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6 janvier 2013 7 06 /01 /janvier /2013 23:00

Nous publions à nouveau un texte qui, écrit en décembre 2008 n'a pas pris de rides.

 A l'époque ce texte s'interrogeait sur le statut du temps dans notre société dite postmoderne et postnationale. La gestion de la grande crise depuis 2008 confirme bien que nous sommes entrés dans une époque où "le futur est écrasé par le présent".

 j 'invite les lecteurs à reprendre ce texte , sans doute trop long, et à resituer les derniers évènements de ces dernières semaines: incapacité pour le législateur à bien distinguer l'investissement de la spéculation que ce soit dans le domaine fiscal (affaire dite des "pigeons") ou dans le domaine bancaire ( renoncement au principe de la séparation des activités); incapacité américaine à sortir de l'immédiateté pour règler son problème de "falaise budgétaire", avec réaction incompréhensible de Wall Street, incapable d'indiquer dans les cours les craintes d'un futur éloigné; incapacité à donner du sens, et d'orienter vers les temps longs, en se contentant d'une législation type "softlaw", simple incitatrice de bons comportements de marché; incapacité à donner du sens à la construction européenne qui devient littéralement insensée avec la mise en place de plans de compétitivité, qui ne peuvent même plus masquer une agressivité naissante entre les nations signataires; incapacité à doner du sens à une mondialisation qui n'est manifestement plus bienheureuse; etc...

Ce texte évoquait aussi la disparition du passé. Là encore il n'a  pas perdu une ride, puisque, outre le fait que le passé n'est plus évoqué , il cesse d'être connu. D'où les invraisemblables propos sur l'impérieuse nécéssité du maintien de l'indépendance des banques centrales, ou des articles concernant une insupportable répression financière menaçant des droits fondamentaux comme le droit de propriété. Les personnes qui s'expriment ainsi , et qui parfois se targuent d'être des professeurs de grandes universités jouissent t-elles d'un minimum de culture historique?

 Dans le champ des sciences humaines, il n'existe guère de laboratoires et d'outils autorisants la méthode expérimentale. Le seul outil qui existe est l'histoire, outil il est vrai, difficile, et susceptible de bien des manipulations. J'invite par conséquent les marchands d'opinions à moins parler, à moins écrire, et à travailler davantage pour produire des "connaissances" plus sérieuses.

 Je souhaite à chacune et à chacun une agréable relecture.

 

 

  La prospective ou la recherche d'un avenir disparu (jean claude Werrebrouck, décembre 2008) 

Les astrophysiciens nous expliquent que pour comprendre le monde physique qui nous entoure au présent, et qui demain évoluera, il faut savoir se plonger dans le passé. Remonter le temps jusqu'au « Big Bang » c'est-à-dire quelque 13,7 milliards d'années serait le plus sûr moyen de percer le mystère de la matière et de son évolution. D'où un « Hubble » qui, depuis une orbite terrestre, et déjà une quinzaine d'années, tente inlassablement de saisir dans son télescope des images et de la lumière émise , il y a si longtemps et qui vient de si loin, qu'elles révèlent un morceau de la « soupe primitive » de l'univers. D'où , sous terre, à la frontière entre la France et la Suisse, l'installation d'un accélérateur de particules géant , censé par collisions de protons lancés à très grande vitesse nous rapprocher des conditions du « Big Bang ».


Les sciences humaines, à peine de déclassement, se doivent d'observer la même démarche : saisir le temps présent des hommes, le sens de ce qui se fait ou de ce qui se défait, de ce qui se noue, ou de ce qui se dénoue, suppose que l'on comprenne le fonctionnement des ensembles humains. Et pas seulement des ensembles humains présents mais des ensembles humains de toujours. Il n'y a de science que dans l'universalisable disait Kant, alors comprendre le temps présent des hommes, c'est comprendre « la soupe primitive humaine» c'est-à-dire les sociétés les plus reculées, qu'on appelle encore les société primitives. Et c'est bien sûr comprendre comment elles se sont transformées, comment elles se sont plongées dans le futur pour aboutir jusqu'à nous, hommes du présent. Et comprendre notre façon de nous repérer dans le temps aujourd'hui passe par les façons dont nos ancêtres se sont eux même posés la question de l'appropriation du temps.

 

1) La machinerie humaine et le temps


Sur la base du critère temps , sur la base de la durée, il semble bien que depuis la « soupe primitive » plusieurs étapes aient été traversé : celui de la négation du temps et donc de tout futur ; celui de l'histoire et donc de la saisie du temps orienté depuis le passé vers le futur ; enfin celui de l'histoire qui en arrive à se passer de l'avenir en concevant un futur complètement écrasé sur le présent.


1 la « soupe primitive » ou le présent écrasé par le passé.


La première étape correspond à celle de la « soupe primitive » où tous les hommes sont exclus du pouvoir politique en ce que celui ci dépend entièrement des dieux. Le système cosmogonique est tel que ce dernier fonctionne comme un logiciel duquel il est impossible d'en sortir. Les hommes sont ainsi privés littéralement d'histoire. On dit qu'il s'agit de sociétés hétéronomes. On verra que la postmodernité qui nous anime renoue partiellement avec l'idée d'hétéronomie. Notons que du point de vue du temps, ce mode d'organisation de l'humanité en tant que dépendance envers l'invisible est bien évidemment une dépendance envers le passé : le présent est écrasé par le passé, s'explique tout entier par le passé. Les hommes reçoivent des dieux leur ordre social lequel devient aussi intangible que la cosmogonie qui enveloppe le monde. Les hommes habitent une maison qu'ils ne peuvent aménager eux même et donc transformer. L'idée de changement et donc de construction d'un futur n'a littéralement aucun sens. On l'a compris l'idée même de prospective n'a aucun sens.


2 le monde idéologique ou le présent écrasé par le futur.


La seconde étape correspond à celle de la civilisation, c'est-à-dire une période qui débute il y a un peu plus de 10000 années. L'humanité entre dans l'histoire car le monde devient progressivement une œuvre humaine : il existe un pouvoir politique directement issu de la religion et ce pouvoir politique est chargé de construire un ordre humain censé correspondre à des volontés divines. Le temps prend de l'épaisseur et il existe un futur à construire (se préparer à une bonne vie pour l'au delà) à partir du présent. Ce type de monde est déjà bien différent du premier car si les hommes restent des marionnettes, le marionnettiste n'est plus directement l'au-delà, mais un groupe d'hommes censé représenter une volonté divine. Un débat possible s'introduit chez les hommes : le marionnettiste est- il le véritable envoyé des dieux ? C'est précisément cette question qui produit une humanité entrant dans son âge historique avec assez clairement une vision d'un temps orienté depuis le passé vers un futur à construire. Cette seconde étape fait entrer l'humanité dans son âge historique mais pas dans son âge autonome. Car il existe à l'intérieur de l'étape historique une sous étape que l'on qualifie de modernité et qui correspond à une grande rupture, celle qui va consister à affirmer que l'ordre humain avec les événements qui s'y déroulent est en fait une construction simplement humaine. Il n'y a plus ni marionnettiste ( on lui coupe la tête) ni marionnette, il y a simplement des hommes qui se prennent en charge à partir de ce qu'ils croient être la raison, et raison qui va aussi simplement laïciser les grands récits religieux en grandes théories de l'histoire (marxisme par exemple). C'est que les grands récits religieux deviennent aussi l'exigence rationnelle de la construction d'un paradis, cette fois, terrestre. Avec l'autoproduction de la société se dessine le grand mythe du progrès dont l'outil s'appelle développement économique. Concrètement c'est avec le siècle des lumières que l'économie jusqu'ici étroitement surveillée va prendre son essor : cela s'appelle la révolution industrielle.


C'est au fond l'âge de la société idéologique. Le mot « progrès »- grande invention de l'occident- est lui même un concentré parfait de ce qui va se mettre en place : il est écart positif entre un temps présent et un temps futur.


Dans cette seconde étape de la civilisation, le temps est nettement orienté et l'idée même de progrès implique que le présent ne se confond pas avec le futur. Le présent est simplement le moment de la préparation d'un futur enviable et ce même si ce même présent est parfois exécrable : la guerre sera finalement joyeuse car c'est bien évidemment la dernière. Le futur est un avenir radieux et ce d'autant plus qu'il est possible de le maitriser. La forme concrète de l'autoproduction de la société s'appelle planification, laquelle utilise déjà des démarches prospectives qui, par essence, vont bien au delà de la prévision. Cette phase est aussi celle où ce n'est pas le futur qui s'écrase sur le présent mais l'inverse : le présent ne se conçoit que par rapport à un futur. Cela suppose une épargne élevée pour un investissement élevé. Comme disent les économistes les choix inter temporels privilégient le futur car la probabilité d'avoir raison de lui accorder une grande confiance est forte. Bref le présent se plonge avec délice dans le futur. Il est aussi le délice du débat politique lequel, par essence, concerne les orientations et changements à concrétiser dans le futur. Débattre, c'est discuter au présent de la construction du futur. Et ces discussions s'enclenchent sur les grandes croyances de la modernité : conservatisme, libéralisme, socialisme, croyances qui ne sont rien d'autre que des orientations futuristes et programmatiques. Bien évidemment plus il y a débat politique et plus le présent se trouve comme absorbé par le futur.


3 Le postmodernisme ou le futur écrasé par le présent.


La troisième étape de l'humanité nait de ce qui semble devenir un fort questionnement : « où est passé l'avenir ? ». Cette question est celle que Marc Augé pose dans son dernier ouvrage, ou que Pierre André Taguieff abordait déjà en 2000 dans son idée « d'effacement de l'avenir ». Elle est aussi celle plus récente-abordée autrement- de Daniel Innerari dans « Le futur et ses ennemis ».


Au niveau de la planète toute entière, le temps présent absorbé par le futur concernait le grand débat géopolitique de l'après seconde guerre mondiale : libéralisme et socialisme sont devenus- après 1945- un débat tellement chaud qu'il en devient guerre froide. Ce questionnement s'arrête net avec la chute du mur de Berlin, chute qui devient coupure : le futur enkysté dans le présent est évacué au terme d'une intervention chirurgicale. Et cette intervention concerne d'abord celle des esprits : Puisque la tyrannie est définitivement évacuée et que partout dans le monde existe désormais la démocratie et le libre marché, alors il est enfin possible de vivre au présent. Le socialisme (la grande idée qui faisait des hommes les constructeurs d'un « futur merveilleux ») n'est plus, et le capitalisme (qui n'est pas à construire mais dont les principes de fonctionnement produisent du « progrès permanent ») n'a plus à se justifier, il est donc possible de vivre au présent. Nous avons la thèse de « la fin de l'histoire » d'un certain Francis Fukuyama. Thèse qui annonce au fond la fin de la société idéologique, la fin des grands récits laïcs, eux même issus des grands récits religieux. Dans le même mouvement, les restes des grands récits religieux s'évanouissent. Bien sûr il n'est plus question d'interroger la religion comme principe d'organisation de la société et la foi devient affaire complètement personnelle, ce qui revient à dire qu'elle se retire complètement du débat politique et, ne participe aucunement à la construction d'un quelconque futur. Et les mouvements, tels ceux dits de « réislamisation » ne doivent pas faire illusion : il ne s'agit que d'une résistance désespérée - d'où son caractère parfois violent- face au tsunami de la fin des grands récits.

Résumons-nous. l'humanité est passée d'un présent écrasé par le passé (les société primitives), à un présent écrasé par le futur (les sociétés historiques ou idéologiques), et enfin à un futur écrasé par le présent (le monde d'aujourd'hui qu'on appelle aussi « postmoderne »). Nous verrons d'ailleurs que ce dernier monde dont le présent écrase le futur présente aussi la particularité d'écraser le passé. Le monde des humains serait aussi devenu hors-histoire.


Il ne s'agit pas ici de recenser et d'expliquer en détail les forces qui ont façonné le temps des hommes dans leur histoire. Par contre il semble intéressant de décrire, sinon expliquer le champ de forces qui au sein de la postmodernité ont fait imploser le temps pour le ramener à l'instant présent.


2)
Le postmodernisme et la disparition de l'avenir : ses manifestations concrètes.

1 Le « monde enchanté » par le marché.


Le marché comme principe d'organisation de la société vient de vaincre la société despotique et son idéologie. Ayant apporté la preuve de son efficience, son emprise peut ainsi s'accroître dans l'ensemble de l'espace social. Il en devient même le logiciel comme les cosmogonies étaient le logiciel des sociétés primitives. De ce point de vue l'économie et le marché correspondant fonctionnent comme les religions primitives : il n'y avait pas à interpréter l'au delà, ce dernier s'imposait lourdement dans les gestes des hommes comme aujourd'hui le marché est le guide des postmodernes. De fait il n'est guère besoin d'aller beaucoup plus loin dans le raisonnement : de la même façon que les hommes de la « soupe primitive » ne questionnaient pas le monde « enchanté par les Dieux », les postmodernes s'en remettent au marché et lui confient la quasi-totalité de leur vie. Le travail devient un prix comme un autre, la retraite est déterminée par les mystères de la finance de marché, l'emploi est fixé par le prix et le volume des ventes, etc. nous retrouvons la marionnette et le marionnettiste. Mais le marionnettiste à lui-même largement disparu. C'est qu'à priori ayant quitté la société idéologique, celui qu'on appelait jadis le prophète, le représentant terrestre des forces de l'au-delà, ou plus récemment l'homme politique n'a plus de raison d'être : la politique peut devenir simple affaire de gouvernance donc de simple management. Jadis, l'ennemi soviétique imposait une autocritique et donc un débat sur les réformes à mener pour mieux résister à l'hostilité de l'autre. Et cette résistance faite de projets et d'actions justifiait encore le politique et une certaine vision du futur. La disparition de l'autre change tout , le marché n'a plus à se justifier : il est. Simultanément, il n'y a plus besoin de sens et, le politique qui en faisait son carburant peut lui aussi disparaître pour devenir simple administrateur du marché : le grand mouvement de managérialisation de la société peut enfin commencer.


2 Le politique absorbé par le marché
.


Le marché se comporte comme les gaz et tend à occuper l'espace le plus grand possible. Les résidus de la vieille société idéologique, par exemple l'Etat-nation jusqu'ici contenant d'un contenu appelé à l'époque de la modernité, démocratie, deviennent scories encombrantes. il s'agit de ne plus enfermer les capitaux dans des espaces monétaires nationaux devenus trop étroits. Bretton- woods et ses acteurs éminents, tels un John Maynard Keynes doivent laisser la place à la libre circulation des capitaux , à la parfaite convertibilité des monnaies et à une finance de marché complètement autorégulée. Cet élargissement consacre- un peu plus encore- la fin du politique et la contestation des marionnettistes : désormais le vote, dans le parlement virtuel, des investisseurs et des prêteurs sur les marchés financiers, l'emporte nécessairement sur le vote politique des citoyens d'un espace devenu trop provincial. Effectivement le marionnettiste devient simple manageur de la bonne gouvernance, et les partis politiques deviennent des « partis de l'entreprise ». Gagner durablement les élections suppose de se plier - comme tous les hommes- à la logique implacable des marchés. D'où l'impression parfois très « droitière » des partis réputés de gauche et très « gauchiste » des partis réputés de droite. Le vrai marionnettiste est devenu le système lui-même, et son outil opératoire, c'est-à-dire le système des prix. Sans doute l'ordre des prix est-il une invention humaine, au même titre que les cosmogonies de la soupe primitive. Mais comme les cosmogonies, l'ordre des prix est une extériorité radicale sur lesquels les postmodernes n'ont aucune prise : ils doivent lire les cours dans des ordinateurs, pour se faire une idée du temps économique, comme les hommes de la soupe primitive consultaient le ciel, pour se ménager la clémence des Dieux.


Mais le vrai marionnettiste est aussi devenu le système lui-même dans cette autre externalité qu'est l'ordre juridique : la loi n'est plus politique et se déplace dans le champ de la norme. Les partis politiques devenus « partis de l'entreprise » acceptent ainsi le lent passage du monopole de la « hard law » ( la Loi) vers celui plus concurrentiel de la « soft Law » (la norme internationalement acceptée). La politique est bien absorbée par le marché, et si jadis elle ne s'élaborait pas à la « corbeille », elle est devenue « gouvernance » en s'en approchant.


3 L'homme délié dans l'océan des prix.


La grande avancée du marché ne résulte pas uniquement de l'implosion de l'ordre despotique concurrent, il résulte aussi de la société idéologique de l'époque de la modernité. Le grand récit concernant l'irrésistible épanouissement des droits de l'homme, est fait aussi en occident d'une distribution massive de « droits- libertés » et de « droits- créances » . Libérer les hommes c'est aussi les détacher des vieux liens ou aliénations de l'antique société holiste qui se prolonge encore dans la modernité. Si les hommes se doivent de devenir autonomes pour quitter définitivement le champ de l'hétéronomie, il faut les libérer de toutes les contraintes, de toutes les autorités et de toutes les aliénations. Cette libération est, en contrepartie , fondamentalement une œuvre de dé liaison : les droits sont plus importants que les devoirs, et le rapport à autrui se modifie. Parce que soucieux de mes droits le regard porté sur l'altérité évolue dans un sens intéressé. Les droits consacrent l'émergence de l'homme souverain, qui conçoit de plus en plus souvent son rapport à autrui sous le registre de l'intérêt. Les rapports entre les postmodernes deviennent plus spontanément marchands, et consacrent ou confirment ainsi le grand marché, qui est le logiciel véritable de la société. Naviguer dans l'espace des prix au milieu des marchands devient la forme branchée de l'échange social chez les postmodernes. Déjà, dans le monde réel, distractions et délassements se consomment dans des centres commerciaux, tandis que dans le monde virtuel, des moteurs de recherche habiles permettent de « diminuer le prix du meilleur prix ».


Cette dernière évolution vient altérer une contestation possible du logiciel. Jusqu'ici, en raison même de son histoire, l'occident était et reste peut-être encore la seule civilisation capable de se critiquer de l'intérieur. D'où, par exemple, une pensée dite « socialiste » censée être critique du logiciel. Mais l'apparition de « l'homme délié » courant dans le labyrinthe des prix de marché, retire bien des forces à la critique. Le postmoderne, parce que délié, ne peut que plus difficilement envisager, ou mieux, construire un projet collectif susceptible de le conduire, d'un état vers un autre jugé plus désirable. Construire un projet devient un investissement coûteux, alors que l'urgence, exige de ne pas se laisser noyer par le marché : il vaut mieux apprendre à nager que de construire une embarcation commune. Et ce d'autant plus que le marché peut réserver de très agréables surprises : il devient tellement omnipotent et omniprésent, qu'il finit par en oublier les « sous jacents » c'est-à-dire la production toujours plus laborieuse que le simple échange. la finance devient ainsi préférable à la mécanique ou la culture du riz.


La dé liaison, avec ses avatar, peut mener asymptotiquement à l'inacceptable. Les excès de droits - masques d'intérêts exacerbés- peuvent jusqu'à faire disparaitre l'honneur. Dans l'ancien monde, les bandits et prédateurs contenaient leurs excès par des contreparties : la logique de l'honneur. Cela s'appelait : « vaillance », « loyauté », « largesse » , « courtoisie » , « respect» . Autant de signifiants indicateurs de liens avec le reste de la communauté humaine, où le refus de les valider entrainait une auto-exclusion de la chevalerie. Le triste spectacle actuel de versements de bonus financiers astronomiques à des banquiers sur le produit des prélèvements publics obligatoires (plan Paulson par exemple) est un signe fort de décomposition sociale. Et décomposition d'autant plus forte que le fait n'est que faiblement dénoncé. L'absence de réactions,est plus grave que le fait lui-même puisqu'il aboutit à ce que l'infâme puisse se parer de dignité.


Dès lors on comprend aisément que se met progressivement en place la machine à privilégier le présent et à dévaloriser le futur.


4 Naufrage des capitalistes et émergence des rentiers et fondés de pouvoirs.


La toute puissance du marché , avec son corollaire qu'est le politique impuissant, favorise tout d'abord l'émergence d'un capitalisme sans capitalistes. Marx, grand prévisionniste sinon grand prospectiviste, avait déjà senti que le capitalisme dans son mouvement ascendant en viendrait un jour à « expulser les capitalistes ». Par cette expression, il entendait qu'un jour les décideurs de l'accumulation du capital ne seraient plus les propriétaires mais de simples manageurs, tandis que les propriétaires seraient devenus de simples rentiers, très éloignés des usines. Force est de reconnaître que ce temps annoncé dès 1860 est arrivé. Ce qui ne veut pas dire qu'il est hégémonique.


Il est arrivé puisque dans nombre d'entreprises, parmi les plus grandes, ce sont de simples salariés qui sont aux commandes, et tentent de produire de bons résultats trimestriels, eux même bons signaux pour les marchés qu'il s'agit d'épater. Mais être aux commandes et produire de la valeur c'est souvent-plus simplement- produire des écarts de cours ou de valeurs, ou bénéficier d'écarts produits par d'autres. Il en est de même du rentier qui a perdu tout lien avec un quelconque métier. Parce que lui aussi complètement délié, il ne relie plus son avenir à un investissement qui plonge une activité dans un futur : il ne veut pas investir mais spécule sur les investissements d'autrui ou sur ce que d'autres pensent des investissements d'autrui. La valeur est ainsi produite en dehors de la durée, est acquise immédiatement, alors que jadis elle était consommatrice de temps : celui de l'investissement, celui de la production, enfin celui de l'échange. A noter- à titre de simple remarque- que la fin de l'industrie, et avant elle, celle de l'agriculture au profit du secteur des services, ont beaucoup réduit l'espace entre le présent et le futur. L'avènement du monde du service précipite davantage la postmodernité vers le cœur de son logiciel c'est - à -dire le marché : dans la plupart des services, la séparation temporelle- production présente pour consommation future- disparait et la production ne se distingue plus de la consommation.


Les capitalistes sont devenus rentiers et sont souvent remplacés par des joueurs qui surfent sur les marchés ; Parce que l'on vit d'un écart de prix qui n'est plus valeur ajoutée construite dans le temps, alors celui- ci cesse d'exister. Ce qu'on appelle économie se conjugue beaucoup au seul présent. L'investissement disparait ou peut devenir simplement virtuel : les ménages américains connaissent une épargne négative et ne peuvent investir ; l'entreprise elle-même, rachète en Bourse ses propres actions- 19 milliards d'euros en 2007 pour les seules entreprises du CAC 40- avec les profits générés et préfère ainsi, les miraculeux gains présents issus d'une différence de cours, à ceux futurs produits par l'investissement matériel. Mieux, la logique de production de valeur, peut inviter les manageurs à démanteler des actifs industriels et à les vendre par morceaux : la somme des parties devenues indépendantes, étant plus valorisable que l'ancien tout. Il s'agit de développer les valeurs instantanées et d'instaurer le culte du « marked to market ».A la disparition de l'investissement correspond celui du futur : les préoccupations de la vie ne se ramènent qu'à la bonne gestion du présent. L'irruption du crédit qui logiquement devrait construire l'avenir est détourné de ses objectifs en raison de la pression du présent.

Toujours aux USA, l'immense endettement privé est davantage affecté à la consommation, et donc à l'immédiateté de la vie, qu'à l'investissement réel. Une telle opération revient à absorber les ressources de l'avenir afin d'en jouir immédiatement : le futur s'écrase sur le présent et ne peut se construire car pillé avant même son envol. La répartition du revenu national, ce qu'on appelle le partage de la valeur ajoutée, ne donne plus lieu à débat, puis à contrat dans une société désormais dépourvue d'une instance politique réelle. Puisque le vote virtuel des marchés financiers est hiérarchiquement au dessus des votes citoyens, la question débattue, à l'époque moderne de la répartition de la richesse, n'est plus d'actualité. Si maintenant les capitalistes devenus simples rentiers, lient leur destin à celui du manager, alors il est à craindre une pression plus forte sur les salaires au profit des dividendes. Et déjà le col bleu licencié de Général Motors retrouve un emploi chez Wal Mart pour un salaire divisé par deux, avec en prime, la disparition d'une réelle protection sociale, qui est protection contre les aléas de l'avenir. Le cercle vicieux de l'emprisonnement du futur dans le présent se met en place : La pression croissante sur les salaires se reporte, sur une demande croissante de crédits, lesquels deviennent une immense bulle que l'on pourra suralimenter par la logique du « rechargeable ». Les rentiers peuvent davantage consommer en raison de la pression sur les salaires, et les salariés pourront eux aussi consommer plus malgré des salaires inchangés. La contradiction ne pouvant être levée par la construction d'un futur issu de l'investissement, elle ne peut que se développer jusqu'au moment de l'explosion : la goinfrerie du présent anéantit tout futur.

Dans la modernité classique la goinfrerie du présent existait sans doute déjà. Mais à l'époque, celle des 30 glorieuses, le politique pouvait encore imposer l'idéologie du progrès, et si les différents groupes soucieux se révélaient plus gourmands que ce qui était autorisé par la taille du gâteau, la contradiction s'évanouissait dans une inflation des prix , et ce sans retarder ou diminuer l'investissement, promesse d'agrandissement futur du gâteau. Dans la postmodernité récente, l'inflation n'est plus que celle des actifs qui ne se transforment qu'insuffisamment en investissements. D'où l'idée de « bulle » qui elle-même ne fait que refléter la préférence du temps présent sur le futur.


5 Tempête sur l'océan des prix et « sauve qui peut mimétique ».


Puisque l'on produit davantage de valeur en produisant un écart de prix qu'un travail qui ne produisait qu'une simple valeur ajoutée, les prix de marché qui naviguaient en eaux calmes à l'époque de la modernité vont désormais connaitre le déchainement du présent : les prix reflétant moins des coûts économiques de long terme, et davantage des prises de position spéculatives, peuvent connaitre des fluctuations éprouvantes pour ceux des acteurs de l'ancienne économie, celle qui construit pour demain et souhaite travailler sur un sol robuste. Chaque jour les « barils papiers » de pétrole impulsent un échange virtuel d'un milliard d'unités , alors que les barils physiques ne comptent que 85 millions d'unités : il vaut mieux être trader pétrolier à Genève qu'ingénieur sur une plateforme de forage arctique. Les fluctuations permanentes et considérables dans l'océan des prix de tout ce qui est moyen de production de base, font que l'on navigue par gros temps et que la fermeture des écoutilles importe davantage, que l'observation attentive de la boussole. Plus simplement exprimé, les prix ont cessé d'être des guides de bonne conduite, des balises qui permettent de rejoindre un port choisi au terme d'une délibération d'équipe: ici encore le présent l'emporte sur le futur.


Les techniques classiques de l'assurance ne disparaissent pas dans le nouveau monde et devraient logiquement s'adapter au nouveau contexte. Et ces techniques, comme toujours, ont pour objectif, sinon de construire directement le futur, tout au moins de le rendre accessible, et de se protéger des risques associés à l'action. Mais le paradigme de la postmodernité financière n'est pas celui de la modernité industrielle.


La marée montante du marché engloutit les vieilles économies aux structures encore hiérarchiques et, désormais le « buy » l'emporte sur le « make » ,et ce même dans les industries les plus sensibles. Cette marée se fait puissante en raison des nouvelles efficiences qui en résultent, mais se fait aussi lourde de risques : l'effet « aile de papillon » rôde sur l'ensemble. Sans doute la logique du « buy » gère t'elle plus mal- comme nous le rappelle Christian Morel, dans son ouvrage :« Les décisions absurdes », les problèmes de qualité et les risques systémiques qui lui sont associés. Toutefois les risques assurantiels liés à cette forme particulière de l'homme délié dans l'océan des prix, est encore gérable avec les techniques statistiques : les risques de défaut sont encore évaluables en termes de probabilités puisqu'ils ne sont -au plan mathématique- que le produit de risques individuels. La montée du marché et de l'homme délié, ne remettent pas en cause les techniques assurantielles lorsque pour l'essentiel son champ d'application reste industriel : le futur reste accessible.


Mais lorsque la logique du « buy » entraine des opérations de sous-traitance à l'infini dans l'industrie financière, la logique assurantielle n'est plus de mise et le futur comporte des dangers désormais non évaluables. C'est qu'ici le risque de défaut global n'est plus un simple produit de défauts de parties. Le risque sur un titre financier n'a pas la nature d'un défaut d'alésage sur une soupape : il s'agit d'un défaut qui est contagieux et se propage à l'ensemble par un phénomène de panique, et donc de comportement mimétique. Chacun voulant s'en sortir.... précipite tous, y compris lui-même. Le risque systémique chez les postmodernes n'est pas analysable avec des courbes de Gauss comme nous le dit Nassim Nicholas Taleb dans son ouvrage :« Le Cygne noir, la puissance de l'imprévisible ». Et le régulateur ultime, celui qui peut empêcher le développement de la panique, ou l'arrêter (l'Etat) ayant quitté les lieux depuis longtemps, rien ne peut conjurer le naufrage collectif. Comment envisager des prévisions, comment arrêter des plans, envisager une attitude prospective quand le futur, par essence non maitrisable, n'est pas non plus assurable ? Telle est la grande détresse du postmoderne.

3) Reconstruire la boussole et la pendule.


Comme nous l'avons écrit dans « la crise globale des années 2010 et le secteur social et médico-social » la grande crise que allons traverser est peut-être une catastrophe prometteuse. La promesse étant un changement de système ou ce que les spécialistes du vivant comme ceux des sciences humaines appellent une « bifurcation ». Cette dernière intervient dans tous système qui connaissant trop de déviance par rapport à sa stabilité ne parvient pas à retrouver l'équilibre et se voit connaitre une profonde réorganisation. C'est-à-dire au final un changement de système.


1 La crise ou le choix du scénario de la bifurcation systémique.


Nous disions dans le texte précité que les moyens mis en œuvre -colossaux aujourd'hui et astronomiques au cours de l'année 2009 - seront probablement insuffisants pour résorber la crise que le monde va connaitre. Un scénario de succès serait même contre performant car il ramènerait le monde dans sa situation de pré crise autorisant le renouvellement - à terme- d'une crise encore plus dévastatrice. Il vaut mieux donc, ne pas examiner, et ne pas espérer de retours sur investissements des fonds injectés, et accepter la déroute c'est-à-dire la bifurcation.


Au fond les dits moyens, sont déjà une démarche prospective puisqu'il s'agit de construire l'avenir alors même que l'on croit , ou l'on espère encore , sauver les goinfreries du présent, et en quelque sorte maintenir le système hors du temps. En réalité, comme il faudra probablement « boire la tasse jusqu'au bout », on se rendra compte, à l'issue de son absorption que le monde en sera changé et peut-être même quasi volontairement. C'est que « boire la tasse » va entrainer des modifications institutionnelles qu'il faudra bien prendre, évidemment, sous la menace d'une catastrophe potentielle, économique et sociale, d'une ampleur jusqu'ici inconnue par l'humanité. La principale d'entre elle étant - comme nous le disions dans le texte précité-la sortie de son grenier de la planche à billets, c'est-à-dire le financement sans limites des trésors nationaux devant impérativement réamorcer, la ronde des échanges à grands coups de dépenses publique pharaoniques. Cela suppose la fin de l'indépendance des banques centrale. Et déjà le retour d'un politique qui en ce domaine avait été très volontairement - y compris avec zèle - évacué.

Insistons bien ici sur le fait que les décisions concernant le retour du politique dans la gestion de la monnaie ne seront pas prises de gaieté de cœur, que le retour de l'Etat dans la gestion macroéconomique n'est nullement souhaité par ceux qui pourtant prendront les décisions y conduisant. Encore une fois il ne s'agit pas de construire le futur, mais bien de maintenir un présent jugé indépassable. Car, curieusement, le postmoderne -faut-il le répéter- est un personnage qui a cessé de croire -comme son ancêtre moderne -qu'il peut construire le monde, et, puisqu'il en est ainsi, il croit sérieusement que rien ne peut être entrepris contre la logique indépassable du marché. En cela il rejoint bien le pessimisme de l'habitant de la « soupe primitive » c'est-à-dire le prisonnier des cosmogonies et des mythes.


Ce qui veut dire que reconstruire la boussole et la pendule est probablement un projet fort complexe. Le retour d'un politique complètement inattendu pourra -il prendre racine, et redonner au monde un sens aujourd'hui disparu ?


2 l'après crise ou le choix de ré enchâssement de l'ordre du marché dans la société.


Les développements antérieurs nous ont permis de constater que l'écrasement du futur sur le présent, et donc la perte de la boussole et de la pendule, s'explique par une économie en général, et sa composante financière en particulier, qui est en quelque sorte sortie de ses gonds pour envahir et redéfinir la plupart des institutions traditionnelles des communautés humaines.


Il est donc évident que le retour inattendu du politique se doit d'être consacré à ce que l'on pourrait appeler la fin de la démesure de l'économie. Deux scénarios ou sous scénarios, peuvent être imaginés : celui de la création d'un espace public mondial ou celui du retour à la nation.


Le premier scénario correspondrait au fond à celui que Keynes avait un peu imaginé lors de la conférence de Bretton Woods. Il suppose de très difficiles négociations dans un monde, qui en termes de puissance, est plus équilibré qu'en 1944 et donc un monde où les intérêts des divers partenaires peuvent à la fois, être mieux défendus, mais aussi plus divergents. Ce premier scénario, car extrêmement difficile à mettre en œuvre, est donc relativement improbable.


Le second scénario correspond au fond à l'échec du premier : il est solution de repli. Il est aussi solution d'évidence. C'est que la réappropriation de la politique monétaire par les Etats nationaux et la couverture de déficits pharaoniques par pure création monétaire entraineront mécaniquement des niveaux d'inflation très différents entre les différents pays. il en résultera mécaniquement plusieurs conséquences :


Tout d'abord des modifications gigantesques de parités monétaires, modifications mettant à mal, et par les mouvements de marchandises, et par les mouvements de capitaux, l'actuelle mondialisation. La dé mondialisation est en marche, ce qui ne signifie pas nécessairement le retour inéluctable au protectionnisme mais peut maladroitement y conduire.


En second lieu l'inflation, bête noire de la finance sortie de ses gonds, produira un sérieux amaigrissement de la dette publique ,et donc une situation où le futur ne sera plus mangé par le présent. C'est qu'une inflation durablement supérieure au taux de l'intérêt permet de rembourser - ou mieux de ne pas rembourser- la dette. L'inflation est le moyen qui sera utilisé afin que les vivants d'aujourd'hui ne se goinfrent plus sur le dos des citoyens à naitre : le futur cessera d'être écrasé par le présent.


Toujours sur un plan strictement monétaire, l'inflation, parce que supérieure au taux de l'intérêt nominal, favorise l'investissement productif : l'entrepreneur authentique, celui qui innove, celui qui crée, est favorisé. A l'inverse le rentier est défavorisé. La création de valeur ajoutée est peut-être plus rentable que la production de valeur boursière obtenue par des expédients qui relèvent plus du casino que de l'économie. Là aussi, le futur renoue avec l'avenir, et cesse de s'écraser sur le présent.


Mais tout ceci est peu de choses, en ce sens que la solution politique de l'inflation ne fait que ré animer l'économie et le système de valeurs qu'elle a répandu dans la société, à savoir littéralement un monde dépourvu de sens depuis la fin des grands récits. Donc le maintien de l'homme délié dans l'océan des prix, avec toutes les conséquences précédemment exposées. C'est que le retour du politique, à la faveur de la crise, ne signifie pas encore la fin de l'hypertrophie des droits à consommer et la fin de l'irresponsabilité généralisée.


Ré enchâsser l'économie dans la société suppose que cette dernière ne soit plus sous la domination de la matrice économique laquelle est, in fine, conceptrice des attitudes et des représentations de la vie. Il est évidemment peu probable de voir renaitre les grands récits laîcs du 20iéme siècle. Aujourd'hui la crise fait bondir les ventes de l'œuvre de Marx. Mais le prophète est mort, et il ne reste que le grand théoricien du capitalisme.


Peut-on trouver à l'inverse des produits de substitutions ? Il semble bien qu'aujourd'hui, ré enchâsser l'économie dans la société, passe par la gestion de la contradiction entre la démesure de l'économie et la finitude du monde. L'homme délié continuera probablement à aimer la marchandise jusqu'à s'en noyer. Pour autant, émerge doucement, l'idée que la marchandise n'est plus seulement le moyen d'assouvir des désirs strictement individuels. Elle incorpore désormais une trace écologique qui n'a rien à voir avec la traçabilité répondant à ces mêmes désirs. Cette trace fait qu'il y a désormais une dimension publique dans n'importe quel bien privé.


Alors que modernité et postmodernité s'annonçaient comme un processus de privatisation de la vie, la rencontre avec la finitude du monde risque de déboucher sur un mouvement inverse. Processus déjà à l'œuvre sous la forme de nouveaux interdits- et à vrai dire inattendus mais qu'il faudra expliquer- dans le monde de l'homme délié : stricte limitation de vitesse sur les routes, développement des espaces interdits aux fumeurs, normes comportementales et environnementales, etc.


La prise en compte de la dimension publique des biens privés n'a sans doute pas la « grandeur » des cosmogonies, des religions et des grands récits laïcs, il n'empêche qu'il apparait aujourd'hui qu'elle est le possible élément susceptible d'introduire de la mesure dans la démesure.


La prise de conscience de la contradiction entre démesure de l'économie et finitude du monde autorisera vraisemblablement l'affermissement du retour du politique avec l'acceptation d'une « fiscalité verte », sans doute âprement négociée, mais mieux acceptée que les dispositifs fiscaux antérieurs rejetés par les postmodernes. L'homme devenu souverain s'accommodait de plus en plus mal des systèmes fiscaux lourds et redistributifs, lourdement chargés des scories de la modernité ; d'où parfois le fantastique développement de niches fiscales aussi chargées, dans nombre de situations, de protester contre le holisme ambiant. D'où aussi plus simplement la fuite des plus habiles vers un espace fiscalement moins disant. Ainsi pourrait-on passer progressivement à un système fiscal confirmant sans doute l'homme délié mais assurant néanmoins le vivre ensemble sur la base de la gestion de la contradiction entre démesure de l'économie et finitude du monde.


Solidarité réduite ? Sans doute, mais il semble difficile d'avancer dans une démarche prospective avec les yeux braqués sur le rétroviseur : ce que nous apprend l'histoire c'est d'abord le fait que toute situation nouvelle, l'est pleinement, même si elle s'explique par le développement de forces passées. Il sera plus facile de contenir l'économie, mettre fin ou limiter sa démesure, que de revenir sur l'individualisation de la société. Mais en même temps les choses ne sont pas aisées, car encore une fois à examiner l'histoire, on se rend compte que ce monde qui serait en émergence connaitrait une situation radicalement nouvelle. Le développement de l'efficacité instrumentale- elle-même liée à l'individualisation de la société : la liberté d'entreprendre - ne correspondrait plus à des atteintes portées à la nature, atteintes qui avaient été jusqu'ici considérées comme négligeables. Jusqu'à présent, ou bien une société ne connaissait pas de dispositif d'accroissement de son efficacité instrumentale, et maintenait un équilibre de la nature, ou bien elle connaissait un dispositif d'auto-accroissement de cette même efficacité, et impulsait un désordre au sein de cette même nature. Dans le premier cas nous avons l'ensemble des sociétés traditionnelles. Dans le second, nous avons le rameau occidental de l'humanité. Ce qu'il y aurait de nouveau aujourd'hui, et de radicalement nouveau, à l'issue de la crise, serait à la fois l'auto-accroissement de l'efficacité instrumentale, et le respect de l'ordre de la nature. Cette conscience de nouveauté radicale nous invite à nous poser la question de la possibilité du développement dit soutenable. En d'autres termes n'y a-t-il pas une contradiction de termes quand on parle de développement durable ? Dit autrement encore : le développement durable est-il la nouvelle utopie ?


Il est sans doute pour le moment impossible de répondre à une telle question. Par contre le développement durable -parce que prise de conscience que la nature est potentiellement bien public mondial- sera probablement élément fertilisant à la prise de conscience d'un espace public mondial. Alors que la gestion future de la grande crise impulse une sourde dé mondialisation déjà en marche, la gestion de la contradiction entre économie et nature sera une force agissant en sens contraire.


3 L'après crise ou le choix de la promotion de la culture de l'immanence.


Boussole et pendule nouvelles ne structureront plus le mode des humains comme jadis, car encore une fois, il ne s'agit pas de reconstruire l'ancien monde mais de dégager les forces qui au final risquent de structurer celui qui est en devenir. Ré enchâsser le marché dans la société, mettre fin à sa démesure face à la finitude du monde, est un démarche finalement sécurisante. Il n'y a pas si longtemps ,l'homme en voie de dé liaison, devait logiquement payer le prix de sa dé liaison en terme de sécurité, ce qu'il n'a pas fait, en construisant l'immense Etat providence de la période moderne. Là encore recherche de sécurité. Plus récemment, le même homme, désormais complètement délié, et devenu grand pourfendeur de l'Etat, revient vers ce dernier au moment de la grande crise. Et même les banquiers sont heureux de ses marques de sollicitudes. Là aussi recherche de sécurité. Il en a toujours été ainsi, et cela correspond à ce que les ethnologues appellent la « culture de l'immanence ». Dans la « soupe primitive » l'immanence consiste à refuser l'évènement en tant que fait, en tant que circonstance inattendue ou imprévisible. Plus exactement ,tous les évènements que connaissent les hommes, sont directement interprétables par la cosmogonie : tout est expliqué et donc d'une certaine façon tout peut être conjuré. La sorcellerie peut probablement s'expliquer, au moins partiellement, sur la base de La culture de l'immanence. Cette dernière rassure et crée du lien social. Elle n'a jamais disparu et semble présentement , connaitre une promotion inattendue. C'est que l'homme délié, en contact avec un autre homme délié, se doit de sécuriser ses transactions intéressées. Et si la culture commune se fait chancelante en raison même du processus de dé liaison, il convient de recréer de la sécurité. Si les hommes sont riches de droits et pauvres en devoirs, encore faut-il, pour faire société, qu'ils deviennent responsables. Nous avons là l'origine, et le développement fantastique de ce que nous appelions la « soft law ». L'homme délié est de plus en plus libre et contradictoirement de plus en plus emprisonné dans la foule des règlements, règles et autres normes qui l'enchainent progressivement. La loi, parce que politique parce qu' exprimant un projet, se fait plus petite. La norme moins ambitieuse, ne cherche qu'à assurer pour rassurer ,mais tendra à réguler de façon probablement envahissante l'espace social. Nous vivrons probablement de plus en plus au sein d'espaces normés. Et les dispositifs assurantiels en tiendrons compte : puisque l'événement au 21ième siècle est tout aussi contesté que l'évènement chez les Dogons du Mali au 16ième siècle, il faudra bientôt prouver que mon hygiène de vie était dans la norme pour pouvoir bénéficier de la couverture santé en cas de maladie. La normalisation est la contrepartie de l'aventure individualiste.

Résumons-nous : le simple mouvement de la modernité était à lui seul porteur d'une probable disparition de l'avenir. Cette disparition concernait la période 1989- 2008, soit une vingtaine d'années. Il semble bien qu'aujourd'hui, à la faveur de la grande crise qui s'annonce, un certain renouveau de l'avenir s'esquisse. Et il n'est pas interdit de penser, voire d'espérer, que le terme de production de valeur ajoutée viendra supplanter celui de production de valeur qui ne s'adresse qu'aux seuls actionnaires. Le monde qui correspondra à la période qui s'ouvre, ne sera pas chargé d'autant de sens que les mondes précédents : la boussole en sera assez imprécise. Pour autant il correspondra probablement à la fin des « orgies de l'instant » qui resteront la marque de cette période.

Le retour du politique sera essentiel- et a déjà été essentiel à l'automne 2008- pour la survie de l'ordre du marché, et donc de la civilisation qui lui correspond. Pour autant, il ne sera pas porteur de nouvelles grandes espérances - ce qui n'est pas nécessairement négatif, car historiquement, aux grandes espérances correspondent de grands crimes- et se contentera de tenter de préserver l'homme délié des forces naturelles qui menacent. L'espace public- même s'il tente de devenir espace public mondial- n'aura plus la légitimité qu'il avait à l'époque des grands récits religieux et laïcs. Il n'aura plus à exprimer un projet de société ni à protéger la société mais à en préserver ses membres dans leur individualité. Ce travail de protection passe par un travail législatif qui n'est plus de l'ordre de la loi mais du simple règlement. Ce même travail ira dans le sens de la responsabilisation maximale des acteurs, ce qui pourra, peut-être, mettre fin aux enrichissements sans causes sérieuses, mais laissera de côté la question de ceux, qui insuffisamment armés , ne peuvent aisément entrer dans un processus de responsabilisation.

Villeneuve d'Ascq le 30 décembre 2008.

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11 décembre 2012 2 11 /12 /décembre /2012 23:00

couverture du livre

Livre en vente dans toutes les librairies

 

Dans "Spécificité des crises de l'entrepreneuriat politique"  nous insistions sur la relative difficulté à ce qu'un conflit débouche sur une scission, les barrières à l'entrée/sortie étant au moins aussi élevées que celles constatées sur les marchés économiques. Dans "Le monde tel qu'il est" nous avons montré que les entrepreneurs politiques, dans le stade démocratique de l'aventure étatique, négociaient leur prise de contrôle de l'universel, en partageant la capture de la réglementation parmi d'autres groupes. Dans ce contexte, un projet politique ou un programme politique est un cocktail de mesures destinées à emporter le consentement de l'électeur médian. Les groupes capteurs de la réglementation étaient, dans notre article : d'abord les entrepreneurs économiques,  mais aussi les citoyens, les salariés, les consommateurs, et  les épargnants. Les groupes en question pouvant être dissociés ou à l'inverse confondus, pouvant aussi connaitre des intérêts convergents ou divergents, pouvant enfin connaitre des intérêts congruents ou contradictoires. Il appartient aux grandes entreprises politiques d'effectuer la synthèse programmatique de cette complexité dans le but d'accéder ou de se reconduire au pouvoir.

 

Aisance des synthèses programmatiques dans la conjonction du fordisme et de l'Etat-Nation .

 

Le régime fordien de croissance donne lieu à des synthèses programmatiques relativement aisées en raison d'une certaine congruence des intérêts des divers acteurs.     L'acceptation du salariat est d'autant plus facile que la redistribution est réelle et réellement nourrie par de réels gains de productivité. Le partage des gains est aussi l'intérêt des entrepreneurs économiques dont l'offre rapidement croissante de marchandises se doit de disposer de débouchés croissants et réguliers. Une régularité toute promise par les entrepreneurs politiques qui construisent un Etat-providence porteur de social-clientélisme et donc de bulletins de vote. Salariés et consommateurs ne connaissent pas d'intérêts opposés dans un monde largement constitué d'un "dedans" protecteur, bien séparé d'un "dehors" :  séparation garantie par les entrepreneurs politiques qui protégent la Nation. Le dedans est lui-même relativement douillet : puisque protégé, il limite sérieusement les risques de prédation offerts par une possible exacerbation de la concurrence. Parce que la concurrence est ainsi contenue, les moins performants du jeu économique ne sont pas exclus : l'éventuelle sous-efficience se paye de moins de richesse mais non d'exclusion radicale. Les seuls relativement exclus sont ainsi les épargnants victimes de la répression financière qui caractérise aussi le régime fordien: la fameuse "euthanasie" des rentiers chère à Keynes. 

 Lorsque maintenant la chute durable des gains de productivité se fait sentir, et que les entrepreneurs économiques achétent sur les marchés politiques la grande vague de l'ouverture des marchés des biens réels ( vague suivie de celle qui lui est indissolublement complémentaire c'est à dire la fin de la souveraineté monétaire, laquelle passe par la désintermédiation, la déréglementation, et le décloisonnement) le compromis politique ne peut que très progressivement changer.

 

La difficile synthèse programmatique en mondialisation 

 

Le salaire qui était simultanément "coût" et "débouché" dans un monde où l'économie se représentait comme circuit, n'est plus qu'un coût à minimiser. Le consommateur qui peut accéder sans limite aux marchandises mondiales ne voit plus son intérêt soudé à celui  du salarié. L'épargnant cesse d'être la victime de la répression financière et reprend le pouvoir dans les entreprises à financement désintermédié. La finance jusqu'ici réprimée, se libère et ne voit plus son profit assis sur l'investissement de long terme mais sur la simple spéculation.

 La concurrence exarcerbée par l'ouverture sans limite, d'abord du marché des biens réels, puis sur l'ouverture elle- même sans limite du compte de capital, segmente les producteurs entre ceux qui sont suffisamment armés pour résister à la concurrence et ceux qui le sont moins. Alors que l'employabilité était un mot vide de sens dans un fordisme qui intégrait les plus démunis, elle devient progressivement le mot à la mode. Avec le souci , comme l'énonce la langue bureaucratique, de s'intéresser aux "personnes les plus éloignées de l'emploi".

Cette non-employabilité est le fruit du changement de paradigme, qui fait que la mondialisation dérégulée, ne peut plus assurer un équilibre entre offre globale et demande globale. Au temps du fordisme, il appartenait aussi aux grandes entreprises politiques de veiller à ce que le salaire soit autant "coût" que "débouché", ce qui correspondait aussi à leur propre intérêt en ce qu'elles bénéficiaient des retombées électorales de la construction de l'Etat-providence, lui même devenant une sorte d'assurances de débouchés pour les entrepreneurs économiques. Ce modêle disparait avec la mondialisation dérégulée et il ne peut plus exister d'acteurs qui, en surplomb du jeu économique, veille à la redistribution des gains de productivité à l'échelle planétaire.

Parce que le salaire n'est plus qu'un coût à comprimer, ce que confirme encore le  "Rapport mondial sur les salaires 2012/2013" de l'Organisation Internationale du Travail, les gains de productivité ne sont plus redistribuables, et il en résulte une :    

      tendance générale à la surproduction à l'échelle planétaire.

 

 D'où le caractère devenu sauvage de la concurrence : il n'y a pas de place pour tous au "grand banquet de l'écoulement de la marchandise" et donc de sa vente profitable, et ce malgré les énormes dépenses au titre de cet écoulement, dont la publicité et ces nouveaux métiers dits du "marketing" dont le fordisme se passait aisément. Parce que la mondialisation dérégulée est un régime de crise permanente de surproduction, on comprend mieux que les pays du centre qui ont abandonné  le fordisme classique seront davantage touchés par les questions d'employabilité.

Les grandes entreprises politiques chargées d'exprimer le nouvel universel ne peuvent que payer le prix de cette énorme dislocation.

 

Le prix politique de la grande crise  en France

 

Les fordismes de bas ou de moyenne gamme qui corrélativement utilisaient - massivement- des travailleurs immigrés seront plus touchés que d'autres par les questions d'employabilité. Ils sont en bout de table du grand banquet  de la vente profitable des marchandises: leur compétitivité est trop réduite. C'est notamment le cas de la France, dont les entrepreneurs politiques, aussi en raison des spécificités françaises de l'aventure étatique, avaient, après la seconde guerre mondiale, construit un Etat-providence particulièrment solide. La capture de l'Etat par les groupes les plus mondialistes (ce qu'on a appellé la "modernisation" tous azimuts, y compris financière dans les années 80 et 90), va y développer une masse "d'inutiles au monde" (chômage) plus élevée que dans les fordismes haut de gamme (Allemagne, USA, etc.). Les travailleurs immigrés, souvent issus de l'ex-empire, et souvent non qualifiés, seront les premières victimes sélectionnées par la "bienheureuse mondialisation". Avec le temps, ces groupes de chômeurs, dont la réalité culturelle est différente, connaissent un véritable enkystement spatial et identitaire, fort éloigné de cet individualisme républicain, encore vendu par les entreprises politiques dominantes. Et simultanément, cet enkystement est conforté par la puissante efficacité de l'Etat-providence , puissante efficacité qui, il est vrai, s'opère  aussi par la magie du crédit.

D'où, à la surface des choses, une possible et tellement évidente conclusion: La France n'a plus les moyens de son Etat-providence ( simplement exprimé: n'est plus assez "riche") et devient fautive en pérennisant ce qui serait un assistanat aux effets contre-productifs et surtout responsable d'une dette qui ne cesse de s'accroître. Cette conclusion très largement répandue et amplifiée par la grande inculture des faiseurs d'opinion, entraine l'instabilité croissante des grandes entreprises politiques traditionnelles. De quoi développer une "contagion des sentiments" débouchant sur l'émergence de boucs émissaires au sens girardien du terme. 

La gauche, traditionnellement internationaliste et sociale démocrate, n'est plus en état de construire un programme ou un projet. Toujours interventionniste, il lui faudrait vendre un produit allant dans un sens radicalement opposé à ses croyances mondialistes. D'où une fracture possible en son sein, entre l'idéologie mondialiste porteuse des nouvelles libertés exigées par un individualisme radical, et le retour sur l'Etat-nation, seul susceptible de garantir l'acquis des 30 glorieuses, à savoir la relative moyennisation de la société, et  son sous -produit qu'est l'intégration de ceux qui s'éloignent du projet républicain. Plus clairement : ceux qui en raison des nouvelles règles du jeu se trouvent  dans l'enkystement spatial et identitaire déjà évoqué.

La droite, est nécésairement travaillée par la même grande contradiction, entre le libéralisme mondialisé exigé par une élite en quête de nouveaux horizons, et la recherche d'une identité nationale, exigée par ceux qui, victimes de cette même mondialisation, ont trouvé des boucs-émissaires dans l'immigration. Fracture semblable ou symétrique, évidemment renforcée par la dramatique présence d'une monnaie unique, qui interdit le retour à l'Etat-Nation et ne permet pas l'adoucissement de la mondialisation par le biais de possibles  variations du taux de change.

Globalement, les produits offerts par les grandes entreprises politiques connaissent un problème fondamental de cohérence, problème qui va de plus en plus abaisser les barrières à l'entrée au profit  d'entrepreneurs politiques d'un type nouveau. Le déficit de cohérence ne peut qu'affaiblir la force idéologique des entreprises politiques, un affaiblissement qui ne peut que se traduire par un affaissement des barrières à l'entrée, voire un effondrement, et donc l'irruption sur le marché d'entreprises politiques nouvelles rétablissant des cohérences programmatiques en assurant clairement les fractures, et en proposant des recompositions. Décompositions/recompositions, au demeurant peu aisées, en raison de l'émiettement et de la multiplication des groupes capteurs de la réglementation -ce qu'on appelle les lobbies- qui eux- mêmes effacent parfois avec radicalité les croyances vertueuses en la démocratie.

 Au delà,  les conflits entre entrepreneurs politiques franchisés, ne peuvent que se développer, certains pouvant  sortir de contrats de franchise  possiblement démonétisés, tandis que d'autres tenteront à l'intérieur des entreprises politiques existantes de lancer de nouveaux produits afin de moderniser l'offre. Et, bien évidemment, la concurrence aura pour théâtre naturel, l'adaptation politique et institutionnelle à la réalité d'un pays meurtri par la grande crise.

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25 novembre 2012 7 25 /11 /novembre /2012 23:00

couverture du livre

 Le livre est en vente dans toutes les librairies

 

 

Les "Echos" en date du 23 novembre nous apprend que le gouvernement aurait l'intention de mettre à contribution les banques dans  le cadre de son pacte pour la compétitivité. L'idée serait de hâter sa mise en oeuvre en contournant les délais du crédit d'impôt par le biais d'un préfinancement bancaire. Ce préfinancement, d'abord imaginé par le biais d'Oséo, serait ainsi complété par un appel direct aux banques, appel assorti d'une demande de modération de taux compensé par une garantie publique.

De quoi satisaire nombre d'acteurs du jeu économique en renforçant la "machine à faire de la dette"

L'appel aux banques pour préfinancer le crédit d'impôt permet  à l'Etat d'accélérer la mise en oeuvre de son pacte de compétitivité sans lui même le financer. Il pouvait  accélerer les choses en acceptant un déficit plus élevé et en préfinançant lui même le crédit d'impôt. Il semble préférer être substitué par les banques, préférence qui connait évidemment un prix en termes d'allocations des ressources: celui de la différence de taux entre des obligations publiques à court terme (moins de 2% aujourd'hui) et celui qui correspondra aux prêts bancaires au titre du préfinancement du crédit d'impôt. (on évoque une plage allant de 3 à 4%) .Cette substitution avantage l'Etat et se trouve être un cadeau aux banques, cadeau payé par les entreprises qui constateront un avantage moins important que celui légitimement anticipé.

On peut s'étonner que le pacte de compétitivité retenu par les entrepreneurs politiques au pouvoir en France renforce son aspect "usine à gaz" dès lors qu'il faut concrètement agir. De fait, il résulte de choix et contraintes bien antérieures dont tout naturellement l'importance du déficit public et ses modalités de financement, dans le cadre d'une indépendance de la BCE et de celui de l'interdit de la création monétaire par les Etats. Cette péripétie ne renforcera pas non plus l'efficacité d'un pacte de compétitivité d'essence non coopérative   . Les événements des dernières semaines concernant les vastes redéploiements de l'industrie automobile à l'intérieur de la zone euro sont là pour nous montrer que les pactes de compétitivité espagnol appellent d'autres pactes en Belgique ou en France qui en cumulant leurs effets entrainent l'ensemble de la zone vers l'abîme. L'échec maintenant assuré de ces pactes "usines à gaz non coopératives" va t'il déboucher sur les questions essentielles de la mondialisation et de l'euro?

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15 octobre 2012 1 15 /10 /octobre /2012 12:21

 couverture du livre

Mon livre est dans toutes les librairies

 

Le présent texte tente d’analyser les conséquences des chocs de compétitivité que nombre de gouvernements européens - en particulier ceux des pays du sud - tentent de mettre en place aux fins d’un rééquilibrage des soldes extérieurs et en conséquence une amélioration de l’emploi.

Les chocs proposés sont des dévaluations internes résultant d’un impossible ajustement des taux de change en monnaie unique. Ces dévaluations internes reposent toutes sur une diminution globale du coût du travail, diminution utilisant des supports variés et souvent indirects : augmentation du temps de travail, baisse des charges sociales, prélèvements fiscaux, diminution des prestations sociales, etc. Notons au passage que lors de la crise de 1929, les entrepreneurs politiques des nations  de l’époque disposaient de l’arme du taux de change, armes qu’ils ont utilisées sans ménagement, dans un jeu évidement non coopératif, pour exporter leur propre chômage. L’histoire a révélé  que le résultat de cette politique fût collectivement ruineux.

Pour présenter la  problématique du choc de compétitivité nous utiliserons l’exemple d’un pays, l’Espagne dans ses rapports avec l’Allemagne.

Supposons une baisse des rémunérations (avec l’hypothése que cette baisse se traduise mécaniquement par une diminution des prix) en Espagne, et examinons les conséquences attendues dans les deux pays.

 

Du point de vue de l’Allemagne quelles sont les conséquences prévisibles?

Les revenus distribués diminuent en raison d’une moindre exportation vers l’Espagne. Le volume concerné dépendra de l’élasticité/revenu de la demande d’importations espagnole.

Par contre du pouvoir d’achat se trouve libéré du fait de la baisse de prix des marchandises espagnoles importées. Ce pouvoir d’achat libéré est pourtant amputé par la plus grande compétitivité espagnole, laquelle entraine de plus grandes importations se substituant aux productions allemandes. Les volumes concernés dépendent évidemment de la valeur des élasticités/prix.

Cette perte de revenu pour l’Allemagne est donc égale aux importations supplémentaires en provenance d’Espagne, perte compensée par l’effet revenu procuré par la baisse de prix des marchandises espagnoles qui se sont substituées aux marchandises allemandes. Et perte également compensées par l’effet revenu résultant d’une baisse de prix des marchandises espagnoles jusqu’ici traditionnellement importées. Comme on le sait il s’agit là d’un effet important de la mondialisation se substituant aux vieux gains de productivité des 30 glorieuses.

Le gain résultant de la différence de prix est à comparer aux pertes résultants des importations supplémentaires. Comptablement la compensation est d’autant plus importante que la baisse de prix et donc le choc de compétitivité espagnol est élevé. Elle est aussi d’autant plus forte, que le poids des importations allemandes de marchandise espagnoles, est élevé dans le total du PIB allemand. En effet, dans une telle situation, la baisse de prix provoque un effet revenu important en Allemagne.

Concrètement, cette situation n’est pas empiriquement vérifiée, et le poids des importations de produits espagnols est extrêmement faible. Par ailleurs, l’effet revenu par baisse de prix est contrarié par un effet revenu négatif engendré par la hausse des importations.

Au total il est difficile de conclure à un effet positif sur les revenus allemands par le canal des importations. Comme de façon plus évidente, il y a baisse de revenus distribués en raison d’une chute des exportations, le bilan du choc de compétitivité de l’Espagne est mécaniquement négatif pour l’Allemagne.

Qu’en est-il de l’Espagne ?

La demande globale, et donc le revenu global, est affecté par le choc de compétitivité, lequel a pour  effet de diminuer l’absorption interne : la demande nationale, qu’il s’agisse de biens de consommation ou de biens d’investissements, est réorientée vers une demande étrangère plus élevée. L’existence et l’importance d’un solde extérieur amélioré dépend encore une fois des élasticités.

Une façon simple de voir les choses, est de se dire que le jeu – à priori non coopératif - serait à somme nulle, et si l’Allemagne perd, l’Espagne gagne pour une même montant. Un tel raisonnement, suppose en fait que le niveau mondial de la demande et des revenus correspondants (dans notre exemple le monde est constitué de la somme des PIB  Allemand et  Espagnol) reste inchangé, malgré le choc de compétitivité espagnol. Il en découle mécaniquement que du point de vue de l’Espagne l’amélioration du solde extérieur est supérieur à la diminution de la demande interne. La différence représentant la diminution de revenus allemands.

Dans ce cas, il y a bien amélioration de la situation espagnole au détriment de celle de l’Allemagne.

Le bilan global du choc de compétitivité est donc douteux et se trouve aussi contestable que les forts douloureuses dévaluations des années 30.

Mais le doute sur les chocs de compétitivité se trouve renforcé par le fait qu’ils se mènent dans un cadre plus général de politiques d’austérité visant la réduction des déficits budgétaires .

S’agissant de l’Espagne par exemple, il y a bien une politique de compétitivité ( blocage des salaires avec possibilité de les fixer à un niveau inférieur à ceux fixés par les conventions collectives, réduction des indemnités de licenciement, augmentation de la durée d’essai, etc.), avec une amélioration déjà constatée de son solde extérieur, au détriment des autres pays, dont la France (La balance courante en % du PIB passe de -4,6 à -3,5 entre 2010 et 2011 pour l’Espagne, et -1,7 à -2 entre les mêmes dates pour la France) ; mais cette politique se trouve étroitement mêlée à une politique d’austérité visant le déficit budgétaire ( 62 milliards d’euros de réduction de dépenses pour la seule année 2012). L’examen des mesures prises, révèle qu’il est d’ailleurs difficile de séparer les mesures relevant du choc de compétitivité, de celles prises dans le cadre de la réduction des déficits. Et ce pour une raison très simple qui nous renvoie à la notion de déficits "jumeaux".

Il est donc difficile d’évoquer les chocs de compétitivité sans le complément de l’austérité. Or ce complément développe des effets négatifs en raison de la remontée des multiplicateurs budgétaires déjà évoqués par Patrick Artus et récemment repris par le FMI. Selon ce dernier, le multiplicateur budgétaire négatif serait passé de 0,5 avant le déclenchement de la crise à des valeurs comprises entre 0,9 et 1,7 (1,25 selon Artus). En termes simples, cela signifie que toute diminution de déficit développe des vagues de diminutions de revenus, qui se propagent dans l’ensemble de l’économie, et viennent affecter le montant global de richesses produites (le PIB). Les valeurs du multiplicateur révélées par le FMI s’étalent sur une vaste plage  en raison des spécificités nationales et des choix en termes de réduction des déficits. Par exemple, on sait que- à court terme il est vrai- le choix de la hausse de  l’impôt, et surtout sa progressivité, est moins dépressive que celui de la diminution des dépenses publique. La raison en est que les dépenses publiques sont plus immédiates et touchent des ménages dont la propension à consommer est plus élevée. Au-delà de ses considérations techniques, il faut se rendre compte que lorsque le multiplicateur n’était que de 0,5, une diminution de déficit de 1% de PIB se traduisait par un recul de croissance de 0,5% de PIB. Aujourd’hui, la même réduction de déficit, se traduirait par un recul de 1,7% (pour les multiplicateurs les plus élevés). Cela signifie que contrairement aux attentes, en raison de l’effet dépressif de la réduction du déficit, les recettes fiscales diminuent alors que les dépenses publiques augmentent. C’est précisément la situation aujourd’hui constatée en Espagne ou mieux encore en Grèce.

Cela signifie  que l’austérité est devenue radicalement incompatible avec la compétitivité. Cela n’était pas le cas avant la crise, d’où les réussites du Canada, de la Nouvelle Zélande mais surtout de l’Allemagne du début des années 2000... Ce qu’on appelle aujourd’hui choc de compétitivité dans les pays de la zone euro, n’est pas une démarche propre à surmonter la grande crise des années 2010.

Il convient dès lors de s’interroger, sur l’enthousiasme unanime des défenseurs des réformes dites structurelles - toutes militent pour un abaissement du coût du travail -  enthousiasme qui cache mal la volonté de maintenir – quelles qu’en soient les conséquences -un libre échange devenu le protectionnisme des gagnants de la mondialisation.

 

 

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11 octobre 2012 4 11 /10 /octobre /2012 06:58

couverture du livre

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29 août 2012 3 29 /08 /août /2012 09:14

couverture du livre

                                                                Résumé

Les mines de métaux précieux exploitées par des esclaves dans l’antiquité furent probablement les premières banques centrales. A l’époque, le mot indépendance, si jalousement défendu aujourd’hui par la Banque Centrale Européenne,  n’avait guère de  sens. C’est que cette institution, qui n’avait pas de nom, était comme les sujets de l’époque : infiniment endettée envers le prince. Dans son déploiement historique, l’aventure étatique, en se consolidant, par partage des outils de la contrainte publique, entre entrepreneurs politiques et entrepreneurs économiques, devait faire naitre la fin du monopole public de la dette : le prince n’est plus seulement créancier, et peut aussi être endetté. Plus tard, ce partage progressif des outils de la contrainte publique, allait engendrer les banques centrales modernes. D’où la nature profonde de ces dernières : objet balloté entre pouvoir politique et pouvoir financier.

L’histoire de la Banque de France, est de ce point de vue fort éclairant, et débouche sur l’idée de 2 grands modes possibles de gestion de la dette publique : le mode hiérarchique, et le mode marché. Le premier correspond à la soumission de la banque centrale qui abonde le compte du Trésor sur simple demande de ce dernier. Le second correspond à l’indépendance de la banque centrale et à un Trésor s’endettant auprès du système bancaire.

 Au-delà de ces deux modes  qui inscrivent dans la réalité,  un certain rapport de forces, se cache aussi un ensemble de croyances et d’interrogations : la monnaie, pourtant création humaine, est-elle simple convention toujours renégociable, ou objet qui dépasse les volontés humaines ?

La grande crise des années 2010 s’est annoncée comme crise de la finance. Elle n’est pourtant que le  point d’aboutissement, de disfonctionnements qui nous viennent de beaucoup plus loin, et qui se situent dans l’économie réelle : la crise du Fordisme. Et ce sont les exigences d’un redéploiement fordien, qui ont entrainé la modification des rapports de forces, et l’éloignement des banques centrales vis-à-vis de leurs Etats : le mode marché de la dette publique, s’est ainsi imposé partout dans le monde.

Alors que la soumission des banques centrales au pouvoir politique, exprimait aussi, en raison de ses conséquences sur la gestion de la monnaie, un certain « état du monde », leur indépendance acquise à la fin du vingtième siècle, en exprime un autre. Un autre « état du monde » qui est  d’abord le rétablissement de la rente, une rente que l’on croyait disparue à l’issue de la première guerre mondiale.

Mon livre sera disponible dans toutes les librairies le 12 octobre. Il est évidemment d'une grande actualité puisque d'ici là, la BCE aura pris des décisions qui vont marquer une petite modification du rapport de forces entre pouvoir politique et pouvoir financier. Cela ne signifiera pas la fin du mode marché de la dette publique ni bien sûr celle de la rente. Il faudra attendre des évènements beaucoup plus considérables, par exemple la perte du contrôle du présent effondrement financier planétaire, ou des mouvements sociaux devenus eux mêmes non maîtrisables, pour changer  réellement les règles du jeu- et pas seulement celles entre pouvoir politique et pouvoir financier- et ainsi sortir de la grande crise des années 2010. Mais de ceci nous aurons l'occasion de reparler sur le blog.

 

 

 

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18 juin 2012 1 18 /06 /juin /2012 09:22

 

L’article publié le 29 février dernier sur ce blog : « Une crise qui nous vient de si loin » présentait la mondialisation comme remède plus ou moins efficace aux disfonctionnements croissants du Fordisme  dans les anciens pays capitalistes. Régime d’accumulation reposant sur une production industrielle de masse, la chute continue des gains de productivité tout au long des années 60 et 70 a pu être compensée par ce qui pouvait apparaitre comme une bulle d’oxygène apportée par la mondialisation. Outre l’épuisement possible d’une grappe technologique, la chute des gains de productivité provenait essentiellement de nouvelles exigences au niveau des débouchés, à savoir une consommation croissante de services : éducation santé, voire logement, dont les modes de production ne passent pas aisément  par des gains de productivité permanents et massifs. Parce que, disions- nous, la mondialisation était plus facile que le passage à une robotisation source de nouveaux gains de productivité, voire le passage au fordisme de branches d’activités jusqu’ici rebelles à la production de masse, la voie de l’ouverture à l’international fût préférée partout dans l’ancien monde industrialisé. Ouverture qui s’est matérialisée par un développement 2 fois  plus rapide du commerce international que celui du commerce national tout au long des années 80, 90 et 2000.

Les débuts de l’ouverture à l’international ne furent pas tout de suite la mise en concurrence des Etats- Providence et leur contestation, sous la forme de la mise à l’index de ceux que, plus tard, on appellera des  « assistés ». Pendant de longues années, la baisse de la valeur de la force de travail - qui était de moins en moins assurée par la production/ consommation d’objets fordiens dont la baisse de valeur était elle-même de moins en moins assurée par des gains de productivité trop réduits - fût obtenue par l’importation massive de biens de consommation produits par une périphérie ne connaissant point d’Etat-Providence. C’est que l’explosion du commerce international était moins celui existant entre Etats Fordiens qu’entre centre et périphérie : elle prenait en tout premier lieu la forme de délocalisations de productions, assurées dans de meilleures conditions de coût, dans ce qui allait devenir les pays émergents.

Mondialisation et coût de la force de travail.

En termes simples, si le coût des biens consommés de façon croissante (éducation,  santé , logement, etc. ) ne peut baisser, celui des biens consommés dans les domaines traditionnels du fordisme (vêtements, chaussures, alimentation, etc.) peut continuer à s’effondrer grâce aux délocalisations. A cet égard, rappelons les slogans publicitaires de la Grande Distribution , agent essentiel de la mondialisation, qui s’auto référencait dans les années 70/80, « agent de lutte contre l’inflation » : la Grande Distribution se donnait pour mission de « créer » du pouvoir d’achat. Mission qui devrait s’achever avec le risque d’une démondialisation aujourd’hui.

Si donc, les biens que l’on peut appeler « biens- salaires » (ceux achetés par les salariés en général) ne voient plus leur valeur baisser en raison de la crise des fordismes nationaux, la mondialisation, celle qui commence par des délocalisations, peut renouer avec cette baisse de valeur et ce, même si les productions délocalisées restent peu efficaces, les anciens gains de productivité étant seulement remplacés par les salaires dérisoires de la périphérie.

Et tout ceci peut se vérifier, non pas dans les budgets familiaux qui ne disent pas l’essentiel, mais dans un document que l’on peut reconstituer: celui de l’affectation en termes de dépenses, du coût total de la reproduction de la force de travail. Les dépenses non délocalisables - santé, éducation ,  logement - ne font qu’augmenter, et celles, délocalisables et de plus en plus délocalisées - alimentation, habillement, etc. - ne font que baisser. Un tel document n’est certes pas facile à construire, mais l’on dispose de chiffres globaux qu’il faudrait traduire. On sait par exemple, que s’agissant de la France, les dépenses de santé progressent plus rapidement que le taux de croissance, et donc de celui des revenus salariaux, et qu’il en est de même des dépenses de logement. A l’inverse, les dépenses de nourriture et de vêtements  pèsent de moins en moins dans les budgets familiaux.

La mondialisation creuse les déséquilibres extérieurs

Le fordisme traditionnel s’intéressait à l’extérieur, davantage du point de vue des devises qu’il pouvait générer que du point de vue des exportations. Ce que l’on appelait « contrainte extérieure » était au fond une « règle d’or » d’équilibre extérieur qui, plus tard,  intéressera moins dans la mondialisation et se transformera  en « règle d’or » d’équilibre  des budgets publics avec son avènement. Curieuse mutation : si naguère on parlait beaucoup de la contrainte extérieure et peu de la contrainte budgétaire, la première est aujourd’hui largement oubliée au profit de la seconde. 

Si, au-delà, la monnaie des vieux pays fordiens est monnaie de réserve incontestée (Dollar), ou monnaie de réserve espérée ( Euro), la contrainte extérieure perd tout sens et la prolongation artificielle du fordisme par la consommation des forces de travail de la périphérie (mondialisation) peut devenir une véritable drogue : il n’y a plus guère de limite à la désindustrialisation. Même la Grèce qui ne pouvait connaitre qu’un fordisme très embryonnaire pourra se désindustrialiser. La magie de l’euro tuera la quasi-totalité de son industrie textile et autorisera l’abandon de tout contrôle de la balance externe au profit d’un déficit sans limite. Avec, évidemment, l’évaporation des emplois correspondants, mal compensée par ceux créés pour assurer la logistique et la commercialisation du fantastique flux de marchandises importées et achetées avec – vu de la Grèce – le prodigieux  pouvoir d’achat autorisé par  l’euro.

Ce fordisme prolongé par d’autres moyens, assure en contrepartie l’industrialisation d’une partie de la périphérie, le symbole de cette dernière étant la Chine. A l’extravertion nouvelle de l’Occident va correspondre un développement extraverti de ce qui allait devenir les pays émergents, le vecteur de cette double extravertion, au-delà des autoroutes de la finance – souvent analysées sur ce blog -  qu’il fallait construire, étant plus particulièrement la Grande Distribution. C’est ainsi qu’avant la crise, le distributeur Wal Mart pourra, à lui seul, abaisser le coût de la reproduction de la force de travail américaine en important ce qui correspondait à 10% du total des exportations chinoises de l’époque.

Les déséquilibres extérieurs deviennent ainsi le sous-produit obligatoire du fordisme revisité. Ils sont d’une part ce qui permet de revitaliser un capitalisme central souffrant d’une chute de son efficacité productive, et d’autre part un outil d’une formidable industrialisation de la périphérie. Et pendant plusieurs dizaines d’années, ils correspondront, par leur inexorable montée, à un renouveau du fordisme, enfin débarrassé des contraintes d’une naissance sur les ruines de la crise de 1929 et de la seconde guerre mondiale : désormais, il n’est plus nécessaire d’assurer dans le vieil espace de l’Etat- Nation, l’équilibre entre offre globale rentable et demande globale.

Et lorsque les monnaies des vieux pays fordiens sont monnaie de réserve, parce que le déficit est « sans pleurs », il devient aussi invisible : les chinois financent le déficit américain avec les dollars de leur propre excédent, et les allemands financent le déficit grec en acceptant sans limite la montagne d’euros qui lui correspond. Bien évidemment, ce très vaste recyclage est facilité par le développement de l’industrie financière, industrie grande bénéficiaire et facilitatrice  de la mondialisation tout comme  la Grande Distribution. Bien évidemment, et nous l’avons souvent montré sur ce blog, cette industrie financière supposait l’abandon par les entrepreneurs politiques de tous pays, de leur emprise sur la monnaie avec son complément, c’est –à-dire  l’indépendance des banques centrales et le grand retour de la rente, d’abord sous la forme du « service de la dette ».

Plus tard, les victimes de la mondialisation seront au moins partiellement désignées responsables de la crise des vieux Etats- Providence. Partiellement, car de fait l’habitude sera prise de tenter de réduire les coûts croissants des consommations non fordiennes (santé, éducation) en les finançant moins par le biais d’une réduction de la pression fiscale, ou en utilisant les services de l’industrie financière, pour en reporter le partiel démantèlement. Pensons à la CADES dans le cas de la France. D’où la grande mode des discours consacrés à « l’exploitation des générations futures ». De fait, aux déséquilibres extérieurs, devaient correspondre progressivement les déséquilibres des finances publiques : ce qu’on appelle les « déficits jumeaux ». Les déséquilibres publics seront eux- mêmes partiellement financés par les excédents extérieurs des futurs émergents. Ne dit-on pas que la formidable puissance militaire américaine est partiellement assurée par les bons du Trésor achetés par les autorités chinoises avec l’excédent de la balance de ce dernier pays ?

Dans les vieux pays fordiens, toutes les victimes de la mondialisation ne deviendront pas des « assistés ». Par contre, l’ancienne force de travail fordienne subit de plein fouet la concurrence des bas salaires des pays émergents. Dans l’ancien fordisme la masse des salaires était à la fois coût et débouché de la production. Dans le fordisme prolongé dans la mondialisation, les salaires ne sont plus qu’un coût à réduire. C’est que les débouchés sont de plus en plus à l’international, et dépendent d’une compétitivité qu’il faut conquérir par des « réformes de structures » - très à la mode aujourd’hui- affectant les institutions fordiennes du salariat d’antan.

De même que les Etats vont s’endetter sur les marchés  pour maintenir des services publics qui sont aussi une partie du coût de la reproduction de la force de travail (Education, santé, politique du logement, politique d’allégement des charges salariales, etc.) les salariés eux-mêmes vont recourir aux  services de l’industrie financière pour maintenir, par le biais de l’endettement, le rythme de croissance de la consommation auquel ils étaient habitués. Le renouvellement du fordisme, ou sa continuation par d’autres moyens est donc aussi, un immense, un colossal processus d’endettement des agents privés et publics, en particulier ceux des vieux pays capitalistes.

On sait aujourd’hui que l’accroissement continu des dettes privées et publiques n’était pas tenable : il s’agit de la crise financière mondiale maintenant bien décrite et souvent bien analysée. Avec son quotidien : la mise en place de procédures de désendettements qui passent passent  par un endettement encore plus important : FESF, MES, LTRO, fonds de « rédemption », etc.

Une extravertion intenable

Mais ce qui n’est pas tenable non plus est le processus d’extravertion planétaire qu’est la mondialisation. Et ce pour au moins deux raisons.

La première correspond à la très grande solidarité des "déficits jumeaux". La politique de la "règle d’or" budgétaire , outre qu’elle comprime la demande globale - avec des effets dépressifs sur les recettes publiques assortis d’ effets d’enflure de dépenses de guichets ( nouveaux entrants dans les filets d’un Etat providence rétréci) -  comprime du même coup, les dépenses d’investissements susceptibles d’élever une productivité et une compétitivité internationale  réductrice  de  déficit extérieur. Plus globalement, les réductions de dépenses publiques et privées, conçues pour diminuer les montagnes de dettes ne font que les augmenter. D’où la répétition, devenue comique, de plans de rigueur qui ne font que précipiter et élargir le tsunami financier en cours. Avec en contre partie de déficits accrus, un monstre financier gorgé de rentes publiques et privées qui peut exploser et disparaitre à tout moment.

La seconde est que l’extravertion planétaire, ce qu’on appelle la mondialisation, n’était que la drogue dont la surconsommation assure aujourd’hui la  mortelle toxicité. La prolongation du fordisme par d’autres moyens reposait en effet sur la course à la baisse des salaires à l’échelle planétaire : Le flux croissant de délocalisations est auto-entretenu et ne peut être contenu que par des plans de réduction des coûts de la reproduction de la force de travail. Avec parfois des stratégies gagnantes comme celle de l’Allemagne, ancien pays fordien classique,  qui associant délocalisations de proximité, et réduction des salaires, peut se transformer en petite Chine de l’Europe.

A nouveau une crise de surproduction.

Globalement, plus la mondialisation s’épaissit, et plus l’incohérence majeure entre une offre mondiale et une demande mondiale se manifeste. Très exactement comme dans le cycle américain 1920/1929 où le fordisme côté production, et donc côté offre, entrait en contradiction avec une demande insuffisante en raison d’un « five dollars Day » trop limité à la seule industrie automobile de l’époque. A l’échelle planétaire, aujourd’hui, la gestion incertaine de la crise financière en Occident, développe la surproduction généralisée chez nombre d’émergents . D’où la constatation d’une réduction des taux de croissance en Chine, Inde, Brésil, etc. Nous sommes bel et bien dans une crise générale et mondiale de surproduction.

Les entrepreneurs politiques des vieux Etats fordiens ont facilité la mondialisation comme solution à un  capitalisme qui ne pouvait plus assurer les formidables taux de croissance des trente glorieuses. Ils n’ont sans doute pas encore pris conscience que la solution est devenue problème : comment rétablir la cohérence entre production et débouchés ? Avec cette curiosité que du point de vue de ces vieux pays, et dans le monde des seules apparences, la présente situation peut être lue comme l’inverse de celle de 1929 : avec l’énorme désindustrialisation, la production est devenue inférieure à la demande globale. Qui plus est, une  production de moins en moins fordienne, car faite de services peu générateurs de productivité. Ainsi dans le monde des apparences, le discours selon lequel "l’Occident vit au dessus de ses moyens" apparait crédible. Et ce n’est que par le détour théorique que nous venons de mener, qu’il est possible de voir le monde autrement. Exactement comme le mouvement des planètes avec la révolution copernicienne. Et parce que dans le monde des apparences la demande globale est trop forte, les politiques d’austérité peuvent continuer à être justifiées alors même qu’elles sont ruineuses. Les lancinantes « réformes de structures » sont là pour témoigner de la difficulté d’appréhender la réalité.

Il est évidemment difficile d’imaginer la suite. On comprend toutefois que le volet monétaire sera appelé à prendre une importance essentielle. C’est que l’effondrement du monstre financier sera porteur de secousses sur les taux de change et les monnaies elles- mêmes. L’explosion de la zone euro, est évidemment le cas le plus porteur d’effets sur la démondialisation puisqu’il mettrait directement en cause l’extravertion  des émergents, et même celui de cette Chine de l’Europe qu’est l’Allemagne. C’est que la brutale chute des taux de change des monnaies nationales reconstituées, mettrait vite en cause la double extravertion des vieux pays et de leurs fournisseurs. Observons du reste, que ce possible renversement est plus au moins anticipé, avec l’actuelle problématique du développement du marché intérieur en Chine, ou le protectionnisme renaissant dans plusieurs pays d’Amérique Latine.

De la mondialisation au risque de la grande fragmentation

Cette problématique va aussi correspondre à un basculement de l’offre sur les marchés politiques, avec la perspective d’un très difficile  retour à l’Etat-Nation. Si effectivement l’effondrement du monstre financier remet sur le devant de la scène la variable monétaire, cela peut signifier la fin de la libre circulation du capital, la fin de l’aventure post- fordienne (mondialisation débouchant sur une incontrôlable crise de surproduction), et la volonté de reprendre le pouvoir monétaire sur les banques centrales. Avec, de plus en plus, un déplacement de l’attention sur les comptes extérieurs : il faudra équilibrer les comptes car la magie de la finance aura disparu. Et à l’inverse, la fin de la problématique de la « règle d’or » sur les comptes publics : les déficits ne se comblent plus sur les marchés et les banques centrales nourrissent directement les Trésors selon le modèle, initié par la BCE pour nourrir …les banques...

Ce grand déplacement de la problématique des « règles d’or », depuis celle sur les budgets publics que l’on veut encore imposer, vers celle des comptes extérieurs, sera de fait un grand basculement exigé par les « assistés », les salariés, nombre d’entrepreneurs économiques, et nombre d’entrepreneurs politiques cherchant à se reproduire au pouvoir, voire à conquérir le pouvoir. Ce grand déplacement étant aussi accompagné de populisme, ce qui pourrait apparaitre comme un retour à l’Etat-Nation, est porteur du risque de désagrégation plus grande sous la forme d’Etats nouveaux. Ainsi la possible disparition de l’euro, faisant largement réapparaitre la problématique de l’Etat- Nation, ne développera- t’elle pas un effet boule de neige ? La Belgique, l’Espagne, L’Italie, peuvent t-ils survivre à la fin de la construction européenne ?

Parce que les extravertions imposées par la mondialisation supposaient de véritables transferts de ressources qui ne se sont manifestés que sous la forme du piège de la finance ( endettements privés et publics colossaux à l’échelle du monde) , alors qu’ils devraient et devaient logiquement se manifester sous la forme d’un fédéralisme débouchant sur un hypothétique Etat mondial, la grande crise risque de déboucher sur un sauve-qui- peut, avec le refus de toute forme de fédéralisme. Une lame de fond qui pourrait aussi noyer les Etats-Nations mal cimentés par l’idée fédérale. Ce qui correspond à nombre d’Etats–Nations aujourd’hui, et plus particulièrement en Europe. Comment en effet, ne pas avoir en tête l’extrême fragmentation de l’énorme Union Soviétique, qui va jusqu’à faire naître la Transnistrie, fier Etat- Nation de 500 000 habitants jouissant de sa propre monnaie ?

 

 

 

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29 février 2012 3 29 /02 /février /2012 14:34

 

 Nous publions ici une version modifiée du texte publié le 13 février dernier.

On a souvent tendance à penser que l'actuelle grande crise remonte à l’été 2007, avec le début de l’effondrement du marché des crédits hypothécaires américains. Et ce dernier viendrait – est-il souvent assuré- mettre un terme à trente années d’une formidable croissance mondiale qui aurait arraché de la misère plus d’un milliard d’individus. Cette façon de voir les choses n’est sans doute pas inexacte, mais ne permet pas de repérer la dynamique du long terme qui seule nous amène à nous situer clairement  dans le présent.

Nous chercherons ici à expliquer, que la présente situation est le résultat de la déformation progressive d’un régime de croissance, qui a abouti à une dislocation planétaire, laquelle s’évalue en termes de soldes extérieurs nationaux de plus en plus déséquilibrés, et probablement non durables, car socialement beaucoup trop douloureux. Ce régime de croissance s’appelle régime Fordien ou régime d’accumulation intensive, et les toutes premières manifestations de son dérèglement remontent au beau milieu des années 60, et ce dans la plupart des pays développés.

La cohérence Fordienne, version particulière d’un « ordre organisé »

Sans évidemment revenir sur ce que l’on entend par Taylorisme et Fordisme, on sait toutefois qu’il s’agit de méthodes de production, qui ont historiquement, c'est-à-dire au vingtième siècle, permis de connaitre des croissances économiques plus élevées, et surtout des croissances incorporant d’importants gains de productivité. Ce sont ces gains,  ajoutés à des facteurs de production plus abondants, qui ont autorisé la formidable croissance des « trente glorieuses ». Les théoriciens de l’école dite de la « Régulation » parlent de régime d’accumulation intensive pour souligne la forte présence de gains de productivité dans la croissance. De façon simple, une telle croissance est auto entretenue par le partage des gains de productivité qu’elle génère : le rendement croissant, s’il est bien partagé, permet à la fois des profits croissants, des prix décroissants, et des rémunérations croissantes. Toutes choses qui élargissent les débouchés de la production : les profits en hausse justifient des investissements, donc une demande supplémentaire de biens capitaux ; les prix décroissants assurent l’élargissement des marchés ; et les salaires croissants viennent gonfler la demande. Et si les débouchés s’accroissent, les investissements, tant ceux de capacités que de productivité et de rationalisation, sont justifiés et alimenteront eux-mêmes de nouveaux débouchés. La croissance devient ainsi auto entretenue – on parle à l’époque de cercle vertueux de la croissance - et va durer un peu moins de trente années à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. Les régulationnistes ont souvent souligné l’impérieuse nécessité d’une bonne correspondance entre productivité croissante et redistribution au profit des salariés, l’absence de cette dernière, ayant selon eux, empêché l’apparition des trente glorieuses dès les années 20, et à l’inverse déclenché la crise de 1929. Cette dernière étant lue, comme contradiction entre régime de production qui s’oriente déjà vers l’accumulation intensive, et un modèle de répartition qui cultive encore la loi d’airain des salaires, telles qu’envisagée par les premiers grands classiques anglais et Marx. Plus simplement dit : une crise de surproduction.

C’est donc l’idée de cohérence, qui assure l’équilibre, et la montée en puissance du régime d’accumulation fordien. Dans nombre de pays, cette cohérence des débouchés par rapport aux possibilités croissantes de la production, a été assurée par une révolution des possibilités de la consommation : salarisation massive, y compris celles des femmes, conventions collectives, salaires indirects, effondrement des prix relatifs des biens d’équipement ménagers. Cohérence qui s’est elle-même épanouie au sein d’un espace qui est largement ce que l’on appelait « l’Etat-nation »- ou ordre organisé selon Hayek-  espace lui même relativement homogène, et surtout espace de légitimité, où peut se nouer des compromis au niveau des marchés politiques. Et compromis assurant cette cohérence entre offre globale et demande globale, avec cette autre caractéristique d’une époque, où les économistes veillaient au « noircissement de la matrice des échanges interindustriels ». Monde aujourd’hui disparu.

Les ruptures du modèle

Curieusement, dès 1965, vont apparaitre des signes de déformation du cercle vertueux de croissance , signes qui vont apparaitre sous la forme de chômage, encore très faible, mais structurellement croissant ; sous la forme d’inflation ; mais aussi sous la forme de baisse significative de la croissance économique. Avec déjà des points de repères- bien analysés par Jean Herrvé Lorenzi, Olivier Pastré et Joëlle Toledano dans « La crise du XXIème siècle » - que l’on va retrouver dans nombre de pays : une baisse dans l’efficacité productive, c'est-à-dire une chute des gains de productivité ; l’épuisement des normes de la consommation ; et le développement du travail improductif notamment dans la sphère publique.

Les taux de profit s’affaissent entre 1960 et 1975 partout dans les pays développés, plus particulièrement aux USA et en Grande Bretagne, moins significativement en France et en Allemagne . C’est que parallèlement, productivité et salaires vont, selon les travaux de H Bertrand et R Boyer, évoluer de façon divergente : la croissance de la productivité stagne à partir de 1960, puis commence à baisser, tandis que les rémunérations continuent d’augmenter. Désajustement qui va entrainer une moindre justification de l’investissement, et donc une croissance beaucoup plus faible, celle des USA passant de 5,6% en 1973 à 4,3% en 1979, celle de la France de 5,9 à 3,5 aux mêmes dates (« Perspectives Economiques de l’OCDE », Décembre 1979)

La chute des gains de productivité - Denison parle à l’époque de « déroutant ralentissement de la productivité » en constatant par exemple sa division par trois pour un pays comme la France entre 1960 et 1975  – connait des causes multiples, dont celle de l’organisation du travail, mais bien davantage celle de l’épuisement des normes de consommation. Derrière cette expression, il faut entendre une baisse de la part relative des achats de biens produits selon les règles de l’accumulation intensive (équipements ménagers) et une augmentation de celle de biens produits en dehors de ces règles (services, santé, distractions etc.). De fait, cela correspond à une sortie partielle de l’outil de production des règles de cette même accumulation. Il ne peut en résulter qu’un affaiblissement des gains de productivité. Mais l’Etat va lui-même participer à ce déraillement de la régulation antérieure, avec des prélèvements de plus en plus importants pour monter un Etat- providence dont les « productions »  correspondantes (Education, Santé, etc.) sont réputées improductives au regard de l’accumulation intensive. Ainsi, s’agissant de la France, les prélèvements passent de 35,4 % en 1960 à 41,6% en 1980, montants qui au moins à titre partiel s’engloutissaient dans le cercle vertueux de l’accumulation intensive, et qui vont de plus en plus s’engloutir dans les dépenses sociales.

Dans les années 1980, Il n’est évidemment pas question de changer de système productif, et l’on essaiera par le biais des politiques économiques de remettre l’accumulation intensive sur les rails de jadis. Sans succès, puisqu’autant les politiques dites de l’offre,  que celles plus traditionnellement keynésienne ne sont adaptées. La relance de l’investissement par diminution de la part des salaires dans la valeur ajoutée, est inopportune en ce qu’elle réduit les débouchés de toutes les industries de biens de consommation. La relance Keynésienne plus favorable à la consommation ne peut être payée, faute de gains de productivité, sans une diminution des profits qui ralentit l’investissement et l’accumulation, elle est donc également inadaptée. Nous retrouvons ici les logiques des plans Barre (1976) et Mauroy (1981) en France. Au-delà, il faut aussi souligner que le tout s’envisage dans un contexte de pénurie croissante de matières premières faisant apparaitre des rentes de rareté, la rente pétrolière étant la plus représentative, lesquelles sont aussi prédatrices de gains de productivités.

Les grands Etats développés essaieront alors de tirer avantage d’une relance des exportations. Mais là aussi,  sans grand succès tant que les échanges sont massivement échanges entre pays développés. Ce qui est encore le cas à cette époque.

Faire disparaitre le besoin de cohérence, c'est-à-dire la contradiction entre la sphère de la production et celle des débouchés, qui est apparue à la fin des trente glorieuses,  constitue l’enjeu des décideurs, c'est-à-dire essentiellement les entrepreneurs économiques et politiques.

En attendant, les contradictions du régime d’accumulation se doivent être gérées par l’intervention grandissante  et inefficace des Etats. Il faut gérer les effets secondaires du ralentissement considérable de la croissance : organisation de l’aide au chômage, subventions diverses et croissantes, commandes publiques providentielles, etc. D’où, très souvent, l’apparition de déficits budgétaires – malgré le dogme de l’équilibre- qui feront que l’on passe, par exemple en France d’un déficit de 18 milliards de francs en 1976 à 40 milliards en 1980. Et ce dans un contexte de disparition  de la docilité de la Banque de France. Celle-ci ne peut plus apporter sa pierre à l’édification de l’accumulation intensive, et la lecture des contreparties de la masse monétaire, révèle que si les créances sur le trésor représentaient 43% du total en 1950 et encore 18% en 1970, la loi du 3 janvier 1973 les réduit à néant : l’Etat est plongé dans le grand marché, au moment même où les premiers craquements de l’accumulation intensive commencent à se manifester. Nous verrons que cette diminution des capacités de l’Etat ne fût pas vécue comme problème , mais solution à la crise.

La lecture des divers travaux économiques de l’époque est très riche et révèle les questionnements sur les solutions à ce qu’on appelle déjà la « crise du XXIème siècle », et crise que beaucoup ont oublié, tant ils furent fascinés par les succès de trente années de  mondialisation, succès que  pour notre part,  nous proposons d’appeler la « prolongation du fordisme par d’autres moyens » et prolongation dont nous vivons la crise aujourd’hui.

Dans l’ouvrage déjà cité de Lorenzi,  Pastré et Toledano, ouvrage publié chez Economica en 1980 , il est vaguement fait référence  à des luttes pour élever la productivité du travail, mais plus sérieusement, une étude empirique est menée sur la possibilité de « nouveaux lieux d’accumulation » comme « issue à la crise ». Très légitimement ils imaginent de nouvelles branches d’activités, complètement fordiennes, générant donc d’importants gains de productivité, et pouvant remplacer les anciens biens d’équipements et les services à rendements constants, qui ont envahi le budget des consommateurs salariés. De quoi renouer avec les gains de productivité, et réarticuler production et consommation. D’une certaine façon cette anticipation, ou cette démarche prospective, s’est révélée exacte et la « filière composants électroniques » qu’ils imaginaient est devenue réalité. Tout simplement en raison de la rigueur de leur raisonnement : il faut, pensaient –ils,  imaginer une filière qui transforme à la fois le modèle de consommation et la façon de  produire les objets et services  correspondants, transformation faisant renaitre le cercle vertueux de l’accumulation intensive, avec investissements de capacité et nouvelle consommation de masse.

Si l’on peut saluer la justesse de l’analyse qui conduit à la « grappe  technologique » devenue aujourd’hui familière, il faut toutefois regretter l’absence de tout raisonnement – malgré ce qu’on appelait à l’époque le « théorème de l’OS »  qui anticipait déjà la délocalisation des activités à main d’œuvre peu qualifiée -  sur ce qui allait devenir la mondialisation.

La mondialisation plus facile que l’automatisation des usines

Or on sait aujourd’hui, que la nouvelle grappe technologique, allait permettre, non pas de renouer avec un fordisme classique, mais un fordisme par de tout autres moyens : la mondialisation. L’informatisation peut certes développer l’automation, mais elle peut surtout mondialiser la chaine de fabrication, une chaine constituée de segments reliés par de l’informatique (logiciels et internet) et des containers, qui assurent la logistique planétaire comme les bandes transporteuses, machines transferts, et autres chariots filoguidés,  assuraient naguère la logistique de l’atelier serti dans l’Etat nation. Les coûts d’information et de transaction devenus proches de zéro, associés à des coûts de transports très abaissés par le fordisme des instruments de déplacement – pensons à titre d’exemple à la logistique portuaire entièrement normalisée et Fordisée – permettent une chaine de fabrication mondiale donc chaque segment voit ses coûts optimisés, en fonction des conditions locales d’insertion, et dont l’ensemble n’est que peu pénalisé par l’éloignement des divers éléments, ou celui des lieux de consommation. Avec un fordisme nouveau faisant apparaitre de nouvelles divisions du travail et des spécialités nouvelles pour des pays qui vont jouer la carte de ce qu’on appelle la globalisation : modèle « cargo export »,  pour la Chine, du « Work shop » pour les exportateurs de main d’oeuvre ( Philippines , Mexique), de la rente minière pour les exportateurs de matières premières (Russie, Australie), etc. D’où un Fordisme complètement renversé qui se met en place : l’ancienne  cohérence production/débouché n’est plus recherchée, elle est au contraire combattue puisque ces mêmes débouchés deviennent par la magie de la mondialisation indépendants des conditions de la production. Par la recherche des bas salaires,  par celle des coût environnementaux les plus faible dont bien sûr la fiscalité , l’ancienne cohérence nationale laisse la place à ce qui fût la montée de l’incohérence des années 20 aux USA, cette fois au niveau mondial : les possibilités de la production vont se heurter de façon croissante à l’étroitesse des débouchés.

Mais à ce nouvel ensemble fortement générateur de gains de productivité, il faut associer une autre logistique, celle de la finance qui se doit être aussi normalisée que le sont les containers. A la fluidité des moyens logistiques doit correspondre la fluidité des moyens financiers, et fluidité reposant sur de communs outils : l’informatique. Cette fluidité est d’abord celle de la monnaie qui devient en quelque sorte aussi normalisée que l’industrie mécanique du début du vingtième siècle : les différentes monnaies doivent être parfaitement convertibles et ce sans limitation. Tout contrôle des changes serait l’équivalent d’une panne sur la nouvelle chaine fordienne devenue planétaire. Curieusement, le choix du taux de change fixe est repoussé au profit de la libre fixation des prix : il y a tant à gagner pour la finance. Il faut aussi assurer la dérégulation financière, et permettre la complète libre circulation du capital et de tous les outils qui l’accompagnent. Tout manquement en la matière, reviendrait aussi à briser le plein épanouissement de la chaine fordienne planétaire.

De fait, nous comprenons que cette mondialisation suppose désormais une présence beaucoup plus importante du monde financier, ce qui signifie aussi la mise en concurrence des systèmes financiers nationaux. D’où une très forte demande pour mettre fin, plus particulièrement en France, à la répression financière de jadis. D’où aussi la volonté de pouvoir disposer de cette matière première irremplaçable, qu’est cet actif très liquide appelé dette publique. Nous comprenons par conséquent qu’avec le mondialisme comme solution à la crise du fordisme, les banques centrales ne sauraient être oubliées et vont devenir la clef de voûte du nouveau système fordien : elles doivent garantir la logistique financière, être proches des opérateurs financiers et en contrepartie plus éloignées d’un Etat dont le soucis n’est plus le noircissement de la matrice des échanges interindustriels . l’indépendance est au bout du chemin. Quant à l’Etat il gérera sa dette publique en mode marché.

 Il ne faut pas  oublier dans ce grand mouvement de libération la disparition de ces écluses qu’on appelle « frontières »-  Régis Debray en a fait à rebours un vibrant éloge- et qui viennent affaiblir la puissance créatrice de la chaine mondiale : renouveler le fordisme revient aussi à contester les Etats. Ou plus exactement à les repositionner dans la « chaine de la valeur » : l’Etat chinois ne disparait pas avec la mondialisation,  simplement il  devient un modèle assis sur ce qui fût dénoncé comme une alliance entre Wal-Mart et le parti communiste chinois.

Rupture technologique et financière, mais aussi , on s’en doute un peu, rupture organisationnelle de cette pièce élémentaire du fordisme qu’était l’entreprise. L’ère des organisateurs, à la Burnham ou à la Galbraith, laisse la place à celle des patrons de la « corporate governance ». L’épargne salariale, elle-même sous produit du fordisme triomphant antérieur, et augmentée des premiers déficits publics, eux-mêmes garantis par l’indépendance des banques centrales,  devient produit de contestation de l’Etat providence : la protection sociale par capitalisation, conteste celle produite par la répartition. D’où d’immenses fonds – fonds de pension et investisseurs institutionnels en tous genres -devenant propriétaires d’entreprises désormais appelées à fonctionner au seul service des actionnaires. Avec comme résultat l’abandon progressif de la valeur ajoutée industrielle au profit de la valeur actionnariale, et l’abandon du long terme au profit de résultats immédiats. De quoi retarder ce que pouvait permettre la nouvelle grappe technologique, c'est-à-dire l’automatisation sur base fordienne. D’où les résultats que l’on sait aujourd’hui, pour ce que la comptabilité nationale appelle « Entreprises non financières » s’agissant de  la France : entre 1970 et 2010 les dividendes nets rapportés à l’Excédent brut d’exploitation passent de 12,8 à 29,8%, tandis que la Formation brute de capital fixe passe, pour les mêmes dates de 21,9 à 18,7 %. Avec la conclusion qu’il faut en tirer : rémunérés sur la base des résultats, il faut payer de plus en plus cher des dirigeants ne produisant plus- à l’inverse des organisateurs à la Burnham et des ingénieurs d’autrefois- un avenir plus ou moins souhaité.

Corporate governance, mondialisation et financiarisation sont évidemment en congruence brutale lorsque l’on passera en France à Partir de 1986 à la privatisation rapide d’un immense secteur industriel nationalisé.  Privatisation qui va se dérouler dans le cadre d’une dérégulation financière accélérée et ayant elle-même débutée dès le milieu des années 1980, ainsi que l’atteste l’indice de libéralisation financière du FMI. Et c’est par un simple geste juridique que l’on passera à la problématique de la valeur actionnariale proposée par les fonds de pension ; à l’introduction du marché dans les ateliers avec mise en concurrence et découpe  à l’échelle planétaire ; au blocage partiel de l’automatisation par abandon des processus de requalification correspondants au profit d’un taylorisme planétaire ; à l’introduction de nouvelles formes de rémunérations, avec minimisation des rémunérations fixes, et maximisation des rémunérations variables, souvent elles mêmes financiarisées par le recours aux stock options et à l’épargne salariale ; à la fin des grands modes de coordination entre banque publique- recherche- grandes entreprises publiques- sous traitants, qui avaient contribué aux sucés industriels de la France ; etc.

Mondialiser était l’étape naturelle devant précéder  l’automatisation des usines. Parce que l’automatisation, suppose au delà des logiciels et d’internet, une industrie du robot plus difficilement accessible aussi bien en termes d’investissements techniques qu’en termes d’investissements humains, il y avait à préférer l’étape intermédiaire, celle de la mondialisation. La mondialisation, aidée en cela par le court termisme de  la finance, a pu ainsi freiner l’investissement de rationalisation et de productivité.

Encore une fois, la mondialisation ne résout pas fondamentalement et définitivement les difficultés du fordisme des années 70. La mondialisation libère de la nécessaire congruence, locale ou nationale, entre les conditions de la production et celles de la consommation. Le fordisme chinois est calamiteux, puisqu’il n’existe que pour profiter des coûts avantageux de la main d’œuvre, ce qui rend sa  production largement invendable en Chine. Mais peu importe, puisque les débouchés sont d’emblée mondiaux. Bien entendu la question de la congruence se reporte au niveau mondial, mais là aussi, il sera possible de retarder l’échéance de la crise, par des moyens nouveaux dont celui- bien sûr - de l’endettement aujourd’hui bien connu. L’étroitesse des normes de la consommation pouvant être momentanément reportée à plus tard par un crédit toujours plus important et audacieux.

 Et parce que, au moins pendant quelques dizaines d’années, il a été possible de « repousser les murs », le fordisme à pu se redéployer sans se régénérer. Redéploiement dont on voit aujourd’hui le terme, puisqu’il correspond à une fantastique dislocation des Etats- nations, dislocation dont la visibilité s’apprécie au niveau de balances de paiements très douloureusement déséquilibrées. La mondialisation était une facilité, une rémission à la très ancienne crise du fordisme. Parce qu’elle n’était qu’un pis aller, voire une drogue, il faut aujourd’hui inventer de nouvelles solutions, et solutions qui interviennent dans un contexte de rareté croissante de ressources naturelles, qui font émerger de nouvelles rentes, s’ajoutant à celle produite par le retour de la loi d’airain de la monnaie. Les solutionss n’interviendront pas sans difficultés, avec semble t’il,  une opposition de plus en plus radicale entre nouvelles activités à rendements toujours croissants et nouvelles activités à rendements toujours constants. D’où de nouveaux problèmes concernant le travail avec des activités qui se développent sans travail supplémentaire, et exigeront un déploiement d’emblée mondial ;  et d’autres qui  resteront très fortement consommatrices de travail. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, bien des activités touchant à l’internet pourront voir leur volume s’accroitre sans limite et ce , sans exiger de travail supplémentaire, alors que les nouvelles activités de service à la personne ne peuvent se développer qu’avec de nouvelles embauches. Ce qui signifie que le recours à la mondialisation, même assorti d’une dislocation des Etat- Nations risque de se prolonger. Comment en effet, ne pas voir ce que Severino appelle « l’inversion des raretés », avec de moins en moins de matières premières disponibles et de plus en plus d’hommes mondialement disponibles ?

Si les banques centrales sont devenues dans le dernier quart du vingtième siècle  les grandes accompagnatrices de la mondialisation, elle-même fuite en avant d’un fordisme souffrant, elles ont aussi été accompagnées par un très puissant courant idéologique, qu’il nous appartient maintenant d’évoquer.

A suivre....

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3 janvier 2012 2 03 /01 /janvier /2012 07:20

Variations historiques des formes d'Etat et correspondances en termes de dette, de monnaie, de structure des banques centrales et de dette publique

Formes de l’Etat

Formes de la dette envers l’Etat

Formes de la monnaie

Formes de la banque centrale/Formes d’action de l’Etat

Réalité et importance de la dette publique

Despotisme

radical

infinie

Absence ou monnaies primitives

Peuple fournisseur infini

Nulle ou inter étatique

Despotisme avec émergence du droit : version1

Infinie mais contestée : dette privée comme externalité négative

Outils de comptage + monnaie de simple circulation

Idem+ annulation régulière des dettes privées pour maximiser la créance publique

Nulle ou inter étatique

Despotisme avec émergence du droit : version 2

finie

Norme monétaire métallique = richesse accumulable

loi d'airain

La mine de métal fonctionne comme banque centrale

Nulle ou inter étatique

Etat moderne

Partage des outils de la contrainte publique

Finie mais contestée et partagée

Norme monétaire métallique= richesse accumulable

Hôtel des monnaies surestarie/dépréciation

Premières banques centrales modernes

Importante et le plus souvent intra étatique

Marchés politiques actifs et démocratie de moyennisation

(compromis fordien)

finie

Renouvellement de la norme monétaire et libération vis à vis de la loi d'airain

Richesse accumulable

 

Généralisation des banques centrales modernes

Rapide réduction

Marchés politiques actifs et démocratie contestée=mondialisation

Finie mais contestée et partagée

Retour à la loi d’airain de la monnaie et privatisation

Richesse accumulable

Séparation des banques centrales vis-à-vis des États

Rapide augmentation en intra et/ou en inter étatique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le présent tableau permet de disposer d'une vue synthétique pour comprendre le monde tel qu'il est. Il faut le lire à partir du paradigme de l'Etat tel que je l'utilise généralement dans le blog, à savoir une entité historiquement engendrée par le fonctionnement normal des  collectivités humaines, entité dont les moyens - ce que nous appelons la "contrainte publique"-  sont gérés à titre privé , et parfois mis à la disposition de tel ou tel groupe social, par des entrepreneurs politiques. Parce que fondamentalement prédatrice, l'entité Etat prélève des ressources sur les communautés contraintes. Ce qu'on appelait "sacrifice" à l'aube de l'humanité a pu ainsi devenir au cours de la longue histoire, dette de vie, dette de sang, dette de travail, impôt, etc. En même temps avec la transformation des formes de L'Etat, la prédation fût partagée entre entrepreneurs politiques et groupes dominants, pour finalement aboutir à des formes d'Etat providence qui ont pu correspondre aux "30 glorieuses" et à ce que les économistes ont appelés  le "Fordisme", et aujourd'hui sa forme extrêmement dégradée qu'est la mondialisation.

Si à l'origine la monnaie était un instrument de coopération efficace n'assurant que la simple circulation sans jamais devenir réserve de valeur, elle s'est plus tard transformée en "extériorité", et  à ce titre, est devenue une structure voisine de l'Etat. Et le plus souvent existe une loi d'airain de la monnaie comme il existe une loi d'airain de  l'Etat. cela signifie que l'humanité croit généralement en une rareté des signes monétaires, et une rareté vécue comme aussi naturelle et objective que ne l'ait l'Etat. Seule la période dite démocratique de l'aventure étatique ,a pu correspondre à une libération vis à vis de la loi d'airain de la monnaie.

Parce qu'extériorité semblable  à celle des Etats, la monnaie fait l'objet d'enjeux gigantesques, et l'idée de banque centrale est probablement aussi vieille que l'Etat lui même. Les Etats et leurs entrepreneurs politiques, ont du se battre pour contrôler la prédation qui pouvait aussi passer par la monnaie. D'où l'annulation des dettes privées, en concurrence avec la rente publique, par le pouvoir politique durant toute l'antiquité: Mésopotamie, Grèce, Rome,etc. D'où aussi une étrange resemblance entre le "complexe militaro monétaire" de l'antiquité, avec contrôle des mines de métal au profit du paiement des soldes militaires , et celui d'aujourd'hui, où la puissance militaire américaine repose sur une création monétaire dépourvue de loi d'airain. C'est aussi avec la fin des surestaries abusive, le seigneuriage, la dilution des monnaies etc. qu'à pu s'établir un Etat plus moderne, et une prédation mieux partagée avec ceux qui allaient devenir des rentiers: la dette ne fonctionne plus qu'au profit de la puissance des entrepreneurs politiques, mais se trouve redistribuée au profit des rentiers. la démocratie, stade de l'aventure étatique  qui semble s'éloigner aujourd'hui  , a pu être en raison de son large partage des outils de la contrainte publique, une période très difficile pour les rentiers, et très favorable aux bénéficiaires de l'Etat providence. cette période est aussi celle d'un contrôle strict des banques centrales par les entrepreneurs politiques.

Et derrière cette architecture, se dresse la réalité de ce qu'on appelle la "dette publique". Elle était évidemment nulle dans les premières formes de l'Etat: c'était le peuple qui était soumis à la dette infinie de l'esclavage. Lorsque le despotisme se fait plus modéré, des échanges marchands peuvent être initiés, et la dette privée peut commencer à concurrencer la dette publique. Plus tard la concurrence sera vive entre entrepreneurs politiques et banquiers, et le jeu sera souvent collectivement perdant, notamment dans le moyen -âge européen. Il faudra attendre les banques centrales modernes pour améliorer le résultat du jeu et en particulier la banque centrale anglaise, qui de fait, assurera la victoire définitive sur Napoléon. La fin précaire de la loi d'airain, et la mise sous tutelle des banques centrales, étouffera au vingtième siècle le jeu de la rente et de la dette publique qui lui est associée. Le basculement vers la mondialisation, comme nouvel équilibre des marchés politiques, dictera la fin de la mise sous tutelle des banques centrales, et une croissance considérable de la dette publique. Et avec elle le retour de l'âge d'or de la rente. la dette publique longtemps gigantesque, mais finalement anéantie, retrouve le déploiement qui était le sien jusqu'au début du 19ième siècle.

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28 octobre 2011 5 28 /10 /octobre /2011 09:48

                    

En bloquant toute transformation du FESF en banque appuyée sur la BCE, les entrepreneurs politiques européens limitent encore le risque de monétisation des dettes souveraines et continuent de préférer les ressources publiques, avec il est vrai la contribution des banques au remboursement de la dette. Tel est le sens qu’il faut donner aux décisions du 27 octobre dernier.

Le rôle de la BCE se limitera donc  à l’achat de bonds sur le seul marché secondaire des pays en difficulté. Ces achats sont  devenus non négligeables  (près d’un milliard d’euro par jour au cours de la dernière période) et s’accumulent sur le bilan (170 milliards de dettes souveraine en difficulté).

Au-delà de la technicité apparente , le  compromis obtenu est le fruit de la rencontre entre 2 philosophies monétaires : la loi d’airain de la monnaie a valeur quasi constitutionnelle en Allemagne . Elle ne bénéficie que d’une valeur relative dans la hiérarchie des normes pour la France.

Pour la partie allemande, la volonté de faire payer les banques était en congruence avec celle d’un simple élargissement sans transformation qualitative du FESF : il faut simplement en accroitre sa puissance d’intervention en privilégiant la créativité financière : le rehaussement de crédit, et l’ajout d’investisseurs nouveaux : les véhicules spéciaux.

Pour la partie française, on était prêt, consciemment ou non,  à accroître sans véritable limite le bilan de la banque centrale : il s’agissait donc de protéger les banques : donner de meilleures couleurs à leur bilan et les protéger du défaut, en transformant quantitativement et qualitativement le FESF.

Au regard du compromis obtenu, le point de vue allemand l’emporte magistralement. Mais l’accord ne peut être que fort précaire, en raison de l’énormité des problèmes résultants de l’énormité des endettements publics et privés sur l’ensemble de la zone euro. C’est dire que la partie française n’a pas dit son dernier mot, non par force, mais bien au contraire par faiblesse : les marchés politiques français – mais aussi d’autres pays - finiront par se renverser et bouleverseront les croyances monétaires, probablement dans le sens de ce que nous anticipons dans la « réforme de la finance ».

De ce point de vue, L’Allemagne et ses entrepreneurs politiques, trouvent dans les entrepreneurs politiques chinois, des alliés susceptibles de prolonger l’agonie de la zone euro, et de retarder le probable grand saut vers l’inconnu. Ces mêmes entrepreneurs se feront un cadeau en « portant aide » à l’élargissement du FESF, qui d’une certaine façon, devient partiellement une agence de la dette type «Agence France Trésor ». Il est d’ailleurs amusant de constater que ce FESF en construction,  se trouve en situation d’apprentissage auprès du « Finanzagentur », lequel est l’équivalent allemand de l’AFT. C’est dire que l’on compte bien continuer, grâce à la générosité chinoise, à gérer la dette publique selon son « mode marché » avec  les outils les plus modernes  de la finance traditionnelle..

Le cadeau que les entrepreneurs politiques chinois se font à eux-mêmes est simple à comprendre : outre qu’il est difficile de contester le mercantilisme monétaire d’un généreux investisseur, le dit homme généreux vient surtout prendre des garanties contre un éventuel dérapage de la zone, aboutissant à la monétisation généralisée, et donc à tout le moins, à une dépréciation massive de l’euro. Dépréciation massive sonnant le glas de beaucoup d’exportations chinoises.

Les entrepreneurs politiques chinois n’ont que faire de la loi d’airain de la monnaie. Ils l’ont clairement démontré en 2008 avec un plan de relance pharaonique ( 586 milliards de dollars), plan  largement construit sur création monétaire bancaire et moins par déficit budgétaire. Les chinois savent produire autoritairement de la monnaie pour investir,  quand les européens sollicitent avec peur et timidité le marché. Les croyances monétaires en Chine ne sont pas les mêmes qu’en Europe où un pays- l’Allemagne- veille à l’orthodoxie, et se croit habilitée à punir les incroyants. En bons commerçants, les entrepreneurs politiques chinois savent  se plier aux idéologies locales, comme naguère, où un bon roi avait déclaré que « Paris valait bien une messe ».

 

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