La crise chypriote est un bon motif pour reprendre des textes publiés depuis plusieurs années sur ce Blog. Le très court article suivant fait mention de réflexions antérieures qui permettent de bien comprendre le monde tel qu'il est.
La monnaie est bel et bien un objet politique central et le spectacle de la rue à Chypre est bien là pour nous le confirmer. Sa pénurie fait disparaitre l'ordre politique et un gouvernement régulièrement élu et surtout très fraichement élu - moins de 3 semaines - perd immédiatement toute légitimité.
Comme l'euro de Chypre, est comme tous les Euros, à savoir non pas une monnaie locale mais une monnaie moderne qui est donc aussi réserve de valeur, la violence à venir ne provient pas seulement de la disparition de la monnaie, mais de l'évaporation des patrimoines.
Si la monnaie chypriote était simplement monnaie locale, les billets en circulation pourraient assurer normalement le lien social. Et c'est du reste, ce qui se manifeste encore plus ou moins, dans les rues de Nicosie : on accepte les paiements en liquide qui, eux-mêmes, assureront d'autres paiements.
Malheureusement, les billets sont aussi réserve de valeur et donc non seulement ils ne représentent qu'une faible part de la masse monétaire totale, mais au-delà, ils ont tendance à être thésaurisés. Il ne peut donc en résulter qu'une diminution drastique des échanges et, pour les moins pourvus, le recours à la seule violence : des magasins devraient logiquement être dévalisés si une solution rapide n'est pas imaginée. Toujours dette diablesse de "loi d'airain de la monnaie"!
Sans la présence d'une aide russe -question difficile car il n'est pas simple de savoir si le pouvoir correspondant représente d'autres forces que les seuls oligarques utilisateurs de la "lessiveuse" chypriote- le scénario le plus probable est, à court terme, le suivant : Les entrepreneurs politiques chypriotes vont porter sur la table bruxelloise un ensemble de coquilles vides - fonds national de solidarité, taxations de comptes au delà d'un certain montant, création d'une Bad Bank, etc. - mais coquilles qui permettront probablement au terme d'une négociation et d'une décision prise comme d'habitude à l'unanimité , de gagner une fois de plus un peu de temps. Et, devant un accord aussi unanime, la BCE s'empressera de maintenir le dispositif ELA ("Emergency Liquidity Assistance").
Malheureusement le mal est fait et il sera difficile de rétablir l'ordre politique et l'ordre tout court car la fuite des capitaux, certes très probablemnt puissamment réprimée, correspondra aussi à la fin de la lessiveuse: s'il n'est plus possible de lessiver, alors il faut abandonner le pays.
Contexte très difficile pour mettre en place un prétendu fonds de solidarité, même en l'appuyant sur des recettes gazières futures généreuses. Qui peut répondre aux questions suivantes : Quelles sont les réserves? A qui appartiennent t-elles? Chypre ou Turquie, voire Israël? Quels investissements, sachant que l'on travaille en pleine mer? etc.
Le gain de temps sera donc beaucoup plus bref que dans les autres accidents de parcours de l'Euro (Irlande, Grèce, Espagne, Portugal, Italie). Le maillon actuellement mis sur le devant de la table est bel et bien le plus faible de la chaîne , mais cela ne veut pas dire que c'est à partir de sa rupture que se déclenchera le Big Bang de la fin de l'Euro. D'autres maillons de la chaîne connaissent une fragilisation croissante malgré tous les plans de productivité.
Parce qu'encore une fois, tous les passagers sont clandestins et qu'ils veulent le rester le plus longtemps possible, le Big Bang sera déclenché là où les secousses seront le plus durement ressenties.