplacer complètement le concept de souveraineté et d’en faire un droit individuel. Quant aux services publics , cet individu mondialisé a les moyens de s’en offrir à titre privé, probablement de meilleure qualité que nos services publics  et ce, à l’échelle mondiale.

 De ce point de vue, l’électeur du RN brandit encore le fossile de l’égalité républicaine pour réclamer, lui aussi, un statut de « consommateur souverain ». Il exige un revenu plus important et il refuse les contraintes d’un environnement socialement et culturellement dégradé. Ses frontières à lui - frontières qu’il faut abattre comme il faut abattre les frontières nationales de l’individu mondialisé ayant réussi- sont les services publics dégradés dans les campagnes, la montée de l’insécurité matérielle et culturelle et les contraintes environnementales qui ajoutent à son enfermement. Il veut être souverain et responsable de ses choix, très exactement comme l’individu mondialisé. Simplement le lecteur doit ici comprendre que chez l’un (l’individu mondialisé) la souveraineté nationale doit être anéantie, tandis que chez l’autre (l’électeur du RN) cette même souveraineté est la condition de l’exercice de la sienne. Cette remarque est d’une extrême importance.

L’individu mondialisé peut se dire ouvert à toutes les cultures et se méfie des frontières qui limitent son statut de consommateur souverain. L’électeur du RN tout aussi consommateur souverain est sensible à une préférence nationale qui se veut protection de sa souveraineté. Les deux sont les produits liés d’une même réalité : la fin de la société. Une fin de la société qui est aussi la contestation radicale   des solidarités. Les deux types de consommateurs souverains ont ainsi un point commun : la contestation commune de l’assistanat devenu produit phare des entreprises politiques classiques.

Nous laissons au lecteur le soin d’aller plus loin dans les conclusions de la grille de lecture proposée. Au final, l’individu qui aura réussi sera dans « l’arc républicain », sera tolérant, sera « anywhere », sera sécessionniste, sera contre l’Etat- Nation et européïste, sera enfin très éloigné du poutinisme et du trumpisme. Massivement valorisé par le pouvoir médiatique lui aussi tenu par des individus mondialistes, ils disposent d’un outil de pression massif sur les entreprises politiques et leurs franchisés en quête de victoire électorale. D’où le poids gigantesque des prétendues  réformes inéluctables dans l’agenda de beaucoup d’entrepreneurs politiques : il est, de leur point de vue, impossible de faire autrement. D’où aussi les discours positifs sur les droits de l’homme si respectés et tant vantés par le pouvoir médiatique.   

A l’inverse, l’individu qui se trouve en échec sera en dehors de l’arc républicain, sera plus intolérant voire raciste, sera un « somewhere », sera pour le retour de l’Etat- Nation et opposé à l’européïsme, sera sensible au poutinisme et au trumpisme. Il est massivement vilipendé par un pouvoir médiatique puissant et efficace qui évoquera le risque du non-respect des droits de l’homme et affirmeront qu’au final l’entreprise politique correspondante et ses franchisés sont en dehors du champ républicain. D’où les difficultés des entrepreneurs politiques représentant les intérêts de ce type de consommateur souverain et l’irruption d’une barrière dite républicaine. D’où les turpitudes présentement constatées dans l’hémicycle.

Entre les deux se trouvent les consommateurs souverains qui regroupent à la fois l’ancien monde de la vieille société et le nouveau des minorités bruyantes : on se veut culturellement mondialistes et économiquement « nationnistes ». D’où un entrepreneuriat politique ultra interventionniste et surtout chargé de très lourdes incohérence programmatiques : les minorités, toutes peuplées de consommateurs souverains exigeants, ne peuvent réellement cohabiter. Notons au passage la stupéfiante onction de certains économistes, y compris un prix Nobel,  qui au nom d’une « méta raison » en arrivent à nier les incohérences programmatiques des entrepreneurs politiques concernés. Point n’est besoin d’être fort savant pour comprendre que  fondamentalement l’incohérence programmatique s’inscrit dans le cœur du projet de ces entrepreneurs politiques : on ne peut élargir sans limite les droits de l’homme et simultanément réprimer et cadenasser une  économie dont l’ADN impose un élargissement illimité. 

Au total, le pays constate la disparition de la société dans un tsunami anthropologique avec comme effet principal l’apparition d’un ensemble d’entrepreneurs politiques naufragés et accrochés  à des outils fossilisés de la puissance publique . Répartis en groupes devenus incertains et poreux ils se livrent à des turpitudes au sein d’un hémicycle devenu reflet de la grande tempête qui agite le pays.

Ne pas comprendre ce grand mouvement anthropologique n’est pas simplement  attristant pour les prétendus intellectuels qui débattent sur l’extrême droite, mais plus fondamentalement le débat mal engagé  se trouve  dangereux. Ne pas reconnaître pour certains la qualité de consommateur souverain et l’accepter, voire la promouvoir, pour une toute petite minorité, c’est s’exposer à la violence de la future guerre civile. Un temps où le langage performatif des entrepreneurs politiques cessera de cacher un grand vide sans espoir. De quoi retrouver - en exagérant un peu- ce qu’on appelait le « moment Hobbesien », celui qui précédait les premières constitutions.  S’il reste un minimum de conscience aux entrepreneurs politiques naufragés - qui, dans la tempête, n’arrivent plus à masquer leur strict et pitoyable intérêt privé - ils devraient porter au moins une partie de leur attention à ce qui reste de commun à savoir l’égalité des droits et devoirs. Mais tout ceci a-t-il encore du sens ?

                                                                                         Jean- Claude Werrebrouck - 22 juillet 2024.

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4 juillet 2024 4 04 /07 /juillet /2024 16:15

La réponse de chat GPT à la question de la nature de l’entrepreneuriat politique que l’on trouve dans la première partie de la présente note était très intéressante. On peut en reprendre les termes :

Les entrepreneurs politiques sont des individus ou des groupes qui cherchent à influencer le processus politique pour atteindre des objectifs spécifiques, comme l’adoption de lois ou des politiques publiques favorables à leurs intérêts. Ils peuvent utiliser des stratégies de lobbying, de plaidoyer ou de campagnes pour atteindre leurs objectifs.

Cette réponse qui est dans la « tête de Chat GPT » ne fait que refléter la culture ambiante du moment. Ainsi, on est surpris de constater que le personnel politique n’est pas directement mentionné, que le mot « démocratie » est absent et surtout qu’il n’est guère question de l’idée d’un « intérêt général » comme horizon du « processus politique ». Cet oubli de l’IA se vérifie naturellement dans les faits. Quels sont, au-delà de l’intérêt privé très légitime, les objectifs globaux d’une entreprise politique, « démocrate chrétienne », « centre-droit », « gaulliste », etc. ? Bien sûr on ne saurait contester la réalité de « l’utilisation de la puissance publique à des fins privées » donc la réalité d’une « capture de ladite puissance » mais il est aujourd’hui surprenant que les idées des entrepreneurs politiques aient disparu au profit de l’affichage de la simple compétence technocratique et de ses outils. Alors que naguère l’entrepreneur politique était porteur d’un idéal rassembleur, parfois grandiose comme le marxisme, il est aujourd’hui simple émetteur d’une pensée vide. Le plein – parfois trop plein- est devenu le vide.

Ce passage du plein vers le vide n’est que le respect de la congruence avec celui d’une économie qui s’est complètement transformée. Proposition à démontrer.

Nous n’allons pas reprendre toutes les circonstances qui ont entrainé la fin de l’entreprise fordienne de naguère. Elles sont longuement argumentées sur le Blog : émergence d’un capitalisme spéculatif à partir de la fin de Bretton Woods, fin des taux de change fixes, liberté de circulation du capital, dérèglementation généralisée, boursouflure financière, développement de la concurrence, fin de l’entreprise institution sécurisée et sécurisante, fin de la complémentarité organisée par les entrepreneurs politiques entre capital et travail et « troisième voie gaullienne », prise du pouvoir par les actionnaires qui vont transformer l’entreprise institution en simple objet de paris financiers, abandon de la production de richesse au profit de la simple valeur, rémunération du capital par rachats d’actions et simple hausse des cours, développement sans limite des indicateurs et du reporting transformant le travail d’un encadrement devenu taylorisé, priorité du court terme sur l’investissement de long terme etc. Toute cette mutation fut accompagnée par les entrepreneurs politiques de l’époque qui, par effet d’imitation,  vont se concurrencer pour avancer plus vite vers le marché généralisé, ce que nous avons appelé le passage de l’âge institutionnel de l’Etat à son âge relationnel. Courses entre entrepreneurs politiques qui, au final,  fera que la gauche sera de droite et  la droite sera de gauche, d’où ultérieurement- 2017- l’arrivée d’une cartellisation/rachat  dite « macroniste ».

Les entrepreneurs politiques, prenant la tête de la course à la grande transformation souhaitée par les entrepreneurs économiques, se concurrencent non plus par des idées mais des pratiques technocratiques tels les « nudges » censés faciliter le bon graissage des rouages du marché. Le tout n’étant plus guidé par des grands principes sur l’ordre du monde à construire mais par la seule théorie économique qui devient la nouvelle théologie de l’humanité en voie de mondialisation.  L’entreprise fordienne se liquéfie dans le grand marché et donc la société elle-même doit se dissoudre dans ledit marché.

Il appartiendra aux entrepreneurs politiques de faciliter la révolution anthropologique impulsée par les nouvelles réalités économiques. Exercice difficile dans un pays comme la France qui reste attachée à la valeur égalité et à la puissance d’un Etat s’étant construit sur plus de 1000 ans et Etat devenu enfin sécurisant. Une sécurité qui, tel un lego, s’emboitait dans l’entreprise fordienne

Depuis plusieurs dizaines d’années, les entrepreneurs politiques français se sont épuisés à tenter de remédier aux effets dont ils chérissaient les causes. Et parce que baignant dans la rationalité de la théorie économique propre à produire l’adhésion au nouveau monde, ils se sont attachés à réguler les aspects accessoires, à savoir ce qui est de l’ordre du sociétal. Parce qu’il était devenu impossible dans l’entrepris nouvelle - trop tournée vers son élite actionnariale mondialisée sécessionniste - de produire de l’émancipation économique et sociale, les mêmes entrepreneurs politiques se sont tournés vers l’émancipation sociétale. D'où une nouvelle classe de produits politiques à offrir sur le marché. L’égalité ne pouvant plus passer par un combat central sur l’économie, il faudra passer par des combats secondaires tel le genre, ou la couleur de la peau. Le paradigme peut rester le même mais l’égalité ne passe plus dans la transformation des « rapports sociaux  de production », mais dans celle de la fin de discriminations, d’injustices sociétales, de mépris réels ou supposés, la quête de libertés nouvelles, etc. Ce faisant ils travaillent pour un changement culturel et aident la culture narcissique qui est le complément de la spéculation généralisée : l’attention extrême du marketing aux singularités et à la mise en avant du moi.

L’entrepreneur politique du marché mondialisé n’a plus la hauteur de celui qui naguère pouvait produire un intérêt général. Certes, il était comme tout entrepreneur animé par l’intérêt, ici le pouvoir et ses avantages essentiellement symboliques, mais il pouvait se cacher derrière un intérêt général, reconnu comme tel car consacré par le résultat du marché politique. Parce que le collectif semble avoir disparu avec la puissance du moi, l’entrepreneur politique perd l’essentiel de sa légitimité : son discours est celui du vide, et sa position est au mieux rentière. Curieusement, sur plusieurs dizaines d’années il fut amené à scier la branche sur laquelle il était assis. Sa réalité bancale est désormais en pleine lumière. Et si demain devait émerger une nouvelle réalité anthropologique il serait balayé.  

En attendant les entrepreneurs politiques de l'âge de la mondialisation se concurrencent non plus en construisant et en développant un projet commun, mais en fragmentant toujours un peu ce qui reste de société par la multiplication de produits politiques dérisoires et aux  effets délétères sur les anciens citoyens devenus simples consommateurs. Il suffit de jeter un regard sur l'industreie de la publicité et des produits qui y sont engendrés pour s'en rendre compte. De quoi faire exploser les violences mimétiques chères à René Girard et répandre une culture de la haine prenant la place de l'ancien conflit de classes.

 Le Président de la République française est hélas le modèle le plus parfait de ce type d’entrepreneurs politiques.

 

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