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4 avril 2012 3 04 /04 /avril /2012 08:32

 

Nous connaissons maintenant la nature profonde des Etats comme entités très anciennes; celle des banques centrales , comme objets très récents au regard de l'histoire; et enfin celle des liaisons possibles entre les deux.

 

Si les Etats sont -dans leurs « structures génétiques » et donc leur acte de naissance- une extériorité fondamentalement prédatrice au détriment de ceux sur quoi ils règnent, l'émergence des banques centrales fût une étape décisive dans le partage de la prédation avec d'autres acteurs que les souverains. l'idée de partage est en effet opportune pour désigner le fait que désormais les États n'émettent plus - le plus souvent - directement la monnaie, et passent par une agence plus ou moins autonome, mais autonomie toujours limitée par le type de monnaie émise: celle de L'Etat.

 

Ainsi la Banque de France, institution juridiquement séparée de l'Etat, aura le pouvoir d'émettre de la monnaie, mais cette dernière sera tout aussi juridiquement monnaie légale et donc monnaie de l'Etat français.

 

Le cours légal est fort sympathique

 

Naguère l'Etat pouvait payer à partir de ses « débiteurs »: esclaves, seigneuriage, ensemble de la population taxée, etc. Avec les banques centrales, et les formes nouvelles de l'aventure étatique qui vont lui correspondre, il pourra certes perdre quelques avantages, mais il maintiendra le gigantesque pouvoir de payer à partir de sa propre monnaie, et même si le pouvoir de la fabriquer ne sera plus ce qu'il était. Dernier propos qu'il faut du reste nuancer car il fût des époques où les banques centrales étaient entièrement sous le contrôle des Etats.

 

En conservant bien sûr son droit de taxer, l'Etat prédateur, même affaibli par une banque centrale, conserve une grande partie de sa souveraineté: les agents économiques sont intéressés par sa monnaie qui seule dispose du cours légal, monnaie qu'il faut impérativement utiliser.... ne serait-ce que pour pouvoir payer l'impôt. Parce que resté maître de la base monétaire, et que tous les contrats sont libellés dans la monnaie qu'il reconnait, la notion de défaut apparaît relativement difficile: l'Etat a encore les moyens – si l’on ose dire-de faire varier le niveau de la "dette que sa banque centrale lui doit". La dette envers l'extériorité n'est plus infinie, mais le prédateur dispose encore des moyens de décider de son montant.

 

Ce serait évidemment beaucoup plus difficile s'il devait s'endetter envers une monnaie dont il ne maîtrise en aucune façon l'émission. Beaucoup plus difficile, mais pas impossible, ainsi que l'atteste la présente situation, où la pression des Etats de la zone euro a de fait obligé la BCE à fournir les liquidités nécessaires (plus de mille milliards d'euros en additionnant les émissions des 22/12/2011 et 28/02/2012) aux fins de diminuer les pressions sur les budgets publics. Beaucoup plus difficile mais pas impossible, ainsi que l’atteste également ce fait moins connu que fût l’octroi -de 25 milliards d’euros- directement depuis  la banque centrale irlandaise au Trésor correspondant en 2010.

 

L'Etat fédéral américain dispose de ce point de vue d'un avantage considérable sur les autres Etats: s'il décide de bien contrôler sa banque centrale, et il le peut assez facilement dans le cadre de la législation en vigueur, son défaut est impossible. On peut ainsi considérer que les débats d'Août 2011 sur le plafond de la dette fédérale n'avaient aucun sens. Il s'agissait de s'amuser à se faire peur et de "jouer au défaut". Parce que la dette américaine s'exprime en dollars, il suffit de produire davantage de dollars pour continuer à dépenser. L’Etat fédéral n'est d'une certaine façon pas endetté, et chacun sait qu'il ne remboursera jamais. Par contre, ce même Etat peut encore décider de "ce qu'on lui doit", et fixer le niveau du "quantitative easing" auquel la FED devra se soumettre.

 

De fait, l'Etat fédéral américain est dans une position plus avantageuse que celle des Etats plus anciens , et qui étaient en raison de la contrainte générale du métal, dans une position où il leur était depuis longtemps impossible de payer en utilisant une autre monnaie que l'argent ou l'or, ou une forme monétaire assurément convertible en métal . Déjà dans un milieu relativement ouvert, peuplé d'Etats en compétition, aucun d'eux ne pouvait créer et imposer une monnaie d'Etat parfaitement souveraine. D'où les catastrophes comme le système de Law ou les Assignats.

 

Et de ce point de vue, l'adoption progressive et organisée de l'étalon- or est un recul très net de la souveraineté: la loi d'airain de la monnaie va s'imposer à tous, bien davantage que l'Etat fédéral américain d'aujourd'hui. D’où les difficultés, anglaises notamment, dans le retour à l’étalon- or dans les années qui suivirent la première guerre mondiale. D’où aussi les énormes difficultés dans la gestion de la crise des années 30.

 

 C'est  parce que le contexte de l'étalon-or limite la possibilité pour l'Etat de payer avec une monnaie de son choix -qu'il émet souverainement - qu'il doit apporter la preuve de son auto limitation. La banque centrale apparait ainsi comme l'outil de cette auto limitation. Et bien sûr un outil que l'on cherchera souvent – selon l’état des rapports de forces sur les marchés politiques- à retourner à son avantage en délimitant, voire en renonçant à toute forme d'indépendance de la dite banque.

 

Ce sera souvent le cas, de la conjonction du stade de l'Etat-nation dans l'aventure des Etats, avec la fin de l'étalon -or et donc la fin de la loi d'airain de la monnaie. Conjonction qui s'est plus particulièrement matérialisée au vingtième siècle. Dans une telle configuration, la dette publique ne compte guère, et les Etats ont toujours les moyens de payer avec une monnaie produite et fournie par les banques centrales. Reste bien sûr une contrainte: veiller à ce que le pouvoir d'achat international des agents de l'Etat-Nation ne se déprécie pas, ce qui signifie maintenir le taux de change et donc contenir la tentation d'un « déficit sans pleurs », en ce qui concerne les finances publiques. Nous avons  là le contexte bien français, notamment  celui de la quatrième république, où il n'est jamais question de dette et toujours de lutte gouvernementale pour "sauver le franc"….qu’il faudra régulièrement dévaluer.

 

La zone euro est un formidable espace de régression

 

Curieusement, la zone euro constitue une formidable régression. La dette publique est conséquence d'une monnaie qui ne peut s'ajuster aux inégales compétitivités des pays membres. Elle n'est que le reflet de déséquilibres extérieurs que la monnaie unique cache aux acteurs. Le sud ne voit pas directement ses déficits extérieurs grandir (Grèce, Espagne, etc.) alors que le nord en perçoit la contrepartie sous forme d'excédents  (Allemagne , Hollande, etc.). La production insuffisante au sud, insuffisance due à la sous compétitivité en régime de monnaie forte, se lira, à la surface des choses, comme "paresse des acteurs » ( les fameux cueilleurs d’olives qui dansent le Sirtaki) , qu'un Etat entretiendra par des largesses non financées à partir d’impôts qui ne rentrent pas. Phénomène auto entretenu, puisqu'il développera le sous investissement dans des activités compétitives au sud. Non seulement les économies du sud, étouffées par une monnaie inadaptée, se spécialisent vers des activités importatrices nettes (Grande Distribution) qui détruisent le tissus local; mais en rétrécissant la matière taxable, il n'est guère question d'envisager de gros investissements publics de modernisation.

 

Ainsi, parce qu’équipé d'une monnaie qui développe des forces centrifuges, la dislocation à terme du chantier européen est en marche : la fameuse convergence attendue, laisse la place à la  divergence. Avec  ce nœud Gordien qui en découle : Peut-on abandonner l'euro, en tant que poison destructeur de l'harmonisation souhaitée, alors même qu'il est curieusement devenu le nouveau mythe enchanteur pour les peuples? Le petit peuple grec, inconsciente première victime du poison, n’est- il pas le tout premier adorateur de l’euro ?

 

Depuis le début de la crise, c'est bien ce paradoxe que les entrepreneurs politiques européens tentent de gérer, avec ce très lent mouvement vers une nationalisation de l'euro….que bien sûr l’on refuse.

 

Partis d'un refus complet, de venir en aide aux pays victimes de déficits publics qui ne sont que le reflet de déséquilibres extérieurs devenus invisibles, des éléments de solidarité active ou passive, sont venus apaiser les marchés de dettes souveraines: création du FESF, puis élargissement de sa puissance de feu, création du MES, conjonction et élargissement des deux institutions, débats sur les euro bonds, LTRO de la banque centrale européenne, taux directeurs historiquement bas, etc.

 

Ces mécanismes ne peuvent que se développer tant il est vrai que les dévaluations internes - les fameuses réformes du marché du travail partout dans le sud- s'avèrent socialement de plus en plus risquées, et économiquement de moins en moins efficace. Socialement risquées, car les réformes du marché du travail, ne touchent que les salariés déjà trop exposés  à la « falaise de la monnaie forte », les autres, la « sur classe mondialisée », voyant dans cette même falaise, non pas un lieu où l’on se fracasse, mais  une base d’envol pour stratégies mondialistes. Economiquement inefficace ensuite, car la demande globale se rétrécissant, un multiplicateur négatif se déploie.

Puisque le mythe est d'une extraordinaire puissance, l'euro étant le symbole vivant  et sacralisé de l'existence d'une communauté européenne, il suffirait de le nationaliser et d'en faire à la fois une monnaie unique et une monnaie nationale.

 

Et si chaque banque centrale de l’euro-zone émettait sur ordre des Etats des euros ?

 

Concrètement cela signifie que chaque banque centrale de l'euro système soit amenée à financer le Trésor local. La Grèce, comme la France de l'après seconde guerre mondiale, met fin souverainement à la loi d'airain de la monnaie que les traités imposent, et rétablit le vieux mode hiérarchique de gestion de la dette publique. La dette cesse d'être le souci des entrepreneurs politiques, la contrepartie étant bien sûr un effondrement de la valeur de l'euro. Un euro qui ne disparait que pour les Etats qui y renonceraient.

 

Quelles seraient les conséquences, d'une conjonction, des statuts de monnaie unique et de monnaie souveraine, censée dépasser le paradoxe du poison et du mythe enchanteur?

 

Elles sont lourdes et multiples :

 

1 la dette publique perd très largement le sens qu’elle a acquis au cours de ces 30 dernières années. Aussi bien en termes de stocks qu’en termes de flux. En termes de flux les choses sont évidentes surtout si l’on devait s’acheminer vers une situation telle celle examinée dans notre proposition de « révolution du systèmes monétaire ». En termes de stocks les choses le sont également : la spéculation sur dette souveraine disparait immédiatement ca dépourvue de tout sens. De quoi retrouver par conséquent en la matière, la fin de la loi d’airain péniblement obtenue au vingtième siècle.

 

2 Une autre question est celle de la cohabitation, entre monnaie unique et rétablissement de la souveraineté monétaire, sur la base du maintien de cette  monnaie unique. En clair, y aura t-il dislocation ? Curieusement les pays les plus bénéficiaires du rétablissement de la souveraineté et du passage au mode hiérarchique de gestion de la dette, pourraient souhaiter le départ des pays les plus opposés à la fin du présent  dogme monétaire. Et à l’inverse ces derniers pourraient souhaiter le maintien de la zone malgré les cris de leurs protestations. L’enjeu d’un tel débat est bien sûr les échanges extérieurs et le rétablissement de l’équilibre des balances. En clair, la Grèce pourrait souhaiter le départ de l’Allemagne et ce dernier pays pourrait- malgré tout- prolonger son maintien dans la zone, pour continuer à maintenir sa rente  de débouchés sur le sud. On le voit, l’unicité de compte entre monnaie unique et monnaie nationale ne règle pas  la question des taux de change entre pays de la zone.

 

3 Ce qui semble réglé, par contre, est le taux de change de l’euro : il diminue massivement en raison du maintien des croyances en la loi d’airain de la monnaie. La monétisation vaudra dévaluation et compétitivité nettement accrue de l’ensemble de la zone au détriment de l’Asie, de nombre de pays émergents, et des USA. Avec un fort rebondissement de la croissance, la fin du naufrage de l’Europe dans bien des domaines, y compris dans celui de la puissance, mais aussi le risque de guerre des monnaies.

 

4 Une autre conséquence est bien sûr la limitation de la financiarisation des activités humaines, surtout si cette solution se déroulait dans le cadre déjà proposé de « révolution des systèmes monétaires »

 

Le rétablissement de la souveraineté monétaire dans le cadre de la monnaie unique permet à nouveau de gagner du temps sur la crise : les problèmes de compétitivité du sud ne sont en aucune façon réglés dans le court terme. Par contre il redonne espoir pour ces mêmes pays qui ne sont plus broyés par des politiques restrictives guidées par le dogme monétaire.

 

Ce rétablissement de souveraineté, est l’avenir le plus probable, car il est le choix le plus avantageux dans le fonctionnement des marchés politiques. La loi d’airain reste en vigueur mais se trouve de plus en plus contestée y compris, très curieusement, par ceux des croyants qui tentent de détourner le dogme par des moyens ingénieux, tel celui qui consiste à monétiser massivement sur la base du patrimoine immobilier : le fameux  « MIEL » ou «  Mobilisation de l’Immobilier En Liquidité » de Guy Abeille, par exemple. Position qui nous fait penser à un Saint Thomas d’Aquin qui, au treizième siècle, continuait à répéter l’interdiction absolue du prêt à intérêt… tout en comprenant qu’il puisse se pratiquer dans certaines conditions. L’aliénation reste majeure et majoritaire. Mais beaucoup d’idées iconoclastes naissantes sont révélatrices du doute qui s’empare des esprits. Il est donc assez probable, que des entrepreneurs politiques européens, prolongent les pressions jusqu’ici exercées sur la BCE en exigeant la possibilité de rétablir – à des niveaux sans doute divers et peut-être négociables-  l’émission monétaire par les banques centrales nationales. Un néo-thomisme en quelque sorte.

 

 

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22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 23:00

Jacques Delpla et Olivier Gourinchas proposent une allocation chômage commune à la zone euro.

 

L'idée n'est pas neuve et se trouvait être un axe important du "rapport du groupe de réflexion Union Economique et monétaire 1980"  rapport publié par la commission européenne le 8 mars 1975, et groupe piloté à l'époque par Robert Marjolin. A l'époque le groupe estimait - Page 34 du rapport- que "les possibilités de réequilibrage entre pays de la communauté doivent être considérablement renforcées. A son avis une approche efficace consisterait en l'introduction d'un système communautaire d'allocations de chômage".

 

La monnaie unique n'était pas encore de ce monde, et l'europe de l'époque se trouvait infiniment plus réduite et plus homogène, mais le raisonnement se voulait déjà mundellien. l'annexe du rapport se voulait beaucoup plus précis encore et évoquait la nécéssité de transferts massifs de revenus entre zones économiques et donc aussi entre pays. Le projet reposait sur des principes précis: création d'une caisse européenne financée par des prélèvements sur les salariés et les entreprises, création d'une allocation communautaire s'ajoutant aux prestations nationales des systèmes déjà en place.  Sans oublier le symbole: les prélèvements européens devaient être visibles sur la fiche de paye, d'où sa préférence à toute forme de solidarité opaque dont celle évoquée de prélèvement sur la TVA. Le fédéralisme européen devait ainsi s'enraciner aux fins de créer une conscience européenne.

 

Inutile d'insister sur les suites qui furent données au rapport Marjolin, et les années qui suivirent furent celles de l'immersion de l'europe dans la mondialisation. A l'époque la monnaie unique restait un rêve dont les contours n'étaient pas encore dessinés. Pourtant Robert marjolin et ses collègues connaissaient déjà les conditions nécéssaires à la mise en place d'une telle monnaie.

 

Jacques Delpla et Olivier Gourinchas, sans évoquer les réflexions européennes des années 70, reprennent l'idée d'alloction chômage européenne avec la création d'un fonds capitalisant un Point de PIB. Si le  financement du fonds  n'est pas  clairement explicité, il viendrait en complément et en substitution partielle des assurances chômage existantes dans la zone euro. De quoi, par conséquent, transférer des fonds vers le sud de la zone particulièrement touchée par le chômage. la nouveauté , par rapport aux réflexions et propositions de Robert Marjolin , est toutefois que l'accés à l'allocation européenne de chômage serait conditionnée à la transformation du contrat de travail: les salariés du sud seraient invités à accepter un contrat de travail européen ( à construire) moins rigide que celui en vigueur aujourd'hui. Nous retrouvons la formule à la mode mais assez peu utilisée: il s'agit "d'acheter" les réformes souhaitées plutôt que de les imposer. Et pense t-on, avec une réforme , deux effets: un transfert de fonds depuis les zones prospères vers les zones en difficultés, et un potentiel productif amélioré pour ces dernières.

 

Pour autant, le problème du sud de la zone, est moins une question de flexibilité du travail, qu'une question de déséquilibre extérieur impulsé par un taux de change inadapté. Ces pays ne parviendront pas à l'équilibre extérieur par davantage de flexibilité. Dans un cadre de monnaie unique, les acteurs ont effectué des choix individuellement efficients: produire dans le sud des marchandises internationalement échangeables est couteux, et il vaut mieux y installer des unités de distribution de marchandises aisément importables  et commercialisables en raison d'une monnaie forte.

 

Dans les pays de sud, il ya donc de la place pour la grande distribution, mais certainement fort peu de place  pour de l'industrie. Or ce sont les industries qui assurent les exportations, et en revanche, la distribution qui assure les importations. Double cause d'un même incorrigible déficit extérieur.

 

Si maintenant davantage de transferts provenant d'une allocation de chômage européenne se manifeste, il s'agira d'un vrai cadeau pour la distribution importatrice et d'un geste neutre pour une industrie se devant d'être ultra compétitive du fait de la monnaie unique.

 

Non, l'allocation de chômage européenne n'est pas mundellienne, elle permet simplement de prolonger l'agonie de certains des passagers clandestins de la zone. Agonie faite aussi de stagnation du PIB, car seules les activités industrielles générent de la création et des rendements croissants porteurs de croissance économique. Des  activités industrielles qui se heurtent pour ces pays au mur de l'euro.

 

L'armée des experts étrangers chargée de "reconstruire l'Etat Grec" a tort de s'étonner d'une consommation bien supérieure (près de 75% du PIB) à la moyenne européenne (moins de 58% de PIB): ce fait n'est que la conséquence logique d'une monnaie complètement inadaptée à la situation de la Grèce.

 

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11 mars 2012 7 11 /03 /mars /2012 14:48

Mes lecteurs trouveront dans le présent texte, le résumé et les conclusions provisoires d'un travail que je mène par ailleurs,  et qui va donner lieu à une publication "papier". les habitués du Blog comprendront assez facilement, et ce malgré l'extrême contraction du texte. les autres, devront s'armer de patience, en lisant beaucoup  de mes articles publiés au cours de ces derniers mois.                                                   

L’idée de dette accompagne l’humanité tout au long de son histoire. Ses réalités matérielles peuvent varier : dette de vie, de sang, de travail, obligations diverses, monnaie. Son socle institutionnel aussi : endettement collectif ou individuel, caractère ,public ou simplement privé. Réalités matérielles et socle institutionnel qui sont l’un des moteurs les plus puissants de l’histoire. Lorsque la dette prend la forme monétaire, elle reste tout aussi primitive que la dette de vie envers les dieux. Et cette primitivité provient du fait que  la monnaie  aussi bien que les dieux n’est pas une construction humaine consciente et utilitaire, mais un fait social « dépassant » chaque individu , et fait social que nous avons appelé : « extériorité ».  Pour autant, parce que l’histoire est un processus de privatisation et d’occupation de l’extériorité par des entrepreneurs politiques, la monnaie est devenue un enjeu majeur : celui qui peut la fabriquer peut, dans un même geste, fabriquer de la dette, et se désendetter. Historiquement,  la monnaie fabriquée par le despote servira à se désendetter vis-à-vis des mercenaires qu’il emploie, et à produire la dette fiscale que les sujets auront à lui payer à partir des dépenses courantes des mêmes mercenaires. Le « circuit du Trésor » à la française est ainsi vieux de 5000 ans. Durant la plus grande partie du vingtième siècle, l’Etat français , par la soumission imposée à sa banque centrale, a pu dans un même geste, augmenter considérablement la dette fiscale de citoyens désormais pleinement monétarisés par la montée de l’économie et par la dépense publique, et se désendetter de sommes pharaoniques résultants des 2 guerres mondiales. Les despotes de l’antiquité savaient déjà cela.

Mais, la grande différence, est que durant une partie du vingtième siècle, celle qui va s’achever avec la loi du 3 janvier 1973, la loi d’airain de la monnaie a pu être fort intelligemment abandonnée. Ce qui était souvent très difficile aux époques antérieures où le métal, or ou argent, était aussi aliénant que les dieux. Avec les catastrophes financières déjà décrites, et que l’on analyse à tort comme de simples  crises de finances publiques. De fait, s’affranchir de la loi d’airain de la monnaie, était socialement aussi difficile, que de s’affranchir des croyances religieuses. Ce que ne voient pas suffisamment Reinhart et Rogoff.

La loi de 1973 est ainsi le retour d’un monde « enchanté par les dieux » : la loi d’airain de la monnaie rétablie,  rétablit aussi l’ordre antérieur. C’est que l’aliénation monétaire est intéressante pour au moins un groupe d’agents, ceux que nous avons appelé les rentiers. Aliénation toute relative, puisque de fait imposée aux seuls Etats, le secteur financier restant mécréant, et intéressé par les délices de la multiplication des signes monétaires produits par le dispositif LTRO de notre Banque Centrale Européenne. Avec néanmoins de possibles effets de contagion en boucle: les entrepreneurs politiques allemands, spectateurs de la noyade de leur propre banque centrale par le dispositif TARGET2, pourront ils maintenir la loi d'airain de la monnaie? Question pour l'avenir.

 

En attendant, et pout le présent, restons justes : rentiers et financiers n’ont pu rétablir seuls la loi d’airain de la monnaie, et le monde tel qu’il est devenu. De fait, la grande transformation du monde correspondait aussi à la volonté de repousser les murs du fordisme, et de s’acheminer vers de nouvelles solutions, et solutions qui ont aussi bénéficié de nouvelles grappes technologiques. Les entrepreneurs politiques qui vont construire les nouvelles banques centrales et les « états du monde » correspondants, furent donc sollicités par de nombreux groupes d’agents pleinement acheteurs de l’indépendance des banques centrales, et du retour de la loi d’airain de la monnaie. Le basculement d’un monde vers un autre, n’est pas une affaire simple à expliquer, et nous avons montré qu’il fallait se garder de tout travers moniste.

 

 

 

 

 

 

                              

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5 mars 2012 1 05 /03 /mars /2012 14:46

                             

 

Un Etat- Nation unitaire classique –surtout s’il  assure depuis longtemps l’identité entre citoyenneté et nationalité-  avec sa monnaie elle même classique, peut à la limite ne pas concevoir de dispositif de redistribution face à l’inégale compétitivité entre régions : il y aura simplement exode des nationaux défavorisés, désertification, et concentration de ces mêmes nationaux vers les zones développées. Tel  n’est pas le cas de l’euro- zone, et la Grèce ne pourra disparaitre : elle est une « zone » fort  étrangère à une quelconque « zone »  d’un Etat-Nation unitaire, car elle  dispose d’une extériorité que 450 années d’occupation n’a pu réduire. Si donc il y a inégale compétitivité, par exemple avec l’Allemagne, il faut -à peine de violence,  ou de sortie de l’euro- zone, imaginer une très puissante redistribution, au moins à la hauteur du déficit commercial. Soit une solidarité probablement plus importante que celle qui peut être imaginée dans un Etat-Nation classique. Et une solidarité qui n’est plus envisageable dans l’idéologie du tout marché et du chacun pour soi.

Si la crise du fordisme et son reploiement planétaire à fait que les Flamands n’acceptent plus de financer les wallons, on voit mal les Bavarois financer les macédoniens. On pourrait bien sûr imaginer une solidarité  type « tiers payant » avec une banque centrale allemande se gavant  de dette publique grecque, par gonflement sans limite de son bilan . Mais ce serait ruiner la loi d’airain de la monnaie sur laquelle s’est elle-même construite la finance libérale. Les présentes inquiétudes  allemandes sur le fonctionnement de TARGET 2 sont là pour en témoigner.

On peut, certes aussi dans le cadre du tout marché, envisager une solidarité provoquée par le redéploiement du fordisme allemand, et ainsi provoquer, à terme, la mise à niveau de la Grèce en termes de productivité. Il y aurait ainsi déplacement de capital, compensant dans la balance des comptes le déséquilibre des échanges commerciaux. Mais une telle hypothèse  est peu réaliste, car le tout marché révèle aussi  que le fordisme allemand a mieux a faire que de s’intéresser à une zone présentant des coûts beaucoup trop élevés, en raison de l’existence de la monnaie unique. Il en est de même pour les entrepreneurs grecs qui ne peuvent investir que dans des activités non soumises à la concurrence étrangère, à peine d’échec assuré. On ne peut, en monnaie unique et sans solidarité, transformer le Péloponnèse en Bade Wurtemberg.  

L’euro suppose ainsi une puissante solidarité que le libre marché ne peut que refuser. Avec ses conséquences en termes de pourrissement de toute l’économie européenne. Le déséquilibre extérieur grec  et son jumeau, c'est-à-dire le déséquilibre public, ne peut être corrigé sans politique restrictive brutale, laquelle à pour contrepartie moins d’exportations allemandes. Il en est bien sûr de même pour l’Espagne, le Portugal, L’Italie, etc.  Cela signifie la fin du très relatif miracle allemand et donc le pourrissement de toute l’économie européenne avec globalement la fin de toute idée de construction de l’avenir : Les investisseurs privés voient les débouchés décliner, et les investisseurs publics, loi d’airain de la monnaie oblige, sont absents depuis très  longtemps.

En signant le 2 Mars dernier le nouveau « Traité sur la stabilité, la coordination, et la gouvernance de l’Union Economique et Monétaire », les chefs d’Etat et de gouvernement rassemblés à Bruxelles ont fait le choix de la finance contre l’Europe. Ils ont aussi oublié les innombrables travaux et rapports  bruxellois qui depuis les années 50 jusqu’aux débuts des années 70 tentaient d’éclairer l’avenir en réfléchissant en profondeur sur l’avenir du continent.  La logique de l’intérêt financier immédiat ne déteste pas de s’arrimer aux croyances populaires, et il est bon pour la finance que  l’Euro soit devenu le « corps vivant de l’Europe » , comme  naguère, l’église pouvait être le corps vivant du Christ.

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29 février 2012 3 29 /02 /février /2012 14:34

 

 Nous publions ici une version modifiée du texte publié le 13 février dernier.

On a souvent tendance à penser que l'actuelle grande crise remonte à l’été 2007, avec le début de l’effondrement du marché des crédits hypothécaires américains. Et ce dernier viendrait – est-il souvent assuré- mettre un terme à trente années d’une formidable croissance mondiale qui aurait arraché de la misère plus d’un milliard d’individus. Cette façon de voir les choses n’est sans doute pas inexacte, mais ne permet pas de repérer la dynamique du long terme qui seule nous amène à nous situer clairement  dans le présent.

Nous chercherons ici à expliquer, que la présente situation est le résultat de la déformation progressive d’un régime de croissance, qui a abouti à une dislocation planétaire, laquelle s’évalue en termes de soldes extérieurs nationaux de plus en plus déséquilibrés, et probablement non durables, car socialement beaucoup trop douloureux. Ce régime de croissance s’appelle régime Fordien ou régime d’accumulation intensive, et les toutes premières manifestations de son dérèglement remontent au beau milieu des années 60, et ce dans la plupart des pays développés.

La cohérence Fordienne, version particulière d’un « ordre organisé »

Sans évidemment revenir sur ce que l’on entend par Taylorisme et Fordisme, on sait toutefois qu’il s’agit de méthodes de production, qui ont historiquement, c'est-à-dire au vingtième siècle, permis de connaitre des croissances économiques plus élevées, et surtout des croissances incorporant d’importants gains de productivité. Ce sont ces gains,  ajoutés à des facteurs de production plus abondants, qui ont autorisé la formidable croissance des « trente glorieuses ». Les théoriciens de l’école dite de la « Régulation » parlent de régime d’accumulation intensive pour souligne la forte présence de gains de productivité dans la croissance. De façon simple, une telle croissance est auto entretenue par le partage des gains de productivité qu’elle génère : le rendement croissant, s’il est bien partagé, permet à la fois des profits croissants, des prix décroissants, et des rémunérations croissantes. Toutes choses qui élargissent les débouchés de la production : les profits en hausse justifient des investissements, donc une demande supplémentaire de biens capitaux ; les prix décroissants assurent l’élargissement des marchés ; et les salaires croissants viennent gonfler la demande. Et si les débouchés s’accroissent, les investissements, tant ceux de capacités que de productivité et de rationalisation, sont justifiés et alimenteront eux-mêmes de nouveaux débouchés. La croissance devient ainsi auto entretenue – on parle à l’époque de cercle vertueux de la croissance - et va durer un peu moins de trente années à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. Les régulationnistes ont souvent souligné l’impérieuse nécessité d’une bonne correspondance entre productivité croissante et redistribution au profit des salariés, l’absence de cette dernière, ayant selon eux, empêché l’apparition des trente glorieuses dès les années 20, et à l’inverse déclenché la crise de 1929. Cette dernière étant lue, comme contradiction entre régime de production qui s’oriente déjà vers l’accumulation intensive, et un modèle de répartition qui cultive encore la loi d’airain des salaires, telles qu’envisagée par les premiers grands classiques anglais et Marx. Plus simplement dit : une crise de surproduction.

C’est donc l’idée de cohérence, qui assure l’équilibre, et la montée en puissance du régime d’accumulation fordien. Dans nombre de pays, cette cohérence des débouchés par rapport aux possibilités croissantes de la production, a été assurée par une révolution des possibilités de la consommation : salarisation massive, y compris celles des femmes, conventions collectives, salaires indirects, effondrement des prix relatifs des biens d’équipement ménagers. Cohérence qui s’est elle-même épanouie au sein d’un espace qui est largement ce que l’on appelait « l’Etat-nation »- ou ordre organisé selon Hayek-  espace lui même relativement homogène, et surtout espace de légitimité, où peut se nouer des compromis au niveau des marchés politiques. Et compromis assurant cette cohérence entre offre globale et demande globale, avec cette autre caractéristique d’une époque, où les économistes veillaient au « noircissement de la matrice des échanges interindustriels ». Monde aujourd’hui disparu.

Les ruptures du modèle

Curieusement, dès 1965, vont apparaitre des signes de déformation du cercle vertueux de croissance , signes qui vont apparaitre sous la forme de chômage, encore très faible, mais structurellement croissant ; sous la forme d’inflation ; mais aussi sous la forme de baisse significative de la croissance économique. Avec déjà des points de repères- bien analysés par Jean Herrvé Lorenzi, Olivier Pastré et Joëlle Toledano dans « La crise du XXIème siècle » - que l’on va retrouver dans nombre de pays : une baisse dans l’efficacité productive, c'est-à-dire une chute des gains de productivité ; l’épuisement des normes de la consommation ; et le développement du travail improductif notamment dans la sphère publique.

Les taux de profit s’affaissent entre 1960 et 1975 partout dans les pays développés, plus particulièrement aux USA et en Grande Bretagne, moins significativement en France et en Allemagne . C’est que parallèlement, productivité et salaires vont, selon les travaux de H Bertrand et R Boyer, évoluer de façon divergente : la croissance de la productivité stagne à partir de 1960, puis commence à baisser, tandis que les rémunérations continuent d’augmenter. Désajustement qui va entrainer une moindre justification de l’investissement, et donc une croissance beaucoup plus faible, celle des USA passant de 5,6% en 1973 à 4,3% en 1979, celle de la France de 5,9 à 3,5 aux mêmes dates (« Perspectives Economiques de l’OCDE », Décembre 1979)

La chute des gains de productivité - Denison parle à l’époque de « déroutant ralentissement de la productivité » en constatant par exemple sa division par trois pour un pays comme la France entre 1960 et 1975  – connait des causes multiples, dont celle de l’organisation du travail, mais bien davantage celle de l’épuisement des normes de consommation. Derrière cette expression, il faut entendre une baisse de la part relative des achats de biens produits selon les règles de l’accumulation intensive (équipements ménagers) et une augmentation de celle de biens produits en dehors de ces règles (services, santé, distractions etc.). De fait, cela correspond à une sortie partielle de l’outil de production des règles de cette même accumulation. Il ne peut en résulter qu’un affaiblissement des gains de productivité. Mais l’Etat va lui-même participer à ce déraillement de la régulation antérieure, avec des prélèvements de plus en plus importants pour monter un Etat- providence dont les « productions »  correspondantes (Education, Santé, etc.) sont réputées improductives au regard de l’accumulation intensive. Ainsi, s’agissant de la France, les prélèvements passent de 35,4 % en 1960 à 41,6% en 1980, montants qui au moins à titre partiel s’engloutissaient dans le cercle vertueux de l’accumulation intensive, et qui vont de plus en plus s’engloutir dans les dépenses sociales.

Dans les années 1980, Il n’est évidemment pas question de changer de système productif, et l’on essaiera par le biais des politiques économiques de remettre l’accumulation intensive sur les rails de jadis. Sans succès, puisqu’autant les politiques dites de l’offre,  que celles plus traditionnellement keynésienne ne sont adaptées. La relance de l’investissement par diminution de la part des salaires dans la valeur ajoutée, est inopportune en ce qu’elle réduit les débouchés de toutes les industries de biens de consommation. La relance Keynésienne plus favorable à la consommation ne peut être payée, faute de gains de productivité, sans une diminution des profits qui ralentit l’investissement et l’accumulation, elle est donc également inadaptée. Nous retrouvons ici les logiques des plans Barre (1976) et Mauroy (1981) en France. Au-delà, il faut aussi souligner que le tout s’envisage dans un contexte de pénurie croissante de matières premières faisant apparaitre des rentes de rareté, la rente pétrolière étant la plus représentative, lesquelles sont aussi prédatrices de gains de productivités.

Les grands Etats développés essaieront alors de tirer avantage d’une relance des exportations. Mais là aussi,  sans grand succès tant que les échanges sont massivement échanges entre pays développés. Ce qui est encore le cas à cette époque.

Faire disparaitre le besoin de cohérence, c'est-à-dire la contradiction entre la sphère de la production et celle des débouchés, qui est apparue à la fin des trente glorieuses,  constitue l’enjeu des décideurs, c'est-à-dire essentiellement les entrepreneurs économiques et politiques.

En attendant, les contradictions du régime d’accumulation se doivent être gérées par l’intervention grandissante  et inefficace des Etats. Il faut gérer les effets secondaires du ralentissement considérable de la croissance : organisation de l’aide au chômage, subventions diverses et croissantes, commandes publiques providentielles, etc. D’où, très souvent, l’apparition de déficits budgétaires – malgré le dogme de l’équilibre- qui feront que l’on passe, par exemple en France d’un déficit de 18 milliards de francs en 1976 à 40 milliards en 1980. Et ce dans un contexte de disparition  de la docilité de la Banque de France. Celle-ci ne peut plus apporter sa pierre à l’édification de l’accumulation intensive, et la lecture des contreparties de la masse monétaire, révèle que si les créances sur le trésor représentaient 43% du total en 1950 et encore 18% en 1970, la loi du 3 janvier 1973 les réduit à néant : l’Etat est plongé dans le grand marché, au moment même où les premiers craquements de l’accumulation intensive commencent à se manifester. Nous verrons que cette diminution des capacités de l’Etat ne fût pas vécue comme problème , mais solution à la crise.

La lecture des divers travaux économiques de l’époque est très riche et révèle les questionnements sur les solutions à ce qu’on appelle déjà la « crise du XXIème siècle », et crise que beaucoup ont oublié, tant ils furent fascinés par les succès de trente années de  mondialisation, succès que  pour notre part,  nous proposons d’appeler la « prolongation du fordisme par d’autres moyens » et prolongation dont nous vivons la crise aujourd’hui.

Dans l’ouvrage déjà cité de Lorenzi,  Pastré et Toledano, ouvrage publié chez Economica en 1980 , il est vaguement fait référence  à des luttes pour élever la productivité du travail, mais plus sérieusement, une étude empirique est menée sur la possibilité de « nouveaux lieux d’accumulation » comme « issue à la crise ». Très légitimement ils imaginent de nouvelles branches d’activités, complètement fordiennes, générant donc d’importants gains de productivité, et pouvant remplacer les anciens biens d’équipements et les services à rendements constants, qui ont envahi le budget des consommateurs salariés. De quoi renouer avec les gains de productivité, et réarticuler production et consommation. D’une certaine façon cette anticipation, ou cette démarche prospective, s’est révélée exacte et la « filière composants électroniques » qu’ils imaginaient est devenue réalité. Tout simplement en raison de la rigueur de leur raisonnement : il faut, pensaient –ils,  imaginer une filière qui transforme à la fois le modèle de consommation et la façon de  produire les objets et services  correspondants, transformation faisant renaitre le cercle vertueux de l’accumulation intensive, avec investissements de capacité et nouvelle consommation de masse.

Si l’on peut saluer la justesse de l’analyse qui conduit à la « grappe  technologique » devenue aujourd’hui familière, il faut toutefois regretter l’absence de tout raisonnement – malgré ce qu’on appelait à l’époque le « théorème de l’OS »  qui anticipait déjà la délocalisation des activités à main d’œuvre peu qualifiée -  sur ce qui allait devenir la mondialisation.

La mondialisation plus facile que l’automatisation des usines

Or on sait aujourd’hui, que la nouvelle grappe technologique, allait permettre, non pas de renouer avec un fordisme classique, mais un fordisme par de tout autres moyens : la mondialisation. L’informatisation peut certes développer l’automation, mais elle peut surtout mondialiser la chaine de fabrication, une chaine constituée de segments reliés par de l’informatique (logiciels et internet) et des containers, qui assurent la logistique planétaire comme les bandes transporteuses, machines transferts, et autres chariots filoguidés,  assuraient naguère la logistique de l’atelier serti dans l’Etat nation. Les coûts d’information et de transaction devenus proches de zéro, associés à des coûts de transports très abaissés par le fordisme des instruments de déplacement – pensons à titre d’exemple à la logistique portuaire entièrement normalisée et Fordisée – permettent une chaine de fabrication mondiale donc chaque segment voit ses coûts optimisés, en fonction des conditions locales d’insertion, et dont l’ensemble n’est que peu pénalisé par l’éloignement des divers éléments, ou celui des lieux de consommation. Avec un fordisme nouveau faisant apparaitre de nouvelles divisions du travail et des spécialités nouvelles pour des pays qui vont jouer la carte de ce qu’on appelle la globalisation : modèle « cargo export »,  pour la Chine, du « Work shop » pour les exportateurs de main d’oeuvre ( Philippines , Mexique), de la rente minière pour les exportateurs de matières premières (Russie, Australie), etc. D’où un Fordisme complètement renversé qui se met en place : l’ancienne  cohérence production/débouché n’est plus recherchée, elle est au contraire combattue puisque ces mêmes débouchés deviennent par la magie de la mondialisation indépendants des conditions de la production. Par la recherche des bas salaires,  par celle des coût environnementaux les plus faible dont bien sûr la fiscalité , l’ancienne cohérence nationale laisse la place à ce qui fût la montée de l’incohérence des années 20 aux USA, cette fois au niveau mondial : les possibilités de la production vont se heurter de façon croissante à l’étroitesse des débouchés.

Mais à ce nouvel ensemble fortement générateur de gains de productivité, il faut associer une autre logistique, celle de la finance qui se doit être aussi normalisée que le sont les containers. A la fluidité des moyens logistiques doit correspondre la fluidité des moyens financiers, et fluidité reposant sur de communs outils : l’informatique. Cette fluidité est d’abord celle de la monnaie qui devient en quelque sorte aussi normalisée que l’industrie mécanique du début du vingtième siècle : les différentes monnaies doivent être parfaitement convertibles et ce sans limitation. Tout contrôle des changes serait l’équivalent d’une panne sur la nouvelle chaine fordienne devenue planétaire. Curieusement, le choix du taux de change fixe est repoussé au profit de la libre fixation des prix : il y a tant à gagner pour la finance. Il faut aussi assurer la dérégulation financière, et permettre la complète libre circulation du capital et de tous les outils qui l’accompagnent. Tout manquement en la matière, reviendrait aussi à briser le plein épanouissement de la chaine fordienne planétaire.

De fait, nous comprenons que cette mondialisation suppose désormais une présence beaucoup plus importante du monde financier, ce qui signifie aussi la mise en concurrence des systèmes financiers nationaux. D’où une très forte demande pour mettre fin, plus particulièrement en France, à la répression financière de jadis. D’où aussi la volonté de pouvoir disposer de cette matière première irremplaçable, qu’est cet actif très liquide appelé dette publique. Nous comprenons par conséquent qu’avec le mondialisme comme solution à la crise du fordisme, les banques centrales ne sauraient être oubliées et vont devenir la clef de voûte du nouveau système fordien : elles doivent garantir la logistique financière, être proches des opérateurs financiers et en contrepartie plus éloignées d’un Etat dont le soucis n’est plus le noircissement de la matrice des échanges interindustriels . l’indépendance est au bout du chemin. Quant à l’Etat il gérera sa dette publique en mode marché.

 Il ne faut pas  oublier dans ce grand mouvement de libération la disparition de ces écluses qu’on appelle « frontières »-  Régis Debray en a fait à rebours un vibrant éloge- et qui viennent affaiblir la puissance créatrice de la chaine mondiale : renouveler le fordisme revient aussi à contester les Etats. Ou plus exactement à les repositionner dans la « chaine de la valeur » : l’Etat chinois ne disparait pas avec la mondialisation,  simplement il  devient un modèle assis sur ce qui fût dénoncé comme une alliance entre Wal-Mart et le parti communiste chinois.

Rupture technologique et financière, mais aussi , on s’en doute un peu, rupture organisationnelle de cette pièce élémentaire du fordisme qu’était l’entreprise. L’ère des organisateurs, à la Burnham ou à la Galbraith, laisse la place à celle des patrons de la « corporate governance ». L’épargne salariale, elle-même sous produit du fordisme triomphant antérieur, et augmentée des premiers déficits publics, eux-mêmes garantis par l’indépendance des banques centrales,  devient produit de contestation de l’Etat providence : la protection sociale par capitalisation, conteste celle produite par la répartition. D’où d’immenses fonds – fonds de pension et investisseurs institutionnels en tous genres -devenant propriétaires d’entreprises désormais appelées à fonctionner au seul service des actionnaires. Avec comme résultat l’abandon progressif de la valeur ajoutée industrielle au profit de la valeur actionnariale, et l’abandon du long terme au profit de résultats immédiats. De quoi retarder ce que pouvait permettre la nouvelle grappe technologique, c'est-à-dire l’automatisation sur base fordienne. D’où les résultats que l’on sait aujourd’hui, pour ce que la comptabilité nationale appelle « Entreprises non financières » s’agissant de  la France : entre 1970 et 2010 les dividendes nets rapportés à l’Excédent brut d’exploitation passent de 12,8 à 29,8%, tandis que la Formation brute de capital fixe passe, pour les mêmes dates de 21,9 à 18,7 %. Avec la conclusion qu’il faut en tirer : rémunérés sur la base des résultats, il faut payer de plus en plus cher des dirigeants ne produisant plus- à l’inverse des organisateurs à la Burnham et des ingénieurs d’autrefois- un avenir plus ou moins souhaité.

Corporate governance, mondialisation et financiarisation sont évidemment en congruence brutale lorsque l’on passera en France à Partir de 1986 à la privatisation rapide d’un immense secteur industriel nationalisé.  Privatisation qui va se dérouler dans le cadre d’une dérégulation financière accélérée et ayant elle-même débutée dès le milieu des années 1980, ainsi que l’atteste l’indice de libéralisation financière du FMI. Et c’est par un simple geste juridique que l’on passera à la problématique de la valeur actionnariale proposée par les fonds de pension ; à l’introduction du marché dans les ateliers avec mise en concurrence et découpe  à l’échelle planétaire ; au blocage partiel de l’automatisation par abandon des processus de requalification correspondants au profit d’un taylorisme planétaire ; à l’introduction de nouvelles formes de rémunérations, avec minimisation des rémunérations fixes, et maximisation des rémunérations variables, souvent elles mêmes financiarisées par le recours aux stock options et à l’épargne salariale ; à la fin des grands modes de coordination entre banque publique- recherche- grandes entreprises publiques- sous traitants, qui avaient contribué aux sucés industriels de la France ; etc.

Mondialiser était l’étape naturelle devant précéder  l’automatisation des usines. Parce que l’automatisation, suppose au delà des logiciels et d’internet, une industrie du robot plus difficilement accessible aussi bien en termes d’investissements techniques qu’en termes d’investissements humains, il y avait à préférer l’étape intermédiaire, celle de la mondialisation. La mondialisation, aidée en cela par le court termisme de  la finance, a pu ainsi freiner l’investissement de rationalisation et de productivité.

Encore une fois, la mondialisation ne résout pas fondamentalement et définitivement les difficultés du fordisme des années 70. La mondialisation libère de la nécessaire congruence, locale ou nationale, entre les conditions de la production et celles de la consommation. Le fordisme chinois est calamiteux, puisqu’il n’existe que pour profiter des coûts avantageux de la main d’œuvre, ce qui rend sa  production largement invendable en Chine. Mais peu importe, puisque les débouchés sont d’emblée mondiaux. Bien entendu la question de la congruence se reporte au niveau mondial, mais là aussi, il sera possible de retarder l’échéance de la crise, par des moyens nouveaux dont celui- bien sûr - de l’endettement aujourd’hui bien connu. L’étroitesse des normes de la consommation pouvant être momentanément reportée à plus tard par un crédit toujours plus important et audacieux.

 Et parce que, au moins pendant quelques dizaines d’années, il a été possible de « repousser les murs », le fordisme à pu se redéployer sans se régénérer. Redéploiement dont on voit aujourd’hui le terme, puisqu’il correspond à une fantastique dislocation des Etats- nations, dislocation dont la visibilité s’apprécie au niveau de balances de paiements très douloureusement déséquilibrées. La mondialisation était une facilité, une rémission à la très ancienne crise du fordisme. Parce qu’elle n’était qu’un pis aller, voire une drogue, il faut aujourd’hui inventer de nouvelles solutions, et solutions qui interviennent dans un contexte de rareté croissante de ressources naturelles, qui font émerger de nouvelles rentes, s’ajoutant à celle produite par le retour de la loi d’airain de la monnaie. Les solutionss n’interviendront pas sans difficultés, avec semble t’il,  une opposition de plus en plus radicale entre nouvelles activités à rendements toujours croissants et nouvelles activités à rendements toujours constants. D’où de nouveaux problèmes concernant le travail avec des activités qui se développent sans travail supplémentaire, et exigeront un déploiement d’emblée mondial ;  et d’autres qui  resteront très fortement consommatrices de travail. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, bien des activités touchant à l’internet pourront voir leur volume s’accroitre sans limite et ce , sans exiger de travail supplémentaire, alors que les nouvelles activités de service à la personne ne peuvent se développer qu’avec de nouvelles embauches. Ce qui signifie que le recours à la mondialisation, même assorti d’une dislocation des Etat- Nations risque de se prolonger. Comment en effet, ne pas voir ce que Severino appelle « l’inversion des raretés », avec de moins en moins de matières premières disponibles et de plus en plus d’hommes mondialement disponibles ?

Si les banques centrales sont devenues dans le dernier quart du vingtième siècle  les grandes accompagnatrices de la mondialisation, elle-même fuite en avant d’un fordisme souffrant, elles ont aussi été accompagnées par un très puissant courant idéologique, qu’il nous appartient maintenant d’évoquer.

A suivre....

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5 février 2012 7 05 /02 /février /2012 17:42

François Hollande ne peut briguer un nouveau mandat car la constitution le lui interdit : Sur référendum d’initiative populaire, les français ont décidé en Juillet 2012 qu’ aucun mandat de la République ne serait renouvelable. Avec le temps, on se dit aujourd’hui que c’est peut -être la mesure qui a permis le terrassement de la crise, tant en France que dans biens des pays, qui ont adopté la même législation dans la foulée. Car, curieusement, et furieusement, les français qui étaient si pessimistes, ont commencé à croire en l’avenir : ils savent désormais que leurs  dirigeants ne sont plus aliénés, par les contraintes de leur reconduction au pouvoir, lesquels peuvent désormais, librement, et de façon apaisée, réfléchir à l’idée d’un bien commun à construire.

François Hollande – sa réélection ne faisant aucun doute tant les résultats sont brillants - est sans doute malheureux de ne pouvoir briguer un second mandat. En revanche, il peut être fier des changements qu’il a contribué à développer. La fin de l’indépendance de la Banque centrale (20mai 2012) et ses avances massives et gratuites au Trésor et à la banque publique d’investissement  (25 mai 2012) ont permis des investissements autrement importants que ceux escomptés par Mario Draghi avec les « facilités » offertes aux banques en décembre 2011 et Février 2012  - Plus de 1000 milliards d’euros de « création monétaire », soit la moitié du PIB de la France- pour simplement maintenir, dans des limites convenables, les spreads de taux des dettes souveraines en perdition. C’est que depuis prés de 5 années, les investissements ont été massifs dans les infrastructures : voies ferrées, fluviales, transports collectifs, etc. Mais aussi dans la dé -carbonisation de toutes les activités : logements à énergie positive, solaire, éolien etc. Mais aussi et surtout dans les investissements des PME qui ont largement bénéficié des crédits à taux Zéro et surtout de l’abolition de toutes charges sociales sur les « productions nouvelles substitutives d’importations » (loi du 7 juillet 2012). On voit même la transformation de l’auto-entrepreneuriat crée en 2008 comme « pansement au chômage » : des auto-entrepreneurs  deviennent dirigeants de PME et commencent à vendre à la Distribution ce qu’elle ne peut plus acheter aussi facilement en Chine en raison de la protection européenne que François Hollande a su proposer à nombre de pays européens. Mais il est vrai que sur ce sujet essentiel, il avait été beaucoup stimulé par les militants de "l'initiative citoyenne européenne sur le libre échange" qui avait rendu si populaire, le retour au tarif extérieur commun.

 l’automatisation des grandes entreprises industrielles est aussi devenue un grand chantier : elles aussi obtiennent des crédits à taux zéro sur une longue période. Beaucoup relocalisent en raison de la protection européenne, mais aussi en raison des gains de productivité offerts par l’automatisation. Et  Allemands  et Italiens ne s’en plaignent pas, eux qui dans le secteur des machines automatiques ont une compétence reconnue. N’oublions pas non plus l’agriculture dont la reconversion est maintenant bien enclenchée.

La nouvelle croissance réelle n’est pas encore très élevée, mais la croissance potentielle augmente tous les jours : probablement près de 4% aujourd’hui. Tout n’est pas réglé, car de fait, beaucoup d’emplois sont crées, mais  d’autres sont détruits : dans la Distribution qui profitait largement, par ses centaines de milliers de containers en provenance d’Asie, de la grande dislocation des productions ; dans la banque aujourd’hui totalement repositionnée et amaigrie du fait  de la disparition de ses activité spéculatives, dans les métiers de l’épargne avec la disparition de la dette publique, matière première  de produits financiers magiques ; dans les activités de type « casino » avec la réforme élargie du code monétaire et financier.

Cette dernière réforme fût obtenue en quelques semaines, là où l’on butait à Bruxelles, ou ailleurs, depuis 5ans. Et pour accélérer les Choses, le président Hollande fit comme Bonaparte avec le code Civil : il a lui-même présidé plusieurs séances d’arbitrage. Avec les résultats que l’on sait : abandon de la cotation en continu, interdiction de la vente à découvert, séparation des activités, limite à la taille des bilans, interdictions des paris sur fluctuations de prix et réduction du périmètre des marchés à termes, interdiction des CDS, fermeture de l’AMF et rétablissement de l’autorité administrative, retrait de licence bancaire sur non fermeture des relations avec paradis fiscaux, etc. Curieusement,  presque tous les gouvernements  européens, en cela encouragés  par leur population, ont suivi le dynamisme français. Et la bureacratie bruxelloise a bien du suivre le mouvement des peuples : c’était cela ou la disparition de leur emploi. Et presque toutes les banques centrales sont aujourd’hui soumises à leur Trésor.

Evidement, la réforme bancaire fût le plus gros chantier de l’été 2012. Il est désormais interdit aux banques de créer de la monnaie, et seul l’Etat par le canal de la banque centrale, peut vendre de la monnaie- évidemment avec profit - aux banques, et ce à des fins d’investissement. Il s’en suit la disparition de l’Agence France Trésor (fermée le 20 septembre 2012), agence créée par  Laurent Fabius, qui empruntait de l’argent aux banques, pour couvrir le déficit budgétaire. Le monde est ainsi renversé…ou remis sur ses pieds : l’Etat n’a pas à dépendre de la finance, c’est plutôt à la finance de dépendre de l’Etat.

Bien évidemment, ce chambardement n’a pas fait plaisir  à tout le monde : il se trouvait très défavorable aux rentiers. Et les fonds de pension anglo -saxons, mais aussi les assureurs, ont beaucoup souffert .Mais comme le disait François Hollande : « entre le casino et l’entreprise, il faut choisir ». Le président expliquait ainsi qu’il était le vrai sauveur du capitalisme. Au 20ième  siècle, le socialisme avait menacé gravement le capitalisme ; au 21ième, c’était le financiarisme qui menaçait l’entrepreneur schumpeterien. Le capitalisme, la libre entreprise débarrassée du cancer de la finance, redevenait selon lui un « choix éthique de vie en société » : un vrai libéral ce président qui va nous quitter.

Tout ce changement a pu être initié très vite et presque sans résistance, exactement comme le fit Roosevelt en 1933  aux USA. Et, le plus curieux, avec une contagion internationale bénéfique.

Mais soyons juste , François Hollande ne peut partir sans rendre un hommage appuyé à son prédécesseur : c’est ce dernier qui a ouvert la voie, et a empêché – fort heureusement –l’application de cet irréel programme socialiste, construit sur  une croissance inatteignable . De quelle façon ? Rappelons nous, quelques semaines avant le premier tour de la présidentielle 2012, Le président se sentant perdu, a cherché à se sauver en renversant la table : en mobilisant l’arme absolue qu’est  l’article 16 de la Constitution – seul président des nations démocratiques  à disposer d’une telle arme - il a mis fin, par Ordonnance, à l’indépendance de la Banque de France. Dans le même geste, il ordonnait la réquisition du gouverneur de l’époque, Christian Noyer, lequel était invité à rembourser toutes les dettes du Trésor, bien évidemment dans la seule monnaie disponible : l’euro. De quoi libérer le Trésor, mais aussi de quoi obtenir une baisse massive et durable de l’euro sur le marché des changes. A la veille du premier tour de l’élection présidentielle, l’euro ne valait plus que O,96 dollars contre 1 ,34 quelques jours auparavant. Le tumulte qui devait s’en suivre fût grand, mais l’idée de passer de l’euro, monnaie unique à l’euro monnaie commune fût acceptée, Y compris par les pays du nord de la zone. Y compris par les USA et la Chine qui préféraient – malgré tout- une telle solution, plutôt que de voir dollar et Yuan sans bouclier. L’ancien président n’a pu se sauver, mais son échec a ouvert la voie au grand chambardement.

François Hollande, dès le 7 mai 2012, a fait savoir que la monnaie commune, ne pouvait pas être le retour de l’antique serpent monétaire européen, antique serpent que l’on avait fait mourir dans la piscine de la spéculation. La spéculation est désormais  interdite, puisque les « euro monnaies » ne sont convertibles qu’en euro, sur la base d’un taux de change fixe, arrêté  par chaque Etat. Et Chaque année, des taux fixes sont renégociés lors d’une conférence au sommet bruxelloise : les moins bons dévaluent et les meilleurs réévaluent, chacun faisant obligatoirement la moitié du chemin . Aujourd’hui, en février  2017, l’euro franc vaut un euro, et la gamme des parités européennes va de 0,55 pour l’euro drachme à 1,2 pour  l’euro mark. A cette gamme de prix correspond des soldes extérieurs qui sans être totalement équilibrés suppriment les comportements de « passagers clandestins » : l’euro n’est plus une drogue, et la zone euro n’est plus une machine à détruire le projet  européen.  Sur la seule base d’une réduction du déficit extérieur de 70 milliards d’euro en 5 années, la France  a ainsi pu créer plus de 500 000 emplois.

Bien sûr, le PIB / tête exprimé en euro a diminué, et les français disposent d’un revenu globalement plus faible. Bien sûr les importations sont beaucoup plus couteuses et le périmètre de la Grande Distribution s’est réduit. Les coûts de transport ont beaucoup augmenté, d’où un plan massif de développement des transports en commun. Mais les français, désendettés par refus politique de la financiarisation, renouent avec le futur et construisent l’avenir de façon plus solidaire, les métiers et rémunérations scandaleusement parasitaires, devenant marginalisés.  Globalement, moins de biens, et plus de liens, autant à l’intérieur d’une génération, qu’entre générations. Décidément la grande nation est de retour.

Le nouveau président ne sera désigné que dans quelques mois, mais il a de la chance : le terrain est bien débroussaillé, et surtout il ne sera pas perturbé par l’angoisse d’une réélection. Et ce d’autant que le nouveau statut de l’élu, voté en Avril 2013, sécurise tous les engagements citoyens.

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1 février 2012 3 01 /02 /février /2012 08:06

 

 

 

Nous connaissons maintenant la nature profonde des Etats : comme entités très anciennes; mais aussi celle des banques centrales , comme objets très récents au regard de l'histoire, et enfin, celle des liaisons possibles entre les deux.

 

Etats : il n’est pas toujours possible de payer avec de la monnaie souveraine.

 

Si les Etats furent dès leur naissance une extériorité fondamentalement prédatrice fonctionnant au détriment de ceux sur quoi ils règnaient, l'émergence des banques centrales fût une étape décisive dans le partage de la prédation avec d'autres acteurs que les souverains. l'idée de partage est en effet opportune pour désigner le fait que désormais les États n'émettent plus - le plus souvent - directement la monnaie, et passent par une agence plus ou moins autonome, mais autonomie toujours limitée par le type de monnaie émise: celle de L'Etat.

Naguère l'Etat pouvait payer à partir de ses créanciers: esclaves, seigneuriage, ensemble de la population taxée, etc. Avec les banques centrales, il pourra certes perdre quelques avantages, mais il maintiendra le gigantesque pouvoir de payer à partir de sa propre monnaie, et même si le pouvoir de la fabriquer ne sera plus ce qu'il était. Propos qu'il faut du reste nuancer, car il fût des époques où les banques centrales étaient entièrement sous le contrôle de l'Etat.

En conservant bien sûr son droit de taxer, l'Etat prédateur, même affaibli par une banque centrale, conserve une grande partie de sa souveraineté: les agents économiques sont intéressés par sa monnaie qui seule dispose du cours légal, monnaie qu'il faut impérativement utiliser.... ne serait-ce que pour pouvoir payer l'impôt. Parce que resté maître de la base monétaire, et que tous les contrats sont libellés dans la monnaie qu'il reconnaît, la notion de défaut apparaît relativement difficile: l'Etat a encore les moyens de faire varier le niveau de  dette que sa banque centrale lui doit. La dette envers l'extériorité n'est plus infinie, mais le prédateur dispose encore des moyens de décider de son montant. Ce sera évidemment beaucoup plus difficile s'il devait s'endetter envers une monnaie dont il ne maîtrise en aucune façon l'émission. Beaucoup plus difficile, mais pas vraiment impossible, ainsi que l'atteste la présente situation, où la pression des Etats de la zone euro a -de fait- obligé la BCE – certes par des moyens forts détournés - à fournir les liquidités nécessaires (489 milliards d'euro le 22/12/2011) aux fins de diminuer les pressions sur les budgets publics. Opération à ce jour assez bien réussie, qui a pris le nom de « Long-Term Refinancing Opération » (LTRO)

L'Etat fédéral américain dispose de ce point de vue d'un avantage considérable sur les autres Etats: s'il décide de bien contrôler sa banque centrale, et il le peut assez facilement dans le cadre de la législation en vigueur, son défaut est impossible. On peut ainsi considérer que les débats d'Août 2011 sur le plafond de la dette fédérale n'avaient aucun sens. Il s'agissait de s'amuser à se faire peur et de "jouer au défaut". Parce que la dette américaine s'exprime en dollars, il suffit de produire davantage de dollars pour continuer à dépenser. l'Etat fédéral n'est d'une certaine façon pas endetté, et chacun sait qu'il ne remboursera jamais. par contre, ce même Etat peut encore décider de ce qu'on lui doit, et fixer le niveau du "quantitative easing" auquel la FED devra se soumettre.

De fait, l'Etat fédéral américain est dans une position plus avantageuse que celle des Etats plus anciens , Etats qui étaient en raison de la contrainte générale d’une base monétaire  métallique, dans une position où il leur était depuis longtemps, impossible de payer en utilisant une autre monnaie que l'argent ou l'or, ou une forme monétaire assurément convertible en métal . Déjà dans un milieu relativement ouvert, peuplé d'Etats en compétition, aucun d'eux ne pouvait créer et imposer une monnaie d'Etat parfaitement souveraine. D'où les catastrophes comme le système de Law ou les Assignats. Et, de ce point de vue, l'adoption progressive et organisée de l'étalon- or est un recul très net de la souveraineté: la loi d'airain de la monnaie va s'imposer à tous, bien davantage que l'Etat fédéral américain d'aujourd'hui. C'est du reste parce que le contexte de l'étalon-or limite la possibilité pour l'Etatde payer avec une monnaie de son choix -qu'il aurait souverainement émis- qu'il devra apporter la preuve de son auto limitation. La banque centrale apparait ainsi comme l'outil de cette auto limitation. Et bien sûr, un outil que l'on cherchera toujours à retourner à son avantage, en délimitant, voire en renonçant, à toute forme d'indépendance de la dite banque.

Dès sa création une banque centrale est bien- ainsi que nous le disons dans notre définition- à l’interface entre le pouvoir politique et le pouvoir financier. Parce qu'il s’agit de donner confiance en réponse à une souveraineté qui n’est plus totale, l’institution qui se met en place, se doit d’être bien séparée de l’Etat, ce qui passera plutôt par la mise en place d’une banque privée, facteur essentiel de la confiance. Il existe donc naturellement une solidarité professionnelle avec le monde de la banque et de la finance en général. Solidarité qui s’exprimera au quotidien de la réalité du fonctionnement du système bancaire. Parce que la monnaie d’Etat dispose d’un monopole dont la gestion est confiée à la banque centrale, les besoins de monnaie fiduciaire exprimés par les banques passent nécessairement par la banque centrale. D’où un dialogue permanent entre banquiers centraux et autres banquiers.

Mais il existe aussi naturellement une solidarité professionnelle avec les entrepreneurs politiques au pouvoir, solidarité qui s’exprime dans un champs des possibles contenant deux limites extrêmes.

 

Banque centrale contrainte et banque centrale libérée

 

Une première possibilité est celle d’une répression financière extrême par l’Etat. Ce dernier conserve beaucoup de son pouvoir de prédation, confie le monopole d’émission monétaire à la banque centrale, mais conserve l’essentiel du seigneuriage : les banques n’ont accès à la monnaie centrale, qu’en payant une redevance captée par l’Etat, à partir de la banque centrale. Au delà, ses paiements qui ne correspondent à aucune taxe ni seigneuriage monétaire, sont effectuées à partir de la monnaie émise gratuitement par la banque centrale. Situation extrême, qui expose l’Etat considéré, à la concurrence des autres Etats, et donc à la loi d’airain de la monnaie. Cette situation est celle de périodes difficiles, comme celle des guerres mondiales au vingtième siècle.

A l’autre extrémité nous avons un Etat qui se dépouille très largement de ses prérogatives prédatrices et qui doit « payer », le cadeau qu’il fait à la banque centrale bénéficiaire du monopole d’émission, en renonçant à ses prêts et avances, en s’obligeant à acheter de la monnaie aux banques. Dans cette circonstance, on peut aussi imaginer qu’il renonce à une partie de la prédation fiscale en distribuant des avantages fiscaux. Ce nouveau cas extrême, est bien sûr engendreur de déficits publics, le montant des dépenses ne correspondant à aucune taxe devenant prohibitif. Là aussi l’Etat, dans cette circonstance extrême s’expose, en milieu ouvert, à la concurrence des autres Etats. Il n’y a pas véritablement de loi d’airain de la monnaie, par contre il s’expose aux craintes des banques, qui peuvent douter de sa capacité à acheter de la monnaie en raison de ses déficits, et préféreront vendre de la monnaie à d’autres Etats. Nous retrouvons ici bien évidemment la situation de la zone euro, celle des déficits gigantesques de certains pays, des spreads de taux, etc.

Dans les deux cas, le déficit public est assuré, mais évidemment par d’autres moyens. Le premier est celui que l’on appelait « mode hiérarchique de gestion de la dette publique », le second celui que l’on désignait : « mode marché de gestion de la dette publique ». Mais les deux déficits sont de nature très différente.

Si l’on se réfère aux enseignements de la comptabilité nationale, on sait que la somme algébrique des soldes des comptes de capital des différents secteurs est nulle. Pour simplifier, et en faisant abstraction du compte dit de « l’extérieur », on peut ramener les choses à deux secteurs : le secteur privé et le secteur des administrations publiques. En l’absence d’un extérieur, le déficit de l’un se ramène à l’excédent de l’autre. Si donc, il existe un déficit public en mode marché de gestion de la dette, cela signifie nécessairement un excédent privé (entreprises et ménages), excédent qui se ramène à une épargne. Si maintenant il existe un déficit géré en mode hiérarchique (répression financière) cela signifie que si épargne il y a, celle-ci est insuffisante, et la création monétaire par la banque centrale vient couvrir l’écart. Notons par ailleurs, que cette absence d’extérieur dans notre exemple n’est pas une simplification abusive et à l’échelle mondiale les « extérieurs » (solde des balances des paiements) s’annulent.

 

Libération de la banque centrale ou libération de l’épargne rentière ?

 

Le raisonnement, très simple, que nous venons de monter aboutit à un enseignement fondamental : en l’absence de toute répression financière, donc en mode marché de gestion de la dette, le déficit public, correspond à un montant d’épargne plus important, que celui qui se serait constitué entre les seuls agents privés, par exemple l’épargne des ménages à destination des entreprises. C’est dire que le déficit public- dans notre langage l’affaissement de la prédation étatique- est la possibilité d’accroitre le volume, et donc le marché de l’épargne. Résultat fondamental : A  l’échelle mondiale, la multiplication des produits financiers capteurs de rentes, n’est possible que sur la base de l’endettement public planétaire.

Au niveau d’un seul pays, ce qu’on appelle- concernant les finances publiques- l’application de la « règle d’or », est ainsi une « cage » venant limiter le grossissement de l’épargne, cage dont les barreaux peuvent être écartés par le recours à l’extérieur : un excédent privé pourra se nourrir sur la base d’un excédent extérieur. Réflexion qui nous fait mieux comprendre toutes les difficultés actuelles de la zone euro, et les comportements de passagers clandestins, déjà souvent étudiés dans ce blog.

La naissance des banques centrales est sans doute une limitation de la puissance prédatrice des Etats. Cette limitation est elle-même possiblement limitée lors de phases historiques particulièrement tendues, où il faut rétablir les dures lois de l’endettement sans limite, de la banque centrale envers son Etat. Ce sera le cas des 2 guerres mondiales où nous avons déjà analysé dans ce blog, l’histoire concrète des rapports entre banques centrales et Trésor. Lorsque maintenant les entrepreneurs politiques proposent à ces mêmes banques le chemin de l’indépendance, ils dessinent les contours d’un nouveau partage de la prédation : l’épargne peut grossir, et s’auto agrandir, par prélèvement de rente sur le volume taxé, ce qu’on appelle les ressources fiscales, qui sont aussi de la prédation sur d’autres acteurs. Ce qu’on appelle pudiquement le « service de la dette » dans les comptes publics. La financiarisation de la société, est la conséquence de l’indépendance croissante de la banque centrale, et avec elle la redéfinition du partage du revenu national. Au stade démocratique de l’aventure étatique, la prédation publique était elle-même partagée démocratiquement, notamment par l’édification d’un « Etat- providence ». Parce que le déficit public rehausse considérablement l’épargne, une épargne rémunérée à partir de la  prédation publique- on peut même taxer le déficit de « rehausseur d’épargne », comme il existe des « rehausseurs de crédits » - il s’en suit que, relativement au PIB, davantage d’épargne, et d’avantage de finance, correspond à moins d’Etat providence ou/et, éventuellement moins d’Etat régalien, ou/et moins d’Etat investisseur.

En France la loi de 3 janvier 1973 peut ainsi être lue au travers de ce paradigme : une loi, qui parmi d’autres, va autoriser le grand redécoupage du revenu national, avec montée des privilèges des rentiers, et affaissement des classes moyennes incapables de « passer » de façon significative à l’épargne et donc à la rente.

 

 

 

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25 janvier 2012 3 25 /01 /janvier /2012 15:11

Le texte qui suit constitue une contribution provisoire , et donc révisable, à un chantier collectif plus vaste. Il n'est sans doute pas d'un accès très facile, mais prétend aller au fond des choses, en se méfiant des évidences, et des acquis jamais questionnés. Il tente de projeter un regard original sur un objet  qui semble intéresser tous les "mécaniciens /réparateurs"  aux prises avec la grande crise des années 2010. Les habitués de ce blog pourront aller plus vite en ne lisant que les paragraphes dont le titre peut laisser la place à une interrogation.

 

Il est difficile, s’agissant de nos banques centrales, de ne pas parler de clef de voûte tant il est vrai que la grande crise des années 2010 les mettent sur le devant de la scène avec cette formule presque magique, d’organismes  qui seraient « un prêteur en dernier ressort ». Avec sa signification première : sans elles tout s’écroulerait. Et sa signification plus mystérieuse : quand plus personne, plus aucun acteur de la scène – pas même l’Etat -  ne se dévoue pour pérenniser le roulement de la dette, il y aurait , en surplomb de la société, une entité appelée banque centrale,  qui pourrait empêcher l’écroulement complet du jeu. C’est cette idée de « prêteur en dernier ressort », idée de plus en plus souvent évoquée au quotidien, que le présent livre se propose de décortiquer. 

Avec une démarche qui se veut proche de celle pratiquée par nombre de disciplines scientifiques : d’abord le refus du normatif, ensuite la seule volonté d’expliquer ce qui se déroule sous nos yeux.

Le refus du normatif en s’abstenant de toute considération morale sur tel ou tel choix effectué par tel ou tel gouverneur ou ministre des finances. Et la volonté d’expliquer en observant les faits , tels qu’ils se sont déroulés. De ce point de vue, nous attacherons beaucoup d’importance à l’histoire qui seule permet de saisir l’enchainement des faits dans toute leur complexité. Et une histoire qui doit remonter le plus loin possible dans le temps -à l’image de l’astrophysique qui tente de remonter le temps jusqu’au « big bang » de la création de l’univers pour comprendre la matière- ici  pour expliquer ce que charrient au quotidien les banques centrales : la monnaie, l’échange, la dette, l’intérêt, etc.

Ces matériaux présentés et expliqués dans la première partie du texte sont ce qui permet à la clef de voûte  d’assurer, plus ou moins bien, sa mission. Mais aussi parce que chargés d’une histoire complexe, ils ne permettront pas, en toutes circonstances de garantir le fonctionnement efficace du « prêteur en dernier ressort ». D’où des crises, voire de véritables bifurcations donnant naissance à de nouveaux mondes.

Et le raisonnement pourra se dérouler en boucle : si les conceptions que se fait  l’humanité de la monnaie , de l’échange, de la dette, de l’intérêt, etc. se modifient , ou si, beaucoup plus encore, l’humanité,  se trompe sur ces matériaux  qu’elle a elle même engendrée, alors le fonctionnement des banques centrales sera lui-même modifié , et entrainera de nouvelles représentations, et surtout de nouvelles réalités économiques. C’est ainsi que pourra être expliqué cette immense boucle du 2Oième siècle qui passe de banques centrales relativement autonomes à des banques centrales qui ne le seront plus du tout, pour voir réapparaitre en fin de siècle des entités considérés comme complètement indépendantes. Avec toutes les réalités économiques et sociales qui vont lui correspondre et qui seront examinées. La clef de voûte est aussi ce qui explique et fait émerger l’architecture de l’édifice et le mode d’habitat ou d’utilisation qu’il autorise . En sorte que l’on pourrait utiliser la formule suivante : "dis moi dans quel ordre  de banque centrale ta vie est organisée  et je pourrais te décrire l’ univers social  qui fait ton quotidien". De quoi aussi dire que les banques centrales constituent  le « logiciel » ou le « système d’exploitation »   d’un monde.

Voilà ce qui constitue le pari de ce premier texte.

Pourquoi des banques centrales ?

              Les choses paraissent simples à comprendre. Au fond la vocation essentielle d’une banque centrale est d’assurer le bon réglage du débit de monnaie qui au final permettra la bonne circulation de toutes les marchandises dans un espace considéré. Si la monnaie se fait trop rare, les marchandises finiront par ne plus circuler et ne plus être produites. Si par exemple les banques de second degré en raison de mesures restrictives imposées par la banque centrale ne financent plus aucun investissement et ne financent plus le Trésor, il est clair que l’on s’achemine vers une spirale dépressive qu’il est inutile de décrire tant elle est connue. Si à l’inverse, la monnaie se fait excessivement abondante et que la confiance qu’on lui accorde s’érode, la préférence pour les biens réels ou des monnaies étrangères  l’emportera sur le désir de rétention de monnaie nationale, et là encore, la bonne circulation des marchandises en sera altérée. On comprend au travers de ce raisonnement sans doute simpliste en quoi les banques centrales sont bien une clef de voûte : la disparition de la capacité de la monnaie à faire circuler les marchandises correspond à un trouble considérable au détriment de la société, lequel nous fait penser que le signe monétaire est un bien public sans lequel le retour à l’état de nature est assuré. Et clef de voûte qui peut devenir bouc émissaire au sens girardien du terme : si la bonne circulation des marchandises n’est pas assurée, cela peut vite s’orienter vers la désignation unanime d’un coupable, celui d’un organisme qui n’assure par les fonctions pour lesquelles il fût construit.

Mais cette apparente simplicité pose de redoutables problèmes.

Tout d’abord on peut se dire que la monnaie n’est  bien public, qu’en raison d’une situation qui est le plus souvent monopolistique. Si, par exemple, la monnaie était émise par des banques privées en concurrence, le risque de pénurie ou de surabondance pourrait être géré au mieux par une logique de marchés concurrentiels.

Ce qui pose la question du statut de cet objet banque centrale. Pourquoi existent –elles dans la configuration qui est celle aujourd’hui constatée ? Si l’on pouvait régler la circulation monétaire par d’autres moyens, pourquoi un monopole partout constaté dans le monde ?

Mais, en supposant que partout dans le monde, l’idée de systèmes monétaires concurrentiels, soit repoussée au profit de l’idée d’un service public, pourquoi fonctionner , selon la règle quasi universellement constatée, d’une délégation de service public qui va jusqu’à inscrire dans le contrat de délégation,  l’indépendance  du délégué vis-à-vis de l’Etat signataire ? Et si la délégation  existe en raison d’une efficacité ou d’une confiance plus grande que celles généralement accordée aux Etats, pourquoi en est-il ainsi ? Pourquoi ne peut –on faire confiance aux Etats ? Et si les Etats ne sont pas efficients ou honnêtes, quelle confiance accorder à la délégation de service public monétaire qu’ils confient aux banques centrales ?

D’autres questions peuvent être posées. Logiquement, la quantité de monnaie disponible, doit varier avec la variation de la quantité de marchandises à faire circuler entre les agents. Et on comprend que la croissance économique exige une quantité croissante de signes monétaires, mais cette variation ne peut-elle s’opérer que par la création monétaire résultant d’un crédit, comme cela se déroule aujourd’hui, ou bien est –il possible d’imaginer un autre type de réglage du débit, telle une création de monnaie s’abstenant de passer par la production d’une dette ? Bref, est-il possible d’imaginer une banque centrale qui ne fabrique pas d’endettés  en augmentant la taille de son bilan ? Et question qui n’est pas très éloignée d’une autre interrogation : Comment se fait-il, que la création monétaire dont le coût est proche de zéro, fasse l’objet d’un prix significativement plus élevé ? Car le plus curieux dans cette affaire de délégation de service public, est que celle -ci s’arrête en chemin : en dessous de la banque centrale, existent des banques dites de second degré, qui elles ne sont pas censées assurer une mission de service public, et qui gèrent le bien public monétaire comme un bien privé dans le cadre, il est vrai,  d’un marché concurrentiel. Pourquoi donc, ces banques en général, ne paient aucune redevance pour l’utilisation lucrative du service public qui est mis à leur disposition ?

Il est impossible de répondre à toutes ces questions sans aborder, au fond, des réflexions sur la nature  profonde de ce qu’on appelle la puissance publique, la dette,  le marché et la monnaie.

 

La puissance publique n’a pas toujours été ce qu’elle est devenue. Il faut donc expliquer son mouvement et sa genèse au sein d’une collectivité humaine. En prenant toute une série de précautions rarement respectées.

Précautions méthodologiques : refus de normativité et d’exogénéité

Tout d’abord, les diverses théories concernant l’approche de la puissance publique sont le plus souvent normatives, et expriment des idées sur ce qu’elle devrait être,  et non sur ce qu’elle est. C’est en particulier ce que l’on trouve chez les encyclopédistes et les philosophes des lumières. C’est aussi ce que l’on trouve massivement chez les utilitaristes, avec les innombrables descendants d’un Jeremy Bentham que l’on rencontre chez les juristes,  politologues, sociologues, ou économistes qui s’en réclament ou en font la critique sur une base tout aussi normative, comme ce sera le cas chez un John Rawls  un Ronald Dworkin et tant d’autres. Cette approche normative, inacceptable sur un plan strictement scientifique, se comprend dans la mesure où -parce que fait empirique- on essaiera, surtout à partir de la naissance de la modernité, de transformer cette puissance publique en la faisant fonctionner sur la base d’un idéal, qui se ramène le plus souvent à la notion de justice ou d’efficacité instrumentale. Il est difficile de questionner l’Etat sans vouloir le transformer. D’où massivement rencontrée dans la littérature un questionnement mené davantage en terme de comment, plutôt qu’en terme de pourquoi.

Les économistes, assez peu soucieux des enseignements de l’histoire, tombent souvent dans le normatif, et iront plus loin, en proposant des visions exogènes de la puissance publique. Celle- ci n’étant expliquée que ce par quoi elle sert, ou devrait servir, du point de vue des résultats de la théorie économique. C’est fondamentalement le cas de la théorie néo classique, qui n’a besoin d’un Etat que là où il y a défaillance des marchés -biens publics, externalités et rendements croissants- et qui donc, sur un plan normatif, doit se limiter à ce seul service de rendre les marchés possibles, là où ils ne fonctionnent pas. Il n’y a donc pas d’historicité, et l’Etat est une pièce extérieure - exogène - que l’on vient rajouter au système social, afin d’en assurer un rendement optimal. La théorie keynésienne, pourtant fort différente, n’apportera pas autre chose, et l’Etat reste la pièce oubliée qu’il faut rajouter au système social,  en exigeant de lui qu’il fonctionne de telle ou telle façon, c'est-à-dire approximativement, faire en sorte que l’équilibre économique général, soit un équilibre de plein emploi, ce que les seuls marchés ne peuvent produire spontanément.

Fonctionnement critiqué par les successeurs, qui verront dans l’Etat interventionniste, la source de tous les maux. Ce sera le cas notamment avec les nouveaux classiques et l’école des choix publics qui malgré les nouveautés conceptuelles introduites resteront normatifs, l’Etat étant surtout ce qu’il ne doit pas être.

Il ne s’agit évidemment pas pour nous, de détailler ces démarches qui ne cherchent pas à comprendre ce qui est, et s’étonnent simplement de la plus ou moins grande congruence de cette pièce appelée puissance publique, ou Etat, et qu’il faut articuler au reste de la machinerie sociale sans en connaitre ni son identité ni sa traçabilité.

Une petite exception pourrait être apportée, en précisant qu’il existe au moins deux paradigmes  beaucoup plus satisfaisant, en ce qu’ils ne sont ni normatifs, ni véritablement exogènes et qu’ils donnent un petit avant goût de l’identité et de la traçabilité du produit puissance publique : il s’agit des paradigmes libertarien et marxiste. Dans ces deux visions, on a au moins l’avantage de la non normativité, caractéristique fondamentale, et surtout un processus endogène, c'est-à-dire que l’objet étudié l’est depuis sa genèse, laquelle est plus ou moins expliquée. De fait,  la traçabilité  de l’objet puissance publique existe , mais sur la base d’explications peu satisfaisante. Avec Marx on connait la nature profonde de l’Etat et de ses  transformations successives, mais l’histoire, et surtout l’ethnologie, nous ont appris que l’économie comme moteur de l’humanité, relevait d’une vision ethnocentrique du monde. Avec les libertariens, on sait que la puissance publique et son devenir, est la conséquence non attendue de l’interaction sociale ; mais l’individualisme méthodologique de la démarche ne correspond pas aux caractéristiques de  « l’état de nature » primitif qu’ils imaginent, lequel est fort étranger à celui imaginé par Hobbes.

Bref, il est difficile d’accrocher à toutes ces théories, une vision correcte de ces institutions en orbite  plus ou moins proches des Etats, que sont les banques centrales et de ce qu’elles produisent. Quelles que soient leurs statuts concrets, Parce qu’émanation plus ou moins directe des Etats, il est difficile de les identifier sans une identification préalable de ces derniers.

Parce que les Etats sont le siège du politique, c’est cette dernière notion qui doit être identifiée, probablement en tant que concept plus général. Expliquons-nous.

L’origine du politique

Dans aucune humanité les individus sont libres de faire ce qu’ils veulent. Partout  existent des règles contraignantes. La nature de ces règles distingue une société d’une autre. Ce sont donc ces règles qui expriment l’idée même de société, donc un sentiment d’identité ou d’appartenance pour les individus qui la vivent.

Vivre ensemble, et donc faire société, c’est  reconnaître qu’il existe au delà de chacun, un tiers ou un extérieur qui est la loi, c’est à dire un pouvoir. De la même façon qu’une œuvre d’art, par exemple une toile, ne prend sens qu’avec un support extérieur -un clou dans un mur, par exemple- On ne fait société, que par rapport à un extérieur qui est la référence commune. Dans la modernité, cette référence commune est par exemple la constitution. Et même dans notre modernité qui avance l’idée que la loi est fabriquée par les hommes et donc, loi manipulable, on ne touche qu’exceptionnellement à la Constitution.

Il en a toujours été ainsi, et ce quelle que soit l’organisation des sociétés. Le lien social n’existe que parce que les agents qui se croient reliés font référence à cet extérieur.

La naissance de ce qu’on appelle puissance publique est donc l’apparition historique de ce type particulier du moyen de vivre ensemble qu’est l’Etat.

Et en affirmant ceci, on cesse déjà d’envisager ce dernier comme autre chose que l’effet involontaire et inattendu de contrats volontaires, ce que nous critiquions plus haut au sein de la théorie libertarienne.

 

Pour nombres d’ethnologues et de sociologues, en particulier, ceux qui approximativement ne sont pas éloignés de l’œuvre ultérieure d’un   Marcel Gauchet, l’Etat est issu de la transformation des religions, elles-mêmes instances d’un extérieur aux diverses humanités.

Les religions sont l’universel de l’humanité, et toutes les sociétés pré-modernes sont imprégnées par le religieux. Or ce religieux n’est vraisemblablement pas que le fait de nos structures mentales, mais la condition d’existence du fait social lui-même. Les sociétés primitives, autant que les nôtres, ont besoin d’un extérieur, et ce dernier est pour elles, non l’Etat, mais la religion. De ce point de vue la thèse girardienne du « meurtre fondateur » est intéressante, parmi d’autres, pour comprendre la genèse de l’extériorité. Ce concept  correspond à l’idée que tous les membres d’un groupe humain quelconque, sont travaillés par le désir mimétique. On connait la suite du raisonnement girardien: la force du mimétisme débouche sur la violence qui elle-même se transforme en désignation unanime du bouc émissaire. Et c’est « l’extériorisation » de ce dernier, c'est-à-dire sa condamnation unanime qui rétablit l’ordre dans la collectivité. Par comparaison avec ce que l’on croit être notre crise, comme si la BCE devenait, au terme de nos troubles monétaires, l’ultime coupable qu’il faudrait condamner pour retrouver la prospérité.

Au terme d’un raisonnement astucieux sur lequel on ne peut que renvoyer à l’auteur, Girard en conclut qu’historiquement, ce serait la violence mimétique qui aurait fait émerger dans l’humanité la déification des boucs émissaires, et surtout l’apparition d’un rite rencontré chez tous les humains : le sacrifice. Nous ne sommes plus très loin de la dette et du préteur en dernier ressort.

René Girard rejoint, avec sa singularité sur l’imitation,  tous les ethnologues qui lisent dans les sociétés primitives l’universalité du sacrifice, laquelle est toute aussi universellement reconnue comme désendettement. Les dieux, extériorité absolue, sont les créanciers des hommes qui considèrent leur vie et leur bien vivre – le jeu du bouc émissaire rétablit un ordre social qui avait été troublé- comme dette vis-à-vis des dieux. Risquons une comparaison intéressante : les dieux sont des prêteurs de vie qu’il faut sans cesse rembourser par l’institution du sacrifice, à ce titre ils sont l’ancêtre des banques centrales elles même prêteuses de ce que personne ne peut produire, c'est-à-dire de la monnaie centrale. Les banques centrales sont devenues prêteuses en dernier ressort comme les dieux eurent le monopole du prêt de vie.

Le moteur de l’aventure étatique

Si l’on en revient au phénomène étatique le schéma de son développement serait le suivant :

- Dans un premier temps la religion est une extériorité radicale : aucun homme ne peut s’emparer de la religion, en prendre son commandement ou en représenter son pouvoir. Le pouvoir religieux existe en ce qu’il permet de faire société, mais ce pouvoir n’est pas pour les hommes, et il ne saurait être question d’une séparation politique dans la société : il n’existe pas d’homme qui puisse se faire extérieur aux autres hommes. Les hommes sont unis et égaux dans leur commune dépossession. Un peu comme les banques centrales aujourd’hui : elles sont crées par les hommes, mais ces derniers en seraient dépossédés puisqu’ils n’ont juridiquement aucun pouvoir sur leurs dirigeants.

- Dans un second temps,  la coupure avec l’au-delà, va correspondre avec une coupure dans la société : d’un côté, certains seront proches des puissances extérieures, tandis que les autres en seront éloignés. L’homme de pouvoir est né, et avec lui, le pouvoir politique et l’Etat. Et peut être avec lui la dette, la monnaie et les premières bribes de la banque centrale… Nous y reviendrons car si certains pourront occuper la place des Dieux, ces créanciers radicaux, cela peut vouloir signifier qu’ils peuvent s’emparer de leurs pouvoirs et devenir eux-mêmes des créanciers sur tous les hommes. De quoi créer une fusion entre les Etats naissants et les germes des futures banques centrales.

-Dés enchâssement  de la religion de l’Etat lui même, ce qui caractérise l’époque actuelle dans nombre de sociétés dites modernes.

D’où il ressort que la religion a été historiquement la condition de possibilité de l’Etat, et que le fondement de l’Etat est le même que celui de la religion.

Resterait pourtant à se poser une grande question : comment est-on passé des premières formes de religion qui excluent l’apparition du phénomène étatique, aux formes transformées qui vont faire naître l’Etat ? En d’autres termes comment est-on passé de l’égale dépossession de tous les hommes par rapport au sacré, à une dépossession inégale qui fera naître le pouvoir politique et l’Etat ? Comment passer de la créance monopolistique sur la vie, à une créance monopolistique sur les hommes qui devront verser l’impôt, voire le sang ? Poser cette question, c’est poser celle des conditions du maintien de la dépossession complète. Dans les sociétés dites primitives, certes il existe toujours un chef. Il existe par conséquent une fonction politique de représentation de la communauté. Sans cette fonction assurée, il n’y aurait, que des individus incapables de faire société car incapables d’édicter une règle commune, c’est-à-dire la Loi, vis-à-vis de laquelle chacun obéit et se reconnaît.

Pour autant, le chef des sociétés primitives voit son pouvoir extrêmement limité. Son travail consiste à répéter inlassablement qu’il faut respecter l’héritage des ancêtres et les règles de toujours, qui viennent d’un au-delà sur lequel les hommes n’ont aucune prise. Il parle de la loi, mais il n’a aucune prise sur elle et ne peut la modifier. Il n’a aucune prise spécifique sur la définition de l’ordre social. Cet ordre dispose certes d’un commencement : l’origine des temps. Mais cette origine est un extérieur, un temps différent de celui où se succèdent les diverses générations d’hommes. Et depuis, puisque la Loi est un point fixe, il ne s’est rien passé, et surtout il ne doit rien se passer, car tout changement signifierait que les hommes, ou certains d’entre-eux, ont prises sur la société.

Les récits cosmogoniques qui disent la naissance du monde, sont infiniment variés, mais tournent inlassablement autour de l’idée que l’origine des temps relève d’une temporalité autre, de quelque chose d’inaccessible. Cela signifie que l’on bannit l’intervention créatrice des hommes dans la Loi qui les régit. Au fond, comme aujourd’hui avec le célèbre TINA ( There is no alternative) ou ce que nous verrons ultérieurement, sous le vocable de loi d’airain de la monnaie . Cette vision est, bien sûr, irréelle, et les hommes primitifs savent qu’ils ont concrètement changé le monde au travers de leurs pratiques. Par exemple, il ne fait pas de doute que l’agriculture est une invention humaine, mais dans les récits, il n’y a pas de mémoire et l’on dira que ce sont les ancêtres qui nous ont appris à cultiver : l’innovation est radicalement effacée et se trouve reportée sur la ligne de l’origine des temps. Ce que les religions primitives interdisent, c’est le droit de se reconnaître comme agent transformateur de la réalité sociale donc agent de la Loi. Un peu comme aujourd’hui où les hommes ne se sentent pas le droit de bousculer le marché.

Et cette institution permet qu’aucun des hommes n’ait prise sur le destin des autres. Puisque tous sont en quelque sorte séparés de ce qui gouverne les hommes (les puissances mystérieuses de l’au-delà), alors personne ne peut prendre le pouvoir parmi les hommes, hommes qui deviendraient dirigés par d’autres hommes. Comme le dira Pierre Clastres dans une formule célèbre : “la société se construit contre l’Etat”.

Seule la dépossession complète des hommes sur l’au-delà, permet le maintien de la vieille égalité primitive, et s’il existe par exemple des chamanes censés entretenir un rapport privilégié avec les puissances de l’invisible, ils ne sauraient devenir des agents censés fonder la société, en ce qu’ils pourraient devenir des délégués, chargés par l’invisible, de régler les affaires humaines.

Ainsi tout le problème de la naissance de l’Etat, revient à analyser comment les puissances du sacré vont se concrétiser, dans des religions installées, avec des agents spécialisés qui vont fonder une scission entre gouvernants et gouvernés.

En la matière, l’apparition des prophètes, est sans doute un fait probablement décisif permettant de passer des premières religions, dans lesquelles l’extériorité est radicale vis-à-vis de tous, à des religions nouvelles dans lesquelles un individu (le prophète) en vient à affirmer qu’il est dans le secret des dieux, ce qui va le séparer radicalement de l’ensemble des autres hommes. Sans doute existait-t-il plusieurs catégories de prophètes, mais certains- notamment ceux plus connus et qui deviendront les pères des grands monothéismes- affirmeront que les dieux ou Dieu ne veulent plus que la société des hommes soit comme elle est, mais qu’elle devienne autre chose dont précisément les prophètes seraient  les garants.

La parole prophétique ouvre ainsi la voie à l’établissement d’un pouvoir révolutionnaire dont le prophète devient progressivement l’unique occupant possible, et donc le possible fondateur des premières formes d’Etat. Forme renouvelée de l’extériorité qui apparait dans le nid de la première. Mais en même temps radicalement nouvelle puisque désormais l’humanité se dirige vers un processus de privatisation de ce qui était commun : les premiers entrepreneurs politiques sont bien tout de suite des entrepreneurs : il s’agit d’utiliser l’extériorité de façon privative et ce sont bien des groupes domestiques, des familles, des clans, etc. qui vont tenter de monopoliser ce qui deviendra les outils de la puissance publique. Et si l’on devait s’acheminer vers l’échange marchand, il faudra peut-être après avoir privatisé la dette de vie, privatisé ce bien public qu’est la monnaie. Privatisation dont l’un des signes apparents sera par exemple l’inscription du visage du prince sur les monnaies.

Cette instance “autre” étant constituée, des événements historiques nouveaux pourront déboucher sur une autonomisation croissante de l’Etat par rapport à la religion. Ainsi pourra-t-on connaître un grand renversement, c’est-à-dire le passage d’un Etat enkysté dans la religion à une religion enkystée dans l’Etat, passage faisant naître une entité porteuse d’un avenir grandiose : l’Etat-Nation.

Ce passage correspond au rameau occidental de l’humanité. L’autonomisation de l’Etat n’est évidemment pas un processus linéaire et complètement déterminé selon une logique rationalisable et chargée de finalité, il n’existe aucun déterminisme historique évident. Dans le cas de l’Europe qui est la région du monde qui historiquement va accoucher de l’Etat-Nation, il existera très longtemps un double mouvement contradictoire, entre une monarchie d’abstraction œuvrant à l’impersonnalisation de l’Etat (le prince peut mourir, mais l’Etat subsiste) et une monarchie d’incarnation qui fait du prince le représentant de Dieu.

Dynamique de l’aventure étatique et dette

A l’extrême, la religion pourra être séparée de l’Etat et le principe extérieur chargé de faire tenir ensemble les hommes pourra n’être que l’Etat, la religion devenant affaire privée intériorisée. Nous avons là la laïcité à la française. On passe ainsi de l’âge du divin, à l’âge complètement politique. Désormais, des communautés humaines affirmeront leurs particularités au-dedans de frontières qu’il faudra jalousement garder. Il ne faut toutefois pas considérer que cette aventure du phénomène étatique, dont le berceau fut historiquement la religion comme fertilisant, permet, en fin de processus, de supprimer l’extériorité. Pour reprendre la comparaison précédente, une œuvre d’art, dans notre exemple une toile, peut changer de support (on peut remplacer un clou par un piton ou une cimaise).Mais le support lui même, donc ce qui est extérieur à la peinture reste indispensable. Et il n’est pas possible de dire que l’œuvre existe indépendamment de son support, car la toile elle-même est support de la peinture et sans toile, ou autre support, il n’y a tout simplement impossibilité d’exprimer une œuvre. Il en va de même des sociétés humaines : on peut changer les outils du lien social et passer des diverses religions aux diverses formes d’Etat, monarchique, totalitaire, démocratique....sans pour autant passer à la dé liaison et à la fin de l’extériorité. De quoi interroger la monnaie unique et la mondialisation aujourd’hui.

 

Même la démocratie ne correspond pas à la fin de l’extériorité et le passage à la centralité. Concrètement, le pouvoir, même démocratique, représente une généralité au-dessus des intérêts particuliers. La loi, même démocratique, est une contrainte extérieure au regard des actions et projets particuliers de chacun des citoyens. En ce sens, le pouvoir est toujours un rapport d’opposition commandé par la scission indispensable entre un dedans et un dehors.  De la même façon que le support de la toile n’est pas contenu dans la toile elle-même : il reste toujours une extériorité. Et cette scission est bien indispensable, sous peine de voir le lien social lui même disparaître. Pour reprendre notre comparaison, si la toile ne connaît plus de support, elle cesse d’exister en tant qu’œuvre à la disposition du regard de ses admirateurs potentiels.

Outre que l’extériorité est probablement une réalité indépassable, elle est aussi jalousement gardée par ceux qui croient pouvoir en bénéficier. Car derrière l’extériorité il y a toujours la dette, désormais privatisée, et qui plus que jamais va intéresser les entrepreneurs politiques et plus tard les entrepreneurs économiques.

D’abord les entrepreneurs politiques. Sur une longue période de temps, plus particulièrement celle où l’Etat est enchâssé dans la religion, on se contentera de la dette de vie transformée en dette de sang : la population asservie à l’extériorité, se doit d’être disponible pour en sauver son principe et les avantages qu’elle procure au monopole privée qui la contrôle. Cela signifie par exemple l’enrôlement obligatoire dans des armées qui vont défendre le territoire. Et logiquement ce monopoleur privé qu’est le prince devra veiller au complet maintien de sa créance sur ses sujets, y compris en les protégeant contre d’autres prédateurs. Ainsi la transformation des sujets en esclaves, c'est-à-dire des individus endettés à vie auprès d’autres individus n’est pas acceptable en ce qu’elle limite le nombre possible de guerriers pouvant se battre pour le  prince. Ainsi le Pharaon- Bakenranef proclame l’annulation des dettes et l’esclavage des endettés vers 720 AJC pour faire face à la menace d’invasion de l’Ethiopie-  en considérant que le corps des sujets appartient à l’Etat et à lui seul, limite voire interdit le comportement prédateur d’autres agents de la société, qui en viendraient à réduire la dette des sujets envers l’Etat. On pourrait multiplier les exemples où l’extériorité annule certaines dettes privées pour maintenir sa créance monopolistique : code d’Hammourabi, réforme de Solon, comportement de certains empereurs romains, etc. Faits intéressants  à resituer et à mettre en comparaison avec notre monde : comme si les Etats en 2008 avaient souverainement annulé   les dettes privées, plutôt que de les transférer dans leurs propres bilans. Ou autre comparaison possible, comme si les Etats aujourd’hui rétablissaient une dépendance stricte des banques centrales en ruinant les fonds de pension qui se nourrissent des dettes publiques. Le prince utilise la violence de l’Etat à titre privé et cette dernière se doit d’être plus grande que d’autres violences privées qui ne peuvent avoir accès à la contrainte publique.

Marchés politiques et dette publique

Ce qui pose tout de suite l’existence d’entrepreneurs économiques qui vivent à l’intérieur de la société et cherchent à opposer leurs  propres intérêts à l’extériorité. Le monopole brutal des outils de la puissance publique par des individus, clans, familles, etc. peut ne pas être le meilleur moyen de maximiser la rente extirpée sur ses victimes. Avant même que la puissance publique ne se transforme en possible démocratie, un marché politique peut apparaitre et déboucher sur un échange mutuellement avantageux. Le monopoleur brutal et violent peut ainsi devenir « éclairé ». Plus simplement exprimé, cela revient à dire qu’il est de l’intérêt du loup que les moutons soient gras. Si le prédateur, en signe de réduction du  niveau de sa violence, distribue des garanties et protections aux entrepreneurs économiques, ceux-ci peuvent prospérer et contribuer idéologiquement à la « puissance du royaume ». Bien des exemples peuvent être évoqués, mais les plus importants concernent notre problématique de la finance et des banques centrales. Alors même que le monopoleur consent à partager, ne se sent plus créancier ultime, et accepte jusqu’à devenir débiteur envers des personnages appelés banquiers, il peut rester violent et se sentir peu engagé dans le remboursement de ses dettes : ce sera le cas de l’Europe jusqu’aux révolutions hollandaise et anglaise. Avec la ruine des banquiers italiens, les Bardi et les Peruzzi, face à un Edward III en 1345. Mais aussi, en raison de la répétition des défauts, la difficulté de plus en plus grande des grandes monarchies à mobiliser des ressources croissantes pour financer la puissance et donc les guerres. A contrario, l’évolution des Etats vers des formes plus démocratiques pourra restaurer la capacité à emprunter, parfois dans des proportions considérables. Ce sera le cas de la petite Hollande qui pourra emprunter pour payer des mercenaires et se libérer des puissants Habsbourg. Mais ce sera surtout le cas de la Grande Bretagne , cas si bien expliqué par James Steuart en 1767, qui insiste sur la confiance entrainée par l’existence d’un parlement capable de faire augmenter les impôts pour payer des intérêts, mais aussi confiance en une banque nouvelle, la première banque centrale officielle du monde – créée en 1694  après la « glorieuse révolution » - qui pourtant privée, reçoit la charge de contrôler le cours d’une dette publique devenue liquide en toutes circonstances, et devient le prêteur en dernier ressort. Et avec le succès que l’on sait, qui fait notamment l’admiration d’un Necker, et aussi probablement d’un Bonaparte qui essaiera lui aussi de construire une banque centrale , mais dans de toutes autres conditions. Il n’est du reste pas inapproprié de penser que c’est avec la dette publique à l’anglaise et la banque centrale correspondante que Napoléon devra sa défaite finale. Sur ces points il est possible de renvoyer aux volumes « les jeux de l’échange » et « le temps du monde » de l’œuvre de Fernand Braudel.

Plus tard les marchés politiques seront- par le miracle de la démocratie- généralisés. Désormais les outils de la contrainte publique ne seront plus appropriés par un seul- qui pourra les utiliser à son profit, et éventuellement  redistribuer une partie des avantages qu’il en retire – mais possiblement par tous. En sorte qu’il n’est pas erroné de dire avec les libertariens , que la démocratie est le stade de la grande aventure étatique, où « tout le monde peut voler tout le monde ». Propos sans doute exagéré, mais qui exprime bien le fait que désormais, les entrepreneurs politiques sont soumis à un processus de sélection/ reconduction, et que les entrepreneurs économiques peuvent être concurrencés et contestés par de simples citoyens, qui peuvent aussi utiliser privativement l’extériorité. L’extériorité existe toujours, mais désormais elle fait l’objet d’une guerre incessante, entre acteurs beaucoup plus nombreux, et beaucoup plus divers. Les banques centrales qui antérieurement à la leur naissance fonctionnaient à l’envers – les Etats sont des créanciers monopolistes et ne prêtent pas – vont apparaitre comme banque des Etats, et des banques de plus en plus soumises aux aléas des marchés politiques. Et en devenant prêteuses en dernier recours, elles finiront par devenir un appendice des Etats, tout en étant également un appendice des banques classiques. Car la grande question sera : certes elles sont prêteuses en dernier recours,  mais au profit de qui ?  Outil parmi les plus fondamentaux de la puissance publique, elles sont au gré des marchés politiques, plus ou moins appropriées par les divers acteurs du jeu social. Avec des situations extrêmes : parfois simple instrument assurant la matérialité de la dépense publique, le stockage des recettes publiques, une  trésorerie obéissante et abondante ; mais parfois  séparation radicale et liens qui ne peuvent s’opérer qu’au traves du voile d’un marché où agiront des intermédiaires chargés de maintenir la séparation. En fonction des situations historiques rencontrées par les marchés politiques, cet outil particulier de la  contrainte publique, peut rester sous le contrôle direct des entrepreneurs politiques, ou à l’inverse plus ou moins cédé aux entrepreneurs de la finance. On comprend qu’à ces situations opposées, correspondra des régimes de dettes fort différents. Nous y reviendrons. Quoi qu’il en soit, et ce sera très  vrai à l’époque moderne, donc à l’âge démocratique des Etats, les banques centrales seront la frontière et un enjeu de négociation fondamental entre les entrepreneurs politiques et les entrepreneurs financiers dans la construction d’un compromis. Les uns et les autres, cherchant des alliés auprès des entrepreneurs de l’économie réelle et aussi des  très nombreux épargnants, lesquels seront parfois sacrifiés et à d’autres époques grandement favorisés. Mais à ces situations opposées correspondront aussi vraisemblablement des réalités monétaires différentes.

 

Monnaie, dette et banque centrale

La monnaie est d’abord la belle fable des économistes qui n’y voient que la résolution contractuelle et efficace des difficultés de l’échange marchand. Avec toutes les caractéristiques qui vont en découler : elle est la réussite d’une marchandise particulière et appartient donc fondamentalement à l’ordre marchand , lequel n’aurait nul besoin d’extériorité pour fonctionner. Ce point de vue qui débouche volontiers sur le concept de neutralité et de « voile monétaire » rassemble aussi bien les néo classiques que les marxistes, et permet à un Hayek d’exiger la privatisation de la monnaie : elle n’appartient pas à la catégorie des extériorités, n’a rien à voir avec les Etats qui eux-mêmes sont illégitimes. Maintenant comme la monnaie va autoriser le crédit, et donc la dette, il pourra être proclamé que la monnaie apparait probablement en même temps que la dette.

L’analyse ethnographique détruit ce raisonnement.

D’abord, historiquement a existé différentes formes de monnaies, non pas différentes quant à leur matérialité physique, mais quant à leur usage social. Il existait en effet au moins 2 sortes de monnaies : celles qui ont une valeur humaine , et symbolisent un lien spirituel ou social difficile à couper, ce sont les monnaies dites primitives qui participent à l’échange de dons ;  et celles qui ont une valeur matérielle – ou dite « moderne » - et permettent lorsque l’on en dispose d’en finir ou de solder une obligation de réciprocité. On pourrait ajouter à ces deux grands types, une forme intermédiaire : les monnaies dites « locales » ou « parallèles », qui bien que moyen de paiement libératoire, ne délient pas vraiment les participants engagés dans un réseau de réciprocité.

Ce qu’il faut noter, est que contrairement aux affirmations des économistes, la monnaie moderne ne fait pas apparaitre le crédit et la dette. La dette est bien antérieure, puisqu’elle commence par la dette de vie, dès l’origine de l’humanité alors que la monnaie moderne apparait entre le 8ième et le 6ième siècle AJC.

Cette dette de vie illimitée envers l’Etat, qui se constitue dans le nid de la religion, se construit sans monnaie. D’une certaine façon nous avons là la première banque centrale en tant que prêteur en dernier ressort, sans l’existence matérielle d’une monnaie.

Lorsque la monnaie moderne apparaitra, notamment sous forme métallique, nous aurons déjà une forme transformée de l’Etat avec naissance d’un nouveau type de banque centrale. Le plus souvent-  ce fût le cas au moyen orient de l’époque de l’antiquité, mais ce fût d’une certaine façon aussi le cas de l’Amérique espagnole au 16ième siècle- le créancier illimité produit de la monnaie à partir de mines d’or et d’argent. Cette industrie est la banque centrale de l’époque qui nourrit le Trésor, lequel se servira de la monnaie ainsi émise pour rémunérer des mercenaires. C’est qu’on évalue- d’après David Graeber dans « Debt : the first 5000 years » - à 500KG/jour de métal argent le, montant des soldes des armées d’Alexandre. On est déjà dans un monde monétaire moderne où le paiement est libératoire. Le mercenaire n’est pas relié à l’Etat par une dette illimitée et les deux « partenaires », si l’on ose dire, sont dans une logique d’échanges marchands.  Il faudra bien sûr, toute la violence de l’Etat, pour imposer au reste de la société, le caractère obligatoire des paiements effectués par les mercenaires, lesquels ont pour finalité d’assurer leur propre subsistance : les marchands accepteront les pièces fabriquées par la banque centrale, marchands qui seront ensuite invités à payer leur propre dette (l’impôt) au Trésor à partir des mêmes pièces mises en circulation. Geoffrey Ingham parle de « complexe militaro monétaire » pour désigner cette situation, qui n’est pas sans rappeler celle des Etats- Unis , dont les dépenses militaires à l’échelle planétaire sont partiellement financées par création immodérée de dollars. Déjà apparait aussi, avec ce dispositif qui remonte à l’antiquité, ce que l’on pourrait appeler le « circuit du Trésor », devenu si célèbre en France au 20ième siècle avec la possibilité qu’il a eu de financer 2 guerres mondiales, autrement plus coûteuse que celles d’Alexandre, mais également de rétablir un spectaculaire redressement du pays après 1945. Et cette extraordinaire efficacité du système « militaro monétaire » du 20ième siècle s’est déroulée sans base métallique : les banques centrales modernes n’étaient plus des mines activées par des esclaves mais de simples émetteurs de papier qui il est vrai obéissaient avec autant de zèle que les esclaves de l’antiquité.

Resterait à se poser la question de la nature de cette banque centrale faite de mines et d’esclaves : pourquoi le métal dit « précieux »  sera choisi, dans un premier temps, comme signe de garantie des échanges?

Mimétisme et sélection d’une norme monétaire

En la matière, le thème de la rivalité mimétique utilisé pour expliquer le principe général d’extériorisation peut être repris. De fait la monnaie du prince fût une imposition, mais une imposition qui fût aussi probablement bien acceptée par les communautés marchandes en formation. Les paragraphes qui suivent s'inspirent largement des positions d'André Orléan et frédéric Lordon.

De fait, un ordre marchand ne peut fonctionner sans monnaie, et la question est de savoir comment peut naitre une monnaie donc une norme monétaire, sur laquelle chaque acteur pourra s’appuyer. Et en parlant de norme, on comprend déjà que la naissance de la monnaie, est logiquement, ce qui ne veut pas dire historiquement, un processus d’extériorisation : elle est la loi de la communauté, comme il existe un ordre divin et un ordre institutionnel précédemment évoqués.

En faisant abstraction de l’ordre politique qui surplombe les communautés marchandes, il faut logiquement comprendre, que chaque échangiste est animé par le désir de se maintenir dans la communauté donc de ne point en être exclu. Cela passe par la volonté d’échanger contre des biens qui seront acceptés par le plus grand nombre pour le présent comme pour le futur, qu’il faut évidemment se contenter d’imaginer. A la rivalité entre échangistes, il faudra ajouter le comportement mimétique : en tant que participant à l’échange, il me faut

pour ne pas me tromper, et ne pas perdre, repérer ou imaginer les comportements dominants en matière de contrepartie. Quelles est la marchandise que je puis accepter et pour laquelle la communauté considère qu’elle est « richesse », c'est-à-dire , en terme moderne parfaitement liquide ? Nous nous retrouvons ainsi devant le « concours de beauté » de Keynes, où l’exercice consiste à découvrir le point de vue dominant et non pas une quelconque objectivité qui ne peut exister : en la matière seules les croyances sociales sont objectives. La richesse qui sera désignée, le sera ainsi au terme d’un processus de convergence, la transformant par un processus d’imitation en condensé de tous les biens : la monnaie est un équivalent général. Sans doute peut-il y avoir des résistants au processus d’imitation, mais ils seront éliminés en ce qu’ils n’ont pas effectué le bon choix.

Ce processus d’autocréation de la norme, processus encore une fois logiquement examiné et non pas empiriquement constaté, est une réalité providentielle pour les entrepreneurs politiques. En raison de leur poids , de leur statut d’extériorité antérieure, ils peuvent- sans même imposer de façon violente - orienter le choix dominant en matière de richesse vers leur propre avantage : choisir une monnaie qui pourra aussi être liquide au regard d’autres entrepreneurs politiques régnant sur d’autres communautés. La définition de la monnaie sur base métallique devient ainsi une nécessité quasi logique.

Ainsi on comprend mieux cette première forme de banque centrale, composée de mines activées par des esclaves : dés la naissance de la monnaie, longtemps après celle de la dette, quelque chose comme un marché politique se met en place. La monnaie ne peut être une brutale imposition comme la loi pourra l’être : elle est à la fois imposée et acceptée, et si le premier terme n’est pas suivi du second il y aura fuite devant une monnaie qui ne correspond pas à la norme, elle-même issue d’une rivalité mimétique. Ce sera le cas de nombre d’expériences malheureuses, comme celle des « Assignats », que même la violence étatique extrême ne pourra imposer.

Observation qui ne fait que confirmer ce que l’on pouvait dire des banques centrales : parce que pièce essentielle d’une norme monétaire, elles sont le lieu de possibles affrontements sur les marchés politiques et peuvent se trouver à certaines époques fort dépourvues pour imposer de nouvelles normes. Avec parfois des tentatives pour masquer contestations, affrontements, voire prise de pouvoir, en mettant en avant l’idée d’indépendance.

 

 

La monnaie qui finalement s’impose dans un ordre marchand qui connait l’aventure étatique, présente des caractéristiques essentielles. En raison des son mode de construction tel que précédemment évoqué, elle est un système centralisé, tout comme l’Etat, et la compétition pour la gérer et la détenir est importante. Le mode de construction désigne aussi son statut : elle est la richesse. Devenue de par le jeu social dans une configuration mariant marché et Etat, équivalent général de toutes les marchandises, elle n’est pas valeur particulière, mais valeur universelle. Elle est donc la richesse. Mais parce que équivalent général, elle est aussi réserve de valeur, ce qui signifiera qu’elle peut être stockée, donc thésaurisée. Cette caractéristique engendre logiquement la loi d’airain de la monnaie : elle n’apparait pas comme réalité conventionnelle, ou simple construction sociale- ce qu’elle est - et se trouve bien être la richesse objective puisque sa rareté, aussi entrainée par la thésaurisation, freine la circulation des marchandises et la richesse réelle. L’humanité va ainsi voir dans la réalité, la confirmation de ce qu’elle croit, et ce même si cette croyance est la résultante d’un comportement. Le métal est donc rare, et comme les tentatives pour y remédier ont très longtemps entrainé des catastrophes – le système de Law ou celui de Palmestruch par exemple – la rareté va apparaitre longtemps indépassable. C’est ce qu’on appelle la loi d’airain de la monnaie. Autre caractéristique complémentaire et essentielle, parce que réserve de valeur rare, à l’inverse de certaines monnaies archaïques, elle engendre de la valeur et autorise intérêt et rente, donc la financiarisation de l’économie avec comme conséquence annexe la naissance possible d’une aristocratie financière, à la fois éloignée et proche de la centralité politique, mais aussi une logique court termiste en matière d’investissements.

Lorsque l’ordre marchand n’est qu’embryonnaire, le système monétaire qui se met en place n’a rein à voir avec ce qui vient d’être décrit. Tout d’abord le troc, comme le rappelle Fernand Braudel dans « les structures du quotidien » au moyen âge, peut rester dominant et le crédit peut s’opérer sans monnaie, en ayant simplement recours à des outils de comptage, ou des monnaies primitives qui à l’inverse des monnaies qui vont finalement s’imposer partout, expriment la solidarité du groupe. Ces monnaies peuvent exister dans des mondes despotiques , sans passer à la centralité : elles ne naissent pas d’un processus d’extériorisation, et l’Etat n’y voit pas toujours une source de rente. Ces monnaies assurent ainsi la simple circulation, et ne sont pas réserve de valeur. Parce que produites et utilisées à l’occasion d’une relation d’échange, elles ne sont pas accumulables , ne sont ni rares ni abondantes , ne développent aucune loi d’airain, et le plus souvent aucune rente. C’est le cas aujourd’hui encore des quelque 5000 monnaies dites complémentaires que l’on trouve dans le monde. Parfois elles sont soumises à l’instar de l’ « ostracon » égyptienne d’avant la conquête romaine, à la « surestarie » c'est-à-dire un taux de l’intérêt négatif qui correspond au service rendu. Ainsi dans le cas de l’ « ostracon », le dépositaire d’une récolte de blé recevait un titre de créance qui « fondait » avec le temps pour ainsi matérialiser le coût du stockage. Curieusement, le taux de l’intérêt négatif a pu ultérieurement se transformer en taux positif,  tout simplement selon  Bernard Lietar par « abus de surestarie » au moyen âge,  dans les ateliers de « Renovatio Monetae » abus qui devenait  progressivement dépréciation pour les monnaies dominantes et captation de rentes : seigneuriage, dilution, bref quelque chose comme des paléo banques centrales.

Conclusions

Le point de départ de notre trop rapide analyse était l’interrogation concernant le pourquoi d’une banque centrale. La recherche ethnographique et historique permet de capitaliser un certain nombre d’acquis.

Tout d’abord, il faut comprendre qu’une absence de banque centrale parait impensable en raison de la nature de la monnaie qui va envelopper les sociétés marchandes. Sans doute venons nous de rappeler qu’il existe plusieurs sortes de monnaies, et au fond 2 catégories, celles qui seront réserve de valeur et celles qui assureront la simple circulation des biens. Parce que ces dernières gèrent des liens de dépendance entre personnes voire entre des groupes, elles mesurent davantage la valeur des personnes que la valeur des choses. Benveniste, dans son « vocabulaire des institutions indo-européennes » précisait d’ailleurs, qu’à l’origine, dans les langues indo-européennes, la notion de valeur désignait d’abord des personnes. A ce titre, ces monnaies   ne sont pas « équivalent général ». Par contre les monnaies dominantes, les monnaies métalliques, désignent des choses, qui parce que devenant de simples marchandises impersonnelles, acquièrent une valeur indépendantes des personnes. La monnaie vient ainsi surplomber la société, se trouve être extériorité, et au final devra être gérée par une autre extériorité qui est banque centrale. Et cette dernière entité peut  se couvrir d’habits institutionnels très divers : Etat lui-même, mines publiques de métal, hôtel de monnaies, etc.

En second lieu, parce que fondamentalement le politique est aussi une extériorité qui fait l’objet d’une vive compétition entre des hommes , lesquels luttent pour l’ accès aux outils de la contrainte publique, l’Etat va lui aussi se couvrir d’habits institutionnels historiquement variés : despotisme radical des entrepreneurs politiques , despotisme hiérarchisé despotisme éclairé, Etat de Droit etc. A ces variation correspondent dans le même ordre un partage croissant des outils de la contrainte publique, outils qui restent le monopole des entrepreneurs politiques mais qu’ils sont amenés à faire fonctionner aussi au profit d’autres entrepreneurs , ceux de la finance ou de l’économie réelle, mais aussi d’autres groupes sociaux.

De cet émiettement, il résulte en contrepartie un émiettement du contrôle monétaire. Très visible dans le cas du despotisme hiérarchisé du moyen âge où à la limite chaque seigneur pouvait « battre monnaie », il l’est également dans les premières formes de l’Etat de Droit où le seigneur se trouve remplacé par le banquier, lequel jouit d’un pouvoir monétaire encore plus grand , puisque « battre monnaie » pourra souvent se faire sans matière première coûteuse. Parce que cet émiettement affaisse la centralité monétaire et ses avantages considérables pour les entrepreneurs politiques, il est des époques où les Etats tentent de reprendre en quasi-totalité le pouvoir monétaire. Cette reprise du pouvoir pourra se faire de manière douce et négociée, ou de façon beaucoup plus brutale. Ainsi L’Etat  britannique  pourra trouver les moyens de sa puissance contestée en créant une banque centrale qui n’est pas dans sa main : le pouvoir monétaire est partagé, et la dette des sujets envers l’Etat se double d’une dette publique gigantesque dans l’autre sens. Mais la douceur peut se transformer en brutalité, lorsque l’Etat transforme la banque centrale en simple annexe du Trésor, comme ce sera le cas de la France au 20ième siècle, essentiellement pour des raisons militaires: dans ce cas le prédateur ne se contente plus de la dette de sang et exige de fait l’annulation de sa propre dette. La situation correspondant à la mondialisation est de fait inverse : la banque centrale retrouve son autonomie, et mieux se met au service des pouvoirs monétaire émiettés, pour ponctionner une structure qui elle-même, mondialisation oblige, se trouve à la diète. La dette publique devenue gigantesque est de moins en moins gagée par la dette des citoyens – ce qu’on appelle les prélèvements publics obligatoires -  envers l’Etat. En sorte que, si naguère les Habsbourg et les Bourbons voyaient la dette publique augmenter pour faits de guerre, en face de prélèvements insuffisants et contestés,  les Etats modernes voient leur dette publique augmenter pour fait de mondialisation , qui elle-même glorifie le mieux disant fiscal. Nous y reviendrons.

Les métamorphoses de la banque centrale sont donc explicables par le contexte dans lesquelles on la fait fonctionner. Ce qui signifie aussi, qu’il n’est pas satisfaisant de la définir par ce qu’elle fait, mais bien plutôt par ce qu’elle est. Ce qu’elle fait est largement connu et expliqué : émission de monnaie légale, fixation des taux directeurs, régulation des marchés etc. Ce qui est inconnu est son identité. Or c’est pourtant l’identité qui seule permet de comprendre, c'est-à-dire de rendre intelligibles, les gestes de l’institution. Risquons une définition :

Une banque centrale est une institution, logée dans l’interface entre pouvoir financier et pouvoir politique, et chargée d’exprimer le rapport de forces entre les deux, par des actions concernant la circulation monétaire , la monnaie elle-même et la dette. La position  relative des deux pouvoirs : absorption plus ou moins complète de l’un par l’autre, séparation radicale/opposition radicale, coopération mutuellement avantageuse, servitude volontaire, etc. est la source ultime de la compréhension des faits monétaires.

Au-delà,  il est intéressant de résumer les développements précédents par un tableau récapitulatif, historiquement orienté depuis le passé lointain vers le futur. Chaque ligne de ce tableau présenté ci-dessous, correspond à une configuration historique, c'est-à-dire une articulation entre formes de l’Etat, de la dette en général, de la monnaie, de l’articulation banque centrale/Etat et de la dette publique. De fait il s’agit davantage d’une configuration logique que d’une configuration historique, aucune date ne figurant dans le tableau. Par contre, plusieurs lignes expriment bien une époque, notamment les trois dernières. La colonne concernant la dette, exprime bien la réalité du monde tel qu’il a toujours été, et le sera probablement toujours : l’humanité est endettée vis-à-vis de son extériorité, et celle ci se manifeste, depuis l’antique institution du sacrifice, jusqu’au moderne impôt. Ce dernier est le sacrifice des modernes, qui doivent payer pour le maintien de l’ordre supérieur dans lequel ils vivent, comme les anciens se livraient à des sacrifices humains, pour se désendetter vis à vis des Dieux.

Lorsque la dette est infinie, ce qui est le cas de la position esclavagiste, les entrepreneurs politiques qui ont remplacé les dieux, ne peuvent eux-mêmes s’endetter : cela signifie que la dette publique est nulle et que de fait les esclaves sont les préteurs en dernier ressort.

Lorsque la société se complexifie et que d’autres endettés peuvent émerger, par exemple des hommes libres qui deviennent esclaves de leurs créanciers, pour non remboursement de la dette, il y a déjà compétition avec le despote qui  voit sa créance infinie se transformer en créance finie : des hommes qui devaient le prix du sang, ne  sont plus disponibles car devenus esclaves d’entrepreneurs économiques. D’où les multiples annulations générales de la dette privée qui maintiennent les capacités  des préteurs en dernier ressort.

Le bourgeonnement des espaces marchands, amplifie la contestation de la dette envers le prédateur public. La régulation historiquement constatée est l’émergence, ci-dessus expliquée, de la monnaie métallique assortie des paléo banques centrales : la mine de métal travaillée par ses infinis endettés que sont les esclaves. La dette publique – au niveau interne bien sûr, et pas entre Etats -n’a toujours pas de sens.

L’humanité restera longtemps, pour les raisons ci-dessus expliquées, victimes de la loi d’airain de la monnaie métallique. Mais les groupes, notamment les entrepreneurs financiers, contestant la monopolisation des outils de la contrainte publique, seront de plus en plus nombreux et puissants. Ils contestent la dette toujours trop grande, alors même que les besoins de la guerre se font de plus en plus importants : le prédateur (Etat) devient lui-même endetté. Nous avons là les premières formes de la dette publique, formes au demeurant assez définitives, et que l’on va retrouver au stade de la démocratie contestée par la mondialisation. Dette publique parfois intelligente avec des banques centrales bien imaginées (Angleterre). Mais dans d’autres cas calamiteuses (France de la période révolutionnaire)

Lorsqu’apparait l’Etat de droit, la contestation se fait plus radicale, et d’autres groupes, ici non financiers, viennent exiger leur part de réduction de dette. Si l’on ajoute à cela des contextes de guerres totales, il est clair que la dette se renverse, et que le prédateur doit se libérer de la loi d’airain, et fonder une banque centrale entièrement soumise : le préteur en dernier ressort, n’est plus l’esclave ou la mine, mais la planche à billets . Et avec elle, la dette publique qui nourrissait les entrepreneurs financiers disparait. Mais à l’inverse, de quoi nourrir de gigantesques investissements publics, venant eux mêmes nourrir la croissance, et la construction d’un compromis fordien.

Enfin, dernière configuration, lorsque les entrepreneurs politiques sont amenés à négocier la fin de la « répression financière » pour répondre aux exigences techniques de la mondialisation, une nouvelle ère s’ouvre : les banques centrales s’éloignent des Etats et se rapprochent de la finance. Les Etats ne disposent plus d’un préteur en dernier ressort, lequel ne fonctionnera comme tel, qu’au seul profit de la finance. Avec une réponse rapide :prédation contestée d’un côté, et cession du privilège de battre monnaie à la finance de l’autre, assureront le possible épanouissement des dettes publiques.

   

 Variations historiques des formes d’Etat et de ses correspondances en termes de dette, de monnaie, de structure des banques centrale et de dette publique

  

     

Formes de l’Etat

Formes de la dette envers l’Etat

Formes de la monnaie

Formes de la banque centrale/Formes d’action de l’Etat

Réalité  et importance de la dette publique

Despotisme

radical

infinie

Absence ou monnaies primitives

Peuple fournisseur infini

Nulle ou interétatique

Despotisme avec émergence du droit : version1

Infinie mais  contestée : dette privée comme externalité négative

Outils de comptage + monnaie de simple circulation

Idem+ annulation régulière des dettes privées pour maximiser la créance publique

Nulle ou interétatique

Despotisme avec émergence du droit : version 2

finie

Norme monétaire métallique = richesse accumulable

Loi d’airain de la monnaie

La mine de métal fonctionne comme banque centrale

Nulle ou interétatique

Etat moderne 

Partage des outils de la contrainte publique

Finie mais contestée et partagée

Norme monétaire métallique= richesse accumulable

Loi d’airain

Hôtel des monnaies surestarie/dépréciation

Premières banques centrales  modernes

Importante et le plus  souvent intra étatique

Marchés politiques actifs et démocratie de moyennisation

(compromis fordien)

finie

Renouvellement de la norme monétaire

Richesse accumulable

Libération vis-à-vis de la loi d’airain

Généralisation des banques centrales  modernes

Rapide réduction

Marchés politiques actifs et démocratie contestée=mondialisation

Finie mais contestée et partagée

Retour à la loi d’airain de la monnaie et privatisation

Richesse accumulable

Séparation des banques centrales vis-à-vis des Etats

Rapide augmentation en intra et/ou en interétatique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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19 janvier 2012 4 19 /01 /janvier /2012 15:39

Il n’est pas nécessaire d’être économiste pour prendre clairement conscience que le déséquilibre des finances publiques est probablement apparenté au déséquilibre extérieur, et en particulier à celui correspondant à l’échange des biens et des services. Si les 4 points de PIB du déficit commercial français de 2011 se transformaient en production nationale, il en résulterait davantage de prélèvements sociaux  et fiscaux, et aussi moins de dépenses publiques, orientées vers la gestion du sous emploi et des problèmes qui lui sont attachés. Pour l’année 2011, un équilibre des échanges extérieurs aurait aisément fait entrer la France, sous le seuil réglementaire des 3% de déficit des administrations publiques. Il est donc inutile d’insister sur un fait qui est largement intervenu dans la  récente dégradation de la note de la France.

Par contre, ce qui est moins connu et fort peu évoqué, est le fait que le déficit extérieur nourrit des déséquilibres financiers, qui à l’intérieur de la zone euro deviennent difficilement contrôlables. Jadis, c'est-à-dire avant l’introduction de la monnaie commune, et plus encore avant l’introduction de taux de change flottants,  un déficit commercial non compensé par des mouvements de capitaux, se soldait par une sortie nette de devises, et- à terme - par une possible dévaluation rééquilibrant la balance. La monnaie unique supprime – en théorie- la contrainte extérieure et l’on se trouve dans la question énoncée il y a si longtemps par Jacques Rueff à propos des USA, à savoir la question du « déficit sans pleurs ». D’où le terme pleinement justifié  de grecs disposant d’une « monnaie de réserve à l’américaine ». Eric Dor dans une intéressante étude sur le fonctionnement du dispositif « Target 2 » de l’euro système révèle clairement le problème. 'http://my.ieseg.fr/bienvenue/DownloadDoc.asp?Fich=303790470_2011-ECO-07_Dor.pdf

« Target 2 » fonctionne au niveau européen, comme pouvait le faire, et peut encore le faire, un marché interbancaire. Dans un système monétaire national, l’échange interbancaire se soldait par des excédents et déficits journaliers, que l’on pouvait aussi repérer au niveau des comptes des banques au passif de la banque centrale. Si durablement la banque A voyait sa monnaie fuir vers la banque B, les choses se soldaient momentanément par son endettement auprès de B, le cas échéant avec une aide de la banque centrale. Mais la fuite n’était guère durable, et si A était en permanence victime d’une fuite de monnaie (part de marché trop réduite, qualité de service insuffisante, méfiance, etc.) il en résultait généralement sa disparition, et une plus grande concentration du système bancaire. « Target 2 » reproduit d’une certaine façon ce schéma, mais entre pays différents. De fait, le dispositif technique retenu pour la compensation interbancaire, fait intervenir les banques centrales des pays de la zone. En sorte que désormais,  ce sont les anciennes banques centrales qui se trouvent dans la position de la banque A et de la banque B. En termes concrets, les pays qui connaissent un déficit extérieur, sont des pays dont la monnaie fuit vers les pays excédentaires, ce qui se traduit par un endettement de la banque centrale du pays débiteur, et une position créancière de la banque centrale du pays excédentaire. En termes encore plus concrets, la banque centrale de Grèce, devient de plus en plus débitrice de la banque centrale d’Allemagne. Et le « bank run » qui peut exister en Grèce, peut n’avoir d’autres conséquences que l’accroissement vertigineux d’actifs de la banque centrale d’Allemagne sur la banque centrale de Grèce. Ce fait constitue l’un des aspects les plus magiques de la « drogue euro » : la fuite peut théoriquement devenir infinie, et les grecs peuvent débarquer dans les aéroports des pays excédentaires avec des valises d’euros sans affecter réellement les banques grecques.

L’Europe reproduit ainsi à une échelle plus modeste ce qui se passe à une échelle plus  considérable entre les USA et la Chine. Les USA empruntent à la Chine, ce qui permet de faire fonctionner les usines chinoises. Dans l’euro zone les grecs, mais aussi d’autres pays déficitaires, empruntent à l’Allemagne de quoi faire fonctionner les usines allemandes.

Les dettes publiques « roulent » grâce au fonctionnement des agences et des banques, ces dernières étant elles mêmes incitées par la BCE à se livrer à du « sarko trade ». Ce plus ou moins bon roulement de la dette, en permet un autre plus discret, car seulement lisible dans les comptes des banques centrales : celui d’une accumulation croissante, des moyens de payer les importations en provenance d’Allemagne, pays qui est ainsi amené à financer par le crédit, ses propres exportations. Tout comme la chine, qui paie ses exportations vers les USA en achetant des bons du Trésor américain. Le gonflement du bilan de la banque centrale allemande est une nécessité, et les entrepreneurs politiques allemands n’ont pas les moyens de s’y opposer. Une éventuelle sortie de la zone euro des pays  les plus débiteurs au titre de leurs échanges extérieurs, n’est pas une menace pour la Bundesbank, et encore moins pour l’Etat allemand, qui n’aurait pas nécessairement à recapitaliser - à raison de son poids dans l’euro système , c'est-à-dire 30%- sa banque centrale: Il peut en effet être décidé de monétiser. Par contre,  le vrai danger serait la très vive chute des exportations allemandes.

La dette publique n’est donc que l’apparence d’une autre plus fondamentale, celle engendrée par des déséquilibres extérieurs, les largesses et facilités  de cette dernière  venant nourrir la première plus visible et aussi plus dénoncée. Parce que plus visible, beaucoup d’entrepreneurs politiques évoquent une règle d’or sur les budgets publics. Il serait pourtant plus judicieux d’envisager une telle règle sur les échanges extérieurs. Règle évidemment inacceptable aux yeux des croyants de la mondialisation et des groupes d’intérêts qu’ils représentent.

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12 janvier 2012 4 12 /01 /janvier /2012 08:49

 

L’utilisation du terme « indépendance » pour qualifier ce qui serait la réalité des banques centrales est à lui seul problématique.

Un signifiant qui ne correspond pas au signifié

 Dans sa conception première, il signifie une absence de relation et donc bien sûr une absence de tout lien hiérarchique. C’est sans doute le paradigme  mathématique qui exprime le mieux cette absence de lien lorsque l’on parle de « variables indépendantes ». Or la réalité des banques centrales ne saurait correspondre à cela, sauf à considérer qu’elles constituent des pièces complètement détachées du système social dans lequel elles s’activent. L’emploi d’un terme qui ne saurait correspondre à la réalité a donc un sens : il s’agit d’exprimer une représentation souhaitée du monde, plutôt que d’en désigner la réalité. Plus correct serait l’emploi du terme autonomie. Expression qui a été largement éradiquée  car trop réductrice aux yeux des promoteurs des nouvelles banques centrales : parler d’autonomie est en effet immédiatement interprété comme dépendance d’un système qu’il faut questionner. Or précisément, il s’agissait au moment de la construction et de la généralisation des nouvelles banques centrales, de se dégager de l’idée de dépendance.

Curieusement, il s’agit toujours de banques  proches des Etats mais dès leur naissance – dixseptième siècle pour la première, mais surtout 19ième pour la France, l’Allemagne, etc. -  elles furent symboliquement relativement éloignées de leurs géniteurs. Pour une raison simple : assurer ou restaurer une confiance monétaire très souvent malmenée historiquement. La monnaie est certes pure convention, mais on le sait, pure convention qui a découlé dans les mondes marchands d’un mimétisme produisant le métal comme loi d’airain. Et chaque fois que les entrepreneurs politiques ont cherché à sortir de leur prison monétaire, le prix en fût très élevé. Les premières banques centrales modernes, bien que de conceptions diverses se rattachent toutes à cette idée : il nous faut, nous entrepreneurs politiques, afficher le respect de la loi d’airain, reconnaitre que la monnaie est- de fait- tout sauf une convention sociale.

Lorsque des évènements graves se produisent - 1848, 1870 en France ; 1914 dans les pays belligérants de la première guerre mondiale – le non respect de la loi d’airain n’est accepté qu’en raison de la reconnaissance du caractère exceptionnel du moment, avec la certitude du retour au métal dès que possible. D’où les très grandes difficultés de l’après première  guerre mondiale, et les gestions calamiteuses des premières années de la crise de l’entre deux guerres. De fait, il faudra attendre la préparation de la seconde guerre mondiale, et ultérieurement les 30 glorieuses, pour que l’humanité accepte de s’affranchir de la loi d’airain de la monnaie.

Le succès d’un mot …

Si le terme d’indépendance est relativement peu employé, il faudra attendre les années 1970 pour le voir monter en puissance. A la même époque se développe parallèlement, dans beaucoup de pays, de nouvelles institutions dites indépendantes. Celles-ci désignées en France par l’expression d’ « Autorités Administratives Indépendantes » sont chargées d’assurer la régulation d’un secteur, et se rapprochent souvent des entreprises pour mieux coopérer, voire les surveiller ou les sanctionner. Encore peu nombreuses en France- environ une quarantaine- elles le sont bien davantage en Allemagne (189) , aux Pays-Bas, en Grande Bretagne etc. De fait, il s’agit d’un vaste mouvement qui correspond à une étape de l’aventure étatique, celle pour laquelle les entrepreneurs politiques - au-delà de la concurrence démocratique qui existe entre eux pour le contrôle des outils de la contrainte publique – sont amenés à partager le contrôle avec des groupes privés. Là aussi le terme « d’indépendance » est incorrect, et la jurisprudence du Conseil Constitutionnel considère encore les AAI comme des administrations de l’Etat, mais il est employé, car il correspond bien à l’idéologie du moment.

Le logiciel du droit traditionnel est fort gêné par cette transformation de forme d’action de l’Etat, d’où en France l’inquiétude d’un Sénat qui parle « d’objets juridiques non identifiés » pour désigner les AAI, ou l’utilisation  d’expressions forts étranges pour le juriste, comme celle de « personne publique sui generis ». Appellation qui deviendra pourtant la règle pour la banque centrale, après le Traité d’Amsterdam qui va en faire une institution particulière présentant des caractéristiques propres, ce que confirmera, en France, le Conseil d’Etat dans un avis en date du 9 décembre 1999.

…Que la science va justifier

Mais cette idée de séparation d’un certain nombre d’entités jusqu’ici rattachées à la machinerie étatique, en particulier les banques centrales, est d’abord le fait de la théorie économique. Théorie économique qui aura parfois tellement peur de la non indépendance qu’elle recommandera l’absence de banque centrale. C’est évidemment le cas de la théorie autrichienne, avec sa forte influence aux USA pour retarder la création de la FED, laquelle ne verra le jour qu’en décembre 1913. C’est que, même indépendante de l’Etat,  une banque dite centrale n’a pas à développer en tant que prêteur en dernier ressort , de par sa seule présence un risque de « moral hazard ». D’où la dissolution de la « Second Bank of the United States » en 1830 par le président Andrew Jackson.

150 années plus tard, lorsque se déploie à nouveau l’idéologie de l’indépendance, avec ce que Jean Pierre Patat va appeler « l’ère des banques centrales », la théorie économique va largement profiter, d’une montée empiriquement vérifiée de la stagflation, pour mettre en valeur les vertus supposées d’une indépendance.

D’abord en attaquant le modèle keynésien interventionniste, et en révélant la verticalité croissante de la courbe de Phillips, les monétaristes vont affirmer, que l’injection autoritaire de monnaie supplémentaire, laissera le taux de chômage à son niveau naturel, tandis que la confiance dans la monnaie faiblira en raison de l’inflation . Si Friedman s’insurge contre « la manipulation par l’Etat » de la politique monétaire, il n’ira toutefois pas jusqu’à recommander l’indépendance des banques centrales, en raison des craintes qu’il exprime, au regard d’une telle concentration de pouvoirs, au profit de personnes elles mêmes exemptes de tout contrôle politique. A peu prés à la même époque, T Sargent et N Wallace confirmeront l’ineptie d’une « manipulation par l’Etat » de la monnaie en raison des anticipations rationnelles.

Ces premières attaques se feront aussi sur la base d’un nécessaire retour à la stabilisation des prix, stabilisation érigée en bien public. Il s’agit là d’un retour à la loi d’airain de la monnaie sous une forme modernisée : certes on peut désormais se passer de l’or, mais se libérer de toute contrainte monétaire ne permet pas de promouvoir la confiance des épargnants, lesquels exigeront des primes de risques, et donc feront monter les taux de l’intérêt. Avec les conséquences souvent reprises par ces banquiers centraux entrain de conquérir leur indépendance, à savoir la non maximisation de la croissance et de l’emploi.  Evidemment la démonstration n’est guère convaincante, et il suffit de se plonger dans le passé, pour constater que dans les périodes de forte répression financière, où la notion de prime de risques n’avait guère de sens, la croissance était plus vive, et le plein emploi souvent constaté. De fait, la théorie économique n’a jamais pu être convaincante sur le sujet, et aurait pu  se borner à expliquer quels intérêts, en tout premier lieu, allaient être satisfaits en organisant l’éloignement de l’Etat.

Ces premières attaques au profit de l’indépendance, pouvaient très bien se solder par une indépendance de fait des banques centrales, sans toucher à leur réalité institutionnelle. Il suffisait au fond, de dénoncer toute manipulation politique, et d’exiger que les Etats laissent une complète autonomie de gestion aux banquiers centraux. Mais les développements de la théorie économique iront plus loin et il en découlera une impérative mise en cause organisationnelle des banques centrales.

Des travaux économétriques vont révéler –Bade et Paker (1985), Alesina et Summers (1993), Fischer (1994) – une forte corrélation entre inflation et degré d’indépendance des banques centrales : plus les banques sont indépendantes et plus la stabilité des prix est assurée. Certains de ces travaux en appelleront d’autres à vocation utilitaire. Ainsi GrillI, Masciandaro et Tabellini vont mettre sur pieds un indice, comportant pas moins de 16 variables, permettant de mesurer le niveau d’indépendance des banques centrales. D’autres travaux – notamment la théorie du cycle électoral de Nordhaus (1975) -vont révéler l’irrépressible tentation d’utiliser la politique monétaire à des fins électorales. Travaux qui seront confirmés par de très nombreux autres : Kydland et Prescott (1977), Barro et Gordon ( 1983). Ces derniers vont utiliser la théorie des jeux pour montrer que les stratégies dominantes des entrepreneurs politiques et des agents privés vont aboutir à un « détestable équilibre de Nash ». Avec comme seules solutions possibles pour sortir de ce « dilemme du prisonnier » : la réputation ou la délégation. Comme les entrepreneurs politiques auraient depuis longtemps épuisé leur capital de confiance, il ne reste plus que la délégation du pouvoir monétaire à la banque centrale, laquelle n’aurait comme seul objectif que la stabilité des prix. Tous ces travaux furent à l’origine de très nombreuses thèses universitaires allant souvent dans le même sens, même si parfois des études critiques relativisaient ce formidable engouement pour l’indépendance des banques centrales ( Cukierman 1992).

Hélas, il faut se méfier de tout

Mais bien évidemment, on sent qu’il faudrait aller beaucoup plus loin : qui peut nous assurer de la crédibilité de la banque centrale ? Si la réputation des entrepreneurs politique n’est pas rattrapable, comment forger celle des banquiers centraux ?

Non seulement l’indépendance devient une exigence, mais il faut l’assortir de nouvelles contraintes. D’où, au-delà d’une indépendance juridique, exiger des plans organisationnels et comportementaux, efficients, et donc rassurants, sur l’objectif de stabilité des prix. Là encore, les travaux universitaires se sont multipliés. Ceux de K Rogoff  (1985) conduiront seulement à la prudence : il faut choisir un banquier central très réputé pour sa très forte aversion à l’inflation. Ceux de Blinder (2000) n’iront pas beaucoup plus loin : il faut jouer sur l’effet de réputation pour asseoir la crédibilité.  Plus sévères seront ceux de Walsh (1995) qui, dans le paradigme de la théorie de l’Agence, vont déboucher sur la nécessité  de lourdes sanctions financières automatiques envers le banquier central inefficient.

Mais au-delà des comportements, et de la réputation du banquier central, sur quel corpus théorique doit-il s’appuyer, pour effectivement garantir la stabilité des prix ? Faut-il mettre en avant les hypothèses monétaristes au risque de privilégier le long terme sur le court terme ? Faut-il croire dans la théorie des anticipations rationnelles et « surprendre » les agents économiques dans le court terme ? Faut-il privilégier une règle, telle la règle de Taylor dont la simplicité et le bon sens, se heurte à des difficultés de mesure et à de trop fréquentes interventions de taux ?

Et s’agissant de ces règles, il faut aussi, pour maximiser la crédibilité, que l’on soit assuré qu’elles soient prises à bon escient, ce qui veut dire aussi, un fonctionnement relativement transparent. Quelles seraient donc les règles de transparence ? Les travaux sont ici beaucoup moins nombreux, et il est facile de prendre conscience qu’il doit exister des limites à la transparence, notamment au regard des interventions au quotidien sur telle ou telle banque, la présente période montrant à quel point, des développements  systémiques, sont toujours à craindre, à partir de telle ou telle information.

Si l’on résume le chemin parcouru dans le raisonnement : nous sommes parti d’un constat empirique, la stagflation des années 70, pour mettre en cause la théorie keynésienne justifiant la dépendance des  banques centrales vis-à-vis des Etats, ce qui va justifier la séparation, mais surtout qui va justifier une indépendance au seul titre de la stabilité des prix, et stabilité qu’il faudra assurer par une certaine organisation, et un certain fonctionnement des banques centrales.

Mais la vraie question devient alors : pourquoi la stabilité des prix est-elle devenue si extraordinairement importante ?

Une clef pour comprendre…

De fait, la stagflation des années 70, est favorable à l’économie réelle et aux détenteurs d’actifs réels, et simultanément défavorables aux entreprises financière, et à tout ce qui touche la finance. Cela est très lisible dans les bilans. Dans les entreprises industrielles le passif est rogné par l’inflation, tandis que l’actif se trouve valorisé. Les ménages investissant dans le logement, se sentiront dans les années 70, les plus concernés par cette déformation des bilans : l’emprunteur immobilier voit le poids du remboursement de son crédit s’alléger, tandis que l’actif immobilier s’apprécie continument. Les banques connaissent à l’inverse, la poursuite de la répression financière engagée depuis si longtemps par l’Etat. L’actif devrait pouvoir se développer comme il le faisait pour les entreprises industrielles, mais comme il est composé d’éléments financiers, toute augmentation de taille, se paie d’une dévalorisation absolue importante. A l’inverse, les encaisses monétaires figurant au passif, sont frappées d’une taxe d’inflation. De fait, la stagflation des années 70 ne fait que prolonger, par d’autres moyens, les rigueurs de l’antique «  circuit du Trésor ».

Parvenir à la stabilité des prix est donc une révolte, qui ne peut être menée que par les perdants de l’inflation,  avec en tout premier lieu les banques. Il faut donc parvenir à une redéfinition des tâches des entrepreneurs politiques, dont la maitrise des outils de la contrainte publique, et en particulier les banques centrales, doit être rediscutée.

Si maintenant, il peut être trouvé des économistes qui peuvent démontrer l’impossibilité pour les entrepreneurs politiques d’établir la stabilité des prix, et si l’on peut démontrer que seules des banques centrales devenues réellement indépendantes, sont en capacité d’étouffer l’inflation, il y a possibilité de gagner sur deux tableaux : mettre fin au mode hiérarchique de la dette publique, et passer à une économie de dette.

Mettre fin au mode hiérarchique de la dette publique en interdisant aux Etats de s’approvisionner directement auprès de leurs banques centrales, lesquelles voient leurs liens de dépendance financière coupés, c’est la possibilité pour les banques de second rang de voir s’ouvrir un immense marché de la dette publique. Et un marché qui ne peut que s’accroitre, car le choc désinflationniste qui va se mettre en place va alimenter la dette publique : le resserrement monétaire pour cause de lutte contre l’inflation, augmente le coût du service de la dette en formation, et freine l’augmentation attendue des  ressources budgétaires. C’est ce que constatent Richard Black, Donald Coletti, et Sophie Monnier (1997), auteurs qui, regroupant toute une série d’études croient aussi pouvoir montrer sur un mode utilitariste, que le choix de la désinflation est inefficient sur le plan macro économique. Mais la fin de l’inflation correspond au commencement de la dette.

A ce premier intérêt pour les banques, qui se voient assurées d’un débouché croissant, auprès de celui qui est devenu un client, c’est – à-  dire l’Etat, s’ajoute un second : les actifs bancaires peuvent désormais se développer sans réelle limite, puisqu’ils ne sont plus soumis à l’impôt d’inflation. Si désormais existe dans le système financier un gardien crédible de la stabilité des prix, alors les joies de la dette peuvent s’épanouir. Les bilans peuvent grossir : souvent comparables aux bilans industriels des années 60, les bilans bancaires peuvent désormais dépasser la taille du PIB du pays qui les accueille. Chacun aura évidemment en tête celui de la BNP , banque « plus grosse que la France ». Et curieusement, on pourra même choisir un indice des prix, qui pourra laisser de côté tout ce qui est actif, et en particulier tout ce qui est actif non financier pouvant servir d’appui à des actifs financiers. Nous avons là bien sûr l’immobilier et les « commodities » dont la hausse continue n’infirmera pas la parfaite stabilité des prix, mais qui à l’inverse, pourra nourrir l’économie de dette et donc la finance.

Peut-on alors parler d’indépendance et de crédibilité des banques centrales ? Ces mots n’ont guère de sens. Ce qui s’est produit tout au long de la période de désinflation, qui va parallèlement proclamer l’indépendance des banques centrales, et qui va en Europe édifier la BCE, n’est qu’un progressif basculement de rapports de forces entre acteurs sociaux : les entrepreneurs politiques dans leur quête de reconduction au pouvoir, sont amenés à délaisser de vieilles solidarités, par exemple celles qui se sont nouées au moment de la création du « well fare », au profit de la finance.

Fait historique qui permet de comprendre au-delà des définitions économicistes des banques centrales, la vraie nature de ces dernières. D’où la définition que nous proposons :

 « une banque centrale est une institution, logée dans l’interface entre pouvoir financier et pouvoir politique, et chargée d’exprimer le rapport de forces entre les deux, par des actions concernant la circulation monétaire, la monnaie elle-même, et la dette. La position relative des deux pouvoirs : absorption plus ou moins complète de l’un par l’autre, séparation radicale/opposition radicale, coopération mutuellement avantageuse, servitude volontaire, etc. dépend des forces que chacun d’eux mobilisent et organisent, et se trouve être la source ultime de la compréhension des faits monétaires ».

Définition à méditer.

 

 

 

 

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